1 Frédéric Hoquetaux dresse un tableau de la manière dont les sociologues français ont analysé les évènements de l’automne 2005 d’un point de vue épistémologique tout en soulignant l’absence d’analyses sur les politiques de prévention des troubles. Il distingue différentes catégories de postures, globalement « compréhensives » à l’égard du comportement des émeutiers. Certains les voient comme des individus ayant progressivement intégré des dispositions guerrières (Mauger, 2006). D’autres comme les porteurs d’une action collective rationnelle (Lapeyronnie, 2006). D’autres encore comme les initiateurs d’une action politique non-conventionnelle (Kokoref, 2006). Certains comme des victimes protestataires du harcèlement policier (Le Goaziou et Mucchielli, 2006 ; Jobard, 2006 ; Lagrange, 2006). D’autres enfin, comme des « rioteux » qui jouent continuellement à la guerre avec la police (Roché, 2006).
2 Il convient de mentionner l’exception que constitue l’ouvrage de D. Lepoutre Cœur de banlieue. Codes, rites et langages (publié en 2001 [1997] aux éditions Odile Jacob) qui rend compte de la vie quotidienne d’adolescents et pré-adolescents dans la cité des Quatre-Mille à La Courneuve, en banlieue parisienne.
3 En 1898, DuBois dit ainsi : « Je crois que huit millions d’Américains ont droit à une majuscule » (The Philadelphia Negro : A Social Study, Boston, Schocken Books, p. 1). Pour une discussion de l’origine de l’usage de Negro, cf. Donald L. Grant et Mildred Bricker Grant, « Some Notes on the Capital “N” », Phylon, vol. 36 n ° 4, 1975, p. 435-443.
4 Organisme fédéral, l’institut fut fondé en 1949. La loi de 1955 sur l’étude de la santé mentale (Mental Health Study Act), permet à l’institut de recevoir des fonds très importants afin de mener « au plan national une analyse et une réévaluation objectives et complètes des problèmes économiques et humains liés à la santé mentale ». Dans les années 1960, le NIMH lança une campagne portant sur des problèmes spécifiques de santé mentale qui venait en partie en réponse à la volonté du Président Johnson d’aborder les problèmes sociaux de manière scientifique. L’institut mit ainsi en place des centres de recherche sur la schizophrénie, la santé mentale des enfants et des familles, le suicide, les délits et la délinquance, les questions de santé mentale des minorités et les problèmes urbains.
5 Lee Rainwater, 1968, « Review of Elliot Liebow’s Tally’s Corner : A Study of Negro Streetcorner Men », Social Forces, vol. 46, n ° 3, mars, p. 431-432.
6 Henri Peretz, 1998, Les méthodes en sociologie : l’observation, Paris, La Découverte, coll. « Repères », p. 65.
7 Henri Peretz, 2002 [1995], « Préface » à l’ouvrage de William Foote Whyte, Street Corner Society. La structure sociale d’un quartier italo-américain, Paris, La Découverte, p. 5-6.
8 Hylan Lewis, 1967, « Foreword », Elliot Liebow, Tally’s Corner, Boston/New York/Toronto, Londres, Little, Brown and Company, p. VIII.
9 William Foote Whyte, op. cit., 2002 [1995].
10 Je fais, ici, référence à la définition qu’en donne Howard Becker, à savoir un lieu physique au sujet duquel certaines personnes partagent un point de vue sur la manière dont ils doivent être utilisés, par qui et qui reçoit donc des ressources pour fonctionner. Même physiquement délimité, un lieu est, toutefois, sans cesse redéfini socialement au travers des actions et des jugements exprimés par ceux qui participent à son existence, Howard S. Becker, 2004, « Jazz Places », in Andy Bennet et Richard A. Peterson (dir.), Music Scenes : Local, Translocal, and Virtual, Nashville, Vanderbilt University Press, p. 17-27.
11 Elijah Anderson, 2003 [1976], A Place on the Corner, Chicago/Londres, The University of Chicago Press.
12 Mitchell Duneier, 1994 [1992], Slim’s Table, Race, Respectability and Masculinity, Chicago/Londres, The University of Chicago Press.
13 Mitchell Duneier, 1999, Sidewalk, New York, Farrar, Straus and Giroux.
14 La première « Grande migration » eut lieu entre 1910 et 1940 et concerna environ 1,5 million de personnes. Elle était principalement motivée par la volonté de fuir les lois de ségrégation Jim Crow et les exactions raciales, la nécessité de trouver du travail après les épidémies et les inondations qui avaient affecté les zones agricoles du Sud des États-Unis, et les occasions de trouver un emploi suscitées par le ralentissement de l’immigration en provenance d’Europe. La seconde « Grande migration » eut lieu entre 1941 et 1970 et concerna cinq millions d’Afro-Américains fuyant les états du Sud où les exploitants étaient obligés de réduire la production agricole et procédaient à la mécanisation des récoltes (en raison de la chute des prix du tabac, du sucre et du coton ainsi que du fait que la réforme agraire, lancée dans le cadre du New Deal, s’accompagnait de subventions à la mise en jachère des terres agricoles et à la réduction des terres à louer ce qui rendait l’usage d’une main-d’œuvre abondante et bon marché obsolète).
15 L’idée initiale était de faire une grande manifestation afin de réclamer des emplois et la liberté pour la population noire, mais les incidents de Birmingham et la présentation du projet de loi au Congrès incitèrent les responsables à ne faire pression que sur les droits civiques. L’événement réunit entre 200 000 et 500 000 participants et est resté célèbre pour le discours prononcé par Martin Luther King Jr, « I have a dream… », largement diffusé grâce à une couverture médiatique unique dans l’histoire des États-Unis.
16 L’agence fut mise en place en 1964 afin d’assurer l’administration de la plupart des programmes lancés dans le cadre de la « Guerre à la pauvreté ». Très critiquée, tant par la droite que par la gauche, l’agence fut démantelée en 1973 par le Président Richard Nixon. De nombreux programmes subsistèrent, cependant, la gestion étant transférée à d’autres agences gouvernementales
17 En juillet 1964, une manifestation se tint à Harlem dans la ville de New York après qu’un adolescent noir, âgé de 15 ans a été tué par un policier blanc. Celle-ci se transforma en affrontement contre les forces de police et donna lieu à des pillages. En 1965, l’arrestation d’un jeune noir âgé de 21 ans dans le quartier de Watts à Los Angeles donna lieu à un attroupement de population et à des violences policières, puis à des actes de violence de la part des habitants durant cinq jours.
18 The Negro Family : The Case For National Action, Office of Policy Planning and Research, United States Department of Labor, March 1965.
19 Daniel Patrick Moynihan (1927-2003) fut élevé dans un quartier pauvre de New York. Seul avec sa mère après l’abandon du foyer par son père alcoolique, il gagna sa vie comme cireur de chaussures. Il bénéficia d’une scolarité gratuite au City College of New York avant d’intégrer la Fletcher School of Law and Diplomacy où il obtint un Master, puis un doctorat de sociologie. Il accéda à une bourse Fulbright pour étudier à la London School of Economics. Moynihan se lança ensuite dans une carrière politique au sein du parti démocrate. Défenseur de J. F. Kennedy, il entra au gouvernement en 1964 et y resta jusqu’à ce que L. B. Johnson soit élu. Il fut ensuite le promoteur de certaines mesures sociales comme le revenu annuel garanti (Guaranteed Annual Income, GAI) voté sous la présidence Nixon. De 1976 à 2001, il fut régulièrement élu sénateur de l’État de New York avant d’être remplacé par Hillary Rodham Clinton. Bien que considéré comme un liberal, il s’opposa à la proposition de W. J. Clinton d’étendre la couverture médicale à tous les Américains.
20 Il s’agit là de l’expression utilisée par William Ryan dans son ouvrage Blaming the Victim, paru en 1971 chez Random House.
21 Oscar Lewis (1914-1970) est un anthropologue diplômé de l’université de Columbia. Il a enseigné au Brooklyn College, à l’université de Washington, et, à partir de 1948, à l’université d’Illinois. Ces recherches ont porté principalement sur les communautés paysannes du Tepoztlan au Mexique et en Inde du Nord. Il a consacré les vingt dernières années de sa vie aux études urbaines.
22 Pour une discussion approfondie de la portée et des limites de ce concept cf. Jack L. Roach et Orville R. Gursslin, « An Evaluation of the “Concept of Culture of Poverty” », Social Forces, vol. 45, n ° 3, mars 1967, p. 383-392 ; Barbara E. Coward, Joe R. Feagin et J. Allen Williams Jr. « The Culture of Poverty Debate : Some Additional Data », Social Problems, vol. 21, n ° 5, juin 1974, p. 621-634 ; David L. Harvey et Michael H. Reed, « The Culture of Poverty : An Ideological Analysis », Sociological Perspectives, vol. 39, n ° 4, hiver 1996, p. 465-495.
23 Stanley M. Elkins, 1963, Slavery, New York, Grosset and Dunlap. La thèse centrale de cet auteur était que l’esclavage avait rendu les Noirs américains dépendants de la partie dominante de la société et que, un siècle plus tard, leur sort était toujours dépendant de cette fraction majoritaire. Elkins soutenait que l’État devait apporter aux Noirs des avantages que les autres n’avaient pas afin de les aider à surmonter les obstacles auxquels ils étaient confrontés.
24 Après avoir pointé le fait que les chiffres du chômage sont sous-estimés et que 36 % des enfants noirs vivent dans des familles « brisées », le rapport fait apparaître en gras le fait qu’un mariage sur quatre chez les Noirs des grands centres urbains donne lieu à un divorce et qu’un quart des ménages sont dirigés par une femme.
25 Le sociologue américain Nathan Glazer (1924) est connu, tout particulièrement, pour avoir écrit Beyond the Melting Pot (1963), l’un des ouvrages de sociologie les plus influents de l’époque qui remettait en question l’existence même d’un creuset où se fondraient les différents groupes ethniques américains (P. Moynihan en a rédigé le chapitre sur les Irlandais ainsi que la conclusion).
26 L’auteur utilise ici la référence aux travaux de Margaret Mead, puis de E. Franklin Frazier lorsque celui-ci déclare que, au moment de l’émancipation, les femmes noires « avaient déjà l’habitude de tenir le rôle dominant dans les relations familiales et dans le mariage ». Margaret Mead, 1962, Male and Female, New York, New American Library, p. 146. E. Franklin Frazier, 1939, The Negro Family in the United States, Chicago, The University of Chicago Press, p. 298.
27 Le sociologue Edward Franklin Frazier (1894-1962) est connu pour l’ouvrage issu de sa thèse et publié en 1939 sous le titre The Negro Family in the United States. Le livre analyse les forces culturelles et historiques qui ont influencé le développement de la famille noire américaine depuis la période de l’esclavage. Grâce à cet ouvrage, Frazier reçu le prix Anisfield pour la contribution qu’il apportait à l’étude des relations entre les races. Ce fut l’un des premiers livres de sociologie rédigé par un Noir. Frazier participa à la rédaction de la déclaration de l’Unesco sur la question raciale en 1950.
28 L’auteur souligne que l’élément perturbateur dans les ajustements que les ménages doivent faire face au chômage du chef de famille est le travail et non la dépendance à l’aide sociale. Edward Wight Bakke, 1940, Citizens Without Work, New Haven, Yale University Press.
29 Moynihan cite Whitney Young, Thomas Pettigrew, Deton Brooks, Dorothy Height, Duncan MacIntyre, Robin M. Williams.
30 Cf. Peretz, 2002 [1995], op. cit.
31 « Traîner » est la traduction de hang out. William Foote Whyte commence par « traîner » dans Cornerville (op. cit., p. 329).
Afin de rendre compte de la vie quotidienne des vendeurs de livres et magazines installés sur la Sixième avenue entre West Eight, Grenwich avenue et Waverly Place à New York, Mitchell Duneier « traîne » à leurs côtés pendant près de cinq ans (Sidewalk, New York, Farrar, Straus and Giroux, 1999).
C’est en « traînant » pendant plusieurs années auprès des habitants de la cité Robert Taylor à Chicago, et des membres du gang des Blacks Kings qui en sont issus, que Sudhir Alladi Venkatesh peut détailler la vie des habitants pauvres de logements sociaux et reconstruire une mémoire collective (American Project. The Rise and Fall of a Modern Ghetto, Cambridge, Massachussetts/Londres, Angleterre, Harvard University Press, 2000).
32 . Mitchell Duneier, « On the Legacy of Elliot Liebow et Carol Stack : Context-driven fieldwork and the need for continuous ethnography », Focus, vol. 25, n ° 1, (Spring-Summer 2007).
33 Hylan Lewis, op. cit., p. XXIX.
34 C’est ainsi que je choisis de traduire l’expression « shadow values » utilisée par Liebow (p. 109) pour parler des fictions sociales construites par les hommes du coin de la rue et souligner le fait qu’elles n’ont pas de consistance réelle, mais sont dérivées des valeurs en usage dans le reste de la société.
35 G. D. Suttles, « Urban Ethnography : Situational and Normative Accounts », Annual Review of Sociology, vol. 2, p. 1-18, (1976). Il convient, cependant, de souligner, que pour l’auteur, Liebow ne constitue pas un exemple de tentative aboutie de lien entre la société dans son ensemble et le monde local. Pour Suttles, c’est l’ethnographe W. Kornblum, qui, par les allers et retours constants entre les deux niveaux d’appréhension auxquels il procède dans son travail intitulé Blue Collar Community, s’en approche le plus.
36 C. Lemert, 2003, « Foreword to the 2003 Edition », in Elliot Liebow, Tally’s Corner.
37 Pour une meilleure appréhension des techniques de construction et des effets du type de compte rendu ethnographique utilisé par Liebow cf. Joseph R. Gusfield, 2000, « Two Genres of Sociology », Performing Action. Artistry in Human Behavior and Social Research, New Brunswick/Londres, Transaction Publishers, p. 61-99.
38 H. Peretz, 2002 [1995].
39 On peut noter que dans son dernier ouvrage, Tell them who I am, Liebow a développé encore davantage son apport épistémologique en poussant plus loin l’auto-critique. Il a demandé à tous ses informateurs de lire son manuscrit, puis a fourni leurs commentaires dans des notes de bas de page insérées au fil du texte ce qui offre ainsi au lecteur la possibilité de suivre le débat suscité par les questions qu’il a soulevées en tant que chercheur.
40 Katherine S. Newman, 1994, « Review of Elliot Liebow’s “Tell Them Who I Am : The Lives of Homeless Women” », Contemporary Sociology, vol. 23, n ° 1 (January), p. 43-44.