Chapitre III. Composition sociale des corps de ville
p. 101-139
Texte intégral
1La cooptation préalable des éligibles par les édiles en fonction et sortis de charge, justifiée par la nécessité de préserver la dignité de l’institution municipale en promouvant la « maire partie » de la communauté et en écartant les « mécaniques », assurait une composition oligarchique du corps de ville. L’élite urbaine se décomposait cependant en strates inégales, aussi bien sur l’échelle financière que sur celle du prestige des fonctions ou du mode de vie. Qui, de l’ancienne noblesse résidant en ville aux anoblis, des officiers royaux supérieurs à la basoche, des marchands banquiers de stature internationale aux marchands spécialisés de produits de luxe, des véritables bourgeois rentiers aux professionnels en cessation d’activité à l’approche de la vieillesse, s’intéressait le plus à la vie municipale et parvenait le mieux à contrôler le bureau de ville ? Si le processus de sélection organisé par la communauté elle-même était placé sous le contrôle des représentants locaux du pouvoir royal, ces derniers ne modifiaient guère les grands équilibres sociaux proposés, tant en termes catégoriels qu’au niveau des réseaux de relation, tant la recherche du loyalisme par la gestion d’une bonne rotation des honneurs afin de fidéliser les lignages influents était inscrite au cœur de leur tutelle.
2Les différences sociologiques observables dans la composition des corps de ville renvoient ainsi essentiellement à une forme de conception de la représentation communautaire, à une configuration sociale locale, liée avant tout à l’orientation fonctionnelle de la ville, mais aussi à la variation des jugements de valeur portés par les composantes de l’élite urbaine sur l’importance de l’exercice d’une responsabilité municipale dans la considération sociale. Certaines familles ont considéré le passage par l’échevinage comme un tremplin, d’autres encore comme une preuve de permanence dans la notabilité urbaine, d’autres enfin comme une position à réserver à la branche principale ou secondaire.
3Les villes de l’Ouest analysées ne relevant pas du modèle de représentation fixée par une règle coutumière élevée au rang de loi naturelle exprimant la hiérarchie idéale des états sociaux en conformité avec l’identité admise de la ville, à la différence d’une majorité des villes françaises1, la diversité sociale des maires et échevins relève donc avant tout du jeu social des réseaux relationnels en action à l’intérieur de l’oligarchie dirigeante. Les équilibres sont donc par nature conjoncturels, soumis à un remodelage permanent selon les conditions politiques, économiques, sociales, religieuses et culturelles qui rythment le développement de la cité. Rechercher ces clés de lecture invite à tester la pertinence d’une typologie sociologique en trois pôles, sans oublier de vérifier l’existence de tendances évolutives lourdes dans le temps long.
La domination des principaux officiers royaux : la capitale administrative non parlementaire
4Dans les villes sans cour souveraine où la fonction administrative reste supérieure à une économie marchande de rayonnement limité, les responsabilités municipales paraissent principalement assumées par la partie supérieure des officiers royaux. Ces villes s’inscrivent dans des degrés différents de la hiérarchie urbaine, mais sont toutes des capitales administratives, les unes à la tête de province, les autres comme chefs-lieux de pays. Il s’agit le plus souvent de sièges royaux, conférant à leurs officiers le prestige de « conseiller du roi », mais la seigneurie urbaine, surtout lorsqu’elle relève de l’autorité religieuse épiscopale ou canoniale ou d’une famille aristocratique disposant du gouvernement urbain, protège également très efficacement ce modèle de distribution du pouvoir.
5Les maires et échevins sortent des familles qui disposent des meilleures fortunes de la ville, assises essentiellement sur la propriété foncière de sieuries ou mieux encore de seigneuries, et qui, par la dignité de leur fonction ou l’excellence de leur genre de vie, sont installées dans la pointe extrême de la pyramide sociale urbaine ou sont en passe d’y parvenir dans la génération suivante. Les meilleurs de ces lignages sont issus d’ancienne noblesse, surtout aux XVIe et XVIIe siècles, ou se situent sur la zone frontière, soit dans la phase de préparation de l’anoblissement, soit dans la consolidation d’une intégration récente. Certains ne s’y sont pas encore hissés, certains ont dû attendre les générations suivantes, d’autres n’y sont jamais parvenus, Tous relèvent de la partie supérieure du corps de bourgeoisie et bénéficient d’une considération sociale incontestée.
Tours : la prépondérance officière, conduite par les officiers supérieurs
6Tours, capitale administrative avec une base marchande alimentée par le commerce ligérien et la manufacture de la soie, illustre ce premier type. Siège d’un gouvernement, chef-lieu d’une généralité relativement grande, la ville bénéficie d’un bureau des finances dont les offices sont demeurés les seuls anoblissants après la perte de ce privilège par le corps de ville en 1667, mais aussi d’un siège présidial associant un bailliage, ces deux cours dominant des juridictions de moindre rang : élection, hôtel des monnaies, grenier à sel, maréchaussée. Comme partout, une nette dénivellation de puissance sociale sépare les fonctions de maire et d’échevins2.
7Pour les XVIIe et XVIIIe siècles, la recension globale donne 93 maires et 210 échevins dont 171 officiers (56 %), mais à peine la moitié (48 %) pour les échevins contre les trois quarts pour les maires. Pour l’échevinage, 52 officiers sur 101 sont issus des deux cours supérieures de la ville : le bureau des finances (15) et le présidial (37). Pour les maires, les mêmes cours donnent 23 et 31 magistrats, soit 58 % des premiers magistrats. La configuration sociale du corps de ville est ainsi nettement orientée vers le milieu officier, celui-ci étant emmené par les deux principales compagnies de la ville.
8De 1589 à 1789, on dénombre 70 officiers parmi les 93 maires de Tours. Le présidial fournit la part principale avec 31 maires tandis que le bureau des finances se signale en second rang avec 23 maires, soit ensemble 58 % des premiers magistrats municipaux. La troisième catégorie relativement bien placée est celle des « sieurs de… » avec 13 exemples, mais on sait combien cette appellation peut être trompeuse puisque certains notables préfèrent se faire enregistrer sous cette qualité de propriétaires fonciers, flatteuse à leurs yeux, bien qu’exerçant une profession, ce qui surévalue sans doute légèrement cette catégorie par rapport aux autres, principalement les professions libérales et les marchands illustrés chacun par cinq individus.
9De 1589 à 1650, les 32 officiers ont représenté 68 % des maires en charge. Le présidial apporte l’essentiel avec 13 officiers (27 %), principalement de haut rang (présidents, lieutenant général, particulier ou criminel, assesseur, avocat du roi) car on ne relève que cinq simples conseillers. Le bureau des finances est bien positionné avec 9 officiers (19 %), dans un rapport légèrement supérieur à la moyenne d’ensemble face au présidial. Cinq officiers titulaires de charge de cour rappellent le rôle de refuge royal joué par la ville devant la rébellion du Paris ligueur, le roi Henri III y ayant délocalisé gouvernement, cour et cours souveraines en 1589, transfert maintenu par Henri IV jusqu’à sa reconquête pacifique de Paris en 1594. Le reste est hétérogène : un procureur d’une éphémère chambre des comptes créée par François d’Alençon dans son apanage de Touraine, un receveur des décimes, un trésorier des turcies et des levées de la Loire et un prévôt de la police. Seuls deux avocats en 1602 et 1644 et un marchand (1638) viennent s’immiscer furtivement au milieu de tous ses officiers. Avec 12 mentions de « sieurs de… », la bourgeoisie rentière s’inscrit au second rang en termes catégoriels, mais il faut observer que cela regroupe quasiment toutes les mentions sur les deux siècles. Deux hypothèses sont donc à envisager : ou le recrutement des maires a connu ensuite une réelle évolution sociale se concrétisant par la disparition des seuls rentiers au bénéfice des notables en activité professionnelle comme il en a toujours été dans la ville de Nantes par exemple, ou cette qualification a été préférée dans cette phase par un certain nombre d’individus liés à une activité, soit par réflexe honorifique, soit parce qu’ils se considèrent en retraite. Cette seconde hypothèse sous-entend une revalorisation ultérieure des mentions professionnelles dans le positionnement social urbain.
10De 1651 à 1701, la charge de maire a été presque entièrement monopolisée par les officiers avec 26 premiers magistrats sur 29, soit 89 %. Ce fut l’occasion pour le présidial de renforcer son poids relatif avec 12 maires sur les 26 officiers, dont encore la moitié dans les charges supérieures, soit une légère érosion interne. Avec 11 officiers de sa compagnie, le bureau des finances a connu ici sa meilleure représentation relative sur l’ensemble des deux siècles. Un maître d’hôtel ordinaire de Monsieur (1682-1686), un avocat (1663) et un marchand, peut-être retiré des affaires, (1666) forment quelques exceptions.
11De 1701 à 1789, les allongements de mandat (de un à quatre ans) et les renouvellements de fonction s’additionnent aux créations d’offices et aux nominations en commission pour restreindre le nombre de maires à 17. Les 12 officiers ont maintenu leur pression en revenant au niveau de la première moitié du XVIIe siècle (70 %). Le présidial renforce sa prééminence avec six officiers, dominant plus nettement le bureau des finances restreint à trois membres, et ne laissant place qu’à un président de l’élection, un assesseur de la maréchaussée et au premier valet de chambre du duc d’Orléans. Les cinq places restantes assurent arithmétiquement une meilleure place aux marchands, mais il serait imprudent d’en déduire une meilleure considération du milieu puisque deux d’entre d’eux n’agirent qu’en tant qu’échevins porteurs de l’office réuni provisoirement à l’échevinage de 1714 à 1716. Seul le long mandat très important de Michel Banchereau de 1771 à 1780 a correspondu à une réelle promotion du monde du négoce tourangeau dans la conduite des affaires municipales.
12La période 1600-1789 a valorisé 210 échevins, mal répartis chronologiquement car l’arrêt du conseil de juillet 1724 en drastiquement réduit le nombre de 24 à 6, contraction compensée par le passage du caractère viager à un mandat de 6 ans. Ces responsabilités municipales importantes, mais en retrait par rapport celle de maire, maintiennent, dans une saisie globale, l’image de la pénétration sociale du corps de ville par le milieu officier puisque ce dernier frôle la majorité absolue de l’effectif (48 %), avec 101 personnalités. Cependant, cette approche n’est guère parlante car elle masque une ample évolution sociologique, en profond décalage avec la stabilité constatée pour la charge de maire.
13De 1600 à 1650, la position des officiers se révèle très solide avec 30 individus sur les 53 échevins élus (57 %). Onze d’entre eux sortent du bailliage et siège présidial, confirmant ainsi la relation sociale privilégiée entretenue par cette compagnie judiciaire et le corps de ville. Le bureau des finances n’est illustré que par trois de ses officiers, doublé par l’élection qui en compte quatre. Se fait jour ici une différence d’appréciation des familles pouvant bénéficier via la cour du privilège d’anoblissement, donc situées sans doute globalement un peu au-dessus des officiers de justice dans l’échelle des dignités à Tours. L’acquisition de noblesse étant une motivation moindre, il est aisé de comprendre que l’attention se porte principalement sur la fonction de maire, nettement plus porteur pour la considération sociale. Le reste des officiers illustre une dispersion dans laquelle ne se signalent que deux receveurs du taillon et deux trésoriers des turcies et levées de la Loire.
14La particularité de cette phase réside dans la prépondérance des échevins dont la reconnaissance sociale affichée dans les registres de délibération ne renvoie qu’à la qualité de propriétaire foncier, c’est-à-dire à un idéal rentier ou sans doute à un genre de vie noble. Tous les historiens connaissent l’ambiguïté de cette mention qui peut simplement traduire des préférences de qualification sociale en cas d’activité professionnelle, principalement pour la marchandise victime d’un déficit traditionnel de considération, surtout pour les marchands spécialisés de produits de luxe. Avec 17 mentions, ces notables réduisent à peu la présence de deux avocats et de trois marchands cités pour leur activité, dont un apothicaire.
15De 1651 à 1701, la configuration sociale de l’ensemble des 54 échevins demeure plutôt stable, même si quelques redistributions sont perceptibles. Si la prépondérance des officiers demeure, toujours soutenue par la forte présence du présidial avec 11 notables, le changement vient d’une poussée des trésoriers de France qui établissent ici avec huit d’entre eux la meilleure position de leur compagnie pour les deux siècles étudiés. Cet entrisme a quelque chose de paradoxal qu’il est délicat d’interpréter. C’est dans la période qui a vu l’échevinage perdre son privilège anoblissement que les officiers de finance bénéficiaire de cette promotion sociale semblent s’intéresser à ces postes moins relevés que celui de maire. Deux hypothèses sont envisageables : ou ces introductions sont plutôt concentrées avant la réforme de Colbert de 1667, ou il existe une dynamique globale qui confère encore au corps de ville de Tours un réel prestige au niveau de l’élite urbaine et de la communauté dans son ensemble. La prépondérance d’ensemble du milieu officier, soutenue par la participation significative des officiers de rang supérieur et l’esprit de compétition entre le présidial et le bureau des finances avait de quoi entretenir cet élan vers le haut selon l’échelle sociale des valeurs dominante dans l’élite urbaine, garantie majeure du maintien d’une forte symbiose entre les corps d’officiers et le corps de ville, à l’opposé du grand mouvement de désertion observé dans la ville de Nantes à la même époque. Le complément conserve son profil, avec une relative dispersion dominée par trois membres de l’élection, trois receveurs des décimes et trois trésoriers des turcies et levées.
16Les remarques faites plus haut obligent à garder une certaine prudence quant à l’interprétation de la revalorisation de la position marchande puisque la montée à une dizaine de ces riches commerçants se double d’une réelle contraction des « sieurs de… » qui tombent à neuf mentions. Toute la question est de savoir si cela recouvre la réelle progression d’une catégorie professionnelle ou si cela témoigne plutôt d’une mutation dans les codes sociaux tourangeaux qui se traduirait par une meilleure reconnaissance sociale de l’activité, ce qui pourrait être le produit de l’effort législatif accompli par la monarchie depuis Colbert pour donner toute sa dignité à l’exercice du grand commerce.
17Pour le XVIIIe siècle (1701-1789), le corpus étudié se compose de 103 échevins, 26 par offices (1701-1705, 1723), quelques-uns nommés sur commission royale, la plupart élus selon les normes traditionnelles, retouchées après 1765 par la réforme Laverdy. Le fait sociologique majeur correspond à la contraction sensible des officiers qui ne sont plus que 40 (39 %) et à la poussée inverse des marchands qui les égalent en importance numérique. L’élite commerçante a profité des créations d’offices pour amplifier un entrisme amorcé modérément dans la phase précédente, facilitant ainsi la sélection des autres grâce aux usages cooptatifs. Ce renversement de situation a été vivement ressenti dans l’élite tourangelle puisqu’il a été qualifié « d’invasion marchande », inquiétant les représentants du pouvoir royal pour ses conséquences fiscales, ce qui a justifié la réforme de 1724 réduisant le nombre de postes de 24 à 4, les négociants ayant été accusés de ne s’intéresser à l’échevinage que pour ses privilèges permettant une certaine évasion fiscale.
18Non seulement l’ensemble officier a régressé, mais il a été affecté par un mouvement de recomposition interne traduisant des mutations dans la perception de l’image sociale du niveau échevinal. Ceci semble peu concerner le présidial qui préserve sa prééminence relative au sein de la régression globale avec 15 représentants, mais surtout le bureau des finances simplement illustré par quatre trésoriers, chiffre inférieur à celui de l’élection représentée par cinq de ses membres. La dispersion des autres origines officières est aggravée par l’apparition des cours des eaux et forêts et de la monnaie. La nouveauté sociale la plus significative pour ce monde officier est l’entrée de cinq notaires, ce qui témoigne d’une réelle érosion de l’image d’honorabilité de ces charges dans une partie de l’élite officière, puisque ces officiers inférieurs n’ont pu accéder à ce niveau qu’en profitant d’une moindre pression exercée par les strates supérieures. Cette nouvelle conjoncture a encore plus profité aux professions libérales avec 13 mentions, principalement des avocats, mais aussi deux médecins. La promotion des avocats à l’intérieur des corps de ville est une donnée générale du XVIIIe siècle qui ne s’explique que partiellement par un désengagement des officiers royaux. La profession a connu une réelle réévaluation sociale, soit pour leur place renforcée comme spécialistes du droit des affaires dans une économie de marché en pleine expansion, soit surtout pour leur rôle grandissant dans le développement des débats animant l’opinion publique. Là encore, n’y a-t-il pas une certaine inversion d’attitude pour les titulaires du grade sans exercice professionnel réel, ceux du XVIIe siècle préférant leur qualité de propriétaire tandis que ceux du XVIIIe siècle affichent plus volontiers cette appartenance à la strate supérieure du milieu juridique en tant que gradués de l’université ?
19Ces mutations sociales du XVIIIe siècle provoquèrent quelques conflits dont le contenu permet de préciser comment la définition sociologique traditionnelle a paru malmenée et où s’est stabilisée la frontière. En 1720, l’éligibilité d’un procureur au présidial fut refusée en vertu du rôle dressé par le roi Henri III dans son conseil réservant le corps de ville aux notables « tirez des compagnies du présidial, du bureau des finances, de l’élection, des avocats, bourgeois et marchands en gros ». En 1730, la promotion d’un notaire fut contestée pour sa condition sociale, mais sa nomination acceptée par le gouverneur à l’élection suivante de 1732. En 1749, un fabriquant en soie fut exclu du suffrage toujours en référence aux lettres d’Henri III.
Angers : une prépondérance moins assurée des officiers
20Angers, ville de commerce médiocre, dominée par un présidial en l’absence de cour souveraine, devant se contenter d’une élection puisque le bureau des finances était à Tours, fournit un second exemple pour explorer toutes les variations du type envisagé. Elle fut dirigée par une étroite oligarchie d’officiers royaux au XVIe siècle3. Sur une soixantaine d’échevins en fonction de 1582 à 1602, l’essentiel vint du présidial avec son président, son lieutenant criminel, ses gens du roi, son greffier civil, dix de ses conseillers et dix de ses avocats. S’ajoutèrent ensuite l’élection avec son président, trois élus et deux receveurs des tailles, la prévôté, les eaux et forêts, le grenier à sel. Ces gens de justice ou de finances ne laissèrent qu’une place réduite à une dizaine de marchands, souvent alliés dans les réseaux de parenté, ou à la veille d’abandonner le commerce pour une carrière officière.
21Une observation globale des maires et échevins pour la période 1657-1789 donne un poids de 37 % au monde de l’office dont 16 % au présidial, 5,6 % à la prévôté et 2,3 % seulement à l’élection, inférieure par exemple aux notaires royaux (3,7 %). Cette prépondérance des officiers, dont on observe tout de suite qu’elle reste très en deçà de celle établie à Tours, a laissé une part non négligeable à trois autres catégories de l’élite urbaine : les professions libérales (24,7 %) essentiellement représentées par les avocats (21,3 %) augmentés de quelques professeurs d’université, les marchands (20 %) et les bourgeois sans mention de profession (18 %)4. La distinction entre les responsabilités de maire et d’échevin illustre beaucoup mieux la supériorité des officiers royaux qui, à s’en tenir aux premiers chiffres fournis, pourrait apparaître modeste. Ceux-ci ont fourni 62,6 % des maires d’Angers (40,6 % pour le seul présidial), ne laissant accéder à la direction du bureau de ville que 15,6 % d’avocats, 9,4 % de rentiers et seulement 6,3 % de marchands. L’échevinage a permis à ces derniers d’améliorer leur position en atteignant 27,3 % des places, sans pouvoir contester la supériorité des gens de justice où les avocats (22,3 %) dominent légèrement les officiers royaux (21 %) dont la moitié sont issus du présidial, surtout parce que les bourgeois rentiers se sont assuré une bonne représentation (21,4 %).
22Cette pesée globale des diverses composantes de l’oligarchie municipale angevine suggère quelques commentaires. La relation entre l’orientation fonctionnelle de la ville et le profil sociologique de ses maires et échevins est bien établie puisque cette capitale administrative est dirigée par une municipalité dominée par les officiers royaux, mais surtout par les gens de justice étendus aux avocats pour lesquels les officiers du présidial font figure de chefs naturels. La différence avec Tours est sensible car la moindre présence officière résulte de l’extrême discrétion des officiers de finances, comme si l’absence de bureau des finances avait frappé de timidité les membres de l’élection, créant ainsi un vide rempli par le corps des avocats. La bonne tenue du milieu marchand tient sans doute moins à la dynamique du marché angevin qu’au moindre degré d’intérêt porté par les catégories sociales concurrentes au passage par les charges municipales.
23Comme à Tours, cette perspective d’ensemble masque des évolutions qui questionnent notre approche fonctionnaliste. La comparaison des profils sociaux de trois bureaux de ville saisis à des dates différentes nous permet de les caractériser.
Profils sociologiques du bureau de ville d’Angers (maire et échevins) ( %)
Situations | 1660 | 1728 | 1788 |
Justice royale | 72,3 | 40 | 23,5 |
Dont Présidial | 33,4 | 13,3 | 5,9 |
Avocats | 5,6 | 26,8 | 29,4 |
Bourgeois rentiers | 11,1 | 20 | 11,8 |
Marchands | 5,4 | 6,6 | 23,5 |
Autres | 5,6 | 6,6 | 11,8 |
24Si le milieu judiciaire n’a jamais perdu sa prépondérance sur le noyau directeur formé par les maires et les échevins, le poids de son emprise a connu un réel affaiblissement et une redéfinition interne complète. À l’omnipotence des officiers royaux, et principalement du présidial à la veille du règne personnel de Louis XIV, s’est finalement substituée une légère supériorité numérique des avocats à la veille de la chute de l’Ancien Régime. L’ampleur du retournement doit sans doute être modérée à cause des chiffres anormalement élevés de 1660, la nomination étant reprise par le pouvoir royal depuis la révolte antifiscale de 1657 afin de pousser les officiers royaux restés très majoritairement fidèles pendant la Fronde angevine. L’autre enseignement est que la pénétration marchande est tardive. Globalement, le corps de ville angevin, dans ses représentants les plus reconnus, s’est éloigné d’une relation forte et directe avec la hiérarchie fonctionnelle de la ville, pour glisser vers un rapport indirect et délégué. Du point de vue social, dans l’optique de l’échelle des dignités communément admise, le corps de ville est de moins en moins un lieu de représentation de la puissance sociale de la fraction supérieure de l’élite urbaine pour devenir un espace de promotion pour des familles de bourgeoisie seconde. Dans la carrière des honneurs de l’espace angevin, il a cessé d’être un point d’arrivée, favorisé par sa relation symbiotique avec le présidial, pour devenir un tremplin, incitant sans doute les plus ambitieux à poursuivre au-delà de la ville. Avant de s’interroger sur le sens de ce décrochage, il convient de distinguer les options des familles municipales en séparant la charge de maire de celles d’échevin.
Évolution des origines sociales des maires d’Angers ( %)
Situations | 1657-1728 | 1729-1764 | 1773-1789 |
Justice royale | 61,6 | 77,8 | 50 |
Dont Présidial | 33,3 | 66,7 | 25 |
Avocats | 22,2 | 11,1 | |
Bourgeois rentiers | 5,6 | 11,1 | |
Marchands | 50 |
25Ainsi, les attitudes des lignages officiers ont été fort différentes. Le maintien de leur domination sur la première magistrature municipale souligne d’autant plus leur désaffection vis-à-vis des charges échevinales. La phase de restauration des libertés municipales et de revitalisation de la participation électorale (1729-1764) témoigne même de cette force d’identification du corps de ville à la hiérarchie de l’armature administrative de la capitale provinciale. Une bien meilleure prise en compte de l’expression communautaire par les agents royaux favorise une suprématie du présidial non établie au temps de l’autoritarisme des gouverneurs (1657-1728). La brusque irruption du monde marchand dans une sphère de pouvoir et de représentation sociale dont il avait toujours été exclu se situe donc comme la nouveauté majeure des dernières années d’Ancien Régime qui correspondent à Angers à l’autoritarisme de Monsieur, comte de Provence, prince apanagiste menant une politique personnelle de vénalité des charges. L’opportunité d’une amélioration de la visibilité sociale du monde marchand grâce à la mise en vente des offices a déjà été soulignée au profit des marchands de Tours au début du XVIIIe siècle. L’enrichissement aurait ainsi permis de faire sauter des blocages de type social que les procédures électives traditionnelles maintenaient au profit des catégories dominantes dans le corps de ville. Reste à déterminer ce qui a pu réveiller l’économie marchande angevine dans le second XVIIIe siècle.
26La situation angevine dans cette fin d’Ancien Régime permet d’avancer que cette seule interprétation par l’enrichissement marchand n’est pas suffisante à elle seule et qu’elle doit être associée à la prise en compte des attitudes des catégories concurrentes. La comparaison des positions des officiers, des avocats, des propriétaires rentiers et des marchands dans les deux types de charge à Angers confirme une réelle dynamique marchande généralisée, un choix très différencié des officiers de justice, une situation diamétralement opposée pour les avocats et une faible initiative chez les rentiers. Le jeu est entre les mains des deux premiers dont les positionnements commandent par vie de conséquence ceux des deux derniers. Finalement, l’évolution a dépendu essentiellement des choix des officiers face à une pression nouvelle des marchands : en maintenant leur intérêt pour le poste de maire, ils ont bloqué l’ouverture pour les avocats et les rentiers, en se désengageant largement des charges échevinales, ils ont permis une large intégration des avocats et secondairement des propriétaires.
Le Mans : prépondérance des gens de justice, avec faiblesse relative des officiers
27Le Mans peut aussi être rangée dans ce type de ville administrative comme capitale de la petite province du Maine, même si la belle croissance de la manufacture des étamines de laine a soutenu l’essor d’une élite négociante travaillant pour le marché international sous le règne de Louis XIV et surtout au XVIIIe siècle. Rappelons que la cité se distingue pour le fait de n’avoir jamais eu de maire jusqu’à la réforme nationale de Laverdy en 1764, à l’exception de la phase officière 1692-1717, le lieutenant général de la sénéchaussée ayant été institué « gardiateur des privilèges de la ville ». Jacques Le Vayer, titulaire de cette dernière charge, s’était d’ailleurs empressé d’acquérir l’office de maire en 1692 pour éviter toute concurrence. Cette disposition singulière a donc placé l’échevinage manceau sous la domination constante de l’ensemble sénéchaussée et présidial, première cour de justice royale de la ville5.
Évolution des origines socioprofessionnelles des échevins du Mans
Échevins | XVIe | XVIIe | XVIIIe |
Monde juridique | 70,37 | 74,36 | 59,47 |
Officiers | 27,77 | 33,61 | 24,69 |
Présidial | 18,51 | 14,70 | 12,95 |
Avocats, notaires, médecins | 42,59 | 43,79 | 46,91 |
Avocats | 42,59 | 40,75 | 35,18 |
Marchands, négociants, maîtres de forge | 20,37 | 17,22 | 20,98 |
Marchands | 20,36 | 16,38 | 11,72 |
28Le profil sociologique de l’échevinage du Mans inscrit sans conteste la ville dans le type étudié dans la mesure où la domination des gens de justice sur l’échevinage est restée une donnée structurelle de la vie municipale, mais les différences avec les réalités angevines et surtout tourangelles apparaissent immédiatement. Alors que dans ces deux villes le poids relatif des officiers a toujours été supérieur à celui des autres professions juridiques, spécialement des avocats, Le Mans illustre une situation inversée pendant toute l’époque moderne6. Cette distribution originale s’est d’ailleurs accentuée dans une évolution non linéaire redevable à la progression officière constatée dans toutes les villes, principalement dans la première moitié du XVIIe siècle, au sortir de la grande crise des guerres civiles. Notons toutefois que l’intégration statistique des notaires dans les professions libérales gonflent artificiellement ces dernières et déforment légèrement la comparaison avec Tours, sans remettre en cause l’observation essentielle. Dans la relative faiblesse de la participation officière, ce n’est pas tant le poids du présidial qui fait problème que la maigreur des entrées des officiers des autres cours. Ceci ne saurait traduire une défaillance de l’armature administrative du Mans qui tient bien la comparaison avec son homologue angevine.
29La clé de la compréhension de cette distribution sociale originale est naturellement à chercher dans le caractère incomplet du corps de ville du Mans. Les autres exemples ont fortement souligné le caractère attractif et mobilisateur de la charge de maire pour les officiers royaux et le présidial en particulier lorsque celui-ci est placé au sommet de la pyramide administrative urbaine. Non seulement l’association maires-échevins modifie en elle-même le résultat statistique, mais les données du Mans montrent qu’un certain effet entraînement favorable au développement de l’intérêt des familles officières pour les charges échevinales vient à manquer. Le vide ainsi créé est comblé par les auxiliaires de ces cours de justice ou les professions juridiques inférieures comme les notaires dans la mesure où l’orientation administrative de la ville les associe naturellement aux réseaux d’influence dominés par les familles principales du présidial.
30La relative stabilité du monde économique, dans laquelle la légère régression de l’appellation marchande, au-delà de la mutation sémantique classique du XVIIIe siècle, témoigne d’une réelle émergence d’une élite négociante assise sur le grand commerce international des étamines entre aussi en dissonance avec les réalités observées dans les deux autres villes. Comment se fait-il que le poids du commerce ne se soit pas fait sentir de manière plus visible au XVIIIe siècle à l’image des progressions angevine et tourangelle ? Faut-il en déceler un certain désintérêt d’une nouvelle élite pour une institution qui a toujours été en retrait du présidial ? Faut-il souligner le bon niveau déjà atteint au XVIe siècle, ce qui gomme ensuite la possibilité de progression ? Le niveau global angevin pour la période 1657-1789 est bien lui aussi de 20 %, mais il est tiré vers le bas par la saisie tardive du poste de maire. La proportion échevinale de Tours est bien de 20 % pour la seconde moitié du XVIIe siècle, mais écrasée à seulement 6 % pour la première moitié et élevée à 39 % pour le XVIIIe siècle. Au Mans, la bourgeoisie juridique seconde a récupéré à son profit les places laissées vacantes par une élite officière moins concernée par l’échevinage au XVIIIe siècle. Cette constatation ne peut que renvoyer à un jeu de réseaux d’influence profondément enraciné dans l’orientation principalement administrative de la ville.
Une opportunité pour les avocats et les procureurs : la capitale parlementaire
Des responsabilités municipales laissées en priorité aux avocats et procureurs
31Les capitales provinciales disposant d’un parlement et de nombreuses autres cours de justice paraissent avoir entretenu un autre type de sociologie municipale dans la mesure où le corps de ville, maintenu dans une soumission réglementaire étroite sur toutes les affaires de police urbaine, est délibérément laissé aux familles de la bourgeoisie juridique seconde qui sont chargées de conduire les affaires de la communauté selon les idéaux et sous la surveillance administrative de la strate supérieure7. Cette délégation de pouvoir s’effectue d’autant mieux que la plupart des édiles venus de cette bourgeoisie seconde ne rêvent que de s’intégrer le plus vite possible à l’élite officière anoblie ou d’ancienne noblesse. L’importance du mimétisme social explique que les plus puissantes familles n’ont rien à craindre d’une gestion de la basoche qui demeure placée pour plus de sûreté sous la police du parlement.
32Une telle distribution sociale du pouvoir municipal n’est pas compréhensible hors d’une analyse des attitudes des élites urbaines face à la construction d’une monarchie française sous la référence absolutiste. Après avoir choisi de redresser son autorité dans une « entente cordiale » avec les patriciats urbains depuis Charles VII jusqu’à Louis XII, le pouvoir royal a commencé à consolider un État des offices afin d’assurer la progression de son contrôle sur le royaume. La multiplication des offices vénaux a cassé l’ensemble oligarchique sur lequel fonctionnait le système des « bonnes villes8 » en isolant le groupe supérieur des officiers royaux qui a confondu rapidement son ambition dominatrice en tant que noblesse de ville avec le renforcement de l’État monarchique au détriment de l’idéal de républicanisme bourgeois9 incarné par la valorisation du pouvoir municipal. Pour ces officiers de cours souveraines entraînant dans leur sillage ceux des présidiaux et des baillages ou sénéchaussées, la ville a progressivement cessé d’être une communauté de citoyens négociant avec le pouvoir royal le maintien de sa fidélité contre la préservation de ses privilèges pour devenir le premier niveau efficace de l’encadrement des sujets du monarque refusant de partager sa souveraineté10. Une telle perspective a trouvé une double traduction dans l’espace urbain : la prétention des officiers royaux à former un quatrième état social au-dessus du tiers, l’établissement de la supériorité administrative des sièges de justice royale sur les institutions municipales. Cette pression a été d’autant plus forte que la ville concentrait un nombre élevé d’administrations royales, et principalement des cours souveraines.
33C’est au cœur de cette déstabilisation créée par le premier âge de l’absolutisme qu’il convient de replacer l’édit d’Henri II de 1547 interdisant l’entrée des officiers royaux dans les corps de ville, renvoyant ainsi ces derniers vers les catégories secondes de l’oligarchie urbaine. Si cette législation royale n’a guère eu de postérité car la plupart les villes s’en sont fait plus ou moins rapidement exempter, elle a joué parfaitement son rôle pour les cours de parlement qui y ont vu un excellent moyen de mettre en scène leur supériorité sociale et administrative. Les officiers des chambres des comptes ou des cours des aides ont adopté une attitude plus nuancée, en conservant longtemps un intérêt prononcé pour le poste de maire, jusqu’à ce que sa saisie par la politique d’expédients financiers à la fin du XVIIe siècle le disqualifie définitivement11.
34Les officiers du présidial et même du bailliage ou de la prévôté, comme ceux du bureau des finances ou de l’élection qui, dans les villes où ils dominent la pyramide des états urbains entrent en compétition pour préserver leur prépondérance sociale dans le corps de ville, sont au contraire aspirés, dans une forte dépendance mimétique, par le comportement de leurs supérieurs dans une logique sociale de structuration verticale. Trop soucieux de marquer leur proximité dans des choix communs, ils abandonnent volontiers le corps de ville à leurs auxiliaires des tribunaux qui tentent de transformer cette opportunité en tremplin pour une élévation familiale ultérieure. Cette délégation sociale d’autorité urbaine favorise principalement les avocats, car cet ensemble composite, où cohabitent des individus et des familles de niveaux très variés, porteurs de stratégie de carrière fort diverses, est véritablement une charnière entre le monde des offices supérieurs et moyens et celui des petits offices royaux ou seigneuriaux12. Dans certains lieux comme à Toulouse13, cela s’étend également aux procureurs, peut-être parce que l’exercice de la procure de cour souveraine relève une profession assez mal appréciée habituellement dans l’échelle des honneurs au sein de l’élite urbaine. L’obligation symbolique d’une représentation communautaire oblige à associer quelques autres états sociaux de l’élite urbaine, ce qui profite souvent à la noblesse urbaine et au milieu marchand.
35Il reste doublement délicat de questionner la pertinence de cette problématique pour l’histoire sociale municipale de Rennes, d’abord parce que cette capitale parlementaire n’est passée au régime d’échevinage qu’en 1757, ce qui complique les comparaisons avec les autres villes, ensuite parce que cette orientation de recherche est demeurée jusqu’ici largement en friches. Gauthier Aubert a bien voulu ouvrir le dossier pour dégager quelques réalités et suggérer une problématique de recherche très motivante puisque son observation oblige à nuancer légèrement le modèle proposé.
Rennes : robe seconde et pouvoir municipal à l’ombre du parlement14
36Aux XVIIe et XVIIIe siècles, Rennes est par excellence une ville parlementaire. Le commerce y est trop « triste », pour reprendre l’expression de Dubuisson-Aubenay15, pour que les marchands pèsent de manière significative sur le paysage politique16 et la chambre des comptes est à Nantes. Aussi entre un monde parlementaire à la fois de plus en plus fermé sur lui-même et ouvert sur la seule noblesse bretonne, et le reste de la robe traditionnellement toujours ouverte sur le monde marchand rennais, il existe un fossé bien marqué17. C’est sans doute là un des grands intérêts du poste d’observation rennais que l’existence relativement bien identifiable de deux robes, la robe parlementaire et une vaste « robe seconde » elle-même fortement hiérarchisée, mais aux contours peut-être moins flous qu’ailleurs. Qui, dans ces conditions, exerce, à Rennes, le pouvoir municipal ? À première vue, le modèle présenté par Guy Saupin18 semble parfaitement opératoire sur les bords de la Vilaine : entre la fin des guerres de la Ligue – et sans doute déjà avant celles-ci – et la Révolution, pas un parlementaire ne fut syndic ou maire de la ville. La question de la distribution du pouvoir entre les différents segments de la robe seconde reste néanmoins à envisager dans la mesure, où, ici, cette robe non parlementaire regroupe des gens qui, selon la grille d’analyse proposée par Guy Saupin, ne sauraient avoir le même rapport au pouvoir municipal. A priori en effet, les magistrats au présidial devraient, par « parlement-arotropisme », laisser les charges municipales aux cohortes d’avocats et de procureurs. Or, un examen des listes des échevins, procureurs syndics et maires montre une situation plus complexe, avec, notamment, des avocats absents de l’échevinat et des officiers du présidial qui deviennent maire. Mon propos vise donc, de manière succincte, à tenter de reconstituer le paysage sociopolitique sans cacher l’existence de lacunes et de difficultés, et en ayant pleinement conscience que certains points devront être repris et précisés dans l’avenir19, l’histoire municipale de Rennes étant un chantier tout récemment réinvesti20.
Les échevins de Rennes de 1600 à 1780
37Jusqu’à la réforme municipale de 1756, le mode d’accès à l’échevinat rennais est resté immuable : chaque année, les deux miseurs sortants deviennent définitivement bourgeois (ou échevins21). C’est là la sanction d’un cursus honorum fixé dans les années 1620, qui commence par l’exercice des fonctions de trésorier paroissial et se poursuit par celles de trésorier des hôpitaux. C’est parmi ces derniers que sont choisis les miseurs22. Pour la période qui nous intéresse, une liste de tous les miseurs depuis 1600, publiée au moment de la réforme de 1756, peut servir pour une première approche23, mais les lacunes des mentions sociologiques, rares avant 1661, obligent à retourner aux registres eux-mêmes, relativement précis à partir de 162024.
38Au début du XVIIe siècle, l’absence fréquente d’indication professionnelle dans les registres renvoie sans doute au fait que la chose est alors jugée, à ce niveau-là, secondaire, et comptant moins que le nom, qui suffit à identifier un personnage et à en dire le degré de notabilité. À partir de 1612, les choses commencent à changer puisque certains individus sont indiqués avec mention de leur office, puis, en 1620, un miseur est dit pour la première fois marchand, alors que ce n’est évidemment pas la première fois qu’un marchand accède à cette fonction29. Dans ces années 1620, également marquées par un débat sur la place des avocats dans le corps de ville et alors que les offices sont devenus centraux dans le paysage élitaire, les registres municipaux, et par là l’institution municipale, semblent attacher une plus grande attention à l’état des individus, renvoyant à l’éclatement des élites urbaines30. Ainsi les registres entérinent-ils ce faisant l’étagement des dignités consécutif à l’installation du présidial puis du parlement au milieu du XVIe siècle. De même, dès 1620, et cela deviendra ensuite la règle jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, les miseurs choisis dans la robe sont systématiquement cités avant ceux qui sont choisis dans le commerce.
39À partir du milieu des années 1620 – décidément importantes –, le fait de choisir chaque année un miseur robin et un miseur marchand tend de plus à devenir la règle31. Il est encore difficile de dire si c’est là chose entièrement nouvelle ou si il y a poursuite de pratiques antérieures qui, désormais, apparaîtraient au grand jour grâce à des registres plus attentifs à l’état des individus. Reste que dans cette ville devenue comme on l’a dit fortement robine au milieu du XVIe siècle, la place des marchands semble, au moins dans un premier temps, avoir reculé du simple fait de la multiplication soudaine des robins. Toutefois, on peut se demander combien de ces robins étaient fils de marchands. Si, comme on le suppose, ils étaient nombreux dans ce cas, la montée en puissance des gens de justice pourrait masquer bien souvent des continuités familiales32. Par ailleurs, il faut souligner que les chiffres indiqués ci-dessus montrent une certaine stabilisation au XVIIe siècle, les marchands faisant alors à peu près jeu égal avec les robins. Après 1689 toutefois, la poussée robine reprend, due essentiellement aux procureurs « au parlement ». Après 15 ans d’exil à Vannes, en effet, un nombre sans précédent d’entre eux devient miseurs, comme si ceux qui n’avaient pu accéder à l’échevinat du fait de l’exil à Vannes se rattrapaient. Quête de prestige et attrait pour les privilèges et avantages attachés aux fonctions municipales peuvent expliquer a priori cette ruée robine vers l’échevinat, dont les ressorts précis nous échappent encore, comme nous échappent les raisons pour lesquelles les marchands les ont apparemment laissés faire. De 1701 à 1717, en effet, pas un marchand n’est miseur33. Il y a là des années assurément cruciales, et encore assez peu connues. C’est en effet alors qu’apparaissent les premières difficultés manifestes à trouver des personnes susceptibles de servir34, peut-être en lien avec la création d’un receveur des octrois en 168935 et avec l’alourdissement des tâches liées aux exigences croissantes de la monarchie36. À partir de 1718, un rééquilibrage entre robins et marchands s’opère. Pourtant, les temps ont visiblement changé par rapport aux années antérieures à la révolte du Papier timbré. D’une part l’institution a visiblement de plus en plus de mal à recruter – et sans doute l’incendie de 1720 n’y est pas pour rien, sans qu’il soit sans doute la cause unique – ; d’autre part, les gens de justice miseurs sont désormais presque exclusivement des procureurs (cf. tableau 1).
40Au début du XVIIe siècle en effet, des gens titulaires d’offices de chancellerie ou greffiers au parlement pouvaient occuper cette fonction. Ce sont d’ailleurs eux les premiers à voir leur état mentionné, en 1612, signe de distinction qui n’est peut-être pas sans lien aussi avec le contexte politique qui voit « les corps politiques à faire davantage confiance aux officiers légitimistes37 ». Par la suite, ces personnages qui constituent, avec les gens du présidial le sommet de la robe seconde, se retirent en bon ordre : les officiers de la chancellerie disparaissent les premiers (dernier cas en 1626), suivis des greffiers au parlement (dernier cas en 1644), des greffiers des cours inférieures (dernier cas en 1656), puis, bien plus tard, des notaires royaux (dernier cas en 1723), mais nous sommes alors à un niveau assez bas dans la hiérarchie robine. Le désengagement des officiers au cours du XVIIe siècle, et en particulier des plus élevés en dignité, n’est pas propre à Rennes : Bordeaux, mais aussi Nantes connaissent alors pareil phénomène38. Plus que le strict « parlementarotropisme » déjà évoqué, plus que le déclin du prestige d’une institution municipale vivant désormais sous une double tutelle – parlement et intendant39 –, ce serait bien l’effet d’un mépris croissant pour un titre de « bourgeois » qui est d’abord l’apanage de simples procureurs et des marchands. Aussi la fonction de miseur, amputée comme on l’a dit d’une partie de ses attributions à la fin du XVIIe siècle, n’attire-t-elle plus que des gens qui se situent plutôt en bas de la hiérarchie robine. Sans doute faudrait-il voir si, dans le même temps, les marchands miseurs sont de leur côté des gens de plus en plus modestes, ce que l’on aurait tendance à penser a priori, mais l’enquête reste à mener.
41Le tableau ci-dessus apporte de surcroît une surprise de taille : l’absence des avocats. Certes, il n’est pas totalement exclu que certains d’entre eux aient été miseurs au début du XVIIe siècle, quand les sources municipales sont peu éclairantes et que même des officiers de la chancellerie et des greffiers au parlement pouvaient être miseurs. Cependant, il est à peu près certain que pas un avocat n’accéda à cette fonction, et donc à l’échevinat, après les années 1620. Comment expliquer cette absence qui ne cadre pas avec ce qui a pu être observé dans d’autres villes parlementaires40 ? Il faut pour comprendre cette situation commencer par rappeler que dans l’ordre sociopolitique rennais tel qu’il se met en place durant les premières décennies du XVIIe siècle, les avocats s’étaient réservé la fonction de procureur syndic41. Aussi obtint-on ici quelque chose qui n’est pas sans rappeler le système des échelles des villes languedociennes42 : marchands et procureurs, d’une dignité inférieure aux avocats, s’occupaient des fonctions comptables dont ils étaient sans doute considérés peu ou prou comme des spécialistes, tandis que ceux dont on sait qu’ils aspiraient à être considérés comme de grande robe43 occupaient la fonction plus prestigieuse de procureur syndic, délaissée de son côté par les magistrats du présidial et, à plus forte raison, du parlement. On notera aussi que les magistrats au présidial sont également absents de ces listes de miseurs. Ainsi une frontière semble se dessiner au sein de la robe seconde, individualisant en son sein ceux qui refusent les fonctions comptables, soit les gradués, plus ou moins marqués par les discours exaltants la grandeur de leur mission impliquant, au moins en théorie, une certaine distance avec l’argent44. À l’hôtel de ville, et alors qu’ils appartenaient peu ou prou aux mêmes familles, avocats et magistrats n’étaient pas du même monde que secrétaires du roi, greffiers et procureurs, ces officiers sans grade, sans doute sociologiquement plus proches qu’eux du monde marchand, moins soumis aux discours sur l’idéal robin et dont la proximité avec l’argent – particulièrement dans le cas des premiers cités – était sans doute plus marquée. Ce sont les procureurs et les marchands qui apparaissent comme les figures caractéristiques de l’échevinat lorsque l’institution des miseurs est supprimée en 1757. La réforme de la municipalité, qui crée un bureau servant sur le modèle nantais, prévoit que les échevins, dégagés désormais de toute fonction comptable, seront désormais élus par l’assemblée générale, deux d’entre eux, sur les six prévus, devant être obligatoirement marchands45. Ainsi, de 1758 à 1768, sont élus huit échevins sont marchands et onze procureurs46, c’est-à-dire que rien, dans les faits, ne changea par rapport à la période antérieure. Puis, de 1768 à 1780, plus aucun échevin n’est nommé. La municipalité rennaise traverse alors une période critique qui semble au moins autant du à l’affaire de Bretagne47, qu’à une crise de la représentation urbaine, tant il est vrai que l’intendance porte un jugement négatif sur ce gouvernement municipal porté « par un nombre infini de procureurs et de petits marchands qui n’ont aucune notion des affaires publiques48 ». Dans les dossiers de l’intendance, les projets et notes divers montrent que le commissaire préférerait de loin s’appuyer sur un cercle restreint de notables dignes de ce nom.
42La réforme de 1757, on le voit, ne conduisit pas les avocats vers l’échevinat. Si celui-ci resta la chasse gardée des procureurs et des marchands, ce fut probablement au moins autant à cause de ces derniers que du probable dédain des gens du barreau pour cette fonction. Il faut dire aussi que les avocats témoignent alors plus que jamais de leur singularité dans le paysage social rennais, rappelant de multiples manières les liens professionnels – et, partant, symboliques – les unissant aux parlementaires, eux-mêmes plus que jamais imbus de leur naissance et plus que jamais distants par rapport à la cité. Suivant cet exemple, les avocats se détachent de l’hôtel de ville, dédaignant même, au XVIIIe siècle, les fonctions les plus prestigieuses du corps de ville.
Le sommet de la hiérarchie municipale : procureurs syndics et maires de 1600 à 1780
43Entre 1600 et 1675, à quelques exceptions près, les syndics élus sont toujours des avocats. Il n’est pas encore possible de savoir à quand remonte cette habitude. En revanche, on peut noter que la fonction d’avocat est fréquemment indiquée dans les registres municipaux au tout début du XVIIe siècle, précédant ce qui a été observé pour les miseurs49. Le fait de laisser le syndicat entre les mains des avocats renvoie certes aux pseudo-échelles évoquées plus haut, à l’honorabilité de ces gradués, mais aussi aux compétences supposées de ces derniers, capables de parler en public, de haranguer mais aussi de défendre les droits de la ville. Quant au parlement, si l’on ignore la part exacte qu’il prenait dans le choix de tel ou tel personnage comme syndic, il est clair qu’il ne pouvait que voir d’un bon œil des avocats occuper cette place centrale de la municipalité, tant il est vrai que la dépendance professionnelle des avocats – comme des procureurs d’ailleurs – envers les magistrats était une évidence. Le prestige de la fonction devait néanmoins être réel, puisque furent également syndics des gens titulaires d’offices les plaçant dans la partie supérieure de la robe seconde50 51 52 53.
44Si la présence d’un membre du présidial dans la liste des syndics vient conforter l’idée que les magistrats appartiennent au même monde que les avocats, le fait qu’il n’y en ait qu’un conforte de son côté l’hypothèse de Guy Saupin sur la distance des magistrats par rapport à ce type de fonction dans les villes parlementaires. Quant aux officiers de la chancellerie, ils apparaissent dans une position singulière. Ils sont en effet les seuls à fournir des miseurs et des procureurs syndics. Ceci renvoie à l’ambivalence de ces offices prestigieux occupés par des gens qui ne sont pas obligatoirement gradués et peuvent encore sentir le comptoir. De plus, dans deux cas, les registres qui indiquent leur élection ne les signalent pas comme relevant de la chancellerie, mais comme avocats, ce qui est d’ailleurs exact pour au moins un des deux individus. Faut-il voir là simplement une négligence du copiste, la force de l’habitude, ou bien une opération de maquillage d’une réalité qu’« on » souhaite cacher ? Faut-il relier ces indications bien tenues à la consultation signée de treize avocats qui dénoncent, vers 1644, les prétentions nobiliaires des secrétaires du roi54 ? Il serait, pour l’heure, hasardeux de conclure définitivement.
45Devenue simple ville présidiale entre 1675 et 1690 en raison de l’exil du parlement à Vannes, Rennes a alors pour syndics des magistrats au présidial. Puis, dès que le parlement revient à Rennes, c’est à nouveau un avocat qui est élu, comme avant. Aussi jusque-là, le modèle proposé par Guy Saupin fonctionne-il parfaitement. Tout se dérègle ensuite. Le début du changement est lié à la création d’un office de maire. Après le très court passage d’un certain Gardin un temps audiencier en la chancellerie, l’office est acheté en 1695 par un avocat, Rallier du Baty. La continuité n’est pourtant qu’une illusion. Car Rallier, fils d’un avocat par ailleurs officier (en la chancellerie) et officier lui-même en devenant maire, cesse alors d’être avocat. Il a alors 30 ans et fait davantage penser à tous ces fils de bonne famille qui attendent dans le barreau un office conforme à leurs ambitions et à leur fortune, qu’aux procureurs syndics de l’ancien temps. Ainsi Hévin, procureur syndic dans les années 1670, sans doute le mieux connu de ces avocats-syndics de l’avant Papier timbré, présente-t-il un profil bien différent de celui présenté par Rallier : c’est un juriste respecté quand il devient, à 48 ans, procureur-syndic, une fonction qu’il n’occupe que trois années, comme ses prédécesseurs et successeurs, avant de retourner à son cabinet tout en restant présent ponctuellement dans la vie municipale55. Rallier, lui, en devenant maire, opère une véritable réorientation professionnelle, et d’ailleurs, son acte de décès ne mentionne pas qu’il fut avocat tandis que lui-même put parler de sa fonction de maire comme d’un « état56 ». L’attitude de Rallier, qui s’est maintenu près de 40 ans à sa place malgré les turbulences liées à la politique de la monarchie au sujet des offices, au point de finir syndic élu, a accentué la rupture née de la création d’un office de maire. À Rennes, il y eut certes un avant et un après office, mais surtout un avant et un après Rallier. Il faut dire aussi à sa décharge que son long règne vit un certain alourdissement de la fonction, avec la gestion du logement des troupes57, de la capitation, et, dans le cas présent, la lourde tâche d’une longue reconstruction de toute une partie de la ville. Il y avait sans doute là de quoi éloigner bien des ambitieux trop légers.
46Après la mort en fonction de Rallier en 1734, on en revient durant quelques années au système de rotation par élection, mais les syndics sont choisis parmi les échevins, soit des gens qui sont bien au fait des tâches à accomplir. La continuité avec les années antérieures apparaît donc dans cette sorte de pseudo-professionnalisation de la direction urbaine dont Rallier s’était fait quelques années plus tôt le héraut en déclarant aux échevins qu’eux et lui étaient « nés plutôt pour le service de la patrie que pour nous-mêmes ». Ces nouveaux syndics sont choisis parmi les échevins procureurs de leur état, et non parmi les marchands, confirmant ainsi la prééminence des uns sur les autres. Les procureurs profitent alors aussi sans doute de leur présence marquée au sein de la municipalité grâce aux fonctions de miseurs, mais aussi de la position de retrait des avocats.
47L’année 1742 marque cependant une rupture, puisque c’est un conseiller au présidial, Hévin, petit-fils du célèbre avocat, qui est élu syndic. Hévin ayant dû démissionner l’année suivante suite à un conflit avec les échevins, une solution de rechange se dessine : faire du sénéchal de la ville le maire officier de celle-ci58. C’est là une petite révolution. Alors qu’en 1616, le sénéchal – président du présidial – est, selon Jacques Brejon de Lavergnée, salué comme « premier magistrat de ceste ville », en 1629, puis en 1659, deux arrêts du conseil ont débouté les officiers du présidial de leurs prétentions à présider les assemblées générales de la municipalité59. La création d’une lieutenance générale de police en 1699 rattachée à la communauté de ville en 1706 a de plus par la suite amenuisé les prérogatives du présidial60.
48Pour le sénéchal de Rennes, devenir maire de la ville c’était donc reprendre la présidence des assemblées et la responsabilité de la police. Quand le sénéchal Baillon quitte Rennes pour une intendance, indice de ce que la monarchie n’avait pas eu à se plaindre de ce fils de négociant malouin, l’office est repris en 1758 par un individu aussi inconnu de l’intendance que sa famille est célèbre dans la ville puisqu’il s’agit d’Hévin-fils61. Le fait qu’il soit fils de maire (éphémère certes), arrière petit-fils de procureur syndic et apparenté à Rallier doit être relevé, tout comme doit l’être le fait qu’il est aussi fils et petit-fils de conseillers au présidial et que lui-même le devient dans les mois qui suivent son accession à la mairie. En l’état, il est donc difficile de dire si cette dernière doit se comprendre dans une perspective familiale, présidiale, ou les deux62. Reste l’essentiel : c’est encore un homme du présidial qui est maire, pour la troisième fois consécutive. À la même époque, l’inauguration du bâtiment construit par Gabriel, dans lequel cohabitaient le présidial et la mairie, si c’était une chose fréquente63, symbolisait bien, dans le cas présent, l’union des deux institutions64.
49Emporté par la bourrasque politique née de l’affaire La Chalotais, Hévin n’est pas remplacé après sa mise à pied en 1766, mais celle-ci nous renseigne sur un point essentiel. Dans ce pays d’États, et face à une noblesse facilement frondeuse, le contrôle de l’accès aux fonctions de maire est devenu un enjeu hautement stratégique pour le pouvoir royal, qui cherche par là à tenir le tiers ordre de l’assemblée provinciale. Dès 1763, un arrêt du conseil permet au gouvernement de contrôler le choix des maires, mesure qui pesa au moment de l’embrasement provincial contre le duc d’Aiguillon65. De 1766 à 1780, Rennes a à sa tête des échevins par ailleurs procureurs faisant fonction de maire, et qui ont pour principale qualité d’être jugés fiables par les autorités.
50La crise parlementaire finie en 1774, l’intendance s’attelle au règlement de la crise municipale qui remonte aux années 1750. S’échafaudent alors divers projets, et plusieurs notables sont approchés pour être maires. Or, les avocats pressentis refusent avec hauteur, s’appuyant sur l’idée que leur participation à la gestion municipale est incompatible avec leur état. Il est bien entendu tentant de voir là l’effet d’une imitation du modèle parlementaire. Quant aux magistrats au présidial alors consultés, ils apparaissent intéressés par la perspective de se charger de la police66.
La municipalité rennaise après 1780 : ruptures et continuités
51Quand l’intendance impose enfin une réforme de la municipalité, en 1780, elle a donc face à elle les gens du présidial prêts à servir. Cette réforme présentait l’avantage de rétablir pour toutes les fonctions municipales le principe électif cher aux notables urbains. Toutefois, par prudence, le pouvoir se réservait la possibilité de choisir parmi les gens élus ceux qui seraient effectivement maires, procureurs syndics et échevins. De plus, l’assemblée municipale, qui n’avait pas été modifiée depuis 1627, est redessinée. Ces deux derniers points firent que la réforme tarda à s’imposer. Elle permit néanmoins de relancer la vie municipale.
Tableau 4 – Les élections des années 1780 (d’après J. Garçon) : les échevins
| Magistrats | Avocats | Procureurs | Marchands |
1780 |
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Élus | 1* | 4 | 3 | 4 |
Choisis | 1* | 2 | 1 | 2 |
1786 |
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Élus | 0 | 6 | 0 | 2 |
Choisis | 0 | 3 | 0 | 1 |
1788 |
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Élus | 0 | 2 | 1 | 1** |
Choisis | 0 | 0 | 1 | 1 |
Total |
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Élus | 1* | 12 | 4 | 7 |
Choisis | 1* | 5 | 1 | 4 |
Tableau 5 – Les élections des années 1780 (d’après J. Garçon) : les procureurs syndics
| Magistrats | Avocats | Procureurs | Marchands |
1780 |
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Élus | 2* | 0 | 1 | 0 |
Choisis | 1* |
| 0 |
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1788 |
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Élus | 0 | 2 | 1 | 0 |
Choisis | 0 | 1 | 0 |
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Total |
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Élus | 2* | 2 | 2 | 0 |
Choisis | 1* | 1 | 0 |
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Tableau 6 – Les élections des années 1780 (d’après J. Garçon) : les maires
| Magistrats | Avocats | Procureurs | Marchands |
1780 |
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Élus | 2* | 1 | 0 | 0 |
Choisis | 1* | 0 |
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1788 |
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Élus | 3* | 0 | 0 | 0 |
Choisis | 1* |
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Total |
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Élus | 5* | 1 | 0 | 0 |
Choisis | 2* | 0 |
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52Ces résultats électoraux des années 1780 respectent finalement la vieille hiérarchie sociopolitique. Les officiers du présidial en forment le sommet, fournissant deux maires et un procureur syndic, tandis que pas un seul n’est élu échevin. À l’autre extrémité, les marchands sont confirmés dans un rôle subalterne, ne dépassant pas l’échevinat, mais ils y occupent une place néanmoins assez enviable, sans doute à relier au désir déjà exprimé par les autorités lors de la réforme de 1756 de ne pas laisser tout l’espace politique aux robins. Les procureurs, qui constituent la strate inférieure de la notabilité robine, font moins bien que les marchands à ce premier niveau de l’échevinat, mais deux d’entre eux sont quand même proposés pour être procureur syndic. L’impression dominante les concernant est que ces personnages il y a peu encore emblématiques de la bourgeoisie et de la municipalité rennaise connaissent un déclin accéléré de leur place dans la société politique locale. En 1780 comme en 1788, les deux procureurs qui parviennent à être élus sur la liste des gens susceptibles d’être choisis comme procureur syndic le sont en troisième et dernière position, et ne sont donc pas désignés par les autorités. Dans le même temps, naturellement, pas un procureur n’apparaît sur les listes des personnages susceptibles de devenir maire. Ce sont là sans doute de nouveaux indices d’une crise dont on perçoit un autre élément avec leur recul au sein de la milice bourgeoise67, et il serait intéressant de voir si ce recul suscita des réactions de la part des intéressés. Pour l’heure, contentons-nous de noter que les procureurs font ici visiblement les frais de la valorisation des marchands et du retour des avocats.
53Il est en effet tentant de mettre ce déclin en parallèle avec ce qui est finalement la principale nouveauté des années 1780 : le retour en force des avocats au sein des instances municipales, où ils occupent une position toutefois inférieure aux gens du présidial. Ce retour, cependant, ne se fait pas sans déchirements. En 1780, l’ordre proteste des résultats des élections, rappelant l’incompatibilité existant entre la pratique du barreau et l’exercice de charges publiques, et finit par céder du bout des lèvres en 178868. Mais il faut croire que dès avant cette date l’appel du politique fut plus fort que l’éthique de l’ordre, puisque, en 1780 déjà, les deux avocats élus et choisis par le gouverneur décident de ne pas tenir compte des protestations de leurs confrères et de devenir échevins. Les avocats entrent dans une nouvelle dynamique marquée par un investissement tout à fait remarquable dans l’espace politique local, qui éclate au grand jour à la fin de la décennie quand sur les huit élus de la sénéchaussée de Rennes aux États généraux, cinq sont des avocats rennais, de même que le sont neuf ou dix des vingt membres du bureau de correspondance établi à Rennes au printemps 178969. L’adhésion aux idées nouvelles, sur fond de tensions croissantes avec la noblesse et de valorisation des talents, explique que certains aient alors rompu avec le « parlementarotropisme » synonyme de retrait de la vie politique municipale.
54La rupture semble bientôt d’autant plus totale, que, à la faveur de la mise à terre des cadres anciens, ce sont même deux ci-devant parlementaires, il est vrai de sensibilité patriote, qui occupent la place de maire de 1790 à 1793. Pourtant, comment ne pas penser que l’Ancien Régime survit malgré tout ? Ces deux accessions à la mairie témoignent en effet en premier lieu de la permanence, chez les élites urbaines, de l’idée selon laquelle le pouvoir doit être exercé par les plus notables possibles. Cette idée, exprimée avec force dans les dossiers de l’intendance des années 1770-1780, trouve au moment de la Révolution un aboutissement éclatant, en plaçant pour la première fois des représentants de la partie supérieure de la société urbaine à la tête de la municipalité. Ces deux maires illustrent aussi jusqu’à un certain point la victoire posthume du parlement dont l’ambition de contrôler les villes n’avait jamais faiblie, parlement qui avait été rejoint dans ce combat à la fin de l’Ancien Régime par le second ordre des États70. Les anciens cadres mis à terre, les parlementaires – ou, plus précisément, des anciens parlementaires – occupent alors directement la tête d’une municipalité aux pouvoirs d’ailleurs renforcés, là où ils agissaient auparavant, ou cherchaient à le faire, par le biais d’intermédiaires dépendants, mais le résultat était-il si différent ? Aussi, dans le domaine sociopolitique qui nous intéresse, la rupture la plus spectaculaire eut lieu plutôt en 1793 quand un tailleur accéda à la mairie. La « robinocratie » fustigée alors par Carrier avait vécu.
55Le premier constat qui s’impose pour conclure est qu’il ne paraît guère concevable de parler à Rennes d’un monde indifférencié de « robins », même au niveau de la robe seconde. La proximité professionnelle, sociale, familiale n’y change rien : un avocat n’a pas les mêmes formes d’investissement politique qu’un procureur ou qu’un magistrat du présidial. Une première frontière semble séparer les procureurs des autres représentants de la robe seconde. Ces personnages souvent décriés apparaissent assez proches des marchands et, comme ces derniers, furent surtout présents dans l ‘ échevinat. Les avocats, eux, se singularisent par un apparent long dédain pour l’échevinat, puis par un retrait des fonctions municipales supérieures. Certes, les avocats n’ont pas totalement disparu de la vie municipale et restent ainsi présents au sein de l’assemblée générale, tandis que certains servent comme administrateurs des hôpitaux. Ce dernier point, d’ailleurs, tend à les rapprocher des parlementaires, qui constituent pour eux une référence. Ce modèle parlementaire – entendu ici comme « le refus […] de s’abaisser jusqu’aux responsabilités municipales71 » – qui n’est certes pas universel72 mais dont on ne saurait nier la pertinence pour Rennes, semble donc marquer, au XVIIIe siècle, davantage les gens du barreau que les officiers du présidial. Ces derniers, en revanche, pouvaient trouver dans l’exercice des plus hautes responsabilités municipales de quoi compenser la crise qui affectait leur institution. Ainsi, à Rennes, si le modèle proposé par Guy Saupin s’avère pour l’essentiel parfaitement opératoire jusque vers 1690, il se dérègle ensuite en raison de causes variées, associant effets de la politique monarchique, choix des hommes – Rallier –, dynamiques familiales – pensons aux Hévin – et logiques institutionnelles sur fond de quête de considération sociale.
Nantes : un échevinage le plus souvent marchand, dirigé par un officier royal
56Globalement, le corps de ville a vu entrer principalement des marchands, à l’exception des deux premiers tiers du XVIIe siècle, mais une distinction a toujours été établie parmi tous les acteurs intervenant dans la sélection des édiles entre le poste de maire et ceux d’échevin73.
La suprématie des officiers de justice sur le poste de maire
57Sur l’ensemble de la période d’existence du corps de ville, sa direction n’a guère échappé aux officiers royaux qui ont totalisé près des trois quarts des nominations, et tout spécialement aux officiers de justice qui ont fourni les deux tiers des premiers magistrats. L’ensemble sénéchaussée et présidial s’est imposé comme le vivier essentiel en assurant 44 % des promotions contre seulement 23 % à la chambre des comptes. La fonction de grand port fluvio-maritime atlantique n’a donc pas soutenu une prépondérance marchande puisque ce milieu des affaires doit se contenter de 20 % des promus. Toutefois, l’époque moderne est loin d’être homogène et la comparaison des trois siècles souligne de profondes évolutions. Le dernier tiers du XVIe siècle présente une réelle originalité marquée par la faiblesse de l’impact du présidial et la bonne tenue de la présence marchande. Ces deux phénomènes ne sont que les deux conséquences d’un même phénomène : le passage difficile de l’ancien régime de fonctionnement en assemblée générale au nouveau régime d’échevinage. Les lettres patentes données par François II en janvier 1559 n’ont pu être concrétisées qu’à la fin de 1564 suite à l’opposition d’un front du refus regroupant toutes les anciennes institutions civiles et religieuses contre une réforme portée par l’élite marchande. La résistance ayant été menée par le sénéchal et le prévôt et les compromis n’ayant pu être passés qu’en 1575 et 1581, la stratégie de boycott initialement adoptée par leurs compagnies n’a pu qu’affaiblir leur taux de présence dans cette phase de normalisation heurtée. Il convient de noter l’attitude beaucoup moins radicale, parce que moins soudée, des officiers des comptes, traduisant ici le caractère plus hétérogène de cette large compagnie à large échelle géographique de recrutement, même si seuls des officiers résidant à Nantes ont pu être sélectionnés.
Évolution des origines socioprofessionnelles des maires de Nantes
Situations | 1565-1598 | 1598-1692 | 1692-1789 |
Parlement | 8,70 | ||
Chambre des comptes | 21,74 | 25,53 | |
Présidial | 17,39 | 59,57 | 38,10 |
Cours inférieures de justice | 4,35 | 4,26 | 9,52 |
Avocats | 8,70 | 14,29 | |
Offices de finances | 2,13 | 9,52 | |
Marchands, Négociants | 39,13 | 8,51 | 23,81 |
Office de maire | 4,76 |
58Par opposition, le XVIIe siècle a assuré le triomphe absolu aux officiers de justice qui ont capté neuf postes sur dix. Dans cette suprématie robine, le présidial s’est taillé la part majeure avec près de 60 % des maires. Cette affirmation n’a pas été obtenue au détriment de la chambre des comptes dont les officiers ont maintenu leur intérêt pour la direction de l’échevinage, mais au prix d’un effondrement spectaculaire de la présence marchande totalement balayée jusqu’en 1646 et pauvrement illustrée épisodiquement sous le règne de Louis XIV. Au sein d’un mouvement général de montée en puissance des officiers dans l’ensemble du royaume, Nantes a renforcé considérablement le processus à cause des conséquences durables de sa longue rébellion ligueuse de 1589 à 1598. Henri IV, tout en prônant ici comme ailleurs la réconciliation des anciens partis autour du trône, a pris la précaution d’installer à la tête de la ville les plus grands lignages du présidial comme les Harouys et les Charette, symbole du loyalisme pendant la crise. Ces derniers ont durablement contrôlé les nominations à la direction du bureau de ville, par l’importance de leurs réseaux d’influence et par l’attention que les gouverneurs ont toujours accordé à leurs commentaires dans les processus électoraux. L’absence de bureau des finances, la Bretagne étant pays d’états, mal compensée par le rattachement des trésoriers de France et généraux des finances à la compagnie des Comptes expliquent la faible présence des officiers de finance, en soulignant ainsi la différence avec la ville de Tours.
59Le XVIIIe siècle n’a pas remis en cause la supériorité des gens de justice (62 %), ni celle des officiers royaux (57 %), tout en redistribuant assez nettement l’influence des différentes parties. Le présidial perd sa majorité absolue tout en demeurant le premier pourvoyeur tandis que les officiers des comptes ont totalement rompu avec un corps de ville qui leur semble disqualifié dans le jeu de la considération sociale par son entrée dans les expédients financiers. Le recul des officiers de justice n’est donc masqué que par l’intégration de deux généraux des finances (Mellier et Védier), surtout promus comme subdélégués de l’intendant, et par la poussée des avocats déjà soulignée pour les autres villes analysées. La substitution de l’amirauté aux régaires de l’évêque enregistre une mutation administrative en liaison directe avec l’orientation commerciale de la ville, ce tribunal des affaires maritimes n’ayant pas pu être créé de manière autonome avant 1691.
60L’essor remarquable du commerce international qui promeut la ville au rang de premier port d’armement français dans le premier tiers du XVIIIe siècle et qui lui assure le second rang dans le trafic derrière Bordeaux a naturellement favorisé la nomination de plusieurs négociants comme maires de Nantes, sans que ce redressement notable comparé à l’effondrement du XVIIe siècle ne retrouve le niveau atteint dans le dernier tiers du XVIe siècle, signe sans doute que ce dernier était quelque peu artificiel, surévalué du fait de la pression tardive du présidial suite à la naissance contestée du corps de ville. Les négociants qui ont été élevés à la direction du corps de ville, tout en relevant bien de l’élite commerciale, n’illustrent pas les plus grosses fortunes de la ville, à l’exception de René Darquistade, maire en 1735-1736 et 1740-1747 à une époque de déclin de son activité qui se termine d’ailleurs par une faillite retentissante en 1748. Outre la difficile compatibilité entre la lourde charge administrative et le suivi minutieux de ses affaires à une échelle internationale, la raison est peut-être à chercher du côté de l’évolution institutionnelle qui a vu l’émergence d’un pouvoir négociant autonome doublement assis sur le renforcement du général du commerce, substitut nantais de la chambre de commerce, et la conquête de l’indépendance du consulat commercial qui a quitté symboliquement l’hôtel de ville pour s’installer à la bourse en 1754, alors qu’il était sous la tutelle de la municipalité pour l’élection de ses juges depuis leur naissance conjointe en 1565. Cette tendance aurait pu être démentie en 1716 où l’intendant n’a pas cru bon de confier le poste de maire à Joachim Descazaux, le plus grand négociant nantais du début du XVIIIe siècle, sans doute pour éviter d’exciter des rapports déjà tendus avec son concurrent le sénéchal Louis Charette, héritier du grand lignage robin nantais monopolisant l’office de sénéchal et ayant donné sept maires au XVIIe siècle, mais surtout pour y placer une personnalité moins affirmée que ces deux compétiteurs en la personne d’André Boussineau, procureur du roi au présidial depuis 40 ans.
Un échevinage le plus souvent dominé par les marchands
61Dans le dernier tiers du XVIe siècle, les responsabilités sont restées largement le fait de l’élite marchande. Ce fait ne doit pas étonner car il est largement dû à la stratégie de refus de participation développée pendant au moins dix ans autour du présidial pour faire avorter la création du corps de ville ou au moins l’amputer sévèrement dans ses compétences de police urbaine. Par effet d’inversion, les marchands ont envahi l’échevinage dans les premières décennies comme promoteurs et défenseurs de la réforme municipale. Remarquons que dans cet affrontement corporatif autour du pouvoir urbain, les officiers de la sénéchaussée et du présidial ont été beaucoup mieux suivis dans leur refus par les officiers des cours inférieures comme la prévôté royale ou les régaires de l’évêque que par les officiers des comptes, sans doute parce que la compétence de la cour souveraine ne touchait guère à la police urbaine et que sa tutelle sur le contrôle des comptes municipaux avait été renforcée. L’absence de concurrence des officiers de la justice ordinaire et le désir de répondre à un idéal de relative diversification à l’image de la communauté ont profité à la bourgeoisie juridique seconde, confortée par quelques médecins.
62Peut-on renforcer la prégnance marchande en y associant les officiers de finances tels que receveurs de fouages ou de décimes dans la mesure où finances et marchandises sont souvent deux activités complémentaires dans les familles les plus puissantes ? Selon les enquêtes familiales, la réponse est nuancée. Si ce schéma est confirmé pour quatre familles, les six autres renvoient plutôt vers l’image d’un milieu social autonome, assez fortement endogamique. Retenons donc que l’élite marchande nantaise s’est assuré environ deux tiers des postes d’échevins dans cette première phase de l’histoire sociale du corps de ville. Trois temps différents rythment toutefois la période : une domination marchande quasi absolue de l’échevinage dans les dix premières années, un meilleur partage avec les officiers et gens de justice jusqu’en 1589, de nouveau gommé pendant la rébellion derrière le duc de Mercœur la plupart des marchands orientés vers l’Espagne étant plutôt ligueurs tandis que la plupart des officiers demeuraient ou loyalistes ou neutres, sous l’influence des grandes familles dominant leurs compagnies dont les membres ont été contraints à l’exil rennais.
Évolution des origines socioprofessionnelles des échevins nantais
Situations | 1565-1598 | 1598-1668 | 1668-1719 | 1720-1789 |
Chambre des comptes | 7 | 10,70 | ||
Présidial | 1 | 18,70 | 2,10 | 12 |
Cours inférieures de justice | 2 | 6 | 3,10 | 11,30 |
Av., Proc., Not., Médecins | 15 | 17,30 | 30,90 | 15,80 |
Offices de finances | 11 | 8 | 2,30 | |
Marchands, Négociants | 62 | 38,70 | 63,90 | 58,60 |
Propriétaires | 2 | 0,6 |
63Les deux premiers tiers du XVIIe siècle opposent un contraste saisissant avec les réalités précédentes. Les gens de justice ont conquis la majorité absolue (52,7 %) en réduisant fortement la présence marchande à une forte minorité (38,7 %). En ajoutant les quelques officiers de finance, la part des conseillers du roi dans l’échevinage est marquante. La hiérarchie des cours judiciaires s’est inversée au profit du présidial, établissant ainsi un ordre attendu, anormalement perturbé dans la phase antérieure. Cette redistribution n’a pas tant profité aux autres cours de justice qu’au groupe des auxiliaires qui leur sont liés, qui confirment ainsi leur bonne intégration dans la sphère échevinale acquise par défaut lors de la naissance du corps de ville. Peut-être faut-il y voir un simple effet quantitatif, la présence d’une cour souveraine provinciale et d’un présidial jouissant d’un large ressort soutenant l’activité de nombreux avocats et procureurs. Ceci tend à établir une corrélation sociale préférentielle entre les responsabilités échevinales et les parties médiane et inférieure de l’élite urbaine, puisque ce sont les officiers inférieurs du présidial et des comptes qu’on y rencontre le plus : conseillers et auditeurs cohabitant avec les officiers de la prévôté, des régaires et de la cour des monnaies. La distinction avec le monde des offices supérieurs nettement orienté vers le poste de maire est ainsi clairement établie.
64Malgré les témoignages nombreux des contemporains sur les difficultés financières des marchands nantais victimes d’une intense concurrence des marchands étrangers, principalement portugais et hollandais, nous ne croyons pas que ce renversement du profil social de l’échevinage relève prioritairement d’une explication économique. Il s’agit surtout de la réaction compensatrice d’affirmation de loyalisme exprimée par le corps politique urbain afin de faire oublier l’image négative de ville exagérément rebelle que Nantes aurait pu garder pour son ralliement obligé très tardif à Henri IV au printemps 1598. La fidélité au pouvoir royal ayant été incarnée au plus haut niveau par les lignages supérieurs du présidial et de la chambre des comptes, l’appartenance à ces compagnies et l’intégration dans les réseaux d’influence de leurs chefs ont été des critères prépondérants dans la sélection des candidats. Ce n’est pas le gouverneur de Nantes qui a écarté les marchands contre la volonté communautaire, mais le corps politique lui-même qui ne les a pas jugés assez présentables.
65Le règne de Louis XIV a connu un nouveau renversement de situation avec le rétablissement de la suprématie marchande à un niveau légèrement supérieur à la situation exceptionnelle de la fin du XVIe siècle (64 %). Ceci réduit les gens de justice au rôle d’importante minorité. La seconde mutation majeure concerne la quasi-disparition des officiers tant de justice que de finance. Là encore, les deux phénomènes sont liés : les marchands ne sont aussi nombreux que parce que les officiers royaux ont déserté l’échevinage. Cela ne veut pas dire que la première phase du décollage commercial dans lequel des entrepreneurs audacieux ont ajouté le commerce de droiture avec les îles d’Amérique à la grande pêche morutière pour compenser le déclin du trafic ancien avec l’Espagne du Nord et la concurrence étrangère dans les échanges avec l’Europe du Nord n’a joué aucun rôle dans l’élévation sociale des familles marchandes et l’amélioration de leurs réseaux relationnels, mais que leur conquête de l’échevinage a été puissamment idée par le retrait volontaire de leurs compétiteurs les plus sérieux. L’importance du renforcement social du milieu marchand à partir de ses propres forces se mesure au caractère limité de la progression des auxiliaires de justice qui ne se sont pas emparés de tout l’espace laissé libre par les officiers de justice. On aurait pu penser que leur meilleur positionnement dans les réseaux sociaux dominés par ces derniers, étant donné leur proximité professionnelle, les aurait avantagés au sein du processus de désignation municipale. Cette avancée en demi-teinte résulte principalement du comportement divergent des avocats et des procureurs, les deux compagnies les plus aptes à tirer profit de la rétraction des juges. Alors que les seconds ont renforcé leur présence, les premiers ont plutôt suivi l’exemple des officiers de la sénéchaussée et du présidial, cette préférence mimétique révélant sans doute une plus grande proximité dans l’échelle sociale et les jugements de valeur sur l’évolution municipale nantaise.
66L’impact des politiques étatiques, tant économiques que financières, doit être considéré comme majeur pour ses conséquences sur la modification des comportements des acteurs sociaux concernés par la sphère échevinale. La politique mercantiliste menée pour la première fois avec suivi et détermination par Colbert et ses successeurs invitait à œuvrer en faveur de l’amélioration de la reconnaissance sociale des acteurs du grand commerce. Les édits de non-dérogeance du début et de la fin du règne personnel de Louis XIV en sont des témoignages tangibles. Les meilleurs marchands nantais ont donc pu compter sur la bienveillance des agents royaux dans les négociations autour des désignations. La comparaison entre les propositions nantaises et le choix final du conseil a montré que c’est le pouvoir royal qui a tiré en avant le corps politique nantais. Par effet inverse, la suppression totale du privilège d’anoblissement pour les échevins en 1667 pour des raisons fiscales, alors qu’il était sauvegardé moyennant finances pour la fonction de maire, a jeté un discrédit profond sur ce type de responsabilité surtout que la mesure a correspondu, dans la même logique, à la grande vérification de noblesse par preuves écrites. Pour les familles officières en quête d’anoblissement, l’échevinage a perdu tout attrait social ; pour celles en processus d’intégration, via la chambre des comptes, il est devenu totalement répulsif car propre à se faire coucher rapidement sur la liste des suspects par les commis fiscaux. L’établissement définitif du contrôle financier de l’intendant en 1689 et le basculement de l’ensemble des fonctions dans le système des expédients financiers à partir des années 1690 n’ont fait qu’achever cette dépréciation dans les couches supérieures et médianes de la judicature nantaise.
67Ainsi, la disparition conjointe des officiers des comptes, du présidial, des autres cours de justice et de finances illustre pour cette phase échevinale nantaise un processus social mimétique descendant considéré comme caractéristique des capitales parlementaires. Son caractère exceptionnel à Nantes, qui bien sûr ne relève pas de ce type, s’observe dans une radicalisation de l’extension sociale du retrait, les avocats étant largement happés par ce mouvement de défiance alors qu’ils en tirent habituellement avantage pour leur représentation.
68La période du siècle d’or du grand port atlantique a entretenu cette liaison privilégiée entre l’échevinage et le milieu négociant, tout ne maintenant pas les niveaux hégémoniques de la fin du XVIe siècle et du règne de Louis XIV. Ce réajustement, au moment où l’enrichissement des familles atteint des niveaux jamais atteints auparavant, est une preuve supplémentaire que ces records ne peuvent être entièrement attribués à une dynamique sociale marchande et qu’ils enregistrent en partie, par contre coup, les modifications d’attitude des autres composantes de l’élite urbaine. Cette revalorisation du monde judiciaire est moins significative pour son ampleur numérique (36,8 %) que pour sa ventilation interne. Les juges des tribunaux sont redevenus plus nombreux que les avocats, procureurs et notaires, comme lors des deux premiers tiers du XVIIe siècle dans la phase de la domination officière et judiciaire, les deux époques apparaissant ainsi symétriquement inversées puisque les marchands totalisaient 38,7 % des postes. Si la compagnie des Comptes a définitivement rompu socialement avec un corps de ville jugé totalement avili, bien des officiers de la sénéchaussée et du présidial n’ont pas suivi ce courant et se sont au contraire de nouveau intéressés au passage par les charges échevinales, entraînant dans leur sillage des officiers de l’amirauté, des régaires, des eaux et forêts et de la cour des monnaies. La même restauration se lit chez les auxiliaires des tribunaux car les avocats ont repris leur premier rang devant les procureurs et les notaires. L’entrée inédite de quelques officiers de cours seigneuriales de la banlieue nantaise jette un pont entre les deux milieux car ces charges sont souvent saisies en cumul par des avocats ou des notaires.
69Tous ces rééquilibrages internes témoignent de la réévaluation positive de l’image d’échevins dans la bourgeoisie juridique nantaise. Deux grands phénomènes peuvent sans doute l’expliquer largement. Ces officiers royaux ont dû faire le deuil d’un double rêve : celui de voir les présidiaux être dotés du privilège d’anoblissement à l’instar des bureaux des finances, dans un rapprochement dignitaire avec les cours souveraines, mythe ayant longtemps animé le mimétisme entre ces cours, celui de voir restaurer le privilège de noblesse échevinale supprimé en 1667. Contraints d’abandonner cette illusion de fraternité sociale avec les officiers des comptes, ils ont gagné en réalisme quant à la défense de leurs intérêts propres à une époque où le marché de l’office se retournait contre eux, provoquant une dévalorisation sociale de leur corps, spécialement visible dans le retrait des familles d’ancienne noblesse. En 1740, la vente des offices de sénéchal et de président du présidial tenus depuis un siècle et demi par le puissant lignage des Charrette à Mathurin Bellabre, fils d’un négociant, anobli par achat d’un office de secrétaire du roi en chancellerie signa vraiment la fin d’une époque. Outre cette perception mieux ajustée de leur nouveau positionnement social, une nouvelle lecture de la responsabilité échevinale s’est imposée avec l’irruption de tous les problèmes de gestion de l’espace urbain depuis l’entrée de la ville dans le grand mouvement d’embellissement depuis les années 1720 et fortement relancé dans les années 1750. Pour des familles qui avaient toujours considéré l’immobilier urbain comme un investissement important et dont l’héritage en propriétés urbaines était considérable, la présence au bureau de ville était devenue d’une importance capitale.
70La prépondérance numérique des milieux d’affaire s’est traduite par un quasi-monopole des négociants dans cette représentation, à l’image du contrôle établi sur le général du commerce, au détriment des marchands spécialisés de produits de luxe qui avaient toujours cohabité avec les marchands en gros du commerce international, les marchands détaillants de produits ordinaires étant systématiquement exclus quelque soit leur puissance économique. Cependant, une évolution est aisément perceptible au long du XVIIIe siècle. Si la première moitié est illustrée par tous les grands noms du commerce nantais, la seconde moitié ne connaît plus cet avantage, les places étant occupées par des acteurs certes puissants, mais hors de l’élite des plus grandes fortunes qui n’ont donc plus marqué autant d’intérêt que leurs prédécesseurs. Sans doute faut-il y voir encore une certaine forme de mimétisme social, dans un procès d’aristocratisation de familles ayant toutes traduites leur réussite commerciale dans l’achat de noblesse par l’office de secrétaire du roi en chancellerie ou, fait plus rare, par réception de lettres royales d’anoblissement.
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71L’examen des situations sociales des maires et des échevins des corps de ville de quelques grandes villes de l’Ouest montre ainsi l’intérêt et les limites d’une mise en relation de la sociologie édilitaire avec l’équilibre fonctionnel de la ville. Le modèle ternaire issu de l’opposition classique entre capitale administrative et place commerciale a été globalement confirmé, avec l’obligation de prendre en compte des nuances relevant de spécificités institutionnelles locales. Dans la capitale administrative provinciale sans cour souveraine, le corps de ville a longtemps conservé un grand prestige puisqu’il est resté dominé par les officiers royaux, entraînant derrière eux l’ensemble des gens de justice, et ce de manière beaucoup plus décisive pour le poste de maire que pour ceux d’échevin. Dans ces villes, le corps de ville fournissait donc un assez bon reflet de la hiérarchie interne existante, ce qui confortait sa prétention à incarner l’ensemble de la communauté selon le principe de la représentation par les meilleurs au sein d’une société corporative. Les nuances viennent des décalages institutionnels. Tours a connu une présence officière plus lourde qu’Angers à cause de la présence du bureau des finances. Le Mans a vu la robe inférieure conserver sa prépondérance numérique sur la robe officière parce que la ville n’a pas jamais eu de maire.
72Rennes semble confirmer, pour le XVIIe siècle, la tendance à la cession des responsabilités municipales à la robe seconde dans les villes de cour souveraine, les officiers du parlement entraînant ceux du présidial et des autres cours dans leur dédain d’une institution considérée comme marginale dans leur conception de la hiérarchie administrative de l’État royal de justice dont ils étaient les premiers serviteurs. Mieux, l’exil du parlement à Vannes de 1675 à 1691 renvoie même vers le premier type étudié. Par contre, le XVIIIe siècle ne confirme pas cette distribution sociale, avec une saisie du poste de maire par le présidial après une longue phase officière et une forte entrée des avocats dans l’échevinage après la réforme de 1780 alors qu’ils étaient associés à la fonction de syndic au XVIIe siècle. C’est comme si Rennes rejoignait le premier type à un moment où ce modèle fléchissait dans les villes comme Tours et Angers en accordant une place nouvelle au milieu commerçant. Si les conditions spécifiques rennaises – structure municipale en assemblée avant la création d’un corps de ville en 1757, crise politique majeure tant parlementaire que municipale dans les années 1760 et 1770 – oblige à la plus grande prudence dans les comparaisons, le rapprochement avec le retour des officiers de justice et spécialement du présidial dans l’échevinage nantais, en divorce avec l’attitude des officiers des comptes, invite à poser l’hypothèse d’une mutation de comportement des officiers moyens dans les villes de cour souveraine.
73La prépondérance globale des marchands dans le corps de ville de Nantes est naturellement assise sur l’importance de l’activité commerciale dans le développement global de la ville. La nette distinction ente l’échevinage marchand et le poste de maire, resté principalement le fait des officiers de justice, rappelle que la ville n’est pas sans rôle administratif et que cette fonction, dans son importance, sa lourdeur et son prestige, reste fortement liée dans les mentalités collectives au monde des « conseillers du roi ».
74Plus globalement, ce bilan nous suggère quelques réflexions. L’orientation fonctionnelle des villes influe bien de manière prépondérante sur la sociologie des corps de ville, mais elle n’est jamais univoque car il s’agit toujours d’une hiérarchie complexe et évolutive d’activités diverses. Le passage des familles par les responsabilités municipales dépend avant tout de l’appréciation qu’elles en font quant à l’apport en considération sociale dans une situation urbaine en même temps globale et spécifique. Outre que ce jugement peut être évolutif, il résulte toujours du croisement d’une stratégie familiale et d’un comportement mimétique de type catégoriel. Le poids relatif de chaque groupe interne de l’élite urbaine s’inscrit dans une interrelation entre eux : la position des uns dépend partiellement de l’attitude des autres. La poussée des inférieurs dépend largement du désengagement des supérieurs. Cet équilibre interne fluctuant des oligarchies municipales ne pouvait qu’être soumis aux variations de la politique urbaine de la monarchie dans la construction de l’État, en allant de la politique contractuelle de la monarchie des bonnes villes à la tutelle financière étroite de la monarchie administrative, en passant par le stade intermédiaire de l’État de justice des officiers royaux.
Notes de bas de page
1 Bordes M., L’administration provinciale et municipale en France au XVIIIe siècle, Paris, SEDES, 1972, p. 212-230. L’auteur cite des exemples dans de nombreuses provinces : Auxerre, Saint-Quentin, Troyes, Sens, Caen (arch. cne. 1679 : deux gentilshommes, deux officiers ou avocats, deux marchands), Gisors, Dijon (arch. cne. 1668 : deux avocats, deux procureurs, deux notaires ou deux bourgeois), Cahors (arch. cne. 1668 : les deux premiers consuls devaient être gentilhomme, officier ou avocat, les deux autres bourgeois ou marchand), Arles (un gentilhomme, un avocat, un bourgeois ou marchand), Aix-en-Provence (les deux premiers chaperons aux gentilshommes, le troisième aux bourgeois). Pour une étude récente très détaillée du système des échelles dans la province du Languedoc, représentative de toute la France du Midi, voir l’excellent travail de Bonin P., Bourgeois, bourgeoisie et habitanage dans les villes du Languedoc sous l’Ancien Régime, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2005, p. 331-367. Les conséquences sur les origines sociales des consuls sont analysées avec précision pour Montpellier, Narbonne et Albi. Id., ibid., p. 397-407.
2 Petitfrère Cl., « Les officiers dans le corps de ville de Tours aux XVIIe et XVIIIe siècles », dans Cassan M. (éd.), Les officiers « moyens » à l’époque moderne, France, Angleterre, Espagne, Limoges, Pulim, 1998, p. 121-138.
3 . Martin X., « Les faux-semblants d’une réforme municipale, Angers, 1584 », ABPO, 1982, t. 89, no 3, p. 291-292. Id., L’administration municipale d’Angers à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, thèse de droit, université Paris II, 1973, p. 106.
4 . Maillard J., Le pouvoir municipal à Angers de 1657 à 1789, Angers, Presses universitaires d’Angers, 1984, t. 1, p. 228-232.
5 Constant J.-M., « Pouvoir municipal et patriciat dans une ville de l’Ouest de Louis XI à la Révolution : Le Mans », dans Petitfrère Cl. (éd.), Construction, reproduction et représentation des patriciats de l’Antiquité au XXe siècle, Tours, CEHVI, 1999, p. 297-301.
6 Id., ibid., p. 302-307. Id., « Les patriciats d’Orléans et du Mans aux XVIe et XVIIe siècles : étude comparative », dans Collectif, Gens de l’Ouest. Contribution à l’étude des cultures provinciales, Le Mans, LHAM, 2001, p. 238-242.
7 Pour un dernier ajustement de cette problématique, voir Saupin G., « Sociologie municipale des villes de parlement en France au XVIIe siècle », dans Aubert G. et Chaline O. (éd.), Les parlements de Louis XIV. Opposition, coopération, autonomisation, Rennes, PUR, 2010, p. 205-226.
8 Chevalier B., Les bonnes villes de France du XIVe au XVIe siècle, Paris, Aubier, 1982, p. 101-112, 143-150.
9 . Descimon R., « Milice bourgeoise et identité citadine à Paris au temps de la Ligue », Annales ESC, 48-4, 1993, p. 885-906. Id, « Le corps de ville et le cérémoniel parisien au début de l’âge moderne », dans Boone M. et Prak M. (éd.), Statuts individuels, statuts corporatifs et statuts judiciaires dans les villes européennes (Moyen Âge et Temps modernes), Louvain, Garant, 1996, p. 73-128.
10 Croq L., « La municipalité parisienne à l’épreuve des absolutismes : démantèlement d’une structure politique et création d’une administration (1660-1789) », dans CROQ L. (éd.), Le prince, la ville et le bourgeois, Paris, Nolin, 2004, p. 175-201.
11 Saupin G., « Les officiers de la Chambre des comptes de Bretagne et le corps de ville de Nantes sous l’Ancien Régime », Jarnoux Ph. et Le Page D., « La Chambre des comptes », ABPO, t. 108, 2001, no 4, p. 227-248.
12 Coste L., Mille avocats du Grand Siècle. Le barreau de Bordeaux de 1589 à 1715, Bordeaux, SAHCC, 2003, p. 107-126.
13 Barbusse G., Le Pouvoir et le Sang. Les familles de capitouls de Toulouse au siècle des Lumières (1715-1789), thèse d’université, Toulouse, 2004.
14 Cette partie du chapitre a été rédigée par Gauthier Aubert.
15 Croix A. (coord.), La Bretagne d’après Monsieur Dubuisson-Aubenay, Rennes, PUR, 2006, p. 125
16 Encore qu’il y a là une réalité encore mal connue, en particulier pour le XVIIe siècle. Sur le monde marchand rennais, voir en particulier Gicquel C., Les marchands merciers de la ville de Rennes au XVIIe siècle, mémoire de DEA, université Rennes 2, dir. Alain Croix, 2003 et Jarnoux Ph., Les Bourgeois et la terre. Fortunes et stratégies foncières à Rennes au XVIIIe siècle, Rennes, PUR, 1996.
17 Des sondages effectués sur les ascendants des conseillers entrants entre 1577 et 1588, 1641 et 1650, 1690 et 1699, 1741 et 1750, 1780 et 1789, montrent que, sur 188 pères identifiés, deux étaient magistrats au présidial de Rennes et trois officiers de la chancellerie (d’après Saulnier F., Le Parlement de Bretagne, 1554-1790, Rennes, 1909, 2 volumes).
18 « Les corps de ville dans la France moderne. Tendances historiographiques récentes », Bulletin de la Société d’Histoire moderne et contemporaine, 2000, no 3-4, p. 123-135 et, plus récemment : « Fonctionnalisme urbain et sociologie des corps de ville français (XVIe-XVIIIe siècles) », dans Saupin G. (dir.), Le pouvoir urbain dans l’Europe Atlantique du XVIe au XVIIIe siècle, Nantes, Ouest Éditions, 2002, p. 235-258
19 Précisons d’ailleurs d’emblée que, en l’état, il ne m’a semblé possible que d’étudier les personnes définitivement choisies, sauf pour la période 1780-1788. Toute la partie située en amont de la nomination échappe à cette étude.
20 Sur ces questions, et dans une perspective plus ou moins proche : Brejon de Lavergnee J., « Justice et pouvoir municipal à Rennes au XVIe et XVIIe siècles », Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique d’Ille-et-Vilaine, t. LXXXVI, 1984, p. 19-38 ; Garcon J., Préambule à l’étude de la vie municipale à Rennes de 1690 à 1790, mémoire de DEA, Rennes 2, dir. C. Nières, 1989-1990 ; Dewasmes C., La communauté de ville de Rennes de 1700 à 1720, mémoire de maîtrise, Rennes 2, dir. C. Nières, 1993 ; Leuwers H., « L’engagement public et les choix politiques des avocats, de l’Ancien Régime à la Révolution. Les exemples de Douai et de Rennes », Revue du Nord, t. LXXV, no 302, 1993, p. 501-527. Voir également mon article à paraître « Les avocats sont-ils des notables ? L’exemple de Rennes aux XVIIe et XVIIIe siècle », dans Jean-Marie L. et Maneuvrier P., (dir.), La distinction sociale en Normandie et ailleurs, colloque de Cerisy-la-Salle, 2007. Signalons ici qu’avec Philippe Hamon, Georges Provost et une équipe d’étudiants, nous sommes associés au programme d’indexation en ligne des registres de délibérations déjà numérisés et conservés aux Archives municipales de Rennes, sous la direction de Madame Catherine Laurent, conservatrice. Que Philippe Hamon soit particulièrement remercié ici pour sa relecture attentive de ce texte.
21 Le passage du premier au second terme se fait à la fin du XVIIe siècle et ce glissement sémantique mériterait d’être interrogé.
22 Les miseurs sortants établissent une liste de douze personnes susceptibles de leur succéder, liste que peut compléter la communauté.
23 Arch. munic. Rennes, 1014 : Liste de Messieurs les nobles bourgeois et échevins de la ville et communauté de Rennes depuis l’année 1600 jusqu’à 1756.
24 Arch. munic. Rennes, BB 488 et suivant.
25 Les registres des années 1604 et 1605 ont disparu.
26 Période durant laquelle le parlement est à Vannes. Les procureurs sont alors tous, à une exception près, « au présidial ».
27 Pas de nomination en 1693, ni en 1709, et une seule en 1724.
28 Pas de nomination en 1726, 1727, 1728, 1732, 1735 et une seule en 1725, 1731, 1743, 1745.
29 Gicquel C., Les marchands merciers, op. cit., p. 191-192, qui identifie quatre marchands merciers parmi les 8 miseurs des années 1613-1616. Voir également : Brejon de Lavergnee J., « La contribution des trois ordres dans la vie municipale de Rennes au XVIe siècle », C. R. des Journées d’histoire du droit des pays de l’Ouest de la France, 1972, p. 570-571 et Bougerie H., Rennes au XVIe siècle, 1500-1530. La ville, ses hommes, son administration et sa défense, mémoire de maîtrise, Rennes 2, Leguay J. -P. (dir.), 1973. De 1500 à 1530, sur 16 miseurs dont l’état est connu, 11 sont marchands.
30 Descimon R., « “Bourgeois de Paris”. Les migrations sociales d’un privilège, XIVe-XVIIIe siècle », dans Charles C. (dir.), Histoire sociale, histoire globale ?, Paris, 1993, p. 173-183.
31 De 1625 à 1649, sur 25 élections, 15 désignent conjointement un robin et un marchand.
32 Voir l’exemple de la famille de Languedoc (Aubert G., « Gilles de Languedoc (1640-1731), bourgeois de Rennes, greffier de la Communauté de ville et son Recueil historique », Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique d’Ille-et-Vilaine, t. CII, 1999, p. 225-246).
33 À cela s’ajoute la question des procureurs au présidial : alors qu’ils ont évidemment fourni plusieurs miseurs entre 1675 et 1690, plus aucun d’entre eux n’est ensuite choisi avant 1705.
34 Ci-dessus, notes 13 et 14.
35 Arch. munic. de Rennes, BB 25/1.
36 Nieres Cl., Les villes de Bretagne au XVIIIe siècle, Rennes, 2004, p. 485 et suivantes.
37 Saupin G., « Fonctionnalisme urbain », art. cit., p. 254 ; Descimon R., « L’échevinage parisien sous Henri IV (1594-1610) », dans Bulst N., Genet J.-P. (dir.), La ville, la bourgeoisie et la genèse de l’État moderne, Paris, 1988, p. 113-150. La remarque amène à avouer notre relative méconnaissance des choix politiques, particulièrement ceux faits durant la dernière décennie du XVIe siècle (en attendant les résultats de l’enquête dirigée par Philippe Hamon sur la Ligue en Bretagne).
38 Coste L., Messieurs de Bordeaux. Pouvoirs et hommes de pouvoirs à l’hôtel de ville, Bordeaux, 2006, p. 228-230 ; Saupin G., Nantes au XVIIe siècle. Vie politique et société urbaine, Rennes, 1996, p. 163-169.
39 Ce dernier n’est installé définitivement en Bretagne qu’en 1689.
40 Comme Toulouse ou Dijon (Saupin G., « Fonctionnalisme urbain », art. cit., p. 244).
41 Pour le détail : Aubert G., « Les avocats sont-ils des notables ? », art. cit.
42 Bonin P., Bourgeois, bourgeoisie et habitanage dans les villes du Languedoc sous l’Ancien Régime, Aix-en-Provence, 2005, p. 331-371.
43 Pour reprendre la formule célèbre de La Bruyère, Les Caractères, « De la ville », 5.
44 Leuwers H., « L’honneur et l’honoraire : avocats et argent en France aux XVIIe et XVIIIe siècles », Garnot B. (dir.), Les juristes et l’argent. Le coût de la justice et l’argent du XIVe au XIXe siècle, Dijon, 2005, p. 183-192 ; Hamon Ph., « Autour de saint Yves : l’homme de loi, l’argent et l’image (XVIe-XVIIe siècles) », Cassard J.-C., Provost G. (dir.), Saint Yves et les Bretons. Culte, images, mémoire (1303-2003), Rennes, 2004, p. 229-239.
45 Dupuy A., « La Bretagne au XVIIIe siècle. L’affaire de la constitution municipale, épisode de l’histoire de la ville de Rennes (1757-1782) », Annales de Bretagne, 1886, p. 3-71 ; Hamon M., L’administration municipale de Rennes de 1757 à 1789, mémoire (Ms) de DES, université de Rennes, s. d.
46 Pour trois échevins, nous n’avons pas d’indication.
47 Voir ci-dessous.
48 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 244.
49 Ceci ne doit pourtant pas masquer l’existence d’un « problème avocat » au sein de la municipalité, d’aucun les trouvant quelque peu envahissants, jusqu’à ce que l’affaire soit réglée par un arrêt du parlement en 1627 (Aubert G., « Les avocats sont-ils des notables ? », art. cit.).
50 Tel Bossart du Clos, avocat du roi au présidial, dont la famille est en cours d’anoblissement et qui se fait bâtir un hôtel en pierre sur la toute nouvelle place des Lices (Palys E. de, Un maire de Rennes au XVIIe siècle : Jean du Clos Bossart [1603-1687], Saint-Brieuc, 1888).
51 Dont en fait un seul est dit officier de la chancellerie ; les deux autres sont dits avocats, mais on les retrouve dans le fichier établi par Courville L. de (dom), « La chancellerie près le parlement de Bretagne et ses officiers », Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique d’Ille-et-Vilaine, 1997, t. C, p. 45-135 et 1998, t. CI, p. 119-244.
52 Hévin-fils, greffier au parlement quand il devient maire mais qui devient rapidement conseiller au présidial.
53 Gardin, qui était audiencier en la chancellerie jusqu’en 1691, maire en 1693.
54 Courville L. de, « La chancellerie », art. cit., 1997, p. 118-122.
55 Saulnier F., « Pierre Hévin et sa famille à Rennes (1620-1775). Notice généalogique », Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique d’Ille-et-Vilaine, t. XIV, 1882, p. 287-306 ; La Borderie A. de, « Pierre Hévin. Documents pour sa biographie (1684-1710) », Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique d’Ille-et-Vilaine, t. XV, 1882, p. 127-144.
56 Decombe L., « Notice biographique de Rallier du Baty maire de Rennes de 1695 à 1734 », Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique d’Ille-et-Vilaine, t. X, 1876, p. 343-370.
57 Perreon S., L’Armée en Bretagne au XVIIIe siècle, Rennes, 2005, p. 89-92.
58 Arch. munic. Rennes, BB 26.
59 Brejon de Lavergnee J., « Justice et pouvoir », art. cit., p. 35. Sur le présidial de Rennes, voir également : Ducamp E., Le présidial de Rennes, thèse, université de Rennes, 1948 et Audic M., Le siècle noir du présidial de Rennes, mémoire de maîtrise, Rennes 2, 2003.
60 Sur cette question : Giffard René, Essai sur les présidiaux bretons, thèse, université de Rennes, 1904, p. 96 ; Debordes S., « L’activité réglementaire de la sénéchaussée royale de Morlaix à la fin du XVIIe siècle (1676-1700) », Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, t. LXXX, 2002, p. 173-199 et « Les ordonnancements subordonnés des sénéchaussées royales au XVIIIe siècle (1699-1790). L’exemple de la Bretagne », dans Kammerer O. et Lemaitre A.-J. (dir.), Le pouvoir réglementaire, Rennes, 2003, p. 135-167.
61 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 245.
62 Doit-on, ainsi, tenir pour révélateur le fait qu’en 1745 une opposition s’était formée entre le sénéchal Baillon et les conseillers au présidial au sujet d’une usurpation sur les droits de son office, le fer de lance de l’opposition au sénéchal étant alors le conseiller et ancien maire Hévin-père lui-même ? (Bibl. munic. de Rennes, 628/3).
63 Lamarre Ch., « Les hôtels de ville en France du XVIe au XVIIIe siècle : patrimoine et fierté urbaine », Saupin G. (dir.), Le pouvoir urbain, op. cit., p. 87-99.
64 L’idée d’associer les deux institutions dans le même bâtiment remonte à la fin des années 1720, soit bien avant l’arrivée de gens du présidial à la mairie (Nieres Cl., La reconstruction d’une ville au XVIIIe siècle. Rennes, 1720-1760, Paris, 1972, p. 115).
65 Rebillon A., Les États de Bretagne de 1661 à 1789, Paris-Rennes, 1932, p. 117-119.
66 AUBERT G., « Les avocats », art. cit.
67 Aubert G., « Devenir officier dans la milice bourgeois de Rennes sous l’Ancien Régime », Bianchi S. et Dupuy R. (dir.), La garde nationale entre nation et peuple en armes, Rennes, 2006, p. 59-71.
68 Saulnier F., « Le barreau du parlement de Bretagne au XVIIIe siècle (1733-1789). Documents inédits », Revue des provinces de l’Ouest (Bretagne et Poitou), 1855-1856, p. 480-492 ; Saulnier de la Pinelais G., op. cit, p. 185-186 ; Garcon J., op. cit., p. 93.
69 Denis M., Rennes, berceau de la liberté, Rennes, 1989.
70 Voir sur ce point les propos éclairants de l’intendant Caze de la Bove (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 243) et Freville H., L’Intendance de Bretagne, Paris-Rennes, 1953, t. III, p. 39-40, 56, 74-75, à compléter par Saupin Guy, « Les élections municipales en France au XVIIIe siècle : réflexions à partir de l’exemple nantais », RHMC, 46-4, 1999, p. 629-657.
71 Saupin G., « Les corps de ville dans la France moderne », art. cit., p. 130.
72 Chaline O., dans Du parlement de Normandie à la Cour d’appel de Rouen, 1499-1999, Rouen, 1999, p. 108-109 ; Salvadori Ph., « Le Parlement de Bourgogne et la municipalité de Dijon sous le règne personnel de Louis XIV », dans Chaline O., Sassier Y. (dir.), Les Parlements et la vie de la cité (XVIe-XVIIIe siècle), Rouen, 2004.
73 Saupin G., « Sociologie du corps de ville de Nantes sous l’Ancien Régime, 1565-1789 », Revue Historique, CCXCV/2, p. 299-331.
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