1 Shineberg, 1973.
2 L’île de Maré est située à plus de 100 km de la Grande Terre à l’ouest, à moins de 50 km de Lifou au nord et à plus de 250 km de Tanna du Vanuatu à l’est (infra : 26). La morphologie de l’île est celle d’un atoll soulevé formé sur un socle volcanique. Les buttes de l’ancien volcan affleurent aux lieux dits Rawa, Peorawa et Ponibok qui offrent la terre la plus fertile. L’île, d’une superficie de 650 km 2 dépourvue de cours d’eau, a la forme d’un rectangle approximatif de 30 km de large sur 40 km de long et présente un relief plus contrasté que celui des autres îles Loyauté (infra : 45). Maré ne dispose pas d’abris propices au mouillage des bateaux. Sa colonisation foncière pour cette raison ne fut jamais entreprise. La population de Maré était de 7 401 habitants en 2004 (ITSEE-INSEE).
3 La langue de Maré, pene Nengone, appartient à la branche orientale « océanienne » de la famille austronésienne et au sous-groupe des îles Loyauté distinct de celui des langues néo-calédoniennes. Dans la graphie adoptée, le h marque l’aspiration ; le th, dentale continue sourde, est celui de l’anglais ; les dr et tr sont des rétroflexes occlusives respectivement sonores et sourdes, comme dans l’anglais drum et tram ; le r, rétroflexe vibrante, est un peu celui de l’anglais ; les j et c sont des palatales occlusives respectivement sonore et sourde ; le x une vélaire continue sonore ; le ng une vélaire nasale sonore. Les voyelles e et i sont instables, de même o et u. L’accent tonique se place sur la pénultième et produit l’aperture des voyelles e et o. Après une consonne, la dernière voyelle à la fin du syntagme, parfois notée entre parenthèse, est chuchotée ou s’amuït.
4 Je continuerai néanmoins d’utiliser le nom « Maré » et non « Nengone » pour désigner cette île, puisque c’est presque toujours ainsi qu’elle est mentionnée sur les cartes, dans la littérature ethnographique et que les habitants des autres îles du Pacifique la nomment depuis la colonisation.
5 Île de l’archipel des Loyauté située au nord-ouest de Maré.
6 Dubois, 1975 : 279.
7 « Quelle est la règle de droit et d’intérêt qui, dans les sociétés de type arriéré ou archaïque, fait que le présent reçu est obligatoirement rendu ? Quelle force y a-t-il dans la chose qu’on donne qui fait que le donataire la rend ? » (Mauss, 1995 : 148).
8 Godelier (1996) ne dit pas pour qui vaut le terme d’« énigme » : pour ceux qui s’adonnent au don ou pour l’anthropologue qui s’interroge ? Les deux, sans doute…
9 La situation du prisonnier reprise par Caillé est d’ailleurs révélatrice de ce point de vue (Caillé, 2000 : 48).
10 C’est pourtant Bazin qui souligne…
11 « En même temps que A livre le bien concerné à B, il lui donne en plus, en supplément, un objet (“le gage supplémentaire”), qui peut-être sans valeur mais doit être fortement “personnalisé” » (souligné par l’auteur. Bazin, 2008 : 563).
12 La problématique de la division du sujet parlant, dont la psychanalyse décrit la situation clinique, est appréhendée sur un plan plus anthropologique par M. Safouan. On se reportera à son livre dont le titre n’est pas sans rapport avec celui du présent ouvrage : La Parole ou la Mort. Comment une société humaine est-elle possible ? (1993).
13 Lacan, 1981 : 247-250. Que Lévi-Strauss reprend en l’investissant d’un tout autre programme : « Comme le langage, le social est une réalité autonome (la même, d’ailleurs) ; les symboles sont plus réels que ce qu’ils symbolisent, le signifiant précède et détermine le signifié » (Lévi-Strauss, 1995 : xxxii).
14 Christian Geffray s’est engagé sur cette voie en étudiant la mise en circulation de la mort chez les Indiens Yanomami : « La mort qui nous intéresse est celle qui intervient au titre de la preuve, comme prix à payer par le sujet pour attester la valeur subjective. Autrement dit, c’est la mort comme signifiant de la valeur subjective qui déploie ses effets dans cet de langage en vertu duquel n’importe quel sujet parlant peut bien, en effet, se hisser au-dessus de la mort réelle, du “maître absolu” » (2001 : 47).
15 Kilani, 1987 : 205-248.
16 Nous nous référons aux textes de Mauss (1995 : 143-279) et de Sahlins (1976 : 200-236) qui renvoient à la monographie d’Elsdon Best, « Maori Forest Lore of the Maori », Transactions of the New Zealand Institute, 42, 1909 ; Wellington, E. C. Keating Government Printer, 1977. « Je vais vous parler du hau… Le hau n’est pas le vent qui souffle. Pas du tout. Supposez que vous possédez un article déterminé (taonga) et que vous me donnez cet article ; vous me le donnez sans prix fixé. Nous ne faisons pas de marché à ce propos. Or, je donne cet article à une troisième personne qui, après qu’un certain temps s’est écoulé, décide de rendre quelque chose en paiement (utu), il me fait présent de quelque chose (taonga). Or, ce taonga qu’il me donne est l’esprit (hau) du taonga que j’ai reçu de vous et que je lui ai donné à lui. Les taonga que j’ai reçus pour ces taonga (venus de vous), il faut que je vous les rende. Il ne serait pas juste (tiki) de ma part de garder ces taonga pour moi, qu’ils soient désirables (rawe), ou désagréables (kino). Je dois vous les donner car ils sont un hau du taonga que vous m’avez donné. Si je conservais ce deuxième taonga pour moi, il pourrait m’en venir du mal, sérieusement, même la mort. Tel est le hau, le hau de la propriété personnelle, le hau des taonga, le hau de la forêt. Kati ena. (Assez sur ce sujet). » (Mauss, 1995 : 158-159).
17 Firth, 1959.
18 « Le hau n’est pas la raison dernière de l’échange : c’est la forme consciente sous laquelle des hommes d’une société déterminée où le problème avait une importance particulière, ont appréhendé une nécessité inconsciente dont la raison est ailleurs » (Lévi-Strauss, in Mauss, 1995 : xxxix).
19 Sahlins, 1976 : 209.
20 Ibid. : 209.
21 Il semble qu’une part de la difficulté à analyser le texte du hau, comme Salhins l’a souligné en en demandant une traduction précise à B. Biggs et comme Weiner l’a montré à un autre niveau (1992 : 49, 165), vienne du sens des mots maori utilisés par Ranaipiri. Selon la traduction de Bruce Biggs : Na, he taonga toou ka hoomai e koe mooku, « Donc, tu as quelque chose de précieux que tu me donnes » (Sahlins, 1976 : 203), ou selon celle de Mauss établie à partir de la traduction anglaise de Best : « Supposez que vous possédez un article déterminé et que vous me donnez cet article. » (Nous soulignons. 1995 : 158.) Ce que l’on sait des caractéristiques du taonga (Mauss, 1995 : 157) peut justifier l’oscillation entre les deux traductions.
22 Nous mettons entre crochets le signifié occulté. L’igname est un clone Dioscorea, essentiellement alata (infra : 102).
23 Dans le strict registre de l’inaliénabilité – explicitement signifiée par la métaphore du « poil » (di) à l’arrachement duquel on consent parce que sa repousse en annule l’effet –, se situe la relation entre le frère et la sœur, laquelle n’est jamais donnée mais placée auprès d’un tiers extérieur à la fratrie clanique (infra : 72).
24 Échappant à un tel procès, la possession de la « monnaie » (cenge-ni) relève, comme nous le montrerons, de conditions tout à fait différentes (infra : 97).
25 La « chose nue » est ainsi définie à l’opposé de ce que notre concept juridique de « nue-propriété » désigne. Le droit de propriété démembré confère à son titulaire la propriété de la chose, mais ne lui en autorise ni la jouissance, ni la perception des fruits. Le nu-propriétaire ne peut vendre ou céder son droit qu’avec l’accord de l’usufruitier (Code civil, art. 544). Nous définissons la « chose nue » dans le sillage des travaux qu’Agamben a menés sur la « vie nue » : « Est sacrée à l’origine, c’est-à-dire exposée au meurtre et insacrifiable, la vie dans le ban souverain. Et la production de la vie nue devient, en ce sens, la prestation originaire de la souveraineté. Le caractère sacré de la vie que l’on tente aujourd’hui de faire valoir, comme droit humain fondamental contre le pouvoir souverain, exprime au contraire, à l’origine, l’assujettissement de la vie à un pouvoir de mort, son exposition irrémédiable dans la relation d’abandon » (Agamben, 1997 : 93).
26 Si tant est que Waimo puisse concevoir de se livrer à pareille incongruité, une telle conduite relevant exactement, comme nous le verrons, de ce qu’il attend de son épouse (infra : 34).
27 S’agissant de don, l’opposition entre valeur d’usage et valeur d’échange est impropre parce que l’objet du désir ne se distingue pas ici matériellement de sa valeur d’échange comme une marchandise se distingue de la valeur monétaire à laquelle elle se rapporte dès lors qu’une autre marchandise peut se rapporter à cette même valeur. Georg Simmel use de formules parfois très proches de celles que nous adoptons. Son approche oriente toutefois l’analyse vers la production de la valeur « économique » et de sa métamorphose ultime en « argent », évoquant très secondairement, et de manière assez décevante, la situation de l’« échange primitif » (1999 : 77 sq.).
28 On se rappelle l’acuité avec laquelle Lévi-Strauss a observé comment « le partage du vin » vint dénouer l’étrange inquiétude de deux convives réunis par hasard à la même table d’un petit restaurant (1967 : 69-70).
29 On observe ainsi à Maré deux types de flux de biens qui ne se confondent jamais : celui des dons – irrigué par la ferveur cérémonielle des mariages, des deuils et de toutes les occasions qui mobilisent les groupes de parents et d’alliés – et celui des marchandises suscité, comme partout ailleurs, par la confrontation de deux convoitises coextensives l’une à l’autre : celles du marchand pour l’argent du client et de ce dernier pour la marchandise du marchand.
30 Selon le mot de Charles Malamoud, 1989 : 115. Sur le problème de la dette dans le monde indien, voir aussi Malamoud : 1980, 1988.
31 Dans de nombreuses sociétés, à des âges et dans des espaces les plus divers, la construction d’un lieu adéquat pour l’exercice de la parole publique témoigne qu’il n’y a pas de société possible sans une délibération inaugurale, une loi, sur l’accès à la parole et les modalités de son partage. Voir à ce sujet : Qui veut prendre la parole ?, Marcel Detienne (dir.), 2003.
32 L’essentiel de la documentation a été rassemblé et organisé par le travail monumental du Père mariste Marie-Joseph Dubois. Pour un projet qui l’a occupé de 1939, date de sa première affectation à Maré, à 1998, date de sa disparition, il a déployé les compétences d’une formation universitaire initiale en sciences et celle d’un pragmatisme qui le poussaient à une compilation inlassable. Langue, botanique, généalogies, « traditions », inventaire de la culture matérielle, toponymie quasi exhaustive, rien n’échappait aux exigences de son investigation. Voir Illouz, 2000b.
33 Bien que l’approche adoptée ici relève pour une part de l’anthropologie historique, elle prend ses distances avec cette autre anthropologie historique particulièrement en vogue chez les « antistructuralistes » militants. Ces derniers prétendent que le divorce avéré entre le fait résolument moderne et la rêverie exotique leur assigne une mission critique contre ceux qui portent ombrage au réel pur et dur. Persuadés de rendre grâce au travail de l’histoire, ils cherchent pour cela les investissements stratégiques des acteurs sociaux dans la réalité, dans les situations effectives. Cet objet concret et dignement terre-à-terre mobilise, selon eux, toutes les initiatives des dominés, en cela semblables aux dominants certes, mais plus doués qu’eux, soutiennent-ils, puisqu’ils sont stimulés par l’urgence de la résistance à l’ordre colonial, dont les ethnologues fixistes épris de tradition seraient complices… Il n’est pas difficile de comprendre combien ces positions envisagent de flatter l’attente des « dominés » tout en fabriquant le consensus politico-scientifique. Elles ne trouvent au demeurant aucun écho dans le travail présenté ici. Voir, Bensa, « Œuvre complète » ; Guiart, 1966, 1984a, 1984b, 2002 Thomas, 1998 ; Carrier, 1992. En réponse à ce point de vue, voir notamment Lemonnier, 1999, 2004 ; sur le terrain néo-calédonien, Illouz, 2006.