Morisques, esclavage et famille
p. 133-139
Texte intégral
1Depuis une vingtaine d’années ont été conduites de nombreuses recherches tentant de cerner la réalité de l’esclavage dans l’Europe occidentale de l’époque moderne. Longtemps on a cru ou voulu croire que le phénomène avait disparu de cet espace durant la première moitié du XVIe siècle. L’examen précis des registres paroissiaux et le dépouillement de masses d’archives notariales contenant des actes d’achats d’esclaves ont montré que l’homme-marchandise a fait l’objet d’un important trafic, en particulier dans l’Europe méridionale occidentale (Portugal, Espagne, états de la péninsule italienne) jusqu’au XVIIIe siècle. Entre le milieu du XVe siècle, époque où a commencé la traite d’hommes, de femmes et d’enfants de l’Afrique subsaharienne en direction de la péninsule ibérique et les différentes abolitions de l’esclavage promulguées au XIXe siècle (1837 pour l’Espagne, 1876 pour le Portugal par exemple) un nombre très élevé de personnes a été réduit en esclavage. Il est difficile de faire une évaluation globale mais le chiffre de deux millions d’individus a été avancé1.
2L’ordre de grandeur est plausible parce que l’esclavage européen a été nourri par toute une série de flux. Au courant constitué par les Noirs achetés ou capturés à proximité des côtes d’Afrique occidentale s’ajoute un deuxième, tout aussi massif, de Blancs – pour reprendre le vocabulaire de la documentation – provenant de l’ensemble de l’Afrique du Nord, des rivages de l’actuelle Mauritanie, si proches des îles Canaries, aux abords de Tripoli qui a appartenu à l’Espagne pendant une quarantaine d’années (1510-1551). Tripoli, comme Bougie, Melilla, Ceuta etc., a été le point de départ d’incessantes razzias ayant approvisionné les marchés d’esclaves européens via les marchés locaux. Le plus actif de ces derniers a sans doute été celui d’Oran que les Espagnols n’ont définitivement abandonné qu’en 1792.
3D’autres groupes ont ponctuellement complété le monde de l’esclavage ibérique. Ainsi, les guanches, habitants des Canaries, ont tenté vainement de s’opposer à la conquête de leurs îles par les troupes espagnoles. Beaucoup ont été transportés dans la péninsule Ibérique où ils ont été mis en vente, par exemple à Séville où à Valence. Les morisques, descendants des musulmans convertis au christianisme au début du XVIe siècle ont subi, au moins pour une part d’entre eux, le même sort. L’immense majorité continuait de professer son attachement à l’islam dans la clandestinité. Les tentatives de résolution de la question morisque, par la voie de campagnes d’évangélisation et par celle de la répression donnèrent de piètres résultats et aiguisèrent les tensions. Les morisques du royaume de Grenade, que les Rois Catholiques avaient conquis en 1492, se rebellèrent à la fin de l’année 1568 et mirent en échec les armées royales pendant près de deux ans. Les chroniqueurs de cette terrible guerre civile s’attardent sur les atrocités commises de part et d’autre. La question de l’esclavage fut bientôt posée.
4Les soldats des armées de Philippe II s’emparaient souvent de particuliers, presque toujours des femmes et des enfants, dans le but d’obtenir des bénéfices substantiels après négociation du rachat des malheureux par leurs proches. Ils procédaient de la même manière que les soldats des présides maghrébins participant à des opérations de razzia ou que les soldats de l’Afrique subsaharienne faisant des prisonniers. Si les négociations échouaient, les captifs devenaient esclaves. Cependant le cas morisque était paradoxal parce que, les captifs étant officiellement chrétiens, il importait de savoir si la réduction en esclavage était licite. Une junte de conseillers royaux, de théologiens et de juristes réunie pour prendre position sur cette délicate affaire répondit par l’affirmative en invoquant le concept de guerre juste applicable à des rebelles. Elle exclut cependant de l’esclavage les garçons de moins de dix ans et demi et les filles de moins de neuf ans et demi. Ces enfants relevaient du statut des « confiés » (encomendados) à des particuliers qui s’engageaient à les élever et à les laisser à l’âge de vingt ans disposer de leur totale liberté. Comme on peut aisément l’imaginer, la frontière entre l’esclavage et l’encomienda était ténue et nombre d’enfants n’ont jamais joui de la liberté. On considère que 25 000 à 30 000 morisques ont été réduits en esclavage en moins de deux ans (1569-1570).
5Le dossier de l’esclavage morisque ne ressemble à aucun autre. Il est extrêmement limité dans le temps et toutes les opérations qui en sont constitutives ont lieu à l’intérieur de la péninsule Ibérique et même pour l’essentiel dans sa moitié la plus méridionale. Les dimensions relativement étroites de l’espace concerné favorisent la collecte des données moins soumises aux déperditions inhérentes aux trafics réalisés entre continents. Par exemple, nous disposons d’une foule de contrats notariaux qui révèlent le passage décisif de l’état de captif à celui d’esclave.
6En effet, les notaires sont également minutieux dans la rédaction des contrats d’achat d’esclaves et dans celle des contrats de rachat de captifs. Dans les uns et les autres figurent l’identité des contractants, l’âge, le sexe, le lieu d’origine, les caractères physiques des malheureux et bien sûr le montant de la transaction. On peut ainsi mieux mesurer qu’ailleurs à quel point la réduction en esclavage est une modalité essentielle, mais pas la seule, d’un immense trafic. Et aussi saisir l’efficacité ou l’inefficacité des solidarités, familiales, territoriales ou communautaires. L’esclave morisque comme beaucoup d’autres esclaves est d’abord un captif dont le rachat n’a pas été possible.
7Dans l’Europe occidentale des Temps Modernes et donc dans l’Espagne de la fin du XVIe siècle, l’esclave est un être isolé. Il est rare qu’un propriétaire ait plus d’un ou deux esclaves à son service. Ceux-ci sont bien des êtres déracinés qui ont été progressivement séparés des autres membres de leur famille. Dans le cas des morisques, femmes et enfants ont été capturés alors que les hommes adultes avaient pris le maquis. À cette première fracture s’en ajoutaient d’autres parce que les ventes et reventes successives qui permettaient à toute une série d’intermédiaires de tirer un bénéfice avaient souvent pour résultat l’éloignement des enfants de leur mère. Si beaucoup de morisques n’ont jamais abandonné l’idée du regroupement familial, ce fut là un objectif difficilement réalisable, soit faute d’informations sur le lieu de résidence proches, soit faute de moyens.
8Nombreux ont donc été les esclaves devant affronter dans une totale solitude affective une vie privée de liberté. Là encore, alors que l’on sait d’ordinaire peu de choses sur les péripéties de l’existence de l’esclave en milieu européen moderne, nous disposons de précieuses informations concernant les morisques. Je voudrais ici en donner un exemple en examinant les données fournies par un manuscrit de la Bibliothèque Nationale de Madrid2. En 1570, la révolte des morisques du royaume de Grenade avait pris fin avec la déportation de près de 100 000 personnes libres et esclaves dans d’autres territoires de la Couronne de Castille (Andalousie occidentale, Extrémadure, Vieille et Nouvelle-Castille). Une minorité, peut-être 10 000 à 15 000 personnes, dont beaucoup étaient esclaves, put demeurer à l’intérieur des royaumes de Grenade. Quarante ans plus tard environ, en vertu d’un décret promulgué le 4 avril 1609, tous les morisques d’Espagne furent expulsés. Les exceptions prévues par les autorités concernaient des enfants des morisques considérés comme d’authentiques chrétiens et d’autres ayant épousé des vieux-chrétiens. Le manuscrit madrilène est un registre des départs de morisques installés en Andalousie. Au milieu des comptages effectués localité par localité apparaissent parfois des listes d’individus relevant des catégories pouvant échapper à l’exil. Nous y retrouvons des esclaves de 1569 ou 1570 devenus presque toujours libres, et leurs enfants.
9L’échantillon est limité parce que la plupart des morisques réduits en esclavage quarante ans plus tôt et de leurs descendants échappent à notre regard. Beaucoup sont morts entre temps, d’autres ont pu être rachetés par des proches auprès desquels ils ont refait leur vie, d’autres, bien que rares et isolés, sont restés fidèles à leur foi musulmane et ont été expulsés sans la moindre hésitation. Enfin, les commissaires chargés du recensement des personnes visées par la mesure du 4 avril 1609 n’ont pas systématiquement fait mention des cas douteux. Restent cependant 300 hommes, femmes et enfants relevant soit de la région de Ronda, au nord de Malaga, soit de celle de Cazorla, au nord-est de l’Andalousie, pour lesquels sont fournies les précisions permettant de cerner comment les esclaves et les affranchis ont reconstruit leur vie.
10Au moment de leur réduction en esclavage, tous ces êtres ont d’abord perdu leur identité. Nous ne trouvons dans le manuscrit aucune trace de leur dénomination originale. On sait que les morisques du royaume de Grenade avaient conservé l’usage de leur prénom musulman au point que certains parmi eux ignoraient le prénom chrétien imposé lors du baptême. Et dans les documents de tous types (dénombrements, registres paroissiaux, contrats passés devant notaire etc…) leur nom était souvent composé de deux éléments, l’un de langue arabe et l’autre de langue castillane, par exemple Francisco Nuñez Muley ou Alonso Enriquez Caybona. Cette pratique a été prolongée au-delà de l’expulsion de 1570. En revanche, les esclaves n’ont été désormais désignés que par un prénom chrétien dont nous ne sommes même pas sûrs qu’il ait été celui de leur propre baptême.
11L’obtention de la liberté était accompagnée par celle d’un nom. L’immense majorité des personnes citées dans le document ont un nom, ce qui est un indice de leur condition de libre même si celle-ci n’est pas spécifiée. Il en va ainsi de la plus jeune d’entre elles, Nicolas Martin, 3 ans. Il convient d’examiner l’ensemble de la mention concernant Nicolas : « Nicolas Martín pequeño de tres años, hijo de Hernán Martin de Alcantara, cristiano viejo que lo uvo en María morisca esclava de D. Bartolomé del Valle rescatóle el dicho su padre tienele en su casa criando3. » Nicolas porte le nom de son père qui l’a racheté à son propriétaire tandis que la mère de l’enfant encore esclave en 1609 est désignée par son seul prénom.
12Les esclaves peuvent être même rejetés dans un anonymat complet. Nous ne connaissons que très rarement les prénoms des esclaves décédés dont les enfants figurent dans notre document. La formule commune d’enregistrement des cas que nous étudions traduit dans sa brutalité la réification de l’être privé de liberté. Il importe de souligner que les affranchis demandeurs sont fils ou filles de vieux-chrétiens. Aussi l’identité de l’enfant et celle de son père sont-elles clairement précisées. En revanche la mère n’apparaît que dans sa fonction d’objet sexuel et de reproductrice. Si l’on sait que le petit Nicolas Martín est fils de Maria, c’est probablement que la proximité dans le temps de sa naissance permet aux témoins de se souvenir du prénom de la mère. Au-delà de quelques années, et surtout si la mère est décédée, l’amnésie quant à l’identité de celle-ci est totale. La formule est on ne peut plus brutale. « La hubo en una morisca esclava » littéralement « le vieux-chrétien a eu l’enfant en une morisque esclave ».
13De cette manière, nombreuses sont les esclaves qui ont eu un ou plusieurs enfants du fait de relations sexuelles qui ont été le plus souvent, peut-on imaginer, imposées. Il est rare que l’on puisse connaître l’identité du père d’un enfant mis au monde par une esclave. Les registres de baptêmes sont à cet égard systématiquement muets et exceptionnels les testaments où un individu reconnaît avoir eu un fils ou une fille d’une union avec une esclave. Le manuscrit madrilène n’échappe pas toujours à l’ambiguïté. À Carzola, Alfonso de Torres déclare être maître d’Ana, 28 ans, qu’il a achetée quinze ans plus tôt, donc en 1595, à un prêtre du village de Caniles (royaume de Grenade). Mais, étrangement, Ana serait née chez Bartolomé de Torres, père d’Alfonso, et sa mère Leonor était l’esclave de Bartolomé. Ce dernier aurait confié à son fils que le père d’Ana était vieux chrétien. Ne serait-ce pas un remords de conscience qui amènerait Alfonso à tenter de faire échapper sa propre demi-sœur à l’expulsion ?
14Il est donc difficile de mesurer l’étendue du service sexuel exigé des femmes esclaves par leur maître. Cependant pour Ronda et sa région, les déclarants sont davantage explicites. D’une part, de nombreux maîtres avouent être les pères de leurs esclaves. Parmi eux, à Ronda même, l’exéchevin fils de Castroverde, le licencié Oviedo, le familier de l’inquisition Luis Perez Gutierrez, le notaire Gaspar Illescas, le jurado Juan Jimenez Portillo. Bien entendu, les pères peuvent être des membres de la famille du maître comme à Cartagima où le géniteur de l’enfant d’une esclave était le fils du maître. D’autre part, les témoins désignent ceux dont la paternité est notoire : « on dit que » (dicen ser), « il est public que » (es público) etc.
15Les déclarations permettent de reconstituer des parcours où la pauvreté affective a été constante. Brianda Perez a été, dit-on, esclave d’Antonio de Atencia chez qui, petite, elle a été élevée. Donc elle a été réduite en esclavage en dépit des dispositions officielles. Elle a plus tard mis au monde une fille, Ana, dont le père était vieux-chrétien mais dont nous ignorons le nom. Brianda a été émancipée et, libre, a eu une seconde fille Isabel qui réside chez Miguel Sanchez son père. Cette femme, qualifiée de vieille dans le document, ne peut avoir plus de 45 à 50 ans puisque Isabel est une « muchacha de poca edad ». On peut se demander combien d’enfants elle a mis au monde au cours de son existence mais en 1610 elle est séparée des deux encore vivants. Tandis que la seconde vit avec son père, l’aînée, après avoir été esclave d’un maître différent de celui de sa mère, a été affranchie et a épousé le fils qu’une autre esclave a eue du maître de celle-ci.
16On peut aussi raisonnablement penser qu’un nombre élevé de femmes sont mortes en couches. Leonor de Silva, habitante du docteur Villafranca, déclare ne pas avoir connu sa mère tout comme Beatriz Rodriguez, fille de Juan Jimenez, habitant du Burgo, village proche de Marbella.
17Si la vie de toutes les femmes réduites en esclavage a été placée sous le signe de la misère affective, leurs enfants ont au moins parfois bénéficié de circonstances plus favorables et en particulier d’attentions de leurs pères et des proches de ceux-ci. Cela est surtout vrai dans le milieu des élites locales. Il est ainsi une fille d’esclave qualifiée de « doña », terme que l’on réserve aux femmes d’un rang social élevé. Juan Delgado de Ortega son père a pris, semble-t-il, grand soin d’elle (aliméntola como tal hija) et l’a mariée à un notaire. Le couple a trois jeunes enfants. De son côté, Maria de Oviedo, fille du licencié de même nom, s’est considérablement éloignée de la condition de sa mère puisqu’elle a épousé un procureur de la ville de Ronda. Lucas Cerrato, également procureur, est fils d’une morisque et d’un certain Juan Marquez de Morales dont nous ne savons rien. Mais sa mère était esclave de Doña Maria Cerrato qui l’a mariée à Ana, elle aussi fille d’esclave morisque. Ana a été affranchie et dotée par son père, le jurat Juan Jimenez, propriétaire de sa mère. Enfin Miguel et Elena Nuñez qui vivent à Atajate, village de la serranía de Ronda, sont les enfants d’une esclave, Isabel Hernandez, dont le maître était Gaspar Nuñez de Castañeda, qualifié par le document d’hidalgo. Ce dernier est le père de Miguel mais Elena est, selon la rumeur publique, fille d’un autre homme, Alonso Gomez. Miguel et Elena sont mariés, lui à Maria Gomez avec qui il a déjà eu trois enfants, elle à Pedro Nuñez, neveu de Gaspar Nuñez de Castañeda. Ce dernier couple a cinq enfants vivants. Le document livre une dernière information importante. Le mariage d’Elena a été organisé par doña Maria, sœur d’Alonso Gomez. On est dès lors en droit de se demander si doña Maria n’est pas tout simplement l’épouse de l’hidalgo Gaspar Nuñez de Catañeda. Si on accorde crédit à cette hypothèse, Isabel Hernandez aurait eu des relations avec les deux beaux-frères. Elle fut sans doute affranchie sans que l’on sache pourquoi elle s’appelle Hernandez. Ses enfants ont, eux, porté le nom du maître de leur mère et ils ont été mariés à une femme et à un homme sans doute apparentés, l’un et l’autre, à leurs maîtres.
18J’ai déjà évoqué plus haut deux cas de mariages entre enfants d’esclave. Ce fut là une pratique courante, car nous en trouvons d’autres exemples : ainsi, Ana fille d’esclave et elle-même affranchie a épousé Diego Hernandez, fils du vieux-chrétien Bartolomé de Medina et d’une esclave. Cependant, être affranchi ou enfant d’affranchi n’empêchait nullement d’envisager de convoler avec une personne sans ascendance servile. Ils sont ici des dizaines dans ce cas. Malheureusement nous ne savons pas souvent, en dehors de leurs noms, qui sont ces conjoints. Tout incite à penser qu’ils appartiennent à des milieux très modestes. À Ronda, le mari de Maria Dominguez est cordonnier tandis que celui de Leonor de Silva, à Marbella, est marin et celui de Beatriz Rodriguez, jardinier. Au Burgo, Maria de Alfaro, qui a été mariée trois fois, a un dernier époux, guarda del campo. D’autres conjoints sont étrangers, portugais ou français et, à Cortes, Juana Gonzalez a pour mari un mulâtre.
19Ces données, en dépit de leurs limites, doivent être rapprochées des analyses ayant tenté de cerner le mariage des esclaves dans la péninsule Ibérique, quelle que soit leur origine, maghrébine ou subsaharienne4. Les esclaves se marient d’abord entre eux et, quand ils épousent une personne de condition libre, il s’agit d’ordinaire de domestiques ou d’autres personnes de milieu très modeste. Encore faut-il qu’ils parviennent à convoler, car les maîtres sont presque toujours hostiles au mariage de leurs esclaves qu’ils perçoivent comme une possibilité d’échapper à leur contrôle.
20Le manuscrit madrilène illustre parfaitement la difficulté qu’ont les esclaves à pouvoir se marier. Rares, très rares sont les femmes qui trouvent un conjoint après avoir eu un enfant illégitime. Elles demeurent célibataires comme beaucoup d’autres qui n’ont pas eu d’enfant. Les listes indiquent la présence d’esclaves qui ont été affranchis au simple motif que leur rendement était devenu mince (por muy viejas). Si l’une d’entre elles a été recueillie par le gendre de son ancien maître et une autre par un curé de paroisse, quatre sont réunies sous le même toit pour mieux affronter les difficultés quotidiennes. Les mères se distinguent en ce qu’elles ont obtenu plus tôt la liberté. Il semble qu’une partie des propriétaires aient émancipé en même temps mère et enfants. C’est là un élément qui doit être confirmé mais, si tel était le cas, on ne pourrait écarter l’idée que des femmes esclaves aient accepté des relations avec leur maître dans l’espoir d’échapper à leur condition et de refaire leur vie.
21Le second enseignement majeur de l’échantillon est qu’une partie de la société espagnole du début du XVIIe siècle ne répugne pas à contracter une alliance matrimoniale avec un morisque issu de surcroît d’une union illégitime. Ni l’impureté du sang ni la bâtardise n’ont constitué des obstacles insurmontables dans les cas que nous avons étudiés. Nous pouvons bien sûr nous interroger sur la représentativité d’un sondage étroit qui s’intéresse aux plus isolés et aux mieux intégrés des morisques dans la société majoritaire. N’oublions pas que les encouragements répétés des autorités – sous forme d’exemptions fiscales – à l’union de morisques et de vieux-chrétiens ont donné de piètres résultats tout au long du XVIe siècle. Il n’en reste pas moins que, sans vouloir faire de généralisation abusive, l’image traditionnelle du morisque suspect d’hérésie et de trahison n’a pas d’effet, en 1610, sur des milieux divers à l’échelle locale.
Notes de bas de page
1 Stella A., Histoires d’esclaves dans la péninsule ibérique, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2000, p. 79.
2 BN Madrid, ms. 9577.
3 « Nicolas Martín, enfant de trois ans, fils d’Hernán Martín de Alcantara, vieux-chrétien qui l’a eu de Marie morisque esclave de Don Bartolomé del Valle. Celui-ci l’a racheté et l’élève chez lui. »
4 Vincent B., « The Affective Life of Slaves in the Iberian Peninsula, 16th-17th Centuries », Saint-Saens A. (dir.), Sexe and Love in Golden Age Spain, New Orleans, University Press of the South, 1996, p. 71-78.
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