1 Mohamed Nachi, Matthieu de Nanteuil (dir.), Éloge du compromis. Pour une nouvelle pratique démocratique, 2006.
2 « Mais Julie Mikhaïlovna ne fut pas d’accord ; son caractère méprisait le juste milieu mesquin. » Fédor Dostoïevski, Les Possédés, 1972.
3 « La télévision nationale, qui avait installé ses caméras sur la tribune, a diffusé ce discours en direct, sur fond de cohortes de femmes en tchador noir et de miliciens au front ceint d’un bandeau rouge qui ponctuaient les phrases de l’ayatollah de vigoureux “Mort à l’Amérique”, “Mort à Israël”, “Mort à ceux qui acceptent des compromis”. » Le Monde, 16 juin 2009.
4 Georges Bernanos, Les Grands Cimetières sous la lune. Pour la forme adjectivée du mot (compromis, ise), ce dictionnaire indique : « “Les plus compromis de ses adhérents ne pensaient qu’à la fuite.” Mérimée, Histoire du règne de Pierre le Grand. » Et pour compromettre : « “Vous vous compromettez d’une horrible manière et, si vous n’y prenez garde, vous allez vous perdre de réputation.” Th. Gautier, Fortunio. »
5 « Vous mon ami vous aimez l’entre-deux. Et moi aussi j’en raffole. Pire qu’un chien. Dans le temps, quand je tenais plus du chien que de l’homme. Ah cet adorable entre-deux. J’en bavais de plaisir. Vous savez, quand le soleil monte ou descend. Ce n’est pas le jour ni la nuit non plus. Mais l’entre-deux. » John Edgard Wideman, Deux villes, Gallimard, 2000.
6 L’ouvrage de Benjamin peut être lu à cette aune : le passage parisien, à partir des années 1825, est une forme ambiguë (« Ambiguïté complète des passages : rue et maison à la fois », p. 856) car, simultanément, elle concrétise un moment d’expansion du capitalisme industriel, avec ses structures de fer et de verre et ses marchandises fétichisées – un espace, courant entre des blocs entiers d’immeubles, destiné au commerce des marchandises de luxe – et ouvre sur un avenir utopique possible – le projet de Charles Fourier d’implanter ses phalanstères le long de ses « rues-galeries ».
7 S’ensuit une longue énumération de Gadda, fustigeant les architectes du pays, confondant dans leurs bâtiments « le premier empire et le second ; le liberty, le jugendstil, le corinthe, le pompéien, l’angevin, l’égypto-Sommaruga et le Coppède-galeazzien ; les casinos de plâtre caramélisé de Biarritz et d’Ostende, le PLM et Fagnano Olona, Monte-Carlo, Indianapolis, le Moyen-âge ». Le lecteur, s’il connaît un peu ces styles et ces villes, peut alors imaginer sans peine le résultat de ces « compromis » architecturaux…
8 « Compromis, (Jurisprud.) est un écrit signé des parties par lequel elles conviennent d’un ou de plusieurs arbitres, à la décision desquels elles promettent de se tenir, à peine par le contrevenant de payer la somme spécifiée dans le compromis. On peut par compromis, au lieu d’arbitres, nommer un ou plusieurs arbitrateurs, c’est-à-dire amiables compositeurs […]. Pour la validité du compromis, il faut 1° Que l’on y fixe le tems dans lequel les arbitres doivent juger. 2° Que l’on y exprime la soumission des parties au jugement des arbitres. 3° Que l’on y stipule une peine pécuniaire contre la partie qui refusera d’exécuter le jugement. » Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des arts, des sciences et des métiers (1751-1772). L’Oxford English Dictionary indique, pour les deuxième et troisième sens du mot, apparu au cours du XVe siècle : « A joint promise or agreement made by contending parties to abide by the decision of an arbiter or referee. Also, the document in which such an agreement is drawn up. » « The settlement or arrangement made by an arbiter between contending parties ; arbitration. » Ce même dictionnaire indique la présence de la figure de « compromiser », qui n’existe pas en langue française : « one who acts as arbiter in a dispute » ou « an advocate of compromise or partial concession ».
9 De même, remarque Thomas Schelling en liminaire de sa section sur la promesse dans son Essai sur la notion de négociation (dans Stratégie du conflit, 1986), que le droit d’être poursuivi par un tribunal est à l’origine du droit de contracter des engagements. Sans droit de poursuite, le bon déroulement des affaires commerciales ne serait pas garanti – et les promesses non tenues.
10 Exemples du dictionnaire Grand Robert de la langue française (1985).
11 « Il y a certaines choses, indique l’Encyclopédie, dont il n’est pas permis de compromettre, telles que les droits spirituels d’une église, les choses qui intéressent le public, ni sur des aliments laissés par testament pour ce qui en doit échoir dans la suite. On ne peut non plus compromettre sur la punition des crimes publics ; mais on peut compromettre sur les intérêts civils & sur les dépens d’un procès criminel, même sur les délits que l’on ne poursuit que civilement. »
12 Dans les Antimémoires de André Malraux, on lit le passage suivant : « En décembre 1936, Tchang Kaï-chek, venu inspecter le front anti-communiste du Nord, fut arrêté par le chef des troupes mandchoues, le “jeune maréchal” Tchang Sue-Liang. Chacun pensait qu’il allait être exécuté ; mais un envoyé (des russes ?) négocia, et le généralissime fut remis en liberté contre la promesse de combattre enfin les Japonais et non les troupes de Mao. Rentré à Nankin, il tint sa promesse, ce qui laissa chacun – et d’abord les Américains – stupéfait. Quel engagement avait pu le lier à ce point ? Or, l’envoyé, c’était Chou En-laï » (p. 418).
13 Jean-Daniel Reynaud, dans Les Syndicats en France, tome 1 (1975) a décrit cette spécificité française, comparée au contrat collectif nord-américain ou à la convention de travail anglaise. Voir le chapitre consacré à « La négociation et la convention collective », p. 173-228. Reynaud, en conclusion, y proposait, sans déplorer ces spécificités, de les considérer comme des ressources, en envisageant l’accord collectif, dans le cadre d’une négociation devenue « permanente », comme « une sorte d’accord glissant, prêt, par prudence, à tenir compte des événements nouveaux et des préoccupations nouvelles ».
14 Dans un entretien récent, McKersie reconnaissait cette dette et indiquait que le terme de Folett, « intégration », était « le fondement même de nos travaux sur la négociation intégrative ». Pour l’entretien complet, voir Négociations, volume 2007/1, « Qu’est-ce qui est le plus difficile, la négociation à la table principale, ou la négociation loin de la table, à la seconde table ? »
15 Voir Lionel Bobot, « Les effets de la pression du temps sur les négociations bilatérales et multilatérales », Négociations, vol. 2008/2.
16 Jean-Daniel Reynaud, « Ce que produit une négociation, ce sont des règles », entretien, Négociations, 2005/2.
17 Pas mal d’entre elles sont, en fait, des négociations de composition, au sens où nous l’avons défini dans l’étude précédente (des ajustements, pour que le cours d’action puisse se poursuivre sans trop de heurts). L’analyse de ces négociations langagières quotidiennes nous renseigne sur les mécanismes internes des négociations. Pour une étude d’ensemble, voir Catherine Kerbrat-Orecchioni, Le Discours en interaction, 2005, notamment tout le chapitre 2, « Les négociations conversationnelles ». Voir aussi, du même auteur, « Négocier dans les petits commerces », Négociations, volume 2004/2, et de Laurent Fillietaz, « Négociation langagière et prise de décision dans le travail collectif », Négociations, 2005/1.
18 Il y a une présomption générale, écrit John Hicks dans Theory of Wages, 1932, qu’il sera possible d’obtenir plus « by negotiating than by striking », en négociant plutôt qu’en poursuivant la grève.
19 « Bien entendu, les deux parties entrent rarement dans des situations de négociation s’il n’existe pas de bonnes perspectives de transformation du jeu à somme nulle en jeu à somme positive. S’il n’existe aucune relation ou gain mutuel possible, il peut s’avérer difficile de fonder une base de négociation uniquement sur l’espoir d’un éventuel bénéfice. Dans de nombreux cas, la partie initiatrice aimerait négocier, mais l’autre partie refuse, ne voyant que ce qu’elle peut y perdre. Dans ce cas, l’une doit inciter l’autre à entrer en négociation. S’il n’existe aucune relation préalable, ce qui est souvent le cas – et l’absence de relation implique alors une absence de confiance –, il est peu probable que la perspective d’un gain mutuel substantiel (via la négociation intégrative) puisse être utilisée comme base significative pour ces négociations. » Richard Walton et Robert McKersie, A Behavioral Theory of Labor Negotiations, 1965, p. 399. L’ensemble du chapitre 11, d’où est tiré cet extrait, a été traduit en français : Négociations, volume 2007/1, p. 123-164.
20 La notice ajoute que le compromis établi par les parties concerne certains objets, spécifiés par le compromis – et eux seuls. « Le pouvoir du compromis est borné aux objets qui y sont exprimés, & ne peut être étendu au-delà. »
21 Pour un exposé systématique et pédagogique : Jean-Daniel Reynaud, Les Règles du jeu. L’action collective et la régulation sociale, 1989. Pour une courte présentation du concept : « Conflit et régulation sociale. Esquisse d’une théorie de la régulation conjointe », Revue française de sociologie, 1979.
22 David Weiss, Beyond the walls of conflict, 1996. Une traduction de ce livre en français est proposée par Jean Boivin, Au-delà du conflit, Québec, 1999.
23 Vouloir satisfaire tout le monde et ne satisfaire personne : tel est l’affliction du compromis. Ainsi de ces deux commentaires d’avocats des parties civiles à l’issue du procès de Maurice Papon : « Un verdict mitigé. C’est la décision intermédiaire du peuple français, c’est un compromis. On a fait un pas en avant, mais je regrette qu’il n’y ait pas eu reconnaissance de la participation de l’administration Française, à travers un de ces membres, à l’assassinat perpétré par Vichy. » (Me F. Favreau) ; « On a oublié la complicité d’assassinat. Notre message n’est pas passé. Nous voulions réussir la réintégration pleine et entière de la communauté juive dans la nation par une décision sans équivoque […]. La tâche qui reste à accomplir est immense. C’est un jugement de Salomon […]. On a l’impression que la cour et les jurés se sont arrêtés en chemin » (Me G. Boulanger).
24 Pour une observation attentive du déploiement, des avantages et des effets pervers des points focaux, voir Christian Morel, « Variations sur la négociation tacite et le point focal de Thomas Schelling », Négociations, volume 2004/1.
25 Voir, pour cette méthode de partage pragmatique, l’ouvrage de Stevens Brams et Alan Taylor, Fair Divisions. From Cake-Cutting to Dispute Resolution, University Press, Cambridge, 1996. Pour une revue des diverses techniques de résolution de litiges par des solutions compromissoires, voir l’article de Jean-Christophe Pereau, « Négociation et théorie des jeux : les “dessous” d’un accord acceptable », Négociations, volume 2010/1, n ° spécial « Penser la négociation », Colloque de Cerisy – 2008.
26 « La torsion du compotier, écrit Jean Clay, dans Comprendre l’impressionnisme, 1984, à propos de la toile de Cézanne “Compotier, verre et pommes” (1879-1882), nous fait sentir la présence de la surface verticale du tableau. C’est cette verticalité qui travaille l’objet, qui l’infléchit. Sa position intermédiaire nous apparaît comme le fruit d’une “négociation” entre le plan du support et la fuite horizontale de la perspective » (p. 113).
27 « Visiblement, la position de “l’entre-deux” n’est pas recommandable en histoire de l’art. Considéré comme un Fauve mineur ou un Cubiste inabouti inspiré par Cézanne, Othon Friesz se transforme progressivement en un spécialiste des marines et des figures féminines peintes avec un réalisme aux accents sensuels. Cette position fait de Friesz un “deuxième violon” dans l’orchestre de la modernité », Beaux-arts Magazine, n ° 274, avril 2007, p. 40.
28 Dans la première, dit-il, les hommes recherchent les biens du corps ou de l’âme, ou des deux ; mais beaucoup s’y égarent, avec de vains raisonnements et le cœur insensé et obscurci. Dans la seconde, « il n’y a qu’une sagesse, la pitié qui rend au vrai Dieu le culte qui lui est dû ». Ces cités sont donc irréductibles l’une à l’autre.
29 De même pour les plats salés et sucrés : ils se succéderont au cours d’un repas (s’ils se combinent – un sorbet avant une viande ; un boudin aux pommes, etc. –, ce ne sera que dans des situations appropriées, non généralisables).
30 « Eux, et tous les animaux selon leurs espèces, tout le bétail selon son espèce, tous les reptiles qui rampent sur la terre selon leurs espèces, tous les oiseaux selon leur espèces. » Genèse, 7, 14.
31 Les botanistes ou les entomologistes parleront ainsi de « fleur parfaite » ou de « insecte parfait ».
32 « Quand on relate que dans certaines conditions sociales, note Simmel (1999, p. 341), il est considéré comme chevaleresque de voler et de se battre pour voler, alors qu’échanger et acheter sont considérés comme des actes indignes et vils, c’est en raison du caractère de compromis de l’échange, de la concession et du renoncement, qui en font le pôle opposé au combat et à la victoire. »
33 Jean Baechler, Le Capitalisme, 1. Les origines. 2. L’économie capitaliste, 1995. Voir par exemple le chapitre VII, 2, « L’anticapitalisme ». (p. 268-287). Dans l’ouvrage initial, Les Origines du capitalisme, 1971, Baechler écrivait ceci : « La société occidentale a donc produit cet être bizarre qu’est le bourgeois, voué exclusivement au profit et profondément insatisfait, parce que son genre de vie n’est pas reconnu par le groupe et qu’il lui est impossible d’atteindre à la dignité sans renoncer à lui-même. Un homme riche, de plus en plus, et de plus en plus puissant, mais qui ne peut rien faire de sa puissance » (p. 118).
34 On rapprochera ici l’otium pratiqué par l’otiosus – celui qui n’est pas pris par les affaires publiques – du « souci de soi », ou du fait de « prendre soin de soi-même », qu’analyse Foucault dans ses travaux sur l’histoire de la sexualité (voir Le Souci de soi, 1984). Négocier, nec otium, à l’inverse, c’est se tourner vers les autres, être attentif à leurs demandes.
35 Pour des extraits, et un propos sur les représentations sociales du travail usinier, voir notre ouvrage La Boîte, le singe et le compagnon. Syndicalisme et entreprise, 1994.
36 On pourrait ici, dans une tentative pour mieux comprendre pourquoi le dialogue social, en France, peine autant à s’établir, revenir sur la manière dont la question sociale elle-même, dans ses dimensions économiques et politiques, fut traitée par les gouvernants depuis Napoléon III. Une telle histoire est éclairante : quand, pour des motifs de prix du pain, une grève usinière est déclenchée, et que le préfet local envoie l’armée et ses chassepots la réprimer dans le sang, la propension au compromis, de la part des réprimés, est plus qu’affaiblie… De même, la répression sanglante de la Commune de Paris par le gouvernement M. Thiers, en mai 1871 supprima, pour des décennies, la possibilité que se nouent des rapports sociaux pacifiés. Le lecteur intéressé trouvera une solide argumentation en ce sens dans les propos de Michel Rocard, répondant à Frits Bolkenstein, dans Peut-on réformer la France ?, 2006, p. 32-38.
37 Nous reprenons là la typologie proposée par Roberto Miguelez, Les Règles de l’interaction. Essais en philosophie sociologique, 2001.
38 Ainsi de l’accord secret passé entre Radovan Karadzic, selon les dires de ce dernier, et Richard Holbrooke, négociateur au nom des États-Unis et artisan des Accords de Clayton en 1995, qui mirent fin aux guerres civiles dans l’ex-Yougoslavie. « Inculpé pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre depuis juillet 1995, notamment pour le massacre de Srebrenica (plus de 7 000 victimes) et le siège de Sarajevo, indique le journal Le Monde du 25 mars 2009, Radovan Karadzic soutient que le diplomate américain lui a promis l’impunité en échange de son retrait de la scène politique après la fin de la guerre de Bosnie en 1995. Lors de sa dernière audition devant les juges du TPIY, le 3 mars, M. Karadzic estimait que « les guerres ne peuvent se terminer, et les paix ne peuvent se conclure sur la base de tromperies. Ce tribunal n’a pas le droit de me juger » ajoutait-il en référence à cet accord.
39 Cette équivocité, selon Boltanski et Thévenot, permet cependant le rapprochement entre les mondes (donc le jugement, donc l’action). Par exemple, « la qualité » et ses dispositifs serviront de passerelle entre les mondes industriel, marchand et domestique ; ou les « manifestations de rue » seront un pont entre mondes de l’opinion et civique, etc. Mais ces objets restent ambigus et devront, dans les épreuves où ils sont mobilisés, être « durcis » (p. 339). Car il est toujours possible « de revenir au différend en relançant la controverse sur la nature des objets dont il importe de tenir compte pour faire une épreuve probante. »