1 Pour une présentation de ces champs de négociation, « interpersonnelle », « intra-organisationnelle » et « inter-organisationnelle », voir Reynald Bourque et Ch. Thuderoz, Sociologie de la négociation, 2002.
2 Nous nommons « régimes » ces ensembles composés : 1) de pratiques sociales plus ou moins routinières et codifiées ; 2) de jeux d’acteurs plus ou moins structurés et institutionnalisés ; et 3) de représentations sociales de ces pratiques et de ces jeux. Le terme de « régime » est ici approprié : à l’instar du « régime fiscal », du « régime hypothécaire », du « régime féodal », du « régime des retraites » ou encore du « régime matrimonial », ces « régimes de négociation » sont autant de manières de régler et gouverner des actions sociales.
3 Nous raisonnons donc ici en termes de types idéaux. Rappelons que chez Weber, à qui l’on doit le raisonnement, l’idéaltype est une accentuation unilatérale d’un ou de plusieurs points de vue, rassemblant une multitude de phénomènes isolés, choisis unilatéralement par le chercheur, formant ainsi un tableau de pensée homogène. Ce tableau est donc une utopie ; mais une utopie fonctionnelle : en confrontant diverses situations à ce tableau idéal, le chercheur peut constater combien la réalité s’en approche, ou s’en écarte. Notre raisonnement en régimes, que nous distinguons et opposons, s’inspire de ce principe méthodologique.
4 Nous reprenons là l’expression proposée par Bernard Dugué, Le Travail de négociation. Regards sur la négociation collective d’entreprise, 2005.
5 Nous empruntons ces exemples à Jean-Daniel Reynaud, Les Règles du jeu, p. 15.
6 Paroles de grève, 1996. Film de Sabrina Malek et Arnaud Soulier.
7 Propos cité dans le journal Le Monde, 14 mai 2008.
8 D’où le phénomène de la prise d’otages par des groupes rebelles, pour peser sur les négociations avec le régime qu’ils combattent, mais aussi pour publiciser leurs revendications. Cf. le cas du Nigeria, où de multiples enlèvements de travailleurs pétroliers sont opérés par les forces rebelles depuis le milieu de la décennie 2000.
9 [http://www.pon.harvard.edu/].
10 Ce qui définit une méthode d’investigation du négocié : être attentif à ces basculements, les saisir comme une ponctuation du social. « Pour comprendre l’enchevêtrement du réel des sociétés humaines avec leur foisonnement et leur animation indescriptibles, écrit Simmel (1999, p. 137), le plus important est d’exercer son regard à repérer les débuts et les transitions, les formes de relation simplement esquissées qui disparaissent aussitôt, leurs réalisations embryonnaires et fragmentaires. » On pourrait ainsi centrer l’observation, pour comprendre ces négociations ordinaires, moins sur le passage du composé au négocié que son inaccomplissement, son irréalisation.
11 Voir, pour cette scène d’ajustement, le chapitre de Jean-Philippe Neuville, « Au-delà du pouvoir. Négociation et régimes de coopération dans l’action organisée », in Thuderoz et Giraud-Heraud (2000).
12 Pour une des meilleures analyses, à ce jour, de cette négociation intra-organisationnelle, voir Walton et McKersie, 1965, chapitres 8 et 9. Des exemples figurent dans leur chapitre 11, à propos de la crise des missiles de Cuba et des luttes pour les droits civiques. Traduction parue dans Négociations, volume 2007/1. Pour deux analyses récentes, voir : Christian Morel, « Les processus de négociation intra-organisationnelle », Négociations, n ° spécial « Cerisy – Penser la négociation », volume 2009/2 ; Ch. Thuderoz, « À propos de la négociation intra-organisationnelle », in Aurélien Colson (dir.), Entrer en négociation. Mélanges en l’honneur de Ch. Dupont, à paraître, 2011.
13 Lavinia Hall et Charles Heckscher, « Avant les intérêts : la reconstruction identitaire. Remarques à propos des négociations entre dominants et dominés », Négociations, volume 2007/2.
14 Negotiations. Varieties, Processes, Contexts, and Social Order, 1978, p. 5-6. Nous citons la traduction française, parue dans Anselm Strauss (textes réunis et présentés par Isabelle Baszanger), La Trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionnisme, 1992, p. 245.
15 Celui de Lewicki et Litterer, déjà cité, offre ainsi, p. 72, un utile « planning guide for negotiations », en 27 items, depuis, par exemple, « Quelle fut, dans le passé, ma relation avec mon adversaire, et cela va-t-il affecter la négociation qui s’engage ? » à « Quels sont les points forts de mes arguments ? » ou « Si ma stratégie échoue, quelles sont mes options alternatives ? ». On ne saurait trop – au risque de se répéter – recommander l’utilisation de ce manuel, dans l’une de ses rééditions successives (Essentials of Negotiation). Pour une présentation de l’ouvrage et ses multiples dérivés, voir leur recension par Arnaud Stimec, Négociations, volume 2007/2.
16 Définitions tirées du Grand Larousse de la langue française, 6 volumes, Paris, 1973.
17 On occultera ici le fait que la qualification de son offre par Harry est, sous cette forme, de nature à irriter Johnston (et tout autre négociateur à sa place) : elle signifie que celle de Johnston est « irraisonnable » et que seul Harry procède avec justesse. Les manuels de négociation recommandent ainsi de ne pas qualifier les offres, les siennes ou celles de l’adversaire, mais de les argumenter.
18 Yves Lichtenberger (2000), mobilisant son expérience d’ancien négociateur syndical pour la CFDT, raconte ainsi comment les négociations salariales dans la branche papier-carton, invariablement, pendant plusieurs années, débutaient à dix heures du matin et se terminaient dans la nuit, à trois ou quatre heures du matin. Pourtant, une demi-heure après le début de la réunion, on pouvait prévoir avec une grande certitude le pourcentage d’augmentation obtenu vingt heures plus tard. Pourquoi attendre la nuit pour contracter ? Parce que cela aurait fait apparaître le responsable CGT comme traître ou collaborateur et le soumettait à la critique (dure) de ses mandants. Que l’accord soit signé dans la nuit, après le rituel des affrontements, des manœuvres dilatoires et des suspensions de séances le lavaient de tout soupçon ; il montrait ainsi qu’il s’était battu jusqu’au bout…
19 Le ministère du Travail français avait ainsi, pendant de longs mois, après que les partenaires sociaux français eussent élaboré le dispositif du PARE, Plan d’aide au retour à l’emploi, en 2000, bloqué son inscription dans le corpus législatif réglementant l’aide et la rémunération des chômeurs indemnisés.
20 Manœuvres et tactiques que liste soigneusement Pierre Goguelin dans son ouvrage La Négociation, frein et moteur du management (1993) : tactiques visant à mettre l’adversaire en situation réelle ou ressentie d’infériorité ; visant à déstabiliser et désunir le camp adverse ; visant au renforcement de la cohésion et de la cohérence dans son propre camp ; visant la manipulation du camp adverse.
21 Sur cette privation volontaire de liberté des individus pour conserver néanmoins leur liberté de mouvement, voir Jon Elster, Le Laboureur et ses enfants. Deux essais sur les limites de la rationalité, Paris, Minuit, 1987.
22 Lavinia Hall et Charles Hecksher, « Avant les intérêts, la reconstruction identitaire », Négociations, volume 2007/2.
23 Peu d’exemples littéraires sont aujourd’hui disponibles ; un effet d’hystérèse est ici indéniable ; la littérature semble préférer les situations classiques de marchandage et de régulation d’intérêts, probablement du fait du mouvement immédiatement lisible qu’elles procurent ; il faudra donc attendre quelques années pour que les écrivains s’emparent des conflits valoriels et de leur résolution pratique.
24 Voir Nancy Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, Paris, éd. La Découverte, 2005 ; Axel Honneth, La Société du mépris. Vers une nouvelle Théorie critique, Paris, éd. La Découverte, 2006.