Chapitre IV. Défense et victimisation
p. 117-157
Texte intégral
1Face à leur mise en cause, les accusés construisent leur défense. Universitaires, praticiens du discours et professionnels de l’écrit, parfois de la rhétorique, ils sont nombreux à rédiger des mémoires (parfois imposants) reprenant les griefs retenus contre eux. Certains s’emploient avec minutie à retracer leur parcours, leur état d’esprit au moment des faits, leur perception des choses et des événements, du régime, de l’institution des mesures d’exclusion, du STO, de leur rôle et de leur volonté de bien faire... Ayant été généralement suspendus après leur mise en cause, les universitaires disposent du temps nécessaire pour mener cette réflexion et organiser leur défense. Ils sont nombreux, comme on l’a vu, à collecter des témoignages en leur faveur et fournir des attestations de proscrits qu’ils ont pu aider. Certains, prévoyant que cela pourrait leur être utile, le plus souvent à partir de 1943, avaient d’ailleurs anticipé la quête de ce type de témoignages favorables lesquels, nous l’avons vu précédemment à propos des recteurs, ne provoquent pas toujours l’indulgence d’un Conseil supérieur d’enquête rompu à ce type d’argument de compensation. Il n’est question ici que d’inventorier les principaux modes de justifications développés à partir des cas les plus ordinaires, en laissant volontairement de côtés ceux qui ont fait l’objet d’études préalables1.
L’aveu et la revendication
2Du point de vue des universitaires mis en cause, les accusations peuvent être réparties selon une ligne de clivage simple. Reconnaître ou non les faits. Beaucoup ne le sont pas parce qu’ils sont souvent attestés par des témoignages mal étayés ou qui laissent subsister le doute. C’est la raison pour laquelle nombre de griefs sont abandonnés par le Comité supérieur d’enquête, dès lors que ses investigations relativisent des accusations généralement ponctuelles qui ne reflètent pas la conduite générale du fonctionnaire. D’autres le sont et sont même revendiqués. L’aveu est fréquent dans le discours des accusés. Mais il s’agit rarement d’un aveu simple et univoque. Plutôt d’un « oui mais » justifiant qui son adhésion au maréchalisme, aux « Amis du Maréchal », à la Légion des Combattants, qui sa présence à telle manifestation officielle, à un mouvement, ou de façon plus abstraite, une manière de penser... ; de façon toujours très provisoire. L’enjeu de l’échange lors des auditions est naturellement la bonne foi de l’accusé.
« – Vous avez été pétainiste ?
– Oui je l’ai été, je le reconnais. Je croyais que le Maréchal voulait faire l’union des Français. C’est pourquoi j’ai adhéré aux “Amis de la Légion”.
– Le portrait du Maréchal que vous aviez dans votre bureau provenait-il d’un envoi du ministère de la propagande ou bien vous l’êtes-vous procuré vous-même ?
– Je l’avais acheté dans un magasin quelconque
– Avez-vous fait de la propagande en faveur de Vichy ? Portiez-vous la francisque ?
– [...] Non.
– Avez-vous été pétainiste jusqu’au bout ?
– Quand les Allemands ont envahi la zone sud, j’ai été étonné que le Maréchal n’ait pas donné sa démission. J’ai pensé qu’il voulait sauver le peu qui pouvait être sauvé. J’ai gardé cette confiance encore quelques mois.
– Avez-vous été lavaliste ?
– Ah non ! Je n’ai jamais été collaborateur et par conséquent je n’ai jamais fait de propagande pour la Collaboration [...]2. »
3Dans les justifications des accusés, on retrouve classiquement l’écart, qui frise parfois l’antinomie, entre le chef de l’État français et Pierre Laval sur qui se cristallise l’idée de collaboration avec tout ce qu’elle comporte de charge négative. Laval est le versant noir du pétainisme car c’est lui qui en en incarnant la politique lui donne sa vraie dimension. Rien de neuf dans cette opposition entre deux images politiques : l’icône de la victoire opposée au politicien douteux. Le même se prévaut d’être entré dans une « violente colère » en découvrant certains membres du gouvernement et l’écart existant entre le projet politique, notamment à propos de la famille et leurs mœurs parfois douteuses :
« [...] Car j’ai vu revenir au pouvoir un certain nombre de gens qui nous avaient conduits à la débâcle. Ce n’est pas nouveau. Je me rappelle en particulier d’un accès que j’ai eu quand j’ai appris qu’Ybarnegaray devenait ministre de la famille. Cet homme qui a peuplé tout le sud-ouest de ses bâtards, devenir ministre de la famille française ! C’était une plaisanterie de mauvais goût ! [...] Je suis rentré à Bordeaux, – pas très fier de retrouver les Allemands que je connaissais, car j’ai été prisonnier en 1918 après cinq ans de guerre dans l’infanterie. En arrivant à Bordeaux, j’ai été stupéfait, scandalisé de voir l’attitude adoptée par les Bordelais en général – il y a eu des exceptions – vis-à-vis des troupes d’occupation [...]3. »
4Les considérations morales qui fondent l’appréciation de l’accusé sont sans doute à apprécier en tant qu’elles attestent de sa moralité et de sa rectitude de mœurs. Cette défiance quant à la vie privée d’Ybarnegaray, si elle est fondée, pourrait d’ailleurs s’appliquer au moins en partie au maréchal lui-même. L’appréciation portée sur l’attitude moyenne des Bordelais à l’arrivée des Allemands procède de cette même intention consistant pour atténuer sa propre mise en cause, à montrer que d’autres bien plus que lui, ancien combattant et prisonnier en 1918, avaient eu une attitude moins digne que la sienne. Cette posture fréquente induit une forme d’injustice au nom de laquelle on juge un accusé alors que d’autres échappant au procès ont agi de façon pire que lui. Selon cette logique, beaucoup se ressentent victimes d’un processus de jugement patriotique arbitraire d’autant plus mal venu qu’ils ont prouvé lors de la guerre précédente leur dévouement à la France. Mais si la référence au passé patriote d’ancien combattant est communément employée, et ce à juste titre puisque pour beaucoup, les universitaires sont d’anciens poilus, c’est surtout dans le passé proche, celui de la défaite que l’on trouve un corpus de justification à la mesure de l’ébranlement moral qu’elle représenta a fortiori pour cette génération.
La défaite
5L’ouvrage célèbre de Marc Bloch L’Étrange Défaite, en dit assez long sur ce que fut tant le traumatisme que ses prolongements et ses effets sur la perception des événements. Mais appliquées aux soldats, au moral des troupes françaises dont nos universitaires firent partie avant d’être démobilisés, « Les réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de guerre », du même Marc Bloch quoiqu’issues de la guerre précédente, traduisent bien la défaite de l’esprit critique, de la lucidité et de l’intelligence des événements dans les situations exceptionnelles : « On ne dira jamais à quel point, l’émotion et la fatigue détruisent tout sens critique, écrivait-il [...], le doute méthodique est d’ordinaire le signe d’une bonne santé mentale. C’est pourquoi les soldats harassés, au cœur troublé, ne pouvaient le pratiquer4 ». Ce constat renvoie universitaires ou autres intellectuels à peu près au même rang que leurs concitoyens dans l’entropie guerrière5.
6Si la défaite est un élément déterminant, on peut penser que certains universitaires la vécurent à travers ce qu’ils en avaient lu. Rappelons que les défaites eurent parfois des conséquences universitaires inattendues par leur effet stimulant sur les sciences comme la géographie (la première chaire en France est créée à Nancy après la défaite de 1870), ou la géopolitique, née en Allemagne après 1918. La défaite nous intéresse ici en tant qu’elle est présente dans une bonne partie des justifications des accusés, confirmant si besoin était, l’importance du choc qu’elle suscita jusque dans les rangs de l’élite enseignante. La défaite fut-elle acceptée comme une étape intermédiaire indispensable ? Certains récits des anciens ramenaient l’idée de défaite à un simple intermède nécessaire avant la victoire, selon un processus discursif passant d’abord par l’occultation : la défaite s’avoue rarement. Elle se transforme ou se cache derrière l’écran du langage. Car le déni colle souvent à la défaite tant est grande pour le vaincu la tentation de n’y voir qu’une phase transitoire vers une victoire future. Les hommes de lettres accusés lors de l’épuration pensaient-ils aux auteurs classiques ? à Démosthène en 332 avant J.-C., qui réfute le vocable de défaite à la suite des victoires de Philippe de Macédoine, en lui préférant celui de « guerre défensive » ? Peu pourtant semblent chercher dans la culture antique une version comparable à la débâcle du printemps 1940. Si d’aventure elle se trouve revendiquée, c’est généralement que la défaite peut permettre, en célébrant un vaincu, de mieux magnifier un vainqueur ou de mieux légitimer un pouvoir en place. Il n’est donc pas rare que soit convoquée la mémoire pour sa vertu compensatrice6. D’où la recherche fréquente d’événements similaires dans le passé qui puissent expliquer le désastre présent. Vichy s’inscrit dans le même système de discours que dans nombre de défaites étudiées, où il est courant que le processus de compensation se traduise par la désignation des responsables, mais aussi de victimes expiatoires. On sait comment Vichy construisit sa légitimité sur l’exclusion et la mystification d’ennemis intérieurs. Tout en magnifiant le vainqueur de Verdun et son action protectrice dans la défaite. La célébration de son courage et de ses qualités de soldat atteint au sublime. Comme dans d’autres conflits, la défaite de 1940 génère un héros dans un processus empruntant beaucoup à la symbolique des martyrs, où elle se sacralise et, transfigurée en sacrifice originel, devient l’événement fondateur d’une unité nationale. C’est le sens même de la révolution nationale. Comme Scipion battant Hannibal (le vainqueur de - 216 à Cannes, devenu vaincu en - 204 à Zama), la défaite peut être refondatrice. Tite-Live tira de cette inversion du rapport entre vainqueur et vaincu, une formule demeurée célèbre : victi vincimus (vaincus, nous sommes vainqueurs). La célébration d’une mémoire victorieuse de la défaite, en forme de leçon de patience, nourrit-elle les espérances muettes d’universitaires, lecteurs de L’histoire de l’empire romain ?
7Selon cette logique de la perte, le consentement du vaincu, parfois dans l’ambivalence de sa propre perception de l’événement, peut devenir également fondateur. Le processus s’inverse alors en substituant au feu sacré de l’espoir d’une revanche, l’auto anéantissement par le doute qui peut laisser le sujet en proie à toutes les tentations autoritaires. Cette réflexion initiée par Pierre Laborie lors d’un colloque sur « la défaite » prend forme de leçon d’histoire et doit sceller la certitude que l’acceptation de la défaite, contretype de l’esprit de résistance, porte moins sur l’événement en lui-même que sur son statut et sur le sens que chacun a pu lui donner. Ces considérations si elle peuvent être fécondes dans le rapport à la défaite du sujet-citoyen n’en sont pas moins partiellement adaptées au contexte dans lequel les universitaires accusés justifient leur attitude. Les arguments avancés procèdent autant de la perception mémorielle de l’événement, quatre ou cinq ans plus tôt, que d’un contexte judiciaire poussant naturellement à une subjectivité que l’on pourrait qualifier de « défensive ». Ce, sans même arguer franchement de la mauvaise foi pourtant assez répandue chez les intéressés. Rapporté à ce que pouvait écrire sur « l’égarement » des témoignages, il y a bientôt trente ans, Lucy Dawidowicz, pionnière en ce domaine quoique dans le contexte beaucoup plus tragique des survivants du génocide, on doit en effet prendre acte de la fragilité du matériau7. On ne peut que demeurer prudent tout en gardant à l’esprit, qu’à la différence des témoignages bruts des survivants des camps et des ghettos, ceux dont il est question ici ne procèdent évidemment pas du même traumatisme pouvant biaiser les souvenirs. En cela, les rapports d’enquête et les contre témoignages sont un complément précieux autant qu’un garde-fou. Et dans un certain nombre de cas, la validation des arguments par les rapports d’enquête peut aider malgré tout à saisir au moins en partie, la pertinence de certaines justifications.
La défaite et la fascination
8On sait qu’une des causes profondes de la compromission sous Vichy fut la fascination pour le Maréchal. Le vainqueur de Verdun n’offrait-il pas toutes les garanties d’un patriotisme trempé dans la lutte contre le même ennemi hier vaincu et aujourd’hui vainqueur ? Mais l’aura qui entourait le Maréchal, celle du soldat vainqueur, n’aurait été que simple considération, vestige de la mémoire nationale, si elle ne s’était combinée avec la défaite. La défaite qui, après la victoire, avait nivelé l’orgueil national et bouleversé les consciences. Ceci y compris pour ceux qui paraissaient les plus clairvoyants. L’exemple d’Emmanuel Mounier, lequel offrait pourtant toutes les garanties que pouvaient offrir un tenant de la gauche républicaine face à Vichy, est là pour rappeler les effets et l’ampleur du désastre : antimunichois, antifasciste, anti-totalitariste, anti-antisémite, le directeur de la revue Esprit n’en vit pas moins sa clairvoyance d’avant 1940 entamée par les séquelles émotionnelles de la débâcle, fondement de la tentative de rénovation vichyssoise. Pour le philosophe aveuglé par la grande secousse de 1940, la défaite devint bien plus qu’un événement traumatisant : le seul événement possible, le jugement définitif de l’Histoire ; un donné à partir duquel tout devait être repensé8. Comme si au fond une vraie débâcle obligeait ceux qui la vivent à repenser le monde à partir de ce point zéro de leur orgueil, voire de leur propre existence citoyenne. Il faut dire que Mounier était peut-être prédestiné à l’anéantissement dans le rapport de fascination qu’il entretenait, comme d’autres, avec ce serpent de mer qu’est la décadence nationale. Si l’on en croit Pierre Hebey en effet, Mounier et la rédaction d’Esprit s’étaient enthousiasmés dès 1931, à la parution d’un livre, Décadence de la Nation française, écrit par deux inconnus, Robert Aron et Arnaud Dandieu qui décrivaient la France « comme malade de l’Europe ». « Nouvelles critiques, nouveau succès, constate Hebey, avec Demain la France, écrit par trois normaliens de l’Action française9 ». Les attaques contre les tares du régime se succédèrent et Drieu paraît bien exprimer un sentiment général en écrivant dans son journal, le 25 juin 1940 : « [...] La décomposition de la France creuse dans l’Europe un trou de scandale, d’horreur et pourrait prendre un caractère de fascination décourageante10 ». Le désastre, résume Hebey, « apparaît comme l’aboutissement logique d’un long processus de décomposition commencé depuis vingt ans et même davantage, car la République avait bénéficié d’une rémission inespérée grâce à sa victoire de 191911 ».
9La production littéraire ne manque pas d’exemples de ce nivellement patriotique provoqué par la débâcle qui se prolonge au-delà de l’année 194012. C’est cette « fable du désenchantement national » que traduit Drieu La Rochelle dans son ouvrage Les Chiens de paille pourtant rédigé entre avril et août 1943 (mais dont l’action se déroule en 1942). À travers trois personnages, un gaulliste, un communiste et un collaborateur, Drieu montre que bien qu’étant d’acharnés adversaires politiques, ils se ressemblent pourtant tous. Car tous ont perdu leur qualité de « vrai Français » pour devenir des agents de l’étranger, de l’Angleterre, de la Russie soviétique ou de l’Allemagne : « Vous n’êtes plus du tout patriotes les uns ni les autres. L’époque du patriotisme, finie13 ! » Car tous ces chiens de paille opposent leur point de vue sans jamais assumer leur engagement traître à leur patrie. Dans un autre genre, celui de l’essai, un chapitre intitulé « l’ingratitude des clercs », dans Après la défaite de Bertrand de Jouvenel, on peut lire que « dans l’Europe de Versailles, les “intellectuels” se trouvent à l’apogée historique de leur pouvoir14 ». N’hésitant pas à comparer la France de l’entre-deux-guerres avec celle d’avant la Révolution, Jouvenel écrit : « les gens de lettres se retrouvent en 1920-1935, dans une situation analogue à celle des années 1760-1790. Les bourgeoisies régnantes s’adonnent à la lecture comme les aristocraties régnant au dix-huitième siècle [...] (les intellectuels) se montrent pire que leurs devanciers. Pour un Siegfried, pour un Romier, qui s’appliquent à comprendre, à expliquer leur époque, combien de Cocteau et combien de Guéhenno ! Il y a le clan des “purs artistes” qui prétendent ne rien devoir à leurs contemporains, et puis le clan toujours croissant des “antifascistes”15. Les purs artistes et les antifascistes ont détruit le patriotisme et ont mené la vraie France à l’abîme. Face au désarroi de la défaite et au sentiment d’humiliation dont les causes sont à rechercher, comme le proclame à grand renfort de moyens le nouveau gouvernement, dans un passé de jouissance et de désordre, le sens de la discipline et de l’ordre dont fait preuve l’occupant, de la hiérarchie et de l’organisation, de la rigueur, etc., sont autant de contretypes au laxisme français.
10Autre exemple, celui d’André François-Poncet, d’autant plus significatif que, normalien et germaniste, il a été ambassadeur français à Berlin entre 1931 et 1938. Il connaît donc bien l’Allemagne et quoiqu’étant de droite, il n’avoue pas sa fascination pour le régime nazi. André François-Poncet s’était nourri d’un sentiment générationnel, refusant après l’affaire Dreyfus les clivages idéologiques. Des jeunes gens comme lui, au sein de ce que l’on a appelé « la génération Agathon »16, étaient séduits par Barrès et les valeurs patriotiques et religieuses, le goût de l’action, du sport, la défiance envers le parlementarisme ; persuadés qu’un conflit avec l’Allemagne était inéluctable. Dans ces éditoriaux du Figaro, il analysait la défaite comme relevant de trois travers propres aux Français : une propension nationale à la discorde, un déficit moral de la vie publique entre-deux-guerres, et une santé physique, « une hygiène nationale » déficiente par opposition à l’Allemagne. Les mots-clés de ces éditoriaux, comme l’a analysé Hans Manfred Bock, étaient « régénération », « rénovation », « redressement », « relèvement », « renouveau », « rebondissement », « élaborer une France nouvelle17 ». Comme par réflexion optique négative, cette fascination s’exerce pour l’occupant. Elle s’exprime également à l’occasion, dans le monde universitaire par l’admiration des moyens scientifiques qu’il sait se donner. Ce sentiment paraît comparable à ce que remarque Marc-Olivier Baruch dans les sphères de la haute administration : « la fascination, écrit-il, pouvait également être moins globale et passer du terrain de l’idéologie à celui de la technique. Les “réalistes” émerveillés par la puissance économique, industrielle et militaire du Reich, estimaient de leur devoir de faciliter l’insertion de la France dans un nouveau système continental. C’est Bichelonne, ce “super-major-de-Polytechnique-qui-avait-obtenu-plus-depoints-qu’Arago” qui incarne le mieux les illusions de ce groupe de collaborateurs par amour des projets rondement menés18 ». À l’université, la fascination matérielle prend une tournure sans doute relative comparé aux technocrates, excepté dans les sciences appliquées. Mais c’est le patrimoine culturel allemand antérieur et étranger au régime qui touche les littéraires. Certains n’hésitent pas à traduire leur fascination dans des discours enflammés, usant et abusant de références au passé, dans des excès mystiques mal venus. Ainsi, dans une conférence prononcée en 1941 à la Sorbonne, un professeur d’allemand de la faculté de lettres de Paris déclarait :
« N’oublions pas que Goethe a connu lui aussi des années terribles et que dans des circonstances douloureuses pour sa patrie, fidèle à son désir de plénitude et son imperturbable équité, il n’a jamais consenti à dresser l’Allemagne contre la France comme une antinomie foncière et tragique [...] Puissions-nous, nous aussi, nous tous, hommes d’Occident, constructifs et laborieux, sortir du Vide éternel, abjurer la magie décevante qui cherche le Signe sans vouloir la chose et fabrique l’apparence sans y mettre l’esprit ! Refoulant alors les flots qui la recouvrent encore, nous verrons naître une terre nouvelle : l’Europe à laquelle Goethe avait rêvée [...]. Ce jour là, comme Faust, ne pourrons-nous pas dire, et avec quelle joie exaltée : O Weile doch du bist so schön ! Et nous aussi nous serons sauvés19. »
11La fascination dans le trouble des premiers temps peut se conjuguer avec un ego bien développé et se confondre avec l’ambition personnelle. Une forme de fascination de soi dans un avenir prometteur. L’ambition de certains universitaires peut-elle être comparée à celle d’Alfred Fabre-Luce écrivant dans son Journal de France, emporté tant par son souci d’anticipation que par le souci de démontrer son intelligence supérieure ? Raymond Aron s’interroge sur cet homme qui passe pour « le plus intelligent de France » lequel, dès le 16 mai 1940, au moment de la percée de la Meuse, perçoit « chez certains Français un ralliement décidé, conscient, à l’hitlérisme... Ce soir là, ils sont sûrs que l’Europe est faite et il osent s’en réjouir ». « Pourquoi Fabre-Luce qui se pique de lucidité, écrit Aron, n’est-il pas conscient de l’indécence de telles remarques ? pourquoi n’éprouve-t-il pas, même rétrospectivement (Le Journal de France fut réécrit après-guerre), le besoin de camoufler cette fureur de soumission, cette absence de toute réflexion patriotique20 ? » Cette fascination atteint-elle en secret chez les universitaires, cette dimension sensuelle revendiquée par un Drieu résolument décomplexé dans son admiration ? Une irrésistible attirance pour la jeunesse, le corps-vainqueur (ou des vainqueurs), une sensualité à l’opposé des stéréotypes de l’intellectuel falot et chétif ? Car pour Drieu, comme le souligne Francine de Martinoir, « la France était vieille, et dans don désir d’un pays jeune, passait une autre de ses fascinations, la plus forte, la plus profonde, celle des beaux corps masculins, sportifs, en particulier ceux qu’il avait vus à Nuremberg en 1935 [...] Que de beaux hommes ! » s’était-il écrié dans son journal à cette vue. Salut par le sport, réhabilitation du corps et de la force, haine du régime parlementaire, tout l’a poussé vers le parti de Doriot, le PPF. Le 13 mai 1940, il note dans son journal : « je sens les mouvements de Hitler comme si j’étais lui-même, je suis au centre de son impulsion. Mon œuvre dans sa partie mâle et positive est son incitation et son illustration21 ». Une prose qui doit satisfaire Céline, pourfendeur truculent de la dévirilisation du roman d’avant-guerre22. On atteint là un rapport de fascination où s’enchevêtrent mysticisme nazi, narcissisme littéraire et pulsion homosexuelle mal assumée. Les analyses, pionnières, de Georges Mosse montrent bien les corollaires inavouables de cette « beauté sans sensualité » qui fonde le dispositif esthétique fasciste23.
12On ne s’étonnera guère que les révélations des archives universitaires soient plus laconiques. L’aveuglement, sincère ou feint, qui caractérise l’attitude de la plupart de ceux qui sont inquiétés ici, relève avant tout d’une fascination toute aussi irrationnelle quoique plus contenue pour le maréchal.
La fascination maréchaliste
« Monsieur le Maréchal
à chaque nouveau coup qui a frappé la France, je lève les yeux vers votre image, dans mon bureau, et c’est à vous que je pense, à vous qui êtes la France même. Avec la même ferveur que l’an dernier, je me permets, Monsieur le Maréchal, de vous adresser, à l’occasion de votre fête, tous mes vœux, et l’expression très respectueuse de mon dévouement total24. »
13Étonnant hommage qu’on s’attendrait à trouver extrait d’un cahier d’écolier et pourtant rendu par un universitaire.
14On sait que le Maréchal dans l’atmosphère d’abattement qui suivit la débâcle focalisa espoir et soulagement. La Révolution nationale martela cette évidence du Chef au charisme quasi-divin. Relever la France imposait un mea culpa collectif et une rénovation nationale jetant à bas la vieille république qui avait mené à la défaite. Si l’opinion se coupa lentement du régime au cours de l’année 1941, le Maréchal demeura en retrait du mouvement de désapprobation. Sa personne magnifiée par la propagande comme son passé glorieux, symbole d’espoir, faisait figure d’antidote à l’abattement, aux difficultés du quotidien et à la dureté de l’occupation. Vichy n’était qu’un régime mal né de la défaite. Pétain un vainqueur incontestable auquel la nation défaite pouvait s’identifier. Les voyages du Maréchal à travers la France suscitèrent un engouement renouvelé dans de nombreuses villes, où les foules semblaient trouver dans l’auguste vieillard, l’icône indispensable à l’espoir dans les lendemains. Homme de droite conquis puis déçu par le Maréchal, un enseignant fournit les explications suivantes :
« [...] Vis-à-vis du gouvernement de vichy, j’ai gardé une attitude boudeuse et de mécontentement – car je voyais l’anarchie qui existait – jusqu’en octobre 1941. En octobre 1941, je suis allé à Cauterets faire une cure. C’était la première fois que j’allais en France non occupée. J’ai trouvé à Cauterets un de mes amis médecin à Agen, à qui j’exposais ma rancœur et mon désappointement et cet ami me répondit : “On voit bien que vous venez de France occupée. Vous vivez sous le boisseau, ici on respire un air plus pur... Il y a un mouvement patriotique incontestable qui s’ébauche. Si vous venez chez moi, je vous offre le gîte et le couvert pour quelques jours à l’occasion de la visite que le Maréchal va faire à Agen.” J’ai accepté. C’était, je crois, un dimanche, et j’ai vu là, au long d’une journée – je le dis parce que c’est la réalité – une foule de plus de 100 000 personnes acclamer le Maréchal dans un enthousiasme délirant, de pavoisement, de chants, de musique, et cet homme qu’une certaine radio nous présentait comme un vieillard incapable de se tenir debout, est resté toute la journée debout, dans une attitude de dignité remarquable, causant avec la foule dans des reparties qui ne manquaient ni de finesse ni de sagesse, et ce spectacle m’a ému profondément : Je le dis parce que c’est la vérité. J’ai été mis à cette occasion en rapport avec les camps de jeunesse et j’ai été à même par la suite de visiter le camp de jeunesse d’Argelès ; j’ai vu là l’œuvre admirable réalisée par le général de la Porte du Theil. J’ai vu de jeunes chefs de chantiers qui essayaient de reprendre ces jeunes gens, d’en faire des jeunes gens dignes de la patrie à laquelle ils appartenaient. J’ai vu une compagnie du 18e régiment d’infanterie défiler un jour dans Cauterets où j’étais venu terminer ma cure, dans un ordre impeccable, dans une tenue absolument remarquable, salut aux couleurs le matin, le soir. Ce n’était pas là une attitude de collaborateurs ! J’étais parti désespéré, je suis revenu plein d’espoir.
J’ai exposé mon état d’âme à quelques amis qui m’ont demandé de faire une conférence, une relation anecdotique sur ce voyage, à l’Athénée municipal, sous l’égide des Amis du Maréchal. Je ne connaissais pas ce groupement, je ne lui appartenais pas, je ne lui ai jamais appartenu, j’ai été sous son égide faire une conférence pour raconter ce que j’ai vu. [...] Mon enthousiasme, par la suite, n’a pas duré, parce que j’ai vu revenir en 1942 au pouvoir Pierre Laval. J’ai cru, au moment de Montoire que le mot “collaboration” n’était qu’un mot inventé par le Maréchal pour jouer l’ennemi, quelque chose dans le genre de Stresemann avec son “finassieren”. Je me suis vite rendu compte que ce n’était pas tout à fait cela, et j’ai repris mon attitude boudeuse du début. Là dessus est arrivé novembre 1942 qui fut pour moi le tréfonds du précipice avec la perte de notre flotte [...], cela a été pour moi un véritable désespoir. Depuis cette époque, j’ai cessé d’être pour le Maréchal25. »
15Le mouvement patriotique incontestable qui s’ébauche..., l’espoir qui fait suite au désespoir, l’œuvre admirable des chantiers de jeunesse, la vaillance de cet homme « qu’une certaine radio » présentait comme un vieillard, cette « collaboration » qui n’était qu’un mot inventé par lui pour se jouer de l’ennemi. On tient là en quelques mots les lignes de force de l’approbation à l’ordre nouveau fut-il une simple illusion. L’enthousiasme retombe avec le retour de Laval et disparaît complètement avec la perte de la flotte de Toulon. Cet événement qui traumatise l’orgueil national de cet universitaire de la faculté de médecine, associé à la radicalisation du régime, fait office de révélateur à la fin de l’année 1942 et éteint sa fascination pour le Maréchal.
16La fascination pour le vainqueur de Verdun touche les fonctionnaires les mieux placés dans l’ordre des corporations. L’exemple d’Eugène Marquis, président du conseil de l’Ordre des médecins, directeur de l’école de médecine et du centre anti-cancéreux rennais de Pontchaillou, copropriétaire de la clinique St Vincent, occupait dans le milieu médical une place de premier plan, quoiqu’on lui ait fait grief, selon le rapporteur de son dossier, d’avoir « commercialisé » sa profession. Ancien combattant de 1914-1918, Commandeur de la Légion d’honneur, décoré de la croix de Guerre avec palme, il fut mobilisé de nouveau en 1939 avec le grade de lieutenant-colonel et dirigeait à ce titre l’Hôpital militaire de Rennes. « Du point de vue politique, écrit le rapporteur, M. Marquis professe des sentiments favorables aux partis de droite mais, avant la guerre, il n’avait pris position dans aucun de ces partis26 ». En 1940 cependant, dès l’arrivée du Maréchal Pétain, il se déclare ouvertement partisan de son gouvernement. Il avait eu l’occasion de voir le Maréchal sur le champ de bataille de Verdun et il s’en disait « l’ami » qualifiant celui-ci de « surhomme ». « Il n’admettait aucune réflexion désobligeante à l’endroit du Chef de l’État et de son gouvernement. À telle enseigne qu’un de ses confrères, homme de droite, qui s’était permis de vitupérer Vichy, s’attira cette apostrophe : vous êtes un mauvais Français, je ne vous serre plus la main. » Au retour de ces voyages à Vichy où il s’était rendu trois ou quatre fois pendant l’occupation, Eugène Marquis ne tarissait pas d’éloges sur la santé morale et physique du Maréchal devant ses élèves de l’École de médecine.
17Mais ce sentiment d’admiration pour le Chef de l’État et le gouvernement – on remarquera que dans son cas l’un n’est pas distingué de l’autre –, s’atténua progressivement au cours de l’année 1943, « c’est-à-dire à une époque où la fortune des armes changea nettement de camp », explique l’enquêteur. « Et sur la fin de 1943, lorsque le Maréchal fit appel à Darnand et à Déat, il se montra adversaire des méthodes de la Milice, il avait en d’autres termes prudemment “retourné son veston” précise le rapport d’enquête27 ». Le monde de la médecine a fortiori celui des patrons dans les hôpitaux était conservateur et Charles Maurras y était sans doute plus apprécié que Léon Blum. Certains patrons dépassèrent largement ce que l’on pourrait appeler un pétainisme de circonstances.
18Pierre Mauriac, le frère de François, fut un grand thuriféraire du maréchal. Est-ce la fibre littéraire familiale qui attisa ainsi sa verve ? Toujours est-il que ses envolées lyriques frisant le mysticisme sont assez inattendues de la part d’un universitaire de son niveau, quoique les études de médecine n’aient jamais cultivé le sens critique. « ... Nous avons un phare sur lequel nos yeux restent fixés, explique-t-il aux étudiants dans une allocution de novembre 1941, nous avons un roc où nos mains sont fortement agrippées. Quels que soient les airs de patriotisme, de justice, de pitié que chantent les sirènes de la dissidence, vous saurez les reconnaître28. Le patriotisme ? Mais le plus national n’est-il pas le héros de Verdun ? La justice ? Mais le plus équitable n’est-il pas le dominateur des mutineries de 1917 ? La pitié ? Mais le plus pitoyable n’est-il pas celui qui en ferma l’écluse de sang, celui dont le souci constant est d’ouvrir les barbelés à nos frères prisonniers ?, etc. Quant à ceux qui prétendent lui en remontrer qu’ils soient de Paris ou de Londres, s’ils ne sont pas sensibles au ridicule, peut-être comprendront-ils bientôt le dur langage des prisonniers qui sauront imposer silence aux boutefeux de l’arrière. » Dans l’irrationalité de la fascination, on relèvera l’inversion des rôles où les prisonniers pourtant impuissants dans leurs camps en Allemagne, se voient investis d’une mission, « imposer le silence aux boutefeux de l’arrière », qu’ils seraient bien en peine de mener à bien. Mais dans l’espace symbolique ainsi projeté, on conçoit que cela n’ait guère d’importance. Exit également la politique, « c’est pour la chasser de la Faculté pour couper court aux discussions, aux critiques, aux querelles de parti, que je vous adjure de vous en remettre les yeux fermés au maréchal Pétain. Il a fait au pays le don de sa personne et jusqu’au sacrifice le plus émouvant qui eut pu griser une âme moins haute que la sienne, je veux dire la popularité29 ». Le don de soi implique jusqu’au sacrifice de ce qui fonde la vénération. C’est dire la spirale de croyance et d’aveuglement qui s’amorce ainsi et alimente un système renforçant la légitimité en dépit de l’écart qui à l’évidence se creuse entre le maréchalisme, la dérive du régime et la politique de collaboration. L’irrationalité s’explique sans doute par la vacuité absolue de toute perspective après la défaite. Quoique le ton et le verbe n’en paraissent pas moins démesurés, dans le cas de Mauriac, cette prise de position n’est pas vraiment surprenante. Elle s’accorde en effet avec son engagement politique antérieur à droite. Mais il n’empêche. Les mots demeurent, et s’ils laissent ressurgir d’anciennes convictions mises en veilleuse sous le Front populaire, ils traduisent sans doute, à la manière d’Emmanuel Mounier, un réel égarement face au cataclysme de la débâcle. La ferveur maréchaliste n’est du reste pas exclusive d’une certaine adaptation à l’évolution du régime et du rapport de force international. On le voit à travers trois allocutions de rentrée prononcées à l’automne. Ainsi, le 3 novembre 1941 :
« Si étonnants, si coûteux que soient pour nous certains gestes que nous demandent le gouvernement, nous sommes sûrs de rester français, puisque Le Maréchal les approuve. À la vérité que vaut notre jugement ?... En juin 1940, le Maréchal est apparu comme la seule colonne solide de la France croulante. »
19Le 3 novembre 1942 :
« Comme dit Pascal vous êtes embarqués, embarqués dans un vaisseau en perdition, et votre devoir est simple : ne rien dire, ne rien faire qui puisse contrarier l’action salvatrice du chef ; l’aider de tout votre cœur à se débattre dans des conditions épouvantables et à triompher... notre force n’est plus dans les canons, dans les tanks, dans les avions. Elles est dans l’union autour du Chef. Suivre le Maréchal les yeux fermés, “les yeux crevés” dit-on parfois, non. Les yeux ouverts, mais plongés dans la nuit, nous accrocher à celui qui, seul perçoit la lumière et peut guider notre marche aveugle ; Messieurs pour que Dieu le protège et l’inspire [...]30. »
20Et l’année suivante, en novembre 1943, avec une nuance beaucoup plus marquée de réserve et de prudence :
« La fidélité au Maréchal n’implique pas l’approbation de toutes les mesures gouvernementales ou administratives. “C’est parce qu’il communie à la grande misère de la France que le Maréchal se garde de toute passion, de tout entraînement personnel... Le Maréchal montre son calvaire, calme et sûr de sa mission, promis au jugement par des Français abusés, ingrats ou félons”31.
Messieurs respectons le travail de réparation de la plaie qui est au flanc de la France. Laissons travailler en paix ceux que le Maréchal a appelé à une charge ingrate ; et quand leur besogne, leur vilaine besogne nous fait souffrir, n’accusons pas le soigneur, mais la maladie et ses auteurs. Pendant cette lente ascension vers la guérison le Maréchal ne souille pas ses mains aux pansements journaliers... à l’heure voulue, il se présentera la voix forte et les main nettes, au nom d’une France convalescente mais grandie par le malheur...
Une voix, une seule voix parlant au nom des Français a des chances d’être entendue. Un chef, un seul chef peut accorder sous sa baguette toutes les dissonances, toutes les dissidences [...]. Une vague d’accusations, d’injures déferle sur terre et dans les cieux mais elle meurt aux pieds du Maréchal, dont nul, à part quelques misérables Français parlant aux Français n’ose suspecter le détachement et la grandeur. Sensible à la désaffection de son peuple, mais non découragé, il sait qu’il sera l’artisan de notre paix32. »
21Corollaire logique de la fascination pour le Maréchal, la défiance envers la Résistance qui, au fil du temps se transforme en une véritable haine de toute tentative d’opposition à l’ordre de Vichy et de l’occupant. L’allocution de rentrée de l’année 1943 ne cultive guère d’ambiguïté quant à la conduite à tenir :
« [...] Honte à ceux qui ne trouvent d’énergie que dans l’ombre pour tracer sur les murs des inscriptions stupides ou se mêler à des complots dérisoires ; malédiction sur ceux dont les attentes lâchement anonymes exigent l’affreuse rançon des otages fusillés [...] ceux qui cherchant l’aventure ont trouvé de part et d’autre de la frontière la prison et le camp de concentration n’auront été ni les plus utiles ni les plus téméraires [...] comme ils apparaissent mesquins et surtout sacrilèges ces appels à la division, à l’attentat, à la vengeance individuelle, aux excommunications haineuses33 ! »
22En s’affranchissant de cette contradiction majeure entre le nationalisme sanctifié et la collaboration avec le vainqueur, les « fascinés du Maréchal » les plus convaincus libèrent leur énergie dans des groupements collaborateurs, souvent sans guère de discernement politique, parfois avec une bonne foi confondante. C’est le cas du professeur Massot, à la faculté de médecine de Rennes, qui adhère au PPF « postérieurement au 1er janvier 1941 » dont il devient secrétaire fédéral, ainsi qu’au COSI. Voici comment l’intéressé explique à un commissaire de police les raisons qui l’ont poussé à s’engager :
« À la signature de l’armistice, déclare-t-il, au moment où le maréchal Pétain venait de prendre la responsabilité de la France, j’ai suivi sa politique et, comme lui, j’ai pensé que le relèvement de mon pays n’était possible qu’en collaborant avec l’Allemagne. Je ne voyais que cette possibilités pour le relèvement de la France, ne croyant pas que les Alliés pourraient vaincre l’Allemagne. Quoique n’ayant jamais fait de politique avant la guerre, j’ai commencé par adhérer aux “Amis du Maréchal”. Ce comité n’a eu pour ainsi dire aucune influence à Rennes, il n’y a eu aucune réunion ni propagande.
En décembre 1941, j’ai adhéré au PPF et au bout de quelques semaines, j’ai été nommé secrétaire fédéral. J’ai assumé ces fonctions jusqu’à la fin de 1942. Depuis, mon activité dans ce parti a été à peu près nulle. Cependant, ce n’est qu’au mois d’août 1943 que j’ai démissionné officiellement du PPF. J’ai certes fait un peu de propagande pour le parti. Cependant, je n’assistais pas à toutes les réunions et, en prenant le titre de secrétaire fédéral, ce n’était que pour être agréable au parti auquel il fallait un nom pour influencer les adhérents. »
23Un médecin réputé comme secrétaire fédéral créditait le PPF d’une reconnaissance publique précieuse pour un parti d’autant plus friand de notables que son chef et son histoire renvoyait au Parti communiste34.
« Comme je l’ai déjà déclaré, j’avais mis toute ma confiance dans le Maréchal Pétain, approuvant sa politique de rapprochement avec l’Allemagne ; je tiens néanmoins à préciser que j’ai toujours respecté les opinions de mes compatriotes, laissant à tous la liberté de penser comme bon semble à chacun.
[...] En principe, au début, j’ai cru que la Relève était une bonne œuvre pour le retour des prisonniers, mais au bout de quelques mois, j’ai compris la mauvaise foi des Allemands où les Français étaient dupés. Cependant, j’affirme n’avoir jamais fait de propagande pour et dans ma profession. J’ai été désigné par trois fois pour passer la visite aux Français astreints au STO, je ne me suis jamais montré exigeant et j’ai toujours eu conscience de montrer toute bienveillance pour la moindre cause d’exemption. Je n’ai jamais agi avec sévérité. Cependant que ce soit pour mes collègues comme pour moi, il était impossible de réformer un Français dont la constitution n’avait rien à revoir du point de vue de la médecine. Malgré mes idées de collaborateur, j’affirme que j’ai eu peu de rapports avec les Allemands et jamais je ne leur ai donné aucun renseignement pouvant nuire à mon pays35. »
24Ce « point de vue de la médecine » semble attester que sous couvert du serment d’Hippocrate rien n’était possible pour un médecin. Sa défense en forme d’aveu suscite ce commentaire du commissaire :
« Certes, il existe, comme l’indique l’arrêt de la Chambre civique, de larges circonstances atténuantes. À Rennes, comme le prouvent les pétitions des confrères et des étudiants du dr. Massot, l’opinion reconnaissait sa haute valeur scientifique, sa loyauté, son abnégation. Avec une naïveté et une crédulité qui surprennent, il s’est fourvoyé en toute bonne foi et il a abandonné le PPF dès qu’il s’est aperçu de son erreur. Comme beaucoup d’autres, il a été victime du Maréchal Pétain36. »
25C’est également la fascination pour le maréchal qu’invoque cette femme de 48 ans, assistante en Botanique à la faculté de Grenoble, adhérente des Amis de la Légion des Combattants jusqu’en 1943, et considérée « de notoriété publique (comme ayant) toujours été un agent des plus actifs du Centre de propagande de Grenoble en faveur du gouvernement déchu37 ».
« On me reproche d’avoir servi le Maréchal se défend-elle [...]. Dans la période troublée que nous vivions où régnait tant de misère, la doctrine du Maréchal, qui prêchait le travail, l’union, l’entraide fraternelle m’était apparue comme pouvant favoriser le relèvement de notre malheureux pays. Je me suis efforcée de l’appliquer moi-même, aidant des familles de réfugiés, visitant les malades, soulageant la misère de pauvres vieilles femmes en partageant avec elles les récoltes du jardin que je cultivais moi-même, et cela, sans me préoccuper de leurs opinions politiques, ne voyant en eux que des Français malheureux. J’avais confiance dans le chef qui battit les Allemands à Verdun, qui refit en 1917 le moral des troupes et qui reçut en 1918 des mains de Poincaré le bâton de Maréchal de France. Je croyais normal d’avoir confiance en lui puisqu’il fut rappelé de l’ambassade d’Espagne au moment où la situation militaire devint critique. Je n’étais d’ailleurs pas la seule à l’Université, dès l’armistice, à avoir mis ma confiance en lui et je n’en donnerai pour preuve que les acclamations des professeurs des facultés venus nombreux en mars 1941 accueillir le Maréchal dans le hall de notre université. Quelques amis, une dizaine, partageaient ma confiance. Nous nous passions des textes des messages du Maréchal et les brochures que nous pouvions nous procurer, exposant son œuvre et sa doctrine. Ma propagande s’est bornée là38. »
26Travail, union et compassion résument la défense de cette universitaire qui propose une acception de la propagande sous le sceau du dévouement, de la charité et de la dévotion envers celui qui représentait l’espoir. Est-ce sa position de femme, si rare dans l’université de l’époque qui influence la nature de son engagement marqué par l’assignation traditionnelle dévolue au sexe féminin ? Les arguments qu’elle avance ne paraissent pas fabriqués pour la circonstance. Dans le paradigme pétainiste se confondent sur fond de brouillage idéologique l’action solidaire, le dévouement personnel, le don de soi, une sorte de mimétisme sanctifié dans une atmosphère de dévotion collective où la croyance occulte toute rationalité critique. Abusés par le prestige de Pétain, les universitaires le suivirent comme les parlementaires étudiés par Olivier Wieviorka, pour qui « ils auraient sans doute plus massivement basculé dans la Résistance si Vichy n’avait pas égaré des élus sincères sur de fausses traverses »39.
Collaboration = Résistance
27« J’affirme tout d’abord hautement que mon titre le plus authentique à la qualification de résistant a été l’action inlassable et souvent heureuse que j’ai menée durant l’Occupation allemande pour arrêter, retarder ou limiter les empiètements, les exigences ou les sévices de l’ennemi40 ». Cette défense d’un préfet du Loiret, on la retrouve dans nombre d’argumentaires de responsables de l’enseignement supérieur. À l’image de l’historiographie pré-paxtonnienne, une des postures les plus souvent adoptées par les accusés fut celle du double jeu. Soit, ils avaient fait quelques concessions à l’occupant ou aux tenants du régime ou plus tard à la Milice ou à quelques personnages influents du pouvoir, mais c’était pour mieux gagner leur confiance et profiter de l’avantage pour être utile aux réprouvés ou à la Résistance. S’inspirent-ils de cet aphorisme de Fabre-Luce inversant si ce n’est le rapport de force du moins celui du courage, en ne reconnaissant pas la prise de risque historique qu’impliquait réellement l’engagement résistant ?
28« Je refuse le titre de « Résistants » aux hommes que le pays a rejeté en 1940 parce qu’ils l’avaient poussé à contre temps dans la guerre. C’est leur échec qui leur a donné figure d’opposants. S’ils n’ont pas été de Vichy, c’est que Vichy n’a pas voulu d’eux41 ». C’est en effet dans cette posture inversant le dédain que Alfred Fabre-Luce appréciait l’engagement du personnel politique d’avant-guerre dans la Résistance. Si le jugement de celui qui passait pour « le grand esprit de l’époque », qui fut lui-même épuré, n’était évidemment pas neutre, son appréciation invite, au-delà de sa partialité, à réfléchir, à comprendre les écarts de perception qui entourent un même événement. Pierre Laborie a montré comment la perception des événements et des situations, l’entrelacs des tendances lourdes et des conjonctures ou la quête de référents face à une situation inconnue, rendaient complexe la définition claire et univoque des attitudes ou des comportements. Cette question est ici encore compliquée par le contexte de « jugement patriotique » dans lequel eurent lieu dépositions, témoignages, enquêtes et les enjeux auxquels devaient faire face les mémoires de défense. Mais aussi par les « fortes poussées d’irrationalité »42 qui marquent les esprits au moment de l’épuration. Fabre-Luce inverse ainsi le rapport à la norme au moment de la Libération dans cette vision iconoclaste qui fait des résistants des ratés de Vichy. Énoncé rebelle, aphorisme cynique et désabusé qui privilégie le sens de la formule et l’esprit de provocation à une analyse réaliste de la genèse de la Résistance.
29Cette duplicité fut très souvent invoquée par les accusés. à tort ou à raison. Par tactique mais aussi parce que les circonstances les avaient placés devant un choix difficile : faire face à l’occupant en tâchant de préserver pied à pied ce qui pouvait l’être ou lui laisser l’initiative d’un pouvoir absolu de disposer des hommes et des infrastructures. Ce, quand bien même la dimension symbolique semble l’emporter sur l’efficacité réelle. « J’ai gardé avec les Allemands ma souveraineté », explique ce médecin chargé de cours à la faculté de Marseille, qu’un collègue, vraisemblablement jaloux, accuse d’être un propagandiste et d’être d’une manière générale rallié à la collaboration. « J’ai refusé de signer un document de la Kommandantur qui risquait d’aliéner notre liberté. J’ai pris part à une battue, une seule, nous étions 14 ; il y avait un Allemand imposé [...] je n’y suis jamais retourné. Il y avait avec nous un membre de la Résistance43 ». On ignore en quoi consistait exactement la « battue » évoquée. Ce médecin qui avait le grade de commandant, 6 citations, une blessure, dont le fils était FFI et réparait chez lui les appareils radio parachutés n’offre pourtant guère le profil, de ce dont on l’accuse. « Je ne suis jamais allé chez les Allemands, poursuit-il, ils venaient me voir dans mon bureau à l’Hôtel-Dieu pour le service. J’ai même refusé [...] de rencontrer un général allemand. Dans le service antivénérien, nous avons donné pour certains des attestations pour éviter le départ en Allemagne. J’ai fait sortir des Baumettes avec un faux certificat une femme (présidente actuelle du FLN dont le mari a été fusillé)44 ». On est sans doute là face à un cas assez répandu de dénonciation mal intentionnée. Mais au-delà, on se rend compte des difficultés auxquelles devaient faire face les cadres universitaires des hôpitaux par exemple dans l’exercice quotidien de leur fonction et les risques que pouvaient courir certains d’entre eux à entretenir des relations même distantes avec l’occupant au vu et au su de tous.
30Le contact avec l’occupant éveille toujours la suspicion et, conséquence imparable, entraîne fréquemment la dénonciation comme « collaborateur » de celui ainsi désigné. Cet autre médecin, Adolphe Jung, agrégé de chirurgie fut accusé d’être rentré en 1940 de Clermont-Ferrand en Alsace et d’y avoir accepté un poste à la faculté de médecine germanisée. Il se trouve que, rentré en Alsace dans des conditions régulières, Jung refusa en 1941 un poste à l’université allemande de Strasbourg puis de Berlin. Il accepta un an plus tard de devenir l’assistant privé d’un scientifique berlinois. Il transmit des renseignements aux services alliés de Berne et de Londres et intervint en faveur de médecins alsaciens inquiétés, ce qui le blanchit facilement lors de l’épuration45. D’autres, encore plus à découvert se retrouvèrent devant la commission pour avoir fait « le voyage en Allemagne ». Trace indélébile de l’engagement collaborateur, le voyage en Allemagne est pratiqué dans le monde des arts, du spectacle et dans toute activité dont le rayonnement public est exploitable dans la logique de la collaboration. Les organisateurs de ces voyages, la Propaganda Abteilung ou la Propaganda Staffel, comme le remarque Gérard Régnier à propos par exemple des musiciens, sont très habiles. L’engrenage est bien huilé. Les artistes, les scientifiques ou intellectuels sont généralement sollicités lors de la mise sur pied de ces voyages, en mettant en valeur la dimension franco-française de l’opération. « Ce n’est qu’au retour qu’ils mettent en avant, grâce à une presse grand public qu’ils contrôlent, une présentation flatteuse de l’Allemagne et (donc) la nécessité de collaborer avec elle “pour sauvegarder la civilisation européenne”46 ». Rares furent les universitaires qui furent tentés (ou qui furent sollicités) par (pour) l’aventure. Encore que ce qui put apparaître comme le signe incontestable de la compromission avec l’ennemi puisse être ambivalent. Aller en Allemagne, acte fort, pouvait pour un universitaire être animé par une intention louable. Ce fut le cas de Gaston Julia, professeur d’analyse supérieur de la Sorbonne, mutilé et décoré de la guerre précédente qui fut ainsi suspendu pour avoir prononcé deux conférences en Allemagne en 1942. Renseignement pris, il s’avéra qu’il ne s’agissait là que d’une tentative courageuse pour obtenir la libération et le rapatriement de collègues mathématiciens prisonniers. Un élément de poids dans son dossier47. D’autant que son attitude à partir de 1942 fut sans équivoque puisqu’il rompit avec le ministre de l’éducation nationale « lorsqu’il lui fut demandé de contribuer à organiser une Union scientifique sans la participation anglaise48 ». On voit mal d’ailleurs comment la présence anglaise eut pu être envisageable, mais du moins la liberté scientifique sembla prévaloir dans le choix qu’il assuma ainsi. L’acceptation du voyage fut-elle d’entrée de jeu motivée par la volonté de libérer ses collègues ou bien s’agit-il d’un bel exemple d’ambivalence associant acte d’allégeance au régime, intérêt scientifique vaguement teinté d’opportunisme et solidarité déterminée envers ses amis mathématiciens prisonniers ? Il est impossible de le dire, mais on peut raisonnablement se fier à l’enquête menée par le CSE pour exclure un de ces « retournements de veston » si souvent dénoncés. Il n’empêche que le voyage en Allemagne de Gaston Julia resurgit occasionnellement dans les débats pour dénoncer l’iniquité de décisions prises. En dépit de son « attitude courageuse » reconnue, il demeurait dans la symbolique de la collaboration qu’il avait fait le voyage en Allemagne. Un événement-clef dans les représentations ultérieures.
Le marteau et l’enclume ou le poids des circonstances
31C’est cette notion d’événement, aux proportions souvent infimes, qui amène plusieurs universitaires dont l’attitude n’avait été ni plus ni moins que « moyenne » à se justifier devant une commission d’épuration. Un acte, un conflit, une décision mal prise, un dérapage verbal, quelque chose de visible qui laisse une trace et prend valeur de preuve de la trahison nationale. Le poids des circonstances prend ici tout son sens. Si le double jeu fut fréquemment invoqué dans les justifications des accusés, il put aussi s’inverser en produisant, à partir d’une affaire banale (un micro événement), relevant par exemple de la gestion d’un établissement. Ainsi le directeur de l’École des arts et métiers d’Aix se trouve objet d’une plainte émanant de deux élèves des écoles de Dijon et d’Angers qui l’accusent : « 1) De n’avoir pas voulu les admettre dans son école [...] lorsqu’en 1941 ils s’étaient enfuis de leur école pour éviter les représailles allemandes ; 2) De n’avoir pas voulu témoigner auprès du tribunal maritime de Toulon qu’ils désiraient être admis dans son école, ce qui aurait suffi à leur éviter leur condamnation pour tentative de passer à la dissidence49 ». L’accusation était grave compte tenu des conséquences possibles.
32Face à cette inculpation, le directeur explique que les élèves ne s’étaient pas présentés à lui « comme gaullistes » et prétendaient avoir quitté leur école en raison de l’insuffisance de la nourriture. « (J’) avais donc le droit de demeurer sur la réserve en présence de cette fugue ; ne pouvant communiquer à cette date avec la zone occupée (j’) avais demandé des instructions au ministère à Vichy qui ne (m’en) avait pas donné50 ». Cette demande d’instruction, mal venue, mais compréhensible du point de vue de la gestion administrative d’un établissement, se transforme en dénonciation de « gaullistes ». Il n’est pas rare que les postes de direction soient pris pour cibles. Ce fut plus délicat encore dans les départements d’allemand.
33Un des problèmes en effet qui se posèrent aux universitaires germanistes fut la création des instituts allemands mis en place par l’occupant dans plusieurs grandes villes. Ces organismes officiellement chargés de promouvoir la langue et la culture allemande constituaient une plateforme de diffusion dans le domaine culturel de la propagande nazie. Le premier est créé à Paris le 1er septembre 1940 sous la direction de Karl Epting. Celui-ci avait dirigé dans les années trente la filière parisienne de l’Office allemand de recherches universitaires. D’autres sont ouverts en province. Tout était fait pour rendre présentable l’Allemagne nazie à la population cultivée. Des cours d’allemand et des conférences y étaient organisés, mais aussi des concerts, des rencontres, causeries, conférences, des projections cinématographiques, des représentations théâtrales, des réceptions mondaines où se rencontraient écrivains, artistes et scientifiques. Nombre d’intellectuels y furent invités. Certains s’y rendirent, d’autres, non. Ceux qui franchirent le pas en étaient quelque peu gênés si l’on en croit le biographe de Jacques Chardonne : « Lors de sa première visite à l’Institut allemand de Paris, Chardonne aperçut Giraudoux dans un couloir : “chacun détourne les yeux comme deux hommes qui se croisent dans un bordel”51 ». Fabre-Luce évoqua lui aussi ces occasions à l’Institut : « Français et Allemands, quand ils se rencontrent ainsi sur un pied d’égalité, commencent par la froideur et terminent par la cordialité52 ». L’Institut allemand créa une grande bibliothèque, édita des livres, aida à l’ouverture de la librairie franco-allemande Rive-Gauche devant la Sorbonne. On trouve parmi les membres français du comité de traduction Jacques Benoist-Méchin ou Pierre Drieu La Rochelle, des représentants des maisons d’édition (Plon, Grasset) des critiques littéraires..., 300 livres furent ainsi traduits durant l’Occupation.
34Le groupe Collaboration fut son partenaire privilégié car étant autorisé en zone sud fin 1941, il pouvait y organiser des conférences. Les germanistes des universités furent naturellement sollicités par les instituts qui tentèrent de les circonvenir et d’associer les départements d’allemand à leur action. Leur pression put être rude et les moyens mis en œuvre furent autant d’appâts « pour jeter le trouble dans les esprits », comme en témoigne une étudiante parisienne : « Depuis le premier jour de l’Occupation, écrit-elle l’été 1944, nous fûmes en butte à la propagande ennemie qui n’épargna aucun moyen, si avilissant soit-il, et pour celui qu’il touchait comme pour celui qui l’appliquait : conférences, buffets où la pédanterie infatuée, lot habitué des parvenus, le disputait à la munificence de mauvais aloi, bourses et voyages transrhénans, soirées brillantes et climatisées, tout fut mis en œuvre pour jeter le trouble dans les esprits [...]53 ». Les inévitables contacts entretenus par les germanistes français avec les instituts allemands furent autant de sources de tentation, de compromission, et une fois le pays libéré, de suspicion.
« Chaque fois qu’il l’a pu, écrit un enquêteur à propos du directeur du département d’allemand de la Sorbonne, il s’est servi de ses relations avec les autorités allemandes en faveur de patriotes arrêtés. Il n’a ni recherché ni retiré aucun profit personnel de l’attitude qu’il avait adopté.
Sa situation était délicate et difficile. En sa qualité de directeur des études allemandes, il a été constamment en butte aux sollicitations des Allemands. Il ne pouvait pas se refuser à des conversations et à des contacts. Il ne serait pas juste de faire des comparaisons avec ceux qui n’ont jamais été sollicités et n’ont eu aucune peine à éviter ces contacts. Du reste, ce qui est bien plus important que des contacts inévitables, c’est la doctrine, la volonté de résistance qui aurait parfaitement pu coïncider avec les contacts en question54. »
35Si la difficulté de sa position lui est reconnue, comme le fait d’avoir aidé ceux qu’il pouvait, c’est en revanche son attitude, son manque de volonté de résistance que l’enquête attribue à une erreur complète de jugement. Tout d’abord parce qu’il a estimé « dès le début que notre seul salut était dans une entente avec l’Allemagne, “qu’il fallait faire Sadowa”, que la Résistance était fâcheuse, parce qu’elle serait finalement balayée après nous avoir ramenés à l’âge des cavernes et de la famine ». Ensuite parce qu’il considérait « qu’historiquement, c’était le tour de l’Allemagne d’organiser l’Europe, comme nous l’avions fait précédemment nous-même et qu’il n’y avait qu’à laisser faire ». Cette vision de l’histoire de la domination européenne s’agençait donc assez bien selon lui, conformément au cycle immuable d’une histoire déjà écrite. On peut évidemment s’interroger sur cette vision des chose. Cependant, dans son mémoire de défense, le professeur d’allemand explique, après avoir cité les nombreux soutiens qu’il a prodigués aux étudiants :
« [...] J’estime qu’il est injuste de me faire comparaître devant une commission d’épuration [...]. Je n’étais pas un particulier indépendant, ni même un professionnel comme les autres : j’étais directeur des études germaniques dans un pays occupé par les Allemands [...]. J’étais en contact forcé avec l’Institut allemand dont il était évident que le but devait être d’annexer plus ou moins l’Institut d’études germaniques. De plus, je connaissais personnellement Bremer et Epting depuis une dizaine d’années et j’avais eu avec eux des rapports toujours corrects et quelquefois amicaux. Enfin, comme ancien directeur de la Revue d’Allemagne j’avais de nombreuses relations dans les milieux universitaires et littéraires allemands qui étaient précisément ceux de l’Institut allemand.
Dès lors, j’avais le choix entre : une politique des coups d’épingle qui aurait été rendus par des coups d’épée et aurait infailliblement créé des troubles à la Sorbonne, le changement de directeur d’études et sans doute la fermeture de la Faculté ; ou l’utilisation de ces relations anciennes dans l’intérêt de nos étudiants et de la Faculté. Sachant que mon hostilité politique qu’il connaissait bien ne rejaillirait pas sur mon enseignement de la littérature ou de la civilisation, Epting me laissait diriger les études comme je l’entendais. J’ai pu en outre intervenir efficacement dans certains cas particuliers ; j’ai surtout maintenu des conditions de travail que, si l’on est impartial, on qualifiera d’inespérées55. »
36Il rappelle les interventions plus ou moins efficaces en faveur d’étudiants ou de personnels inquiétés, et revendique de n’avoir pas voulu espacer ou distendre ces relations à mesure que s’approchait la débâcle allemande. Selon la défense de l’accusé, sa stratégie consistait, prévoyant que l’occupant serait plus virulent avec l’approche des Alliés, à fréquenter l’Institut allemand plus souvent dans les derniers temps de sorte que son rôle et sa position privilégiée auprès d’eux fussent plus utiles. « Je crois, écrit-il, avoir sauvé la vie de mon assistant Grappin. Malgré les charges accablantes qui pesaient sur lui, et sur l’intervention répétée de l’Institut allemand (où l’on m’avait dit que si l’on faisait quelque chose c’était non pour lui, mais “pour moi”), j’avais plaidé que tous les patriotes et “européens”, collaborationnistes, nazis d’aujourd’hui étaient des « terroristes » de 1923. Grappin ne fut pas admis dans le lot des otages mais déporté en Allemagne et il s’est évadé en cours de route56 ». Pour rester fidèle à sa ligne de conduite, Boucher insiste sur le fait que s’il « a dû de temps en temps faire quelque chose », il n’a jamais fréquenté ni les militaires, ni la police, ni même l’ambassade et Otto Abetz qu’il détestait. Son rôle dit-il s’est limité à quelques conférences dont les sujets demeuraient neutres (l’histoire de Paris, des sujets littéraires ou artistiques...). À la demande de Karl Epting, d’une conférence sur la littérature française contemporaine, le germaniste explique qu’il a pris un malin plaisir à mentionner tous les auteurs réfugiés en Amérique, en Angleterre ou ayant fui Paris ; et qu’au reproche d’un Allemand de n’avoir pas cité Céline d’avoir répondu « ce n’est pas de la littérature ». Ce qui passe pour de la collaboration pour certains est revendiqué comme une position de résistance par d’autres. De fait l’action de Boucher fut sans doute plus utile compte tenu de ses relations antérieures à la guerre avec les responsables allemands. Son attitude de préservation n’est pas réellement contestée et l’on reconnaît implicitement qu’elle a été efficace. Mais il demeure un sentiment de suspicion à son égard, porté sans doute par une partie du personnel qu’il dirigeait et que l’on retrouve d’ailleurs chez de nombreux cadres de l’administration placés dans la même position d’interface. Son exemple renvoie à ce manque de volonté de résistance qui le fait percevoir comme un personnage un peu falot, qui symbolise la compromission au grand jour et le contretype de l’esprit de résistance. La libération venue, et sous la pression forte du Front national universitaire, il ne peut dans « l’Université libérée », formule redondante, incarner le renouveau et le changement.
Le déni
37Ne pas reconnaître les faits dont on les accuse fut sans doute la parade la plus utilisée par les inculpés. Pratiquer le déni, c’est plaider non coupable et, en niant les faits, opposer une fin de non recevoir aux accusations ou aux simples allégations dont on peut être la cible. Le déni lorsqu’il est pratiqué avec talent peut permettre à l’accusé de faire valoir, par l’apport de témoignages qui lui sont favorables, que ce dont on l’accuse provient d’un individu isolé réglant là quelque compte obscur. Vengeance personnelle, nuisance plus ou moins délibérée, rumeur infondée, etc. « [...] Je n’ai eu avec les Allemands et avec les Italiens, écrit un professeur de médecine de Bordeaux, aucune espèce de rapport, je ne leur ai jamais adressé la parole ; je mets qui que ce soit au défi de prouver le contraire. Je n’ai appartenu à aucun groupement politique pendant les quatre années d’occupation, pas même « les Amis du Maréchal57. »
38Mais le déni simple est somme toute assez rare dans la mesure où, si les faits s’avèrent inconsistants et donc, si le déni est fondé, l’affaire se trouve bien vite classée. Plus intéressante sans doute est cette forme plus subtile de déni où les faits reprochés peuvent être admis mais interprétés de façon radicalement différente. Les faits en matière de procès, on le sait, sont moins importants que la manière dont ils sont présentés et interprétés dans le contexte où ils ont eu lieu. Il en va de même a fortiori en matière de patriotisme où le sens qu’on leur donne s’apprécie à l’aune des idées, des contraintes et des appréciations diverses. Arrêté à la Libération, remis en liberté pour opérer puis interner de nouveau pour des raisons de sécurité personnelle, ce chirurgien marseillais enseignant à la faculté de médecine, chef départemental de la Légion et contre lequel d’ailleurs aucune plainte ne fut déposée, justifiait ainsi la responsabilité qu’il avait prise :
« J’étais légionnaire et j’ai été chargé directement par le Maréchal de la gestion financière et administrative de la Légion (en janvier 1944 !). Pendant les six mois de ma gestion, j’ai surtout eu une activité sociale (mais personne dans mon service n’est légionnaire). Je n’ai jamais soigné un Allemand ni à l’Hôpital ni en clientèle. De propagande pour la Légion, je n’ai pu en faire autant qu’il s’agissait de faire l’union des Français et le relèvement moral. Pas de propagande politique. Et la preuve c’est que Laval et la Milice ont essayé de nous attirer à eux sans succès [...]. L’idée légionnaire était surtout un état d’âme58. »
39C’est la demande « directe » du Maréchal qui est mise en avant. Le déni ici ne s’opère que dans un deuxième temps. La responsabilité prise dans la Légion peut être difficilement comprise en janvier 1944 comme un acte politique sensé compte tenu du profil de l’accusé. C’est justement parce que son rôle est décrit comme en dehors de la politique et des Allemands (qu’il n’a jamais soignés) que son engagement légionnaire prend toute sa valeur et que sa date tardive devient la preuve de sa bonne foi. Il ne s’agit pas de collaborer avec l’occupant, encore moins avec les tenants de la collaboration radicale (Laval et la Milice), il ne s’agit pas plus de s’abaisser à de quelconques actions de « propagande politique ». Il s’agit d’aider la France et les Français à réaliser leur relèvement moral, d’un état d’âme en prise directe avec le chef absolu.
40Du déni sélectif, plus ou moins subtil, à la déloyauté, il n’y a qu’un pas évidemment peu apprécié du Comité supérieur d’enquête. M. Brun, convoqué devant le CSE « présente une défense qui n’éveille guère la sympathie, car elle ne paraît pas marquée du sceau de la loyauté intellectuelle », écrit le rapporteur du dossier d’un professeur de Droit lyonnais accusé d’avoir signé une lettre de dénonciation, retrouvée en août 1947 dans les archives du Commissariat général aux questions juives au grand dam de son auteur présumé59 :
- Il n’a gardé aucun souvenir de cette lettre60 et s’étonne d’être inquiété pour une affaire qui remonte à sept ans. Il se demande si cette lettre est bien de lui, si l’on n’a point abusé de sa signature. Il est tout naturel que M. Brun demande que l’authenticité du document soit vérifiée. Il est plus surprenant qu’il s’étonne des suites que ce document (s’il est authentique) entraînent pour lui ; le CSE devrait-il s’excuser auprès de lui de cette découverte tardive ?
- M. B. présente un premier argument : il ne lisait pas, faute de temps, tout le courrier qu’il signait ; parfois même, il remettait à ses secrétaires des feuillets en blanc signés par avance. La lettre en question a dû être rédigée à la suite d’une plainte d’une section de quartier de la Légion à Lyon et il l’a signée par inadvertance. S’il en est ainsi, M. Brun a fait preuve d’une négligence et d’une légèreté coupable. En tous cas le CSE a toujours considéré le chef de service comme responsable des lettres et de notes qu’il signe. Il est très douteux d’ailleurs que la lettre ait été rédigée sur plainte d’une section lyonnaise. Les sections de quartier se plaignaient d’un boucher, d’un instituteur, etc., mais non point de hauts fonctionnaires en poste à Vichy. Il est donc très vraisemblable que la lettre a été précédée d’une démarche faite, soit auprès de M. Brun, soit auprès de son secrétaire par quelques industriels lyonnais.
- M. Brun soutient qu’au cas où cette lettre aurait été rédigée avec son assentiment ou signée par lui, elle ne constituerait pas en tout état de cause « une dénonciation ». Le CSE ne saurait accepter cette interprétation. En effet (contrairement à ce que M. Brun insinue) la législation antisémite était déjà en vigueur en 1941 (elle date du 3 octobre 1940) et signaler des israëlites à la direction générale de la Légion, c’était les exposer dans le présent à la révocation, dans l’avenir à la persécution.
41Notons d’ailleurs l’étrange contradiction entre le second argument (cette lettre n’est pas, à vrai dire, une dénonciation) et le premier (je n’ai pas pu signer sciemment cette lettre, car c’est une dénonciation).
42L’intéressé présente cependant un grand nombre de témoignages de moralité en sa faveur, de Juifs et de résistants, auxquelles la lettre incriminée a été présentée, et qui affirment toutes qu’elle les surprend beaucoup et mettent en doute qu’elle ait pu être signée en connaissance de cause par M. Brun. Celui-ci non seulement n’a jamais manifesté de sentiments antisémites, mais a aidé à ses risques et périls plusieurs « Israëlites ». Il aurait même laissé entendre dans ses cours publics qu’il désapprouvait la législation raciale de Vichy. Sans militer, à vrai dire, dans les organisations de résistance, il ressort du dossier de Brun qu’il avait la réputation d’un patriote sincère et que les résistants actifs avaient confiance en lui. « Du reste, le 25 mai 1942, après le retour de Laval au pouvoir, M. Brun avait adressé avec éclat au chef départemental de la Légion du Rhône, une lettre de démission de la Légion, rédigée, selon l’enquêteur, « en termes très dignes61 ».
43Tout le problème dans ces conditions, réside dans l’interprétation de cette affaire, grave de dénonciation. Le CSE en établit deux possibles : la plus bienveillante, M. Brun a effectivement signé sans lire est une négligence et rien de plus. Mais elle mérite d’être sanctionnée car un haut fonctionnaire demeure responsable de ce qu’il signe. La seconde interprétation est plus intéressante car elle procède, dans l’analyse qui l’inspire, d’une attitude sans doute assez commune :
« Dans l’interprétation la plus sévère, écrit le rapporteur, M. Brun a comme certains témoins le suggèrent, adopté quelques-unes des tendances et des idées de la révolution nationale. Il aurait été de bonne foi séduit par un programme de rénovation et d’union, que son esprit généreux, mais un peu impulsif et confus, ne soumettait pas à une analyse critique. Dans cette hypothèse, que je considère comme la plus vraisemblable, il aurait signé la lettre après l’avoir lue, mais sans en mesurer la portée et en pensant qu’elle visait moins deux israëlites que deux fonctionnaires incapables de l’ancien régime. Il n’était pas fâché non plus de prouver l’activité et le zèle de l’organisme légionnaire qu’il présidait62. »
44« Qu’elle visait moins deux Israëlites que deux fonctionnaires incapables de l’ancien régime. » Compte tenu du profil et des soutiens que fait valoir l’accusé, il ne semble effectivement pas qu’il ait en conscience pris la responsabilité d’une dénonciation antisémite. Mais on mesure dans ce compte rendu d’enquête, et dans ce cas comme on a pu le voir dans d’autres, cette ambivalence, autrement dit cette simultanéité de deux comportements opposés associant des aspirations contradictoires ; cette disposition à faire coexister deux sentiments qui ne le sont pas moins. Encore remarquera-t-on la décision de rupture franche avec la Légion en mai 1942 qui conforte cette idée que le flottement dans l’opinion ne va guère au-delà de cette limite chronologique.
Le déni paradoxal
45Agrégée de philosophie en congé de thèse, Mlle Brelet déclare lorsqu’on l’interroge « qu’elle n’a eu sous l’Occupation aucune activité politique, qu’elle n’a fait partie d’aucun groupement. Elle s’est simplement inscrite à un cours d’allemand à la Sorbonne, ayant besoin de se perfectionner dans cette langue pour la préparation de sa thèse [...]63 ». Mais lors de son interrogatoire, elle fait état de relations avec l’occupant, poussée qu’elle était par son intérêt pour la culture allemande, la musique, la langue, l’esthétique, faisant totalement abstraction du contexte.
« – Avez-vous eu des relations avec les Allemands ?
– Oui, des relations d’études avec des universitaires allemands voulant me familiariser avec le vocabulaire de l’esthétique. J’avais aussi des relations avec des Allemands cantonnés à Montereau, notamment avec un Polonais récupéré (sic), compositeur à Varsovie, qui avait voulu réquisitionner mon piano. Il faisait partie d’un groupe de vingt Allemands dont huit officiers logés chez mon père, à la Banque de France. Je ne faisais jamais de politique, entièrement absorbée que j’étais par la préparation de trois livres. Je suis en relation avec M. Goldreck, directeur de Contre-point publié aux Éditions de Minuit.
– Vous avez l’intention d’entrer dans l’Enseignement ? L’état d’esprit que vous traduisez si sincèrement devant nous paraît très inquiétant [...].
– Je suis patriote à ma manière, en dehors de tout parti et en m’occupant de musique, domaine où la France doit tenir la première place. J’ai eu le tort de n’être pas résistante.
– En dehors de toute résistance active, il y a la résistance passive où se sont réfugiés la grande majorité des Français.
– Dans mes relations avec les Allemands, il y avait beaucoup de curiosité intellectuelle. J’en ai reçu chez moi jusqu’en 1944. Mon père me désapprouvait et mes parents ne venaient pas dans le salon quand je recevais des soldats. Mais beaucoup d’habitants de Montereau recevaient des Allemands à table pour obtenir du ravitaillement.
– Que pensaient vos camarades ?
– Ils me plaisantaient, disant que j’étais de la Gestapo. Je m’étais inscrite à l’Institut allemand mais je n’y suis allée qu’une fois à cause du titre de la conférence. J’ai refusé d’aller en Allemagne comme on m’y invitait. Plusieurs fois à Montereau, je suis intervenue en faveur d’habitants poursuivis par les autorités allemandes, mais je n’ai rien demandé pour moi64. »
46Défense sans doute malhabile et mal préparée ou au contraire posture ingénue délibérée de cette jeune enseignante (elle est née en 1915) en congé de thèse ? Elle ne voit dans l’occupant qu’une source d’intérêt culturel profitable à ces travaux. Mais son aveu est fondé sur le déni de toute volonté de collaboration. Le terrain sur lequel jouent ses relations est clairement revendiqué sur le ton de l’évidence comme en dehors de la politique. Elle frise la provocation en avouant avoir reçu des Allemands en 1944, en expliquant que ses amis « la plaisantaient en disant qu’elle était de la Gestapo ». Jeune bourgeoise dont les parents sont visiblement très libéraux (ils ne descendaient pas au salon lorsqu’elle recevait des soldats), Mlle Brelet, par calcul ou non choisit la posture de l’ingénue. Cette irresponsabilité s’accorde à cette représentation archétypale de la femme incapable de discernement en matière de politique, de citoyenneté, de jugement, de capacité d’analyse. Même agrégée, donc aux capacités intellectuelles reconnues, elle s’égare dans sa passion pour les arts en offrant le profil de l’« esthète sans tête ». L’aveu franc de ce qui aurait pu faire tondre ou interner cette ingénue en d’autres circonstances n’eut guère d’effets favorables sur la suite de sa carrière65.
47Dans ce même registre du déni paradoxal, on peut également citer le comportement de ce maître de conférences de la faculté de Besançon, normalien et spécialiste de chronométrie, admirateur de Pétain et qui adhérait à certaines théories chères au gouvernement de Vichy66. Il reconnaît avoir porté la francisque, comptait sur la Révolution nationale pour régénérer la France, faisait l’éloge de l’Action française, il citait des articles de publications nettement pro-allemandes et universellement connues comme telles. Il allait même selon son dossier, jusqu’à opposer à « la conduite inqualifiable des Britanniques » les réalisations des Allemands qui « dans tous les domaines étaient un sujet d’admiration ». Précision importante : l’accusé ne se défendit pas d’avoir fait le salut nazi lorsqu’il arrivait à la pension où il prenait ses repas. Mesnages se justifia soit en prétendant qu’il s’agissait de « propos en l’air » que seuls les auditeurs peu avertis avaient pu prendre au sérieux ; soit « en s’efforçant d’établir entre ce qu’il rapportait simplement et ce qu’il approuvait, des distinctions subtiles, sans qu’il apporte d’ailleurs d’autres précisions ». « La position dans laquelle M. Mesnages prétend ainsi se retrancher est cependant extrêmement faible », écrit le rapporteur, qui reconnaît qu’il n’a pas fait de propagande pendant ses cours. Selon le rapport de police, le fait le plus suspect dans le cas de Mesnages s’est produit pendant l’enquête. Convoqué au commissariat spécial pour y être entendu, l’accusé avait pris la fuite et disparut plusieurs jours. Une forme d’aveu. « Je me suis imaginé que je serai arrêté » expliqua-t-il au Comité académique d’enquête qui ne fut pas convaincu et considéra que les griefs évoqués ne justifiaient pas une telle crainte. « Il est difficile de comprendre pareille erreur de jugement de la part d’un homme aussi certain que l’est M. Mesnages de sa supériorité intellectuelle », fut la conclusion. L’aveuglement se combine ici avec l’opportunisme mal camouflé d’un fanfaron sans doute inoffensif mais doté d’un bel ego et dont la défense paraît singulièrement « flotter ». Sa fuite au moment de la Libération atteste de sa connivence avec le régime et l’occupant.
48On atteint parfois d’étranges zones insoupçonnées où la tactique de défense de réprouvés sous Vichy se retourne contre eux à la Libération. C’est ce qui se produit pour Paul Becquerel. Exclu comme franc-maçon en octobre 1941, il écrit une lettre mystificatrice d’allégeance à Abel Bonnard dans laquelle il revendique d’avoir « combattu le Front populaire, écrit dans la revue France active contre les universitaires communistes [...] adhéré à la Ligue d’éducation française dont le maréchal Pétain était président du Comité d’honneur [...], enfin écarté de (sa) faculté des juifs communistes, candidats à des postes de professeurs. Je ne devrais pas être inquiété, concluait-il, parce qu’une loge maçonnique [...] m’a maintenu honoraire contre mon gré et sans me prévenir67 ». Justifiant son geste, l’intéressé revendique le fait d’avoir utilisé ce subterfuge pour récupérer son poste et son salaire. « Contre un gouvernement sans honneur qui avait trahi son pays et qui le traquait, il n’y avait plus de ménagement à prendre », conclut l’enquêteur », sensibles aux nombreux témoignages rédigés en faveur du physicien. Si la stratégie de la mystification pouvait se comprendre, elle n’en coûta pas moins un blâme à son auteur.
Oflags et Stalags
49Les cinq années de détention en Allemagne, les prisonniers vont les passer à « méditer, ruminer la défaite mais surtout faire face au danger d’engourdissement intellectuel et moral, « remplacer les préoccupations par les occupations68 ». Dans ce confinement masculin étudié par Yves Durand, il est difficile d’imaginer la longueur de ces années de non-vie, en dépit de toutes les initiatives évoquées précédemment.
50À l’Oflag comme en France, on retrouve dans les structures universitaires inventées par les prisonniers, les mêmes clivages entre enseignement supérieur/secondaire dont les enseignants assurent les cours, et l’enseignement primaire. Les instituteurs organisaient leurs cours et leurs ateliers indépendamment. On retrouve aussi le conflit ancestral entre cléricaux, qui ont souvent été à l’initiative de l’organisation des activités, et anticléricaux. L’enfermement, l’attente d’une guerre qui n’en finit pas et la promiscuité furent forcément sources de conflits et de tensions. A fortiori lorsque les clivages politiques sont radicaux. Yves Durand rapporte par exemple « la violente hostilité rencontrée par le biologiste communiste Marcel Prenant, dès sa première conférence à l’Oflag IV D, de la part de champions musclés du pétainisme actif69 ». à l’Oflag X C par exemple, le cercle Pétain avait été constitué par d’anciens militants d’Action française et du PPF (notamment le lieutenant R. Andriveau, de Je suis partout). Ce sont les universitaires que l’on retrouve ici. Ceux qui ont adhéré aux cercles Pétain ou qui les ont animés. Yves Durand a montré la généralisation de ces cercles Pétain de l’été 1941 au début 1942 à l’initiative de Scapini et avec l’accord des Allemands qui autorisent le portrait du maréchal dans les cantonnements. Les initiatives allemandes pour circonvenir les prisonniers et leur faire accepter leur sort sont multiples : éditions de journaux comme Le Trait d’union, dès le 23 juin 1940, qu’ils ont l’habileté de faire rédiger par les prisonniers eux-mêmes tout en en contrôlant le contenu, activités diverses, institution à l’intérieur des camps d’officiers spéciaux, les Betreuer, maîtrisant parfaitement le français et chargés du moral des prisonniers, etc.70.
51Si L’Oflag fut un lieu de tentation et si les cercles Pétain s’y développèrent, c’est parce qu’ils entretenaient une vénération pour le vainqueur de Verdun auprès d’officiers vaincus et désœuvrés. Mais la tentation pour des prisonniers qui se trouvaient confrontés à l’ennui, c’était aussi de travailler en Allemagne. Durand a également montré que les prisonniers ne pouvaient le plus souvent que se soumettre au travail pour le Reich, d’ailleurs admis pour les soldats par la convention de Genève.
52Ce professeur de physique de Bordeaux se laissa ainsi tenter et souscrit, à partir de 1942, un engagement par lequel il accepta de travailler en Allemagne « dans un but de science pure ». Autrement dit, ses recherches n’avaient aucune incidence dans les domaines stratégique ou militaire. Mais cet engagement comportait de la part de l’intéressé – et c’est ce qui lui coûta un blâme en 1946 – « la promesse de ne commettre aucun acte hostile contre l’armée allemande et de ne pas s’évader », engagement jugé par le Conseil supérieur d’enquête, « incompatible avec l’honneur d’un officier français », en dépit du fait que celui-ci n’ait jamais fait partie d’un « Cercle Pétain » ni ne se soit livré au cours de sa captivité à aucune propagande en faveur de l’ennemi.71.
53Pour celui-ci comme d’autres dans le même cas, il s’agissait de hâter un retour en France en espérant comme il le dit « que cet élargissement serait la première étape de (son) rapatriement ». Le deuxième argument mis en avant, consistait à invoquer la recherche et la science : trouver auprès des structures sciencifiques allemandes, et notamment de la bibliothèque nationale allemande, des possibilités de travail permettant de poursuivre ses recherches, ce qui était souvent difficile au camp par manque de document. L’argument patriotique est également évoquer : « profiter des circonstances qui m’étaient offertes sans que je les aies jamais demandées, pour essayer de me rendre le plus utile à la Patrie plutôt qu’en restant enfermé dans un camp, explique le physicien bordelais72 ». Cet autre physicien qui dénonce l’atmosphère très pétainiste de son Oflag, fait valoir dans son mémoire de défense, qu’il a accepté de travailler pour s’évader :
« Après avoir mené à l’Oflag IV D la lutte contre l’esprit conformiste, je suis dénoncé pour propagande communiste et sentiments anti-allemands (ce qui venant d’un militaire prisonnier n’est guère surprenant), ce qui me vaut d’être interné en compagnie d’une vingtaine de camarades à la baraque d’exception numéro 1. Nous sommes interrogés à tour de rôle au cours du second interrogatoire, ayant mis en avant pour ma défense l’article scientifique publié par moi en 1938 au Zeitschrift für Physik, je me vois proposer de quitter le camp pour un laboratoire. Je fais part de cette proposition aux camarades co-inculpés qui me conseillent d’accepter, estimant avec moi que la nouvelle jettera un trouble dans le camp de nos dénonciateurs en même temps qu’elle influencera favorablement l’autorité allemande déjà indécise73. »
54Cette opportunité fut saisie par le physicien qui réussit à s’évader après deux tentatives malheureuses où il avait été dénoncé par des officiers français, ce qui donne une idée de l’ambiance délétère qui pouvait régner dans certains camps74. Encore s’agissait-il d’un communiste ou présumé tel. Dénoncer un communiste n’est pas dans le paradigme pétainiste dénoncer un Français mais un agent de Moscou, donc un traître. Au-delà du conflit idéologique, on sait, et c’est peut-être le plus important, que les Allemands réprimaient l’ensemble du camp ou du baraquement, en cas d’évasions, en supprimant facilités et avantages accordés en temps ordinaire. Quoi d’étonnant que cela ait privilégié chez la plupart des prisonniers, le souci de ne pas prendre de risque inutile en attendant le plus confortablement possible la fin de l’épreuve ? La perception de ce que représentait Vichy du fond d’un camp de prisonnier en Allemagne est du reste plus complexe qu’il y paraît. Un professeur de lettres supérieures témoigne de l’état d’esprit qui régnait dans son Oflag :
« Il convient, pour comprendre l’opinion qui régnait alors à l’Oflag XC, de se souvenir que le commandement allemand venait de commencer la diffusion parmi les prisonniers des journaux de langue française paraissant alors à Paris (les Nouveaux temps, le Matin, Je suis partout, la Gerbe, etc.). à la suite du renvoi de Laval le 13 décembre 1940, ces journaux attaquaient alors violemment le gouvernement de Vichy ; lui reprochant notamment d’être anglophile, de s’opposer “au nouvel ordre européen” et de ne pas appliquer les mesures législatives prises par lui à l’encontre des Israëlites. C’est ce qui explique que, dans ce camp en tout cas, l’impression se soit répandue que Pétain était en réalité un adversaire des Allemands et que, sous une forme différente, il organisait une résistance parallèle à celle du Général de Gaulle75. »
55La fascination maréchaliste associé au contexte carcéral eut parfois des conséquences douteuses, notamment dans les Oflags ou les Allemands cherchaient à s’affilier des compétences techniques et scientifiques. D., physicien considéré comme étant « de grande valeur » par ses collègues avec lesquels ils entretenaient d’excellents rapports répond à une demande du chef de cabinet d’Abel Bonnard de fournir des noms d’universitaires prisonniers qui soit « sûrs » (souligné dans le texte) qui puissent être libérés. « Je me suis senti très honoré de la confiance que me témoigne M. le Ministre, répond-il le 31 juillet 1944 ( !), et je suis infiniment désireux d’y répondre [...]. » On est sans doute là en présence d’un profil dont les « grandes qualité scientifiques » ont phagocyté toute lucidité et toute réflexion citoyenne, quoiqu’on ne puisse sous-estimer l’impatience d’être libéré. Il répond donc consciencieusement au ministre :
« Les seuls prisonniers des sentiments desquels on puisse être sûr actuellement en ce qui concerne le gouvernement et sa politique, sont ceux que l’on connaît intimement, ne serait-ce que parce que ce sont les seuls dont on puisse avoir des nouvelles directes et relativement fréquentes [...] il serait évidemment très utile d’avoir la liste des universitaires prisonniers qui ont été effectivement transformés en travailleurs civils [...] mais à mon sens cette liste ne devrait être établie qu’à titre d’information et il n’y aurait aucune différence à faire, en principe, entre ceux qui, ayant été officiellement désignés, occupent actuellement des emplois en Allemagne, et ceux dont la demande n’a pas abouti. Sans doute ces derniers, encore dans les camps, peuvent-ils être considérés comme les plus malheureux ; mais si les premiers sont déjà dans des emplois civils, c’est que dans beaucoup de cas, ils ont agi en vue de faire aboutir leur demande ; tandis que les seconds, peu à peu intimidés par la furieuse campagne menée dans les camps par les éléments gaullistes l’ont laissé tomber76. »
56À tout le moins (et à cette date), cet universitaire manquait de clairvoyance, aveuglé par le vainqueur de Verdun, ce qui faisait écrire au rapporteur de son dossier qu’il « avait suivi le maréchal jusqu’en août 1944 en toute bonne foi, l’esprit de parti lui masquant le sens du devoir national ». Mais ce, tout en reconnaissant à l’accusé des qualités de « parfait honnête homme [...] à la bonne foi entière et (n’ayant) obéi à aucun mobile d’intérêt ou de vanité ». Inquiété en même temps que Dumézil et Guillaume, on reprocha à André Martinet, directeur d’études à l’École des hautes études, d’avoir obtenu son congé de captivité (sans doute obtenu grâce aux démarches faites par sa femme). Interprète dans l’armée française, prisonnier, cantinier de son Oflag, il est mis en congé de captivité et signe en octobre 1941 une pièce selon laquelle il ne doit pas porter atteinte à la Wehrmacht. C’est cette trace écrite qui le fait comparaître devant la commission d’épuration.
« J’ai hésité un instant avant de signer, explique Martinet, mais ce qui m’a décidé, c’est la pensée que si revenu en France, il était à nouveau question de mobilisation, je reprendrai les armes [...]. Dans les camps de prisonniers, nous n’avions aucune idée de ce qui pouvait se passer en France. Nous n’avions aucune notion de ce que pouvait être la Résistance. J’ai donc signé à ce moment-là ce papier. Je devais me présenter à l’arrivée à Paris à l’ambassade d’Allemagne et c’est ce qui m’inquiétait. J’avais d’ailleurs décidé de refuser et de disparaître si on me demandait de faire quelque chose que je jugerais impossible, des choses incompatibles avec mon devoir.
Je suis donc arrivé à Paris le 2 ou 3 octobre 1941. Le lendemain, je suis allé à l’ambassade d’Allemagne où l’on m’a dit que l’on espérait me voir assister à toutes les manifestations franco-allemandes. Voilà toutes mes relations avec les Allemands. On ne m’a jamais demandé de faire de la propagande, ce que j’ aurais refusé.
[...] Lorsqu’il s’est présenté à moi l’occasion de faire quelque chose, je n’ai pas hésité à le faire. En janvier 1944, un de mes camarades de captivité, recherché par la Gestapo est arrivé chez moi en me demandant de lui donner asile, ce que j’ai fait sans hésitation, sans penser à la signature que j’avais pu donner. Il est resté chez moi pendant trois mois. Avec cet ami, j’ai été amené à faire des fausses cartes d’identité, de l’activité clandestine77. »
57On mesure la « raideur » de l’épuration à travers cet exemple. Que vaut en effet un engagement à ne rien entreprendre contre la Wehrmacht en échange d’une libération au bout de plus d’un an de captivité ? Le patriotisme des prisonniers fut mis à rude épreuve et les voies qu’il devait emprunter n’allaient pas toujours de soi. En contre-champ, cela ne doit évidemment pas occulter les convaincus. L’un deux, Blancpain78, secrétaire général de l’Alliance française rédigea un tapuscrit de 43 pages intitulé « Dans le besoin d’un honnête homme » (sic) dans lequel il explique le fonctionnement des cercles Pétain dont il fut à l’Oflag 6 A, l’un des principaux animateurs. L’homme est décrit dans le rapport d’inspection comme « une des vedettes de l’Oflag, doué d’un beau talent littéraire oratoire [...], dont les causeries étaient très appréciées du public. Il aime les applaudissements, l’admiration et les compliments. Il aime qu’on parle de lui ».
58Il fut libéré d’Allemagne en décembre 1943 sur l’intervention spéciale de l’ambassade d’Allemagne en Espagne et fut chargé de la revue de presse à Radio-Paris. Ayant prononcé plusieurs conférences où il exaltait la radio nationale, il accepta qu’un de ses textes soit publié par les Allemands dont les services de propagande tirèrent avantage. Il cessa néanmoins toute activité après décembre 1943 et participa activement, selon le rapport d’enquête, à la propagande française après la Libération. Son texte, sorte de réflexion désabusée sur les causes de la déchéance française n’en reste pas moins éclairant sur l’état moral de nombre de prisonniers79.
Victimisation
59« Aujourd’hui, c’est le Maréchal qui passe en Haute Cour. Mais les chefs d’accusation ne manqueraient pas pour un procès du Général. Rébellion contre le gouvernement légal (à un moment où il ne se trouvait pas encore sous la domination de l’ennemi). Entreprise de division des Français (en collaboration avec le maréchal Pétain). Usurpation du pouvoir. Violation des Droits de l’Homme et des lois de la République... Je crois entendre un autre réquisitoire, j’imagine une autre condamnation – je ne la souhaite pas80 ». Provocateur, Fabre-Luce dénonce une justice de vainqueur, quoiqu’au fond la justice dans sa pratique penche le plus souvent du côté du puissant, de l’État. Partant, il met en valeur la perception commune chez les épurés d’avoir été les victimes d’un processus injuste. D’autant que l’auteur d’Au nom des silencieux trouve les mots pour décrire ce que furent parfois de réelles situations de souffrance parmi les épurés détenus, n’hésitant pas à utiliser, habile, de douteuses comparaisons.
60« Je ne laisserai pas travestir ma pensée. Je trouve juste que les tortionnaires expient leurs crimes ; excellent qu’un général américain oblige la population de Weimar à visiter le camp de Buchenwald ; légitime – et d’ailleurs inévitable – que l’Allemagne porte le poids principal des destructions de la guerre. Mais ajouter à tout cela des persécutions inutiles contre des innocents n’est pas à mes yeux prendre une revanche de Buchenwald. C’est tomber au même niveau [...]. Je n’ai pas oublié ce gardien aux yeux verts qui, dans l’affreux Cherche-Midi, me choisissait j’en suis sûr, parce que j’étais, dans son esprit, celui qui en souffrirait le plus81 ». Le « syndrome victimaire » chez les épurés s’exprime souvent dans cette mise en miroir, dans cette construction d’équivalence, entre souffrances endurées dans la France occupée ou l’Allemagne nazie, et celles subies lors de l’épuration comme du reste lors de l’occupation alliée de l’Allemagne82.
61Les universitaires sont un certain nombre à se plaindre dans leur plaidoirie des mauvais traitements subis lors de leur arrestation puis de leur détention lorsqu’elle a eu lieu. On peut leur faire ce crédit de la bonne foi compte tenu des détails qui sont donnés. Leurs témoignages n’en recoupent du reste que d’autres, et fondent, même lorsqu’ils sont habiles, leur sentiment d’injustice. Un professeur de médecine lyonnais relate ainsi son expérience personnelle :
« J’ai été arrêté le 11 novembre 1944, je ne sais pourquoi. J’ai été relâché sans savoir pourquoi. On m’accusait d’être collaborateur, d’avoir été nommé d’une façon irrégulière professeur à la faculté, d’avoir été la cause d’arrestation de médecins », explique l’ancien maire de Lyon nommé par Vichy. Alors qu’on lui demande pourquoi il a accepté cette charge, il répond : « J’ai été désigné par M. Angéli, que je n’avais vu qu’une fois en mai 1941. J’étais secrétaire général au comité médico-chirurgical [...]. J’ai accepté, décidé que j’étais à faire de l’administration pure et à sauver ce qui pouvait être sauvé. J’ai perdu toute ma clientèle. Je n’ai jamais signé de réquisitions pour la Milice ou le PPF. J’ai refusé d’assister aux funérailles des miliciens et des PPF. J’ai sauvé tous les employés de la mairie du STO et presque tous les étudiants. J’ai obtenu la désignation de M. T..., franc-maçon comme chef de division. Je n’ai jamais assisté à des manifestations allemandes. Aucun étudiant des hospices, aucun externe n’est parti au maquis sans un congé signé de moi83. »
« Actuellement, ma situation est la suivante : le 14 juin 1940, mon fils, le sous-lieutenant Lucien Mercier a été tué à Verdun. Le 24 juin 1940, mon fils aîné, le lieutenant Jean Mercier a été fait prisonnier et l’est encore. En juin 1940, les opérations de la Bataille de Caen ont réduit à néant tout ce que je possédais au point de vue intellectuel et matériel en détruisant l’Université de Caen, mon laboratoire de Luc-sur-mer et ma maison d’habitation84. »
62On retrouve dans ce qu’écrit ce professeur caennais en janvier 1945 l’essentiel des arguments avancés par les épurés pour s’ériger en victimes. La référence aux enfants ou à des membres de la famille offre des garanties incontestables de patriotisme. Un fils mort au combat impose le respect propre à toute grande douleur. Un autre prisonnier depuis quatre ans, la destruction du foyer familial, des locaux universitaires, du laboratoire, tout cela invalide la question même de la faute qu’il a commise et donc le mauvais procès qui lui est fait. La souffrance de l’homme, prolongement du sacrifice patriotique de ses fils, oblitère la nature de son engagement dans la collaboration.
Le dépit de la mise en cause
63Si l’épuration fut souvent contestée tant par ceux qui la subirent que par la population, c’est bien souvent parce que la Libération du pays favorisa la multiplication d’attitudes peu compatibles avec les règles devant gouverner toute entreprise de justice. Les dossiers furent parfois instruits hâtivement par des comités de libération ou d’épuration qui arrêtèrent, interrogèrent, internèrent, parfois molestèrent des accusés dont la mise en cause pouvait, renseignement pris, ne reposer que sur de vagues rumeurs ou quelques témoignages imprécis. Cette radicalité dans les formes, ces mises en cause ou arrestations jetant l’opprobre sur celui qui y était confronté, la rigueur de certains internements, le trop fréquent manque d’informations délivrées à l’accusé, bref les dysfonctionnements entachant le processus d’inculpations fondit chez les intéressés un fréquent sentiment d’injustice. Ce, y compris dans le monde feutré de l’université. Le Front national universitaire (FNU) fit preuve en certaines occasions d’un manque cruel de discernement. À moins qu’il s’agisse d’une volonté délibérée de relayer le désir de vengeance d’une population, dont le Parti communiste se faisait fort d’être le guide et l’organisateur naturel des aspirations. L’exemple de Marcel Griaule est sur ce point éclairant : professeur d’ethnologie, combattant en 1914-1918 et en 1939-1940, titulaire de la Croix de guerre et de la Légion d’honneur, Marcel Griaule avait multiplié les conférences pour défendre l’Éthiopie en 1935-1936, fut menacé de mort ainsi que ses trois enfants lors des accords de Munich (il s’était « mis à la disposition » de la république tchécoslovaque pour la défendre), soutint, selon le rapport d’enquête, « moralement et matériellement des Juifs, des réfractaires et des suspects »85, fit l’objet sous l’occupation d’un rapport d’enquête de la Milice concluant à sa révocation (pour gaullisme, résistance, enseignement tendancieux, etc.) qui donna lieu à une enquête de police en juin 1944. Afin de barrer la route à Georges Montandon, collaborationniste notoire, il présenta sa candidature à la chaire d’ethnologie en Sorbonne qu’il obtint sur titre et fut de ce fait la cible de la presse collaborationniste de Je suis partout86 au Pilori ou de L’Ethnie française (dirigée par Montandon), où l’on pouvait lire dans le numéro de janvier 1943 à la rubrique « Échos universitaires » :
« Fait étonnant, la Sorbonne – l’Université – ne possédait aucun enseignement relatif à l’anthropologie et à l’ethno-raciologie, sciences directrices d’un renouveau, pour la jeunesse, de la conception de la vie [...] on a créé, pour le nouvel enseignement prévu deux petites chaires, perdues au milieu de la forêt des postes concurrents : l’une d’Histoire du judaïsme, l’autre d’Ethnologie. La chaire d’histoire du judaïsme a été confiée à Henri Labroue, ancien député de la Gironde. Il a écrit récemment un Voltaire antijuif qui ne manque pas de verve. Nous savons que c’est un antisémite d’avant 1939 [...]. Quant à la chaire d’ethnologie si elle ne ment pas à son titre, elle a été confiée à Marcel Cohen-Mauss-Rivet-Griaule. Qui est Marcel etc. ? Pendant un quart de siècle Marcel Griaule a suivi à plat ventre, l’enseignement de trois maîtres : le juif Marcel Cohen, qui lui a inculqué ses premières connaissances amhariques, le juif Marcel Mauss (l’un des fondateurs de L’Humanité), qui l’a saoulé de son enseignement en sociologie communisante, et Paul Rivet, un des champions francs-maçons du Front Populaire, en fuite à Bogota, qui l’a introduit au Musée de l’Homme. Dans le cadre de ce dernier organisme, il eût été difficile de battre le record des exercices de reptation de Griaule vis-à-vis de son patron. »
64En dépit de son profil patriotique au-dessus de tous soupçons, Griaule se voit suspendu de fonction durant trois mois au motif que le FNU soupçonnait que sa nomination fût entachée d’irrégularité. La campagne de calomnie dont il est l’objet précisait le rapport d’enquête, « répète curieusement en les transposant, les arguments de la Milice87 ».
65D’autres, peut-être plus stratégiquement, se plaignent fréquemment des conditions dans lesquelles ils ont été arrêtés et interrogés.
« À 12 h 05 j’arrivais en auto avec trois gardiens à Saint Pierre. Tandis que j’entrais, une foule hurlante qui se pressait aux portes, cria : “à mort ! à mort !” Après un interrogatoire d’identité au greffe de la prison, une grille se ferma derrière moi, et j’entendis : “Un de plus... à la fouille !” Parmi de nombreux agents et gardiens débraillés, occupés à boire et à rire, l’un d’eux m’interpella : [...] Qu’est-ce que tu as encore fait, toi ? – Je n’en sais rien, – Tous les mêmes... ils n’ont rien fait !
Aussitôt, je fus giflé et “passé à tabac” selon l’expression. On eut dit un règlement de comptes à coup de crosses (dont je porte toujours la trace sur le pied gauche). Je m’écroulais sans mot dire. “Allons bouffer” dit l’un de mes bourreaux. C’est sans doute grâce au déjeuner de ces Messieurs que je n’ai pas subi le traitement des autres arrivants : pendant une heure, quelquefois deux, il fallait se tenir debout sur une jambe, les bras en l’air, face à un mur. Chaque fois que les membres fléchissaient, un coup dans les reins ou sur la tête avec une arme ou une corde venait ranimer le supplicié. D’autres furent couverts de crachats, d’autres encore durent faire sur leurs genoux le tour du chemin de ronde caillouteux de la prison, recevant des gifles, coups de matraque, de poing, de lanières de cuir, pour avancer plus vite. D’autres enfin, furent gravement blessés par coups de marteau et de stylets. Le président du tribunal de commerce subit lui, un commencement de strangulation avec serviette mouillée88. »
66La description des sévices subis comme ici n’est pas rare en cas d’internement. Sans même aller jusqu’à de telles extrémités, l’arrestation publique, le processus d’internement, transfert, menotté parfois, l’amalgame forcé à d’autres délinquants ou à des collaborateurs plus radicaux, bref la honte de devoir supporter une telle situation contribue chez les universitaires à s’ériger en victimes.
« Je n’accepte pas cette sanction, non seulement parce que sa gravité – perte de dix ans d’ancienneté – est, en tout état de cause, d’un ordre de grandeur très supérieur à tout ce qui m’était reproché, mais encore parce que je suis véritablement un condamné par contumace. Je ne tiens pas en effet pour audition véritable, le fait d’avoir été, sur commission rogatoire, interrogé par le secrétaire d’un commissaire de police qui m’a prié de répondre séance tenante et de façon très stricte aux accusations contenues dans une plainte lancée contre moi, qui a refusé de verser au dossier une très importante attestation écrite à ma décharge et qui m’a assuré que le témoin auteur de cette attestation serait entendu, promesse qui n’a pas été tenue. C’est aujourd’hui seulement (le 16 septembre), que j’apprends le fait retenu à ma charge – ma fréquentation de quelques cours de l’Institut de langue allemande à Angers. Je transcris : “le CEA en proposant ma rétrogradation a voulu sanctionner une attitude imprudente de la part d’un professeur de l’enseignement public. Nous savions quel était l’objet des cours institués par les Allemands et il était partout considéré qu’il était du devoir des Français de s’abstenir de tout contact avec ce genre d’organisation”. Je me propose de répondre à fond, avec des témoignages écrits au reproche qui m’est adressé. Mais auparavant il importe que je dissipe tous les doutes qu’auront pu faire naître dans l’esprit de mes juges, quelques calomnies non signées contenues dans le rapport accusateur [...]89. »
67L’auteur de ces lignes fut finalement reclassé. Contrairement à d’autres, c’est ici la seule procédure qui est mise en cause puisqu’il n’a pu s’exprimer sur la question du fond. S’il est fréquent que les modalités du processus (arrestation, détention, interrogatoires, sanctions, délais) soient ainsi sujet de protestation et alimentent le sentiment d’injustice, on aura remarqué dans les exemples précédents que les arguments relèvent en général du registre patriotique. Voici ce qu’écrit à un professeur, le 2 décembre 1944, un chargé de cours de l’École des Hautes études à Paris, dont le dossier fut finalement classé, mais qui fut arrêté à la Libération pour propos pro-allemand : « J’ai l’honneur dans l’ignorance complète où je suis de ce qui m’est reproché [...] de vous remettre un dossier de témoignages et d’explications dont la lecture suffira, j’en ai l’intime conviction, à vous montrer qui je suis et l’erreur commise à mon égard. J’en ai beaucoup souffert et la suspension sans avis d’aucune sorte de mon cours à la rentrée a été pour moi une peine immense. Je me suis senti victime d’une injustice aussi inattendue que peu concevable, ma pensée philosophique et politique ayant toujours été une pensée d’amour pour mon pays90 ».
68« Je me permets d’espérer que mes compatriotes n’ajouteront rien à ces infortunes (listées précédemment), car ils sauront reconnaître le sens français que je donnais au mot collaboration », écrit cet universitaire caennais91. Comme le remarque pour la Bretagne Luc Capdevila, et à quelques exceptions « les systèmes d’accusation (comme ceux de défense) reposent sur un argumentaire essentiellement patriotique [...] A contrario, il est extrêmement rare que les accusés admettent avoir pris le parti de l’ennemi, ils construisent leur système de défense sur la négation de l’accusation de trahison ou prétendent assumer des choix prononcés au nom de leurs convictions patriotiques92 ». Les différentes études menées sur l’épura tion vont toutes dans ce même sens93. Certaines victimes sont plus complexes comme l’est Georges Dumézil qui associa un parcours politique allant de l’Action française dans les années trente, à la franc-maçonnerie sous le Front populaire, motif pour lequel il fut exclu sous Vichy. Devenu catholique pratiquant, il fut réintégré par Abel Bonnard grâce à l’intervention de l’archevêque Suhard. Son cas est encore compliqué par de fort mal venues relations allemandes et la publication dans la NRF de plusieurs articles sur les dieux et les mythe germains. Le FNU demanda une enquête à la Libération qui se solda par une nouvelle exclusion de l’université annulée début 1945. Encore cette trajectoire est-elle calquée sur les recherches que menait Dumézil du moins pour ce qui concerne son entrée chez les francs-maçons et son intérêt pour la mythologie allemande. Son exemple propose un profil singulier qui n’augure en outre d’aucun méfait envers ses compatriotes94. D’autres moins connus eurent à subir des parcours ou des situations complexes les amenant à se considérer, avec des accents de vérités parfois confondant, en victime95. On ne peut ici répertorier tous les plaidoyers pro domo allant dans ce sens et cherchant, parfois avec raison, mais, il faut bien le dire, souvent par opportunisme, à relativiser leur manque de clairvoyance, pour la plupart, après 1942. Le discours de victimisation s’étend ensuite au-delà, jusque dans les recours au Conseil d’État, et finit par s’éteindre avec les lois d’amnistie, avant d’alimenter les méandres de la mémoire.
Notes de bas de page
1 Cf. Claude Singer, L’Université libérée, l’Université épurée, op. cit.
2 AN F 17 16785. Dossier Dupeloux, assistant à Grenoble, interrogatoire.
3 AN F 17 16732, dossier Aubertin, professeur de médecine expérimentale à Bordeaux, Procès-verbal de l’interrogatoire (pièce 47).
4 Marc Bloch, Écrits de guerre 1914-1918, textes réunis et présentés par Étienne Bloch, introduction de Stéphane Audouin-Rouzeau, Colin, 1997, p. 182.
5 « On ne peut qu’être frappé par l’usage qui est fait par Marc Bloch, dans L’Étrange Défaite, des enseignements de 14-18 pour juger 39-40 et montrer que ce deuxième engagement fut doublement une défaite, débâcle sur le terrain et oubli des évidences forgées dans le premier conflit [...] », Vincent Duclert, « Penser pour résister ; L’Étrange défaite de Marc Bloch », in Patrick Cabanel et Pierre Laborie (dir.), Penser la défaite, Toulouse, Privat, 2002, p. 171.
6 Cf. Les nombreux exemples in Patrick Cabanel et Pierre Laborie (dir.), Penser la défaite, op. cit.
7 « Les transcriptions des témoignages que j’ai examinés sont pleines d’erreur dans les dates, les noms de personnes et les endroits, et ils manifestent à l’évidence une mauvaise compréhension des événements eux-mêmes. Certaines de ces dépositions peuvent davantage égarer le chercheur non averti que lui être utile », The Holocaust and the Historians, Cambridge et Londres, Harvard University Press, 1981, p. 177.
8 D’après la communication de Pierre Laborie sur Emmanuel Mounier au Colloque « Penser la Défaite » organisé par l’université de Toulouse II et la Maison de la recherche les 9 et 10 mai 1999, Privat, 2002.
9 Robert Francis, Thierry Maulnier et Robert Maxence. Pierre Hebey, La Nouvelle Revue Française des années sombres 1940-1941, Gallimard, 1992, p. 33.
10 Pierre Drieu la Rochelle, Journal 1939-1945, Gallimard, 1992, cité par Pierre Hebey. Sur la question des écrivains, cf. Gisèle Sapiro, La guerre des écrivains, Fayard, 1999.
11 Pierre Hebey, La NRF des années sombres, op. cit., p. 33-34.
12 Hebey qui donne de nombreux exemples dans son ouvrage, remarque que « Les écrivains dans leur quasi-majorité, ne pleurèrent guère à l’enterrement d’un régime dont ils m’avaient cessé de dénoncer les tares. De Bernanos à Breton, en passant par Mauriac, Aragon, ou Berl, tous admettent et comprennent le jugement de l’Histoire. Un malheur mérité devient plus supportable », ibidem, p. 34.
13 Anne Simonin, « Le roman de la défaite à propos du roman Les Chiens de paille de Pierre Drieu la Rochelle », in Patrick Cabanel et Pierre Laborie, Penser la défaite, op. cit., p. 182.
14 Bertrand de Jouvenel, Après la défaite, Plon, 1941, p. 58.
15 Idem, p. 60.
16 Issu de l’ouvrage célèbre rendant compte d’une enquête : Agathon, Les Jeunes gens d’aujourd’hui, Plon, 1913. Henri Massis de l’Action française en fut à l’initiative.
17 Hans Manfred Bock, « De la “république moderne” à la Révolution nationale. L’itinéraire intellectuel d’André François-Poncet entre 1913 et 1943 », p. 106-148.
18 MOB, Servir l’État français, op. cit., p. 370.
19 AN. F 17 16752. Dossier Boucher, rapport d’enquête.
20 Raymond Aron, « L’homme contre les tyrans », Gallimard, 1946, in Chroniques de guerre. La France libre, 1940-1945, Gallimard, 1990, p. 535.
21 Francine de Martinoir, La littérature occupée. Les années de guerre 1939-1945, Hatier, 1995, p. 83.
22 Voici comment dans l’École des cadavres (que Céline commence à écrire au cours de l’été 1938), il parle de littérature et des romanciers de son temps : « Jamais ils n’ont rien enculé, reculé, basculé, maculé, rien du tout ! Ces perruchets paoniformes, pas la moindre miche, bonniche, la moindre complicature. » Chez lui comme chez Rebatet, Brasillach, Montherlant et d’autres écrivains de la Collaboration, on trouve ce désir perdu de se montrer viril, plus que les autres. Peurs de l’impuissance, peur et dégoût de la femme, frénésie de l’écriture de compulsion, tout cela nous est livré avec la prose de Céline. Tout cela a pesé très lourd dans les années d’occupation », in Francine de Martinoir, La littérature occupée. Les années de guerre 1939-1945, Hatier, 1995, p. 98-99.
23 Cf. Georges Mosse, L’invention de la virilité moderne, Pocket, 1999 ; et surtout La révolution fasciste. Vers une théorie générale du fascisme, éd. américaine, 1999, trad. Française, Le Seuil, 2003 ; notamment le chapitre 9, « L’homosexualité et le fascisme français » (issu d’un article paru dans Sociétés, no 17, mars 1988) ; et le chapitre 10, « L’esthétique nazie : la beauté sans sensualité et l’Exposition de l’art dégénéré » (traduction d’un article publié dans « Degenerate Art » : The fate of the Avant-garde in Nazi Germany, Museum Associate, Los Angeles County Museum of Art, 1990).
24 AN F17 16869, dossier Prévost, le 1er mai 1943.
25 AN F 17 16732. Dossier Aubertin, cette affaire fut jugée deux fois en chambre civique ou l’intéressé obtint le non lieu et la mise hors cause par le CSE.
26 AN F 17 16846. Dossier Marquis, rapport du secrétaire général de police daté du 14 septembre 1944.
27 Idem.
28 Cette phrase figure dans le rapport Daudin mais non dans le compte rendu au ministre de 1949.
29 AN F 17 16848. Dossier Mauriac. Rapport d’enquête.
30 AN F17 16668, dossier Pierre Mauriac, rapport d’enquête du CSE, p. 66-67.
31 Idem.
32 Idem. p. 96-97, souligné dans le texte.
33 Idem.
34 À partir de 38 enquêtes départementales, Philippe Burrin (La France à l’heure allemande, 1940-1944, op. cit.) donne la composition sociologique suivante : professions libérales représentent 7,7 % des effectifs patrons d’industrie : 3,6 %, commerçants-artisans : 20 %, agriculteurs-ouvriers agricoles : 8,4 %, ouvriers et employés : 25,6 %. On sait que le groupe de combat baptisé « Groupe d’Action pour la Justice Sociale » compta 26 membres en Ille-et-Vilaine, cf. Luc Capdevila, Les Bretons aux lendemains de l’Occupation, op. cit. et Jacqueline Sainclivier, La Résistance en Ille-et-Vilaine 1940-1944, Rennes, PUR, 1993.
35 AN F 17 16846. Dossier Massot, professeur de médecine à Rennes. Rapport au CSE.
36 Ibidem.
37 AN F 17 16807. Dossier Guéraud, témoignage, pièce 3.
38 AN F 17 16807. Dossier Guéraud, assistante technique de botanique à la faculté de sciences de Grenoble.
39 Olivier Wieviorka, Les Orphelins de la République. Destinées des députés et sénateurs français (1940-1945, Le Seuil, 2001, p. 434-435.
40 Lettre de Jacques Morane, préfet du Loiret puis préfet régional d’Orléans au ministre de l’Intérieur, 16 avril 1945, AN 72AJ 420, cité par Marc-Olivier Baruch, « Négocier la contrainte », in Marc-Olivier Baruch et Vincent Guigueno (dir.), Le Choix des X. L’École polytechnique et les polytechniciens 1939-1945, Fayard, 2000, p. 105.
41 Alfred Fabre-Luce, Au Nom des silencieux, à l’Enseigne du cheval ailé, 1945, p. 117. Arrêté à la Libération, il fut condamné par l’une des chambres civiques de la Seine à 10 ans d’indignité nationale en mai 1949.
42 Pierre Laborie, L’opinion française sous Vichy, op. cit., p. 334.
43 AN. F 17 16902. Dossier Vignes, audition.
44 Idem.
45 AN. F 17 16824. Dossier Jung.
46 Gérard Régnier, Jazz et société sous l’Occupation (1940-1944), thèse Paris 1-Sorbonne, sld Pascal Ory, février 2006, p. 138.
47 Même si son statut de « gueule cassée » de la Grande Guerre joua à l’évidence dans la décision prise à son égard. Son cas comme on l’a vu précédemment, ne fit pas l’unanimité au sein du Comté supérieur d’enquête.
48 AN. F 17 16824. Dossier Julia.
49 AN. F 17 16736. Dossier Barbaroux.
50 Idem.
51 Guitard-Auviste, Jacques Chardonne, p. 207, rapporté par Julian Jackson, La France sous l’Occupation 1940-1944, Flammarion, 2003.
52 Philippe Burrin, la France à l’heure allemande, op. cit., p. 210.
53 AN. F 17 16752. Dossier Boucher, témoignage d’une étudiante, pièce 7.
54 Idem.
55 Idem.
56 Ibidem. Mémoire de défense de l’accusé.
57 AN F 17 16732. Dossier Aubertin, professeur de médecine expérimentale à Bordeaux, mémoire de défense, p. 5.
58 Dossier Arnaud, chirurgien, chargé de cours à la faculté de Marseille, AN F 17 16732.
59 AN F 17 16 Dossier Brun, CSE (rapport de Pozzo di Borgo du 26 janvier 1948).
60 Ibidem. Voici en quels termes la lettre signée de lui demandait des explications : « [...] je me permets d’attirer votre attention sur le point suivant : différents industriels, dignes de foi, qui sont allés récemment à Vichy pour des questions intéressant le contrôle des prix m’ont fait connaître que les chefs des services de la surveillance du contrôle des prix au ministère des finances étaient deux Israëlites M. J. et N. Je n’ai pas besoin de vous dire combien la surprise de ces industriels a été grande. Ils soutiennent avec des apparences de raison que si un désordre a régné dans ces services, la cause en serait à ces deux personnes qui restent fidèles aux errements de l’ancien régime. Voudriez-vous avoir l’obligeance de procéder à une vérification ? »
61 Dont voici le texte : « N’ayant jamais appartenu à un parti politique, je suis entré à la Légion parce que j’ai cru dans le noble idéal qu’elle proposait : réaliser l’union de tous les Français de bonne volonté sans distinction d’opinion ou de religion (sic !) autour du drapeau [...]. à mes yeux la Légion fait désormais figure de parti politique au service d’une conception politique que je désapprouve. Elle devient inapte à sonner le ralliement des Français contre l’ennemi. » M. Brun, par la suite, a été à plusieurs reprises suspect au gouvernement de Vichy.
62 Idem.
63 AN F 17 16756. Dossier Brelet.
64 Idem.
65 Jugeant déplacée son « indifférence aux choses d’intérêt national », considérée comme impropre à la carrière d’éducatrice française, il fut demandé qu’elle ne soit pas admise dans les cadres. L’accusée fut interdite d’enseignement dans le public le 17 janvier 1945.
66 AN F 17 16849. Dossier Mesnages, rapport d’enquête de G. Bardaux, 19 mai 1945.
67 AN F17 16740, dossier Paul Becquerel, lettre à Abel Bonnard retrouvée dans ses papiers.
68 Yves Durand, « Les prisonniers » in Jean-Pierre Azéma et françois Bédarida (dir.), La France des années noires, t1. De la défaite à Vichy, op. cit., p. 264.
69 Racontée par Marcel Prenant, Toute une vie à gauche, Éditions Encre, 1980 ; Yves Durand, « Universitaires et universités dans les camps de prisonniers de guerre », in André Gueslin (dir.), Les facs sous Vichy, Actes du colloque des universités de Clermont-Ferrand et de Strasbourg, novembre 1993, op. cit., p. 177.
70 Cf. Yves Durand, « Les prisonniers », in j-P. Azéma et F. Bédarida, La France des années noires, op. cit.
71 AN. F 17 16879, dossier Roger Pierre Louis.
72 Idem.
73 AN. F 17 16743. Dossier Bernard, mémoire de défense.
74 L’accusation de collaboration dans son cas fut invalidée par la 7e commission spécialement chargée des affaires de collaboration concernant les prisonniers.
75 AN F17 16896, dossier Texcier Robert, professeur de lettres supérieures. Il fut muté au lycée Lakanal puis à Condorcet à son retour.
76 Ibidem.
77 AN. F 17 16846. Dossier Martinet.
78 AN. F 17 16747.
79 Cf. En annexe, la reproduction des titres et de quelques extraits de ce mémoire.
80 Alfred Fabre-Luce, Au Nom des silencieux, à l’Enseigne du cheval ailé, 1945, p. 176.
81 Idem, p. 118-119.
82 Cf.Hillel, Marc, L’occupation française en Allemagne 1945-1949, Balland, 1983 ; cette comparaison s’exprime notamment dans la zone française affamée.
83 AN. F 17 16744. Dossier Bertrand.
84 AN. F 17 16849. Dossier Mercier. Mémoire de défense.
85 Dossier Marcel Griaule no 60, AN F17 16806.
86 Dans le numéro daté du 19 mai 1944 de Je suis partout est publiée la brève suivante intitulée « L’homme antifasciste » : « Le Musée de l’Homme, créé sous le front populaire avait reçu une direction conforme aux grandes pensées du régime. Les hommes choisis par Blum n’ont pas trahi la confiance de la juiverie. Le professeur Paul Rivet est à Alger, et le sous-directeur du musée, M. Soustelle, est attaché au cabinet de l’ex-général de Gaulle. Ceux qui restent s’efforcent de ne pas être indignes de ces exemples. Sous la direction paternelle de M. Marcel Griaule, dont l’antifascisme délirant est de notoriété publique, les deux sœurs du professeur Rivet ont la haute main sur le secrétariat du musée. Et de rire des bons tours que l’on joue ainsi aux jobards de la Révolution nationale. »
87 Dossier Marcel Griaule, rapport d’enquête.
88 Dossier Corroy, doyen de la faculté de sciences de Marseille, arrêté le 1er septembre 1944, AN F 17 16770.
89 AN. F 17 16793. Dossier Fouille.
90 AN F17 16808. Dossier Gustave.
91 AN. F 17 16849. Dossier Mercier.
92 Luc Capdevila, Les Bretons aux lendemains de l’Occupation, op. cit., p. 358.
93 Cf. Les ouvrages déjà cités notamment ceux de Patricia Boyer, Marc-Olivier Baruch, Marc Bergère, etc.
94 Cf. Didier Eribon, Faut-il brûler Dumézil ?, Flammarion, 1992.
95 Cf. Le document de l’annexe 4.
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