Chapitre II. Engagements
p. 55-88
Texte intégral
1La notion d’engagement est à considérer ici comme le résultat d’un choix politique clair. Cette implication renvoie avant tout chaque individu aux conditions d’expression de son propre libre arbitre. Comme le rappelait Rémy Baudouï à propos du rôle de « l’administration polytechnicienne », concept flou réduisant chacun des intéressés au seul tronc commun de leur formation, « l’analyse du positionnement politique de chaque haut fonctionnaire sous l’Occupation ne peut être entreprise sans renvoyer aux principes de conviction et d’éthique de responsabilité définis par Max Weber dans L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme1 ». Encore faut-il admettre que la hiérarchie des engagements est souvent troublée tant par la spirale de la compromission gouvernementale que par la perception qu’en ont les intéressés. De même que pour l’analyse des responsabilités à l’École polytechnique Baudouï rappelait qu’on devait prendre en compte ce qu’affirmait Karl Jaspers, à savoir que « tout comportement politique, et par là toute situation politique résultent de la conduite morale de la plupart des individus2 ». Les références en ce domaine sont évidemment nombreuses mais nous verrons dans les pages qui vont suivre la place prise par cette dimension morale.
2À des niveaux différents, on retrouve cette logique en politique, dans l’administration en général comme dans celle de l’enseignement. La dimension individuelle est déterminante et quoique l’on ne puisse ici mettre en œuvre une prosopographie exhaustive, certains cas montrent le fondement de l’éthique individuelle et sa dimension déterminante face au service de l’État français. Ce fut donc le cas pour les universitaires qui prirent des responsabilités gouvernementales, pour ceux qui acceptèrent de devenir recteurs, enfin, à un niveau inférieur, ceux qui s’engagèrent dans un parti de collaboration. Ces engagements ne sont évidemment pas tous de même teneur et certains furent de pure forme. Il est malgré tout intéressant de prendre la mesure de cette diversité et de la manière dont Vichy fut à la fois perçu et appréhendé par les universitaires.
Les membres du gouvernement
3Au plus haut niveau, l ‘ épuration touche cinq ministres issus de l’Université qui furent déférés en Haute Cour de justice : Émile Mireaux, Albert Rivaud, Louis Ripert, Jacques Chevalier, Jérôme Carcopino. Le dernier, Abel Bonnard, qui resta en poste le plus longtemps, n’était pas universitaire. Leur implication dans la politique de Vichy, leur niveau de compromission face aux mesures d’exclusion et, d’une façon générale l’intensité de leur contribution allèrent croissant selon leur ordre de passage au gouvernement. Il n’en fut cependant pas de même pour les sanctions qui leur furent infligées.
Du résistant à l’opportuniste
4Albert Rivaud, professeur à la Sorbonne et membre de l’Académie des sciences morales et politiques, avait été le professeur de Philippe Pétain à l’École de guerre. C’est par la radio qu’il apprit sa nomination comme ministre le 16 juin 1940, fonction qu’il n’occupa guère que jusqu’au 11 juillet, date à laquelle il donna sa démission, une démission qui lui fut demandée sur injonction des Allemands. Autant dire qu’il ne pouvait guère être accusé d’avoir favorisé les entreprises de l’ennemi. Son procès se résuma du reste à une sorte d’éloge puisque le procureur, dans son réquisitoire, reconnut que craignant les représailles allemandes, il était demeuré en zone libre aux environs de Clermont-Ferrand, où il avait participé aux travaux de l’université de Strasbourg. « C’est dans ce milieu essentiellement “résistant”, écrivit-il, et sous les auspices de ce Centre (d’études germaniques) que Rivaud, jusqu’à l’invasion de la zone libre, donna son enseignement devant les étudiants alsaciens et les stagiaires de l’école des cadres de l’armée sans se départir un seul instant de la ligne de conduite que sa probité intellectuelle lui avait tracée une fois pour toutes et qui était celle d’une opposition irréductible aux visées du pangermanisme et de l’hitlérisme3 ». À ce dithyrambe s’ajoutaient des témoignages prestigieux en sa faveur dont celui du général de Lattre de Tassigny. Et parmi les diverses attestations, celle émanant de l’abbé Vincent, professeur à la Sorbonne et résistant de la première heure, qui attribuait à Rivaud un rôle de premier plan dans la création de l’Armée secrète. Il ne s’agissait pas là d’un procès de collaboration mais d’une formalité liée à la législation au nom de laquelle tout ministre devait rendre des comptes. Dans ce système inversé de jugement, le procureur fut son meilleur avocat : « [...] Pendant les jours sombres où tant d’esprits connurent l’angoisse du doute, écrivit-il (Albert Rivaud), fut le ferment intellectuel qui polarisa les intelligences et les énergies contre l’envahisseur et leur insuffla la volonté de résister et de vaincre. Savant, il mit sa culture et son savoir au service de son patriotisme, professeur, il enseigna les principes et les idées qui sont la base même de l’action de la Résistance4 ». Pour Albert Rivaud, le prétoire fut le lieu de tous les honneurs.
5Quoiqu’il obtînt également le non-lieu, il en fut différemment de son successeur au ministère, Émile Mireaux, Landais né en 1885, normalien, agrégé d’histoire géographie, professeur de l’université et membre de l’Institut. Il fut inculpé « d’atteinte à la Sûreté extérieure et intérieure de l’État, et pour infraction aux textes sur l’indignité nationale ». Émile Mireaux était en juin 1940 sénateur des Hautes-Pyrénées et codirecteur, avec Jacques Chastenet, du journal Le Temps. Il s’était fait remarquer lors de la séance de l’Assemblée nationale du 10 juillet 1940, puisqu’il était intervenu dans le débat sur la réforme constitutionnelle en demandant que « les membres du Parlement absents ou exclus ne soient pas compris dans le calcul de la majorité, et que seuls les votes des parlementaires présents entrent en ligne de compte5 ». On ne sait si c’est à cela qu’il dut son poste de ministre de l’instruction publique qu’il occupa du 13 juillet au 6 septembre 1940. Moins de deux mois en fonction, on peut évidemment douter de la profondeur de l’empreinte laissée au ministère par Émile Mireaux. Économiste collaborant à l’Encyclopédie française et à l’Encycopedia Britannica, il n’en épura pas moins les manuels d’enseignement tout comme le corps enseignant en même temps qu’il rétablit l’enseignement congréganiste. Certains auteurs voient en Émile Mireaux le « premier des ministres technocrates » de Vichy6, un néo-libéral attaché à la réforme de l’État et méfiant envers la démocratie7 ou encore, comme Robert Paxton, celui qui, au niveau de l’enseignement, permit, en abolissant les commissions consultatives départementales, de préserver l’administration scolaire de l’intervention abusive des politiciens locaux8. Il tenta de protéger l’équipe de rédaction du journal Le Temps tandis que son aide à la résistance fut attestée par plusieurs témoignages. Comme membre du gouvernement de Vichy puis du Conseil national à partir de 1941, Émile Mireaux était passible d’indignité nationale. Son action au gouvernement fut malgré tout appréciée comme relativement neutre par le procureur de la Haute Cour lors de son procès, tardif, le 23 janvier 1947. Celui-ci dans son réquisitoire définit ainsi le rôle de l’accusé : « (il) se consacra presque exclusivement à des tâches administratives : réorganisation des services de l’enseignement public et préparation de la rentrée scolaire. Dans cet ordre d’idées, il y a lieu de mentionner qu’il a cru bon de devoir supprimer les Comités consultatifs départementaux de l’enseignement primaire [...] Il n’apparaît pas d’ailleurs qu’en procédant à cette suppression, il ait poursuivi un but politique ou cherché à substituer un arbitraire à un autre9 ». Il fut reconnu par ailleurs qu’il avait indiscutablement manifesté une activité certaine en faveur de la Résistance.
6La gradation des engagements étant proportionnelle à l’évolution des gouvernements successifs, on franchit un degré supplémentaire avec le ministre suivant, tout en demeurant dans une très relative neutralité. Georges Ripert, professeur de droit, doyen de la faculté de droit de Paris, également membre de l’Institut, juriste de renom, avait été bien disposé envers la Révolution nationale. Il devint secrétaire d’État à l’Instruction publique et à la jeunesse du 6 septembre au 13 décembre 1940 après qu’il ait refusé en août 1940 sa nomination comme juge à la cour suprême de Riom. Quoiqu’il n’ait conservé son maroquin que quelques mois, il n’en fut pas moins partie prenante de l’instauration d’une école véritablement nationale, laquelle, selon ses propres déclarations, « cherchait à former une race nouvelle ». Ripert fut également le ministre qui mit en place les premières mesures d’aryanisation de l’enseignement, un choix qu’il ne renia pas plus tard, alors qu’il était redevenu doyen de la faculté de droit, comme l’explique Claude Singer10. Fût-ce le signe de la persistance de son engagement et de ses convictions ? Un petit-déjeuner pris par Georges Ripert chez Otto Abetz avec quelques autres juristes, en octobre 1941, fut retenu comme le signe d’une tiédeur opportuniste mal venue. Peu apprécié par le maréchal qui le jugeait trop mou, Ripert avait suivi Laval dans sa disgrâce en décembre 1940 et avait été nommé membre du Conseil national en même temps qu’il avait retrouvé son poste de doyen à la faculté de droit de Paris.
7Jugé tardivement par la Haute Cour comme ce fut également le cas pour Jérôme Carcopino, il bénéficia d’un non-lieu pour « services rendus à la Résistance » aux réels fondements desquels d’aucuns s’inquiétèrent11. Cette tarte à la crème du système de défense des accusés fonctionna parfaitement. Pour la Haute Cour, le Secrétariat à l’instruction publique qui dépendait du ministère de la justice, en dispensant Georges Ripert d’assister au conseil des ministres, l’exonérait de toute responsabilité dans la politique générale du gouvernement de Vichy. La première loi d’amnistie votée en août de la même année interdisant d’ouvrir, au titre de l’épuration, une information contre un fonctionnaire ayant bénéficié d’un non-lieu, il fut réintégré comme le fut Carcopino, sans autre forme de procès. Son admission à prendre sa retraite de plein droit, six mois plus tard, fut très peu appréciée tant par le CAE de Paris que par le CSE et montre à quel point les autorités, Maurice Naegelen, le ministre de l’époque, furent timorés dans leurs décisions.
Le clan des convaincus
8Décembre 1940 marqua d’une pierre de touche la nature des engagements au plus haut niveau. Si Ripert avait serpenté dans une ambiguïté de circonstance tout en appliquant les premières mesures antisémites, convaincu qu’il était de leur bien fondé ; Jacques Chevalier, lui, échappait totalement au registre de l’ambivalence. Fils de général, Normalien de 1901 à 1904, il est reçu second à l’agrégation de philosophie et soutient sa thèse sur les philosophies grecques avant la Première Guerre mondiale. Mobilisé, il est nommé interprète auprès de l’armée britannique (il a passé deux ans à Oxford et au pays de Galles). Il semble que sa pratique de l’anglais lui ait épargné les tranchées. Il obtient la chaire de philosophie de Grenoble en 1919. Philosophe spiritualiste, disciple de Bergson, ayant formé Jean Guitton et Emmanuel Mounier, il est considéré comme un ligueur fanatique, catholique intransigeant « grand croyant illuminé animé avant tout d’un mysticisme intérieur ». Son cours à l’école normale d’instituteurs est décrit par un ancien élève comme « un tissu d’appels au nationalisme chauvin et à la haine du Front populaire12 ». Il se dépensa beaucoup pour lutter contre « l’école sans Dieu ». En 1925, il créa l’Union des membres de l’enseignement public « destinée à faire contrepoids aux organisations de gauche et à remettre en honneur ces valeurs morales [...] que sont le respect de la famille, de la patrie et de l’amour du devoir13 ». Grand admirateur du franquisme, il prend publiquement parti pour le dictateur en 1936, allant même jusqu’à proposer son aide pour réorganiser l’enseignement en Espagne. Filleul du Maréchal (son père avait servi sous ses ordres) et ami de Lord Halifax (ce qui joua sans doute dans sa nomination), c’est son parrain, le « vainqueur de Verdun » lui-même qui, en visite à Grenoble, lui propose d’entrer au gouvernement. Devenu secrétaire d’État à l’Instruction publique aux Beaux-Arts et à la Jeunesse durant les deux mois de l’intermède Flandin, entre le 13 décembre 1940 et le 9 février 1941, il rétablit l’enseignement religieux facultatif dans les établissements publics d’enseignement. Son entourage en dresse un portrait austère et un peu inquiétant. Son chef de cabinet est frappé par « cet homme grand, maigre, nerveux », « l’air d’un sarment rôti au soleil. L’œil noir au regard tantôt très doux, tantôt brusquement allumé, a des flamboiements inattendus [...] ; par une sorte de sentiment d’absence qui émane de ce long profil [...] par ces éclairs brusques, ce fulminement de l’œil, ce tremblement de la voix, cet embrasement de toute sa personne14 ». Maurice Martin du Gard évoque « son complet funèbre et ses troubles nerveux »15, Du Moulin de Labarthète « un prosélyte, une sorte de templier, de moine ligueur, qu’animait une exaltation parfois troublante, et que le sens de la mesure n’habitait point16 ». Profil étonnant pour un ministre, intellectuel mystique égaré en politique dont le militantisme clérical inquiéta les Allemands eux-mêmes.
9Si son action au sein du ministère fut très limitée dans le temps du fait de son court séjour à Vichy, ses intentions et ses déclarations ne laissaient planer aucune ambiguïté sur la politique qu’il comptait mettre en œuvre. « Je ne tolèrerai pas que des éducateurs investis par l’État se transforment en propagandistes et utilisent l’autorité de leur fonction pour imposer à la nation la politique de leur choix », sans toutefois qu’il s’agisse, comme le rappelle Pierre Giolitto, « d’opposer un sectarisme à un autre sectarisme17 ». Il poursuit la tâche d’exclusion des enseignants indésirables entamée par Émile Mireaux et surtout Georges Ripert. Une centaine d’enseignants du supérieur lui doivent leur exclusion de l’université. Son retour à Grenoble comme doyen, où il aida quelques étudiants réfractaires au STO et quelques étudiants juifs qu’il autorisa à s’inscrire à l’université en dépit du quota, fut malgré tout marqué par la radicalité de ses prises de position face à la montée des violences. Il écrivit à Abel Bonnard, après une manifestation où des portraits de Pétain avaient été couverts de graffitis : « Il est indispensable de renforcer la police [...] d’armer la milice, afin d’avoir partout des meneurs résolus, capables de mater en une heure toute tentative de révolution18 ». Afin d’affirmer ses convictions, il fit référence dans une autre lettre d’août 1943, adressée à Georges Hilaire, aux deux cents cadets qui avaient suffi pour tenir Tolède jusqu’à l’arrivée de Franco en 1936.
10Ce sont ses prises de positions et ses appels à la répression – il demande de réprimer « avec la dernière énergie » les « terroristes » de la Drôme au printemps 1944 –, qui lui furent reprochées au moment de l’épuration. Il est arrêté le 25 juin 1944, interné durant 14 mois et comparaît en Haute Cour en mars 1946. Jacques Chevalier se voit moins reprochée son obsessionnelle volonté de remettre Dieu à l’école que d’avoir été jusqu’au bout, un fervent partisan de la répression contre les résistants et les maquisards de même qu’un chantre de « la dénonciation des étudiants communistes et gaullistes ». Il fut condamné à une peine de vingt ans de travaux forcés et à la confiscation de la moitié de ses biens en mars 1946. Il fut libéré le 8 mars 1947 pour raison médicale, puis gracié et rétabli dans ses droits par Vincent Auriol.
11Mais celui qui fut le plus connu en même temps que contesté fut sans doute Jérôme Carcopino, secrétaire d’État à l’Éducation nationale entre février 1941 et avril 1942. Normalien, premier à l’agrégation d’histoire en 1904, il séjourne à l’École française de Rome et devient un spécialiste reconnu de l’histoire romaine. Il publie notamment La vie quotidienne à l’apogée de l’Empire qui connaît un grand succès à partir de 1939. Professeur à la Sorbonne, il dirigeait l’École française de Rome quand éclata la guerre et dut rejoindre Paris. Nous avons vu qu’il signa lui-même, avec Darlan, l’application du numerus clausus issu de la loi du 21 juin 1941. Républicain mais conservateur, il plaît à Vichy qui le nomme successivement directeur de l’École normale supérieure, recteur de Paris, puis ministre de l’éducation nationale en février 1941, fonction qu’il occupa jusqu’en avril 1942. Succédant à Jacques Chevalier, il transige et, modérant l’ardeur cléricale de son prédécesseur, semble attaché au maintien d’une école laïque.
12Le procureur de la Haute Cour explique par ailleurs que Carcopino « s’est ingénié à soustraire au pillage allemand les collections juives d’œuvre d’art, et (qu’) il a élevé énergiquement des protestations contre l’action des autorités allemandes. Il s’est refusé à la création à la Sorbonne d’une chaire d’histoire du judaïsme contemporaine qui fut instituée plus tard par Abel Bonnard avec Labroue comme titulaire19 ».
13À son crédit également fut portée sa réaction face à l’exposition « Le Juif en France ». Il éconduisit sans aucun ménagement le secrétaire général de l’Institut d’études des questions juives (IEQJ), Sézille, qui aurait voulu qu’il recommandât aux professeurs et aux élèves, la visite de l’exposition. À la suite de son refus, Sézille le dénonça à Dannecker, chef de la Gestapo antijuive allemande, et lui adressa une lettre qui se terminait ainsi : « Votre lettre est celle d’un homme d’État qui n’a jamais compris l’État et surtout qui n’a pas compris le trouble actuel des esprits. Votre lettre, Monsieur le Ministre est un chef-d’œuvre, puisqu’elle consiste à écrire vingt lignes sans avoir employé le mot “juif”. » Un document allemand du 10 novembre 1941 blâme également l’attitude de Carcopino à l’égard des juifs20. S’il fit appliquer le premier statut des juifs au sein de son administration, il passe pour avoir protégé des francs maçons ou des juifs et d’une manière générale, comme le reconnut le procureur : « dans l’application de textes concernant les juifs, il s’est toujours efforcé d’en atténuer les effets. C’est ainsi qu’il s’employa à obtenir le relèvement de la déchéance des professeurs israélites, parfois malgré l’avis défavorable du Conseil d’État21 ».
14À son départ du ministère, tous les professeurs israélites de l’enseignement supérieur avaient été réintégrés à l’exception de trois dont l’instance demeurait pendante devant le Conseil d’État.
15Il fut également durant toute l’occupation le directeur de l’École normale supérieure qu’il préserva et dont il renforça le travail et la discipline22. Le concours d’entrée y fut rendu plus difficile avec un nombre accru d’épreuves, le grec devint obligatoire et, pour favoriser l’atmosphère studieuse, l’internat fut généralisé, mesure qui mit fin à la mixité de l’École23. Le directeur se réservait par ailleurs le droit d’exclure les élèves n’ayant pas obtenu leurs examens de fin d’année. Afin d’élever le niveau et le prestige de l’École, Carcopino avait établi un cycle de conférences à partir de 1941 auquel étaient conviés des intervenants du plus haut niveau24. D’une façon générale et à quelques rares exceptions près l’École fut préservée de la politique et notamment de la propagande officielle.
16Étant très peu nombreux, les étudiants juifs de l’École furent préservés du numerus clausus et purent poursuivre leurs études25. En revanche les lois d’exception touchèrent les candidats qui ne purent se présenter au concours. Les normaliens bénéficièrent également dans un premier temps de mesures différant leur réquisition au STO, délai obtenu grâce à l’action du directeur. Il tenta ensuite d’intégrer les élèves aux chantiers de jeunesse afin de gagner encore une année, solution mise au point avec La Porte du Theil qui ne fut finalement pas retenue parce que trop risquée compte tenu des rafles qui avaient commencé à s’opérer dans les chantiers de jeunesse. Mais il se dépensa beaucoup afin d’éviter le départ des élèves en leur trouvant des affectations privilégiées. La répression allemande s’accentuant, il intervint à plusieurs reprises en faveur de membres du personnel ou d’élèves arrêtés. L’attitude protectrice qui fut celle de Carcopino à l’ENS lui valut l’indulgence à son procès. Elle ne fit pas néanmoins l’unanimité auprès des étudiants puisque deux pétitions au nombre égal de signataires furent remises aux autorités, l’une en sa faveur, l’autre non. S’il avait tenté de préserver les élèves, il n’en avait pas moins appliqué les mesures d’interdiction aux candidats et n’avait jamais incité ces futures élites ni à réfléchir, ni à s’indigner, ni à agir contre la mise en pièce de la liberté de penser. Comme Georges Ripert, le non-lieu dont il bénéficia peu de temps après lui, le 11 juillet 1947, en Haute Cour fit protester les membres du CSE. Il fut réintégré le 6 mai 1951 à la suite d’une procédure complexe qui permit au ministre d’attendre que les passions le concernant soient un peu apaisées.
17Est-il utile de s’attarder sur le cas du dernier ministre de Vichy ayant en charge l’éducation et l’université ? Si La fonction avait été pratiquée avec une certaine ambiguïté par son prédécesseur, ce ne fut pas le cas d’Abel Bonnard, ministre, secrétaire d’État à l’Éducation nationale et à la jeunesse du 18 avril 1942 au 20 août 1944. Ami de Carcopino mais différent de lui en tout point, Bonnard est loin de faire l’unanimité à Vichy, à commencer par Pétain lui-même qu’insupporte autant l’homme, mondain brillant et séducteur, que ses mœurs et, comme beaucoup d’autres, son caractère jugé exécrable. Le chef de l’État français tenta du reste, vainement, de s’en débarrasser en octobre 1943 au profit de La Porte du Theil. Louis Planté, au cabinet, qui vit passer plusieurs ministres voyait en lui un agité aux incontrôlables sautes d’humeur. Sans aucune réserve face à l’occupant, l’esthète qu’il prétend être est fasciné par l’idée de « pureté de la race aryenne », à laquelle il associe sans doute d’incontrôlables pulsions pour la santé, la force et la mâle beauté des jeunes Allemands.
18Se présentant lui-même comme fidèle du maréchal mais surtout comme « combattant de l’idée européenne », son arrivée au ministère fut saluée par les milieux collaborationnistes et soutenue par les Allemands. De fait, son passage aux affaires ne suscite guère de nuances dans le commentaire. Sa prise de position, après la manifestation du 11 novembre 1940, et contrairement à son prédécesseur qui se dépensa beaucoup auprès des autorités allemandes pour faire libérer lycéens et étudiants, en dit assez long sur sa conception de l’ordre nouveau : « Des tumultes de ce genre, écrivit-il à propos du “désordre” étudiant, inconvenants les jours ordinaires, sont impies dans les jours tragiques [...] la jeunesse doit comprendre qu’on ne se venge pas d’une défaite par des impertinences et qu’on ne répond pas par des espiègleries à des catastrophes26 ». Sa « circulaire du mouchardage », en août 1942, fut emblématique de sa gestion de l’enseignement. Il y demandait aux enseignants de dénoncer toute agitation ou tout incident relevant de la pénétration gaulliste ou communiste dans les établissements. Ses initiatives universitaires en ce domaine en disent également assez long. Inquiet au printemps 1944 des intrusions « de gens étrangers à l’université, et qui souvent ne sont pas français (pénétrant) dans les facultés pour y provoquer des manifestations », Abel Bonnard en appelle à l’autodéfense de l’université et prend différentes mesures. Il admoneste les doyens en les priant de faire intervenir la police au moindre désordre, interdit la distribution de tract (au risque de l’exclusion pour ceux qui s’y feraient prendre), interdit l’entrée à l’université de toute personne non-inscrite, et demande que tout transport de papier soit contrôlé27. Quant à l’orientation qu’il donna à la politique de l’éducation, et notamment à travers le Secrétariat général à la jeunesse (SGJ), il n’est qu’à considérer quelques-uns de ceux qui l’entourèrent (Jacques Bousquet, Henri Massis, Georges Pelorson, Pierre Pucheu) pour en mesurer la dérive fascisante. Figure stéréotypée de l’ultra, Bonnard syncrétise de façon quasi pathologique et sexuelle une admiration sans borne pour « l’homme allemand et son altière beauté ». Quitte à en trouver un clone acceptable chez le Milicien qui est pour lui, « l’élément mâle de la nation ». Il s’adresse ainsi à des miliciens en janvier 1943 où, « après avoir salué en Darnand un Français exemplaire », il leur dit combien il est heureux d’assister grâce à eux « à la naissance d’une chose saine, virile et vivace28 ».
19Cité comme témoin à son procès, Jérôme Carcopino dira : « à Vichy, j’ai cherché à protéger les Français contre les Allemands. Bonnard pour son malheur, s’est persuadé qu’il protégeait les Français en suivant les Allemands29 ». Ce type d’argument, fréquent chez les politiques comme l’écrivait Marc-Olivier Baruch, illustre une tactique de défense qui permettait aux accusés, compte tenu de la dérive permanente du régime, de présenter leur action sous un jour positif, en apparaissant comme le « bon objet » des psychanalystes par opposition au « mauvais objet » que pouvait être leur successeur30. Il est condamné à mort par contumace le 4 juillet 1945. Il fuit en Espagne après être passé par Sigmaringen. Il réapparaît en France en 1960 ou s’ouvre un second procès. Se défendant brillamment, il bénéficia du soutien d’instituteurs exclus par ses prédécesseurs qu’il avait réintégrés. Il fut condamné à 10 ans de bannissement par la Haute Cour, mesure qui prenait effet à dater du mois de mai 1945, ce qui lui restituait sa liberté.
Engagements politiques et administratifs : les recteurs
20Pour quiconque eut quelques responsabilités dans l’Université, la gestion au quotidien de l’institution demandait doigté, entregent, réserve et souvent courage. Les recteurs furent fréquemment mis en cause : dix sanctionnés sur dix-sept, les autres furent tous mutés après la Libération. Comparée à l’épuration de Vichy, celle d’après 1944 fut plus rude. En effet, douze recteurs nommés par Jean Zay, au moment du front populaire, avaient dans un premier temps été maintenus par Vichy jusqu’à la fin du mandat de Carcopino. Si les recteurs subirent tout particulièrement l’épuration, c’est tout d’abord parce que leur nomination dépendait directement de la volonté du ministre. Désignés par Vichy, les recteurs avaient dû faire acte d’allégeance au régime et, dans nombre de cas, obtenu leur titre grâce à cette garantie de servilité à son égard. Mais ce ne fut pas là la seule raison car tous les recteurs ne furent pas inquiétés. En dépit des contraintes imposées par le régime, tous ne furent pas des applicateurs zélés du gouvernement de Vichy. Les recteurs se trouvaient en position déterminante dans l’application des mesures du gouvernement issu de la défaite, notamment celles d’exclusion. Mais ils étaient aussi en situation de représentation quasi permanente, face aux autorités vichystes, face à l’occupant, face au monde de l’université et à la population. En cela, les allocutions d’usage et les discours de circonstance devenaient de dangereux exercices, où les mots prononcés et leur interprétation constituaient autant de pièges.
Deux exemples
21Les allocutions publiques furent souvent des traces difficiles à effacer. Surtout lorsqu’elles étaient écrites. Le recteur Bertrand de Besançon, taxé d’être « collaborateur » propose un profil singulier. Germaniste et professeur de littérature étrangère, il semble qu’il ait toujours sincèrement œuvré pour le rapprochement des peuples, quoiqu’à tout le moins il n’ait pas fait preuve en ces circonstances d’une lucidité politique exemplaire31. Il fut en effet membre du Comité culturel franco-européen et accepta fort tard, le 1er janvier 1944, le poste de secrétaire général à l’instruction publique que lui proposa Abel Bonnard. C’est une introduction malheureuse au premier numéro des Cahiers de l’Institut allemand qui laisse une trace écrite de ses illusions européennes.
« La Culture allemande et la culture française ne se combattent pas, ne se sont jamais combattues ; elles se complètent et se fécondent mutuellement. Ce qui manque entre ces deux pensées si heureusement contrastées, ce sont les points de contacts, les terrains d’entente, les organes de liaison, les ponts. L’Institut allemand est un de ces ponts jetés entre deux esprits. Celui de Besançon a pour rôle spécial de relier cette marche-frontière qu’est le Comité avec la culture de l’Europe Centrale. Il a un rôle important à jouer dans la vaste œuvre de réconciliation et de paix spirituelle qui sera la tâche essentielle de l’après-guerre. Il a la très heureuse idée de créer entre ses membres une vivante sympathie et un courant d’échanges intellectuels. La revue qu’il vient de fonder sera pour notre région un nouveau centre de culture, auquel nous souhaitons la plus cordiale bienvenue et le plus large succès. Glück auf !32. »
22Ce texte introductif et son envolée enthousiaste finale, quoique mal venue, furent justifiés par l’intéressé comme le produit d’un échange avec le responsable de l’Institut allemand. En effet, l’autorité allemande locale venait d’appeler un grand nombre d’étudiants bisontins au STO, en mars 1943, sans attendre la fin de l’année scolaire, au mépris des engagements pris à Paris avec les autorités d’occupation. Le recteur engagea aussitôt des négociations pour leur faire lâcher prise. C’est au cours d’une conversation avec des officiers allemands que l’un d’eux lui demanda à l’improviste quelques lignes pour les Cahiers. Le recteur crût opportun d’accéder à ce désir, pensant que cela aiderait au succès de sa négociation, qui réussit par ailleurs. On comprend le dilemme qui ne fut cependant pas jugé comme une excuse suffisante par le CSE. « Si opportun qu’il pût être de se concilier les bonnes grâces de l’occupant, M. Bertrand aurait dû refuser un geste qui risquait – l’expérience l’a bien montré – d’attirer à l’Institut allemand nombre de Bisontins, universitaires ou autres33 ». D’autant que la pression extérieure face « au cas Bertrand » montait, notamment du côté des communistes. Le Peuple comtois, hebdomadaire régional du PCF, fait une large place à l’affaire dans un article intitulé « La prostitution de l’esprit » qui remplit le tiers de la une.
« [...] M. le Recteur s’est manifesté auprès de son personnel enseignant, en propagandiste particulièrement agissant de la doctrine vichyssoise, avec tout ce qu’elle pouvait comporter de veulerie, d’acceptation de la défaite, de soumission au vainqueur [...]
Notre deuxième correspondant, qui lui aussi touche de près à l’Université nous parle de prostitution, celle des péripatéticiennes, qui furent « tondues », celles aussi d’autres femmes « qui sablaient le champagne » à l’Institut allemand de la rue Fontenottes, entre tel et tel fonctionnaires très en vue dont les noms sont sur toutes les lèvres et auxquelles, dit-il nul ne touchera... soit... mais...
Mais il y a une prostitution plus répugnante, plus funeste, à la santé d’une nation, plus démoralisante, criminelle. C’est celle de l’esprit, celle de l’intelligence. L’homme qui vend sa pensée, qui la monnaie, qui la met en circulation pour en tirer des sous, des combines, de l’avancement, cet homme est pire que la dernière des p... Quand il la livre à l’ennemi, quel châtiment mérite-t-il ? Savez-vous camarades, tandis que vous luttiez contre le silence et la faim dans les prisons et les maquis, que le grand chef de l’Université comtoise se gargarisait de vins d’honneur et de discours franco-allemands, exaltait la grossen Kultur Mitteleuropa, et assignait à notre fier Besançon sali par son arrivisme, le rôle spécial de nous relier à cette Kultur34. »
23Ses convictions culturelles universalistes avaient sans doute été renforcées avant-guerre par deux postes qu’il avait occupés. Il avait dirigé de 1922 à 1935 l’Institut français de Barcelone puis été nommé directeur de l’Instruction publique en Indochine jusqu’en novembre 1938, avant d’obtenir dès son retour en France le rectorat de Besançon. Une question se pose d’abord, écrivait l’enquêteur.
« Pourquoi M. Bertrand. qu’entourait seulement la réputation un peu terne d’un bon administrateur, a-t-il été choisi pour exercer la haute fonction qu’avait laissée vacante la disgrâce de M. Terracher35 ? [...] Il jouissait de la faveur de Pierre Laval et de Abel Bonnard. En 1943, on avait offert successivement à M. Bertrand le rectorat de Lyon et la Direction de l’enseignement supérieur qu’il avait refusés. Quand le 31 décembre 1943, il fut appelé au Secrétariat général de l’Instruction publique, on ne lui permit plus de se dérober. Il dut accepter une fonction sans l’avoir sollicitée. Sans doute Bonnard et Laval espéraient-il de lui une obéissance totale et dévouée36. »
24On voit mal un proche collaborateur d’Abel Bonnard ne pas épouser ses vues. De l’avis du rapporteur « dès les premiers contacts, Abel Bonnard traita son nouveau secrétaire général avec la brutale raideur dont, paraît-il, il était coutumier. Toutes les affaires importantes étaient étudiées et résolues dans le cabinet ministériel, les pouvoirs de M. Bertrand furent réduits à peu près à néant37 ». Et au fond, si le passage d’Achille Bertrand au ministère paraît un peu vide, la période rectorale de sa carrière est plus riche de faits. En juin 1940, l’académie de Besançon se trouvait dans une situation des plus difficiles. Son chef-lieu, et la majeure partie de son territoire étaient situés en zone réservée. Au contraire, le département du Jura presque entier, était en zone libre. Les communications, dans l’intérieur du ressort académique, et avec Vichy ou Paris étaient très malaisées. De l’avis des enquêteurs, « presque livré à lui-même, le recteur Bertrand allait accomplir sa tâche selon « les méthodes que lui inspirait son caractère. Certes il défendait les intérêts de son université. Mais il voulait par-dessus tout, éviter les incidents38 ». Souci explicable chez un recteur, en ces temps pénibles, mais cette obsession devint vite inquiétante et trop radicale pour qu’elle puisse être entièrement contenue dans le registre d’un souci légitime de préservation de l’institution, de son personnel et de ses étudiants.
25Dès le 5 septembre 1940, le recteur adresse une circulaire aux inspecteurs d’académie et aux chefs d’établissements. Il leur recommande ainsi qu’au personnel sous leurs ordres « une absolue correction » envers les autorités occupantes. Tous les ouvrages qui pourraient blesser les susceptibilités allemandes doivent être bannis des bibliothèques scolaires. « Une liste des livres en usage dans les classes (devait être) envoyée au recteur, qui (devait) l’approuver [...]. Ainsi M. Bertrand, devançant les sanctions ministérielles, institua une censure des livres scolaires. » Son attitude zélée est attestée par différents témoins comme celui-ci :
« [...] au mois de juin 41, M. le recteur Bertrand réunissant le personnel enseignant des collèges de Salins s’est adressé aux professeurs dans une causerie d’une durée approximative de deux heures portant sur la situation intérieure et extérieure de la France.
Sur le ton familier M. le recteur a fait l’éloge de la collaboration, prétendant que c’était la seule solution possible et qu’il était utopique de croire à un débarquement allié sur le continent aussi bien qu’à une l’invasion des îles britanniques par les Armées de l’Axe. Dans cette guerre dont l’issue serait un compromis il trouvait sage la politique du Maréchal Pétain. Il invoqua à plusieurs reprises l’avis autorisé de son beau-frère Paul Rives, député de l’Allier. Dans son plaidoyer il cherche à nous montrer les avantages économiques que nous pourrions retirer de la collaboration et en particulier dans l’industrie horlogère. Il nous dit être au courant d’un projet de retour des prisonniers échelonné sur plusieurs mois pour que l’industrie française puisse les absorber sans difficultés [...]. Le Recteur n’a manifesté aucune haine pour les Gaullistes, il a même dit – ce sont ses propres paroles – “les Gaullistes sont de braves gens et des gens braves” mais il les voyait dans l’erreur, très ignorants des possibilités militaires aussi bien que des rapports diplomatiques. Il a flétri en particulier l’attaque très injustifiée de la Syrie, qui lui paraissait combler la mesure des méfaits de l’Angleterre et du Gaullisme.
En conséquence, j’accuse formellement le Recteur de propagande collaborationniste provichyste auprès du personnel enseignant de son académie [...]39. »
26En même temps, il entame avec les diverses Kommandantur des négociations actives et utiles, pour obtenir la libération de locaux scolaires occupés. Le ton en est curieux. Achille Bertrand est agrégé d’allemand, il écrit donc en allemand, avec une sorte de coquetterie dans la forme et dans le choix des arguments. Voici à titre d’exemple, ce qu’il écrivait le 16 octobre 1940, au commandant d’étape de Besançon, auquel il demandait l’évacuation du lycée Victor Hugo : « En qualité d’ancien professeur au gymnase Kaiser Friedrich, et comme ami et zélateur de la culture allemande en France, il me serait hautement agréable de recevoir une telle marque de votre bienveillance40 ». Il était notamment reproché au recteur « l’impression pénible » de son comportement jugé indigne d’un haut universitaire français, de même que la grande habileté avec laquelle il s’était défendu. En résumé, il lui était reproché « ses complaisances répétées pour l’ennemi », les relations suspectes qu’il avait nouées avec l’Institut allemand et ses confusions regrettables qui avait pu abuser une partie de la population. On lui savait cependant gré du dévouement dont il avait fait preuve pour défendre les locaux scolaires contre les réquisitions allemandes, et pour faire libérer des membres du personnel universitaire et des étudiants arrêtés. Classiquement, on tint compte de la longueur de son incarcération préventive pour le condamner à la mise à la retraite d’office.
27Être recteur supposait un minimum de force de caractère et une carrure suffisante pour faire dignement face aux événements. Le rapporteur de l’enquête précise à propos du recteur de Dijon : « Le cas de M. Boussagol est le cas le plus simple et le plus complexe à la fois que j’ai eu à instruire. On ne saurait lui reprocher aucun acte de collaboration avec l’autorité occupante, pas plus qu’on ne peut l’accuser d’avoir jamais affirmé des sentiments anti-républicains ou tenu des propos soulignant sa fidélité au régime honni de Vichy41 ». Il est même précisé dans le rapport que les témoignages pouvant être considérés comme les plus sérieux « affirment même que M. Boussagol, lorsqu’il était sûr de la pensée de son interlocuteur, ne se cachait pas pour afficher ses sentiments républicains et pro-alliés ». C’est bien l’idée de renouvellement qui préside et qui fonde l’opinion de l’enquêteur. On ne reproche au fond au recteur ni ses rares écarts administratifs, souvent sans conséquence, pas plus que ses idées ou des actes relevant de la collaboration. « Il faut surtout retenir contre l’ex-recteur – non des faits puisqu’ils sont pratiquement réduits à néant – mais des intentions ou mieux encore des velléités regrettables. Fonctionnaire républicain et demeuré de sentiment très français, M. Boussagol n’a commis aucune faute contre son pays ou contre l’honneur. Mais recteur timoré, il lui a manqué ce qui – hélas – a trop souvent manqué à trop de Français : un caractère combatif, une volonté énergique et constante42 ». Se retournent même contre lui ses différentes mutations considérées comme le résultat d’une certaine mollesse. Il se trouve ainsi pris dans une spirale inversée d’un opportunisme négatif où ses différentes mutations deviennent le signe non de sa vénalité politique mais au contraire de sa faiblesse de caractère.
28« M. Boussagol attribue ses périgrinations et ses “chutes successives”, pour reprendre ses propres termes, du rectorat de Bordeaux au rectorat de Rennes, puis du rectorat de Dijon au rectorat de Montpellier. Mais quelles que soient les raisons pour lesquelles les ministres Carcopino puis Bonnard ont cru devoir déplacer M. Boussagol, un fait demeure certain et incontestable. Ni à Bordeaux, Rennes, Dijon ou Montpellier, l’ex-recteur n’a affirmé directement ou indirectement un esprit collaborateur ou antirépublicain. Et cependant, malgré ces faits criants jusqu’à l’évidence, un doute, une suspicion planent sur (s) a personnalité et (s) a responsabilité43 ». L’atmosphère qui entoure sa personne est celle d’un malaise, presque d’une équivoque. Le nombre des accusateurs ou témoins à charge ou à décharge est sensiblement égal – en quantité et en qualité. Le contexte montpelliérain pesa sans doute assez lourd. C’est en effet de Montpellier d’où proviennent la plupart des griefs faits à Boussagol qui succédait au recteur Sarraille, lequel jouissait à la fois de la sympathie générale et du prestige de résistant. L’homme était énergique, à l’opposé du « caractère extrêmement faible et pusillanime » de son successeur, contraste des caractères qui, de l’avis du CSE « allait accentuer la suspicion44 ». La mollesse et la velléité, la faiblesse de caractère bien plus que la réalité factuelle de sa « collaboration » s’avèrent en somme, constituer les vrais éléments à charge. L’analyse faite ici par le CSE procède autant d’une conception de la France nouvelle que de l’évaluation d’une culpabilité. Dans la France libérée, les erreurs pouvaient être tolérées bien plus que la carence du courage, valeur morale cardinale qui avait construit ou reconstruit la dignité nationale.
Gérer la contrainte
29Mais le courage n’était pas tout. Encore fallait-il savoir à quelle cause l’employer. à partir d’un aphorisme extrait d’un discours de Pierre Pucheu, « Il est plus difficile de savoir où est son devoir que de le faire », dans lequel celui-ci présentait le 19 février 1942, les préfets au maréchal ; Marc-Olivier Baruch remarquait que ce questionnement fondamental « impliquait déjà une démarche d’interrogation » dont il doutait « qu’elle se soit véritablement posée de façon massive dans la fonction publique avant 194345 ». Si l’on considère le parti pris de certains recteurs ou doyens, notamment face au STO, – l’application des lois antisémites ne semblant qu’exceptionnellement avoir été retenue –, encore pourrait-on préciser qu’il s’agit de l’été ou de l’automne 1943 et non du début de l’année. Ce questionnement à un moment où le masque de la collaboration est tombé depuis longtemps ne paraît effectivement pas avoir taraudé les hauts fonctionnaires dont il est question ici.
30La contrainte et les difficultés de l’époque sont en effet les arguments qui reviennent le plus souvent dans les mémoires de défense des recteurs. Tous usent des mêmes arguties pour minorer leur rôle, faire valoir l’aspect positif de leur action et dénoncer les intentions malsaines de leurs accusateurs dans leur académie. Tous sauf un. Gilbert Gidel, professeur de droit et recteur de Paris. Avant de reprendre un par un les griefs retenus contre lui, le rapporteur du dossier, Lablénie, vice-président du CSE, rendait hommage à son attitude face au Comité et attestait de « l’estime qu’il a(vait) pour un homme qui (avait) une attitude digne et courageuse ». Lablénie précisait en effet qu’« à la différence des autres accusés, Gilbert Gidel n’avait pas employé “les trois procédés rituels : larmes et sanglots, attestation de moralité et notamment liste de résistants sauvés et enfin, attaques de diversion contre des tiers et en particulier calomnie à l’égard des témoins”46 ». Ainsi peut-être résumée la posture défensive des recteurs comme du reste, d’une bonne partie des doyens. Cette tactique se retrouve d’ailleurs dans la plupart des systèmes de défense utilisés par les patrons de l’industrie, des banques, les cadres supérieurs de l’administration, et beaucoup d’autres.
31Le dossier du recteur de Paris est intéressant en ce qu’il montre bien les problèmes auxquels furent confrontés ses alter ego, mais surtout les faiblesses qui leur furent reprochées, l’appréciation qu’en firent les juges et, au bout du compte, et au-delà des détails factuels, de la conception républicaine du comportement d’un haut fonctionnaire dans une telle situation. Contrairement à l’image de radicalité qui, après-guerre, a collé aux comités d’épuration en général, le CSE considéra à propos du cas Gidel que sur 16 griefs, seuls 7 méritaient d’être retenus, dont 2 ne le furent finalement pas au motif qu’ils ne résultaient pas d’une volonté de nuire et qu’ils constituaient au contraire une preuve d’humanité.
32Le premier concernait la nomination de l’accusé au Conseil national en janvier 1941, ce que Gidel ne pouvait nier. Il reconnut avoir participé au travail de trois commissions. Partant, ayant collaboré à un organisme important du régime sans que rien ne l’y obligeât, il tombait sous le coup de l’ordonnance du 27 juin 1944.
33Le second fut sa nomination comme recteur le 10 septembre 1941 et la prestation de serment qu’il dut faire à ce titre. Il accepta sur l’insistance de Darlan, après avoir hésité, ce poste qu’il conserva jusqu’à la Libération. Étonnamment, c’est moins la durée de son mandat qui lui fut reprochée que l’argument avancé à propos de cette compromission symbolique liée au serment. Gidel justifia son acte parce qu’il estimait avec Talleyrand qu’un serment était « une contremarque pour entrer au spectacle ». Talleyrand en avait lui-même prêté 14 au cours de sa carrière. L’argument fut contreproductif. Pire, selon le rapporteur, « cette comparaison avec Talleyrand suffi(sait) à condamner son attitude. S’il avait refusé « la contremarque pour entrer au spectacle », il ne serait pas aujourd’hui où il en est ». La conclusion du débat fut la suivante : « ceux qui ont prêté leur serment en toute bonne foi ont adhéré au maréchalisme, ceux qui ont prêté leur serment sans y croire ont fait un faux serment. En prêtant un serment à la Talleyrand, M. Gidel s’est mis au rang de ceux qui considèrent les traités comme des « chiffons de papier47 ». Le simple aveu d’allégeance au maréchal, quoique peu glorieux, eût sans doute été plus recevable aux yeux du comité. Au contraire, cette traduction rouée d’un double jeu de circonstance à l’opportunisme mal ficelé fait long feu. C’est donc cette dimension éthique de l’engagement bafoué qui fit mouche auprès des membres de la commission. Une façon « académique » de contester la thèse du double jeu.
34Le troisième grief, fréquent, est lié aux mots prononcés, ou pire, écrits dont la trace indélébile est évidemment toujours gênante. Dans le cas du recteur de Paris, il s’agit d’une circulaire datée du 19 mai 1942, qu’il rédige à propos de l’exposition « le bolchevisme contre l’Europe » où le recteur se laissait aller à une diatribe qui fut peu appréciée : « Les leçons familières par lesquelles les maîtres s’efforcent d’inspirer à leurs élèves le respect de la civilisation chrétienne, le sentiment de la dignité humaine, l’amour de la famille et de la patrie, trouveront une satisfaisante démonstration dans le spectacle des aberrations et des souffrances auxquelles le mépris des valeurs morales a pu entraîner tout un peuple48 ». S’il fut reconnu au recteur Gidel « le droit le plus absolu d’être antisoviétique », il lui fut en revanche reproché comme faillite à son devoir « au moment où l’URSS luttait contre l’Allemagne qui nous avait réduits en esclavage, de ne pas prendre parti contre un peuple devenu notre allié ». Ce manque à son devoir de réserve fut considéré comme une faute grave puisque relevant de l’ordonnance du 27 juin 1944.
35Les quatrième et cinquième griefs concernaient certaines mesures de répression prises à l’égard des élèves. Gidel avait avalisé le renvoi d’un élève d’un lycée parisien, et avait donné l’ordre aux chefs d’établissement, le 19 mai 1941, de faire arrêter les jeunes gens qui viendraient manifester dans les lycées. Maladroit dans sa défense, le recteur avait expliqué que ces jeunes gens pouvaient être des miliciens. Argument stupide en mai 1941 alors que l’agitation larvée dans les établissements était de notoriété publique, le fait des lycéens et éventuellement des étudiants. à cela s’ajoutaient des mesures prises chaque 11 novembre où Gidel (notamment en 1941) conseillait aux étudiants de « s’abstenir de tout geste vain ». Le souci d’épargner à la jeunesse un nouveau 11 novembre 1940 sanglant était un argument recevable pour les épurateurs. Quoique pour eux « il eût mieux valu garder le silence que de couvrir les murs des écoles d’affiches qui conseillaient d’éviter “ces gestes vains” que conseillait au contraire le général de Gaulle et qui (étaient) maintenant le grand honneur de l’Université ». Sur ce point, L’attitude du recteur fut donc considérée comme « blâmable du point de vue national », mais comme elle était manifestement dictée par un souci d’humanité, le CSE ne retint pas ces incitations comme grief. Tout comme ne furent pas retenus contre lui un télégramme et des circulaires incitant les jeunes gens à partir au titre du STO, dont l’intéressé affirma qu’il en fut l’auteur sous la contrainte.
36Plus grave et plus évocateur de la disposition générale du recteur de Paris envers Vichy, l’attitude qu’il adopta à l’égard de grévistes de 1938. Gilbert Gidel reconnut qu’en 1943 il avait rayé du jury du bac un professeur, Louise Royal, ayant fait grève le 30 novembre 193849. Il expliqua son geste en disant qu’il ne reconnaissait pas aux fonctionnaires le droit de grève. « Mais ce qu’il n’explique pas, analysait Lablénie, c’est le rapport entre les deux événements. Ce qu’il oublie, c’est qu’en recherchant les grévistes de 1938 et en les notant d’infamie, si légère que fût la sanction, il risquait de les exposer à de plus graves dangers. » Cette initiative fut considérée comme une faute grave. Au final, le CSE concluait que la participation de Gilbert Gidel au Conseil national, la légèreté avec laquelle il avait considéré le serment prêté, son attitude à l’égard des alliés russes, ses décisions prises à l’encontre des jeunes résistants, sa docilité face au STO et son attitude, 5 ans plus tard à l’égard des grévistes de 1938, constituaient un faisceau de fautes graves qui rendait impossible son maintien dans l’Université.
37Si sa révocation sans pension fut proposée le 20 décembre 1944, elle ne fit pourtant pas l’unanimité au sein du CSE. Un des membres, nommé Barrabe, regrettait que pour des charges équivalentes, Gaston Julia, un professeur de sciences qui avait prononcé deux conférences en Allemagne « n’ait même pas eu un blâme50 ». Sept mois plus tard, Gidel était réintégré après que son cas ait fait l’objet d’une instruction par un membre du cabinet du ministre qui préconisait de réviser la sanction51.
Un exemple de la bonne tenue rectorale (pour un épuré)
38La compromission obligée, invoquée comme contrainte permanente n’était pourtant pas inéluctable. Tout d’abord parce que si tous les recteurs ne furent pas inquiétés, bien que tous aient été déplacés après la Libération, c’est que certains surent trouver un juste compromis entre les obligations liées à leur charge et le contexte de l’occupation. L’exemple du recteur de Caen qui fit aussi quelques faux-pas, montre les limites du mode de défense consistant à mettre systématiquement en avant contingences et pressions politiques.
39Le recteur de Caen à partir de la fin 1941, Jean Mercier, professeur de physique et anciennement doyen de la faculté des sciences de Bordeaux se voit, en juin 1940, déléguer les fonctions de directeur de la recherche scientifique. En cette qualité, il signe des ordres de mission pour les fonctionnaires désireux de se rendre en Afrique ou en Angleterre et leur accorde des subventions. Il facilite le départ de caisses contenant les pierres précieuses du Museum et organise, d’une manière générale la préservation du matériel de son laboratoire. Proche de ses collègues, il fait preuve d’humanité en décembre 1940, lorsqu’il signe une adresse de sympathie envoyée à un professeur révoqué « pour raison raciale ». Sans doute le geste est-il minime, mais du moins porte-t-il un message important. Celui tacite de son désaccord. L’attitude du recteur Mercier n’est pourtant pas ponctuellement exempte d’écarts douteux. Il accepte par exemple, à la demande d’Adrien Marquet de présider à Bordeaux une conférence faite par Georges Claude qu’il présente lui-même en tant que physicien. Il adhère également au groupement « les Fidèles du Maréchal ». Bien qu’anti-allemand, il suit Pétain au moins jusqu’en novembre 1942, sans pourtant se faire propagandiste semble-t-il. Le rapporteur précise « qu’il semble avoir cessé de suivre Maurras le 20 décembre ». Plus grave, il accepte – après l’avoir auparavant refusé – le poste de recteur de l’académie de Caen, en remplacement de son prédécesseur, révoqué par Vichy, à la demande des Allemands.
40Cependant, en tant que recteur, Mercier multiplia les initiatives prévenantes envers le personnel dont il avait la responsabilité. Il intervint en faveur du censeur du lycée Malherbe, suspendu comme franc-maçon, il appuya un directeur d’école qui refusait de signer une déclaration de fidélité au régime. Il soutint la directrice du lycée de jeunes filles dans la résistance qu’elle opposait face aux pressions exercées sur son établissement par les Jeunesses du Maréchal et les Équipes nationales. Il l’aida même à se débarrasser, suivant la procédure légale, d’une élève-institutrice suspecte à tous égards selon le rapport, et maîtresse d’un Allemand. Il se rendit même à Paris afin de protester contre le maintien en fonction d’une déléguée rectorale à Rouen, liée aux Allemands, et ce « malgré le soutien de la Gestapo ». Son intervention porta ses fruits et il n’hésita pas à déplacer l’enseignante.
41Lors de l’arrestation du doyen de l’université de Caen, il multiplia les démarches auprès de la police française d’abord, puis de la Kommandantur et de la Gestapo. Après que les Allemands aient interdit les postes de TSF, il prit sur lui d’installer un poste récepteur clandestin pour écouter les émissions anglaises et donner les nouvelles à son entourage. Il remet son poste de recteur le 28 juillet 1944 à la demande du commissaire régional avant d’être suspendu par un arrêté en date du 14 septembre. Le ministre le nomme de nouveau à Bordeaux, mais il doit faire face à plusieurs témoignages de protestation qui lui font comprendre la nécessité de quitter la ville. Il est finalement nommé à la recherche scientifique.
42On ne retient finalement contre lui que trois griefs : la conférence avec Georges Claude, l’acceptation du poste de recteur à Caen, qu’il avait précédemment refusé, où il se trouva remplacer un collègue révoqué par Vichy à la demande des Allemands ; enfin, d’avoir appartenu aux Fidèles du Maréchal. Mais prenant en compte les éléments donnés à sa décharge (et peut-être aussi le fait qu’il soit père de huit enfants), le CSE proposa en juin 1945 qu’il soit réintégré dans une chaire de physique dans une faculté de province autre que Bordeaux, mutation agrémentée de la peine symbolique de la censure52.
Et les contradictions
43Dans l’exemple qui précède, la dimension positive de l’attitude du recteur Mercier n’allait pourtant pas initialement de soi. Mais comme le remarque aussi Claude Singer, « les sanctions adoptées à la Libération sont loin d’être arbitraires dans la mesure où elles n’interviennent que pour des faits précis et indiscutables, en fonction des délits commis. Il n’en reste pas moins vrai qu’un même délit n’est pas nécessairement sanctionné de la même manière53 ».
44Il faut dire que pour de nombreux hauts fonctionnaires, l’écart, la faute ponctuelle, la compromission accidentelle parfois liée à la réalité des contraintes sont toujours plus visibles, plus remarqués et contestés. On sait que dans le tourbillon libératoire, la mise en cause des cadres de Vichy par la population, s’appuya souvent sur des symboles plutôt que sur l’évaluation distanciée de l’attitude globale d’un responsable. Ainsi, pour un enseignant relevé de ses fonctions par un recteur, et quoique selon l’avis du CSE cela soit « extrêmement regrettable mais non unique dans les annales rectorales », il était reconnu que le même recteur avait « accueilli et protégé d’une manière humaine et compréhensive 6 autres francs-maçons ». Ou cet autre dont les rodomontades menaçantes ne furent jamais suivies d’effets :
« Si d’autre part sa docilité intempestive a risqué d’envoyer en Allemagne (des) étudiants susceptibles d’être requis au STO après la fermeture des facultés, il faut convenir qu’en alertant vigoureusement le ministère de cet état de fait, l’ex-recteur a obtenu l’application du décret qui ajournait l’appel national jusqu’en juin 44, aux étudiants montpelliérains menacés54.
Si par ailleurs, les circulaires impératives du ministre Bonnard ont, sous la plume de M. Boussagol, pris parfois un ton comminatoire à l’égard du personnel en congé illégal, on doit reconnaître que les menaces – pour si regrettables qu’elles soient – n’ont jamais été suivies d’effet55. »
45Faire la part entre l’erreur d’appréciation, la décision intentionnelle ou le calcul opportuniste, comme le firent beaucoup de ceux qui, ayant à se défendre, brandirent l’incontournable liste de ceux qu’ils avaient aidés ; devient impossible, mais suggère, si on exclut l’habileté défensive, au moins pour certains l’ambivalence des perceptions et des comportements. C’est ainsi que le CSE retient divers éléments en faveur du recteur de Lyon, sensible notamment à son attitude digne d’éloge pendant la guerre 1914-1918 qui lui avait valu une citation. Il est également porté à son crédit d’avoir « jusqu’en 1940 toujours agi en bon patriote, de ne s’être jamais montré anti-juif ni anti-maçon56 ; d’avoir accordé plusieurs centaines d’autorisations d’absence à des membres du personnel enseignant, de s’être beaucoup dépensé pour les étudiants prisonniers et pour les œuvres sociales des étudiants ; enfin, d’une façon générale « de s’être toujours montré bienveillant avec le personnel placé sous ses ordres57 ».
46Les recteurs a priori les plus engagés, ceux dont les convictions paraissent monolithiques ne furent pas non plus démunis d’humanité face à des cas personnels de collègues ou de proches. Ou simplement dans l’arbitraire jouissance de montrer leur pouvoir et répondre éventuellement aux tiraillements ponctuels gênant leur conscience. Mais l’importance de leur fonction les autorisait, et c’était bien la moindre des choses, à intervenir de la sorte, et de surcroît sans prendre grand risque. C’est sans doute la raison pour laquelle, face à la difficulté d’évaluer la teneur exacte des soutiens apportés aux uns et aux autres, souvent lorsque le doute commençait à poindre quant à la tournure du conflit, c’est bien ce que le CSE appelait la servilité qui fut évaluée et qui devint, en dehors de griefs précis, la valeur matricielle fondant l’opinion des jurés.
De la servilité
47L’épuration est pour beaucoup affaire de mots. Ceux prononcés du temps de Vichy par les accusés, il en a été donné quelques exemples, ceux qu’utilisent les témoins et ceux employés par les instances de jugement. L’évaluation de l’attitude servile passe par la liste de ses signifiants. Servilité est un qualificatif fréquemment employé dans les rapports de synthèse des rapporteurs ou les conclusions du CSE. Accolé à d’autres : compromission, mensonge, zèle, soumission, docilité, manque d’envergure, caractère timoré, caractère faible et pusillanime... En dehors des griefs liés à la conviction (sentiments antirépublicains et anti-alliés, pro vichystes, etc.), c’est selon qualités humaines de responsables, de chef que sont appréciés les recteurs et les doyens.
« Qu’il s’agît à Dijon, de relever M. Lecoy, chargé de cours, pour fausse déclaration de non-appartenance à la franc-maçonnerie ; d’envoyer une adresse de fidélité au régime ; ou à Montpellier de dresser des listes d’étudiants au STO ; de transmettre pour exécution les circulaires comminatoires du ministre Bonnard, etc. La soumission de M.B. ne fait aucun doute. Bien entendu on ne saura lui reprocher en cette matière quelque excès de zèle, et je ne crois pas qu’aucun recteur alors en place ait agi autrement. Mais sa docilité comme son refus d’utiliser des procédés dilatoires, son caractère timoré ont donné de lui l’apparence d’un fonctionnaire trop soumis58. »
48Fidélité au régime, dresser des listes, transmettre pour exécution, soumission, docilité, timoré, soumis, l’extrait traduit le profil idéaltypique du recteur méprisable. Celui qui, moins convaincu que fidèle au régime par sa propre faiblesse a démontré que son action, dénuée d’initiative personnelle, était due avant tout à une résignation servile. « Une âme de valet » eût dit Beaumarchais. Cela peut-être un zèle servile, comme ce qui pousse le recteur de Lyon, à partir du 10 juin 1944, à rédiger un rapport hebdomadaire qu’il envoie spontanément au ministre sur la situation universitaire de l’académie59. Les variantes en la matière sont nombreuses. On retrouve des travers équivalents dénoncés chez le recteur de Grenoble qui panache engagement servile et vichysme de circonstance. Un asservissement plus qu’un engagement qui renvoie moins à sa « collaboration » avec le régime déchu qu’à sa faiblesse de caractère. Dans le paradigme de la Libération, le culte du chef, inversé dans sa version républicaine, demeure un critère majeur de l’évaluation des comportements. « L’enquête faite sur les activités de M. Mollon à Grenoble et son audition par le CSE établissent donc nettement que s’il n’a pas été collaborationniste, il n’en a pas moins appliqué fidèlement les ordres de Vichy, qu’il a eu une attitude nettement pro-pétainiste et anti-alliée et plusieurs initiatives regrettables. Tous ceux qui l’ont connu dans l’exercice de ses fonctions disent qu’il n’avait pas l’envergure nécessaire pour occuper un tel poste et qu’il n’avait pas le sens des réalités. Son adhésion à la Légion en mai 1944 et la transmission à Vichy du rapport de Mlle Grimanelli en juillet 1944 confirment cette opinion60 ». On peut en dire à peu près autant de celui de Paris : « D’une façon générale, il semble que M. Gidel n’ait pas été pro-allemand. Il a été certainement plus maréchaliste qu’il ne le dit. S’il n’a pas été du clan Bonnard ou Laval, il a été du clan Darlan. Il n’a pas collaboré avec l’Allemagne, mais avec l’ordre nouveau. Les griefs qui lui sont reprochés montrent qu’il a obéi aux ordres qu’il recevait, sans jamais résister. Il a été selon les termes employés par un membre du Conseil “le recteur de l’abdication”61 ». La formule est sévère. Elle atteste autant une réalité qu’un message (provisoire) de ce que doivent être tant l’avenir que les cadres qui devront le construire.
49Rares sont néanmoins les recteurs inquiétés pour l’application de la législation antisémite. Les archives n’en portent la trace que pour un seul qui voit retenu contre lui « d’avoir établi la liste des étudiants juifs62 ». Cette absence est sans doute due au fait que cette tâche relevait plus souvent des doyens des universités. En revanche, la position des recteurs inquiétés envers le STO fut un motif récurrent. Face au mouvement général de réprobation, il est compréhensible que certains aient cru bon de s’investir dans la mobilisation des jeunes requis. Quelques-uns ne le firent pas ou rédigèrent des circulaires laconiques peu convaincantes, certains y allèrent fort, d’autres y allèrent très fort. C’est ainsi que s’adressant aux jeunes gens requis au STO, le 25 août 1943 dans une circulaire envoyée à chacun d’eux, le recteur de Lyon, André Gain, fait valoir ses arguments pour les inciter à s’y soumettre :
« [...] à bord d’un navire que bat la tempête le péril n’autorise pas l’indiscipline ; il la rend au contraire plus criminelle. L’obéissance reste votre premier, votre essentiel devoir ; la seule règle capable d’apaiser aujourd’hui, votre conscience, d’assurer demain votre avenir.
D’apaiser votre conscience parce qu’en vous rangeant aux côtés des 40 millions de Français soumis au seul gouvernement légitime et à l’héroïque chef de l’État, vous êtes certains de ne pas errer, vous travaillerez sous son autorité à consolider la communauté nationale que d’autres affaiblissent, désagrègent ou mutilent.
D’assurer votre avenir parce que le décret no 2009 du 15 juillet 1943 “exclut définitivement de toutes les facultés et écoles d’enseignement supérieur publiques et libres” les étudiants qui, astreints à l’accomplissement du STO en vertu des décrets du 24 février et du 31 mai 1943 se sont dérobés à leurs obligations. Si donc d’insidieuses propagandes tendaient à obscurcir en vous la voie de l’honneur et de la raison, le souci de vos propres intérêts doit suffire à vous guider dans le droit chemin : répudier vos devoirs seraient ruiner votre carrière, vos projets, vous jeter avec une poignée d’égarés dans l’aventure et la révolte. Vous n’en sortirez quoiqu’il arrive que méprisés des humbles, ces fidèles serviteurs du pays, en butte à la rancune des chefs de famille que votre carence appellerait à se substituer à vous.
[...] À beaucoup d’entre vous il est pénible, je le sais que cette route passe par l’Allemagne. Soyez fiers plutôt qu’en votre personne la France retrouve les chemins du continent dont la défaite l’avait bannie. L’amitié de vos maîtres et la sollicitude de vos chefs vous y suivront. Vous allez acheter par votre travail le droit de contribuer à modeler le nouveau visage de l’Europe et vous pourrez nourrir l’espoir de lui infuser votre esprit.
Je fais confiance à votre loyauté et de cette université où nous attendons votre retour, je vous salue, Monsieur, comme un messager du travail et de la pensée française63. »
50On conviendra que le style comme le ton de l’adresse laisse peu de doute sur l’option politique de son auteur. D’autant qu’à la date où ce texte est écrit, il n’est guère possible d’attribuer le ton enflammé à une quelconque ardente aspiration incontrôlée à la régénérescence issue du traumatisme de la défaite. Dans le cas présent le texte conforte l’orientation politique de son auteur au sentiment général de ceux qui l’ont connu. « Séduit par ce que les mesures prises par le gouvernement Pétain avaient de réactionnaires (le recteur), lui a donné son adhésion complète, et l’a suivi jusqu’au bout. Il a été pour le Maréchal un fonctionnaire très zélé (il le reconnaît lui-même) et ce zèle excessif lui a fait prendre une attitude antinationale, particulièrement caractérisée par ses interventions en faveur du STO des étudiants. Dans l’enseignement, cette question du STO a souvent été la pierre de touche du courage et du patriotisme éclairé des chefs. M. Gain a résolument fait porter tout le poids de son autorité de Recteur du côté des thèses des ennemis de la France [...]64 ». Le profil est clair et concentre à lui seul la notion d’engagement plein et sans faille. Ce que peu de recteurs reconnaîtront. Installés aux commandes de l’administration scolaire et universitaire ils ne pouvaient guère qu’être aspirés dans la spirale d’une compromission croissante que peu assumèrent devant leurs juges.
51Un rapprochement peut-être utile avec les dirigeants des écoles de cadres du Service général à la jeunesse (SGJ) dont on sait qu’elles avaient pour but de former les futures élites de l’ordre nouveau. Signalons que dans leurs programmes éducatifs, celles-ci multiplièrent les sessions de formation en faisant appel à de nombreux enseignants du supérieur ou du secondaire. On ne trouve cependant pas de traces de ces interventions dans les récriminations contre les universitaires65. Mais on constate surtout une différence assez nette entre l’attitude des recteurs et celle des directeurs des écoles de cadres de la zone occupée. Un cas est particulièrement intéressant : celui de Félix-Olivier Martin, jeune professeur de la faculté de droit de Paris, qui prit la tête de l’école des cadres de La Chapelle-en-Serval, en septembre 1942 et qui, contrairement à ses prédécesseurs, n’était pas favorable à la politique de collaboration. Il le prouva en supprimant dès son arrivée les cours de racisme et en remplaçant les enseignants qui étaient issus des milieux collaborationnistes. Ce bouleversement s’opère pourtant alors que Abel Bonnard était déjà à la tête du ministère de l’instruction publique. La marge de manœuvre d’un directeur d’une école des cadres était-elle plus grande ? Il semble surtout comme l’explique Limore Yagil que même fin 1942 et en dépit de sa nature autoritaire – ou peut-être précisément pour cela – « Vichy était un régime qui n’avait pas en la matière de politique cohérente et unique66 ». Ce qui permettait bien plus qu’il ne le fut dit par les intéressés dans leurs justifications d’après-guerre, de disposer d’une relative autonomie à condition d’en avoir la volonté et de s’en donner les moyens. Dans le complexe système universitaire français, les moyens dilatoires ne manquaient pas pour multiplier résistances passives et inertie administrative.
52Les recteurs tout comme les autres hauts fonctionnaires inquiétés firent valoir les contraintes, l’obligation, la nécessité du sacrifice, de la gestion de l’institution fût-ce au prix de compromissions toujours jugées mineures (par eux-mêmes). Mais il ressort de leurs plaidoyers à l’instar de leurs homologues de toute époque, comme l’écrit Marc-Olivier Baruch, « que ces hommes arrivés au pouvoir sous l’Occupation était aussi [...] susceptibles de retirer du pouvoir les avantages matériels et symboliques que celui-ci confère toujours67 ». C’est sans doute cette faiblesse qui orienta leur choix.
Engagements et « Collaboration »
53Sous sa forme organisée, la collaboration rassembla les enseignants dans deux organismes corporatistes : l’Union de l’enseignement, aux effectifs squelettiques, inspirée par le Rassemblement national populaire (RNP) de Marcel Déat, créée fin 1942 ; et, début 1943, la Confédération générale de l’éducation (CGE), dont l’audience était réduite. Certains professeurs parisiens y furent néanmoins assez actifs. Encore cette forme « organisée » d’engagement fût-elle plus visible, comparée à d’autres, pour ne pas devoir être surévaluée. à l’inverse, des relations plus informelles pouvaient se nouer avec l’occupant sans qu’il en subsiste de trace. Karl Epting, qui fut le responsable de la section culturelle de l’ambassade d’Allemagne, avant guerre, puis directeur de l’Institut allemand créé par Otto Abetz donnera, après la guerre, une liste de 36 universitaires en relation avec lui sous l’occupation : certains s’étaient engagés sans guère d’équivoque (Maurice Bardèche, Bernard Fay, Ernest Fourneau, Henri Labroue, ou encore Louis Le Fur) ; d’autres sans doute plus opportunistes que collaborateurs, entretinrent des relations plus tièdes, par orgueil ou goût du lucre ; du moins demeurèrent-ils plus discrets. Mais l’engagement dans les partis de collaboration est souvent difficile à établir. En effet, on sait que la surenchère permanente dans la revendication de leurs effectifs, amena souvent les partis à très largement majorer ceux-ci. De fait, les listes de membres furent fréquemment faussées par différentes manœuvres consistant à enregistrer coûte que coûte le plus d’individus possible. Certains adhérents des premiers temps, qui ne donnèrent plus jamais suite à leur engagement n’étaient pas toujours rayés des listes en 1944. D’autres se virent transférer d’un parti à l’autre ou à la Milice, malgré qu’ils en aient, et découvrirent parfois cet état de fait au moment de l’épuration. Certaines adhésions aux motivations stupéfiantes relèvent du déséquilibre mental. Armand Juillet, professeur de pharmacie montpelliérain adhère au groupe « Collaboration », paye deux cotisations annuelles mais « a cru qu’en agissant ainsi il venait en aide aux prisonniers de guerre68 ». Le CAE de Montpellier considéra que son attitude s’expliquait par le déséquilibre nerveux provoqué par une infirmité de guerre, par le trouble que lui avait causé la mort de son fils et par sa nature impulsive. Il fut malgré tout mis à la retraite d’office.
L’engagement et l’adhésion
54Parmi les différentes justifications émanant des universitaires, l’adhésion à un groupement de collaboration, qui paraît un signe marqué de soutien au régime, n’est pas aussi univoque qu’il y paraît. Ce maître de conférences en médecine-pharmacie adhère au Francisme et aux JFOM (un mois seulement). Tout d’abord révoqué, il est réintégré pour avoir sauvé trois étudiants résistants. « Adhérent pendant sept ou huit mois au Francisme qui m’avait séduit par sa politique sociale, j’en ai démissionné le 14 novembre 1942 à un moment critique et mal choisi [...] en voyant l’orientation pro-germanique des opinions exprimées dans le journal. Le Franciste et dans certaines circulaires que l’on m’avait communiquées [...]. » L’engagement est relatif même si l’intéressé a assuré la direction par interim du journal. « Il n’a jamais adhéré au SOL, précise le rapport d’enquête. Il nie avoir jamais dressé des listes d’étudiants juifs et francs-maçons et soutient avoir rendu des services à divers étudiants sans se préoccuper autrement de leur race (sic) ou tendance politique69 ». Cet autre, professeur de physique à Dijon, adhérent au PPF en 1936 et dont les opinions de droite ne font guère de doute n’apparaît pas non plus comme un vichyssois convaincu. Au contraire, car si sa démission du parti de Doriot est tardive (1942), le rapport d’enquête précise qu’il ne s’y est plus comporté en militant dès 1940, qu’il n’y a pas fait de propagande, et « qu’il a fait preuve de patriotisme en rendant service à un professeur condamné à deux ans de prison par un tribunal milicien allemand et interné dans un fort près de Dijon70 ». Un autre, professeur de médecine membre du PPF depuis 1936 expliquait avoir participé à des réunions politiques et avoir cessé après la guerre. « Je n’étais pas d’accord avec la ligne du parti. Je m’étais inscrit en 1936 à cause de son programme social. Mais quand le parti a changé sa ligne, et qu’il est devenu police allemande, j’ai abandonné le parti sans démissionner officiellement71 ». Son cas fut réglé par un classement sans suite par la cour de justice compte tenu du fait qu’il n’avait assisté qu’à deux réunions (on ignore quand) et que son adhésion était antérieure à 1941. Deux éléments supplémentaires avaient joué en sa faveur, attestés par des témoins : son métier de médecin l’avait amené à soigner des blessés de la Résistance et, devenu transfuge, il avait reçu des menaces de mort de militants du PPF. Certains adhérents profitent de leur adhésion au PPF antérieure à la défaite, pour faire valoir leur bon droit et tenter d’obtenir avantages et promotions. Cet assistant de la faculté de médecine de Montpellier, chargé des fonctions de chef de travaux, dont la conscience professionnelle est qualifiée de « très douteuse », qui reconnaît être un PPF militant « s’est plaint au ministère en octobre 1941 d’avoir été retardé dans son avancement par le gouvernement d’avant 1940 en raison de ses opinions politiques ». Accusant la franc-maçonnerie de l’avoir brimé et empêché d’être nommé chef de travaux, il dénonça un collègue, « [...] qui venait d’être frappé par le gouvernement de Vichy comme dignitaire de la franc-maçonnerie et demanda récompense pour services rendus aux partis dits nationaux sa nomination au poste de chef de travaux72 ». Très rares sont les spécialistes de l’opportunisme professionnel comme ce jeune professeur de médecine promu à la faveur du régime ex-adjoint du colonel Pascot, commissaire général aux Sports, légionnaire, membre du directoire départemental de la Légion. Le 4 octobre 1944, la commission régionale d’épuration résume ainsi son parcours professionnel : « Membre du groupe “Collaboration”. Après avoir sollicité et obtenu par faveur du ministère Jean Zay la création d’un emploi de chef de travaux d’obstétrique, charge qu’il n’a pu remplir et pour cause..., a été un des premiers à suivre la politique du maréchal et à en tirer profit. À la suite de manifestations tapageuses, s’est fait nommer par son ami Pascot, actuellement sous les verrous, directeur de l’éducation générale aux sports. A profité de son passage au ministère pour caser ses créatures et pour se faire nommer lui-même chargé de cours puis professeur sans chaire. (Il y a lieu d’ajouter que la faculté de médecine avait donné un avis favorable)73 ». Trois semaines plus tard, le CEA relativisait malgré tout l’implication de l’accusé en précisant que la preuve de son affiliation au groupe « Collaboration » n’avait pu être établie. « Il passait pour le plus remarqué des collaborateurs [...]. Le fait d’avoir accepté d’importantes fonctions du gouvernement de Vichy le désignait évidemment à toutes les suspicions. Toutefois il convient de noter qu’on ne lui a jamais reproché, à notre connaissance, de dénoncer ou traquer les patriotes. Il semble que dans son cas les anciennes convictions politiques et une facilité à se laisser abuser aient joué le principal rôle. » L’intéressé nie énergiquement avoir fait partie du groupe Collaboration. Il reconnaît avoir été Croix de Feu, en tant qu’ancien combattant, mais précise qu’il a donné sa démission le jour où ce mouvement s’est transformé en un parti politique (le PSF)74. Il écopa d’un blâme assorti de la suppression du titre de professeur et fut reclassé dans sa fonction antérieure le 13 juillet 1945. Se dessine là un profil cumulant l’engagement ancien combattant dans un parti, sans franchir toutefois le pas de l’adhésion au PSF ; la constance opportuniste, des faveurs du ministère Jean Zay à celles de son « ami Pascot » ; un comportement assez inoffensif (pas de dénonciation ni de zèle répressif particulier) ; et une faiblesse de caractère, « une facilité à se laisser abuser ». Moins un engagement politique qu’un opportunisme de circonstance. D’autres purent se laisser abuser par admiration pour le maréchal comme ce professeur de mathématiques titulaire d’une chaire de calcul intégral et différentiel qui adhère courant 1942 aux « Fidèles du Maréchal ». Auditionné au printemps 1945, il explique :
« J’ai versé ma cotisation en 42, puis en 43. En 44, je n’ai plus rien versé. On ne m’a rien demandé.
– Avez-vous reçu les statuts de ce groupement ?
– J’ai reçu une lettre me disant qu’il était nécessaire que des professeurs s’en occupent pour étudier un certain nombre de questions universitaires [...], de façon à faire des propositions à Vichy [...]. J’ai assisté à deux ou trois conférences. On a parlé de l’enseignement du français, de l’enseignement des langues, de la méthode directe, un autre jour il y a eu une conférence sur les travaux pratiques. Il y a des choses qui étaient tout à fait anodines. Les conférences étaient faites sur un terrain purement technique [...]. Je recevais comme beaucoup de Français de L’Université libre. On nous avait présenté Pétain comme le vainqueur de Verdun. J’avais conservé beaucoup d’admiration pour Pétain75. »
55Peut-on réellement dans un cas comme celui-ci parler d’engagement ? Avalisé par l’image du maréchal (qu’il avait connu lors de la guerre précédente), le mathématicien adhère avant tout parce qu’on lui demande un avis d’expert. Ces quelques exemples relativisent la notion d’engagement et renvoient pour environ un tiers des adhésions à des formes de compromission très relatives. D’autant que la naïveté ou l’opportunisme d’intérêt personnel s’applique également à des types d’adhésion plus nettes mais qui peuvent être tout autant panachées par des motivations diverses dont la lisibilité ne va pas toujours de soi.
Des adhérents politiques ?
56L’adhésion dans un groupement de collaboration (qui se trouva être souvent le groupe « Collaboration ») dans le monde universitaire est un phénomène marginal : 15 % des enseignants sanctionnés le sont à ce titre, soit 25 individus. Ajoutons que les motivations proprement politiques s’avèrent, exceptés quelques engagements francs, plutôt modérées, et très souvent tempérées par des motivations laissant à la doctrine un rôle subsidiaire. L’opportunisme politique transforma ainsi Roger Barthe, professeur adjoint du second degré en assistant à la Faculté de Lettres de Montpellier76. Cet ancien candidat radical-socialiste dans l’Aveyron en 1936 sollicita après l’armistice l’appui de son adversaire, devenu préfet de Vichy, pour entrer dans l’administration préfectorale. Il fut nommé secrétaire général de la préfecture des Landes, mais sans y être réellement installé. Afin de compenser cette déconvenue, le ministère de l’Instruction publique le fit bénéficier d’un avancement en le nommant professeur au collège d’Agde (alors qu’il aurait dû n’être que professeur adjoint), lésant du même coup les professeurs adjoints locaux, titulaires d’une licence et ayant plus d’ancienneté que lui. Est-ce cette situation qui fit que Barthe adhéra au PPF après s’être fait nommer vice-président de la Légion ? Toujours est-il que son engagement, ses contributions régulières à l’organe du PPF, L’Émancipation nationale, puis en 1942, son adhésion au groupe « Collaboration » tout comme les amitiés qu’il sût cultiver dans l’entourage de Bonnard, lui valurent d’être nommé par le ministère comme assistant à la faculté de Montpellier. Cette mutation s’effectua sans d’ailleurs que l’université ait demandé de création de poste ni qu’elle ait été consultée quant au choix des candidats. L’engagement politique dans un cas comme celui-ci, associe l’opportunisme professionnel et politique d’un individu, qui chercha à faire oublier son passé de gauche en n’hésitant pas à publier dans l’hebdomadaire Présent, « le reniement des opinions radicales et anticléricales qu’ils défendaient lors la campagne électorale à Millau en 1936. Barthe alla bien au-delà et rédigea une adresse où il faisait l’éloge de François Sabiani qui dépassait très largement un simple soutien tiède au régime »77, sans cependant qu’il se rende coupable de quelque action nuisant à ses compatriotes. L’engagement de ce type, qui ne fut pas si rare chez ceux des universitaires qui franchirent le pas de l’adhésion, pourrait ressembler à une forme d’accommodation au sens où l’entendait Philippe Burrin. Mais sans toutefois l’ériger ici en une norme. Il s’agit plutôt d’un opportunisme, tout d’abord de préservation face au danger que représentait l’avènement de Vichy pour un fonctionnaire au passé d’opposant, qui se transforme en un opportunisme d’intérêt vénal, une fois l’individu pris dans la spirale des perspectives offertes par ses nouvelles relations politiques. Le passage de l’un à l’autre dans ce cas procède d’une sorte de vertige, d’une aspiration irraisonnée somme toute très ordinaire de promotion sociale.
57Cependant certains, convaincus de l’utilité de la Collaboration, donnent à l’engagement sa pleine dimension sans pour autant adhérer à un parti. Sans non plus faire preuve d’imagination quant à leur système de défense. C’est le cas de ce professeur de droit rennais, délégué officiel à la propagande dans un canton des environs, ayant porté la francisque et dont le rapport d’enquête précise qu’il « s’est signalé dès les premiers jours par ses bonnes relations avec les autorités d’occupation ». Propagandiste infatigable, Paris s’est beaucoup dépensé pour le nouveau régime : discours de rentrée enflammés, souscription auprès des étudiants pour acheter le portrait du maréchal, « proposition au doyen de créer un club Pétain nettement dirigé contre le général de Gaulle78 ». « Entré spontanément en relation avec la préfecture dès l’installation du préfet Ripert, explique le rapporteur, il a conservé ses entrées jusqu’à la Libération, rendant des visites quotidiennes aux directeurs successifs de l’Information79 ». Les opinions de Paris étaient bien connues dans le monde universitaire rennais, et le doyen explique dans sa déposition « qu’il admirait tout ce qui était allemand, qu’il prônait la collaboration et qu’il se livrait à une active propagande verbale, mais sans adhérer à aucun groupement ; il était convaincu de la défaite définitive de la France et croyait agir dans son véritable intérêt ». Cette conception de l’intérêt national allait fort loin. Jusqu’à être présenté par une fiche trouvée dans les archives de la Gestapo comme un individu « entièrement acquis à la politique de collaboration et particulièrement hostile à la politique anglo-soviétique80 ». Le plus étonnant face à ces accusations est que Paris ne conteste aucunement les faits retenus contre lui. Il explique simplement que « se trouvant dans l’ignorance des véritables événements par suite des informations contradictoires (délivrées) par les différentes radios, il n’avait aucune raison de prendre une décision et qu’il se réfugia dans la discipline absolue vis-à-vis du chef de l’État81 ». Rennais également, ce médecin, assistant, membre actif du COSI et président de la Légion d’Ille-et-Vilaine, devenu maire « avec l’appui des autorités ennemies », qui, dans la nuit du 3 au 4 août 1944, alors que le sous-préfet de Fougères lui porte son ordre de destitution déclare « je ne reconnais pas le gouvernement du général de Gaulle » et « avertit immédiatement la police et la préfecture régionale de sa mise en demeure en dénonçant ouvertement un patriote82 ». Quoique il n’y ait guère d’équivoque quant à son engagement envers Vichy83, d’autres versions diffèrent quant aux modalités de sa destitution84. Le CSE ne proposa qu’une peine symbolique, la censure, prenant en considération son passé glorieux d’ancien combattant qui lui avait valu la Croix de guerre, la Légion d’honneur et son invalidité. Dans le cas présent, la place de l’ego paraît être un élément non négligeable dans l’engagement vichyssois. L’invalidité vient-elle renforcer le goût de la reconnaissance sociale pour un ancien combattant ? Un rapport de police du 12 septembre 1944 souligne qu’il « adore s’exposer en public », que Patay peut être « considéré comme le type parfait de l’attentiste [...] que sous des allures autoritaires et même cassantes, il manquait d’énergie ». On retrouve la faiblesse morale, masquée sous l’arrogance, sans doute ici agrémentée d’un passé lourd d’infirme trouvant dans le nouveau régime, l’opportunité si ce n’est d’une revanche, du moins d’une forme de compensation.
58Les adhésions universitaires aux partis qu’il soient vichystes ou de collaboration ne proposent, à part quelques cas finalement assez rares, qu’une (petite) collection d’individus difficiles à classer. Quelques convaincus, quelques opportunistes, quelques séduits un temps par la Révolution nationale, quelques égarés, quelques abusés, quelques cas à part. Rien au fond dans cette diversité qui puisse offrir un éclairage spécifique comparé aux fonctionnaires d’autres administrations et même à la population en général. Trop peu d’individus concernés dans un mode d’engagement faisant peu recette pour une population fréquentant plutôt les bibliothèques que les meetings politiques. Excepté pour quelques-uns, l’engagement dans un parti n’est guère significatif de la collaboration universitaire. Encore pour ceux-là s’agit-il généralement d’une compromission politique, souvent mal assumée, dont nous avons vu qu’elle s’associait la plupart du temps à une bonne dose d’opportunisme. L’engagement procède pour les recteurs de choix personnels, tout d’abord dans l’acceptation de la fonction dont la date n’est évidemment pas sans importance, ensuite dans la manière dont chacun d’eux s’acquitta de sa tâche. Ceux qui furent inquiétés comme on l’a vu, franchirent le seuil de la compromission politique souvent moins du fait d’actes précis, que par la simple application, sans aspiration ni initiative pouvant minorer, ralentir ou différer les mesures que le gouvernement leur demandait de prendre. Dans l’économie du jugement des cadres, valeurs morales et qualités humaines, courage, lucidité, imagination, sens humain des responsabilités, furent des éléments déterminants. Aux yeux des épurateurs, l’intermède vichyssois révélait les faiblesses qui avaient précisément conduit la France à Vichy. Ceux qui en avaient été les acteurs étaient indignes de la France nouvelle.
Notes de bas de page
1 Rémy Baudouï, « Le paradoxe du polytechnicien », in Marc-Olivier Baruch et Vincent Guigueno (dir.), Le choix des X. L’École polytechnique et les polytechniciens 1939-1945, op. cit., p. 151.
2 Karl Jaspers, Die Schuldfrage, Heidelberg, Schneider Verlag, Zurich, Artemis-Verlag, 1946 ; traduction française par Jeanne Hersch, La Culpabilité allemande, Éd. de Minuit, 1948, p. 49 ; cité par Rémy Baudouï, idem.
3 Dossier Albert Rivaud, op. cit.
4 Idem.
5 Gérard Chauvy, Les acquittés de Vichy. Non lieux et acquittements pour faits de résistance dans les procès de la Libération, Perrin, 2003, p. 142.
6 Pierre Giolitto, Histoire de la jeunesse sous Vichy, Perrin, 1991.
7 Jean-Paul Cointet, Histoire de Vichy, Plon, 1996.
8 Robert-O. Paxton, La France de Vichy 1940-1944, Le Seuil, 1972 et 1997.
9 Dossier Émile Mireaux, Haute Cour de justice, AN 3SW253.
10 Lequel cite l’extrait suivant d’un discours tenu lors de la séance inaugurale de la rentrée universitaire à Paris qui laisse peu de doute : « [...] Regardons ce travail qui a été fait autour de nous, cette Europe que nous connaissons bien mal. Il ne s’agit pas de copier servilement les lois des autres, mais sachons emprunter aux droits des étrangers des réformes utiles, de leur donner pour notre usage une marque française », op. cit., p. 321.
11 Cf. Le rapport établi par le président du CSE Pozzo di Borgo le 20 novembre 1947 qui dénonce cette situation et notamment le fait que Ripert comme Carcopino « n’avaient jamais désavoué et regretté publiquement leur participation au gouvernement de Vichy ». AN F17 16937.
12 Pierre Giolitto, Histoire de la jeunesse sous Vichy, Perrin, 1991, p. 104.
13 Idem, p. 104.
14 Louis Planté, Au 110 rue de Grenelle, cité par Pierre Giolitto, idem, p. 105.
15 Maurice Martin du Gard, Chronique de Vichy, op. cit.
16 Henri Du Moulin de Labarthète, Le temps des illusions, p. 301. Idem, p. 106.
17 Pierre Giolitto, Histoire de la jeunesse sous Vichy, op. cit., p. 107.
18 Idem, p. 108.
19 Cf. Cabinet René Bluet, procès Carcopino.
20 Cité par Gérard Chauvy, Les acquittés de Vichy..., op. cit., p. 158.
21 Idem, p. 157. Il s’agit notamment de deux professeurs Lisbonne à Montpellier et Valensi à Paris.
22 Cf. Stéphane Israël, « Jérôme Carcopino, directeur de l’École normale supérieure des années noires », in André Gueslin (dir.), Les Facs sous Vichy..., op. cit., p. 157-168.
23 Sur les programmes d’enseignement et l’ENS en général avant-guerre, cf. Jean-François Sirinelli, Génération intellectuelle. Khâgneux et Normaliens dans l’entre-deux-guerres, PUF, coll. « Quadrige », 1994.
24 L’année 1943-1944 vit ainsi se succéder entre autres cinq membres de l’Institut et trois professeurs du Collège de France. Cf. Stéphane Israël, Les études et la guerre. Les normaliens dans la tourmente (1939-1945), Éd. ENS, 2005.
25 Il est frappant de constater que quoique cette sauvegarde ait été purement conjoncturelle du fait du très faible nombre d’étudiants juifs (si faible que leur nombre n’atteignait pas le quota de 3 %), la couverture de l’ouvrage de Stéphane Israël cité s’enorgueillisse du procès verbal de la commission chargé du tri des étudiants juifs, attestant que 5 d’entre eux purent poursuivre leurs études à l’ENS après le 20 septembre 1941. D’autant que la mesure s’applique, précise un considérant, au vu de l’excellence des étudiants concernés. Ne peut-on voir là comme une sorte de vanité corporatiste dans l’écriture de l’histoire, pourtant récente, d’une institution qui, en la matière, ne fit rien de plus que d’autres dans la préservation des étudiants juifs ?
26 « Des jeunes gens ou une jeunesse ? », in Pensée dans l’action, 20 novembre 1940. Cité par Pierre Giolitto, Histoire de Vichy, op. cit., p. 412.
27 AN F17 133 55.
28 Cité par Pierre Giolitto, Histoire de la jeunesse sous Vichy, op. cit., p. 121.
29 Cité par Gérard Chauvy, Les acquittés de Vichy..., op. cit., p. 168.
30 Marc-Olivier Baruch, Servir l’État français, op. cit.
31 C’est l’avis de François Marcot (« Entre les études et l’engagement. Le monde universitaire bisontin sous l’occupation », op. cit.) ; qui voit dans cette lettre une continuité franche dans la carrière professionnelle de Bertrand, qui est, dit-il, le reflet de ses préoccupations pluriculturelles. Agrégé d’allemand, il fut après sa thèse professeur à Lille, recteur de l’Institut français de Barcelone, directeur de l’Instruction publique en Indochine.
32 Cité dans une lettre du député du Doubs Jean Minjoz, le 30-01-1946 dénonçant la publication dans le premier numéro de janvier 1943 des Cahiers de l’Institut allemand de Besançon. AN. F17 16923. Dossier Bertrand, recteur de Besançon. On aura remarqué au passage l’idée de « fécondation mutuelle », image sexuée qui revient fréquemment dans le discours sur la collaboration et qui souvent, paraît compenser par cette comparaison sexuelle, le rapport de domination instauré entre l’Allemagne et la France en lui donnant cette dimension organique.
33 Idem, rapport d’enquête.
34 Le Peuple comtois du 4 novembre 1944.
35 Adolphe Terracher, recteur de Strasbourg devint secrétaire général de l’instruction publique le 13 septembre 1940 en remplacement de Jacques Chevalier, devenu secrétaire d’État à l’Instruction publique, aux Beaux-arts et à la jeunesse, jusqu’au 31 décembre 1943 où il fut congédié par A. Bonnard. Comme on l’a vu, si son rôle fut contesté, il n’en préserva pas moins les intérêts de l’université de Strasbourg, et fut en cela détesté par les Allemands ; ce qui lui accorda un certain crédit d’indulgence lors de l’épuration.
36 Le rapporteur Petot, le 11 juillet 1945, AN F17 16 923.
37 Idem.
38 Idem.
39 Ibidem. Témoignage du capitaine R... prof. au collège de Salins (pièce 37).
40 Idem.
41 Boussagol, recteur de Dijon, AN F17 16925.
42 Dossier Boussagol AN F17 16925, rapport d’enquête signé Descourtieux, 4e sous-commission du CSE.
43 Idem.
44 Boussagol, recteur de Dijon, AN F17 16925.
45 Marc-Olivier Baruch, « Négocier la contrainte », in Marc-Olivier Baruch et Vincent Guigueno (dir.), Le choix des X. L’École polytechnique et les polytechniciens 1939-194, p. 122.
46 Rapport d’enquête, signé Lablénie, vice-président du CSE, dossier Gidel, recteur de Paris, AN F17 16 931.
47 Idem, pièce 3.
48 Idem.
49 On sait que cette grève à l’initiative de la CGT se solda par un échec, de nombreuses sanctions et condamnations prises contre des salariés du privé ou du secteur public et le lock-out d’entreprises mettant à pied environ 400 000 salariés.
50 Cf. Chapitre 7, « Collaboration = Résistance », p. 265.
51 Une note de Charles Lisenmann au ministre le 28 juillet 1945 concluait : « Voici mon avis sur le cas Gidel : 1) On peut lui faire grief de sa docilité excessive au “maréchalisme”, de son acceptation des fonctions rectorales d’abord. En outre, il a commis quelques actes contestables (notamment l’exclusion de Louise Royal). Mais qui paraissent bien être des exceptions à une conduite en général correcte. 2) En conséquence, j’estime qu’un blâme pour l’acceptation et une suspension de deux ans à compter de 1944 ou 1945 seront une sanction suffisante, surtout si l’on compte avec une mise à la retraite en 1947. » F17 AN 16931.
52 Rapport au CSE signé Mlle Godier, dossier Jean Mercier, recteur de Caen, AN F 17 16935. La censure est une peine de rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal, en cas de manquement à la fonction. Elle est par exemple utilisée au Parlement en cas d’injures proférées par un député envers un pair. Elle n’a guère de conséquence...
53 Claude Singer, L’université libérée, l’université épurée 1943-1947, op. cit., p. 273.
54 Boussagol, recteur de Dijon, AN F17 16925.
55 Idem, souligné dans le texte.
56 Selon l’instruction, « il aurait même fourni un poste avantageux de maître d’internat à un Israélite ».
57 Gain André, recteur de Lyon, AN F17 16930.
58 Boussagol, recteur de Dijon, AN F17 16925.
59 Gain André, recteur de Lyon, AN F17 16930.
60 Rapport d’enquête, dossier Charles Mollon, recteur de Grenoble, AN F17 16935.
61 Dossier Gidel, AN F 17 16931.
62 Il s’agit du même, Charles Mollon, rétabli dans ses fonctions en février 1946.
63 André Gain, recteur de Lyon, AN F17 16930. Souligné dans le texte.
64 Idem, rapport d’enquête.
65 Cf. Limore Yagil, « L’Homme nouveau » et la Révolution nationale de Vichy (1940-1944), Septentrion Presses universitaires, Villeneuve d’Ascq, 1997 ; qui cite différents intervenants, à l’École d’Uriage par exemple où figurent les noms de Paul Reuter (professeur de droit international à l’université d’Aix-en-Provence), Louis Lallement (ethnologue), Paul-Henry Chombart de Lauwe, ou des philosophes comme Emmanuel Mounier, Jean-Jacques Chevalier, Jean-Marcel Jeanneney, Henri Marrou, etc. ; signe de la pluralité des enseignements et de la singularité de l’école d’Uriage analysée dans divers ouvrages. Cf. Bernard Comte, Une utopie combattante : l’école des cadres d’Uriage 1940-1942, Fayard, 1991 ; Antoine Delestre, Une communauté et une école dans la tourmente 1940-1945, Presses universitaires de Nancy, 1989 ; Pierre Bitoun, Les hommes d’Uriage, La Découverte, 1988.
66 Limore Yagil, « L’Homme nouveau » et la Révolution nationale de Vichy (1940-1944), Septentrion Presses universitaires, Villeneuve d’Ascq, 1997, p. 110.
67 Marc-Olivier Baruch, « Négocier la contrainte », in Marc-Olivier Baruch et Vincent Guigueno (dir.), Le choix des X, op. cit., p. 128-129.
68 AN. F 17 16824. Dossier Juillet. Rapport d’enquête.
69 AN. F 17 16750. Dossier Bonhomme.
70 AN. F 17 16755.
71 Dossier Rochet Philippe, prof de médecine, faculté de Lyon, interrogatoire du 17 mai 1945, AN F17 16 879.
72 Dossier Louis Sagols, chargé de fonction de chefs de travaux, Montpellier, AN F17 16 884.
73 Jean Coll de Carrera, professeur à la faculté de médecine de Montpellier, AN F 17 16769.
74 Le rapport transmis par le secrétaire général à la police le 25-01-1945 (No 1064/CAB) fait connaître que le nom de M. Coll de Carrera figure sur les listes d’adhérents au SOL.
75 Dossier Gambier, AN F17 16797.
76 Roger Barthe fut révoqué sans pension le 25 septembre 1945 mais sans qu’il y ait de poursuites judiciaires. AN. F 17 16737.
77 Ibidem. Dont le passage suivant montre bien la teneur : « [...] Et voici encore un extrait de lettre où tiennent en quelques lignes, le martyre et la foi des combattants de l’est : “si les Russes résistent encore, c’est surtout grâce aux forêts qui les protègent et au sol encore gluant de boue où l’on s’enfonce jusqu’à mi-jambe et par endroit jusqu’aux hanches. Même sans les Russes, il est difficile d’avancer ; le sol ici se défend tout seul. Nous avons dû déployer des efforts inouïs pour permettre à nos voitures d’avancer, pour faire sac au dos la centaine de kilomètres qui nous séparaient de notre secteur actuel. Nous avons une indigestion de sueur et de boue. Mais nous avons pris ça avec bonne humeur et notre moral est formidable”. Lorsque cette correspondance splendide sera rassemblée dans un recueil, elle deviendra le bréviaire politique des jeunes Français. Ils y puiseront une leçon d’énergie, non point débitée dans une chaire mais toute vibrante encore d’un sacrifice immortel. Je dis sacrifice immortel [...] en pesant mes mots. Je déplore l’aveuglement de ceux qui peuvent voir l’édification d’un monde neuf et qui détournent leurs yeux et leurs efforts de cet immense chantier. Une Europe nouvelle réclame une France nouvelle. Et le grand cardinal Baudrillart ne s’y trompait pas lorsqu’il désignait les volontaires du front de l’est comme les authentiques Croisés de notre temps [...]. »
78 AN F 17 16860. Dossier Paris, « nettement » est souligné dans le texte.
79 Ibidem.
80 Ibidem.
81 Ibidem.
82 AN. F 17 16861. Dossier Patay. Rapport d’enquête.
83 Le CSE retient contre Patay « qu’il a de notoriété publique eu, pendant toute la période d’occupation, une attitude pro-vichyste ; qu’il s’est montré dans des circonstances publiques aux côtés des Allemands ; enfin qu’il a écrit (en mai 1942) dans Le Combattant d’Ille-et-Vilaine un article en faveur de la Relève ». L’enquête de police se conclut par ailleurs sur les mots suivants ; « [...] le docteur Patay est considéré comme un ambitieux cherchant les honneurs et ne manquant jamais une occasion de s’exhiber en public ». Ibidem.
84 Luc Capdevila (Les Bretons au lendemain de l’Occupation, op. cit.), citant un ouvrage intitulé La Libération de Rennes (Musée de Bretagne, Rennes, 1989, p. 71), rapporte que Patay tint à respecter les formes lors de sa destitution, « qu’il réclame au groupe de résistants venu le destituer des attestations sur leurs attributions (qu’) il leur fait signer un certificat et (que) lui-même rédige une déclaration solennelle : « je n’ai qu’un regret en quittant mes fonctions, c’est de n’avoir pu moi-même faire flotter sur l’Hôtel de ville de Rennes, les Trois Couleurs pour lesquelles à trois reprises différentes j’ai versé mon sang », p. 62. Compte tenu de la source citée, on peut voir dans cette variante la conjonction entre une vision consensuelle apaisante, classique dans les ouvrages mémoriels sur le sujet, et la preuve d’un incontestable sens des circonstances de la part de l’intéressé.
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