Chapitre I. L’université de Vichy à la Libération
p. 23-54
Texte intégral
1Le monde universitaire dont nous allons parler demande que soit brièvement rappelé ce qu’il fut sous Vichy. On sait que l’après-guerre et le baby-boom eurent en ce domaine des conséquences démographiques telles que, conjuguées avec le développement de l’éducation, notamment des études supérieures, l’université est sans doute le secteur qui a le plus été transformé dans les décennies qui suivirent. Ce monde universitaire, Christophe Charle en a étudié l’histoire, analysé l’évolution avec ses composantes autonomes qui lui furent adjointes depuis l’Ancien régime et ausculté les dysfonctionnements. Il en dresse un portrait aux pesanteurs lourdes qui semblent avoir traversé le siècle et les guerres : « Centralisation, poids des examens, système des concours et des écoles, manque d’ouverture sur l’étranger, ingérence politique, clientélisme, fermeture de chaque faculté sur elle-même, mauvaise répartition des étudiants, administration trop autoritaire, etc.1. »
2Quand la France entre en guerre, l’enseignement supérieur demeure un univers relativement clos, où les femmes sont encore peu nombreuses, où les boursiers côtoient les héritiers. Un système fermé sur lui-même trop préoccupé, comme l’explique André Tuilier, à la préparation des concours de l’enseignement pour répondre aux besoins de l’économie nationale, comme au développement de la recherche scientifique moderne2. L’institution universitaire en effet s’intéressait d’abord à la formation des maîtres. « Elle aurait crû faillir à sa mission en cherchant d’autres débouchés pour ses étudiants », écrit Tuilier à propos de l’université de Paris – mais celles de province étaient conçues sur le même modèle – et « en définitive, sous prétexte de garantir la qualité de la formation, nos structures éducatives visaient plus à reproduire un modèle idéal qu’à susciter l’innovation au point de vue scientifique et pédagogique3 ». Un constat dont l’écho résonne encore dans l’université d’aujourd’hui. Et quoique le Front populaire ait apporté d’incontestables innovations en matière de recherche, notamment avec la création du CNRS4, l’université demeurait à l’entrée en guerre sous sa forme héritée du système napoléonien, lui-même issu du cloisonnement corporatif de l’Ancien régime.
3Dans les quatre mondes universitaires que sont le droit, les lettres, les sciences et la médecine, chaque institution fonctionne selon des rituels propres, construits sur la préservation de ses pratiques et de ses intérêts. Dans chacun de ses univers, la cooptation s’appuie sur des critères qui pèsent différemment : performances scientifiques en science, application formelle en droit, patronage en médecine. Les lettres et la citadelle qu’y représente la Sorbonne, en dépit de l ‘ autonomisation des critères intellectuels communs aux autres disciplines, laissent plus qu’ailleurs à la dimension culturelle et politique une place de choix. Sans doute parce que ces valeurs sont, comme l’explique Christophe Charle « partie prenante dans la légitimation du pouvoir social » et correspondent, notamment pour la Sorbonne, au « souci essentiel de garder sa position dominante dans la transmission de la culture nationale, face à l’impérialisme scientifique d’un côté, et au domaine incontesté du droit dans une société libérale, de l’autre5 ». S’appuyant sur les travaux de Alain Girard sur la réussite sociale en France6, Pierre Bourdieu distinguait sensiblement ce qui sépare les universitaires des « intellectuels » hors de l’université : « Les professeurs d’université, proches en cela des hauts fonctionnaires, écrivait-il, présentent plus souvent que les écrivains et les intellectuels (qui ont des taux de célibat ou de divorce relativement plus élevés et un faible nombre moyen d’enfants), les différents indices de l’intégration sociale et de la respectabilité (faible taux de célibat, fort nombre moyen d’enfants, taux élevé de décorations, de titres d’officiers de réserve, etc.), et cela d’autant plus que l’on s’élève davantage dans la hiérarchie sociale des facultés7 ». Cette hiérarchie sociale universitaire, il la structurait autour de deux pôles : « scientifique » pour les sciences et les lettres, et « mondain » pour le droit et la médecine. Pour Bourdieu, « le niveau de dépendance à l’égard du champ du pouvoir politique tend à varier dans le même sens »8, c’est-à-dire selon un ordre croissant de dépendance, plaçant en premier, les sciences, puis les lettres, le droit et la médecine.
4Ces éléments, qu’on ne peut développer ici mais qui ont fait l’objet d’études fines, ne sont évidemment pas neutres et doivent être gardés en mémoire. L’avènement de Vichy puis l’épuration, comme toute crise politique, jouèrent aussi le rôle de résonateur des rapports de pouvoir, des contradictions, des conflits et des tensions antérieures.
L’université sous Vichy
5Une des particularités de la période de l’Occupation est d’avoir vu augmenter considérablement le nombre d’étudiants9. Cette croissance était la conséquence de l’augmentation antérieure des effectifs du secondaire, elle-même liée à la gratuité des études. Par ailleurs, le grossissement de la population estudiantine était inégalement réparti. Ainsi, Paris regroupait 40 % des étudiants en 1945-1946. Abel Bonnard, lorsqu’il devint ministre en avril 1942, avait pris la mesure de ce besoin de « lissage » des effectifs et inscrivait dans un schéma plus général de retour à l’ordre la réaffectation d’étudiants à des universités de province. « Les étudiants de la France nouvelle seront laborieux et disciplinés, écrivait-il, ils marqueront à leurs professeurs le respect qu’ils leur doivent ou seront punis dans le cas contraire. Des dispositions générales peuvent d’ailleurs favoriser ce retour au bon ordre et il est certain que les étudiants en droit, par exemple, travailleront et vivront dans de bien meilleures conditions quand, au lieu d’être entassés à Paris, beaucoup d’entre eux seront rendus à ces facultés de province10. »
6Mais durant l’occupation, la surpopulation dans les facultés était plus nette en zone sud où les villes universitaires avaient été envahies par les étudiants venus du nord. Exemple de ville refuge, Grenoble voit sa population gonflée par les réfugiés belges et ceux de la zone occupée. Certains s’y installent après l’armistice. Son université accueille en 1939 les trois facultés confondues (droit, sciences et lettres), 900 étudiants et une centaine d’enseignants. Après la défaite, on y compte 2 800 étudiants, puis 3 560 pour l’année 1940-41 et jusqu’à 4 800 inscrits en juillet 1943, le tout dans des locaux considérés exigus en 1939. On relève une augmentation significative des effectifs également en zone occupée. Besançon voit le nombre de ses étudiants en augmentation régulière à partir de la rentrée de 1941, qui s’explique tant par l’entrave à la mobilité ordinaire permettant de s’inscrire selon des choix personnels, que peut-être par un regain d’intérêt pour des études permettant de se replier face à la dureté des temps.
7La vie étudiante n’est guère facilitée par la pénurie et les difficultés matérielles que rencontrent les habitants des villes. Ces dures conditions d’existence pèsent sur les résultats. Les petits travaux effectués par les étudiants pour survivre, les mille tracasseries de la vie quotidienne et le « diktat du ventre creux » rendaient plus dur encore l’apprentissage intellectuel. Les locaux sont fort mal chauffés l’hiver, quand ils le sont ; le matériel manque cruellement, à commencer par le papier qui est rationné comme tous les consommables. La pénurie entraîne des petits trafics, vols de livres, de fournitures, des réflexes de survie allant croissant jusqu’à exploser après la Libération et qui pèsent sur le quotidien, faisant réagir à plusieurs reprises le ministère. À Besançon, on relève une baisse significative du taux de réussite aux examens. Pour 67 % de réussite en licence avant-guerre, on ne compte plus que 36 % d’étudiants diplômés en 1942. Les conditions alimentaires se dégradant – la ration alimentaire dans les villes atteint au mieux, en moyenne, 1200 calories par jours –, les autorités au cours de l’année 1943-1944, invitent les examinateurs à l’indulgence envers les étudiants affaiblis. Les programmes de certains examens ou de concours sont allégés comme les programmes d’éducation physique impossibles à respecter vu l’état de sous alimentation généralisé.
Des enseignements autonomes et des juristes silencieux
8Les universités bénéficiaient d’une large autonomie quant aux contenus des cours. De fait les programmes furent peu modifiés et Vichy ne put guère y changer grand chose. Il ressort néanmoins des études faites sur quelques universités qu’il est assez difficile voire impossible de connaître le contenu des cours. Le sentiment général est qu’il n’y eut guère d’interférences du régime et il semble que l’on en apprenne autant sur la perception des enseignements, perception qui varie selon les témoins, que sur leur réelle orientation. François Marcot qui a recueilli divers témoignages de l’université de Besançon évoque celui d’un ancien étudiant : « L’enseignement de Préclin était celui d’un résistant dans l’esprit. Ses cours sur la Prusse après 1806 étaient un hymne à la Résistance, l’histoire d’un pays qui se redresse et se libère. » Ou celui de cet ancien professeur, Lucien Letrat enseignant de grec qui se souvient « des sourires complices qu’il échangeait avec ses étudiants lorsqu’il lisait avec eux Électre ou les Philippiques et qui expliquait « Nous n’avons jamais autant étudié ces textes que sous l’Occupation11 ». Il signale malgré tout quelques « traces de l’influence de Vichy », quelques rares manifestations d’allégeance au Maréchal, ou initiatives du même ordre globalement boudées par l’ensemble du monde universitaire. Jusqu’au nouvel enseignement « d’éducation générale et sportive » institué par Vichy pour remédier à la « décadence morale et physique » qui ne suscite guère d’enthousiasme quand il n’est pas franchement chahuté. Mais si l’atmosphère est plutôt frondeuse à Besançon, elle n’en est pas pour autant à la résistance active excepté le cas assez singulier d’une rixe contre une bande du parti franciste en avril 194312. Le comportement des étudiants comme des enseignants de l’université face aux rodomontades de la Révolution nationale paraît être en phase avec l’analyse qu’en faisait Jean-Marie Domenach lorsqu’il évoquait les différents mouvements de jeunesse et autres initiatives du régime à l’endroit des jeunes. « De naïfs enthousiasmes surgissent de la défaite ; chefs de jeunesse et aumôniers croient leur moment venu, et ces pauvres têtes, grisées d’ivresse moralisante, se lancent tête baissée dans l’aventure sans une minute de critique [...] cette Révolution nationale où la stupidité l’emporte [...] que Bernanos stigmatisera du mot le plus exact : la révolution des ratés13 ». S’il est vraisemblable que l’enseignement universitaire fut un rempart à la niaiserie ambiante, la puissance des convictions religieuses en fut un autre qui contribua à l’aveuglement. Signe des temps et des nouvelles contraintes, les cours de langue semblent avoir suivi la conjoncture politique avec un accroissement de l’anglais en 1939 suivi d’une nette poussée des cours d’allemand l’occupation venue. Mais de ce qui se passait dans les salles de cours et les amphithéâtres, il est difficile de le dire avec exactitude. Anne-Françoise Ropert-Précloux qui a étudié les enseignements des professeurs de droit de la faculté de Paris posait cette question liminaire, justifiant son étude, de savoir quel était précisément la prise de position des enseignants en droit face aux nouvelles dispositions législatives de Vichy qu’étaient l’antisémitisme et le corporatisme. Placés en première ligne dans cette révolution juridique, les enseignants de droit se trouvaient confrontés à une difficulté déontologique. Accepter de commenter une loi et d’en enseigner le contenu et les conséquences ne revenait-il pas à une forme de légitimation ? Et dans le cas où les enseignants acceptaient de le faire, comment le faisaient-ils et quelle posture adoptaient-ils14 ? Pierre-Henri Teitgen rapporte par exemple, qu’il refusa de commenter dans son cours, le statut des juifs ou les actes constitutionnels de Vichy. Ce ne fut pas, loin de là, l’attitude commune. Ramené à une classification en quatre types de comportements (le silence, l’opinion défavorable, le commentaire dénotatif et l’opinion favorable), dans trois registres (le régime de Vichy, le corporatisme et l’antisémitisme) le positionnement des professeurs de droit donne des résultats assez éclairants. Un soutien au régime à peu près unanime de même qu’au système corporatiste15 et un silence majoritaire à propos de l’antisémitisme. Pas un ne prit le risque de commenter défavorablement les mesures antisémites. Mais encore faut-il sans doute relativiser ce résultat obtenu à partir de seuls cours écrits qui pouvaient se retourner contre leurs auteurs. Peut-être l’échange oral avec les étudiants se teintait-il de nuances dont il ne subsiste pas de traces, mais il n’empêche que cette analyse semble donner raison à Gérard Miller. Celui-ci en effet, rappelait dans un colloque sur le droit antisémite de Vichy que « L’université est une machine à produire sinon de l’indifférence, du moins du neutre [...], (et que) c’est cette impassibilité-là, cette impassibilité de structure, que la dictature pétainiste a sollicité chez (le juriste) [...] Le Droit ne fait pas seulement régner l’ordre, il commence par faire régner le silence, et chez ceux-là mêmes qui en ont la charge16 ».
Les universités et les contraintes de l’occupation
9Si le silence a pu prévaloir, c’est aussi que l’université a entretenu avec Vichy des rapports contrastés où la défiance était de règle. Dès son avènement, l’État français se défia de l’institution universitaire en laquelle il voyait une des causes de la défaite : l’intellectualisme et l’esprit critique s’opposait à l’ordre, au culte du chef et au sens du devoir. Ces valeurs qui selon Vichy avaient mené à l’abîme. L’université ne concernait cependant qu’une trop infime minorité de Français, formant un monde par ailleurs difficile à contrôler, pour que Vichy en fît grand cas. Et c’est sans doute aussi pour cette raison qu’elle put bénéficier malgré tout d’une relative autonomie. Peut-être aussi à cause du silence, en dépit des oppositions et de certains épisodes incontestables de résistance17. En zone occupée, les Allemands laissèrent, comme ce fut le cas à Paris, les universités fonctionner selon leur bon vouloir, dès lors que l’ordre y prévalait.
10Le monde universitaire pouvait jouir d’une relative autonomie mais Vichy tenta néanmoins d’y faire pénétrer la Révolution nationale. Elle fut loin de convaincre l’ensemble du corps universitaire. « La constitution du gouvernement a donné pour moi l’occasion d’entrer dans une violente colère », écrit ce professeur de médecine bordelais fraîchement démobilisé18. Mais le souffle de la rénovation nationale pénétra jusque dans les programmes de formation des élites, et notamment les polytechniciens accusés d’avoir une tête bien faite posée sur « un torse trop étroit ». L’hébertisme fut donc mis en place chez les X. Le journal d’actualités cinématographiques France actualités présentait, en mars 1941, la formation polytechnicienne rénovée, accordant autant d’importance aux trois domaines scientifique, sportif et manuel, et présentant l’X nouveau comme viril, sportif, idéologiquement sain et soumis loyalement à son chef de groupe. Impulsé par Jean Borotra, polytechnicien lui-même, ce changement de politique ne tarda pas à inquiéter tant les professeurs que les anciens élèves. Un rapport d’octobre 1941 intitulé La Rénovation de l’École polytechnique constatait l’échec des réformes entreprises : « l’introduction de nouvelles activités n’est en réalité qu’une adhésion purement extérieure aux principes de la Révolution nationale, écrivait le rapporteur de la Section d’études générales, comme un ornement qu’on ajoute à la façade d’un immeuble pour le rendre conforme aux goûts du jour19 ». Comme à Normale Sup, l’École Polytechnique connut un vent de réforme. Insufflé par Berthelot, ancien X qui souhaitait que l’École s’ouvrit et répondit mieux aux attentes des groupes professionnels polytechniciens. Qu’il fussent chercheurs ou ingénieurs dans les entreprises industrielles, ces derniers, comme l’ont montré Marc-Olivier Baruch et Vincent Guigueno, « n’avaient pas voix au chapitre dans les cénacles conservateurs qui portaient naguère le discours sur le rôle de l’École et la fonction sociale des élèves qu’elle formait20 ». Les idées de Berthelot, si elles furent abandonnées avec la fin du régime, étaient annonciatrices des changements intervenus dans l’École dans les années soixante-dix.
11Pour la majorité universitaire, la Rénovation nationale s’exprimait par la volonté de créer des corporations estudiantines. Prémisse du projet, le « Service des étudiants parisiens » fut créé dans le but de faciliter la vie matérielle sous la direction de Guillaume de Tournemire. Le service gérait les restaurants universitaires, répertoriait les logements disponibles, versait des allocations à certains étudiants, proposait différentes activités culturelles et sportives, des camps de vacances, etc. Chaque prestation était naturellement accompagnée d’un discours, d’une formation ou de toutes les formes de propagande imaginables en faveur du nouveau régime. L’aide aux prisonniers étudiants, à l’image du culte du prisonnier institué par Vichy, fut très prisée pour mobiliser les étudiants au motif que d’autres subissaient des conditions plus dures que les leurs. On multiplia donc les initiatives d’échanges de colis, de livres, de matériel, de soutiens divers, d’enseignements par correspondance, bref, une forme de mobilisation qui offrait un double avantage. Elle était relativement acceptable pour les étudiants parisiens, parce que relevant d’une juste solidarité avec leurs camarades prisonniers ; et elle permettait d’amener la propagande jusque dans les camps de prisonniers en y créant les « Cercles Pétain ». Et on sait Vichy très soucieux de ne pas perdre le contact avec les prisonniers dont le retour prochain était toujours espéré, afin de limiter le décalage avec « la France nouvelle ».
12Les vacances entre le 15 juin et le 15 octobre furent également mises à profit pour mobiliser les étudiants au sein du Service civique rural. Il s’agissait d’envoyer des étudiants travailler à la campagne, qui manquait cruellement de bras, tout en les éloignant des villes et d’une dangereuse oisiveté. On offrait aux volontaires des avantages non négligeables (choix de la région, rations alimentaires, 50 kg de pommes de terre pour un mois de travail...) ; puis comme ils étaient trop peu nombreux, on leur adjoignit des « requis ». Selon Georges Lamirand, la formule permettait de fournir de la main d’œuvre, de célébrer le retour à la terre, de retisser des liens entre ville et campagne, de redonner aux jeunes urbains le sens des « vraies » valeurs. D’autant que les jeunes gens du service civique rural étaient encadrés dans des journées de formation censées leur inculquer les préceptes de la doctrine vichyssoise. Très vite cependant la dimension éducative s’effaça devant les contraintes de production. Il n’était plus question de formation en 1943, où, avec l’institution du STO, les étudiants de 18 ans à 20 ans furent versés au service civique rural.
13Les étudiants furent concernés comme la plupart des jeunes gens par le STO décrété en pleine année universitaire 1942-1943. Ils obtinrent un sursis jusqu’à la rentrée. « Il n’aurait pas été « convenable », déclara Abel Bonnard en février 1943, que les étudiants soient exemptés de « l’effort » demandé aux jeunes ouvriers et aux jeunes paysans. Qu’ils ne s’inquiètent d’ailleurs pas du retard que pourraient prendre leurs études, car « ce qu’ils perdront comme étudiants, ils le regagneront largement par un accroissement de leur valeur d’homme21 ». Les relais en faveur du départ sont nombreux et les arguments pleuvent. Grâce au STO les étudiants pourront renouer avec leurs « frères ouvriers et paysans », ils pourront apporter un peu de la France et de l’esprit français à ceux qui sont déjà en Allemagne... Comme l’explique Pierre Brunereau, le chef de la propagande universitaire, c’est de toute façon la seule possibilité qui s’offrent à eux pour servir le pays et ne pas le trahir comme le font ceux de Londres « qui l’ont abandonné à ses souffrances » ou les communistes qui « veulent saccager la France ».
14À l’École polytechnique, rapatriée à Paris après l’occupation de la zone sud, les élèves sont moins nombreux à la rentrée 1943. Les plus âgés, sont affectés dans les usines françaises S Betriebe, ceux nés en 1922 sont envoyés en Allemagne soit de Paris soit directement des chantiers de jeunesse où une partie d’entre eux avait passé l’été 1942. Philippe Burrin cite un rapport daté de juin 1944 du docteur Michel, haut responsable allemand de l’administration militaire, dans lequel l’auteur constatait que dans leur majorité, les enseignants comme les étudiants avaient fait sentir leur refus de la collaboration à deux exceptions près : l’École des Mines et Polytechnique qui avaient honoré leur quota d’élèves à la satisfaction des Allemands22.
15Dans une France où la religion catholique tenait encore bonne place, la hiérarchie épiscopale ne brilla pas par ses incitations à la désobéissance. Mgr Caillot, évêque de Grenoble expliqua qu’il ne fallait pas « gémir et se dérober » au STO mais adopter une attitude « virile, française, chrétienne » et qu’il s’agissait là « d’un moyen de sanctification personnelle, d’apostolat pour les autres, de réparation et de rédemption pour la France ». Le cardinal Liénart voyait dans le départ en Allemagne une opportunité pour les militants catholiques d’apporter « le réconfort de leur amitié et le secours de leur foi religieuse à une masse, jetée sans autre soutien moral, dans une épreuve déprimante ». Seuls quelques prélats dont l’archevêque de Toulouse, Mgr Saliège mit un bémol à l’unanimisme catholique en expliquant à des jeunes sur le départ « qu’on pouvait subir une loi sans lui donner une adhésion intérieure23 ». Les réactions des familles et des étudiants furent naturellement très différentes. Les étudiants parisiens rédigèrent même une lettre ouverte au maréchal dans laquelle ils expliquaient qu’ils feraient « tout pour échapper à l’enrôlement dans la machine de guerre allemande [...], (et que) ceux qui seront contraints de partir porteront en Allemagne une volonté farouche de travailler [...] à la destruction du potentiel de guerre, moral et matériel de notre implacable ennemi24 ». La plupart avait bien compris qu’en dépit des arguments officiels leur promettant monts et merveilles, leur départ au STO scellait la fin de leurs études et de ce qui restait de leur liberté d’étudiants.
16À Paris, l’université était soumise aux autorités allemandes mais sans que celles-ci interviennent directement sur son organisation. Leur préoccupation primordiale était que l’ordre y régnât. Les autorités françaises détenaient donc un rôle déterminant dans le fonctionnement de l’administration universitaire et jouissaient d’une forme d’autonomie. Quatre recteurs s’y succédèrent dont deux, Jérôme Carcopino (qui fut aussi ministre) et Gilbert Gidel, furent inquiétés quand vint l’épuration25. Exceptés quelques cas plutôt rares, la plupart des différentes autorités universitaires demeurèrent silencieuses face aux mesures de Vichy, ce que dénonçait L’Université libre, la voix de la Résistance de l’université parisienne26. La position centrale qu’occupait l’université parisienne la plaçait en première ligne dans la politique de collaboration intellectuelle qu’entendait mettre en place le gouvernement. Conférences organisées avec l’Institut allemand dirigé par Karl Epting, initiatives diverses favorisant le rapprochement franco-allemand (subventions aux associations étudiantes ou enseignantes27, d’une librairie collaborationniste place de la Sorbonne...) ; dont on sait que la plus connue, institutionnellement, fut la création de deux chaires d’« histoire du judaïsme » et d’« ethnologie raciale » occupées par René Martial et Henri Labroue qui rencontrèrent fort peu de succès auprès des étudiants. Les voix qui s’élevèrent contre le régime furent peu nombreuses, Roussy, Gustave Monod, inspecteur général qui donna sa démission pour ne pas mettre en œuvre la nouvelle politique, Jules Basdevant, Henri Bedarida qui osèrent critiquer ouvertement les mesures de Vichy. Mais au quotidien l’ambiance était plutôt au repli et au silence. La très dure répression de la manifestation du 11 novembre 1940 révéla au monde étudiants la vraie nature du régime et la brutalité de l’occupant. Cette prise de conscience alimenta en effectifs les premières structures de résistance dont les principales étaient l’Union des étudiants et lycéens communistes de France (UELCF), issue directement du parti communiste, ou les plus autonomes, Front national universitaire (FNU), Front national étudiant (FNE) et « l’Université libre ». Le FNU, créé par des communistes le 15 mai 1941 fut l’organisation la plus importante qui rassemblait des universitaires de tous bords28. La petite université de Besançon qui ne comptait que 700 étudiants, également en zone occupée, subissait la même pression de l’occupant. Non du point de vue de son fonctionnement interne et la nature des enseignements qui n’intéressaient guère les Allemands, mais en ce qui concerne l’ordre et la bonne tenue des étudiants.
17À Grenoble, « même les cours publics de la faculté de lettres ne sacrifiaient en rien à la Révolution nationale », écrit Jean William Dereymez, quoique « cette illusion de liberté s’accompagnant cependant d’une assez lourde atmosphère pétainiste, allait s’effilocher avec la fin de la zone nono29 ». L’atmosphère maréchaliste qui régnait à Grenoble est-elle à la hauteur de cette formule, proclamée par Pétain lui-même, selon le Petit Dauphinois, la définissant comme une des « villes qui a le mieux compris la Révolution nationale » ? Beaucoup s’accordent à penser qu’il y régnait un pétainisme pesant, que les manifestations de tous ordres y proliféraient, orchestrées par les élus et les élites dont certains universitaires. Grenoble ou deux grandes figures universitaires, Jacques Chevalier et René Gosse s’illustrèrent l’un dans le gouvernement de Vichy, l’autre dans l’engagement résistant actif30. L’académie delphinale qui s’était rangée sous la bannière de la Révolution nationale comptait une douzaine d’universitaires, d’autres étaient présents dans différentes commissions, ou dans la Légion comme le recteur Blanchard. L’occupation italienne y fut plutôt supportable mais les choses changèrent avec l’arrivée de la Wehrmacht et de la Gestapo et devinrent tragiques après la manifestation du 11 novembre 1943 et ce que les Grenoblois appelèrent, le 23 décembre de la même année, « la Saint-Barthélemy des patriotes31 ». Comme l’a décrit Tal Bruttman, l’étau répressif se resserra avec l’installation, à partir de septembre, de la Sipo-SD et du Komando, la section antijuive SS commandée par Aloïs Brunner qui allait, aidée par la Milice, mettre la région à feu et à sang32. L’université n’était plus dès lors l’asile précaire qu’elle avait été et les étudiants se réfugièrent qui à la montagne qui, dans la famille, d’autres dans les maquis.
Les exceptions strasbourgeoise et des Oflags
18On sait que le cas de l’université de Strasbourg fut particulier. Elle fut repliée à Clermont-Ferrand en septembre 1939. Elle devient ensuite l’objet de discussion avec les Allemands qui souhaitaient sa dissolution, tandis que Vichy en défendait le maintien, sans doute moins par intérêt réel qu’en ce que sa fermeture eut été perçue comme une humiliation supplémentaire. Dissoudre « l’université de Strasbourg à Clermont-Ferrand » revenait en effet à entériner l’annexion de l’Alsace, ce que refusait Vichy, tandis que pour les Allemands, et notamment Robert Wagner, Gauleiter auquel était rattachée l’Alsace, son existence était considérée comme une provocation a fortiori sous cette appellation, alors que dès décembre 1941, se reconstituait l’université (allemande) de Strasbourg. L’université repliée fut très difficile à préserver jusqu’à l’invasion de la zone sud. Elle avait un recteur, Adolphe Terracher, professeur d’histoire littéraire qui avait organisé son évacuation en 1939. Il devint secrétaire d’État à l’Instruction publique et à la jeunesse lorsque Georges Ripert prit la direction du ministère de l’éducation nationale. à la fois partisan convaincu de la Révolution nationale, et à ce titre, relayant sans états d’âmes apparents les directives de Vichy qui évinçaient des enseignants, à partir du 17 juillet 1940 ou du 3 octobre, il n’en restait pas moins profondément anti-allemand selon Léon Strauss33. Il sut préserver l’université en ralliant à sa cause le ministre de la justice Joseph Barthélemy et la fit bénéficier de crédits durant toute la guerre, crédits qui servirent plus tard à aider les jeunes réfractaires alsaciens. Intégrée du point de vue pédagogique à son homologue clermontoise, l’université de Strasbourg n’avait guère qu’une existence administrative et symbolique, mais qui entretenait un fort sentiment germanophobe tant chez les étudiants que dans la population. Cette situation était insupportable pour les Allemands qui, y voyant un foyer d’actions anti-allemandes, multiplièrent les démarches pour fermer l’université et rapatrier à Strasbourg, étudiants, enseignants et matériel, notamment la bibliothèque. Si l’on en croit les travaux sur ce sujet, il semble que le recteur Terracher fit obstruction à toutes les demandes en ce sens, et s’appuyant sur Vichy et la convention d’armistice, qu’il opposa systématiquement aux demandes allemandes. La paix n’étant pas signée, rien n’obligeait la France à effectuer un transfert qui n’était pas souhaité par les principaux intéressés. Les visites in situ du conseiller ministériel badois Herbert Kraft, chargé du rapatriement des Alsaciens, le convainquirent lui-même de ce refus des étudiants de partir. « Environ 500 étudiants y étudient actuellement, rapportait-il à l’automne 1940, dont à peine 1 % ou 2 % selon mon estimation, veulent rentrer chez eux. Tous les autres sont des “petits Français cocardiers jusqu’au fanatisme” qui n’ont pas hésité à manifester contre la décision du gouvernement de nous remettre la Bibliothèque. À mon avis, il est inutile de vouloir influencer ces gens, toute tentative étant d’avance vouée à l’échec34 ». La résistance de Vichy sur cette question fut réelle tant que la zone libre le resta. Le gouvernement donna des instructions pour que ne soient pas transmises des listes de noms d’étudiants de sorte qu’ils ne soient pas inquiétés ni que leurs familles ne subissent de pressions. La guerre durant, il allait de soi qu’un retour en Allemagne les aurait transformés en soldats. La position de Terracher fut donc assez inconfortable quoiqu’il ait pu bénéficier d’appuis solides au gouvernement. Il semble qu’il ait été tant détesté par ses interlocuteurs allemands que, lorsque Jérôme Carcopino devient ministre, en avril 1941, le chargé des affaires culturelles de l’ambassade d’Allemagne, Karl Epting, ait immédiatement demandé son renvoi. De la même manière, lorsque Carcopino voulut le nommer recteur de l’académie de Paris en août 1941, sa proposition fut refusée par les Allemands. Avec le retour de Laval et la nomination d’Abel Bonnard, d’autres démarches furent entreprises en avril et en juin 1942 par l’occupant pour que Terracher soit écarté. L’occupation de la zone sud changea radicalement la situation avec l’installation de la Gestapo à Clermont-Ferrand. Il subsiste des traces de l’intervention de René Bousquet en faveur de l’université de Strasbourg. Devenu secrétaire général de la police, celui-ci promit l’aide de la police française aux Allemands contre la tranquillité des Alsaciens-Lorrains de zone sud35. Un certain nombre de fonctionnaires firent ce qu’ils purent afin de protéger l’université alsacienne, de même que les service diplomatiques purent, un temps se réfugier derrière la convention d’armistice. Tout cela n’empêcha pas les rafles tout d’abord de juin 1943 (celle du Gallia, le 25 juin marqua le début de la répression ouverte), puis d’octobre qui décimèrent une grande partie des étudiants.
19La position d’au moins une partie des membres du gouvernement de Vichy permit ce statu quo un temps. Elle était devenue pour Vichy, comme pour les enseignants et les étudiants, à la fois un enjeu et un symbole. Son existence prouvait à la barbe de l’occupant que l’Alsace et la Lorraine demeuraient françaises en dépit de l’annexion de fait, et que les valeurs de d’esprit et de liberté continuaient de défier la brutalité nazie. Sans doute la question de l’Alsace-Lorraine était-elle trop emblématique, dans l’histoire des relations franco-allemandes, pour que tant d’efforts aient été consentis aux Alsaciens tandis que les trains de déportés livraient les Juifs. Cette situation montre cependant la position dans laquelle se trouvait un recteur. Elle montre aussi que la résistance administrative, lorsqu’elle était bien menée, était possible.
20Enfin, l’université sous Vichy exista également au-delà des frontières, par les initiatives multiples prises par les prisonniers afin de créer de toutes pièces des structures d’études et de maintien intellectuel dans les camps. Jean Guitton, dans Les Cahiers des captifs d’Osterode au Frontstalag de Mailly, édité plus tard dans une brochure imprimée à l’Oflag XIA, début 1941, rapporte l’incroyable soif de savoir des prisonniers :
« Pendant 4 semaines, on avait pu voir là un spectacle unique : dans une terre déserte, malgré la nourriture, la pauvreté, les épreuves inouïes de la retraite, dans l’incertitude et l’inquiétude, sans livres, sans plumes, presque sans locaux, une université véritable avec tous ses organes essentiels, était sortie du sol comme par enchantement. Ceux qui se passionnent aux origines, ceux surtout qui se plaisent à voir les êtres naître de rien et se chercher d’abord avant de trouver leur forme, ceux-là auront profit à examiner ici comment une école apparaît36. »
21Yves Durand fournit un exemple de l’enseignement universitaire tel qu’il pouvait être dispensé dans un Oflag à partir d’un rapport extrait des Archives du Secrétariat d’État aux Anciens Combattants et « la captivité37 ». Lettres : 7 candidats aux agrégations de lettres et de grammaire, 2 à la licence de lettres, 5 au certificat de littérature française, 4 à la licence d’histoire, 10 à la licence de géographie ; Sciences : 2 candidats à l’agrégation de mathématiques, 3 à l’agrégation de physique, 1 à l’agrégation de sciences naturelles, 25 à la licence de mathématiques, 12 à la licence de physique, 1, à la licence de sciences naturelles, 2 au bac de mathématiques, 1 au certificat d’aptitude d’enseignement dans les collèges ; Droit : 7 candidats au concours d’inspection des finances, 1 à la Cour des comptes, 7 au Conseil d’État, 9 à la magistrature, 30 au doctorat en droit, 40 à la licence, 7 à la capacité ; Enseignement primaire : 1 candidat au concours, 17 au brevet agricole, 11 à l’enseignement des classes élémentaires des lycées et collèges, 1 au certificat d’études primaires. Cette application studieuse et ce souci à ne pas perdre de temps auguraient certainement d’une perception optimiste quant à la durée du conflit. De l’illusion que la captivité serait de courte durée, permettant ainsi de passer à l’automne les examens qui n’avaient pas eu lieu au printemps.
22La densité d’universitaires fut exceptionnelle dans certains Oflags. Exemple, l’Oflag IV D qui compte 24 universitaires, 163 professeurs du secondaire, 14 d’écoles normales, 20 d’EPS, 50 du technique, 5 d’éducation physique, 1 de musique, 1 de dessin, 7 inspecteurs primaires, 53 directeurs d’écoles primaires, 664 instituteurs, 3 archivistes et 110 étudiants38. Ces universités fonctionnaient différemment selon les camps, leur taille, les compétences qui y étaient disponibles, des mutations d’un camp à l’autre. Les plus importantes étaient dirigées par un recteur, organisaient des examens et préparaient même aux concours. C’est ainsi que le philosophe Gusdorf devient « recteur » de l’université de l’Oflag VIII F, initiée à Montereau et « installée » pour toute la durée de la guerre à Wahlstatt en Allemagne. Il y fut préparé une licence de droit à partir d’octobre 1942, regroupant 33 inscrits aux onze heures de cours hebdomadaire. D’autres l’imitèrent dans l’organisation de conférences ou de cercles de réflexion comme cette « Académie » inventée à l’Oflag VI D où l’on traitait aussi bien d’économie politique que de « culture ouvrière », où l’on créa « un centre d’études des problèmes de l’entreprise », un bureau d’étude des ingénieurs ou encore un « atelier d’architecture ». D’autres variantes de la même veine virent le jour comme ce « Cercle indépendant d’études littéraires » créé à l’Oflag VIII F, où l’on étudiait Gide, Cocteau, Saint-Exupéry, Claudel, Proust... Dans la Circulaire du Hot Club de France de septembre 1941, une rubrique apparaissant pour la première fois et intitulée « Jazz au Stalag » fait état de 180 adhérents39.
23Exceptée la bonne volonté, ces universités manquaient à leur naissance à peu près de tout. Locaux exigus compliquant les emplois du temps, livres, matériels d’enseignement selon les disciplines... Divers organismes leur vinrent en aide, dont le CICR (qui avait créé un « Fonds européen de secours aux étudiants »), mais aussi le « Bureau des études universitaires » de la mission Scapini chargée par Vichy des prisonniers en Allemagne, en liaison avec les services de l’éducation nationale. Les 13 000 étudiants qui durant 5 ans perdirent leur temps dans les Stalags furent également soutenus dans une certaine mesure par le « Centre d’entraide aux étudiants mobilisés et prisonniers », créé par l’UNEF qui effectuait des travaux documentaires ou des recherches bibliographiques à distance selon les besoins. Il envoya plus de 15 000 livres par an aux prisonniers. D’autres organisations venaient en aide aux étudiants prisonniers comme le YMCA qui contribua largement à garnir les bibliothèques. Mais un des problèmes qui se posait et qui modéra l’ardeur des étudiants, fut la question de la validation des acquis de ces cours dispensés en captivité. Les textes publiés par Vichy à ce sujet interdisaient toute équivalence aux examens et n’évoquaient qu’une validation partielle ou de peu motivants « certificats de scolarité40 ». La seule épreuve officielle, mais dont on ne sait si elle attira beaucoup de candidat, fut celle décrétée par Abel Bonnard, ministre de l’éducation nationale et collaborationniste convaincu, qui proposa en octobre 1942, la création d’une épreuve facultative d’allemand, pouvant être validée par le ministère à condition que le jury soit franco-allemand.
24Si elles étaient parties de rien, certaines universités cependant se développèrent jusqu’à constituer de respectables bibliothèques : 22 000 ouvrages à l’Oflag II D, 35000 au II B, 16 000 au VI D. Martine Poulain qui a étudié les bibliothèques sous l’occupation41 a relevé les différents envois de livre à destination des Oflags et des Stalags. Certains sont particulièrement bien lotis, comme le Stalag IC C, qui comprend plus de 26 000 volumes. Les ouvrages de propagande et/ou liés aux différentes initiatives de la Révolution nationale sont envoyés aux prisonniers. On sait par exemple que le Comité générale à l’éducation générale et sportive (CGEGS) avait transmis en 1943 plus de 10 000 volumes consacrés à l’éducation générale et sportive. Borotra espérait trouver chez les enseignants de puissants relais de son comité42. Et le sport représentait une activité pratiquée par de nombreux prisonniers si l’on en croit l’exemple de l’Oflag XVII A ou sur 4 600 officiers, 3 000 étaient inscrits au cours quotidien d’éducation physique et où 36 élèves préparèrent le professorat43.
25On peut estimer au total, que plus de 3 millions de livres ont été envoyés aux prisonniers durant la guerre dont 600 000 livres d’étude (soit en moyenne environ un livre et demi par prisonnier)44. Il était malgré tout difficile de faire parvenir des livres figurant sur la liste Otto, et une partie non négligeable des bibliothèques était composée d’ouvrages vantant la France nouvelle dans le but de développer les « cercles Pétain » chez les prisonniers. Ce sont pour partie les universitaires que l’on retrouve ici. Ceux qui ont adhéré aux cercles Pétain créés dans les Oflags. Les universités des Oflags étaient également tributaires des mesures de rétorsion que pouvaient prendre les Allemands, en cas d’évasion par exemple, qui se soldait fréquemment par leur fermeture provisoire, punition collective censée apaiser l’ardeur des candidats à la liberté.
L’épuration vichyssoise
26Faut-il le rappeler, l’enseignement supérieur fut dès 1940, et comme le reste de la fonction publique, soumis aux lois d’exclusion antijuives, qui frappèrent les enseignants comme les étudiants, tout d’abord dès juillet et octobre 1940, puis en juin 1941. Le monde universitaire fut soumis aux conditions tragiques de l’antisémitisme, au fur et à mesure que se radicalisait la répression. Claude Singer a montré tant la genèse que l’application des lois antisémites dans le monde universitaire45. Les premières purges commencent avec la loi du 17 juillet 1940 sur l’épuration dans la fonction publique. La lecture faite de cette loi par Georges Ripert, secrétaire d’État à l’Instruction publique permet de mettre à la retraite anticipée « tous ceux qui ne comprennent pas [...] la nécessité de renoncer aux agitations politique anciennes [...], ceux qui se sont livrés dans le passé à des manifestations publiques de désordre social de nature à faire disparaître leur autorité morale [...]46 » ; mais également, dans une circulaire précédente, « ceux qui en raison de leur état de santé, de leur affaiblissement intellectuel ou de leur absence totale d’énergie sont dans l’impossibilité de remplir utilement leurs fonctions47 ». Autant dire que le ministre s’autorisa ainsi à évincer ou déplacer des milliers de fonctionnaires. Ceux qui avaient rejoint la France libre furent déchus de la nationalité française et exclus de la fonction publique. Les lois d’octobre limitèrent les effectifs féminins, inquiétèrent les francs-maçons même si avec le retour de Laval les choses s’améliorèrent et qu’une partie d’entre elle est réintégrée.
27Il en va autrement de la législation antijuive qui fut à la fois abondante et consciencieusement appliquée. Pas moins de soixante lois ou décrets concernant directement ou indirectement les Juifs sont promulgués entre la date du premier statut des Juifs, le 3 octobre 1940, et celle du 29 novembre 1941 instituant l’Union générale des Israélites de France (UGIF), soit une moyenne d’un texte par semaine.
28La législation antisémite et ses modalités fut conçue et mise en place par des hommes qui n’étaient pas particulièrement antisémites. Et on peut s’interroger avec Claude Singer sur l’influence de ces juristes et professeurs de droit, nombreux dans l’Instruction publique48. La profusion et la précision des textes, la froideur du dispositif paraissent, à la manière des technocrates de Vichy, être le produit formel d’hommes de droit. Mais d’une façon générale, la politique d’exclusion est organisée par de grands clercs issus du même creuset intellectuel des filières élitistes républicaines. Les 6 secrétaires d’État qui se succèdent à l’Instruction publique et les membres de leurs cabinets sont pour la plupart normaliens, agrégés, ont fréquenté les mêmes lieux, ont eu parfois les mêmes professeurs, bref ne sont pas des « politiques » lesquels sont assez rares sous les lambris du ministère et souvent méprisés par eux. L’excellence de leur formation ne les prémunit pas contre la tentation antisémite. Selon un rapport de l’inspecteur Jules Isaac de 1945, « Jérôme Carcopino est la plus forte personnalité des six (ministres), celui qui a mis au service de la Révolution nationale, le tempérament le plus autoritaire et la poigne la plus rude49. »
29La proportion d’enseignants juifs ne dépasse pas au mieux 20 % des effectifs dans les universités de province, plutôt en sciences et en médecine. Mais elle est plus importante en revanche à Paris. 53 % des universitaires parisiens sont d’origine juive, ce qui explique sûrement pourquoi y est tant dénoncée l’invasion juive de l’université. Cette rumeur est renforcée par la moyenne d’âge plus élevée des universitaires parisiens en fin de carrière, qui ont des grades et des responsabilités élevés et passent donc pour s’octroyer les meilleures places.
30Ce qui se produit dans l’université n’est pas différent de l’insensibilité dépeinte dans le monde des études médicales et des hôpitaux publics où, pour la plupart, les Juifs (professeurs, chefs de clinique, assistants) sont interdits de fonction. Même les médecins les plus en vue sont suspendus. Selon Bruno Halioua, dix-sept médecins et chirurgiens, « dont la valeur est unanimement reconnue, sont également mis en disponibilité par l’Assistance publique50 ». Chacun doit répondre au même questionnaire. Et sur 48 professeurs de médecine et 51 agrégés, seuls trois manifestent quelque courage en répondant « celtique » ou « français » à la rubrique leur demandant de préciser leur race. Mais pour l’ensemble, et tout corps confondus, « les médecins hospitaliers français comme la majorité de leurs compatriotes accueillent le statut des juifs avec une certaine indifférence. Ceux qui paraissent engagés avec le régime de Vichy peuvent d’ailleurs brouiller la lecture du phénomène. Ainsi, au nom de l ‘ éthique et de la solidarité, le professeur Louis Carrière, de la faculté de médecine de Montpellier, ancien Croix-de-Feu et pétainiste apparemment convaincu, refuse la chaire d’endocrinologie qui lui est proposée à la suite de l’éviction du professeur juif Lisbonne. Encore s’agit-il là d’un cas exemplaire tout à fait atypique.
31À l’opposé, on peut lire dans Je suis partout un article d’un confrère intitulé « Pourquoi tourner autour du pot » préconisant la solution au « problème juif, si douloureux que cela puisse être » comme étant le résultat de « l’invraisemblable pourcentage des Juifs français dans la médecine française ». Ce qui en toute logique amène l’auteur, médecin, à poser une question-réponse en forme d’évidence : « Si le Juif est exclu parce que Juif de l’ensemble du cinéma, du journalisme et de l’armée, faut-il le rejeter ipso facto vers les professions libérales où son influence est aussi nocive qu’ailleurs ? » Sa conclusion va de soi : « il faut bien arriver au numerus clausus amorcé par la loi d’octobre 194051 ». C’est ce qui se produit avec la loi du 11 août 1941 qui limite à 2 % au maximum le nombre médecins juifs admis à exercer, ce qui, en complément des dispositions contre les médecins étrangers faisait, comme l’analyse Renée Poznanski, « rejoindre dans l’inaction forcée les médecins nés de père étrangers par des Français d’origine française... mais juifs52 ».
32On compta sous Vichy 119 enseignants de l’enseignement supérieur exclus, dont 76 en zone occupée et 43 en zone sud au titre des mesures antisémites ; 10 enseignants en droit, 25 en lettres, 30 en médecine et 35 en sciences furent évincés. Parmi eux, certains auteurs réputés comme Marc Bloch, qui entra dans la clandestinité en 1942 et continua d’écrire sous le pseudonyme de Fougères, ou le philosophe Léon Brunschvicg. Mais on compte également 27 enseignants évincés comme francs-maçons, communistes, ou présumés tels. Au total, plus de 140 personnes sur 1 500 soit près de 10 % du corps enseignant du supérieur, furent concernées par les mesures d’éviction vichyssoises, non comptées celles directement liées au contexte de guerre (notamment les ralliements à la France libre). Signe des temps de dictature, le système des commissions fut remplacé par celui des désignations arbitraires. Émile Mireaux, ministre de l’Instruction publique, s’arrogea dès juillet 1940 le pouvoir de décider des promotions et nominations en suspendant toutes les élections universitaires.
33Quant à l’éviction des étudiants, elle se fait de façon différente. Le numerus clausus est décrétée pour la rentrée 1941 à la demande de Darlan et de Carcopino. Le filtrage s’effectue au moment des inscriptions. Les candidats remplissent un questionnaire et leur dossier est étudiée par une commission de plusieurs professeurs. On leur demande à partir de 1942 des pièces justificatives (certificat de baptême, de communion, de mariage catholique ou protestant...). Ceux qui passent les concours des grandes écoles se voient attribuer « un numéro bis », pour ne pas les confondre avec les autres, et sont généralement intégrés selon leur ordre de classement à concurrence du quota de 3 % autorisé. S’il semble que le quota n’ait pas vraiment gêné les étudiants juifs dont la proportion correspond justement à cet ordre de grandeur à Normale sup, il n’empêche, sans que l’on sache exactement combien, que le système dut en dégoûter beaucoup qui renoncèrent finalement à s’inscrire53. Le zèle antisémite précède parfois la législation. Au Conservatoire de Paris, Henri Rabaud, le directeur, prend l’initiative de dresser la liste des élèves juifs (trois ou quatre grands-parents) et demi-juifs (un ou deux grands-parents) dès l’été 1940. Le 30 octobre, il informe Georges Ripert que les autorités allemandes « lui ont déclaré qu’elles n’admettaient pas que des prix pussent être donnés à des élèves juifs, ou ayant un tant soit peu de sang juif, même si ces récompenses leur étaient régulièrement décernées par vote du jury54 ».
34L’école des Mines et celle des Ponts comme d’autres corps civils ou militaires furent également touchées par les mesures antijuives. À l’École polytechnique, on choisit de ne pas exclure totalement les élèves juifs, mais de les mettre en quarantaine. à la différence de l’École normale supérieure, Polytechnique, de statut différent, comme l’a montré Vincent Guigueno, « ne disposait d’aucun argument définitif pour interdire son accès aux candidats juifs [...] mais la volonté des jeunes élèves d’achever leur formation contribua à aviver l’antisémitisme, avoué ou latent, qui travaillait une partie de l’encadrement de l’École55 ». C’est le général-gouverneur Durand qui fut chargé de mettre en place les mesures antijuives. Il le fit, secondé par quelques cadres de l’École avec une application toute militaire, alertant les services sur les dangers de dérogations trop libérales, soulignant les « difficultés » pouvant surgir de l’entrée d’un trop grand nombre d’X juifs dans certaines administrations comme les PTT, suggérant de s’en tenir au classement des élèves juifs dans la catégorie bis conformément à ce que prévoyait le règlement, etc. En somme, certains cadres de l’École adoptèrent une attitude dépassant largement la simple « accommodation » de façade à la législation antisémite.
35Entre solidarités individuelles et indifférence collective, on sait qu’il est difficile d’évaluer la manière dont furent perçues les mesures d’éviction. La tendance demeure malgré tout au silence chez la plupart des universitaires et du monde de l’enseignement en général. Mais l’interprétation de ce silence comme l’a remarqué Claude Singer demeure ambiguë. Silence de l’ignorance, d’une vague complaisance gênée ? Silence de lâche indifférence, « silence de l’abjection » et de la honte, silence d’opportunité pour saisir les places rendues vacantes par les réprouvés ? Les exemples étudiés à travers les traces qui subsistent, lettres, témoignages, montrent qu’hormis de rares cas de réactions collectives cantonnées à l’enceinte du cours ou de la faculté, bien peu de troubles sont à relever. Globalement, les départs des exclus s’effectuèrent sans vagues, alors que, précisément redoutées par les rectorats et les autorités en général, ils coïncidaient dans cette intention avec les vacances scolaires. Et lorsque des voix s’élèvent, ce qui est plutôt rare, c’est rarement pour dénoncer l’antisémitisme d’État. On sait que Simone de Beauvoir elle-même, remplit et signa le formulaire attestant qu’elle n’était ni juive ni franc-maçonne et ne réagit pas lors des premières manifestations lycéennes et étudiantes hostiles à l’occupant.
36« Même chez ceux qui dénoncent les mesures frappant les enseignants juifs il n’y a pas généralement de remise en cause du statut lui-même. Dans la plupart des cas en effet, on critique moins la loi elle-même que la manière dont elle est appliquée », écrit Claude Singer qui cite quelques exemples de lettres de protestation56. Madeleine Schnerb, agrégée d’histoire qui tombe, avec son mari, enseignant à la faculté de lettres de Clermont-Ferrand, sous le statut écrit à l’automne 1940 : « Beaucoup de mes collègues du lycée, anciennes amies, m’évitaient courtoisement en me disant que “cela ne pouvait durer”. Une autre me dit tout simplement, en commentant les lois raciales “les bons paient pour les mauvais” [...] En gros les jeunes, les anciens élèves – et par voie de conséquence leurs parents très souvent –, furent parmi les dévoués. Les lâches se rencontrèrent surtout chez les collègues57 ». Même si le nombre plus restreint d’enseignants à l’université fut de nature à modifier cette impression pour l’enseignement supérieur – les enseignants s’y connaissant mieux et souvent depuis plus longtemps –, les réactions n’y furent pas radicalement différentes. Il n’y eut pas a priori dans l’enseignement supérieur, l’équivalent d’une démission fracassante, comme ce fut le cas dans l’enseignement secondaire ou Gustave Monod, inspecteur de l’académie de Paris, ami de Jules Isaac (auteur des célèbres manuels), écrivit un courrier incendiaire au ministre Ripert pour dénoncer l’administration qui s’inquiétait « désormais de la race ou de la religion de son personnel58 ». Henri Bergson lui-même, pourtant éloigné du judaïsme, avait décidé de se faire recenser comme juif par solidarité. Ce, en dépit de son état de santé et du fait qu’on l’ait informé officieusement qu’il n’était pas tenu d’accomplir cette démarche. Maurice Martin du Gard rapporte la scène dans sa Chronique de Vichy : on le vit « en pantoufles, dans sa robe de chambre, souffrant comme un damné, descendre au commissariat de Passy pour se faire inscrire comme juif59 ». Mais l’attitude de Bergson ou de quelques autres demeure exceptionnelle60.
37On ne relève guère non plus de réactions solidaires très vives à l’École polytechnique si l’on en croit le témoignage d’un des anciens élèves touché par les lois d’exception. « Je ne saurais être précis sur le comportement des élèves “normaux” à l’égard de leurs camarades juifs. Dans mes souvenirs, raconte Bernard Lévi, ancien X, subsiste un ensemble flou et incohérent d’attitudes, miroirs des opinions variées et changeantes des Français. Sans vouloir généraliser, je rappellerai que si la revue des élèves de la promotion 1940 se moquait ouvertement de certains enfantillages maréchalistes, l’une des manifestations organisées par des élèves candidats à la caisse des représentants de la promotion fut une conférence prononcée, en avril 1942, dans l’École par Charles Maurras. Ce sourd mais éloquent antisémite fut applaudi et les candidats qu’il aidait ainsi furent élus61 ». Quoi d’étonnant à cela lorsque l’on observe le comportement de Jean-Paul Sartre face aux lois d’exception. Quoiqu’il n’enseignât pas à l’université mais en classe préparatoire, l’attitude de celui qui devint le symbole de la vie intellectuelle après-guerre, et chantre de la Résistance, demeure significative telle que la décrit Francine de Martinoir : « Alors que les derniers mois de l’Occupation furent les plus pénibles – arrestations, exécutions, rafles, déportations –, l’écrivain ne songeait qu’à sa carrière, aux scénarios qu’il désirait écrire, au Prix de la Pléiade – il était membre du jury –, aux fiestas où il était convié, chez Dullin, chez Leiris, chez d’autres. Au même moment des drames éclataient, des professeurs de Condorcet étaient déplacés, des élèves disparaissaient, ayant pris le maquis ou ayant été arrêtés. Sartre ne manifesta jamais aucune émotion à cet égard, se contentant d’indiquer sur leur bulletin “absent”, alors que des collègues, par une phrase sibylline, marquaient leur sympathie ou leur complicité62 ». On ne peut s’empêcher de rapprocher son attitude de celle de Mauriac, dont il se gaussa tant, notamment lors de l’épuration, lequel pourtant écrivait dès le 16 mai 1941 dans son Cahier noir, avant de ne plus contribuer qu’aux publications de la Résistance : « Cinq mille juifs arrêtés d’un coup, de dix-huit à quarante ans... et La Petite Gironde, l’œuvre, annoncent la chose d’un ton guilleret : jamais je n’ai senti comme ce matin le déshonneur, la honte à laquelle je participe par mille menues trahisons quotidiennes63 ». Mais pour la plupart des élèves, ce fut sans doute le manque de formation politique à l’université, dans les classes préparatoires ou à polytechnique qui handicapa la clairvoyance des futures élites et, de fait, leur engagement dans l’action clandestine. A fortiori sans doute chez les militaires comme le rappelaient deux figures pourtant illustres : le colonel Passy avouait que, « lieutenant au 4è régiment du génie à Grenoble, puis professeur de fortification à l’École spéciale de Saint-Cyr, (il) ne s’était jamais occupé de politique et n’avait à vrai dire, pas la moindre notion sur ce sujet64 ». De même, Serge Ravanel, célèbre résistant de la R4, affirmait avoir vécu comme une infirmité de compter parmi ces gens « qui appartiennent à la petite bourgeoisie, politiquement ignorants65 ».
38Les réactions paraissent avoir été globalement plus affirmées chez les étudiants exceptée en AFN si l’on en croit l’exemple de la faculté de médecine algéroise. Alors qu’on y comptait environ 30 % d’étudiants juifs, l’Association générale des étudiants d’Alger (AGEA) par l’intermédiaire de son président royaliste François Gillot, fait voter une motion réclamant le numerus clausus au congrès de l’UNEF d’avril 1941. La motion est adoptée à la majorité des voix66. Mais le contexte algérien était singulier et l’antisémitisme relevait d’une opposition communautaire qui dura après le débarquement de 1942 et dépassa largement la fin du conflit. Du reste, ce fut Abel Bonnard qui accepta ce que ces prédécesseurs, y compris Jacques Chevalier, avaient refusé. Le numerus clausus fut adopté en Algérie par la loi du 19 octobre 1942, à hauteur de 7 %, dans les écoles primaires, secondaires et les lycées, ce qui empêcha 18500 élèves d’être scolarisés lors de la rentrée 1942.
39Ailleurs, les étudiants paraissent avoir souvent témoigné leur solidarité à leurs professeurs. Certains s’emploient à ridiculiser le port de l’étoile en multipliant des signes équivalents d’une solidaire dérision. C’est ainsi qu’un groupe d’étudiants arpente le boulevard Saint Michel l’automne 1942, chacun arborant un macaron « JUIF ». à ceux qui s’en étonnent ils répondent qu’il s’agit du sigle de leur association « Jeunesse universitaire intellectuelle française ». D’autres s’affublent d’une étoile jaune portant la mention « Goï », « Zoulou », « Swing », ou encore « Auvergnat ». Frédéric Deloffre, qui reconnaît à Carcopino d’avoir épargné l’École normale supérieure de toute incursion policière française ou allemande au cours de l’année 1941-1942, donne une version sans doute assez réaliste de la réaction collective face au marquage des juifs.
« Lorsque l’étoile jaune fut rendue obligatoire [...], écrit-il, le bruit couru que “tout le monde allait porter l’étoile par solidarité”. Le mot d’ordre circula au dernier moment, la veille du jour où la mesure entrait en vigueur. Ce jour était un dimanche. Personne n’avait d’étoile jaune à sa disposition ni ne savait comment s’en procurer. Je me trouvais à la messe [...] avec une pochette jaune, un linge à essuyer les lunettes. Je ne vis personne en porter autour de moi. Le soir, on apprit que quelques étudiants s’étaient promenés sur le boulevard Saint-Michel avec une étoile jaune. Il y avait parmi eux Jacob, qui fut arrêté, et heureusement libéré après. Mais désormais la peur avait fait son œuvre. On ne parla plus de porter l’étoile jaune67. »
40On sait que bien plus que les textes législatifs, le port de l’étoile provoqua un sursaut de l’opinion et qu’il stimula les solidarités envers les Juifs a contrario de ce qu’imaginait le gouvernement. Mais il n’empêche – et l’antisémitisme comme les rouages de Vichy ont été suffisamment étudiés pour que l’on s’y attarde ici –, on peut malgré tout s’interroger sur cette passivité des élites. Et pourquoi pas, de l’influence des enseignements qu’elles avaient reçus. Jean-François Sirinelli relate ce procès de Jean-Toussaint Desanti qui, après qu’Alain fut décédé, écrivit un article intitulé « Alain, professeur de lâcheté ». Celui dont les cours de philosophie avait formé la génération de khâgneux qui s’étaient retrouvés aux affaires sous l’occupation ne trouvait pas grâce à ses yeux : « Le professeur de sagesse enseignait la démission et la lâcheté (et il a préparé ses élèves) malgré eux, à accepter la capitulation de Munich et à supporter toujours avec bonne conscience, parfois avec complaisance, le fascisme et l’occupation [...] Il laissait le disciple nu dans le monde. Car lorsque vinrent les jours de l’horrible et vraie tyrannie, les jours d’Ascq et d’Oradour... maîtres et disciples trébuchaient ainsi de confusion en trahison68. »
Réintégrés les proscrits
41Quoiqu’elle ne représentât qu’une partie très restreinte du monde de l’enseignement, l’Université française fut, comme l’ensemble de la fonction publique, soumise au même processus d’épuration. La Libération et la remise en ordre qui l’accompagna visa à rétablir avant tout les fonctionnaires exclus de leurs postes par les lois de Vichy, et à châtier ceux jugés indignes.
42Dans le mouvement de réorganisation administrative qui s’amorce à partir du printemps 1943, à Alger, une des initiatives essentielles autant que refondatrices consistait à prendre toutes les dispositions pour annuler les lois de Vichy et réintégrer les fonctionnaires qui avait été exclus. Ce rétablissement était plus compliqué qu’il y paraît, compte tenu des débats animés qui avaient divisé la France libre sur la question du maintien ou non de la législation vichyssoise69. De fait, les réintégrations firent l’objet d’une multitude d’ordonnances adaptées aux différents types d’exclusion qu’il s’agisse des juifs, des francs-maçons, des femmes des opposants ou des syndicalistes. Au total, le nombre des réintégrés relevant de l’université fut de 180 individus, soit un peu moins que les 207 révoqués par Vichy dont certains avaient entre temps disparu.
43L’université de Paris comptait la moitié des exclus de Vichy, soit une centaine environ en comptant les grands établissements comme le Collège de France, l’École pratique des hautes études, des langues orientales, etc. Si la vague de réintégration est ample puisqu’on réintègre même les morts, elle ne concerne pas cependant les fonctionnaires exclus sous Vichy pour insuffisance ou faute professionnelle grave. Comme dans les autres administrations, on assiste à cette épuration par défaut qui permet de régler un certain nombre de cas délicats. Elle ne concerne évidemment pas non plus ceux dont « l’attitude antinationale a été caractérisée » qui relève des commissions d’épuration. Mais comme pour l’épuration et de façon anticipée, certaines réintégrations soulevèrent parfois de véritables tollés, lorsque certains universitaires tentèrent de réinvestir leur poste. L’appréciation des comportements sur le terrain, mêlée aux aspirations collectives et au flamboiement des représentations de l’ère nouvelle qui s’ouvrait, compliqua parfois le travail de réorganisation70. Certains enseignants peu appréciés furent parfois confrontés à une hostilité rendant difficile leur réinsertion. à l’inverse, il n’était pas toujours compris pourquoi d’autres, vivement appréciés et ayant remplacé les précédents, se trouvaient tout à coup mutés sur une décision administrative jugée incompréhensible. Les étudiants aussi étaient confrontés à ces difficultés. Victimes des lois d’exclusion, revenants des maquis, puis plus tard, revenant des camps de prisonniers, du STO, parfois de la déportation, ils devaient retrouver en dépit de l’épreuve subie et de ses conséquences psychologiques, la force de se réadapter et de reprendre leurs études. Diverses mesures furent prises durant plusieurs années pour compenser le préjudice de ceux appelés les « étudiants victimes de guerre », tant dans les inscriptions à l’université, dans l’organisation des concours d’entrée aux grandes écoles ou de l’enseignement, que pour l’attribution des bourses et la délivrance des prestations sociales en général. Jusqu’à d’ailleurs provoquer des mouvements de mécontentement à l’encontre de ces « victimes » parfois considérées, au vu des avantages qui leur étaient concédés, comme des privilégiés. « À la faculté de médecine, écrit Claude Singer, les étudiants protestent contre “les trop grandes facilités” qui, selon eux, ont été faites aux étudiants déportés, prisonniers et rapatriés71 ». Cette question des réintégrations étudiantes se régla sur plusieurs années. Le débat social auquel elle donna lieu n’en est pas moins éclairant sur le climat qui entoura l’épuration laquelle, bien plus rapide, fut mise en place dès l’automne 1944 et ne dépassa guère la fin de l’année suivante.
L’épuration de l’université
44Quand se mettent en place les structures d’épuration, à la rentrée 1944, le climat universitaire n’est plus celui atonique de l’occupation. Étudiants et lycéens semblent se réveiller et revendiquent, dans des manifestations désordonnées qui relèvent plus du monôme, l’amélioration de leurs conditions de vie. Cette agitation est sensible à Paris mais aussi à Lille, Toulouse, Clermont-Ferrand. Les années d’occupation et les combats de la Libération ont encore affaibli l’université, ses structures et ses conditions d’existence. A fortiori dans les zones de combat. à Caen par exemple, l’université est pratiquement détruite, mais Paris, Nantes, Marseille et Toulouse ont été aussi sérieusement endommagés. La Sorbonne n’a plus de vitres, la faculté de sciences est détériorée, la BDIC, à Vincennes a subi un incendie. On signale des dégâts plus ou moins graves dans les universités de province, et partout les dégradations ont la plupart du temps été augmentées par les pillages. Les conditions de fonctionnement restèrent longtemps précaires après la Libération et la pénurie, encore accrue par les rigueurs des hivers, se prolongea jusqu’à la fin des années quarante. La faim demeure le ressort principal de l’agitation étudiante, et le logement pose un réel problème de politique publique avec l’augmentation considérable des étudiants après 1944.
Le processus d’épuration
45La première commission d’épuration fut créée à Alger par l’ordonnance du 18 août 1943 à l’initiative d’un juriste, René Capitant, Commissaire à l’éducation nationale au Comité français de libération nationale (CFLN). Issu d’une famille de juriste – son père, Henri, fondateur en 1935 de l’Association pour la culture juridique française72 était un spécialiste du droit industriel –, René Capitant paraît tout désigné pour prendre la responsabilité de l’épuration dans le milieu universitaire. Cofondateur de Combat, il est lui-même issu de l’enseignement supérieur après avoir été reçu à l’agrégation de droit en 1930. Il a, avant-guerre, enseigné le droit constitutionnel et le droit public à l’université de Strasbourg jusqu’en 1941. C’est après son engagement au sein du mouvement Combat qu’il se fait muter à l’université d’Alger avec pour mission d’y développer le mouvement. En novembre 1943, après qu’il ait contribué à la prise du pouvoir du général de Gaulle à Alger, il est nommé Commissaire à l’Éducation nationale et à la Jeunesse dans le Gouvernement provisoire de la République française puis devient ministre avec les même attributions en 1944 et jusqu’en 1945. Les premières mesures prises par le CFLN, sous la férule de René Capitant furent de procéder aux réintégrations des agents de l’État évincés par Vichy, soit à quelques unités près, 210 individus. Ainsi, dès le 18 avril 1943, se trouva abrogée à Alger la loi du 17 juillet 1940, qui avait permis au gouvernement de Vichy de révoquer arbitrairement n’importe quel fonctionnaire. Une soixantaine d’universitaires furent ainsi rétablis dans leur fonction. Sur les 145 enseignants juifs du supérieur évincés par Vichy, seuls quelques-uns, ceux qui étaient présents à Alger, le furent à peu près à la même période. Derrière la rapidité de ces premières mesures, se dessinait, outre le nécessaire rétablissement de la légalité républicaine, le souci de rallier au général de Gaulle les universitaires partisans giraudistes.
46Lorsque les villes sont libérées, le tiers des universitaires sanctionnés plus tard furent arrêtés. Qu’il s’agisse d’anciens ministres ou responsables en vue, de certains recteurs, de membres de partis collaborationnistes ou de ceux qui avaient adopté une attitude ostensiblement favorable au régime. Ces arrestations sont importantes dans la manière dont est perçue l’épuration et dans les souvenirs qu’elle laissa ensuite chez les intéressés. La plupart ne comprennent pas pourquoi ils doivent subir cet affront et conçoivent leur emprisonnement comme une injustice. Jacques Chevalier est emmené menottes aux poignets par des maquisards qui menacent de l’exécuter. Joseph Barthélemy est arrêté chez lui par des gendarmes. Jérôme Carcopino est interné à la conciergerie et au vélodrome d’hiver où il est brutalisé, puis à Fresnes. Georges Ripert séjourne à Drancy durant trois mois, puis à Fresnes également. Il en va de même des recteurs de Grenoble, Lyon, Dijon, Besançon. D’autres engagés dans des partis de collaboration ou simplement aux prises de position vichyssoises notoires subissent le même sort. Selon le comptage établi par Claude Singer, des enseignants du supérieur sont arrêtés dans pratiquement toutes les villes universitaires73. Tous proclament leur innocence et protestent contre le sort qui leur est réservé, contre la dureté des interrogatoires et les conditions de leur détention. Arrêtés ou non, les universitaires inquiétés sont suspendus. C’est-à-dire que leur traitement n’est plus versé ou seulement en partie et qu’ils n’ont plus d’obligation de service selon une durée variable. Cette mesure ne préjuge pas de la suite donnée aux accusations, mais est également perçue par ceux qui sont innocentés ensuite, comme flétrissant leur honneur et insultant leur dignité. Autant de traces durables dans le souvenir qu’ils gardèrent des événements.
47Directement issue de l’ordonnance du 27 juin 1944 qui fixait pour la fonction publique les modalités de l’épuration, l’épuration universitaire s’inscrivait dans le système qui prévalait au sein du ministère de l’éducation nationale, comme dans tous les autres ministères. Il demeurait celui rassemblant le plus de personnel et pour lequel plus de 5 000 dossiers furent constitués en cette occasion. Dans un premier temps, à partir du 5 octobre 1944, furent prises des mesures de suspension pour tous les fonctionnaires mis en cause, soit par les CDL, soit par les commissions d’épuration des grands établissements. Dans chacune des académies siégeaient un Conseil académique d’enquête (CAE)74, qui centralisait et instruisait les dossiers constitués par les divers comités de libération et/ou d’épuration (comités locaux ou départementaux, mais aussi comités émanant des universités ou des établissements d’enseignement en général). Composés de 7 membres représentant les différents grades de l’enseignement, les CAE de province instruisaient les dossiers, diligentaient éventuellement une enquête et transmettaient le dossier avec un rapport au Comité supérieur d’enquête (CSE). Le CAE auditionnait au moins une fois le fonctionnaire incriminé et les principaux témoins s’il le jugeait nécessaire. En dépit des difficultés d’organisation et de la pénurie matérielle – les moyens de transports indispensables aux enquêteurs étaient aléatoires au sortir de l’occupation, les machines à écrire introuvables – les instances régionales réalisèrent pour l’essentiel leur tâche entre l’automne 1944 et l’été 1945. Ces conseils académiques d’enquête jouaient un rôle de filtre et ne transmettaient à Paris, que des affaires dont les dossiers étaient suffisamment étayés par des témoignages jugés valides accompagnés d’un avis. L’instance suprême représentée par le CSE, institué le 26 octobre 194475, était chargée pour chaque cas, de proposer au ministre la sanction administrative qui lui semblait la plus adaptée. Lui étaient également réservés les cas des fonctionnaires supérieurs de l’administration centrale, des inspecteurs généraux, et d’académie de même que les personnels des établissements dits « de haute culture » dépendant de l’éducation nationale. Il était composé de 24 membres dont la moitié d’universitaires. Le CSE réétudiait les affaires et lissait les propositions en fonction des cas équivalents déjà traités. Il fut également chargé des affaires plus tardives des prisonniers et d’Alsace-Lorraine. Seul le ministre cependant était habilité à prononcer la sanction.
48Le Conseil académique d’enquête de Paris propose un exemple singulier. Du fait du grand nombre de cas à traiter, il était pourvu de différentes sous-commissions dont une pour l’enseignement supérieur présidée par le recteur Roussy et Albert Pauphilet, le nouveau directeur de l’École normale supérieure. Elle était composée de deux représentants de chaque faculté (Droit, Lettres, Sciences, Médecine et Pharmacie), soit un total de onze membres76. Paris avait en outre cette particularité d’être dotée d’une double instance : y siégeait le CSE ainsi que le Conseil académique d’enquête, chargé des dossiers de l’académie parisienne. Les archives montrent que l’entente entre ces deux instances fut pour le moins difficile, le CSE révisant quasi-systématiquement les propositions émises par le CAE77. L’épuration, comme tout processus judiciaire fut également un lieu de pouvoir où chacun, acteurs ou institution était jaloux de ses prérogatives et tentait, à l’occasion, d’imposer ainsi sa propre légitimité. Quiconque a connu les débats des commissions universitaires en temps de paix pour l’attribution d’un poste peut aisément imaginer la palette des attitudes des uns et des autres, et qui plus est dans un processus de jugement : défiance, rancœur, jalousie parfois, jeu d’influence entre collègues, mais aussi solidarité, tolérance caractéristique du milieu universitaire, etc. Initialement prévue jusqu’au 15 mars, la procédure de dépôt de dossiers d’épuration fut, face aux nombreuses protestations, repoussée jusqu’au 15 juin. Il faut dire que le processus était entravé par les difficultés matérielles auxquelles s’ajoutaient l’encombrement des dossiers vides et des accusations mal étayées. S ‘ ajoutaient encore les affaires souvent compliquées émanant d’Alsace-Lorraine où la collusion forcée des fonctionnaires au régime nazi imposait un traitement particulier. Les dossiers des fonctionnaires, quoique certains aient commencé d’être établis à Clermont-Ferrand, furent constitués plus tard, ne commencèrent d’arriver pour la plupart qu’au début de l’été 194578. Autres affaires difficiles, celles des prisonniers et éventuellement des fonctionnaires déportés. Une sous-commission fut spécialement créée à leur effet mais ne concerne dans l’enseignement supérieur que quelques universitaires, membre des cercles Pétain et zélateurs de la Révolution nationale.
Des chiffres et des disciplines
49170 des 1500 fonctionnaires enseignants du supérieur furent l’objet d’une instruction administrative, et eurent donc un dossier d’épuration portant leur nom, qui fut étudié par le Conseil supérieur d’enquête79. On trouve parmi eux des professeurs, des maîtres de conférences, des assistants, quelques chefs de travaux, des agrégés de médecine ou de droit. On compte environ 10 % des professeurs touchés, et 8,5 % des 473 assistants et chefs de travaux. Au total, les universités de province qui totalisent en moyenne 12,5 % de dossiers constitués, paraissent avoir été plus sévères qu’à Paris, où une trentaine de cas furent étudiés par le CAE sur les 635 enseignants de faculté, soit environ 5 %. 77 révocations furent prononcées à l’encontre des enseignants du supérieur, dont huit recteurs auxquelles s’ajoutent des sanctions de second ordre, blâmes, rétrogradations, déplacements, etc.80.
50Ces proportions sont à rapporter à de faibles valeurs absolues mais isolent nettement les universitaires si on les compare à celles calculées pour l’ensemble du personnel de l’Éducation nationale. 30 % de peines légères (blâme ou censure), 31 % de peines moyennes81 et 39 % de peines sévères82 frappent le personnel de l’ensemble de l’enseignement. Ces proportions sont respectivement de 14 % (sanctions légères), 21,5 % (sanctions moyennes) et 64,5 % (sanctions sévères) dans l’enseignement supérieur. Les universitaires sont donc plus touchés par des sanctions lourdes, ce qui les apparente aux secteurs les plus touchés de l’épuration administrative : police, magistrature, anciens combattants. Quelle explication à cela ? Principalement, l’âge des sanctionnés qui les exposa plus que d’autres à la mise à la retraite d’office considérée ici comme une peine sévère. Cette mesure permit fréquemment de mettre à l’écart en douceur les universitaires les plus âgés. Paris fournit naturellement le lot le plus important d’universitaires sanctionnés (21). Viennent ensuite Montpellier (14), Alger (12), Bordeaux (10), Aix-Marseille (8), 6 sanctions pour les universités de Toulouse, Lyon, Besançon, Grenoble, Caen et Rennes, 5 à Dijon, 3 à Clermont-Ferrand. Le chiffre tombe à 2 dans la plupart des autres universités. Ces disparités paraissent plus significatives de la vigueur de contextes locaux et surtout du poids de la résistance plutôt que du poids de la collaboration.
51La répartition par discipline établie par Claude Singer fait apparaître une sur-représentation des facultés de Lettres et de Médecine (totalisant respectivement 32 % et 30 % des sanctions) devançant celles de Sciences (26 %) et de Droit (12 %). Au sein même de ces ensembles, on remarque l’omniprésence en Lettres des historiens, des professeurs de langues – mais sans que la proportion des germanistes soit supérieure à celle des anglicistes –, des littéraires, quelques philosophes. En médecine, les chirurgiens sont particulièrement représentés tandis qu’en Sciences les mathématiciens sont les plus nombreux suivis par quelques physiciens et chimistes. En Droit, cinq juristes sont sanctionnés pour trois économistes. Les cinq professeurs de droit figurent parmi les universitaires sollicités comme spécialistes, notamment auprès du Conseil national de Pierre-Étienne Flandin, afin d’élaborer des réformes : André Amiand, professeur à Paris ; Georges Ripert, doyen de la faculté de droit de Paris qui fut Secrétaire d’État à l’instruction publique et à la jeunesse ; Gilbert Gidel, vice-doyen de cette même faculté ; René Brunet, également parlementaire ; Achille Mestre et Julien Laferrière, amis de Joseph Barthélemy, professeur de droit et ministre de la justice inventeur des « sections spéciales » à partir d’août 1941, quand se développèrent les attentats contre l’occupant.
52L’ambition et l’orgueil seraient, si l’on en croit Michèle Cointet déterminants dans le comportement de Barthélemy. Sa collaboration serait liée d’une manière générale « à l’éternelle tentation des professeurs de droit d’attacher leur nom à une constitution. Quel professeur résisterait à la tentation d’être ministre ? Il s’agirait donc là d’une sorte de « syndrome des Plaideurs » pour constitutionnaliste, l’expression pétainiste du complexe d’Empédocle en quelque sorte. Les juristes auraient voulu laisser leur nom sur la future constitution poussé par l’orgueil ; comme Empédocle avait laissé ses sandales au bord du cratère après s’être jeté dans le feu de l’Etna : pour que cela se sache. On pourrait se demander si les universitaires n’ont pas fait l’inverse (jeter les sandales et rester sur le bord). Quoiqu’il en soit, il est remarquable que seuls quelques juristes se soient trouvé inquiétés alors que d’autres disciplines, moins sollicitées par le régime, fournissent des effectifs plus importants. Parmi ceux dont on connaît l’origine, on constate par exemple qu’autant de professeurs de droit sont inquiétés que de chercheurs du Museum d’histoire naturelle de Paris (5) ; une trentaine de professeurs de médecine dont 14 à Montpellier, haut lieu de l’enseignement médical depuis Rabelais, une vingtaine en sciences, une quinzaine d’enseignants de lettres, 9 recteurs, un assistant au Collège de France, etc. Il va de soi que le contenu des dossiers personnels est ici déterminant pour apprécier la diversité des cheminements individuels. Les juristes pas plus que les médecins, pourtant plus nombreux (une trentaine) ne furent déterminés par leur compétence. La constitution de l’Ordre des médecins par Vichy permit à certains d’entre eux de profiter d’une forme d’autonomie qui put renforcer ou légitimer certaines pratiques seigneuriales dans les services des hôpitaux. Mais ces pratiques existaient antérieurement et ne devaient leur existence, comme c’est encore le cas aujourd’hui, moins à un régime politique qu’à un droit coutumier entériné de longue date dans la profession. À l’évidence, une grande partie des professeurs de médecine ou de chirurgie s’inscrivaient avant-guerre plutôt à droite, mais sans pour autant que cette sensibilité se prolongeât d’un engagement marqué pour le militantisme politique. Les contraintes de leur métier ne les prédisposaient généralement pas à de telles activités quand bien même ils pouvaient être considérés comme sympathisants. C’est donc la singularité qui prédomine à l’université et qui justement voue à l’échec toute tentative de modélisation.
53Les motifs des sanctions peuvent être grossièrement classés selon la répartition suivante : 36,5 % pour germanophilie ou collaboration avec l’Allemagne, 33,5 % pour pétainisme ou vichysme, 15 % pour adhésion à un parti de collaboration, 10 % pour antisémitisme et 5 % pour délation83. Nous verrons ce que recouvre cette catégorisation. Une constante : aucun universitaire accusé n’assume pleinement son engagement, et nous faisons le même constat que Claude Singer qui écrivait que « (les universitaires) nient farouchement tous et tout. Et quand il leur est impossible de nier par exemple une adhésion à un mouvement collaborationniste, ils minimisent aussitôt leur propre rôle84 ». On se trouve là face au paradoxe d’une situation où la profusion d’archives se trouve biaisée en permanence par la mauvaise foi des inculpés. D’où l’intérêt d’étudier plus finement ce que furent la collaboration et l’épuration universitaires, les différentes justifications et les perceptions auxquelles l’une et l’autre donnèrent lieu.
Notes de bas de page
1 Christophe Charle, La République des universitaires 1870-1940, Le Seuil, 1994, p. 463.
2 André Tuilier, Histoire de l’Université de Paris et de la Sorbonne, t. 2, De Louis XIV à la crise de 1968, Nouvelle Librairie de France, G.-V. Éditeur, 1994, p. 497.
3 Idem, p. 498.
4 Mais dont l’institution effective est plus tardive puisque les décrets de sa création sont publiés les 24 octobre et 20 décembre 1939.
5 Christophe Charle, La République des universitaires 1870-1940, op. cit., p. 241.
6 Alain Girard, La réussite sociale en France, ses caractères, ses lois, ses effets, PUF, 1961.
7 Pierre Bourdieu, Homo Academicus, Éd. de Minuit, 1984, p. 56.
8 Idem, p. 57.
9 Claude Singer évoque pour environ 80 000 étudiants en 1938-1939, 106 000 en 1942-1943, puis après une légère baisse, 123000 en 1945-1946, début d’une augmentation constante ensuite.
10 Abel Bonnard, Pensées dans l’action, Grasset 1941, microfiche BNF, p. 115.
11 Cf. François Marcot, « Entre les études et l’engagement. Le monde universitaire sous l’occupation », op. cit., p. 146.
12 Idem, p. 149-151.
13 Cité par R. Josse, « Les chantiers de la jeunesse », RH2GM, no 56.
14 Anne-Françoise Ropert-Précloux, « Qu’enseignait-on à la faculté de droit de Paris ? Corporatisme et antisémitisme dans les cours et ouvrages (1940-1944) », Le droit antisémite de Vichy, Le genre humain-Le Seuil, 1996, p. 413-432 ; et sur le rôle des juristes, dans le même ouvrage, Danièle Lochak, « Écrire, se taire... Réflexions sur l’attitude de la doctrine française », p. 433-462.
15 « Les seules critiques, écrit l’auteur, concernent certains aspects “techniques”, par exemple le caractère trop peu “détaillé” de la Charte du travail. Les lois corporatistes sont approuvées et certains auteurs réclament un corporatisme plus avancé. Les commentaires sont ici plus proches de l’éloge que de la réserve », idem, p 419.
16 Gérard Miller, « Le juriste et la sérénité », in Le droit antisémite de Vichy, idem, p. 400.
17 Cf. Edmond Lablénie, Aspects de la Résistance universitaire, Bordeaux, Imprimerie Taffard, 2e édition, 1969.
18 AN F 17 16732, dossier Aubertin, professeur de médecine expérimentale à Bordeaux, Procès-verbal de l’interrogatoire (pièce 47).
19 AN F60, rapport du 10 octobre 1941. Cité par Marc-Olivier Baruch et Vincent Guigueno (dir.), Le choix des X. L’École polytechnique et les polytechniciens 1939-1945, Fayard, 2000, p. 56.
20 Marc-Olivier Baruch et Vincent Guigueno (dir.), Le choix des X. L’École polytechnique et les polytechniciens 1939-1945, Fayard, 2000, p. 54.
21 Déclaration à la presse du 18 février 1943, cité par Pierre Giolitto, Histoire de la jeunesse sous Vichy, op. cit., p. 396.
22 « Rapport final du Dr Michel », AN 3 W 358, p. 40, cité par Philippe Burrin, « Les élites dans l’Europe nazie », in Vincent Guigueno, « La formation d’une élite à l’épreuve », in Marc-Olivier Baruch et Vincent Guigueno (dir.), Le choix des X. L’École polytechnique et les polytechniciens 1939-1945, Fayard, 2000, p. 80.
23 Idem, p. 396-397.
24 AN F17 133 81.
25 Gustave Roussy du 1-10-1937 au 12-11-1940, fut révoqué à la suite de la manifestation du 11 novembre, et reprit ses fonctions le 20-08-1944 jusqu’en avril 1947 ; Paul Hazard du 15-02-1941 au 5-03-1941 ; Charles Maurain du 5-03-1941 au 30-9-1941 ; et Gilbert Gidel du 1-10-1941 au 1-08-1944.
26 Notamment les doyens Joseph Vendryes et vice doyen André Cholley protestèrent contre l’éviction de leurs collègues juifs et contre le départ des étudiants au STO.
27 L’Union générale des étudiants de Paris, la Fédération française des étudiants catholiques, la Fédération française des association chrétiennes d’étudiants (protestants), toutes les trois créées début 1941, la Coopération Nationale des Étudiants de France (pour remplacer l’UNEF) ; pour les enseignants, l’Union de l’enseignement (créée en décembre 1942) et la Confédération générale de l’éducation (mars 1943).
28 D’autres structures résistantes étudiantes non communistes se créèrent en 1943 comme l’Organisation civile et militaire des jeunes et différents mouvements qui se fédérèrent dans les Forces unies de la jeunesse patriotique ou dans l’Union des étudiants patriotes, qui devinrent, en 1944, l’Union patriotique des organisations de jeunesse, les communistes y ayant une place prépondérante.
29 Jean-William Dereymez, « L’université de Grenoble entre pétainisme et résistance », in André Gueslin (dir.), Les facs sous Vichy, op. cit.
30 René Gosse, doyen de la faculté des sciences contribua activement à la fondation des MUR et fut enlevé sans doute par la Milice et exécuté le 21 décembre 1943.
31 Rafle au cours de laquelle les Allemands procédèrent à environ mille arrestations suivies de 400 déportations dont seulement 120 personnes revinrent.
32 Tal Bruttmann, La logique des bourreaux 1943-1944, Hachette, 2003.
33 Léon Strauss, « L’université de Strasbourg repliée. Vichy et les Allemands », in André Gueslin, Les facs sous Vichy, op. cit., p. 87-112 ; Fernand L’Huillier, Strasbourg – Clermont-Ferrand – Strasbourg (compléter) ; Lucien Braun, « La rafle de Clermont », Saison d’Alsace, no 121, p. 215-221.
34 Idem, p. 100.
35 Télégramme no 5322 de Schleier du 21 novembre 1942, cité par Léon Strauss, idem, p. 106.
36 Cité par Yves Durand, La vie quotidienne des prisonniers de guerre dans les Stalags, les Oflags et les Kommandos 1939-1945, Hachette, 1987, p. 180.
37 In André Gueslin (dir.), Les facs sous Vichy, Actes du colloque des universités de Clermont-Ferrand et de Strasbourg, novembre 1993, op. cit., p. 185. Cf. également Yves Durand, La captivité ; histoire des prisonniers de guerre français 1939-1945, Éditions FNCPG, 1980, et du même, La vie quotidienne des prisonniers de guerre dans les Oflags, les Stalags et les Kommandos 1939-1945, Hachette, 1987.
38 Annuaire de l’Oflag IV D, p. 170, cité par Yves Durand, idem.
39 Cf. Gérard Régnier, Jazz et société sous l’Occupation (1940-1944), thèse Paris 1-Sorbonne, sld Pascal Ory, février 2006, p. 83.
40 Il s’agit des décrets 2676 et 2677 du 28 août 1942 qui prévoient un aménagement spécial pour les prisonniers restés plus de 6 mois en captivité.
41 Martine Poulain, Livres pillés, lectures surveillées. Les bibliothèques sous l’Occupation, Gallimard, 2008. Elle établit la liste moyenne de ce que les bibliothécaires croyaient bon d’envoyer aux prisonniers compte tenu des contraintes de la censure. Exemple pour cent livres de distraction : 71 auteurs, dont 23 du XXe siècle, 40 du XIXe siècle. Les gages donnés à la censure vichyste sont manifestes, écrit-elle : catholiques situés à droite (Marcel Aymé, Pierre Benoît, Henri Bordeaux, Bernardin de Saint Pierre), sympathisants maréchalistes (Giono), Action française (Alphonse Daudet) ou collaborationniste (Chateaubriant), ils cultivent une littérature souvent campagnarde, d’une légèreté voire d’une niaiserie, qui ne peut inquiéter aucun esprit... les Barbusse, les Duhamel, et leurs romans sur la Grande Guerre, les Guéhenno, les Mauriac, Malraux, Maurois, Saint-Exupéry, les auteurs en émergence, les Aragon, les Triolet sont absents, de même qu’aucun Juif ne figure évidemment dans cette sélection. Mais aucun auteur allemand non plus... » ; p. 297-298.
42 Espérant même en mars 1942 que l’action de son comité passait prioritairement par les Stalags et les Oflags, il écrivait : « Il m’est apparu que les milliers d’instituteurs et professeurs des divers degrés d’enseignement, actuellement prisonniers de guerre, pourraient à leur entrée en fonction, donner une impulsion décisive à l’œuvre éducative engagée par le gouvernement en consacrant une part de leur temps disponible à s’initier à la direction pédagogique des activités d’éducation générale [...] ». AN F 44. 37, 10 mars 1942, cité in Jean-Louis Gay-Lescot, Sport et éducation sous Vichy, Presses universitaires de Lyon, 1991, p. 91.
43 Idem, p. 93.
44 Pierre Giolitto fait état pour le seul mois d’août 1943 d’un envoi de 509 437 livres pour constituer un fonds d’étude dans chacun des 108 camps de prisonniers français Histoire de la jeunesse sous Vichy, op. cit., p. 385.
45 Claude Singer, Vichy, l’Université et les Juifs, Les Belles Lettres, 1992.
46 Circulaire du 17 décembre 1940, cité in Idem, p. 61-62.
47 Circulaire du 15 novembre 1940, idem, p. 63.
48 Le secrétariat à l’Instruction publique compte plusieurs juristes, Ripert, Joseph Hamel son chef de cabinet, Jean Boulanger, Jean Hourticq ; Grandclaude et Vizioz (respectivement chef de cabinet et chargé de mission dans le cabinet de Jacques Chevalier), Paul Ourliac (cabinet de Jérôme Carcopino), Jean Georges (chef du secrétariat d’Abel Bonnard).
49 « Note préliminaire sur l’Université sous le régime de Vichy », juillet 1945, archives privées, cité par Claude Singer, Vichy, l’université et les juifs, op. cit., p. 98. C. Singer précise qu’Abel Bonnard perd de son crédit au sein de son ministère lorsqu’il y fait entrer des convaincus de la collaboration Jean Étienne, Blanche Maurel, René Georgin, Jean Mouraille, Georges Claude, Jacques Bousquet, Jean-Alexis Néret.
50 Bruno Halioua, Blouses blanches, étoiles jaunes, Liana Levy, 2000, p. 97.
51 Paul Guérin, Je suis partout, 7 février 1941.
52 Renée Poznanski, Être juif en France pêndant la Seconde Guerre mondiale, Hachette, 1994, p. 178.
53 Cf. Claude Singer, « L’exclusion des Juifs de l’université en 1940-1941 : les réactions », in André Gueslin, Les facs sous Vichy, op. cit., qui a établi des comptages précis sans toutefois pouvoir évaluer précisément le nombre de candidats non pas rejetés, mais empêchés de s’inscrire.
54 Gérard Régnier, Jazz et société sous l’Occupation (1940-1944), thèse Paris 1-Sorbonne, sld Pascal Ory, février 2006, p. 117.
55 Vincent Guigueno, « La formation d’une élite à l’épreuve », in Marc-Olivier Baruch et Vincent Guigueno (dir.), Le choix des X. L’École polytechnique et les polytechniciens 1939-1945, Fayard, 2000, p. 59.
56 Claude Singer, « L’exclusion des Juifs de l’université en 1940-1941 : les réactions », in André Gueslin, Les facs sous Vichy, op. cit., p. 195.
57 Madeleine Schnerb, Mémoires pour deux, I. Lauro, Géret, 1973, édité à compte d’auteur, cité in idem, p. 198.
58 Rapporté par Pierre Giolitto, op. cit., p. 142.
59 Maurice Martin du Gard, La Chronique de Vichy, Flammarion, 1948, p. 152.
60 Cf. Bruno Halioua, op. cit., qui relève quelques rares exemples pour la faculté de médecine.
61 Bernard Lévi, « Juif et polytechnicien sous Vichy », in Marc-Olivier Baruch et Vincent Guigueno (dir.), Le choix des X. L’École polytechnique et les polytechniciens 1939-1945, Fayard, 2000, p. 169.
62 Francine de Martinoir, La Littérature occupée. Les années de guerre 1939-1945, Hatier, 1995, p. 143. L’auteur ajoute, à propos de l’attitude de l’auteur des Mouches : « Sans doute est-il trop facile pour nous, si longtemps après, de porter un jugement sévère à l’égard de cette réserve. Mais pourquoi donc avoir, quelques années plus tard, prétendu être de ceux qui avaient résisté ? On songe à ce jeune garçon, Jean-Pierre Bourla, un de ses anciens élèves tué après son arrestation, à l’indifférence de Sartre déclarant qu’il n’était pas plus absurde de mourir à 19 ans qu’à 80 ? Dans la lueur glauque de l’absence de sens, l’héroïsme eût été plausible et le sacrifice facile, dès lors que la vie avait si peu d’importance. Mais Sartre n’était pas prêt à sacrifier sa vie ou sa carrière pour une cause quelconque. »
63 Francine de Martinoir, La littérature occupée. Les années de guerre 1939-1945, Hatier, 1995, p. 151.
64 André Dewavrin, Missions secrètes en France. Souvenirs du BCRA, Plon, 1951, p. 45.
65 Serge Ravanel, L’Esprit de résistance, Le Seuil, 1995, p. 199.
66 Cf. Claude Singer, « Les études médicales et la concurrence juive en France et en Algérie (1931-1941) », in Les Juifs et l’économie. Miroirs et mirages, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1995.
67 Frédéric Deloffre, « L’École clandestine : souvenirs de la promotion 1941 », in Rue d’Ulm. Chronique de la vie normalienne, textes réunis par Alain Peyrefitte, Fayard, 1998, p. 59.
68 Les Lettres françaises, 14 juin 1951, cité par Jean-François Sirinelli, Génération intellectuelle. Khâgneux et Normaliens dans l’entre-deux-guerres, Quadridge PUF, 1994, p. 590.
69 Cf. Hervé Bastien, « Alger 1944 ou la révolution dans la légalité », Revue d’histoire moderne et contemporaine, XXXVII, juillet-septembre 1990, p. 429-451.
70 Claude Singer en donne différents exemples, cf. L’université libérée, l’université épurée, op. cit., p. 136-147.
71 Idem, p. 169.
72 Qui porte aujourd’hui le nom d’Association Henri Capitant pour la culture juridique et qui comporte plusieurs sections à l’étranger.
73 B. Aggery et G. Nicolas à Toulouse, E. Aubertin et C. Wangermez à Bordeaux, P. Bedos et A. Guibal à Montpellier, P. Dive à Clermont-Ferrand, F. O. Martin à Poitiers, H. Massot à Rennes, L. Zoretti à Caen. Seules Nancy, Reims et Lille en sont exemptes. Cf. Claude Singer, L’université libérée..., op. cit., p. 236.
74 Institués par Robert Capitant dans une circulaire du 6 octobre publiée au Bulletin Officiel le 19 octobre 1944.
75 Cf. Bulletin Officiel du 16 novembre 1944. Trois présidents se succédèrent au CSE : deux juristes, Léon Julliot de la Morandière et Pierre Petot ; puis Olivier Pozo di Borgo inspecteur général.
76 P. Gemaehling et H. Noyelle pour le Droit, H. Bédarida et J.-M. Carré pour les lettres, G. Valiron et J. Pérès pour les sciences, A. Lemierre et L. Vallery-Radot en médecine, M. Masore et R. Delaby en pharmacie.
77 Cf. Rapport d’activité du CEA de Paris (septembre 1944-juillet 1945), AN F17 16701.
78 Différents exemples sont donnés de la complexité des cas alsaciens et lorrains notamment dans François Rouquet, L’épuration administrative, op. cit. ; et Claude Singer L’université libérée, l’université épurée, op. cit. ; et plus généralement dans L. Kettenacker, « La politique de nazification en Alsace », Saison d’Alsace no 65 et 68, op. cit. ; D. Wolfanger, Nazification de la Lorraine mosellane, Sarreguemines, op. cit. ; Y. Le Moigne (dir.), Moselle et Mosellans dans la Seconde Guerre mondiale, op. cit. ; P. Rigoulot, L’Alsace-Lorraine pendant la guerre de 1939-1945, op. cit. ; Pierre Barral, « L’Alsace-Lorraine : trois départements sous la botte », in J.-P. Azema et F. Bédarida (dir.), La France des années noires, op. cit. ; Patrick Wechsler, « Le nazisme à l’université », Saison d’Alsace, n ° 114, p. 207-212. Elisabeth Crawford et Josiane Olff-Nathan (dir.), La science sous influence. L’université de Strasbourg, enjeux des conflits franco-allemands 1872-1945, Strasbourg, Université Louis Pasteur et La Nuée Bleue, 2005. Christian Baechler, François Igersheim et Pierre Racine (dir.), Les Reichsuniversitäten de Strasbourg et Poznan et les résistances universitaires, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2005.
79 En incluant les chargés de cours. Le chiffre est de 140 si l’on ne tient compte que des titulaires.
80 Cf. Claude Singer, L’Université libérée, l’Université épurée (1943-1947), op. cit., qui a dressé un état précis des sanctions.
81 Déplacements d’office, rétrogradations et exclusions d’une fonction administrative.
82 Mise en disponibilité ou cessation de fonction, mise à la retraite d’office, révocation, interdiction d’enseignement ou de concourir à un poste.
83 Claude Singer, L’université libérée..., op. cit., p. 250.
84 Idem, p. 253.
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