Leçons de Margeride : une recherche coopérative taisible
p. 345-368
Dédicace
Pour Léonie, Lucien et Marie-Pierre, de Belpeyre.
Texte intégral
1Depuis 1973, nous aurons mené nombre de nos recherches sur une petite commune du sud de la Margeride et son espace environnant, sur des sujets touchant à la vie quotidienne et domestique des familles d’agriculteurs. À Belpeyre1 et dans sa région, la Margeride, nous sommes retournés très régulièrement, presque fidèlement, rencontrer, interroger les mêmes habitants, voire leurs enfants, effectuant ainsi, à travers cette fréquentation du terrain quasi continue, une ethnographie, une microsociologie de la longue durée des modes de vie, de l’ordinaire des lieux et des gens.
2De nombreuses publications, d’ouvrages, d’articles, en sont résultées ainsi que des films sur les enfants et leur famille, l’architecture des maisons, leur décor, l’évolution du village, les célibataires et un phénomène d’émigration matrimoniale inédit, les saisons, l’hiver, les cueillettes, etc. Ces thèmes répondaient en partie aux demandes d’études et de recherches lancées par les différents ministères dans des appels d’offres successifs auxquels l’équipe répondit. Une équipe qui proposa aussi et surtout ses propres idées de recherche.
3Comment un terrain sans particularisme prononcé, sans la notoriété politique ou scientifique de ceux qui l’entourent (Cévennes, Causses, Larzac, Aubrac), a-t-il pu soutenir autant de questions ? Comment une pareille série de travaux a-t-elle pu être menée sans plan prémédité, en bricolant des supports institutionnels divers2 ?
La « création » du terrain
Premières
4Début des années soixante-dix : c’était l’époque où les services de recherche des ministères et des grands organismes finançaient des recherches de gré à gré. En ce qui nous concerne, ce fut tout d’abord la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF). Alors inscrits tous trois en thèse (nous nous intéressions à divers titres à la sociologie de l’enfant) au laboratoire dirigé par Paul-Henry Chombart de Lauwe (EHESS-CNRS), des enquêtes de terrain nous sont proposées début 1973, dans le but d’observer les pratiques des enfants de sept à douze ans durant leur temps libre. Placée sous la houlette de Marie-Josée Chombart de Lauwe, cette recherche devait inclure un terrain rural, un choix inédit au sein de notre laboratoire3. Se proposant comme « ruraliste », Martin de la Soudière opéra un choix parfaitement « subjectif » en portant ses pas vers le Gévaudan, la région jadis hantée par la Bête, cette Haute-Lozère qui l’attirait depuis ses études de géographie.
5Le voici donc en quête d’un village, conduit – puis vite conquis – vers Belpeyre, canton de Châteauneuf-de-Randon4. Située à plus de 1 200 mètres d’altitude, sur le versant sud de la Margeride, cette commune occupe le centre d’un plateau, petit causse mi-granitique mi-calcaire, partagé de champs, pâturages et bois de pins sylvestres. Élisée Reclus le décrivit en 1885 comme un « aride plateau, vraiment terrible par la solitude, la nudité et, pendant une moitié de l’année, par la froidure et le vent5 ».
6Dès son second séjour, Martin de la Soudière fut rejoint par ses deux comparses, Martyne Perrot et Philippe Bonnin, qui enquêtaient de leur côté en milieux urbains. Il avait été convenu que chacun visiterait le terrain des deux autres pour y apporter son propre regard. À nous trois, nous réunissions trois disciplines d’origine : ethnologie (Martyne Perrot), géographie (Martin de la Soudière), architecture (Philippe Bonnin), auxquelles il convient d’ajouter la psychosociologie, discipline de la maîtresse d’œuvre, Marie-Josée Chombart de Lauwe. Mais peut-être moins que la confrontation de ces trois disciplines, nous cherchions la conjonction et la complémentarité de nos sensibilités respectives autour du même objet et sur le même terrain.
Mai 1973
7C’est incidemment que nous nous inscrivions dans la sociologie et l’ethnologie rurales, préoccupés que nous étions par notre objet : l’étude comparative des modes de vie des enfants, loin de tout folklore. Petit à petit, capitalisant un crédit de confiance au sein de quelques villages et une connaissance de plus en plus précise du contexte social et économique de cette petite région, c’est tout naturellement que nous avons conservé ce terrain comme un lieu privilégié où poser de nouvelles questions. Ainsi, après cette première recherche pour la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF), ont vu successivement le jour, toujours grâce à des contrats, l’étude du rapport des enfants à leur environnement (ministère de l’Environnement), l’habitat rural (Comité pour la recherche en architecture), les solidarités paysannes (ministère de l’Environnement). Chacun y trouva de quoi répondre à ses préoccupations personnelles : Philippe fut davantage attentif aux maisons, Martyne au statut et au rôle des femmes dans l’espace domestique et au sein de la famille, Martin à la géographie et à l’espace « naturel ». Chacun relança, ce faisant, l’enquête par sa curiosité et son regard spécifique.
8Logés près d’une famille d’agriculteurs, ce furent des semaines entières, répétées au cours de l’année, hiver compris, que nous passâmes à Belpeyre, pris par l’ambiance, les petites joies et les contrariétés du quotidien, attentifs aux discours, observant gestes, travaux agricoles et déplacements, engouements et jugements. C’est souvent, malgré nous, sans provoquer l’information, au détour d’un chemin ou d’une discussion après un repas, que nous adoptâmes une posture d’ethnologues consciencieux. Le soir, Martin tenait son carnet de terrain, son « cahier vert ». Philippe dessinait le plan des maisons du village ou quelque autre figure d’espace. Martyne apprenait le tricot avec les femmes. Des relations se nouèrent à la ronde avec des instituteurs, les responsables de la direction départementale de l’Agriculture, de la chambre d’Agriculture, etc. Nous commençâmes, modestement, à prendre place dans le paysage.
Contextes
9Pris au sens large, ce terrain n’était pas strictement vierge. Nous l’apprendrons plus tard. Dès 1962, dans le cadre de la « Loi d’orientation agricole », des socioéconomistes d’une station de l’INRA à Paris, Françoise-Eugénie Petit, puis son collègue Pierre-Louis Osty, avaient mené en Margeride (Arzenc-de-Randon, Belevezet et la petite région dite Terre de Peyre) des recherches auprès d’exploitants agricoles6. Parallèlement à nous, d’autres chercheurs, les ethnologues Pierre Lamaison et Elizabeth Claverie7 étudiaient la parenté aux XVIIIe et XIXe siècles tandis qu’Yves Pourcher8 enquêtait sur les notables lozériens.
10En 1976, un groupe formé de plusieurs équipes (agronomes, zootechniciens, géographes, socioéconomistes, ethnologues, etc.) investit la région. Réunies par un comité de la DGRST piloté par Olivier Dolfuss, géographe à l’Université Paris 7, elles inscrivaient leurs travaux dans un vaste programme mené depuis 1974 sur les moyennes montagnes françaises : Vosges, Briançonnais, monts Dômes, Causse Méjan et Margeride. Autour de cette dernière région, les recherches se voulaient résolument pluridisciplinaires et par ailleurs plus ancrées que les nôtres dans le développement d’une région : l’intention était, en effet, de comprendre les transformations de l’espace margeridien et de ses usages tant agraires que forestiers. Ce groupe, animé par Lucien Gachon, agronome-géographe de l’INRA, et André Fel, géographe de l’Université de Clermont-Ferrand, étudia les systèmes de production agricole (François-Xavier de Montard, agronome, INRA, Clermont-Ferrand), l’histoire des transformations du système agraire (Olivier Nougarède et Raphaël Larrère, socioéconomistes, INRA, Orléans) et l’ethnologie margeridienne (Jeanne-Françoise Vincent, CNRS, Clermont-Ferrand, et Marc Prival, historien et ethnologue). Sept ans plus tard, en 1983, un gros volume de près de 700 pages vit le jour9. Aux dires de l’un des chercheurs impliqué dans le projet, la coopération et le dialogue entre équipes ne furent pas toujours aisés, en particulier du fait d’un clivage Clermont-Ferrand/Paris qui eut du mal à s’estomper. De ce fait, plus juxtaposées que réellement collectives (sur l’Aubrac, il en alla à peu près de même, comme nous le dit Martine Segalen), ces recherches n’ont pas bénéficié de la notoriété qu’elles méritaient et, à notre connaissance, à part des synergies très ponctuelles – par exemple avec des directions départementales de l’agriculture –, ces recherches n’ont hélas pas connu les retombées réellement significatives sur l’économie rurale locale que leurs auteurs attendaient (en raison, en particulier, d’un déficit de volontés politiques départementales). Quelques années plus tard, un projet qui associait notre équipe à la réédition de la synthèse collective (avec le soutien de la Région Languedoc-Roussillon) n’a pas abouti. Celle-ci représentait pourtant et représente toujours – avec l’Aubrac – l’une des « sommes » les plus abouties consacrées à une région du Massif central.
11En revanche, à partir de ses propres enquêtes menées dans la région de Saugues (partie de la Margeride située en Haute-Loire), Jeanne-Françoise Vincent proposa puis collabora, dans le cadre de l’écomusée de Margeride Haute-Auvergne, près de Saint-Flour10, à une exposition sur « les bergers de village ». C’est à cette occasion que nous rencontrâmes plusieurs membres de ces équipes. Autour du thème des cueillettes saisonnières, une collaboration ultérieure réunit en particulier Martin de la Soudière et Raphaël Larrère (un ouvrage en résulta, tandis que l’écomusée consacra une exposition nourrie de ladite recherche11).
12Fait singulier : sur un même terrain, les équipes choisirent – chacune – de planter leur drapeau sous une dénomination différente : Gévaudan (les ethno-historiens Lamaison, Claverie et Poucher) ; Margeride (les géographes et socio-économistes, mais aussi nous-mêmes dans L’Ostal en Margeride) ; Haute-Lozère (la plupart des travaux de notre trio). De ces trois termes, le premier renvoie nettement au passé des provinces de l’Ancien Régime, le second à une dénomination géographique savante (elle s’inspire toutefois d’un toponyme) qui ne semble pas avoir eu cours avant le XXe siècle, le troisième – spécifié par l’altitude et par le clivage culturel et religieux nord/sud du département – à la dénomination politique et administrative créée par la République et devenue identitaire.
Quelles spécificités ?
13Équipe réunie par un laboratoire du CNRS au sein du vivier de ses doctorants, nous étions certes traversés de ce qui faisait la culture du Centre d’ethnologie sociale et de psychosociologie dirigé, à Montrouge, par Paul-Henry Chombart de Lauwe. Une culture scientifique qui excluait l’inféodation à toute idéologie, prônait le primat du terrain et de l’observation directe, de la curiosité aux faits, et qui généra les thématiques successives de nos recherches. Elle privilégiait également la confrontation des regards : non seulement ceux engendrés par la rencontre des disciplines, mais encore ceux de la population, des enfants, des femmes, des ouvriers, des paysans et pas seulement celui des universitaires. Pas d’irénisme ni de passéisme non plus : la société était en mouvement perpétuel, traversée d’aspirations, de projets, de conflits. Pas d’enfermement dans une seule discipline et donc, pas de pure sociologie rurale en l’occurrence, mais un regard élargi. Pas de méthode ou de technique unique non plus, toujours imparfaites et sujettes à artefacts : croiser les approches, les regards, les matériaux ; observations et participations directes ; notes quotidiennes, entretiens, photos, relevés architecturaux, films des bribes de vie quotidienne (pas de reconstitutions ni de scènes techniques) ; des micro-histoires.
14Deux traits saillants ont émergé de cet ensemble de recherches : la pluralité et la durée, éléments centraux, cruciaux et riches de conséquences. Abordons, tout d’abord, la question de la pluralité disciplinaire qui avait été très volontairement construite par le laboratoire. La « pluridisciplinarité » était certes un objectif dans l’air du temps, quand bien même peu d’équipes parvenaient à la mettre en œuvre et sans doute aucune à la maîtriser ou à la théoriser. Le langage de l’époque parlait des « facettes » d’un objet éclaté en fonction des disciplines : il suffisait alors qu’un spécialiste discipliné se trouve face à chacune d’elles (mais à distance respectable des autres pour conserver sa spécificité) et le tour était joué. L’aboutissement mythique était-il encore celui de la « monographie » totalisante qui saurait épuiser tous les savoirs académiques possibles sur l’objet ?
15Muni des notions et des outils conceptuels acquis dans sa formation, chacun de nous arriva, en définitive, avec un regard privilégié, avec des modèles d’analyse puisés aux meilleures sources de sa discipline. Chacun était toutefois largement ouvert aux exigences et aux savoirs qu’il put trouver aussi chez les deux autres. Le sociologue ne se faisait pas l’image de l’habitation que l’ethnologue, le géographe ou l’architecte connaissaient. Ce dernier n’avait encore qu’un faible aperçu des structures sociales sous-jacentes à l’espace bâti qu’il observait, tandis que les autres se souciaient peu que tel mur, fait de tels matériaux, avait nécessité telle technique, tels savoirs, tel corps de métier, tel rassemblement de forces productives, d’énergies et de capitaux. Le fait social total, sous le regard d’une unique discipline, malgré la grande cohérence qu’elle en donnait dans son analyse propre, apparaissait réductionniste aux yeux de certains. L’on comprendra que nos ouvrages communs ne sont pas bâtis par une succession de regards individualisés au nom des délimitations académiques mais qu’ils se trouvent « fondus », intégrés dans une « approche objet » plutôt que disciplinaire.
16Le second point est celui de la continuité dans l’observation. L’observation fut longue, répétée, tenace, dans un même lieu, un même village, une même région et son voisinage. Un quart de siècle suffit pour donner à des notes quotidiennes, des plans et des photos, des entretiens, des films, valeur d’archive, de document ou de repère12. Après tout, les exemples de suivis plus ou moins réguliers d’un terrain sur une durée de trente ans – et plus – sont-ils si fréquents ?
De contrat en contrat
L’enfance au village
17Sujet de notre toute première recherche en 1973, et de celle qui s’ensuivit en 1976, la question du temps libre et des loisirs des enfants d’agriculteurs renvoyait à celle de leur statut au sein de leur milieu et à celle de leurs pratiques de l’espace. Une telle enquête impliquait une observation au jour le jour, et jusque dans le détail, du mode d’emploi des journées de quelques jeunes sujets : de leur cuisine (la pièce commune) au pâturage où ils conduisaient les troupeaux de laitières Montbéliardes, de la salle de classe du village au ruisseau où ils allaient capturer des têtards et jouer avec des pneus hors d’usage. Ce fut une ethnographie de la vie quotidienne qui déborda largement le seul registre du jeu (dans les activités de ces jeunes s’imbriquaient étroitement, en effet, le ludique, l’économique – aider à la ferme – et le « contraint »). Une ethnographie d’une classe d’âge (une catégorie sociogénétique, ainsi que l’évoque Marie-Jo Chombart) très précisément définie (sept-douze ans : la préadolescence), peu étudiée et laissée pour compte, en ce qui concerne le milieu rural, tant chez les psychosociologues que chez les ethnologues – sauf à considérer les observations ressortissant au folklore (charivari, carnaval, etc. : nous pensons bien sûr aux travaux d’Arnold Van Gennep, Paul Sébillot, Nicole Belmont et de quelques autres).
18« Libre », l’enfant de la montagne ? Guère davantage que sur les autres « terrains » de notre enquête (un centre-ville et deux « villes nouvelles »). Le décor de leurs journées et de leurs saisons ne faisait qu’aérer, qu’agrémenter, qu’enjoliver leur horizon quotidien. Sans cesse, en effet, les adultes – parents, voisins, aînés de la fratrie – étaient là, expressément ou implicitement, qui les observaient, les surveillaient, les gourmandaient. Même « lâchés » ou laissés à eux-mêmes, c’était par deux ou en toutes petites bandes (démographie rurale oblige) qu’ils parvenaient à se soustraire au regard de leurs aînés. N’osant ou n’ayant pas le temps de s’échapper bien loin ni bien longtemps, ils intériorisaient les interdits. Leurs jeux restaient sages. Prudentes demeuraient leurs transgressions. Exit l’idée d’un enfant sauvage, d’un enfant nature. Nulle randonnée dans les bois qui pourtant ourlaient, tout proches, les terroirs des villages. Nulle farce comme celle qui consistait à dénicher les oiseaux (ainsi que l’a rapporté, mais pour jadis, Daniel Fabre13). Un exemple : comme tant d’autres de leur âge, les garçons (eux surtout) se construisaient une cabane… mais pas bien loin, dans le fond de leur jardin ou à proximité du village. Quant à leurs jeux, ils empruntaient fréquemment à l’activité agricole de leurs parents quand ils ne la mimaient pas : jouer au marchand de champignons, faire rouler, non pas des petites voitures, mais des tracteurs miniatures – ce que nous avons appelé un jeu-travail.
19Pris entre cette reproduction involontaire de la culture rurale ambiante, l’autorité des parents et celle de l’institutrice, que restait-il à ces enfants comme marge de liberté, comme échappatoire, comme espace d’inventivité ? Ne noircissons pas le tableau : à l’instar de leurs contemporains, ils avaient leurs ruses, leurs tactiques, leurs petits secrets et leurs cachettes. Pour autant, comme ils ne « faisaient plus le poids » au sein de leur village du fait de leur très faible nombre (une douzaine à Belpeyre), ils y étaient peu visibles. Non pas oubliés, mais cantonnés à leur rôle de fils ou de fille d’exploitant. L’idée même de loisirs qui leur seraient accordés avait du mal à progresser. Ici comme ailleurs, la généralisation est pourtant toujours hasardeuse : d’une famille à l’autre, l’éducation se faisait « traditionnelle » ou au contraire plus « moderne ». Cette lettre en témoigne :
« Mme Louise R. […] Cher Monsieur […] J’aurais tant voulu vous rencontrer pendant votre séjour à Belpeyre. Je ne voudrais pas vous déplaire, mais je n’étais pas d’accord avec certains articles que vous avez écrits [dans La Lozère nouvelle]. J’en citerai un parmi tant d’autres : “L’enfant ne lit pas et n’a pas de livres”. J’aurais aimé que vous voyiez tout ce que lisait à cette époque mon fils qui était à l’école primaire de Belpeyre et qui a aujourd’hui 26 ans. Tous les ans, nous l’abonnions à une revue, sans compter tous les livres que nous lui achetions. Ceci étant dit (et sans rancune), j’espère que nous aurons bientôt le plaisir de vous rencontrer quand vous viendrez en Lozère. Continuons à travailler ensemble pour que vive notre pays où, malgré nos faibles ressources, nous avons une bonne qualité de vie. Recevez […]. »
20Il n’y avait donc pas un mais des enfants de Lozère pris chacun dans les valeurs propres à sa famille. Et c’est précisément les modalités de cette transmission qui furent au cœur de notre première enquête.
– Un dimanche ordinaire à Belpeyre
« Dans la famille Fage, il n’y a pas vraiment de tradition dominicale, exceptée la messe de onze heures pour Léonie (elle y chante), et encore pas tous les dimanches. Juste l’invitation d’un ami monté de Mende comme à l’habitude pour une après-midi de chasse avec le fils aîné. Juste un petit plus vestimentaire, un blazer, une robe fraîche, un shampoing. Midi : je suis ce dimanche-là invité pour le déjeuner. Apéritif rituel en compagnie de FR 3. Taquineries habituelles : “En fait, Martin, ton stylo, c’est ta pioche”, me lance finement Lucien. Je leur donne des nouvelles de Châteauneuf où je suis allé la veille, et de Langogne, où je leur rapporte qu’on dit que les champignons se vendent bien (les Fage adorent ce genre de rumeur). Jean-Luc est anxieux et en parlera tout le repas durant : son meilleur chien de chasse a disparu depuis hier. L’écolier de Javols (la “Maison familiale rurale”) est monté la veille en car, soucieux de la poussée des charbonniers. Une vache est malade à l’étable. Repas. Salade, côtelettes, pâtes, tome de pays, café. Gilles me provoque à un jeu de dames : une fois de plus, à mon grand dépit, il me battra. Vaisselle faite (je lui donne un coup de main), Léonie enfourne une bûche dans la cuisinière avant de s’assoupir, coudes sur la table. Lucien se rend dans le “salon” adjacent pour “bricoler” : il sculpte en ce moment un joug en réduction en bois de bouleau pour son cousin de Lyon. En compagnie du monsieur de Mende, Jean-Luc est déjà parti chasser, mais en maugréant et sans y croire. Le vent se lève, tombe une petite pluie. Je les quitte : “Bonsoir, et merci encore !”, “Vous prendrez du lait demain ?”. Il va être 17 heures. Retour dans mon gîte, à une centaine de mètres de leur ferme. Je rédige ma page journalière – celle-ci – avant de jeter un coup d’œil sur les “textes libres” que m’a confiés une institutrice : demain, je dois aller les lui rendre14. »
L’espace : la maison et les champs, le décor du village
– « Deux maisons » puis « L’Ostal »
« Novembre 1973. Je découvre le terrain de Martin, qui deviendra aussi le mien bientôt. La maison de la famille qui nous loue un gîte de fortune, qu’ils ont eux-mêmes habité pendant les travaux de leur maison modernisée, aux fenêtres larges et claires, à la cuisine vaste et lumineuse. Bientôt, Martin m’emmène, traversant la crête désertique de la Margeride, visiter une sœur de Léonie mariée à un vieil agriculteur d’un hameau perché. Contraste saisissant des conditions et des modes de vie. Lui attelle encore ses vaches pour tirer la carriole (“le char”). La maison est sombre, coincée en fond de cour. On entre directement dans la salle-cuisine, éclairée d’une unique et étroite fenêtre à l’ébrasement profond, où brûlent continuellement des bûches, l’été dans l’âtre et l’hiver dans la cuisinière de fonte. Au fond de la pièce, la chambre des vieux. Et pourtant, quelque chose de commun s’impose à l’intuition, corroborée par la présence dans les deux maisons, au même emplacement (au milieu et au sommet de la cloison faisant face à l’entrée), d’une “boîte à vierge” comme nous la baptiserons, renfermant les reliques des pèlerinages familiaux. Sous une apparence totalement autre, des parentés, des gestes, des manières de nommer, des dispositions se ressemblent. Quelque chose de plus profond que l’aspect15. »
21Au cours de sa toute première campagne, l’attention de Philippe fut attirée par la capacité des modèles à évoluer et à s’adapter à de nouvelles situations contrairement à ce que laissaient entendre certaines écoles plus tournées vers les arts et les traditions populaires ou vers des théories structuralistes fixistes que l’observation semblait démentir d’emblée. Dès lors, fallait-il encore parler de « modèles » ? Ou bien ceux-ci s’avéreraient-ils d’un autre genre ? Ne s’agissait-il pas plutôt de modèles génératifs et plus précisément d’un modèle topologique comme nous en fîmes l’hypothèse ? Une première observation filmée de ces Deux maisons, en décembre 1974, conjointe à des entretiens descriptifs systématiques des lieux et des moments de la vie quotidienne, réalisée avec Martin, nous permit de mieux formuler ces hypothèses.
22Nous nous sommes finalement décidés à proposer cette recherche au CORDA qui se créait alors au sein du ministère de la Culture. Son soutien nous a permis de réunir l’ensemble des compétences de l’équipe et de mener une observation longue sur le terrain. Nous avons privilégié l’approche ethnographique architecturale et les situations de transformation. Car, ce qui importait pour nous, plus encore que le processus de spatialisation d’une structure sociale stable, c’était la manière dont ce processus allait servir pour interpréter et transcrire les tensions et les conflits qui se faisaient jour dans le corps social, comment il prenait en compte et désignait les transformations structurelles qui l’affectaient. Il fallut d’abord confronter les caractères généraux du « type » régional et de ses variations locales et historiques avec l’approche statistique globale concernant l’habitat rural local (à partir de données quantitatives produites par les administrations, le regard de l’État sur les campagnes, les habitations, les familles) pour nous apercevoir de l’hétérogénéité des regards. Nous avons mis ensuite en évidence la structure générale du bâtiment, des locaux d’exploitation et du logis, tant du point de vue des espaces concrets que des rapports sociaux qu’ils recouvraient, et nous avons considéré leurs transformations sur la période considérée, des maisons les plus sommaires (au volume unique), les plus petites, les plus anciennes, jusqu’aux fermes récentes pourvues d’un confort important et organisées autour de pièces différenciées.
23Dans une seconde partie, nous avons analysé les transformations au travers d’indicateurs des valeurs, des rôles, des rapports interindividuels et des conditions de la production, et avons tenté d’examiner les concordances et discordances qui s’établissaient entre transformation sociale et transformation de l’espace : les préoccupations concernant l’hygiène, la propreté, les « commodités » et le confort ; l’évolution des principaux rôles à l’intérieur de la cellule domestique (homme/femme, adulte/enfant) qui menait à une plus grande indépendance des personnes vis-à-vis du groupe ; l’examen des relations interindividuelles externes à la maison qui expliquait certaines modifications des règles d’implantation et l’apparition de nouveaux espaces ; enfin, l’évolution parallèle de la production et des locaux d’exploitation. Aucun facteur ne s’avérait nécessaire ou suffisant pour justifier telle disposition spatiale. Il s’agissait toujours d’une constellation de variables.
24Si la maison rurale traditionnelle répondait à une organisation stable et récurrente, à une forme reconnaissable, elle n’était pas figée ; c’était une dynamique faite de tensions successives (il n’y a jamais eu « d’âge d’or »). Elle n’échappait pas aux individus et leur servait de signe de reconnaissance et d’appartenance culturelle. C’était à proprement parler une structure de correspondance adéquate entre l’univers des espaces et celui des pratiques, un modèle souple de spatialisation de ces dernières qui permettait une « mise en ordre » du quotidien – sociale autant que matérielle (une cosmologie) –, un modèle qui devait se réactualiser perpétuellement dans une maison jamais achevée.
D’une beauté qui échappe : de l’esthétique ordinaire et du décor domestique
25Une dimension aurait pu paraître oubliée ou minorée au cours de cette première recherche sur l’Ostal : celle de l’esthétique, parce qu’elle aurait fait a priori trop appel à une subjectivité de l’observateur, à des jugements de valeur et non à des faits. C’était oublier qu’appuyés sur une connaissance ethnographique précise, sur celle des rapports internes à la société locale, les outils d’analyse de l’architecture permettent de préciser les composantes de la production de cette esthétique et d’analyser le discours des professionnels à son endroit16.
26La politique de sauvegarde de l’architecture rurale et des paysages a pris corps à la suite de l’enquête, dite chantier 1425, conduite par Georges Henri Rivière dans le cadre du Musée national des arts et traditions populaires. Dans le recueil de monographies, l’enquête avait également pour objectif de discerner ce qui relevait du décor, de l’ordonnance, des styles connus, de l’esthétique ou du fonctionnel. À partir des cas observés en Margeride et en Aubrac, il fallait examiner les résultats obtenus, le manque de pertinence de la grille d’analyse et la position d’expertise dans laquelle était placé l’enquêteur. Eu égard aux considérations de Rivière sur la nostalgie d’un âge d’or et aux théories fonctionnalistes qui dominaient alors, nous avons proposé, ensuite, des éléments pour une démarche d’analyse esthétique plus ouverte. L’urgence était alors peut-être de souligner que la mise en jeu de la subjectivité de l’observateur et la connaissance des signes d’un système architectural local qui exprime la cohérence relative du système de valeurs et des pratiques du mode de vie agricole ou rural pouvaient participer à un renouvellement des points de vue.
27Une question demeurait toutefois en suspens que nous tenions pour cruciale. Il apparaissait, en effet, que l’espace modélisé et pratiqué par les habitants ne se composait pas seulement d’une architecture solide et pérenne des lieux, même si notre analyse ne s’y était pas cantonnée. Une partie de l’espace de l’habitation, en principe bien plus labile et fragile, son « décor », semblait autant obéir à de fortes régularités et se transmettre pour partie d’une génération à l’autre que présenter une malléabilité plus propice à l’expression des valeurs des habitants. Ce n’est que de longues années après que nous avons pu réunir les moyens de mener à bien cette recherche. Le décor est devenu aujourd’hui le seul mode d’habiter le monde encore à la portée des habitants dépossédés fréquemment du pouvoir sur leur propre espace17. C’est dans l’expérimentation permanente que l’individu se construit et s’éprouve par rapport à l’autre. Il projette et organise autour de lui le périmètre des objets, des outils, des meubles, des symboles de sa vie quotidienne dans ce qui constitue son décor, son univers personnel, sur la base de modèles culturels. Il offre ainsi une image matérielle – comme un double de soi – projetée devant ses propres yeux et sous le regard de ses contemporains. L’anthropologue conçoit dès lors le décor domestique, non comme un supplément esthétique, mais comme l’ensemble des objets et des meubles présents et ordonnés dans l’habitation, arrangés en figures et configurations régulières et signifiantes.
La maison D.
– 1975
« Martyne interviewe Madame Delpuech en visitant sa maison selon notre technique désormais habituelle dans la recherche sur l’Ostal. »
– 1993
« Quelque vingt ans après, lors d’une nouvelle visite de la maison et après relecture de cet entretien, la constatation est flagrante : ce qui n’apparaissait alors que comme des vœux pieux, comme le désir le plus improbable tant le dénuement de cette famille était réel, et que l’observateur de l’époque ne pouvait qu’interpréter à ce titre, s’avère aujourd’hui bel et bien réalisé, concrétisé ou en passe de l’être. De pleine bonne foi, le premier observateur ne pouvait que se tromper. Seule, la très longue durée de l’observation pouvait permettre de faire surgir une telle question, d’obtenir de tels résultats (on est sinon réduit au récit rétrospectif, toujours sujet à caution). Prenant depuis des années des photos de ces maisons (extérieurs comme intérieurs), des habitants dans leur demeure et classant un jour ces nombreuses diapositives d’une des maisons qui n’avait cessé d’être rénovée, Philippe retrouve, au même ébrasement de la même fenêtre, des années après, le même baromètre en façon de roue marine, immuable quand bien même tout avait été reconstruit autour de lui18. »
28Cette troisième étude d’espace, un essai d’observation ethno-architecturale longitudinale, fait apparaître année après année la durée dans ce que signifie construire une maison et l’habiter, jour après jour. Ce frottement entre vie et murs s’opère à une fréquence qui échappe aux modes d’observation que l’on a coutume d’employer dans la recherche. L’avènement de la modernité a requis une imagination incessante des familles pour réinventer des manières d’être dans une maison complexe, de vivre chaque moment isolé ou ensemble, d’aménager la scène familiale quotidienne. Il a fallu tâtonner, essayer, contourner les embûches, surmonter les abandons et les ratés. Ainsi, la maison D. n’a cessé d’être améliorée.
– Lui, le père
« Massif et bourru, brusque, généreux, et sa philosophie fataliste, plaintive sur le sort des petits agriculteurs, “les yeux immobilisés dans l’apathie et la tristesse”. Elle : la vivacité même, sautillante, avec une voix aigrelette si haut perchée qu’elle se perd parfois, les yeux cavés d’un oiseau pris au piège. Comme son père, elle “a une manière bien spéciale de les fermer, par moments, quand elle parle”, les laissant échapper vers le soleil tandis qu’elle cligne les paupières et tend la nuque, comme pour atteindre ses pensées. Vendredi 17 octobre : les mains dans un seau plein d’eau, de grains et d’épluchures, elle prépare la pâtée des cochons. Comment peut-elle faire autant de gestes dans sa journée, autant de gestes sales, et rester mère et épouse, et femme ? Une chose m’a toujours frappé : comme un leitmotiv, mes notes de terrain, celles du “cahier vert” de Martin, achèvent ainsi le récit de chaque passage chez eux : “Au moment de partir, une fois de plus, Madame D. nous fait cadeau d’une demi-douzaine d’œufs, comme pour nous remercier d’une visite qu’elle ne pourra pas nous rendre. C’est souvent des œufs, mais je me souviens qu’une fois, c’était un peu de charcuterie (avais-je l’air si affamé ?) ou de la confiture. Pourtant, j’avais surtout le sentiment d’aller les embêter avec mes questions, mes photos, d’être parfois indiscret, de leur faire perdre leur temps. Il faut croire qu’ils ne le prennent pas ainsi. Même si je le trouve immérité, ce cadeau, si je crains qu’il ne leur manque après, j’aurais plus peur encore de les froisser en déclinant ; un cadeau ne se refuse pas. Celui-là peut-être encore moins”. »
– « Retour de confession »
« De retour de B où ils étaient allés à une cérémonie religieuse, M.D., A. (un cousin) et la Mémé R. viennent prendre le café. Je descends alors des chambres où je suis en train de photographier et je salue la compagnie. M.D. me blague : “Monsieur Philippe, alors, ma femme vous a initié (aux secrets de la maison), j’espère que vous l’avez pas basculée sur le lit !” Ceci, devant les témoins précités qui rient jaune. Laurence explique que chaque fois qu’il revient de confession, son père est ainsi exubérant, farceur, et se plaît à raconter des bêtises. Elle le blague en lui disant qu’il peut retourner à confesse. Lui m’explique que c’est son devoir de bon chrétien de s’inquiéter que je ne fasse pas de mauvaises choses comme ça. Derrière la blague et le grain de gêne qu’elle ne parvient pas à dissiper, il y a cependant la réalité du thème sur lequel s’appuie cet humour. Il faut que l’idée soit présente à l’esprit pour qu’elle serve de matériau à l’expression, qu’elle soit dite sous couvert d’humour ou autrement. Il faut aussi que l’éventualité n’en soit pas totalement absurde pour que la question puisse se poser, comme un frémissement d’inquiétude que la facétie vient titiller et le rire résoudre. Il y a donc là une pratique qui est possible et qui, pour être possible, est réalisée, au moins parfois, quand ou dès que les conditions s’y prêtent. L’équation la plus simple qui soit en apparence : femme + homme + chambre (ou lit) dans une maison sans surveillance = “bascule”. Monsieur D. m’explique bien que c’est parce que nous sommes amis, depuis longtemps, que nous nous connaissons bien, qu’il peut me dire ça. Cette sorte de rattrapage ne fait qu’insister : étant amis, cette pratique est envisageable, quoique réprouvée comme “mauvaise chose” pour un bon-chrétien ? Et que se passerait-il alors si nous nous connaissions moins bien ? Le soupçon ne serait pas dit, mais tout aussi présent, sinon même renforcé par le silence et la dissimulation ? Ou bien me serais-je pris tout bonnement un coup de fusil en guise de discussion ? Mais le plus intéressant, c’est que cet épisode, arrivant après quelques autres, fournit finalement une explication à de multiples remarques. C., qui m’héberge, m’a fait des recommandations similaires avant de partir pour sa semaine de travail à l’autre bout du département : ne pas me tromper de femme. Sa femme m’a elle-même bien prévenu : “Il y en a qui vont jaser à G.” Et comme je ne comprends pas, elle m’explique qu’une femme sans son mari, mais avec un autre homme sous son toit, était une configuration moins qu’équivoque pour la gent locale. Toute cette fantasmagorie est à rapprocher aussi des difficultés rencontrées pour visiter les chambres d’une autre ferme tandis que l’homme était absent : le fait est connu que les enquêteurs ne parviennent presque jamais à visiter l’étage et les chambres19. »
Margeride, second temps
« Saisons »
29D’autres contrées que la Margeride se montrent propices à la cueillette des plantes sauvages et des champignons (ces derniers abondant en haute Corrèze, les myrtilles dans les Vosges, les simples en Luberon), mais cette pratique est ici réellement emblématique. C’est de saison en saison que nous en avons, d’abord intrigués, découvert l’existence, puis, très rapidement, son importance tant économique que sociale. Jusqu’aux années soixante, cueillir était ici une activité de pauvres ou encore de personnes âgées. Sur les landes à myrtilles et à callune, dans les sous-bois de pins sylvestres, se ramassaient la violette, Viola odorata, le pied-dechat, Antennaria dioïca, l’arnica, Arnica montana, etc., dont une petite partie seulement trouvait un débouché sur les foires spécialisées. Débutent les années soixante et avec elles l’ouverture d’un marché, les collecteurs et leurs rabatteurs (leveurs) proposant alors aux habitants, sous l’impulsion de grossistes, voire d’industriels, de leur acheter : cèpes, grisets, petits gris, mousserons, voire girolles et morilles, myrtilles, Vaccinium myrtillus et Vaccinium vitis idaea, narcisses, Narcissus poeticus, lichen du pin sylvestre, Parmelia furfuracea, gentiane jaune, Gentiana lutea.
30Comme le disent les agriculteurs de Margeride – et, au-delà, ceux de la Lozère tout entière et des plus hautes terres de la Haute-Loire et du Cantal –, dans les années 1960, commence l’âge d’or de la cueillette ! On s’organise alors dans les villages, par familles entières. On s’équipe (peignes à myrtilles, râteaux à narcisses, seaux en plastique). Les enfants sont très largement mis à contribution. Selon les « habitats » (zones écologiques), certains se spécialisent dans l’une ou l’autre plante. Des sommes – importantes eu égard aux niveaux de vie de l’époque – sont ainsi gagnées, qui permettent d’améliorer l’ordinaire (assurer les frais d’un mariage, restaurer une pièce de la maison, s’équiper d’un congélateur, acheter des couvertures, une mobylette) ; souvent bien davantage : un revenu d’appoint, une manière de treizième mois – « Les cueillettes, ça nous a mis le pain à la main ». Ces saisons, ainsi qu’on les nomme en Lozère, se pratiquent durant quelques semaines seulement par an. Aussi, malgré son côté ingrat et pénible, le ramassage du lichen du pin sylvestre est-il très prisé car il présente l’avantage de pouvoir être effectué en toute saison. Il est utilisé comme fixateur de parfum et, tout comme le narcisse pour son parfum, expédié à Grasse.
31Cueillir pour soi/cueillir pour vendre : on est donc passé ici d’une logique à une autre, d’un savoir ethnobotanique à un autre, d’un type de rapport à la Nature à un autre. Mais dans les deux cas, cueillir a marqué et marque toujours la culture lozérienne (en témoigne, par exemple, l’exposition qui lui a été consacrée à Ruynes-en-Margeride20). Activité partagée maintenant avec les citadins et les gens venus d’ailleurs (Gard, Ardèche : souvent des « expatriés » originaires de la région), non sans conflit parfois (d’où la réglementation qui voit le jour), cueillir donne toujours lieu – tout comme la neige et ses hivers – à des rumeurs, des récits sans fin, des souvenirs qu’il faut être sur place pour recueillir, et pratiquer soi-même, comme nous avons eu la chance de pouvoir le faire, pour en percer les secrets.
– Voyage à Mercoire
« À une dizaine de kilomètres de Belpeyre, une vaste forêt indivise couvre les flancs d’un petit massif montagneux. L’un et l’autre portent un même nom : Mercoire. Mercoire, un massif forestier qui attire de façon toute spéciale les habitants des villages environnants en ce qu’il offre une large palette de pratiques et d’usages ; lieu emblématique, aussi, du fait de son histoire singulière très lointaine qui en ouvre aujourd’hui toujours l’accès à tous (c’est aussi de là, mais au village on ne le sait plus, que sortit la Bête du Gévaudan pour aller perpétrer ses méfaits…). Mercoire ? Un haut lieu de proximité : on en parle, on raconte, on s’en souvient autant que l’on s’y rend. Ce mercredi, le couple Fage m’y emmène en compagnie de deux de leurs fils. Après le bref trajet en voiture (dans leur R6 beige), arrêt dans une clairière qu’ils connaissent bien. Stationnés le long de plusieurs chemins, quelques véhicules trahissent la présence d’autres villageois montés ici dans les mêmes intentions. Tandis que le père et le fils aîné (dix-huit ans) s’enfoncent sous les fayards (hêtres) pour jouer de la tronçonneuse, j’emboîte le pas de la mère et du plus jeune (dix ans et demi) qui, équipés de seaux en plastique de couleur et de peignes ad hoc, se mettent à l’ouvrage, arpentant consciencieusement le sol de la clairière, puis ses pourtours, pour peigner les myrtilliers qui tapissent le sol. On est début septembre, une belle journée, quoique déjà fraîche. Plus de deux heures durant, courbés, se chinant l’un l’autre, mère et fils jouent à qui devinera les meilleurs “taches” de ces petits fruits qui tapissent la lande à callune (bruyère). Ils cueillent, glanent pensera-t-on, mais pas à la manière de pauvres : à la fin de la semaine, ils regrouperont leur butin pour le vendre au collecteur de Châteauneuf-de-Randon. Midi trente : c’est l’heure de la pause. Déballant fromage et saucisson, Léonie appelle ses hommes, faisant ainsi taire les tronçonneuses. “On est bien, ici, Martin, là au moins, on est branché à la source”, me déclare, sentencieux, Lucien. C’est vrai que le cadre est agréable : silence, juste un peu de vent dans les pins sylvestres ; moment privilégié, assis sur la mousse d’un rocher, les deux chantiers de la journée qui avancent bien, sans trop de chamailleries. Ambiance bucolique, champêtre ? Presque. En tout cas, quoique le travail commande, ils sont aujourd’hui ailleurs que sous le regard du voisin, pour ce casse-croûte paysan de travail, une journée qui les sort de leurs tâches habituelles. Reprise. Le soir, ils calculeront (ils aiment compter à l’unité près ce qu’ils coupent, charrient, ramassent, etc.) 50 arbres à terre (combien le père, combien le fils ?) et 30 kg de myrtilles dans les seaux. Demain, à nouveau l’étable, le tracteur, la cuisine, l’école. Dimanche, le père reviendra sur les lieux avec sa remorque pour rapporter les troncs au village, non sans avoir repéré quelque nouveau coin à myrtilles21. »
L’hiver
– 1974
« Samedi 2 mars. Il a fait beau toute la journée. Pourtant, le soir, nous raccompagnant comme de coutume sur le pas de la porte, après un moment passé chez lui à bavarder, M. Fage, scrutant le ciel, nous avertit d’un “Mauvais, mauvais les gars” ! Le lendemain, effectivement, le village se réveille aux prises avec la neige. Dimanche 3 mars. Au dire de tout le monde, la “tourmente” qui s’est levée cette nuit est d’une force exceptionnelle. À Belpeyre, personne ne sort sans doute (de toute façon, on n’y voit rien). Pour nous rendre finalement chez les Fage, nous nous enfonçons jusqu’à l’aine. En deux minutes, nous sommes totalement trempés de cette neige collante. L’aîné revient du café-tabac-hôtel du village où il est allé acheter des cigarettes. Il a mis vingt minutes pour parcourir deux cents mètres. Vent violent, et partout des congères. On parle de la neige. On ne parle même que d’elle, mais tranquillement, sereinement pour le moment. “C’est le temps qui commande”. Personne ne peut quitter le village, pas plus les écoliers et lycéens que la femme de Philippe, venue en train pour le week-end. […] Lundi 4. La tourmente persiste […] Il paraît qu’à Mende ils n’ont jamais vu autant de neige. On risque d’être bloqués quelques jours. Légère inquiétude. L’aîné dégage une allée pour pouvoir enfin sortir le fumier entassé à l’intérieur depuis hier. […] On raconte les hivers les plus rudes qu’on a connus. Et ceux d’autrefois où les ancêtres restaient bloqués quatre ou cinq mois. On compare inlassablement cette tourmente aux autres, ce qui permet à la fois d’héroïser le passé et de se plaindre du présent. Mardi 5. Répit. Soleil et vent. Dès midi, on entend la “fraiseuse” au loin. Les habitants passent leur temps à guetter pour la localiser. Mais vers 15 heures, silence. “Elle doit être en panne”. Après l’attente et l’espoir, c’est maintenant la déception. Moins la frustration de ne pouvoir encore sortir que l’humiliation de se voir encore prisonnier. Médecin, la femme de Philippe tient absolument à tout faire pour rejoindre son service. Au soir, malgré les mises en garde, par inexpérience, nous décidons de l’accompagner en ski jusqu’à la route nationale où elle pourrait trouver un véhicule qui la conduise à Mende. Les skis en bois de Monsieur Fage et deux autres paires bricolées par lui : planches de frêne sommairement taillées et pourvues pour toute fixation d’un morceau de pneu cloué aux lattes où l’on glisse la pointe de la botte. Nuit. Lune claire. Le vent s’est calmé. À deux kilomètres, nous croisons trois jeunes du village qui sont allés voir où en était la fraiseuse et ont rapporté du pain qui commence à manquer. Le clivage entre les classes d’âge et de population se remarque mieux qu’à l’ordinaire. Au point de jonction de la nationale, au café qui marque le croisement, aucune circulation, hélas. La patronne éberluée de notre équipée nous donne un peu de ficelle pour améliorer nos fixations. Il ne nous reste qu’à faire les cinq kilomètres du retour, penauds, sous le ciel étoilé. Malgré les critiques, on parle déjà comme d’un fait d’armes de notre équipée. Mercredi 6 mars. La tourmente recommence. Moins violente cependant. À peine dégagés, les chemins sont à nouveau pleins. La grande fraiseuse n’est toujours pas parvenue au village. Suppléant à sa défaillance, une plus petite arrive dans la tempête, apportant des médicaments. Trois hommes équipent une Renault 12 au pied levé, se munissent de pelles et s’engouffrent derrière la “fraiseuse à neige” sitôt repartie. La femme de Philippe a obtenu la seule place libre, en faisant très vite. Derrière, la route se referme aussitôt sous la violence du vent. Point de passage obligé, le col de la pierre plantée mesure notre degré d’isolement. Jeudi 7 mars. C’est en fait un hélicoptère de la protection civile qu’on nous envoie. Tout rouge, vrombissant, il se pose sur un pré derrière l’école, le temps de descendre des médicaments et du pain. Le maire fait la distribution pour chaque famille. Même les ethnologues, qui n’ont ni saloir ni congélateur, ont droit à leur ration ! Madame Fage, comme la plupart des autres villageois, avait fait une bonne provision hivernale de sucre, de café, d’huile, de vin. De quoi passer une “bouffade”22. »
« La belle étrangère ». Un cas d’exogamie inédit en Lozère
32Octobre 1976. Le village de Belpeyre connaît un événement inattendu. L’arrivée d’une jeune femme de l’Île Maurice venue épouser un paysan célibataire qui vivait encore avec ses parents âgés. À cette époque, Martyne travaillait depuis trois ans sur le rôle des femmes dans l’exploitation et leurs manières d’habiter l’espace de l’ostal. Il lui était revenu, comme une évidence, d’étudier la part féminine de cette société rurale pauvre et endogame. Ce cas d’exogamie sans précédent révélait brutalement un fait déjà connu, celui du célibat rural qui, dans cette région, atteignait des taux records : 23 % en 1975. Le recours aux agences matrimoniales locales ou aux petites annonces de la presse régionale, devenue une pratique assez répandue chez les célibataires ruraux, ne compensait pas la rareté des candidates au mariage avec un agriculteur. Cette union improbable mettait également en lumière la forte endogamie propre à cette région. La majorité des couples d’exploitants étaient en effet du même canton et parfois du même village.
33Le célibat rural a connu – et, dans une moindre mesure, connaît encore – des causes qui ont été bien étudiées23. Si, jusque dans les années cinquante, la condition paysanne était en moyenne plus enviée que la condition ouvrière, après cette date, celle de petit paysan avait été de plus en plus dépréciée. Pour les paysans nés entre 1926 et 1935, le taux de célibat avait atteint des cotes d’alerte. Plusieurs causes étaient repérables : l’exode des femmes vers la ville, qui s’accéléra à cette même époque, et la taille de l’exploitation, jouèrent un rôle déterminant. Dans les exploitations de moins de 10 hectares, on trouvait, en effet, quatre à cinq fois plus de célibataires que dans celles de 50 hectares. Le célibat était incontestablement lié à la pauvreté.
34À Belpeyre, un homme réunissait toutes ces conditions sociologiques et économiques pour rester célibataire. Mais le développement d’un phénomène migratoire singulier allait lui permettre de trouver une conjointe. À 10 000 kilomètres de la Lozère, au sud-est de l’Afrique, l’Île Maurice connaissait un phénomène nouveau (nous étions au début des années 1970) qui concernait des femmes en majorité créoles âgées de 20 à 30 ans, à savoir, l’émigration matrimoniale. Émigrer pour se marier ou se marier pour émigrer, les deux hypothèses se confirmaient selon les cas – qui se révélèrent plus tard – assez nombreux dans d’autres régions de France comme la Bretagne. Les agences matrimoniales et l’Église mauricienne jouèrent un rôle important dans la mise en contact des futurs conjoints. Un visa spécial fut même créé « en vue de mariage » par l’ambassade de France qui prévoyait un billet d’avion aller et retour pour l’obtenir au cas où l’union ne serait pas célébrée.
35En octobre 1976, Martyne rencontra Marie-Pierre qui venait d’épouser Baptiste, un mois après être arrivée dans ce village. Cette nouvelle avait surpris tout le monde dans la commune, y compris les parents du jeune homme, et ne manquait pas de susciter des interprétations de toutes sortes sur ses facultés d’adaptation, les raisons de sa venue, son pays difficile à imaginer (et pour la plupart inconnu jusque-là). Le projet d’étudier son propre itinéraire, d’en comprendre les raisons lui convint et elle offrit à Martyne un long récit recueilli au fil de séjours successifs à Belpeyre et au travers des lettres qu’elle lui adressa. Ce récit fut ensuite complété par d’autres témoignages obtenus dans le Finistère et en Aveyron auprès de jeunes femmes de l’Île Maurice qui avaient connu, par annonce ou par le réseau « des cousines24 », des agriculteurs célibataires. En 1983, Martyne publia un ouvrage qui analysait ces parcours de migrantes, leurs raisons profondes et décrivait leurs conditions de vie nouvelles25.
– Scène d’intérieur
« L’automne est à nouveau là et je retrouve Marie-Pierre installée près de la cuisinière à bois. Sa belle-mère, Madame Roche, l’appelle désormais, “la petite patronne”. Elle constate “qu’elle est au courant aujourd’hui, il y a un an c’était pas ça, elle disait pas un mot” et restait assise sur le banc de pierre creusé dans le mur près de la fenêtre, seule ouverture sur le bas du village. Aujourd’hui, Madame Roche reste avec nous : “Jamais, on aurait cru qu’elle vienne de tant loin, on voyait bien des lettres arriver, mais pensez-vous, jamais on ne l’aurait cru qu’elle vienne en chair et en os, commente celle qui a épousé un garçon du village voisin. Ici les filles ne veulent plus rester. Si tu élèves une fille, tu es sûre de la perdre. Elles veulent plus rester dedans. La petite patronne, elle, on a eu du mal à la faire sortir.” Marie-Pierre se souvient comment les gens la regardaient, à croire qu’ils n’avaient jamais vu d’étrangère. Et puis le jour où j’ai goûté la neige pour savoir si c’était sucré, rappelle-t-elle. La Mamée rit, oui elle se souvenait. Depuis, l’anecdote était connue. Elle était inscrite dans la mémoire du village, à côté des autres, celles que les habitants de Belpeyre se racontaient de génération en génération. Après la Bête du Gévaudan, les deux institutrices mortes de froid par esprit de devoir sur le Mont Lozère, il y avait la neige en sucre de Marie-Pierre ! Madame Roche égayée par cette anecdote en profite pour citer un proverbe. Depuis que le hasard l’a dotée d’une belle-fille étrangère, elle retrouve son folklore. Prenant l’air d’une écolière sommée de réciter la dernière leçon de morale, elle déclare : “L’hiver, même le loup ne peut pas le manger, quand il n’est pas devant, il est derrière, quand il n’est pas derrière, il est devant.” Marie-Pierre s’amuse et me lance un regard complice : “Avant l’hiver, ils parlent de l’hiver qui va venir, pendant l’hiver, ils se souviennent de ceux qu’ils ont connus, après ils se racontent celui qu’ils viennent d’avoir.” “C’est un pays dur, surtout pour nous qui sommes écartés du village”, rétorque sa belle-mère. “Rien que pour remonter de la messe, tu mets une heure. Certaines années, j’ai vu des congères de plus d’un mètre : tu es bloquée ! Tu es complètement bloquée26 !” »
Retombées
– Savajols fils
« 1992. Je retourne voir Monsieur Savajols, artisan qui travaille pour la Coopérative des artisans de Lozère. Son fils est là en vacances, qui vit et travaille comme employé dans la banlieue parisienne. La conversation en vient sur l’histoire de la maison et de la famille. Lui : “Vous êtes chercheur ? Alors, vous pourriez me retrouver où est née ma grand-mère, dans l’Ouest. Elle est montée comme domestique à Paris en 19xx, mais on a tout perdu d’elle.” Comment lui expliquer que ce n’est pas mon travail ? Je ne sais que dire et ne dis rien. En utilisant les moyens disponibles (le minitel de l’époque), je finis par localiser la zone probable d’origine (des sites et logiciels y sont dédiés aujourd’hui) et, en quelques semaines, j’obtiens d’une mairie copie de l’acte de naissance. Un soir, je vais le lui porter en main propre. Je reçois 50 francs pour me dédommager. Au moins, je lui aurai été utile et ainsi il est quitte. »
– Quatorze ans plus tard, 2006
« Martyne trouve sur internet un site sur Belpeyre. C’est bien notre village. Contact. C’est un ancien jeune, maire, fils d’une des maisons que nous avions visitées et questionnées (ce fils qui lisait précisément les revues que sa mère lui achetait !), qui en a pris l’initiative. Il connaît par ouï-dire certains de nos travaux, les recherches, mais ne peut les trouver. Nous les lui fournissons autant que faire se peut. À quelque temps de là, lors d’une autre visite au village, Philippe retrouve les enfants de notre première famille d’accueil. Après des épisodes de vie urbaine, trois sont revenus s’installer au village sur leur héritage déserté quelques années auparavant. Tous réclament l’intégrale de nos écrits, nos livres, une copie du film où ils apparaissaient enfants… Nos travaux font désormais partie de leur mémoire. Anette, la fille aînée, employée à la préfecture, et qui vient de prendre sa retraite, m’envoie avec régularité, et depuis des années, ses vœux de nouvel an. Elle y joint une revue complète de la famille. J’en fais autant par amitié maintenant et je ne manque pas de la visiter. L’internet nous permet de communiquer plus souvent, même du Japon. »
– 2007
« Dans un souci de la restitution, ou plutôt d’un minimum de politesse, Philippe demande à l’équipe de chercheurs architectes japonais avec lesquels il travaille en coopération internationale, et qui vont maintenant enquêter sur le village, de préparer une exposition sur les habitations dans leur pays et leurs régions du nord du Japon, aussi froides et enneigées qu’ici. L’exposition a lieu dans les salles de l’ancienne école, sous l’égide du jeune et dynamique maire actuel. Le journal local en rend compte. Lorsque Fujio Adachi, en 1980, était venu pour la première fois visiter le village avec nous, rares étaient alors ceux qui avaient rencontré des étrangers asiatiques. Aujourd’hui, grâce à la télévision, ils leur posent des questions assez pertinentes et informées. Le village s’est singulièrement élargi27. »
36Depuis le début, nous avons eu le souci de retransmettre nos travaux systématiquement aux personnes enquêtées et aux institutions rencontrées. Ils les ont reçus, ils les reçoivent souvent dans une relative indifférence. Sociologue au laboratoire « ruraliste » de Nanterre et travaillant dans la Creuse, Jacques Maho en avait fait la même expérience : « Entrant dans les fermes, écrit-il, j’attendais les fourches ; à tout le moins, les refus. […] Puis, j’y retourne dix ans après, en 72 : rien !… La fameuse thèse selon laquelle “le sociologue change le terrain en l’observant” : rien, zéro28. » Nous nous sommes un jour entendu dire : « Ah, le rapport que vous nous avez envoyé, je crois qu’il est dans la caisse à bois (sic). » Plus tard, la projection du film de Philippe Bonnin, Gilles Moulin, Yves Delpuech, aura pourtant été un révélateur du clivage latent qui parcourait Belpeyre entre les « modernes » et les « anciens ». Nous aurons eu pourtant les honneurs de La Lozère nouvelle, La Montagne, de Radio Lozère, Radio Margeride, ou RFO et France Culture à propos des migrantes et avec elles.
37Parler de « retombées » spectaculaires, directement tangibles, de nos enquêtes29 ? Voire. Souligner plutôt qu’elles eurent cependant quelques échos auprès d’instituteurs ou de responsables de l’aménagement rural et d’associations. Martin de la Soudière fut recruté pour suivre les états généraux de l’Agriculture, en 1982, ce qui lui offrit une légitimité institutionnelle momentanée. Mais cette question en termes de « retombées » est-elle seulement pertinente ? Nos recherches peuvent-elles être assimilées à un essai nucléaire d’Agadir ou au programme Saturne V, que ce soit pour ce qui ressortit aux intentions, aux moyens, à l’ampleur ? Était-il toutefois anodin d’observer, d’analyser, d’écrire ? S’il s’agit d’un effet direct de notre recherche sur les gens de Belpeyre et sur leur vie, ce n’est évidemment pas notre recherche – qu’ils n’ont généralement pas lue – qui aura compté. Pour autant, notre présence, le fait que ces urbains viennent et reviennent avec leur langage et leurs points de vue n’auront pas été marqués au sceau de l’indifférence. Ce qui se sera surtout développé au cours de cette période (durant nos sept premières années d’enquêtes communes à tous les trois), au-delà de nos personnes, fut un vaste mouvement de réorganisation des rapports entre monde urbain et monde rural et des regards réciproques. Nous en fîmes partie, à notre insu.
« Un terrain, une vie »
38Combien d’autres figures faudrait-il évoquer ici pour ne pas manquer à notre devoir de mémoire ! Gilles et Yves enfants, les bons copains ; les petites écolières timides de Laubert ; le « soûlard » ; l’ancêtre buraliste, Madame Marcon, au goitre mythique, qui parlait par fables et nous recopiait des prières à la Vierge ; le sculpteur du canton, parisien d’origine, et sa femme assistante sociale, venus dans la région exactement pour le désert lozérien ; l’éleveur de taureaux et la folie de sa femme ; la tentation psychiatrique de Saint-Alban : s’y rendre, y retourner ; le défricheur de genêts des Maurels ; les déneigeurs et leurs étraves, orange sur fond de neige blanche ; les belles histoires de chasse et de cueillette de l’oncle Louis, à Saint-Paul-le-Froid ; Germain, le célibataire que l’on recueille : « Philippe, tu peux prendre toutes les photos que tu veux, tu n’y verras jamais rien, moi je vois par-derrière, ce sont des loups ! » ; les instituteurs « bab » de Boissanfeuilles ; la fille aînée fonctionnaire à Mende ; le berger célibataire au plus haut de la montagne, menacé par la folie dans son hameau disposé autour de son « clocher des tourmentes » ; Monsieur Martin en quête de femme sur le Mont Lozère à La Brousse ; les Bastide, père et fils : une « institution » sur l’Aubrac, et tant, tant d’autres…
39Il est plusieurs manières de cultiver, de poursuivre ou de revisiter son terrain. D’abord, celle qui consiste classiquement, après une plongée profonde en terre inconnue et durant quelques années, à exploiter les matériaux recueillis pendant une vie scientifique entière. Matériaux qui avaient le bonheur et l’intelligence de ne plus changer, de rester invariables face aux nouvelles questions du chercheur quand bien même la société en question continuait de se transformer. On l’a vu : ce ne fut pas la nôtre. Une autre manière suppose le « retour », après de longues années d’absence, sur un terrain avec lequel le premier contact avait enflammé l’esprit. Tel fut le cas de chercheurs qui avaient un lien étroit avec ledit terrain, souvent terre de leurs origines30. On lui doit d’indéniables réussites, sinon de véritables chefs-d’œuvre. Nous fîmes, pour ce qui nous concerne, des retours périodiques, plus ou moins réguliers ou espacés, au cours d’une trentaine d’années, une très longue période. Chacun de ces retours consacra la mise en œuvre d’une nouvelle recherche avec, en filigrane, cette préoccupation : comment ne pas se répéter, ne pas tourner en rond au risque de voir le regard faussé par la nostalgie de la première rencontre et de constater un intérêt et une perspicacité des analyses qui se seraient émoussés ? Le village a changé, et cela peut être dit et analysé. Mais la question porte bien, au-delà du retour qui mesure inévitablement le temps passé (notre temps ou le leur ?), sur les transformations irréversibles (avec son cortège de déceptions, de regrets, de jugements négatifs, de références non explicitées à un « âge d’or » que constitue la première visite, de disparitions).
40Au fond, tous les trois ou tel ou tel (le) d’entre nous avons-nous seulement quitté la Margeride ? Le phénomène est connu et partagé par de nombreux ethnologues. Dans cette discipline, le chercheur n’aurait, dit-on souvent, qu’un seul – véritable – terrain (de cœur, pourrait-on dire) : le premier, où se noue sa compréhension intime du fait social. D’ailleurs, nous avons été (nous sommes) encore capables de choisir ce terrain pour une nouvelle enquête. Des preuves ? Tout en restant en Lozère, Martyne a « tourné », ensuite, autour de la Margeride avec ses recherches successives en Aubrac sur le paysage, sur les résidences secondaires, sur la dynamique de la vie associative. À plusieurs reprises et encore aujourd’hui, Philippe questionne, avec trente-cinq ans de recul, l’évolution du village et de l’habitat en compagnie de collègues architectes japonais31. Il projette une histoire du paysage de la commune. Quant à Martin, après plusieurs travaux menés à quelques pas à peine des limites cantonales ou départementales (Plateau ardéchois, Haute-Loire) sur les cueillettes, l’enneigement et le déneigement hivernal, il a aujourd’hui (nous sommes en 2010) un ouvrage en cours sur des histoires de vie en Margeride… cantalienne (sic) même s’il y demeure « fidèle » à la Lozère. Il est par ailleurs associé actuellement à la réalisation d’un documentaire sur des destins paysans à partir du film de Mario Ruspoli, tourné en 1961, Les inconnus de la terre32.
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41Comment qualifier notre « RCP sauvage » ? Précisément de « non-programmée ». Ensuite, de « coopérative », à tous les sens que l’après-guerre avait su insuffler à ce terme : entre nous trois, les matériaux de l’un font les matériaux de l’autre. Taisible33, ensuite, au sens où cette coopération nous a permis, à bas bruit, de résister en commun aux pressions de la nécessité contractuelle et d’imposer un faire-valoir direct de notre travail. C’est ici que nous avons fait nos premières armes. Jeunes chercheurs, nous avions tous moins de trente ans à nos débuts. Si nous avons pu ensuite, des années durant, revisiter ce sud de la Margeride sans (trop) nous répéter et sans, nous le pensons, démériter, c’est que, malgré – ou plutôt – grâce à sa rudesse (isolement géographique, inclémence du climat, etc.), cette petite région a su se prêter à la diversité de questionnements successifs. Faible densité, économie modeste n’ôtent rien, en cette contrée, à la complexité du fait social, à sa richesse, à sa complétude. Une société est là, dans sa culture, qui vit et se perpétue comme elle maintient et développe un habitat et un rapport à l’autre et à la nature, au monde, au cosmos. Elle ne se contente pas d’illustrer la problématique ministérielle de l’heure ou de témoigner de la ruralité, de la diversité des agricultures et du climat, des effets résultant de l’exode rural ou du dépeuplement, du renversement des rapports à la nature et au paysage.
42Notre implication, notre obstination témoignent de la solidité et de la durée de vie que peut avoir un terrain, de sa richesse. D’une fidélité à un lieu, d’abord partagée, plurielle, puis prolongée par chacun sur nos chemins spécifiques. Au fond, d’une passion.
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Travaux de l’équipe sur la Margeride
Bonnin P., de la Soudière M., Deux maisons en Margeride, films, 2 x 20 minutes, 1975.
de la Soudière M., « Enfants de Lozère », dans Enfant en-jeu (Marie-José Chombart de Lauwe, dir.), Paris, Éditions du CNRS, 1976, p. 257-326.
Bonnin P., Gilles Moulin, Yves Delpuech, film, avec l’aide du SERDDAV-CNRS et du CCI, 34 minutes, 1977.
de la Soudière M., « Entre ferme et lycée », Autrement, no 10, 1977, p. 65-78.
Perrot M., « Servante et maîtresse de maison, la paysanne entre deux feux », Revue d’en face, no 2, 1977, p. 6-11.
Bonnin P., Perrot M., de la Soudière M., L’Ostal en Margeride, Paris, CNRS, 1978.
Aflalo M., Bonnin P., Perrot M., de la Soudière M., Les nouveaux usages de l’espace rural et les transformations de la vie sociale en haute Lozère, rapports de recherche MECV, 1979.
Perrot M., « L’émigration des femmes Mauriciennes en milieu rural français. Stratégies migratoires contre stratégies matrimoniales », Annuaire des Pays de l’Océan indien, mars 1980, p. 247-257.
Perrot M., « Machines du dedans, des automatismes ménagers en milieu rural », Culture Technique, septembre 1980, p. 199-204.
Bonnin P, « La réinterprétation des structures spatiales », Ethnologie française, volume 11, no 1, 1981, p. 14-22.
Bonnin P., de la Soudière M., « Compères d’ennui et de boisson », Autrement, no 32, juin 1981, p. 158-165.
de la Soudière M., « Neiges en Margeride : éléments pour une anthropologie de l’hiver », Ethnologie française, volume 11, no 1, 1981, p. 23-32.
Perrot M., « Le corps et la maison », Ethnologie française, volume 11, no 1, 1981, p. 6-14.
Perrot M., « Une bouteille à la mer », Autrement, no 32, juin 1981, p. 174-184.
Perrot M., « Les mariées brunes de la France rurale », Pénélope, no 7, 1982, p. 63-66.
Bonnin P., « La mort célibataire », dans : Pour la photographie. Actes du colloque de Saint-Denis, Paris, GERMS et Centre national des lettres, 1983.
Perrot M., Les mariées de l’Île Maurice, Paris, Grasset, 1983.
de la Soudière M., Les agriculteurs et la nature en Margeride, thèse de l’EHESS, 1984.
de la Soudière M. (avec Raphaël Gérard Larrère), Cueillir la montagne. Plantes, fleurs et champignons en Gévaudan, Auvergne et Limousin, Lyon, La Manufacture, 1985 (réédition Ibis Press, 2010).
de la Soudière M., « Margeride(s) », Les Temps modernes, no 465, 1985, p. 1904-1909.
Perrot M., « Mariage, émigration, identité », dans Vers des sociétés pluriculturelles : études comparatives et situation en France. Actes du colloque international de l’AFA, Paris, éditions de l’ORSTOM, 1986, p. 309-314.
de la Soudière M., L’hiver. À la recherche d’une morte saison, Lyon, La Manufacture, 1987.
de la Soudière M., Trois villages de Lozère, dans Espaces d’enfants (Marie-José Chombart de Lauwe, dir.), Lausanne, Delval, 1987.
de la Soudière M., « Éloge de l’hiver », Les Temps modernes, no 503, 1988, p. 156-165.
de la Soudière M., « L’inconfort du terrain. “Faire” la Creuse, la Lozère, le Maroc », Terrain, no 11, 1988, p. 94-105.
10.4000/terrain.3331 :Bonnin P., Perrot M., « Le décor domestique en Margeride », Terrain, no 12, 1989, p. 40-53.
Bonnin P., « L’utile et l’agréable. À propos de l’enquête d’architecture rurale : la question de l’esthétique confrontée à la transformation des modes de vie et des habitations », Études rurales, no 117, 1990, p. 39-72.
10.1177/053901891030002004 :de la Soudière M., « Le deuil de l’ethnologue : l’adieu au terrain », Information sur les sciences sociales, volume 30, no 2, 1991, p. 269-285.
Perrot M., « Goût et esthétique en milieu rural. Le cas du décor domestique en haute Lozère », Ethnologie française, volume 19, no 2, 1991, p. 135-148.
Bonnin P., « La maison D. », dans Chez soi (Martine Segalen, dir.), Paris, Autrement, 1993, p. 120-138.
10.3406/rural.1992.3362 :Bonnin P., « La maison rurale et les structures de l’Habiter », Études rurales, no 125-126, 1993, p. 153-166.
Perrot M., « En Lozère, meubles des champs, meubles des villes », dans Chez soi (Martine Segalen, dir.), Paris, Autrement, 1993, p. 139-152.
Perrot M., « Ici les gens sont étranges. L’émigration matrimoniale des Mauriciennes en milieu rural français », Hommes et Migrations, mai 1994, p. 37-41.
de la Soudière M., L’étrave et le baliveau (collaboration au film de Jean-Christophe Monferran), Paris, Cité des sciences et de l’industrie de la Villette, 26 minutes, 1994.
Bonnin P., « Furansu : Margerido no nôka » [La maison populaire de Margeride], dans Hokkaïdô nôson jûtaku henbôshi no kenkyû [recherche sur la transformation de la maison et du village du Hokkaïdô] (Adachi Fujio, dir., avec Sumyo Hiroshi, Noguchi Takahiro), Sapporo, Hokudai toshokankôkai, 1995, p. 161-173.
de la Soudière M., « L’intime du terrain », Xoana. Images et sciences sociales, no 5, 1997, p. 119-121.
Bonnin P., « La modernisation de la maison D., analyse longitudinale », Sociedade e territorio. Revista de estudos urbanos e regionais, Lisbonne, no 25-26, 1998, p. 52-63.
Bonnin P., Images habitées : photographie et spatialité, Paris, Créaphis, 2007.
Bonnin P., « Le temps d’habiter », dans L’Habiter dans sa poétique première. Actes du colloque de Cerisy-la-Salle, Paris, Donner lieu, 2008, p. 12-27.
de la Soudière M., Poétique du village. Rencontres en Margeride, Paris, Stock, coll. Un ordre d’idées, 2010.
Notes de bas de page
1 Par fidélité pour ce nom d’emprunt dont nous l’avions baptisé, mais que des collègues géographes ont vite percé à jour.
2 Pour essayer de donner à imaginer ce qu’a pu être notre recherche commune sur une longue durée, ce texte fait alterner passages descriptifs et réflexifs, et notes ou extraits des « archives » de l’enquête.
3 N’oublions pas cependant que deux des films de la série À la découverte des Français réalisés par Bergeret et Krier à l’ORTF, avec le conseil de Paul-Henri Chombart de Lauwe, dans les années soixante, portaient sur des familles rurales : « Danger, en pays Chartrain » et « Ça s’est passé en Limousin ».
4 La direction de l’agriculture, à Mende, la préfecture du département y menaient alors des études d’aménagement rural, nous offrant un cadrage statistique précieux.
5 Reclus E., Nouvelle Géographie Universelle. La Terre et les Hommes, tome 2 : La France, Paris, Hachette, 1885, p. 417.
6 Postérieurement, en 1981, sur le Causse Méjan, en Lozère, dans le cadre du programme PIREN (Programme interdisciplinaire de recherche sur l’environnement) lancé, en 1978, par le CNRS, sous l’intitulé Observatoire Causses-Cévennes, ces deux chercheurs ont rejoint une équipe dirigée par Marcel Jollivet, à l’interface du social et de l’écologique. Elle comprenait également Jean-Paul Chassany (INRA Montpellier), Marianne Cohen (écologue à l’Université Paris 7) ou encore la géographe Nicole Mathieu, du CNRS.
7 Claverie E., Lamaison P., L’impossible mariage. Violence et parenté en Gévaudan, 17e, 18e et 19e siècles, Paris, Hachette, 1982.
8 Pourcher Y., Les maîtres de granit. Les notables de Lozère du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, Olivier Orban, 1987.
9 La Margeride : la montagne, les hommes, Paris, INRA, 1983.
10 Écomusée dont le siège est la Tour, à Ruynes-en-Margeride. Durant plusieurs années, nous siégerons tous les trois au comité scientifique en compagnie de quatre membres de l’équipe « Margeride » sous la houlette du fondateur, Guy Brun, instituteur.
11 La Margeride, terre de cueillettes, brochure issue de l’exposition (Laurent Védrines, Martin de la Soudière).
12 On pourra, à ce propos, s’étonner et regretter qu’il n’existe pas de structure d’archivage de telles données produites par les laboratoires : ainsi, les « bleus » d’enquêtes de Paul-Henry Chombart de Lauwe et de son équipe ont-ils été perdus après son départ en retraite.
13 Fabre D., « La voie des oiseaux. Sur quelques récits d’apprentissage », L’Homme, volume 26, no 99, 1986, p. 7-40.
14 Extrait du « cahier vert » de Martin de la Soudière.
15 Notes de Philippe Bonnin.
16 Voir : « L’utile et l’agréable ; à propos de l’enquête d’architecture rurale : la question de l’esthétique confrontée à la transformation des modes de vie et des habitations », Études rurales, no 117, janvier-mars 1990, p. 39-72.
17 Bonnin P., Perrot M., « D comme Décor », Cahiers de la recherche architecturale, urbaine et paysagère, no 20-21 : L’espace anthropologique : abécédaire anthropologique de l’architecture et de la ville, 2007.
18 Notes de Philippe Bonnin.
19 Notes de Philippe Bonnin.
20 La Margeride, terre de cueillette, exposition de l’écomusée de Margeride Haute-Auvergne, toujours en place depuis le début des années 2000.
21 Extrait du « cahier vert » de Martin de la Soudière.
22 Extrait du « cahier vert » de Martin de la Soudière. Voir aussi sous la plume de ce dernier : « Les couleurs de la neige », Ethnologie française, volume 20, no 4, 1990, p. 428-438 ; L’hiver. À la recherche d’une morte saison, Lyon, La Manufacture, 1987.
23 Jégouzo G., Brangeon J.-L., « Célibat paysan pauvretéa », Économie et statistique, no 58, juillet-août 1974, p. 3-13 ; Jégouzo G., « Avec qui se marient les paysans », Rennes, INRA, mai 1977.
24 Réseau constitué par les Mauriciennes elles-mêmes, une fois arrivées en France.
25 Perrot M., Les Mariées de l’Île Maurice, Paris, Grasset 1983.
26 Notes de Martyne Perrot.
27 Notes de Philippe Bonnin.
28 Maho J., Vivre dans la Creuse. Précédé d’une contribution à une histoire du changement social, Paris, Éditions du CNRS, 1985, p. 31.
29 Cette question posée en termes de « retombées » est même une fausse question, l’objectif initial n’ayant jamais été de transformer la société locale directement.
30 Quelques ouvrages témoignent de ce « terrain revisité » que préconise et pour quoi plaide depuis longtemps Isac Chiva, en particulier ceux de Laurence Wylie, de Jacques Maho ou encore les deux ouvrages de Pascal Dibie.
31 Eux-mêmes disposant d’une enquête récurrente exceptionnelle sur l’habitation populaire et rurale du Hokkaidô, réitérée depuis 1950, à laquelle Philippe Bonnin a pu participer en 1991 et en 2005-2007.
32 En compagnie du réalisateur Jean-Christophe Monferran (EHESS, Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain, IIAC), Françoise-Eugénie Petit, « vieille routière » du Causse Méjan (et de la Margeride), et de Marie-Claude Jahan du Centre Edgar Morin (EHESS-CNRS). Achèvement prévu pour 2011.
33 Le Dictionnaire historique de la langue française (Rey A., dir.) indique malheureusement qu’« aucun des dérivés de l’ancien français taisir : taisi, taisible adj., taisiblement adv ; n’est resté en usage et le verbe est aujourd’hui isolé ». Littré donne : « Nom que l’on donnait autrefois à des sociétés [sic] que contractaient [sic] tacitement les parties. » Les communautés taisibles ont témoigné au contraire jusqu’à leur extinction, vers 1930, d’une forme sociale ancienne (dont seule la « communauté » maritale est le seul vestige) qui faisait pendant à la forme de la « société » (forme contractuelle liant les partenaires à proportion de leur capital). Elle permettait à ses membres, généralement liés par le sang, et assurant donc la permanence d’un titulaire, de « faire communauté » tacitement, c’est-à-dire sans avoir rédigé de « contrat » notarial explicite, et ainsi de résister au droit de mainmorte du seigneur qui, sinon, s’accaparait l’ensemble des biens mobiliers et immobiliers du fermier au décès de celui-ci.
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