Chapitre XVI. De Pie IX à Léon XIII ou de l’affrontement à l’entente
p. 323-331
Texte intégral
Le déclin du catholicisme libéral : Le Concile de Vatican ou le double triomphe de l’Ultramontanisme et de l’Intransigeantisme
1Le monde évoluait façonné par une modernité qui déclassait la religion dans la hiérarchie des valeurs. Le laïcisme, le naturalisme et le rationalisme supplantaient la religiosité dans des mentalités guidées par le libéralisme et l’esprit du Siècle des Lumières. Les croyants ne concevant plus que la religiosité puisse faire partie intégrante du domaine temporel, il devenait nécessaire de recentrer la religiosité dans le seul domaine spirituel. Pie IX acheva l’absolutisation du pouvoir spirituel des Papes en convoquant un concile.
2Profitant de la tribune que lui offrait le Congrès de Malines, Falloux s’exprima sur le Concile en le présentant comme une « discussion la plus vaste, la plus libre, sur les intérêts primordiaux de l’humanité toute entière ». Le 8 décembre 1869, en la basilique Saint-Pierre de Rome, s’ouvrit le premier Concile œcuménique depuis celui de Trente, en 1563. Rassemblant près de 700 évêques venus d’Europe, d’Orient, d’Amérique et d’Afrique, le Concile laissa peu d’espoirs aux tenants de « l’Église libre dans l’État libre ».
3La direction du Correspondant décida que le journal ne s’exprimerait qu’une seule fois. Il n’y aurait donc qu’un seul article commun à l’ensemble de la rédaction. Monsell, Cochin, Broglie et Falloux se rendirent à Orléans chez Dupanloup. Monsell représentait le catholicisme anglais, le prélat espagnol invité par Dupanloup était le représentant des catholiques libéraux d’Espagne, enfin l’équipe du Correspondant se faisait l’ambassadrice des catholiques libéraux français. Ces derniers se positionnèrent par le biais d’un article intitulé Le Concile. Ils y manifestèrent leur optimisme parce que
« la durée de l’Église (...) c’est la perpétuelle jeunesse de la nature animée. Elle ne subsiste qu’en se renouvelant. Ses dogmes se développent sans se modifier (...). Chaque époque trouve une manière propre sinon de les concevoir et de les définir, au moins de les pratiquer et de les défendre »,
4parce que
« (...) c’est ce mélange d’Antiquité et de jeunesse, de perpétuité et de rénovation, cette variété dans l’unité, et ce mouvement dans la durée, c’est tout cela qui éclate dans la suite comparée des grandes convocations ecclésiastiques (...). La première place doit être réservée à la reconnaissance (...). Cette réapparition des conciles (...) c’est Pie IX qui l’a crue, et par la vertu de sa foi l’a rendue possible ».
5Le Concile ouvrait une perspective d’espoir pour les vaincus de la cause catholique libérale. N’était-ce pas la première fois depuis trois cents ans que l’Église catholique tenait assemblée ? Mais un doute les assaillait car « tous les évêques iront à Rome sans même solliciter l’exeat royal (...) » ; la convocation des États généraux de l’Église aurait pour effet de créer dans son sein une monarchie despotique ? Ce n’est pourtant pas le propre des grandes assemblées de consommer leur propre abdication ! La politique de Pie IX inscrivait la finalité du concile dans la lignée de celui de Trente : le renforcement du pouvoir pontifical. Telle l’Église du XVIe siècle, celle du XIXe devait réagir à une époque qui lui était hostile, voire nuisible. Pie IX s’inscrivait dans la lignée des papes de la Contre-Réforme. Quant au sens du Concile, à savoir l’Infaillibilité pontificale, les catholiques libéraux la dénonçaient prudemment :
« Proclamer n’est pas définir et c’est une définition, avant tout, qui serait nécessaire au principe de l’infaillibilité pontificale, si le concile jugeait à propos de lui rendre hommage. À la vérité, on peut dire que le Saint-Esprit sera là pour y pouvoir (...). Mais il ne serait ni pieux ni raisonnable de s’y fier. Car l’assistance promise par l’Esprit Saint au Concile est surnaturelle et non miraculeuse. Elle rend les décisions certaines, mais non moins nécessaires les recherches qui doivent les précéder. Elle préserve de l’erreur, mais n’a jamais dispensé de l’étude et de la raison. C’est un auxiliaire qui vient en aide. »
6La dimension autoritaire du recentrage du pouvoir ecclésiastique et de la pastorale au profit du Pape suscitait une inquiétude masquée de la part du Correspondant qui réfutait l’idée de voir l’Église s’en remettre à une seule et unique autorité
« car l’autorité dans L’Église peut être envisagée sous deux aspects différents. Il y a l’autorité dogmatique, qui tranche, avec l’assistance de l’Esprit-Saint, par une décision infaillible, toutes les questions relatives à la foi et à la règle des mœurs. Il y a l’administration, le gouvernement de l’Église proprement dit, qui s’exerce suivant les juridictions et les règles prescrites par les canons, avec le secours sans doute de la grâce divine, mais avec les chances d’erreur et de faute que comporte l’imperfection de la nature humaine chez les pasteurs à qui la charge en est confiée » et, « en d’autres termes, tous (les évêques) devront déclarer que le règne du privilège a péri pour l’Église, et que le droit commun est la seule défense qu’elle puisse désormais invoquer. »
7Le Correspondant prônait la conception d’un pouvoir ecclésiastique confié aux représentants du monde catholique parce que l’Église est un corps en plus d’être la seule détentrice de l’Infaillibilité car elle « n’a jamais raison à demi. » Cette Église de la collégialité n’était pas celle de Pie IX. Les catholiques libéraux livraient là leur baroud d’honneur. Le concile fut le sacre de l’absolutisme pontifical : 451 placet contre 88 non placet et 62 placet juxta modum approuvèrent l’ensemble de la constitution Pastor Aeternus, le 13 juillet 1870. Le 18 juillet, l’approbation du Concile œcuménique fut écrasante : 533 voix contre 2.
8Le Pape s’affirmait plus que jamais le Souverain Pontife de l’Église Universelle, et particulièrement le Patriarche de l’Occident.
9Le choix du Correspondant de ne publier sur le concile qu’un seul article fait nettement ressortir l’approche de Falloux sur l’Infaillibilité : celle-ci s’inscrit dans le transigeantisme résigné. Les catholiques intransigeants se ralliaient à la conception pontificale du pouvoir : Émile Keller écrivit L’Église, l’État et la Liberté dans lequel il présentait un régime monarchiste hiérarchisé, avec pour clef de voûte l’Église. Mgr Pie écrivit Une monarchie chrétienne dans laquelle la France devait être une monarchie au pouvoir tempéré par de « sages libertés », où l’Église serait liée au pouvoir laïc par les Écritures Saintes qui garantiraient le régime politique, enfin le pouvoir exécutif devait être fort car le parlementarisme était « morbus comitialis ». Depuis son exil, Chambord pensait que l’Infaillibilité : « Est un blasphème : la religion de J.-C. demeure avec J.-C. telle qu’elle a été dès le principe. »
La politique de Ralliement : « Chrysalide XIII »
10Le 7 février 1878, Pie IX le pape du Syllabus s’éteignit au Vatican.
11Le 20 février 1878, les fidèles rassemblés place Saint-Pierre virent s’échapper de la cheminée de la Chapelle Sixtine une fumée blanchâtre : le Conclave avait élu le Pape Leon XIII.
12À la tête de la catholicité, Léon XIII, qui avait choisit le nom pontifical du pape de la Restauration, l’intransigeant Léon XII entendait continuer la politique de Pie IX... mais avec un souci de pragmatisme : la catholicité et le monde en 1878 avaient été reconfiguré depuis 1846. Le pape amorçait une nouvelle politique : l’Église devait appartenir à son siècle sans crise identitaire. Depuis 1870, les catholiques œuvraient pour la sauvegarde de Rome en finançant le Vatican par les pèlerinages, le denier de Saint-Pierre, par le rachat ou l’achat de terres et de biens meubles romains.
13En France l’anticléricalisme restait virulent et était devenu un phénomène sociétal majeur.
14Léon XIII nommait le Secrétaire des Affaires Ecclésiastiques Extraordinaires, Czacki Nonce à Paris. Sa haute culture, son sens de la communication, son modernisme et sa francophilie en faisaient un ambassadeur idéal auprès de la Troisième République naissante. Czacki avait reçu pour instructions d’éviter toute rupture définitive et surtout de sortir l’Église de France de la politique ; le nouveau pape craignait que l’Église n’apparaisse plus que comme une force d’opposition politique. Léon XIII voulait que l’Église et la France se comprennent et s’apprécient mutuellement, le pape souhaitait passer de l’affrontement à la cohabitation douce. Falloux pensait que « Pie IX a bien fait ce qu’il a fait, mais que Léon XIII a surtout pour mission de le défaire ». Il convenait dès lors de soutenir son action, car « ce que Léon XIII s’efforce de faire (...), dans le domaine diplomatique, il importe qu’il le fasse aussi dans le domaine des idées et de la controverse religieuse ».
15Falloux s’engageait plus avant dans la voix politique tracée par le nouveau pape : il combattera la mouvance d’Albert de Mun et sa conception conservatrice de l’Église en matière politique. L’échec de la Restauration et les années de l’Après 1870 caractérisées par la religiosité populaire avec ses pèlerinages à Notre Dame de La Salette, à Lourdes et à Paray-le-Monial ont achevé la fusion entre le Politique et le Religieux chez les légitimistes ultras ; le légitimisme devenait une « mystique », celle de la Monarchie Chrétienne. L’Inséparatisme devenait dès lors l’un des composants majeurs de la pensée légitimiste : légitimité et religion ne faisant qu’un car « le roi seul en face de la Révolution, comme le Fils aîné de l’Église. »
16Falloux réprouvait cette évolution idéologique qu’il estimait politiquement dangereuse, en ces temps d’anticléracalisme virulent.
17Les légitimistes purs n’étant pas une force politique, L’Univers opta pour l’opposition systématique : Freppel déclara lors de la réception de son clergé le 1er janvier 1880 que l’on verrait sous peu « le triomphe du Trône et de l’Autel (...) », tandis que Paul de Caux, membre du Bureau Central des Comités Catholiques déclarait les catholiques « sur la brèche », que « le sang coulera s’il le faut » mais que le Catholicisme ne reculerait pas. Active fut l’attitude du Père d’Alzon qui, ne voyant aucun compromis possible avec la République, élabora une politique de résistance : la jeunesse catholique serait rassemblée en une armée anti-révolutionnaire recrutée et commandée par Baragnon, son organe de presse sera La Croix, et son objectif de s’opposer à Gambetta.
18Falloux décida d’agir. En ces temps de crispations idéologiques, de luttes, il convenait d’affirmer ses opinions et de les défendre. Puisque les ultras catholiques se positionnaient dans l’opposition radicale, brandissant l’étendard de la Contre-révolution dont Albert de Mun était l’ambassadeur, puisque Rome était attaquée, puisque le monde catholique français s’égarait en divisions, Falloux, en accord avec le tournant opéré au printemps 1878 au Vatican, s’engagea dans la mêlée : il publia un article dans Le Correspondant du 25 octobre 1878 intitulé La Contre-Révolution1. Il s’en prenait à la ligne de conduite des ultras catholiques :
« Vous frappez en aveugles et vous combattez dans le vide quand vous vous proposez de détruire (...), la société actuelle sans exceptions et sans réserves (...). Le Syllabus aurait condamné la Révolution en bloc et la société moderne en bloc ; cela eût été très-simple et très-court. Le Syllabus pourtant n’en a rien fait ; il a même fait précisément le contraire ; il a pris le procédé que je me permettais de vous conseiller : il a énuméré un à un tous ses griefs, et au lieu de se contenter d’un article unique comme vous l’auriez fait (...). Il a commandé, sous les titres les plus divers, quatre-vingts erreurs, la plus part, hélas ! vieilles comme le monde (...). Rome repousse le mal et accueille le bien par des motifs de premier ordre, jamais par un pessimisme incompatible avec sa mission. Inflexible quand il s’agit de la thèse, elle pousse très loin la condescendance envers l’hypothèse et, la plupart du temps, elle en retire de grands fruits (...). Depuis, et à travers nos bouleversements successifs, les Souverains Pontifes n’ont jamais refusé leur concours à la pacification religieuse. »
19Falloux confirmait sa prise de position par une déclaration de soutien, emprunte d’admiration, envers le pape : « Léon XIII ? Quelle fermeté mêlée de douceur ! quelle parole fière sans amertume ! quelle rigidité dans les principes, quelle aménité envers les personnes ! quel regard toujours et uniquement fixé sur le salut des peuples ! » L’article se terminait par la présentation du programme religieux de Falloux : « Dieu dans l’éducation ; Le Pape à la tête de l’Église ; L’Église à la tête de la civilisation. » Voilà le programme que je m’étais tracé dans ma courte carrière politique ; j’avoue qu’aujourd’hui encore il me parait suffisant, et que la contre-révolution, qui n’y ajoute rien, peut grandement entraver son succès. » Depuis Rome, Conestabile2 écrivit le 10 décembre 1878 à Falloux que
« l’admirable travail sur la Contre-Révolution de Falloux, paru le 25 octobre dans Le Correspondant, est lu par un très proche de Léon XIII, l’évêque de Montefascione Mgr Botelli. Il en dit : “J’ai lu avec le plus vif intérêt le travail de M. de Falloux que je n’hésite point à approuver, même comme évêque, in omnibus et pronuncia, car j’y ai trouvé tracé de main de maître le seul et unique programme possible pour les catholiques dans la lutte actuelle avec la civilisation moderne” ».
20L’avènement de Léon XIII marqua une évolution majeure dans les rapports de Falloux avec le Vatican qui passèrent de l’affrontement à l’entente. Bien que le nouveau pape soit conservateur comme Pie IX, il n’en était pas moins plus réceptif à son temps : l’Église devait être dans son époque, faute de pouvoir être de son époque.
21Cette évolution des rapports entre les catholiques libéraux et le Vatican encouragea ces derniers à agir : le pape leur était favorable. Il leur fallait saisir cette opportunité pour exercer une influence sur sa pensée politique comme L’Univers sur Pie IX en son temps. Le 6 février 1879, Conestabile écrivit à Falloux :
« La nécessité de soutenir la politique si sage inauguré par Léon XIII nous a inspiré à quelques uns de mes amis et à moi, l’idée de fonder un journal catholique à Rome (...). Notre but serait en effet que le journal eut un nombre très restreint de protecteurs et de fondateurs, choisis dans le groupe des catholiques qu’on appelle libéraux. »
22Le Correspondant avait sa revanche sur L’Univers. Mais l’affrontement entre la France et le Vatican n’en demeurait pas moins : les deux puissances s’affrontaient dans une double volonté de s’affirmer et de s’entendre.
23L’année 1880 cristallisa ce rapport de force : désireuse de s’affirmer en France, la République concentra son action sur les congrégations religieuses. Le 29 mars 1880, le gouvernement français promulgua des décrets contre les Jésuites.
24Le 21 août, le Pape Léon XIII fit savoir à Czicka que « les Congrégations doivent, en ce temps de péril, demander et recevoir les règles de leur conduite uniforme » par les évêques de France. Falloux approuvait la politique pontificale : « Je vois surtout une vérité à défendre : le pape n’innove rien, ne sacrifie rien, n’abaisse rien quand il déclare et fait déclarer par les intéressés eux-mêmes que les ordres religieux ne sont pas des ordres politiques. S’il y avait ici matière à répondre ce (...) serait (...) de l’avoir proclamé trop tard » écrivit-il à Lavedan tout en lui confiant ses craintes sur l’attitude de l’extrême-droite :
« Je ne puis m’associer non plus au raisonnement qui consiste en ceci : les jésuites ayant momentanément disparus il ne faut plus s’occuper de sauver personne (...). Je crois bien que c’est la théorie qu’on va prêcher au banquet des régicides à Chambord, le 29 septembre, mais je souhaite passionnément que le contraire soit prêché dès le 25 par le sage et éloquent prédicateur du Correspondant. »
25La politique pontificale ne manquait pas de décevoir les ultras légitimistes Keller, De Mun, Chesnelong et Mackau qui se rassemblèrent en une Ligue Catholique dont l’objectif était de lutter contre la République car la résistance du clergé de France à la révolution de 1789 « ouvrira les yeux de la grande masse des catholiques et les amènera au Roi, comme au seul protecteur né de l’idée religieuse. » La soumission du clergé régulier à la puissance publique laïque compromettait l’alliance de la Religion et de la Royauté alors que l’alliance de la Religion avec la République, avec « la gueuse », ressortirait comme un leurre. Malgré tous ces événements, toutes ces passions, le Vatican gardait le cap dans la tempête : il voulait et conduisait une politique novatrice dans les rapports de L’Église de Rome avec l’Europe moderne. Léon XIII restait silencieux sur les événements français. Le temps du Syllabus et du Risorgimento était révolu.
26Une ligne de conduite que Falloux approuvait et appuyait :
« Je me rangerai plutôt à l’avis de (...) négocier jusqu’à la limite du possible. Rome, représentant suprême de la force morale, a pour ressource la persuasion et là où la persuasion ne triomphe pas en termes absolus, la transaction et par conséquent la négociation ; en France, aujourd’hui il faut donc négocier (...). Mais sur quoi négocier dans l’avenir, et dans un avenir certainement très prochain ? pour sacrifier les congrégations, comme une superfétation religieuse ? assurément non. Si l’on veut faire ce sacrifice, ce qu’il faut précisément, c’est de rompre avec éclat et de lancer des discours et des encycliques fulminatoires. Mais si, au contraire, on veut sauver les congrégations, c’est alors qu’il faut, selon moi, négocier et négocier persévéramment. »
27Falloux encouragea donc la négociation de l’autorisation gouvernementale pour toute présence des congrégations en France ; encore fallait-il la « négocier pour l’obtenir dans des conditions plus pratiques soit par la loi des associations soit autrement ». Une ligne de conduite modérée qu’approuvait Léon XIII, comme ne put s’empêcher de l’annoncer Falloux à Lavedan : « Le pape a daigné prendre le parti de m’écrire lui-même et je dois reconnaître (...), qu’il m’a pleinement satisfait ! (...) Dieu veuille maintenant qu’après la grâce de l’inspiration vienne le don de la persévérance ! » Cette manifestation du Saint-Père fut pour Falloux le symbole de leur communauté de pensée ; la revanche sur l’école de L’Univers était totale. Falloux aimait ce pontife qui incarnait à ses yeux la modernité et qu’il surnomma affectueusement « Chrysalide XIII ».
28Les derniers mois de 1880 étaient toujours à la lutte entre républicains et catholiques. Il fallait plus que jamais soutenir l’action du Vatican et affirmer ses positions. Les catholiques libéraux le devaient plus que les autres maintenant que la Providence marchait à leur côté. Falloux, fort du soutien pontifical, écrivit à Lavedan :
« Quel est le membre de notre conseil qui oserait soutenir que la mission du Correspondant, fondé par Lenormant et Carné, fortifié par le père Lacordaire et M. de Montalembert, n’a pas été précisément de soutenir, de propager l’indépendance de l’Église, au milieu de tous ces conflits politiques ? Ce sont ceux qui veulent enfermer l’Église dans les uniques et passagères chances de la politique, qui veulent marier le grand turc avec la république de Venise et ceux là peuvent voir déjà comment les simples fiançailles ont réussi. »
29Jules Ferry, ministre de l’Éducation, menait fermement la politique scolaire au sujet de l’enseignement supérieur déclenchant une très vive polémique de la part des radicaux et des catholiques. La politique scolaire du gouvernement républicain avait pour objectif de capter une majorité d’enfants scolarisables : au début de la décennie 1880, plus de la moitié de la jeunesse était scolarisée dans les écoles catholiques. Pour que la république s’enracine, elle devait être une communauté nationale. Faute de soutien populaire, les régimes modernes étaient appelés à disparaître : la Monarchie de Juillet en 1848, la Seconde République en 1851, enfin l’Empire en 1870. Pour les républicains, l’enjeu était dans le déni de réalité. Falloux décida d’intervenir publiquement pour la défense des intérêts de l’Église, au nom de « Dieu dans l’éducation » ainsi que pour la défense de la loi scolaire de 1850 que les anticléricaux ne manquaient pas de nommer avec dédain « loi Falloux ». Au mois de janvier 1880, Le Correspondant publiait De l’Unité Nationale, article dans lequel Falloux présentait sa loi comme un compromis entre les tenants de la mixité et les monistes. Présentée par certains comme « l’Édit de Nantes du XIXe siècle », elle était la meilleure des garanties d’unité nationale. Falloux se déclarait pour l’ouverture de l’enseignement supérieur à l’Église, car il fallait éviter que le mal, c’est-à-dire le naturalisme, le sophisme ne soit semé dans l’esprit de la jeunesse catholique. L’article charma Louis Buffet qui écrivit à Falloux qu’il avait « été plus entraîné encore qu’à la première lecture par le sentiment si patriotique et vraiment si libéral qui anime ces pages ».
30La ligne de conduite du Vatican produisait ses effets : les évêques résistaient par principe ou acceptaient la nouvelle politique, les congrégations opposaient une résistance de moins en moins farouche. Les années suivantes confirmèrent la nouvelle orientation des rapports entre la France et le Vatican : Rome inclinait en faveur de la transigeance mais d’une transigeance résignée. Falloux avait confiance en Léon XIII, en ce pape pour qui le séparatisme était inéluctable3, pour lequel l’Église restait, bien évidemment, Apostolique et Romaine tout en acceptant son époque. Dès le 28 décembre 1878, Léon XIII lança sa politique d’affirmation de l’Église comme puissance morale et politique par une série d’encycliques dont l’encyclique Diuturnum Illud, promulguée le 29 juin 1881, qui traitait de la société civile et de l’origine du pouvoir civil, soit du fondement de la souveraineté. Falloux confiait à Lavedan qu’il était « toujours d’avis que le correspondant témoigne sa déférence à Léon XIII et à titre de déférence, je n’ai rien à dire à l’assertion de l’encyclique. À titre d’admiration ce serait autre chose. »
31Léon XIII concevait l’Église comme une puissance morale et politique en cela qu’elle était une société parfaite, contrairement à la société civile proche de sa fin. Le 1er novembre 1885, était promulguée dans cet esprit l’encyclique Immortale Dei que Falloux trouva « trop longue et trop peu nette pour allumer un fanal aperçu d’un bout du monde à l’autre ». Sa critique stipulait même « qu’aucune Encyclique précise et positive est possible en semblable matière, et que sur un sujet aussi scabreux, le silence est de beaucoup préférable à une rédaction quelque habile qu’elle soit ou qu’elle veuille être ». Lors de son séjour romain de février 1885, où il avait « acquis la certitude formelle de l’ajournement jusqu’après nos élections de l’encyclique », Falloux s’était vu promettre « en outre, que les termes en seraient très pondérés et très modérés ».
32La politique pontificale respectait les principes de celle de Pie IX mais les appliquait avec pragmatisme et souplesse. Falloux approuvait cette orientation, avec toutefois un désaccord sur la forme plutôt que sur le fond. Léon XIII était pour Falloux ce pontife transigeant avec la société moderne, fêté en 1846, lorsque Giovanni Mastai-Ferretti était devenu Pie IX, et perdu en 1849 lorsque Pie IX était devenu le pape de la Contre-révolution.
33Léon XIII avait posé les jalons du ralliement de l’Église à la République dans le cadre du transigeantisme résigné ; Falloux s’engagera dans cette voie. Son dévouement au catholicisme le menait à un ralliement raisonnée, à une « transigeance positive » mais non à une « transigeance active »... ç’eut été être républicain catholique. Son ralliement tenait à la fois de « la concession aux malheurs des temps » et de la stratégie. Cette dernière s’inscrivait dans l’esprit de la politique romaine : ouvrir un champ d’action à la défense du catholicisme par l’acceptation du nouveau régime. La reconnaissance de la République conduisait inéluctablement à l’abandon, voir au rejet, de la Monarchie. Catholique avant d’être royaliste, Falloux s’inscrit dans le ralliement à la République. Il concevait la monarchie comme une finalité politique mais non l’unique. La République conservatrice proposait une France moderne reposant sur la Tradition et la Modernité, respectueuse, quoique que pouvaient en présenter les évènements, de l’Église. Considéré sous cette approche le régime républicain devenait acceptable : il ne revêtait pas les oripeaux de 1793.
Notes de bas de page
1 L’article comportait deux dimensions : l’une politique – traitée dans la partie de la thèse intitulée Les derniers combats – l’autre religieuse – traitée dans ce développement.
2 Le comte Giancarlo Conestabile della Staffa.
3 En 1864, Léon XIII alors cardinal Pecci, reconnaissait « la séparation des sociétés civile et religieuse », comme une caractéristique fondamentale des temps. Pecci reconnaissait également que : « la religieuse devenant subordonnée à la civile ».
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008