Chapitre V. La gestation politique
p. 69-75
Texte intégral
Louis XVI : le monarque idéal ou la réhabilitation d’une époque
1Le tour d’Europe fini et bientôt âgé de la trentaine, il convenait à Falloux d’entrer en politique. Mais le jeu avait ses règles : encore fallait-il se faire connaître sur les plans politique et personnel. Aussi, le légitimiste angevin entreprit-il de faire son entrée par la plume : un livre où ses convictions seraient présentées à la France. Un livre parce que la plume en France était inhérente à la vie publique.
2Quel sujet ? Quel tremplin sur lequel s’élancer ? Falloux orienta son choix vers Louis XVI car « dans mes souvenirs d’enfance, dans le culte du foyer domestique, Louis XVI m’apparaissait comme le type le plus injustement méconnu de ce gouvernement paternel qui avait porté si haut la grandeur et la prospérité du pays. C’est ce qui me décida à faire une étude particulière de ce règne... »
3Il ne saurait être question de traiter de Louis XVI sans tenir compte d’une dimension morale car « nous jouissons de la liberté religieuse, de la liberté civile ; mais savons-nous combien ces conquêtes ont coûtées à nos ancêtres de sueur et de sang ! C’est là ce qu’il faut apprendre de bonne heure à cette jeune société que le christianisme doit constituer, comme il avait civilisé les barbares. » Enfin, il s’agissait de lutter contre Louis-Philippe l’usurpateur. Comment ne pas souligner l’illégitimité de la Monarchie de Juillet, si ce n’était en rappelant à la conscience nationale le souvenir de Louis XVI !
4Un ouvrage sur le « roi martyr » qui s’inscrivit dans la religion monarchique née du régicide de janvier 1793. Falloux concevit-il son livre comme une tentative de sacralisation d’un roi à la sacralité contrariée ? Aucunes sources référencées ne l’attestent. L’entreprise semble disproportionnée rapportée à l’échelle d’Alfred de Falloux : il était alors un tout jeune historien et littéraire, son ambition était politique plutôt qu’intellectuelle et doctrinaire.
5Falloux entreprit son travail d’historien en recourant à la méthode empruntée à l’esthétisme littéraire des courants réaliste et naturaliste : lecture plume à la main de nombreux mémoires sur l’Histoire de France de Villehardouin, de Joinville, de Mirabeau et de La Fayette. Aux sources écrites furent adjoints les témoignages des contemporains : les récits familiaux bien sûr mais surtout ceux du baron Mounier, fils d’un ancien membre de l’Assemblée Nationale Constituante de 1789, et de Roux-Laborie, avocat et secrétaire de Mirabeau lors du procès de Louis XVI.
6De recherches en analyses, de lectures en témoignages, Falloux put formuler un sentiment sur Louis XVI :
« Quand enfin je fus amené en présence de Louis XVI, je reconnus en lui, dans ses intentions, dans ses exemples, la compréhension désintéressée, l’appréciation généreuse des besoins de son temps. Malheureusement le concours de son entourage et des grands corps de la Nation lui fit défaut. »
7Cet homme ballotté par les événements, victime de l’Histoire, ce roi martyr, Falloux le sentait au fil de la rédaction plus que jamais comme son roi. Comment ne pas être légitimiste devant tant de tragédie humaine, devant cette royauté française martyrisée dans sa chair la plus pure. La carrière littéraire naissante de Falloux devait beaucoup au salon Rességuier, aussi associait-il le comte de Rességuier à la rédaction de l’œuvre :
« Cher Jules, la meilleure preuve que je ne suis pas plus inquiet que je ne vous le témoigne, c’est que je vous envoie les Feuilles Louis XVI. Ne les perdez pas, et écrivez plûtard sur les marques toutes les observations qui me seront nécessaires pour faire autre chose et mieux. La critique est la bonne grâce des compliments... »
8Une aide maintes fois sollicitée tout au long de la rédaction, comme en juin 1840 où Falloux lui écrivit :
« J’ai besoin que vous me confiez votre impression sur Louis XVI qui est si effrayé d’être entré dans le monde sans nous ; il s’écrie souvent : oh mon Dieu protégez moi, je parais trop jeune. J’aurais grande envie de vous demander 4 vers pour le héros et 4 Pays de Maure pour le livre. »
9Après des mois de recherche, d’étude, de critiques et de rédaction Falloux put structurer son futur ouvrage : la préface présentait comme un crime la mort du roi, le développement était consacré à la vie du monarque. Un développement à travers lequel l’auteur pouvait exprimer ses idées, notamment sur l’éducation royale. S’il était un point important dans la vie de tout homme d’état c’était son éducation. La formation des dirigeants politiques paraissait cruciale à Falloux : de la préparation des chefs d’État à la gouvernance, de leur valeur comme de leur volonté dépendait le sort des peuples. La partie consacrée au sacre occupait une place majeure car cet événement était un moment intemporel dans la vie du pays : la « Sainte Trinité nationale » dans toute sa magnificence à travers l’union du roi, du peuple et de l’Église.
10Le règne était présenté de façon à dédouaner Louis XVI... en rendant coupable son ministre Necker :
« Si un homme étranger à notre pays, à nos mœurs, à notre religion, se trouve en position de porter des coups, celui-là doit porter aveuglément les plus décisifs. Genevois, républicain et calviniste, Monsieur Necker sera cet homme. »
11Les républicains avaient leur « Autrichienne », les légitimistes auront leur « Helvète ».
12La partie consacrée à la convocation des États Généraux permettait à Falloux de présenter Louis XVI comme un esprit clairvoyant, contrairement aux croyances d’alors : « Chez les peuples intelligents les idées marchent plus vites que les escadrons, et portent plus loin que l’artillerie (...) Louis XVI plus que tous, fut pénétré de cette conviction. »
13Si le roi avait accepté la Constitution, ce fut par la force des événements. Enfin, l’ultime partie du développement, consacrée à l’exhumation de Louis XVI se voulait un appel à l’espoir de retour à la Monarchie.
14Après le temps de la rédaction, celui des commentaires : Armand de Melun lui confia dans une lettre du 14 août 1840 qu’il lui reprochait « de vous être trop défait de vous, vous n’avez pas voulu mettre la main aux affaires de la Révolution, vous avez relégué tout le mouvement du siècle dans un lointain et repoussant dans un fonds à peine entretenu les hommes et les choses contemporaines, vous avez donné le premier plan, le portrait en pied de Louis XVI... à mesure que Louis XVI se détache mieux de son temps et de son peuple ; il se rapetisse, plus sa personne occupe de place dans le récit moins il intéresse... car je reconnais que vous avez grandit votre personnage autant qu’il est possible de le faire... et assurément personne ne l’a traité avec plus d’amour, de respect et de vérité. »
15N’était-ce pas l’objectif recherché ?
16L’ouvrage parut en 1840 au retour du second voyage en Italie de Falloux. L’édition en fut confiée à un ancien officier de la Garde Royale, démissionnaire en 1830, reconverti dans la librairie, Delloye.
17La critique littéraire fut bonne dans son ensemble : la Revue des Deux Mondes loua sa modération.
L’élection de 1842
18Dans son ensemble le segréen était largement légitimiste. Son représentant était le docteur angevin François Jounault de l’opposition constitutionnelle. En 1839, il était élu avec 111 voix sur 211. Il succédait à Gédéon de Marcombe (réélu en 1837), parent des Falloux par la branche des Coudray.
19Falloux se décida à tenter l’aventure électorale. Il avait réalisé son tour d’Europe, Louis XVI était parut et son succès de librairie lui avait apporté une notoriété publique, il avait 31 ans soit l’âge requis pour se présenter aux élections, enfin ses revenus lui permettaient de s’acquitter de la contribution directe pour être éligible. Socialement, il lui incombait de représenter les Falloux dans la vie publique locale : Falloux père avait été maire du Bourg d’Iré, ses oncles maternels l’Amiral de Mackau avait été député du Morbihan en 1830 et 1831, et Louis-Xavier Marquis de Fitte de Soucy député de Seine-et-Oise entre 1834 et 1840.
20Il incombait au descendant des Falloux du Coudray d’assurer la continuité.
21Falloux père s’était opposé dans un premier temps à l’entrée en politique de son fils.
22Qu’importe ! Falloux sentait en lui la fibre politique. Son Louis XVI lui avait ouvert les portes de la vie publique, Madame Swetchine et Monsieur de Villèle lui avaient ouvert celles des relations politiques. Théodore de Quatre-barbes, son mentor politique en Anjou, lui apportait le prestige et l’influence de son nom.
23La conjoncture politique redevenait normale pour le légitimisme : douze ans avaient passé depuis la chute des Bourbons, dix ans depuis l’ultime chouannerie. Falloux pouvait profiter de l’évolution des forces au sein de la mouvance légitimiste : le reflus amorcé au lendemain de 1832, des choix politiques plus réalistes, l’acceptation de la voie légale par le jeu de la compétition électorale mais aussi l’étroitesse du pays légal (quelques centaines de milliers d’électeurs) avaient renforcé le poids des notables. Falloux s’engagerait donc dans la lutte électorale.
24La politique c’était le moyen de défendre le Légitimisme et le Catholicisme : la cause ! Toujours la cause ! Encore la cause !
25Il allait donc être candidat de l’opposition légitimiste et participer à l’élection des élites politiques ; ce mode de désignation était une nouveauté politique.
26« Royaliste de cœur et d’esprit », Falloux suivait avec attention depuis 1832 l’évolution des rapports « entre les partisans de l’appel aux armes et ceux qui, à des titres divers, le désapprouvaient (...) ». Regroupés autour du duc des Cars et du général de la Rochejacquelein, les partisans de la force armée ou légitimistes militaires ; regroupé autour de Chateaubriand, de Vatimesnil, de Hyde de Neuville et de Berryer le parti parlementaire ou les légitimistes parlementaires. Entre les deux tendances le parti des modérés regroupé autour du Vicomte de Saint Priest et du Marquis de Pastoret. Par son tempérament conciliant, par bon sens, par l’intérêt porté au parlementarisme que son père lui avait transmis et par admiration pour Berryer, Falloux s’orienta vers le parti des Parlementaires. Son choix était d’autant plus déterminé qu’avec le fiasco de 1832 les clivages s’étaient accentués entre les partisans de la force et les partisans de la voix parlementaire. L’exil de la famille royale, l’existence du jeune prince marquée par la fatalité et l’éloignement géographique faisaient gagner en intensité émotionnelle le culte voué à la Branche aînée ; cette émotion exacerbée conduisait à la radicalité chez les plus excessifs des légitimistes.
27Le corps électoral, qui rassemblait environ 2 000 électeurs en Maine-et-Loire, nécessitait une campagne électorale « de cour ». Aussi Falloux amorça-t-il sa campagne dès novembre 1841. Elle eut un commencement discret : il ne fallait pas abattre ses cartes trop tôt. Elle commença par la venue de Berryer à Angers. Falloux allait joindre l’utile à l’agréable : Berryer, le mentor en politique, allait faire l’honneur de sa présence aux légitimistes d’Angers. Ceux-ci devaient en être digne : le 24 novembre un banquet fut organisé qui rassembla quatre-vingt légitimistes. Moment magnifique que Falloux confia à Albert de Rességuier : « En un jour, les esprits ont été subjugués, les cœurs émus et il a laissé derrière lui une impression à laquelle les idées pacifiques et sages ont tout gagné. Nous verrons aux élections prochaines si cette impression aura été aussi durable et profonde qu’elle a été passionnée. »
28En avril 1842, Falloux mena fébrilement sa campagne électorale : réunions, rencontres et banquets se succédèrent. Lors d’une réunion électorale tenue à Angers, devant un nombre important d’électeurs, le candidat présenta ses sentiments politiques dans une profession de foi :
« À l’âge où vous voulez bien me prendre on a peu d’antécédents à offrir, et je pense qu’en fait de promesses, rien ne précisera les miennes que je veux suivre (...) Brézé, Berryer, Valmy et Villeneuve. Brézé c’est la fidélité la plus pure aux principes que nous professons en commun. Berryer, la plus magnifique expression du sentiment national. Valmy, la liberté d’enseignement, cette vraie charte des familles le seul remède qui puisse préserver les générations futures des malheurs et des crimes de la génération passée. Villeneuve (...) l’homme qui le premier a porté à la tribune les mots de religion, de moralisation, à propos de la classe ouvrière. »
29Alors que la campagne s’annonçait difficile et incertaine, que tous les soutiens comptaient, Falloux dût faire avec la défaillance de Villèle qui lui préféra Genoude ! Il ne put que constater, amer : « S’il avait voulu écrire et signer dans la Gazette quatre lignes caractéristiques j’aurais eu en plus les 4 ou 5 voix que j’aurai en moins. » Une défaillance qui apparaissait comme une trahison. Le duc de Valmy lui-même avait souhaité une intervention de Villèle. En vain. La défaillance de Villèle s’explique par la fragmentation des légitimistes depuis 1832 : le parti avait une population électorale soumise à l’influence du clergé, que celui-ci retire son soutien comme il le fit au lendemain de 1830 et le légitimisme s’affaiblissait politiquement ; il fallait ouvrir d’autres bases politico-électorales. Le programme de modernisation/pérennisation du parti légitimiste, mené essentiellement par les libéraux, ne manqua pas de froisser les ultras légitimistes.
30Les défaillances étaient nombreuses. Ce qui ne manquait pas d’irriter Falloux, conscient que la victoire pouvait s’échapper. Lors d’une réunion électorale, le candidat déclara, critique, dans un discours improvisé qu’il y avait « une émigration à l’intérieur qu’il (fallait) combattre avec les armes de notre temps (le suffrage électoral), comme les émigrés de la Révolution avaient combattu avec les armes de leur siècle. »
31Une personne dans l’assistance : « Le moment est prématuré ! » Falloux rétorqua :
« Prématurité, ne leur laissons pas cette dernière erreur pour refuge. D’abord, avec la vivacité, la mobilité de l’intelligence française, quelle question peut, au bout de douze ans d’épreuve, s’appeler prématurée ? D’ailleurs, j’ai tort de dire douze ans ; c’est cinquante ans qu’il faut dire : n’y a-t-il pas cinquante ans que nous sommes en révolution, cinquante ans que le parti royaliste est appelé à peser de tout son poids dans la balance du fait et du droit, cinquante ans qu’il est paralysé par les plus déplorables aveuglements ! Allez, allez ! il n’y aura jamais rien de prématuré désormais, ni dans nos malheurs, ni dans nos fautes. »
32En s’attaquant à l’ultracisme et à la tactique politique des légitimistes ultras, Falloux encourait le risque de perdre un appui électoral.
33Sa prise de position aura-t-telle des conséquences électorales néfastes ? Après avoir arpenté le 7e collège électoral de Maine-et-Loire, celui de Segré, Falloux attendit le verdict des électeurs segréens.
34Les élections eurent lieu le 9 juillet au Palais de Justice de Segré. Falloux père présidait le bureau de vote. Les 267 votants du collège de Segré s’exprimèrent ainsi :
35Jounault : 98 voix au 1er tour, 106 voix au 2e tour, 149 voix au 3e tour.
36Marcombe : 87 voix au 1er tour, 82 voix au 2e tour.
37Falloux : 82 voix au 1er tour, 92 voix au 2e tour, 100 voix au 3e tour.
38Jounault, médecin dans le segréen et candidat de l’opposition constitutionnelle, fut élu, à la surprise générale et à la sienne. Falloux était battu mais le jeune candidat avait rassemblé 100 suffrages sur 267 votants. Ce qui était un résultat honorable et... prometteur. Si les résultats du Ségréen furent négatifs pour Guizot, dans son ensemble le pays légal lui apporta un franc soutien avec 262 élus gouvernementaux contre 192 élus de l’opposition. Le cévenol gardait la main sur les affaires politiques et assurait la pérennité de son système politique.
39Pour Falloux, l’heure était au bilan :
« Nous voilà donc battus (...), notre bataille a duré avec acharnement jusqu’au troisième jour, malheureusement au lieu d’être ballotté avec le ministériel (...), nous l’avons été avec la gauche : la Sous-Préfecture se voyant alors obligée d’opter s’est jetée sur la Gauche en donnant pour mot d’ordre : n’importe qui plutôt que M. de Falloux. Voici donc les résultats : le parti ministériel tombé sans aucune chance de se relever ; le partage de ses dépouilles à disputer entre la gauche et nous, et pour cela un parti royaliste, résolu, organisé. »
40« Organisé » ! Tel était le principal enseignement des élections. Les voix légitimistes étant dispersées le Maine-et-Loire n’avait aucun élu !
41Falloux s’attela dès lors au rassemblement des forces légitimistes.
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