Chapitre I. Une enfance angevine
p. 11-19
Texte intégral
Les ancêtres
1Originaire du Haut-Anjou et du Poitou, terres des dynasties capétienne et angevine, la famille Falloux1 est ancrée dans le terroir de France : sa filiation remonte au XVIe siècle, avec Loys Falloux, dont le fils Antoine était marchand-fermier en la commanderie de l’Ordre du Temple dite La Lande des Verchers. Antoine Falloux eu trois fils : Mathurin-François, Michel-François et René-Paul. Leurs descendants formèrent respectivement les trois branches de la famille Falloux, dites du Coudray, celle d’où était issu Falloux, du Lys2 et de Chateaufort3.
2La branche Falloux du Coudray tire son origine de la terre du Coudray, située à Fontaine Guérin dans le Baugeois. Son origine remonte à Mathurin-François Falloux du Coudray, sieur de la Hunaudière vivant en la commune de Saint-Georges du Bois. Il occupa les fonctions de fermiergénéral et de procureur général de la baronnie de Fontaine-Guérin. L’un de ses fils, Guillaume-François Falloux, sieur du Coudray, sera le grandpère d’Alfred de Falloux. Il assura les charges de Conseiller au Présidial d’Angers, de Conseiller correcteur et président en la Chambre des Comptes de Bretagne à Nantes. En 1769, Guillaume-François Falloux épousa Geneviève-Marie Destriché de Baracé, fille de Pierre-Christophe Destriché. Cette famille originaire d’Allemagne était établie en Anjou depuis le XIVe siècle. Le jeune couple, installé à Angers en la paroisse Saint-Aignan, eut un fils le 17 mai 1774. Le futur père d’Alfred et de Frédéric fut nommé Guillaume-Claude-Frédéric. La Révolution de 1789 fut pour le couple une dure période avec l’emprisonnement de GenevièveMarie Destriché de Baracé, au motif de la lutte menée contre les émigrés et la noblesse. Incarcérée en la prison de Montreuil-Bellay, elle y trouva la mort le 17 février 1794. En janvier 1792, Guillaume-Claude-Frédéric avait émigré, après avoir combattu au sein d’une compagnie de la noblesse angevine du Régiment Royal-Comtois sous les ordres des Princes ; il avait 17 ans. En 1793, il entra comme volontaire dans le Régiment de Loyal-Émigrant où il resta jusqu’à la fin de 1794, après avoir été promu officier dans le Régiment de Périgord commandé par le duc Archambault de Talleyrand. Il acheva sa carrière dans le corps de la noblesse jusqu’à la dissolution du Corps du Prince de Léon, fin 1797, dans lequel il servait. Guillaume de Falloux en sortit capitaine et chevalier de Saint-Louis.
3Profitant de la politique de concorde nationale menée par le Consulat, Guillaume de Falloux retrouva son Anjou natal en novembre 1802 à la faveur de l’amnistie décrétée par l’arrêté du 18 brumaire an XI. D’une vie militaire austère, Guillaume de Falloux passa à une vie civile simple par-tagée entre sa modeste demeure de l’Impasse des Jacobins à Angers, la maison rurale dite La Mabouillère proche du Bourg d’Iré et le château des Loges, propriété de son oncle Armand-Victor Destriché de Baracé, en la bourgade de Baracé dans la vallée du Loir.
4Le quotidien se ponctuait de visites aux proches, notamment aux Créqui du fait de l’ascendance Ficte de Soucy de la comtesse. Les Créqui demeuraient à Huillé en leur manoir du XVIIe siècle qui surplombait la vallée du Loir. Son intérieur avait gardé sa décoration originelle, faite de tapisseries des Flandres et de pastels de Maurice-Quentin de La Tour et de Valentin.
5C’est en ce lieu que la jeune Loyde-Louise-Thérèse-Philiberte-Renée de Ficte de Soucy avait trouvé un salutaire refuge avec sa mère, la baronne de Mackau, après la sanglante invasion des Tuileries du 10 août 1792.
6Loyde avait vu le jour au palais de Versailles le 3 juillet 1784. Elle était la fille du marquis François-Louis de Ficte de Soucy, maître de camp en second au régiment de Berry et Maréchal des Camps et Armées du Roi. Il avait épousé en 1774 Renée-Suzanne-Marie-Louise de Mackau (1758-1841) d’ascendance irlandaise, de la famille des Mac’ho. Depuis 1780, elle occupait la charge de sous-gouvernante des Enfants de France, que tenait sa mère Marie-Angélique de Soucy, Demoiselle de Saint-Cyr et baronne de Mackau. Son père, Louis-Éléonore, baron de Mackau (1727-1767) était seigneur de Hirtigheim et stettmeister de la ville de Strasbourg, ministre du Roi près de la Diète Générale de l’Empire.
7Guillaume de Falloux, l’ancien émigré, et Loyde de Ficte de Soucy, la survivante des Tuileries, décidèrent de s’unir : leur mariage fut célébré en 1806, simplement et discrètement. Le couple vécut honnêtement et modestement à Angers. De cette union heureuse naquit le 15 août 1807, en la grosse bâtisse du Bourg d’Iré, un fils que les parents appelèrent Frédéric-Guillaume-Louis, mais que l’on préféra surnommer affectueusement « Fritz ».
8En 1808, Guillaume de Falloux devenait maire du Bourg d’Iré. Fonction qui apportait une activité supplémentaire au notable.
9Le 7 mai 1811, Loyde mit au monde, en la maison de l’impasse des Jacobins à l’ombre de la cathédrale Saint-Maurice, son deuxième fils que l’on nomma Alfred-Frédéric-Pierre.
10L’enfance d’Alfred de Falloux se passa en cette terre d’Anjou marquée par la Révolution et les Guerres de Vendée. Un terroir imprégné de catho-licisme et de royalisme.
La ville d’Angers
11Située au cœur de la vieille ville, la modeste demeure familiale de l’impasse des Jacobins se situait à deux pas de la cathédrale Saint-Maurice et de l’ancien hôtel particulier des Falloux, que la famille louait à l’évêché pour compléter des revenus tirés difficilement des terres familiales du Bourg d’Iré4.
12Vie quotidienne simple et heureuse à l’ombre de la cathédrale qui cou-vrait de sa masse protectrice les maisons étroitement serrées de l’an tique quartier de la capitale angevine. Chaque dimanche, les Falloux accédaient à l’édifice par le portail polychrome du XIIe siècle qu’ornait une représentation du Premier Testament. Un Christ en majesté présentant le livre de vie entouré de Marc, de Luc, de Jean et de Matthieu surmontait le portail au premier niveau de la façade. À l’intérieur, de larges fenêtres aéraient les liernes de la travée et du rond-point du chœur. La luminosité ainsi produite éclairait les boiseries représentant des motifs du Deuxième et du Troisième Testament. L’œil du fidèle était attiré par une statue de sainte Cécile, œuvre de David d’Angers, veillant sur la pierre tombale des ducs d’Anjou. Là, au milieu de l’édifice de pierre et de boiserie, sous les voûtes angevines construites au temps d’Henri Plantagenêt, les fidèles s’assem-blaient.
13Souvent, Alfred de Falloux allait méditer sur le promontoire dit « la Promenade du bout-du-monde ». L’endroit était situé à l’extrémité du quartier de la Cité, entre les maisons angevines du quartier antique et la masse noire de la forteresse plantagenaise, que ses profondes douves rendaient plus imposante encore. De cette Acropole, le jeune angevin embrassait la partie nord de la ville et ses environs champêtres. Par delà la multitude des toits bleutés des logis aux pignons fleuronnés et écussonnés du quartier Ligny, situé en contrebas du promontoire, qui se prolongeait en direction du nord par le quartier des Luisettes, le jeune Alfred de Falloux admirait le vieux quartier de la Doutre. Les activités des pêcheurs et des canotiers du quartier de la Cale de la Savatte animaient l’endroit. En ce lieu, les gabarres venaient s’amarrer et se charger de produits agricoles et manufacturés. Les ateliers de tannerie à l’activité malodorante bordaient le petit bras de Maine qui séparait cette partie de la ville de l’île des Carmes qu’occupaient les bains flottants amarrés à ces berges.
14La vue portait immanquablement sur le clocher de l’église de la Trinité. Jouxtant l’abbatiale du Ronceray (dont il était issu), l’édifice formait une harmonie ingénieuse entre le style roman et le style angevin. Il abritait la statue de Notre-Dame de la Charité du Ronceray, fort vénérée par la population locale. Au-delà, plus avant vers le nord, sur la rive droite, veillé par la médiévale Tour aux Anglais se dressait l’hôpital Saint Jean l’Évangéliste. De l’autre côté de la rive, l’église Saint-Serge lui faisait face, aux abords du pont suspendu de la Basse-chaîne. En aval, vers l’ouest, la rive droite offrait à l’œil des collines au relief arrondi qui fermaient l’horizon par delà l’Abbaye Saint-Nicolas, bordée par les bois de Molières. À quel-que distance des tours bicolores de la forteresse d’Angers, la rive droite de la Maine exposait les vestiges du château du roi de Pologne, que le lent débit trompeur du fleuve venait effleurer, alors que le logis de Belligan et le pays de Chateaubriand annonçaient le Roc de Chanzé et la Baumette.
15Ce paysage émerveillait le jeune Falloux : les bâtiments antiques, les maisons aux toits d’ardoise, les clochers, les quartiers, la ville et les paysages alentours, toutes ces couleurs bercées par la douceur angevine imprégnérent Falloux de tout son être. Cette terre d’Anjou était sa chair, cette culture faite de piété et de patriotisme était son âme d’angevin.
Le pays de la haie
16La saison estivale donnait l’occasion à la famille Falloux de quitter l’Impasse des Jacobins pour le gros logis rural de La Mabouillère, au Bourg d’Iré.
17On sortait de la ville pour le pays de la haie et des sentiers sinueux, le Segréen.
18Partant d’Angers, la route menant au Segréen, que les populations continuaient d’appeler Craonnais, montait vers l’ouest à travers dolmens et châteaux. L’antique route romaine, après avoir traversée Avrillé, conduisait à la bourgade du Lion d’Angers, où son auberge dite La Boule d’Or offrait un confort sommaire, avec son unique chambre destinée aux hôtes privilégiés. Ce lieu valait à la cité de faire office de relais de poste. Le lendemain à l’aube, le voyageur reprenait la route par voie fluviale sur une gabarre qui remontait lentement l’Oudon : sur la rive gauche les châteaux, du Mas à Andigné, et de Saint-Hénis, à hauteur de Louvaines, sur la rive droite, le Prieuré de la Jaillette et son cloître invitaient le voyageur à la méditation. Passé la Chapelle-sur-Oudon et son château de La Lorie le voyageur arrivait à Segré. Après avoir traversé les deux ponts du bourg rural vers l’ouest, on empruntait le chemin conduisant au Bourg d’Iré. Là, traversant le modeste hameau angevin, la famille prenait le chemin de Riche d’Iré pour arriver enfin au logis de La Mabouillère.
19Le logis rural, de proportions modestes, offrait un charmant habitat campagnard aux Falloux, qui y vivaient simplement mais dans le bonheur familial. La Mabouillère était situé au cœur d’un pays vallonné et parsemé de petits champs jalousement délimités par d’épaisses haies. Ils étaient séparés par de larges fossés bordés de talus d’où jaillissaient des chênes et des ormes. Bœufs, vaches et chevaux peuplaient ces parcelles découpées au hasard du relief et des héritages.
20Tel se présentait le Segréen d’alors : un pays recueilli sur lui-même et sur ses souvenirs.
21Une terre dont les lambeaux forestiers de Chanveaux, d’Ombrée et de Flée étaient issus de l’antique forêt celtique qui recouvrait jadis le Craonnais.
22Le bocage segréen conservait pieusement les vestiges de sa riche et complexe histoire. Pas une commune qui ne portât les traces d’un passé tantôt glorieux tantôt grave et sinistre. Au nord de la ville de Segré, le village de Chatelais gardait fièrement les débris de l’époque où il était un petit poste de guerre aux confins de l’Anjou et de la Bretagne. À l’est, Saint-Martin-du-Bois était figé dans sa physionomie ancienne avec ses sombres logis à hautes lucarnes, son auberge de la Fleur du Lys qui faisait office de relais de poste et son château du Percher. Dans une triste vallée, Aviré alignait ses maisons basses en torchis de cailloux et de pierres d’une noirceur mélancolique. À l’ouest était l’industrieuse commune de Noyant-la-Gravoyère avec ses briqueteries, ses ardoisières et ses fours à chaux.
23Le sud du Segréen abritait les communes de Sainte-Gemmes-d’Andigné avec ses châteaux de La Blanchaie, de Dieusie et de La Chétardière. Plus modeste était la Chapelle-sur-Oudon.
24Au centre de la contrée se trouvait Segré. Depuis la Révolution, la petite bourgade était chef-lieu de canton et d’arrondissement. Son activité se limitait aux travaux agricoles et à son port d’eau douce. La gloire de la commune était le château de l’Ile, propriété de Madame de Sévigné.
25Historiettes locales, récits du voisinage sur les événements de la guerre de Vendée, souvenirs de famille sur les grandes heures et les misères de Versailles. Lieux de mémoire, vestiges immuables de la longue histoire de la province segréenne, tout au Bourg d’Iré entretenait le culte catholique et monarchique. Cette terre du fond de l’Anjou allait vite devenir le royaume d’Alfred de Falloux.
Le Bourg d’Iré
26À 8 kilomètres à l’ouest de Segré, sur le côteau de la rive gauche de la Verzée, affluent de l’Oudon, se dressait le village du Bourg d’Iré avec ses 1259 habitants. La petite commune occupait un carrefour de chemins menant au Tremblay et au Loiré sur la rive droite de la Verzée, à Noyant-La-Gravoyère, Combrée et Sainte-Gemmes-d’Andigné sur la rive gauche.
27La bourgade offrait une physionomie rustique des plus classique pour la région, avec sa vieille église délabrée modestement rehaussée d’un clocher de moellons coiffé d’une flèche couverte d’ardoises. Perché sur un rocher, le petit édifice dédié à Saint-Symphorien était entouré du cime-tière. La venue à la messe dominicale des paysans alentours animait le lieu ordinairement endormi.
28De l’époque glorieuse du bourg, ne restaient que la chapelle du Buron, fondée en 1724 par Guy André de Laval, et les ruines du château de la Chatellenie de La Bigeottière, que les vicissitudes de l’Histoire ou du temps avaient réduit à une simple ferme. Ne subsistait d’intact que le massif château de la Douve, résidence de la famille d’Armaillé. À l’écart du bourg, la terre de La Mabouillère5, recouverte de landes et de marais dominés par un tertre sur lequel se trouvait la gentilhommière familiale.
29Le jeune Alfred de Falloux partageait ses journées studieuses et ludiques avec son frère « Fritz » et ses parents. Les promenades familiales les menaient souvent à des lieux de mémoire comme la ferme des Vieilles-Villes qui avait été le théâtre sanglant des affrontements entre Bleus et Blancs, ou à un calvaire dédié aux victimes de la Chouannerie. L’enfant de l’Anjou vibrait de tout son être aux récits contés à la veillée. Cette terre, comment ne pas l’aimer ? Le Bourg d’Iré devint pour Falloux un lieu de souvenirs, une part de sa personne.
30Le moment de la lecture ou celui de la veillée à La Mabouillère appartenaient aux souvenirs familiaux. Mme de Falloux racontait, non sans nostalgie et émotion, sa jeunesse versaillaise vécue avec sa mère la marquise de Soucy en charge des Enfants de France. Elle racontait alors à ses fils les temps sombres de la Révolution : le tourbillon l’avait arrachée à son cher Versailles pour la sordide prison du Temple, l’exil forcé en Anjou, chez les Créqui.
Les gentilshommes du Segréen
31La saison estivale donnait lieu à toute une sociabilité rurale. Les promenades dans la campagne permettaient de rencontrer les métayers. Aux heures d’études venaient s’ajouter les jeux champêtres partagés avec
32« Fritz » et les enfants du pays : les Bleus contre les Chouans, les courses aux alentours de Segré, les rêveries aux bords de la paisible Verzée entre enfants du pays.
33La présence au Bourg d’Iré obligeait à de multiples visites courtoises ou amicales au voisinage. Bien des soirées se passaient au château de la Douve, chez le comte et la comtesse d’Armaillé, où les jeunes Falloux retrouvaient avec joie les enfants du couple pour des jeux et des lectures sous la surveillance grand-maternelle de la baronne de la Paumelière. Elle aimait à animer, malgré son âge, les soirées des enfants de ses souvenirs de la Guerre de Vendée qui l’avait obligée, à maintes reprises, à quitter précipitamment sa demeure de Lavouër pour trouver un asile salutaire au milieu de ses métayers, qu’elle ravitaillait la nuit, vêtue d’un costume de Chouan. La baronne avait gardé de cette vie tumultueuse l’habitude de ne dormir que la journée.
34Ses récits d’un temps passé mais encore bien présent en ces années 1810 émerveillaient son jeune auditoire. Alfred de Falloux y prêta une vive attention, toujours emprunte d’émotion.
35La baronne de La Paumelière, après avoir œuvré au devoir et au travail de mémoire, égayait la soirée de sa voix charmante qu’elle accompagnait à la harpe, sans beaucoup d’art.
36Son répertoire venait essentiellement du terroir angevin, et touchait particulièrement Alfred de Falloux lorsque la « vétérante » des guerres de Vendée entonnait Le point du jour.
37Parmi les visites habituelles faites aux Falloux, celles du Chevalier Prosper de Candé. Monté sur son cheval dressé à la monte de Haute École, le maire de Candé rendait une visite de courtoisie à son homologue du Bourg d’Iré. Le vieux célibataire, qui avait servi dans l’armée de Condé comme officier, vivait avec ses souvenirs en son château de Noyant-La-Gravoyère. L’écouter échanta toujours Alfred de Falloux. Cet homme simple à la vie rendue modeste par l’émigration incarnait pour Alfred de Falloux le gentilhomme segréen par son inépuisable générosité qui « lui interdisait de refuser jamais rien à un pauvre ». Sa maîtrise de l’art équestre en faisait un cavalier émérite à la monte fort appréciée du voisinage. Un goût prononcé pour la valse, hérité de son émigration polonaise, animait sa vieillesse quand au son du piano, l’aristocrate valsait « avec une grâce et une distinction du plus pur ancien régime » dans sa salle à manger avec pour toute danseuse une chaise en osier. D’après ses Mémoires Alfred de Falloux fut impressionné par cette caricature : le Chevalier de Candé lui paraissait le monde de l’émigration par excellence.
38Leur sociabilité conduisait les Falloux à côtoyer le Vicomte de Turpin et sa femme. Le vieux couple, « débris de l’ancienne cour », logeait dans leur petite maison de la Ferté, près du bourg de Loiré. La Vicomtesse de Turpin, née Brongas, conservait par nostalgie la tenue et le langage de sa jeunesse, contrairement à son époux qui avait adopté les usages de leur situation campagnarde.
39Tout le voisinage était imprégné dans sa chair des temps tragiques des guerres de Vendée : à Sainte-Gemmes-d’Andigné le comte Louis de Dieusie vivait avec le souvenir de la mort de son grand-père décapité à Paris le 15 avril 1794, alors que son frère, entré dans la chouannerie, avait péri lors d’un combat à la Croix-des-Demoiselles. Dans la commune de Challain, proche de Candé, vivait un gentilhomme du pays, le général Leroy, comte de la Potherie. Ancien officier d’infanterie avant la Révolu-tion, il avait du émigrer puis s’engager dans l’Armée des Princes de 1792 à 1795. Rentré en France en 1801, il avait participé à la levée de l’Ouest en 1815.
40La fonction de maire du Bourg d’Iré amenait Guillaume de Falloux à fréquenter M. de Veillon de la Garoullaye. Ce gentilhomme campagnard ne lisait que la presse royaliste, au retour de la chasse et des discussions habituelles avec ses métayers. Il avait, lui aussi, participé à la levée de l’Ouest en 1815. Pour Falloux, M. de Veillon personnifiait l’angevin : attaché à son roi et à sa religion autant qu’à son terroir. Une telle personnalité produisait une forte impression sur le jeune Falloux.
41M. de Veillon de la Garoullaye incarnait pour le jeune aristocrate ce que devait être un gentilhomme : un campagnard qui « est en même temps actif et sédentaire, sensible à l’honneur, inaccessible à l’ambition (qui), sert son pays sans quitter son foyer. Son corps est robuste parce que son âme est paisible ». Nul doute pour le jeune novice : s’il devait un jour devenir un gentilhomme campagnard, il serait à l’image du truculent monsieur de Veillon.
42La fin du mois d’août annonçait le retour à Angers : les six lieues (44 kilomètres) qui séparaient Segré du Lion d’Angers étaient couvertes en une journée de charrette à bœufs. Comme à l’aller, la famille Falloux s’arrêtait à l’auberge de la Boule d’Or pour repartir, à l’aube, en direction d’Angers dans une voiture de louage à deux roues, équipée de deux banquettes que tractait un cheval.
43De retour à Angers, la vie quotidienne reprenait alors son cours immuable, entre les études au collège royal d’Angers et les habitudes de l’Impasse des Jacobins. Jusqu’au 13 février 1820, date de l’assassinat de Charles-Ferdinand de Bourbon par Louvel. Tel Ravaillac en son temps, il frappa, de son couteau, au cœur de la royauté française. Ce parallèle avec le meurtre d’Henri IV n’échappa pas à Chateaubriand, qui le rappela dans son oraison funèbre au prince, le 14 mars, en la basilique de Saint-Denis.
44Les légitimistes furent en deuil.
45Charles-Ferdinand laissa sa jeune épouse, la duchesse de Berry, avec son enfant à naître. Celui-ci vînt au monde au palais des Tuileries, le 29 septembre 1820, jour de la Saint-Michel, patron de la France. La duchesse de Berry décida d’appeler « l’enfant du miracle » Henri, comme Henri IV.
46Plusieurs explications fûrent avancées pour expliquer le choix : la duchesse déclara avoir vu, en songe, Saint-Louis couronner son fils roi de France ; le père de l’enfant ne fût-il pas été assassiné comme Henri IV ? Enfin Henri IV n’était-il pas le roi de France le plus populaire ?
47La duchesse de Berry eut également comme habitude de berçer son fils en lui chantant, à l’instar de Jeanne d’Albret, le « Vive Henri IV ».
La scolarité au collège royal d’Angers
48L’année 1820 marqua une étape dans la vie d’Alfred de Falloux : l’entrée au collège.
49Alors âgé de 9 ans, Alfred intégra en tant qu’externe le collège royal d’Angers, dirigé par l’abbé René Régnier. Situé à l’est de la ville dans le faubourg Bressigny, l’édifice portait alors le nom de Rossignolerie. Les lycéens observaient les règlements de Napoléon Ier et les règles pédagogiques de Charles Lhomond.
50Une discipline rigoureuse pour un enseignement classique de quatre années, de la 8e à la 5e que Falloux partagea avec Prosper Guéranger, Guillaume Meignan, Cyprien Robert et Théodore Pavie. Appliqué et stu-dieux, l’élève Falloux fit une scolarité honorable couronnée de nombreux prix. Ce qui fit écrire au proviseur « cet enfant promet beaucoup ». Les mathématiques constituaient un obstacle insurmontable pour cet esprit littéraire déjà affirmé. Le terme de ces quatre années de scolarité et les obligations d’une bonne instruction décidèrent l’autorité parentale à parfaire l’éducation des deux garçons : Frédéric de Falloux et Alfred de Falloux achevérent leurs études dans le Paris de la Restauration.
51Falloux dut se résigner à quitter son microcosme.
Notes de bas de page
1 L’étymologie du nom viendrait du latin Flavus qui signifie « roux », ou bien du breton Fall signifiant « trompeur ».
2 La branche Falloux du Lys tire son nom de la terre du Lys, située en la commune du Puy-Notre-Dame, dans les environs de Montreuil-Bellay. Michel-François Falloux, sieur du Lys (1654-1740) fut la figure symbolique de la branche du fait de sa charge de maire d’Angers.
3 La branche Falloux de Châteaufort était originaire de Touraine. Son représentant au XVIIIe siècle était René-Paul Falloux, Sieur de Chanzé, Conseiller du Roi, Auditeur en la Chambre des Comptes de Bretagne.
4 Les 21 000 francs (soit 73 632,8 d’euros) de la dot apportée par Loyde de Fitte de Soucy permirent l’achat de ces terres.
5 Jean Jamet l’acquit en 1636. Son arrière-petite-fille Marie-Madeleine épousa François Falloux qui le transmit à sa descendance.
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