La gauche marxiste, le libéralisme politique et la libéralisation des mœurs
p. 319-343
Texte intégral
1En juin 1968, Valéry Giscard d’Estaing analyse la crise qui s’achève. Il veut y voir le symptôme d’une inadaptation de la société à son époque et suggère d’y répondre, non par la répression, propre à accentuer ce décalage, mais par la modernisation et la libéralisation1. Quelques années plus tard, les mesures demeurées emblématiques de son septennat, dont l’abaissement de la majorité électorale à 18 ans, la loi relative à la condition des détenus ou les lois sur l’IVG et le divorce par consentement mutuel, participent de cette exigence2. Elles constituent une adaptation pragmatique aux évolutions des mentalités et des mœurs dont mai-juin 1968 fut le symptôme et l’accélérateur plus que la cause. Aussi les sondages réalisés en 2008 qui révèlent une adhésion très majoritaire des Français à la libéralisation des mœurs advenue quarante ans plus tôt pourraient-ils aussi bien être interprétés comme un soutien à la politique de libéralisation giscardienne qu’à 1968. Ce « libéralisme avancé », tel que théorisé par le chef de l’État lors du premier anniversaire de son septennat avant que de l’être dans Démocratie française, interpelle en termes inédits ce que nous qualifierons de gauche marxiste, en englobant sous cet intitulé le Parti communiste, le Parti socialiste refondé au congrès d’Épinay, quand même est-il éminemment plus composite3, mais également la CGT, alors « arrimée à la réflexion théorique du PCF4 ».
La gauche marxiste et le « libéralisme avancé »
2Ces organisations se trouvent théoriquement démunies face au libéralisme ainsi formulé.
3Depuis le début des années 1970, elles s’accordent à dénoncer une « crise profonde5 » ou « globale6 » qu’elles appréhendent comme une crise du capitalisme monopoliste d’État7, du « capitalisme mondial8 » ou de l’« occident capitaliste »9 ». On ne saurait en sortir que par une rupture radicale avec le système incriminé10 qu’elles croient, toutes, imminente. Le Programme commun de gouvernement dont les orientations sont résolument keynésiennes s’en veut l’instrument stratégique. En juin 1972, il est ratifié par le PCF, le PS et les radicaux de gauche.
4Les notions de « crise de civilisation11 » ou de « crise de société12 », ces leitmotivs de l’après 1968, contreviennent au marxisme (ré) affirmé des organisations concernées en ce qu’elles suggèrent une autonomie du social et des questions dites de société (qu’on ne saurait confondre avec la « question sociale », telle qu’appréhendée durant plus d’un siècle par les organisations de classe). Le Programme commun de gouvernement se réclame, assurément, d’une approche globale de la société, mais conditionne strictement les changements revendiqués à telle échelle à la transformation préalable des structures économiques, en perpétuant une approche en termes d’infrastructures et de superstructures.
5C’est leur inscription dans une histoire commune qui a jusqu’alors permis à ces organisations de penser l’existence de libertés et de lois de protection sociale dans une France pourtant demeurée capitaliste. Toutes héritières de cette séquence refondatrice de la synthèse républicaine qu’a été la décennie 1936-1946, elles doivent, en effet, aux liens qui se sont noués à sa faveur entre de nouvelles cultures de la mobilisation et de la régulation d’avoir pu se réclamer de la défense des libertés menacées comme de la conquête de libertés nouvelles et de droits sociaux sans avoir le sentiment de contrevenir aux démystifications marxistes de la démocratie libérale, du libéralisme politique13, de l’État social ou du compromis keynésien14. L’autoritarisme du régime gaulliste puis la radicalisation politique consécutive à 1968 les confortent, un temps, dans cet héritage qui ne conçoit de libertés dans la société bourgeoise que conquises et constamment défendues15. Mais à cet égard, le libéralisme giscardien s’inscrit en rupture.
6Dès lors, comment aborder des « libertés » nouvelles qui répondent à des aspirations sociales reconnues, mais contreviennent à leurs certitudes théoriques et s’affirment à contretemps d’une phase de mobilisation, de l’initiative d’un gouvernement de droite, dans un système inchangé ? Les questions les contraignent à une contre-offensive qui s’opère sur divers modes. Tous confèrent une centralité sans précédent à la question des libertés.
Dénoncer le « prétendu libéralisme »
7Sous la présidence de Georges Pompidou, la politique répressive du ministre de l’Intérieur16 a conforté ces organisations dans leur combat contre l’autoritarisme du régime ou du système, amalgamés. Le libéralisme giscardien n’infléchit pas cette approche exprimée à la fois dans Changer de cap et dans Changer la vie, respectivement élaborés en vue des négocaitions pour l’élaboration d’un programme commun de gouvernement par le PCF et le PS17. Que les réformes entreprises diffèrent de celles de Jacques Chaban-Delmas en ce qu’elles s’adressent aux individus plus qu’aux acteurs collectifs qui, tels les syndicats, sont aisément considérés comme des obstacles à l’établissement d’une démocratie pacifique18 vaut, toutefois, à ces derniers de devoir s’impliquer au premier chef dans ce combat perpétué.
8Lors du 39e congrès de la CGT, Georges Séguy dénonce un « véritable complot ourdi contre le libre exercice du droit syndical et du droit constitutionnel19 ». C’est ensuite à Marcel Caille20 d’inviter à faire front « à la grave menace que font peser le pouvoir et les forces réactionnaires sur les libertés démocratiques, sur les droits syndicaux, sur les libertés individuelles et collectives ». Il dénonce la désinformation et la répression à l’œuvre dans les récents conflits (postiers, Renault, Parisien libéré21) et met en accusation « les milices, le SAC (Service d’action civique), les chiens, des policiers, des gangsters, les anciens de l’OAS… Les syndicats maisons type CFT (Confédération française du travail) » mais également les représentants du patronat au Conseil économique et social qui viennent de revendiquer la « liberté » pour les salariés d’être candidats, dès le premier tour des élections des délégués du personnel ou du comité d’entreprise pour ainsi favoriser l’élection de « candidats “bidons” qui ouvriront la porte à ces syndicats avec l’aval des ministres concernés22 ». Et de qualifier « cette vaste entreprise, véritable concentré d’illégalité, véritable subversion » propre à « pourrir la vie publique » de « résurgence du fascisme23 ».
9Les partis politiques ne désertent pas ce terrain24, mais sont confrontés à une situation plus contradictoire. Ces organisations ayant vocation à contribuer à l’élaboration de la loi ont inscrit à leur programme la plupart des mesures de libéralisation des mœurs initiées par Valéry Giscard d’Estaing depuis 196525 quand ce n’est bien avant26. Elles en ont réaffirmé l’exigence dans leurs programmes respectifs sur des modes qui, il est vrai, parfois diffèrent27 et, dès lors, naturellement, dans les chapitres 9, 10 et 11 du Programme commun de gouvernement.
Un ralliement de fait au libéralisme politique28
10À partir de 1974, les parlementaires socialistes et communistes s’essaient à amender les projets de loi relatifs à la libéralisation des mœurs pour les infléchir au plus près de leurs exigences, mais les votent et, s’agissant de la loi Veil qui divise en profondeur la majorité, en permettent l’adoption29. Ce vote à l’arrachée et la conjoncture difficile incitent Valéry Giscard d’Estaing à de premières réorientations, perceptibles à partir d’avril 197530. La discussion sur le projet de loi relatif au divorce par consentement mutuel se ressent de la priorité que le chef de l’État déclare, désormais, conférer à la famille, promue « cellule essentielle d’organisation de la société libérale avancée ». Les interventions du rapporteur à l’Assemblée nationale et du garde des Sceaux Jean Lecanuet attestent de la nécessité ressentie de désamorcer les résistances au sein de la majorité31. La gauche parlementaire se saisit des contradictions devenues perceptibles. La communiste Hélène Constans dénonce la « mauvaise conscience » du gouvernement qui « évoque l’évolution des mœurs » mais « tente de se raccrocher à une conception de la famille qui est dépassée » et de « sauvegarder ce qui doit l’être ». Elle souligne le « prétendu libéralisme » de la loi, perceptible à qui la compare avec son précédent de 1791, et veut y voir « le mouvement d’une pensée nettement conservatrice et réactionnaire32 ». Du moins vote-t-elle la loi. La gauche marxiste peut, ainsi, continuer à attribuer les « avancées33 » à ses combats34 conjugués à l’exigence sociale pour, ainsi, les réintégrer dans le cours d’une histoire demeurée sienne. Elle s’essaie également à l’offensive.
11Le 26 février 1975, le ministre de l’Intérieur annonce la création d’une commission chargée de proposer au gouvernement un code des libertés fondamentales. En avril 1974, François Mitterrand s’était engagé à soumettre au vote du Parlement un projet de charte des libertés et des droits des Français en cas de victoire. Il s’attribue la paternité de l’initiative gouvernermentale et précipite le mouvement. Le 13 mai, Robert Badinter et lui-même présentent à la presse la Charte des libertés et droits fondamentaux35, élaborée par un aréopage de personnalités n’appartenant pas toutes au PS36. Deux jours plus tard, le PCF rend publiques ses propres propositions, « soumises à la discussion des Français37 ». Le texte socialiste présente l’originalité de reconnaître le droit à l’euthanasie et « un droit au plaisir », supposant celui de « mener les activités sexuelles de son choix ». À ce titre, il mentionne explicitement l’homosexualité, qu’il tient pour « une des expressions de la liberté fondamentale de son corps38 ». Du moins n’est-il pas, précise François Mitterrand, « la doctrine ou le programme du parti qui dira à son heure ce qu’il en pense, en pareille matière ».
12Le texte communiste, muet sur ces questions, se veut une « actualisation de la déclaration de 89 intégrant les libertés politiques et droits sociaux » et entend affirmer le « rôle défricheur du PCF en matière de liberté39 », en s’écartant, en particulier, du fonds commun libéral en matière de droit du travail. En décembre 1975, il se mue en projet de loi constitutionnel40 déposé trois jours après celui de la majorité qui entend, pour lui, « réaffirmer les principes fondamentaux de nos libertés individuelles en les adaptant aux nécessités de notre temps41 ». Le groupe socialiste dépose alors, à son tour, un texte succinct relevant de la pétition de principe42.
13Les propositions socialistes et communistes ont pour effet pervers de souligner que les difficultés de la gauche marxiste sont également théoriques, montre Olivier Duhamel à qui nous renvoyons pour une analyse plus approfondie de ces textes. En acceptant de placer les libertés au-dessus du pouvoir43, elle rompt avec le jacobinisme babouviste et/ou le léninisme qui l’ont caractérisé jusqu’alors et opère un ralliement au libéralisme politique qui, toutefois, demeure implicite. Non sans possibles ambiguïtés. Une variante ténue entre Vivre Libre et le projet de loi communiste en constitue un bon exemple. Là où le premier texte évoquait « le préambule de la constitution, elle-même modifiée dans les limites prévues par le Programme commun de gouvernement », le second se réfère au « préambule de la constitution, rédigé comme suit44 » en postulant donc une libéralisation possible dans le cadre constitutionnel existant. Que son statut lui interdise de reprendre la formulation initiale ne dispense pas de souligner les problèmes théoriques inhérents à la formulation nouvelle.
14À court terme, la stratégie présidentielle de François Mitterrand constitue pour le PS un moyen de régler la contradiction par le haut, à la faveur d’une conquête du pouvoir qui institue l’État en instrument de la rupture45. Les nationalisations et leur « seuil » jouent ce même rôle pour le PCF. Là s’arrêtent, pourtant, les similitudes. Chez les socialistes, la complexité résultant de la multiplicité des courants, accrue par les Assises du socialisme, autorise une évidente fluidité dont Liberté, libertés constitue une excellente expression. Rien de tel chez les communistes, de surcroît contraints à s’engager plus avant dans la voie du ralliement au libéralisme politique pour tenter de contrer l’offensive idéologique qui s’engage, alors, à leur encontre.
Le PCF, entre libéralisation politique et libéralisation culturelle. Étude de cas
15En décembre 1968, le comité central du PCF réuni à Champigny s’était interrogé sur les voies de passage au socialisme spécifiques à la France et avait introduit la notion (le concept ?) de « démocratie avancée ». Que cette appropriation stratégique et offensive de la démocratie se soient opérée quand les ripostes à l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie contraignait ce parti à la défensive valut à ce terme de devenir stratégique au regard de tous. C’est en son nom que s’engagèrent des offensives qui le prenaient pour cible et c’est son nom que le PCF s’essaya à les contrer. Démocratie et démocratisation s’imposèrent en conséquence pour des maîtres mots du discours communiste. Un basculement s’opère à partir de 1974, quand l’Archipel du goulag et l’offensive des nouveaux philosophes instituent la notion de liberté en arme entre toutes contre l’URSS et le PCF46.
16Certains aspects du 39e congrès de la CGT et Vivre libres !, déjà évoqués, participent de la contre-attaque47 que le Parti communiste engage en réponse sans, pourtant, s’y réduire. Le PCF affirme avec force que socialisme et liberté sont indissociables. Il prend ostensiblement ses distances vis-à-vis de l’URSS et, lors de son XXIIe congrès, ouvert en février 1976, se réclame une « ère nouvelle pour la liberté » et abandonne toute référence à la Dictature du prolétariat. Au risque de « révéler sa faiblesse face à l’idéologie dominante et face aux dénonciations du phénomène totalitaire48 » et sans aborder frontalement les incidences théoriques d’un tel abandon et ses effets sur la nature du parti et sur sa nécessité historique. Nous ne reviendrons pas sur cet aspect bien connu de l’histoire intérieure du PCF. Nous nous attarderons davantage sur le débat sur la morale qui surgit à cette occasion.
17Ce vif débat a été analysé, à chaud comme à froid, comme une diversion menée par la direction du parti qui, contestée sur le terrain de l’abandon de la Dictature du prolétariat49, aurait ouvert un second front, théoriquement mineur mais propre à détourner son opposition interne de l’essentiel. Il présenterait à cet égard d’évidentes parentés avec le débat sur la contraception lancé par Jeannette Vermeersch en 1956. Comme si, dans ces deux circonstances où il se trouvait affecté dans son essence par des remises en cause de l’État de type nouveau, fondateur de sa nécessité historique, le PCF se repliait sur cet autre marqueur identitaire qu’est l’éthique ouvrière50. Au prix d’une césure avec les intellectuels et nonobstant les apports des intellectuels spécifiques membres du parti sur ces questions51 mais non sans indéniables succès tactiques, du moins à court terme. La réinscription de ce débat dans ceux qui traversent alors la société française et l’ouverture des archives du PCF qui le concernent52 autorisent une interprétation moins réductrice.
18Il convient donc de revenir brièvement sur ce qui fait controverse dans le pays dans les quelques semaines précédant l’ouverture de ce congrès.
Le financement du cinéma pornographique ou les contradictions du libéralisme culturel
« La liberté est […] aujourd’hui fragmentée, souligne l’exposé des motifs de la proposition de loi dite “de la liberté”, soumise en décembre 1975 par des élus de la majorité. Chacun a tendance à l’apprécier à l’appui de ses intérêts ou de sa cause partisane, sans percevoir son indispensable unité. La liberté […] tend à devenir une arme pour diviser les citoyens entre eux […]. La République [et, ajouterons-nous, la société] est [sont] à la recherche de sa [leur] cohérence53. »
19Dans sa préface à Liberté, libertés, François Mitterrand évoque, pour lui, les « libertés disjointes » que définit le capitalisme54. Le débat qui s’engage sur la question du cinéma pornographique, fin 1975, en constitue une parfaite illustration.
20Dès avril 1974, Valéry Giscard d’Estaing a annoncé sa volonté de supprimer toute censure au cinéma. Il réitère en février 1975 devant des professionnels en maintenant, du moins, le principe de la protection des mineurs. Son ministre de la Culture entreprend simultanément de libérer les films de la commission de contrôle cinématographique et prépare un projet de loi relatif à ces questions. Les films érotiques et pornographiques doivent à ce climat redéfini comme au soutien automatique dont ils bénéficient de connaître un âge d’or. Ils envahissent les écrans et s’affichent agressivement dans l’espace public55 en contraignant chacun à prendre la mesure de l’« évolution foudroyante » que les mœurs ont connu56. « Les Français et leurs élus […] ont le devoir de savoir que durant l’année de la femme, 60 ou 70 millions de francs sont sortis des caisses de l’État alimentées par les spectateurs pour commanditer ce que je considère comme la forme la plus insoutenable de la perversion […] : celle qui fonde sur la “femme-objet” comme l’on dit aujourd’hui, un vrai négoce de la cruauté », rendant ainsi manifeste les « contradictions inhérentes au libre jeu du libéralisme culturel », déplore Maurice Schumann devant les sénateurs57. L’ampleur des réactions venues des horizons les plus divers incite à surseoir au débat sur le projet de loi, « le gouvernement craignant vraisemblablement que les parlementaires sensibles à l’irritation d’une large partie de la population ne transforment en texte répressif ce qui se voulait le statut d’un libéralisme à l’écran58 ». En octobre, dans un climat marqué par les réorientations précédemment évoquées, le président de la République invite son gouvernement à endiguer « la vague de pornographie, de violence et de perversion ». La contre-attaque engagée au Sénat à propos du titre du budget de la culture, fin 197459, resurgit l’année suivante avec plus d’ampleur à l’occasion du débat sur la loi de finances dont article 10 prévoit l’institution un classement X ayant pour effet l’interdiction aux mineurs et des pénalisations fiscales et financières. Le ministre des Finances qui juge recevable l’argument selon lequel ce texte risquerait de pénaliser certains créateurs tels Bergman, Losey, Fellini ou Pasolini60 accepte l’amendement Marette qui restreint son champ d’application aux publications et spectacles « pornographiques ou pervers ». En septembre 1975, le journaliste Claude Cabannes consacre une enquête éminemment critique à la production des films concernés qu’il publie dans l’Humanité dimanche (l’HD)61. Il cite là les déclarations du chef de cabinet de Michel Guy à un journal du soir – « le phénomène pornographique n’est que l’un des aspects de la libération générale voulue par M. Giscard d’Estaing » – et les propos d’un chroniqueur de télévision : « la France giscardienne vient d’opérer un fabuleux glissement stratégique en abandonnant le camp méridional de l’Europe autoritaire et révolutionnaire pour l’Europe du Nord libérale et sociale-démocrate62 ». Force est, pourtant, de constater qu’il n’est aucun parlementaire pour argumenter de la sorte ou créditer la production pornographique de la moindre vertu (quand elle trouve, pourtant, quelques avocats parmi l’abondant courrier des lecteurs suscité par la photographie de la devanture d’un cinéma parisien affichant une femme quelque peu dévêtue dans une position lascive qui fait la une de ce numéro de l’HD)63. Lors du débat sur la loi de Finances, Emmanuel Hamel, député républicain indépendant, revient sur ce phénomène qui soulève « la réprobation des familles saines et nuit à l’élévation du niveau de l’esprit public64 ». De leur côté, les élus communistes dénoncent « une forme de violence intellectuelle et morale65 », « une insulte aux femmes, aux hommes, aux couples66 ». Le sénateur socialiste et membre de la commission de contrôle cinématographique Jacques Canat, pareillement critique, se réclame de l’opinion publique67 et Claudius Petit, de « la France populaire, la France de tous les jours, la France des villages et des villes » qu’on ne saurait confondre avec « une certaine société » qui se complaît dans la lecture ou la vision d’Histoire d’O « où l’accomplissement de la femme se fait dans un avilissement [donnant] raison à ceux qui pensent que Hitler a gagné la guerre68 ».
Dans l’HD, no 24, Lucien L., de Dax livre une description d’un samedi soir ordinaire « dans une petite ville du Sud-Ouest » qui contrevient à cette assertion. Il raconte avoir assisté à la projection d’un film porno « en voyeur du public plus que du film » et décrit « un public populaire composé essentiellement d’ouvriers, de paysans venus des campagnes avoisinantes », composé « presque exclusivement de couples » avec une prédominance, quoique non exclusive, de jeunes, « beaucoup en bandes ». « La plupart […] paraissaient se connaître, riaient très fort, s’interpellaient, faisaient des commentaires à haute voix ». Et d’inviter à tenir compte de ce que « Paris n’est pas la France ». si Paris est bien « le lieu privilégié d’une société en décomposition […], à 700 kilomètres, dans une société qui n’a pas été atomisée et déshumanisée comme dans la région parisienne, on voit les choses différemment ».
21Mais cette unanimité n’induit pourtant pas un vote qui le serait aussi.
22En 1974, Jacques Carat, s’autorisait à rendre hommage aux intentions présidentielles avant de dénoncer les « graves conséquences d’une politique qui se [voulait] libre et [qu’il croyait] laxiste » et ses possibles effets pervers pour les libertés. Il disait, en effet, redouter que la suppression de toute interdiction ne revienne à transférer des pouvoirs exorbitants en la matière au ministre de l’Intérieur, à un tribunal correctionnel saisi par quelque association d’utilité publique ou aux maires, contraints par « la pression de leurs administrés [à] exerce[r] une censure locale, la pire de toutes ». Pour conclure « qu’il y a des abus de liberté comme il y a des abus de droit et [que] c’est la liberté qui en meurt69 ». Il s’inscrivait sur ce point en parfaite convergence avec Maurice Schumann70.
23Les argumentaires et leur traduction politique se modifient singulièrement l’année suivante. Le socialiste Charles Josselin accuse la production pornographique d’être « un des avatars que connaît l’industrie cinématographique à cause de l’exaltation financière et de l’exaltation du profit dans cette société. […] Pendant longtemps […] le capitalisme a poussé la bourgeoisie à entraver la création au nom d’une morale hypocrite », poursuit-il. Aujourd’hui, il change résolument d’attitude pour « trouver de nouvelles sources de profit, justifier la violence répressive devant la montée des luttes, présenter cette libéralisation comme une concession morale destinée à sauvegarder l’essentiel71 ». Le communiste Jack Ralite veut y voir la conséquence extrême d’un système « qui, par nature, traite l’homme comme une marchandise » et, à son tour, soupçonne le pouvoir de vouloir utiliser ce « fruit avancé du régime capitaliste en crise pour porter de nouveaux coups à la création cinématographiques et aux libertés populaires tout en ramassant au passage un profit financier », soit « une sorte de proxénétisme d’État72 ». À gauche, cette commune incrimination du capitalisme génère un même constat : ce déferlement de films exploitant la violence et de pornographie « de médiocre qualité73 » n’est qu’une expression paroxysmique de la crise de société (au sens que la gauche marxiste confère à ce terme). Des analyses sont proposées qui relèvent d’un déterminisme historique parfois radical74.
24Les parlementaires de tous bords déplorent de devoir aborder des questions relevant au premier chef de l’éthique et des questions de société « à la sauvette, par l’intermédiaire d’un article du projet de loi de finances75 » et « qu’on s’essaie à résoudre par l’argent ce qui constitue un problème moral, un problème de culture, un problème de société76 ». La droite vote du moins l’article 10 modifié par l’amendement Marette quand la gauche s’y refuse en disant craindre pour la liberté d’expression et de création et se réclame de « la conciliation nécessaire entre la liberté d’expression et de création et la liberté du spectateur » tout en devant admettre que « ce n’est pas facile77 ». La droite répond par le sarcasme. Elle dénonce cet « anathème lancé contre la censure par ceux qui rêvent de pays qui maintiennent la morale publique au prix d’une censure permanente78 » et accuse le PCF « de vouloir confisquer le balai pour établir la preuve que l’assainissement d’une société libérale est une entreprise chimérique et que le bon calcul est d’accélérer sa décomposition79 ».
25Le débat sur la morale, surgi à l’occasion du XXIIe congrès du PCF, est strictement contemporain du ralliement implicite de la gauche marxiste au libéralisme politique et de ces questions soulevées par les « contradictions du libéralisme culturel ». L’originalité tient à leur soudaine conjonction.
Le XXIIe congrès du PCF et le débat sur la morale
Une diversion politique
26Dans le cadre de la préparation du congrès, une tribune de discussion est ouverte dans France nouvelle et dans l’Humanité sous la responsabilité du comité central. La commission ad hoc reçoit 604 contributions80, dont 87 publiées entre le 1er décembre 1975 et le 31 janvier 1976. Durant plus d’un mois, beaucoup se focalisent sur la question des libertés que le projet de résolution entend garantir à chacune des étapes de la construction du socialisme. Jean-Pierre Besse (dont la contribution devient un pivot du débat) craint qu’elles ne soient utilisées par l’adversaire81. Mêmes inquiétudes chez ceux qui se réclament du fameux « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté », réaffirment le bien fondé des notions de « libertés formelles » et de « libertés bourgeoises82 » ou soulignent, après d’autres, que « nombre de libertés sont antagoniques entre elles83 ». La teneur du débat s’infléchit après que Georges Marchais ait explicitement assumé l’abandon de la Dictature du prolétariat lors d’une interview à Antenne 2. Une première contribution critique paraît dans l’Humanité du 5 janvier84. Le lendemain, ce même quotidien publie deux contributions ayant trait à la « morale85 ». Le projet de résolution fait désormais l’objet d’une double critique. Certains craignent que le libéralisme politique (que nul ne qualifie de la sorte et qui demeure un impensé théorique), perpétué après la victoire de la gauche, ne désarme la classe ouvrière. D’autres, et parfois les mêmes86, jugent le projet timoré en matière de libération des mœurs. Des lignes de front se dessinent qui sont susceptibles de combiner libéralisme politique et libéralisation des mœurs sur divers modes.
27Dans un paragraphe intitulé « nous voulons la Fraternité », le projet de résolution accuse cette « jungle » qu’est la société capitaliste d’être à l’origine de la
« […] violence […] qui marque les rapports humains, des scandales, de la pornographie, devenue une énorme affaire commerciale, de la criminalité […]. Nous, communistes, nous disons que tout cela manifeste la pourriture d’un système, la décadence d’un monde. […] Nous combattons la violence, la haine, le racisme, l’immoralité. La société que nous voulons reconnaîtra à chacun la liberté de vivre pleinement sa vie. Cela n’a rien à voir avec l’exaltation de la brutalité ou avec l’étalage de la perversion. La fin de l’exploitation du travail salarié, le progrès du bien-être et de la justice sociale, l’égalité entre les hommes et les femmes favoriseront l’élévation morale de toute la société, l’apparition de valeurs morales nouvelles87 ».
2823 des 400 contributions reçues avant qu’un tournant ne s’opère, le 16 janvier, soit 6 %88, concernent ce paragraphe qu’elles proposent d’amender aux fins de le clarifier. Des amendements allant dans le même sens sont soumis à la plupart des conférences fédérales qui se déroulent alors même89. Le 16 janvier, l’Humanité publie une contribution de Guy Poussy. Le secrétaire de la fédération du Val-de-Marne, qui se trouve être celle de Georges Marchais, se prévaut de sa qualité de membre du comité central pour s’attaquer aux deux contributions critiques parues dix jours plus tôt et se réclame des « simples gens90 » pour défendre le projet terme à terme. Dans un texte où l’usage du point d’exclamation se veut à la mesure d’une indignation clairement signifiée, il affirme, notamment que « la libération de la classe ouvrière ne passe quand même pas par la libération de l’instinct sexuel », « qu’il y a des perversions91 » puis conclut en citant un « travailleur communiste » qui lui aurait dit, il y a peu : « La révolution, ce n’est pas la caserne, mais ce n’est pas non plus le bordel… »
29Que les hasards de l’actualité vaillent à cette contribution (délibérément ?) outrancière de voisiner avec un article rendant compte d’une mise en garde du Vatican contre la contraception et les rapports sexuels prénuptiaux contribue à radicaliser la riposte au sein du parti. Quand même une contribution de Lucien Marest, permanent au secteur intellectuel, parue cete même semaine dans France nouvelle, s’essaie à prendre la défense du projet de résolutions sur un mode sensiblement plus mesuré92. 67 des 204 contributions adressées après le 16 janvier, soit 32 %, se focalisent désormais sur cette question. À trois exceptions près, toutes réagissent au texte de Guy Poussy en des termes souvent violents et passionnels, à l’aune du texte incriminé. La tribune de discussion ne publie toutefois que les seules contributions à décharge émanant, pour deux d’entre elles d’une journaliste à l’Humanité et d’un vétéran, ouvrier chez Creusot-Loire93. La direction du parti met, alors même, en avant l’unité du parti pour obtenir de la plupart des conférences fédérales94 qu’elles refusent tout amendement concernant ce paragraphe, quand aucun ne pose pourtant de problèmes stratégique ou théorique. Au risque « d’esquiver le débat fondamental et difficile sur la sexualité et la morale dans la société socialiste95 ». Ce bref rappel et une note manuscrite retrouvées dans les archives du Parti communiste96 contribuent à fonder la thèse de la diversion délibérée. Mais cette dimension politicienne et ce qu’elle révèle des modes de fonctionnement du parti97 n’interdisent pas de tenir également ces textes pour un état du discours social.
Le débat sur la morale : un état du discours social
30En présentant le projet de résolution, Jean Kanapa soulignait que parti avait été pris de le rédiger dans le langage de tous, en rupture assumée avec le lexique traditionnel du parti. La question de la pornographie ou certains des termes qui vont prêter à gloser sont, de fait, directement empruntés aux débats contemporains dont on vient de rappeler la teneur. Ainsi, « perversion », a-t-il été lancé peu avant dans le débat public par Valéry Giscard d’Estaing98. Plusieurs intervenants n’en critiquent pas moins la psychologisation du vocabulaire, son « humanisme non scientifique99 », son « idéalisme philosophique100 » et le caractère non scientifique de « concepts » tels qu’« immoralité » sexuelle ou « perversion101 ». D’autres, ou parfois les mêmes, déplorent l’incapacité du parti à « faire une analyse matérialiste et dialectique sur les problèmes de mœurs102 » et suggèrent de mieux intégrer les apports des classiques du marxisme-léninisme103, de la conférence d’Argenteuil, de Lucien Sève104, des psychanalystes, communistes105 ou non106, et, plus rarement mentionnées, des sciences humaines107 qui, seules, permettraient au parti de penser l’autonomie du social. D’autres encore s’inquiètent de ce
« […] que vont comprendre les gens : Sur le porno : que nous en condamnons le contenu, non le rôle économique et cela sur la base de son immoralité, ce qui dans l’esprit de l’immense majorité ne peut faire référence qu’à une notion d’atteinte à la “pudeur” par le spectacle du nu et, oh horreur, d’actes sexuels sortant de la norme imposée par “la morale”. Sur la sexualité : que nous reprenons à notre compte cette vieille morale pudibonde, obscurantiste, médiévale qui condamne toute sexualité qui sort de la norme et interdit que soit montré l’axe sexuel même normal108 ».
31Certaines lettres parues dans l’HD alimentent leurs craintes109 dès avant la contribution de Guy Poussy. Aussi suggère-t-on des réécritures permettant de clairement se démarquer « des sempiternels moralistes réactionnaires de style vieille France », de l’esprit « ligue de moralité », de la « pudibonderie et de la bêtise110 ». Plusieurs contributions déplorent que le parti tente vainement de se concilier les chrétiens en empruntant leur langage111, au risque de conforter les courants les plus rétrogrades de l’Église112. D’autres estiment que les frilosités du parti, quand ce n’est son moralisme113, ont pour meilleur effet de lui aliéner les jeunes, les intellectuels et les cadres114, abandonnés du même fait aux impasses giscardiennes115 et aux illusions gauchistes, par quoi s’entend un gauchisme culturel, dénoncé tout à la fois par les partisans et que par les adversaires du projet de résolution.
Contribution no 413 : « Donner à la vie une valeur et une saveur que la société actuelle est incapable d’offrir, pas plus que les mots d’ordre gauchistes de jouissance tous azimuts [qui] vont dans le sens de certaines formes ultra individualistes et de l’idéologie dominante [et] ne proposent en fait comme remède au malaise moral que la recherche du plaisir. » No 472, universitaire, Paris : « Doit-on laisser ces questions aux gauchistes. Ce serait leur faire un cadeau inespéré et ralentir la diffusion de nos idées chez les jeunes et dans de nombreuses couches avec lesquelles nous [construison] s une alliance solide. » No 500, Ain : « Ne pas laisser le problème aux gauchistes au nom de la « crise globale, réponse globale » mais apporter dans nos réponses beaucoup de prudence. » No 517, journaliste, Bègles : « Pour un épanouissement sexuel aujourd’hui dénaturé par la bourgeoisie d’un côté, le gauchisme de l’autre. » No 489, EDF, Paris : « C’est notre absence sur ce terrain qui a ouvert la voie aux Reich et Marcuse. » L’Humanité, 27 janvier 1976, un délégué à la conférence fédérale de la Gironde se prononce pour un texte qui « ne pas cautionne pas l’attitude libertaire : de même que nous avons combattu la révolution par l’école et le mot d’ordre mystificateur de l’école libératrice nous devons combattre cette sorte de pan sexisme qui prétend à la révolution par le sexe ». À droite, cette assimilation gauchisme-jouissance s’exprime de manière caricaturale sur les bancs de l’Assemblée nationale : « Les gauchistes sont tous des nudistes », lance un élu UDR (Assemblée nationale, débats, séance du 23 octobre 1975).
32Dans sa contribution, Lucien Marest regrette que les deux textes publiés le 6 janvier aient contribué à déplacer un débat qui aurait du porter sur « la crise globale de société », la « crise morale de la société française » sur « le seul terrain où la bourgeoisie veut bien reconnaître qu’il s’y trouve : celui de la sexualité116 ». De nombreuses contributions se focalisent effectivement sur ce non-dit (ou ce peu dit) du parti117, en arguant de son irruption sur la scène publique.
Contribution no 561, agrégé de géographie, Arpajon : « Force est de constater que nous avons toujours lutté contre l’exploitation capitaliste sans avoir jamais eu besoin de nous référer à la morale. Il y a donc bien quelque chose de nouveau et le paragraphe du document ne vise pas seulement l’immoralité capitaliste. Sinon, il suffisait de le dire et il n’y aurait pas tant d’acharnement à vouloir maintenir le document tel quel. On fait aussi semblant de s’étonner qu’en matière de morale, nous mettions la sexualité sur la sellette. Comme si le document n’était pas motivé par l’irruption du sexe sur la scène publique consécutivement à la suppression de la censure dans ce domaine. »
33Certains estiment qu’elle relève d’un domaine privé sur lequel le parti n’a pas à s’exprimer118 et qui, du reste, échappe aux lois du matérialisme historique dès lors qu’elle est éminemment subjective.
Contribution no 186, Paris : « Les possibilités données par le socialisme sont présentées de façon peut-être trop mécanique. Le socialisme n’abolit pas les contradictions (famille, sexualité, croissance). » No 515 : « J’estime que le congrès n’a pas à se prononcer sur des comportements individuels qui ne sont ni directement ni exclusivement liés au régime capitaliste […], comportements qui sont d’ailleurs loin d’avoir disparu dans les pays socialistes. » No 559, Hérault : « Il ne suffit pas de supprimer les obstacles économiques et sociaux pour que les obstacles, l’aliénation, reculent. » Les signataires en veulent pour exemple la Chine.
34Ils soulignent que le parti risque de s’enfermer dans une contradiction en matière de liberté119. D’autres affirment, au contraire, qu’il s’agit là d’une exigence sociale dont il lui faut se saisir120.
« La crise, écrit l’un d’eux, est à la fois cette aggravation et l’émergence d’aspirations nouvelles annonçant une société d’un type nouveau : par exemple, ici, aspiration à une libération sexuelle, annonçant une société ou la sexualité pourrait s’épanouir dans toute sa diversité, permettant la réalisation des potentialités de chacun et l’enrichissement des relations humaines et de la culture y compris dans sa dimension érotique. Pour être progressiste, l’analyse doit mettre l’accent surtout sur le deuxième pole de la contradiction, le pole progressiste121. »
35Ils déplorent que le document laisse planer comme un « vent d’éternité morale122 » quand il conviendrait d’insister sur les liens indissociables entre l’état des rapports sociaux, la morale123, la famille124 ou la sexualité125 et sur leur épanouissement nécessaire qu’autorisera le socialisme.
Contribution no 57, Nice : « Une morale nouvelle naîtra de la mise en œuvre de structures nouvelles. » No 377, chrétien, Saint-Cloud : « Pornographie, perversion disparaîtront avec le socialisme sans qu’il faille de règles inquisitoriales grâce aux transformations sociales et (souligné dans le texte) nos luttes idéologiques », France nouvelle, 18-26 janvier 1976, Lucien Marest : « Construire une société socialiste, ce sera améliorer leurs conditions de vie et ce sera épanouir toutes les libertés, y compris la liberté sexuelle. » No 567, RATP, Paris : « Si le socialisme c’est la démocratie jusqu’au bout, le résultat c’est la morale jusqu’au bout. »
36Ils sont un certain nombre à tenir le « droit au plaisir126 » pour une condition de cet épanouissement, en réhabilitant alors, parfois, la pornographie127, ou à proclamer que le « bonheur […] est en définitive notre but128 ». Qu’on excepte les quelques voix dissonantes qui jouent ( ?) ou osent l’excès129, de part ou d’autre, et l’ensemble des lettres, contributions ou interventions prononcées lors des conférences fédérales montre assez clairement que la ligne de front, déplacée par rapport à ce qu’elle est dans la majorité parlementaire, ignore la famille130 pour se concentrer sur l’homosexualité. Certains la récusent brutalement quand d’autres souhaiteraient que le parti s’implique contre l’intolérance, exemples à l’appui.
Dans le numéro 245 de l’HD, Alain L. de Chelles invite les communistes à « être sûr qu’on accepte ces formes de sexualité généralement étrangères à la classe ouvrière que sont communautés, vie à trois, homosexualité et que l’on admettre que l’individu doit choisir SA sexualité sans en être blâmé ». Il évoque certaines cellules ou on a refusé l’adhésion à un homosexuel (parce que connu comme tel) ou d’autres où l’on place l’exemplarité du couple comme signe distinctif du « bon communiste » pour conclure sur un vibrant « plus jamais ça ». Il s’attire la vive réponse d’une grand-mère inquiète, déjà citée, et une plus vive encore de Raoul M., Bléré, qui estime que « pour clamer les mots d’ordre du parti, il faut être irréprochable […] or l’homosexualité est un phénomène anormal » (l’HD, no 248). La contribution no 170 réagit contre ce refus « d’accepter des homosexuels reconnus dans les cellules ». De nombreuses contributions reviennent sur cette question. La contribution no 371 postule un lien entre homosexualité, pornographie ou « instabilité sexuelle type Emmanuelle ». La contribution no 558 estime que « l’homosexualité existera toujours ». Selon le no 514, Paris, les homosexuels seraient des centaines de milliers dont une forte proportion de travailleurs « qui sont la risée de leurs camarades ». Dans une des contributions non numérotées, une femme revendique son homosexualité. Le no 497, Ain, demande de « dire clairement que nul ne sera condamné à la prison pour son homosexualité ». Pour le no 510, Paris, « la frontière entre le normal et l’anormal est à peu près impossible à tracer. Où se situe l’homosexualité ? » Lors de la conférence fédérale de la Moselle, un délégué demande si « on va jeter l’anathème aux homos ou à ceux qui se masturbent » (cité par Politique-Hebdo, 29 janvier 1976)…
37« Lorsque les dirigeants communistes estiment qu’à la suite d’un mouvement progressiste un consensus se forme dans l’opinion de gauche, ils l’inscrivent dans leur déclaration », écrit Olivier Duhamel qui prend pour exemple l’avortement gratuit et l’abolition de la peine de mort, constitutifs d’un « libéralisme de gauche » dans les années 1970. « Mais ils s’arrêtent là où les opinions minoritaires apparaissent encore comme des déviations anormales ou dangereuses. » Les archives dont nous disposons confortent cette lecture, sociale, d’une attitude qu’on a trop souvent mesurée à la seule aune de ses enjeux politiques internes. La question des mœurs, pour récupérée qu’elle soit en 1976, fait irruption là où on ne l’attendait pas. Avec une ampleur attestée par la centaine de contributions sur ce thème adressées à la tribune de discussion131, l’important courrier des lecteurs de l’HD132 et le caractère existentiel affirmé de certains de ces textes, signifié par l’occasionnelle irruption du « je133 ».
38Ce que nous savons (ou devinons) de l’appartenance socioprofessionnelle des intervenants conforte l’opinion selon laquelle « bon nombre d’ouvriers et la quasi-totalité des camarades âgés suivent Poussy et que l’immense majorité des jeunes et des intellectuels ne sauraient se satisfaire des termes de ce document134 ». Avec, à cet égard, un rapport de forces inversé entre le courrier des lecteurs de l’HD où la plupart des intervenants s’inquiètent d’une licence grandissante perçue comme une menace (mais nous ne disposons, là, il est vrai, que des seules lettres publiées) et les auteurs de contributions, quasi unanimes à critiquer le projet de résolution. La tonalité des débats parlementaires, certains votes difficiles dans les deux assemblées et les réformes libérales demeurées à l’état de projet autorisent à penser que la direction du parti, qui se détermine à l’évidence à partir de préoccupations politiciennes, est, nonobstant, sans nul doute en phase avec une opinion publique alors loin d’adhérer à toutes les mesures de libération culturelle ou à leurs effets avec l’unanimité que suggèrent, aujourd’hui, certains sondages relatifs à 1968 et à ses effets135. Quand même certaines contributions soulignent, à bon droit, que cela ne saurait constituer un argument pour un parti qui se veut d’avant-garde136. L’éthique ouvrière qui imprègne encore le PCF n’est pas seule en cause137.
39La plupart des intervenants prennent acte de l’irréversible et foudroyante évolution des mœurs amorcée dès le début des années 1960138. En 1936, les acquis culturels, indissociables des grèves et de leurs acquis, ont revêtu un caractère tout à la fois économique, social et politique. Liés à l’extension du champ de compétence de l’État et largement pris en charge par le monde associatif, ils ont permis une libération individuelle sans individualisme et n’ont pas engendré de bouleversements radicaux dans les rapports de sexe. Il en va, ici, différemment. Le processus s’est, en effet, engagé de manière autonome, à la faveur d’un desserrement du contrôle social. Une telle autonomie du social et la place, nouvelle, qu’elle confère à l’individu sont difficiles à intégrer à une démarche théorique qui persiste à accorder la prééminence aux infrastructures et au collectif, sous l’espèce des classes sociales139. Le parti et la CGT peinent dès lors à se saisir des contradictions dites secondaires telles l’« oppression spécifique des femmes140 » ou les questions dites du « cadre de vie141 » là où l’hétérogénéité du PS lui donne des atouts ou, du moins, plus de souplesse. Pour n’avoir pas lieu explicitement en ces termes, le débat n’en pose pas moins la question de savoir dans quelle mesure le libéralisme politique auquel le PCF ne s’est rallié qu’implicitement peut être la condition d’une libération sociale, désormais comprise également comme une libération des mœurs. Il soulève la question du degré d’extension de cette dernière ou de ses nécessaires limites142. Ces questions théoriques inédites trouvent à se résoudre par la (ou plutôt les) pratique(s), au gré d’exigences qui diffèrent selon les circonstances (débats parlementaires ou congrès) et des terrains d’action (local ou national143). En répondant de combinaisons à géométrie variable entre libéralisme politique et libéralisation des mœurs.
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40Le début des années soixante voit s’affirmer des « questions de société » d’un type nouveau qui s’épanouissent et s’amplifient avec, et surtout après, les événements de mai-juin 1968. L’aspiration à une sexualité plus épanouie qui est un de leurs axes forts, questionne l’émergence des libertés individuelles dans un lieu peu contrôlable par le pouvoir (ou par d’autres) et contraint la société tout entière à rechercher de nouveaux points d’équilibre. Les partis politiques ne sauraient en être quittes.
41Les partis de gauche témoignent d’une attention précoce pour certaines de ces aspirations nouvelles, intégrées en bonne place dans le programme de François Mitterrand, candidat unique de la gauche, en vue des élections présidentielles de 1965. Mais les composantes de la gauche marxiste peinent à penser théoriquement la libération de l’individu indépendamment d’un changement global de société. Leurs programmes respectifs, élaborés en 1971 et 1972, puis le programme commun de gouvernement subordonnent les mutations sociales à la nécessaire transformation des structures économiques et définissent, par là, les modalités d’un changement global que les socialistes et les communistes s’accordent à tenir pour imminent. Les réflexions et propositions qui concernent plus spécifiquement ces aspirations sociales d’un type nouveau en s’inscrivant dans une temporalité ou des cadres d’action qui leur soient propre demeurent, dès lors, marginales. Elles relèvent de l’initiative majeure des intellectuels, spécifiques ou non144 et d’experts ou d’associations qui doivent à leurs pratiques de s’y trouver confrontés plus précocement que d’autres. Au risque d’entrechocs et de disparités internes à chacune des organisations, propres à redéfinir, démultiplier et, par là, à complexifier la notion d’avant-garde.
42Les composantes de la gauche marxiste reconnaissent volontiers que ces aspirations nouvelles participent d’une exigence sociale affirmée depuis le début des années 1960 mais ne s’en saisissent frontalement qu’en réponse au « libéralisme avancé » de Valéry Giscard d’Estaing ; dès lors au rythme d’un calendrier dont elles n’ont pas la maîtrise et qui ne doit guère à l’événement « 1968 ». Leur démarche s’inscrit, par là même, dans une chronologie politique et discontinue, qu’il faut comprendre comme chronologie de LA politique institutionnelle quand les tenants du « tout est politique », aux premiers rangs desquels le gauchisme culturel, qui est à la « société libérale avancée » ce que le gauchisme politique a été pour la Nouvelle société, et la nouvelle gauche tiennent, au contraire, les aspirations nouvelles et leur mise en acte pour une modalité DU politique et l’un des instruments du changement. Elle privilégie, par là même, ces séquences politiques entre toutes que sont les débats parlementaires ou les congrès.
43Les prises de positions, les avancées ou, parfois les hésitations, qui s’expriment au sein de la gauche marxiste ou de telle de ses composantes relèvent donc d’une chronologie contrainte peu propice à l’appréhension des présupposés théoriques qui la sous-tendent et propre à favoriser des réponses pragmatiques et morcelées, susceptibles de contrevenir les unes aux autres. Les débats relatifs à la libéralisation des mœurs revêtent une acuité particulière au sein du PCF où des données macropolitiques lui valent de se surimposer à un autre débat qui concerne le libéralisme politique. Sans que ce parti se dote des moyens théoriques et politiques qui lui permettraient de penser leur lien. Mais ces débats n’épargnent ni la CGT ni le PS où la gauche marxiste côtoie désormais des éléments de la nouvelle gauche145. Elle génère des lignes de partage et des recompositions qui, pour autant qu’on en puisse juger par nos sources, doivent autant sinon davantage aux appartenances socioprofessionnelles des intervenants et, dès lors, à leurs pratiques sociales plus qu’à leur idéologie.
44La libéralisation des mœurs et les oppositions sociopolitiques qu’elle soulève demeure au centre des débats de 1974 à 1976. Elle est reléguée au second plan avant que de s’effacer radicalement quand la crise économique, désormais perçue comme telle, contraint tout un chacun à des redéfinitions d’ampleur. Dans la majorité, le changement de Premier ministre, advenu à la fin de l’été 1976, parachève les réorientations amorcées depuis avril 1975 et précipite une inflexion conservatrice et libérale, dans l’acception économique du terme, excluant désormais, la poursuite de la libéralisation des mœurs146. Dans l’opposition, le débat sur l’actualisation du Programme commun de gouvernement se focalise sur la question du « seuil » de nationalisations jugées indispensables au changement avant que de provoquer l’implosion de l’union de la gauche. La CFDT qui avait constitué l’aile avancée d’une nouvelle gauche inscrite dans LE politique pour, ainsi, changer la vie opère, pour elle, un recentrage. Des questions hier brûlantes le cèdent à d’autres. Il faut la victoire de François Mitterrand pour que s’opère une résurgence qui permet à certaines des libertés revendiquées en 1975 sans avoir abouti dans cette première séquence de s’inscrire à leur tour dans la loi ; ainsi, l’abolition de la peine de mort ou la dépénalisation de l’homosexualité.
45Qui nous aura suivi jusque-là aura constaté que 1968 n’intervient guère dans la prise en compte de la libéralisation des mœurs par la gauche marxiste. Les organisations concernées ou leurs composantes ne créditent l’événement d’aucun rôle spécifique à cet égard et ne le mobilisent que sous l’espèce d’occasionnelles dénonciations du gauchisme culturel, qui ne constitue jamais qu’un front secondaire. Elles s’inscrivent, a contrario, dans une chronologie sociale qui intègre cet événement mais le déborde en amont ou, de façon plus évidente, dans la chronologie politique de la « société libérale avancée » qui les contraint à penser la relation, complexe, entre libéralisation des mœurs et libéralisme politique ; sans disposer des instruments théoriques qui le leur permettraient. Cette chronologie politique détermine une séquence relativement brève qui s’achève quand, précisément, s’amorce le « tournant libéral » de Raymond Barre, dans son acception économique. La brève séquence de libéralisation politique de 1981-1983, contemporaine d’une réaffirmation keynésienne, s’interrompt pareillement quand s’opère le tournant de la rigueur, plus évidemment libéral de 1984.
Notes de bas de page
1 Griotteray A., Mai 68. Des barricades ou des réformes ?, Paris, Alphée, 2008, 72 p., préface de Valéry Giscard d’Estaing.
2 Bernard M., « Le projet giscardien face aux contraintes du pouvoir », p. 13-26 et annexe 1, « Les réformes de société », p. 285-290, in Berstein S. et Sirinelli J.-F. (dir.), Les années Giscard. Les réformes de société 1974-1981, Paris, Armand Colin, 2007, 296 p.
3 Moreau J., L’espérance réformiste. Histoire des courants et des idées réformistes dans le socialisme français, Paris, L’Harmattan, 2007, 182 p.
4 Narritsens A., « Notes sur “l’évolution des idées”, 1966-1984 », contribution au colloque La CGT de 1966 à 1984. L’empreinte de mai 1968, Montreuil, 14-15 mai 2008.
5 Marchais G., La société française en crise, édition spéciale de l’Humanité, 10 juin 1971, 23 p., p. 10.
6 Marchais G., Le Parti communiste propose, rapport au XXIe congrès du PCF, PCF, 1974, 130 p., p. 12.
7 XIXe congrès du PCF, février 1970.
8 Mitterrand F., préface à Changer la vie, Paris, Flammarion, 1972, 250 p., p. 11.
9 Marchais G., La société française en crise, op. cit., p. 6.
10 Mitterrand F., préface à Changer la vie, op. cit., p. 13 « Il est vain de vouloir libérer l’homme si l’on ne vise pas d’abord les structures économiques qui ont fait du grand capital le maître absolu de notre société. »
11 Marchais G., La société française en crise, op. cit. : « “crise de civilisation”, non crise d’un système » (p. 4-14).
12 Mitterrand F., préface à Changer la vie, op. cit. : « La crise de société dont parlent nos gouvernants ne saurait être qu’une crise universelle » (p. 11).
13 Duhamel O., La gauche et la Ve République, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1980, 588 p.
14 Ce dernier aspect demeure perceptible dans différentes interventions du colloque La CGT de 1966 à 1984. L’empreinte de mai 1968, Paris, IHS CGT, 2009, 536 p.
15 Mitterrand F., préface à Badinter R., Liberté, libertés, réflexions du comité pour la charte des libertés, Paris, Gallimard, 1976, 284 p. : « L’histoire des libertés est celle d’un combat populaire sans répit […]. Les socialistes revendiquent [l’acquis] pour leur. » Marchais G., introduction à Vivre libres ! Projet de déclaration des libertés soumis à la discussion des Français, Paris, édition de l’Humanité, 1975, 61 pages : « Historiquement, les libertés publiques existantes dont la bourgeoise s’octroie indûment la paternité sont les fruits de la lutte des travailleurs, du peuple. »
16 Les deux partis de gauche exigent la suppression de la loi anticasseurs qui établit la responsabilité collective des organisateurs de manifestations (juin 1970) et de celle portant atteinte à la liberté provisoire (juillet 1970).
17 Dans sa préface à Changer la vie, op. cit., p. 23, François Mitterrand s’en prend à « la grande bourgeoisie (faussement) libérale ». Georges Marchais dénonce « le masque du libéralisme social » (introduction à Changer de cap, Paris, Éditions sociales, 1971, 252 p., p. 11). Cf. également, Marchais G., Le défidémocratique, Paris, Grasset, 1973, 250 p., « L’autoritarisme en France », p. 86-91.
18 Bernard M., « Le projet giscardien face aux contraintes du pouvoir », op. cit.
19 CGT, 39e congrès, Le Bourget, 22-27 juin 1975, p. 34 sq.
20 Secrétaire de la CGT, il est l’auteur des Truands du patronat et de L’Assassin était chez Citroën.
21 Selon Marcel Caille les syndicalistes auraient été victimes de 125 agressions de diverses natures depuis l’élection de Giscard d’Estaing.
22 CGT, 39e congrès, Le Bourget, 22-27 juin 1975, p. 34 sq., p. 179-184.
23 Ce terme revient 4 fois dans son intervention.
24 Liberté, libertés, op. cit. : « À l’autoritarisme de l’État répond en écho, l’individualisme contestataire. » Vivre libres !, op. cit. : « Le président de la République gouverne comme un monarque absolu », etc.
25 S’agissant de la contraception et de l’IVG.
26 S’agissant du droit de vote à 18 ans.
27 Garbez M., La question féminine dans le discours du PCF, thèse d’administration publique, université de Picardie, 1979 : les positions du PCF se caractérisent par une approche familialiste perpétuée et une médicalisation du corps.
28 Duhamel O., La gauche et la Ve République, op. cit.
29 En première lecture, le 29 novembre 1974, le projet de loi sur l’IVG est adopté par 284 voix contre 189 sur 479 votants et 473 exprimés. Se sont prononcés pour 105 socialistes et radicaux de gauche sur 106, 74 communistes sur 74, 55 UDR et apparentés sur 174, 26 réformateurs et centristes sur 52, 17 RI sur 65 et 7 non inscrits sur 19.
30 Bard C., « Cent mesures pour les femmes », in Berstein S. et Sirinelli J.-F. (dir.), Les années Giscard, op. cit., p. 203-226 ; Bernard M., « Le projet giscardien face aux contraintes du pouvoir », op. cit. En juillet 1975, une des quatre priorités fixées au Premier ministre est « la famille qui, après la modernisation et la libéralisation nécessaire de notre législation, doit être protégée et encouragée comme constituant une cellule essentielle d’organisation de la société libérale avancée ».
31 Assemblée nationale, débats, séance du 28 mai 1975. « La transformation profonde de la vie sociale impose de faire coïncider les règles légales et l’état des mœurs, argue le rapporteur G. Donnez. Ce ne serait pas assurer la défense de la famille que de maintenir par une contrainte formelle le lien juridique du mariage entre des conjoints qui n’ont plus rien en commun. Le texte se veut réaliste et protecteur de la famille ». Et Jean Lecanuet : « Nous sommes en présence de deux morales, de deux tables de valeurs : celle du bonheur, celle du devoir poussé jusqu’à la contrainte. Il vous appartient de choisir ou de rechercher […] un équilibre entre ces deux exigences également vécues par les Français. »
32 Idem : « À aucun moment l’exposé des motifs ne fait appel aux concepts de bonheur et de liberté. Le mot responsabilité n’y figure qu’une fois. En revanche les concepts de faute et de culpabilité sont abondamment invoqués » ajoute Hélène Constans.
33 Résolution du XXe congrès du PCF, in Le Parti communiste propose, op. cit. : « Dans le même temps le pouvoir recourt à une démagogie sans frein pour tenter de masquer le fond réactionnaire de sa politique. Il procède à des adaptations rendues nécessaires par l’évolution de la société et exigées depuis longtemps par le mouvement des masses, tel le droit de vote à 18 ans. » Georges Séguy in 39e congrès, op. cit. : « À part la majorité à 18 ans, la libéralisation de la contraception et la nouvelle législation en matière d’interruption de grossesse qui sont à inscrire à l’actif de la gauche, il faut bien reconnaître que les électeurs qui ont pu se laisser berner restent sur leur faim. » Vivre libres !, op. cit. : « On évoquera peut-être en contrepartie une mesure comme la loi sur l’avortement. Mais c’est la gauche qui l’a fait adopter. Le pouvoir ne s’engage sur cette voie que contraint et forcé, avec l’espoir, aussi, en cédant quelques miettes, de camoufler le caractère profondément antidémocratique, autoritaire de son système et de sa politique. »
34 Préface à Liberté, libertés, op. cit.
35 Ces propositions sont ultérieurement publiées dans leur intégralité in Liberté, libertés, op. cit.
36 Ainsi Jacques Attali, Jean-Denis Bredin, Régis Debray, Laurent Fabius, Roger-Gérard Schwartzenberg, Maurice Serres, etc.
37 Vivre Libres !, op. cit.
38 Liberté, libertés, op. cit. L’euthanasie, explicitement récusée dans la proposition de loi Foyer, Labbé, Chinaud, Max Lejeune (no 2080), n’est pas mentionnée dans le texte communiste. L’homosexualité n’est évoquée par aucun d’eux.
39 Cf. également Juquin P., Liberté, Paris, Grasset, 1976, 158 p. (En 1975, Pierre Juquin présente devant le comité central du PCF le rapport sur les propositions ensuite réunies dans Vivre libres ! Cahiers du communisme, no 6, juin 1975.)
40 20 décembre 1975, proposition de loi no 2128.
41 17 décembre 1975, proposition de loi « de la liberté », Foyer no 2080.
42 20 décembre 1975, no 2131, présenté par Gaston Defferre. Selon Olivier Duhamel, le temps aurait fait défaut au groupe socialiste pour aller au-delà. Liberté, libertés inspirera du moins les réformes libérales adoptées au début du septennat Mitterrand dont la suppression de la peine de mort et dépénalisation de l’homosexualité.
43 Juquin P., Libertés, op. cit. : « Sans liberté maximale, le programme commun n’est pas viable. »
44 Les termes soulignés le sont par nous.
45 Moreau J, L’espérance réformiste, op. cit. Mitterrand F. in Liberté, libertés : « Le pouvoir est devenu un véritable enjeu. De la façon dont le problème sera résolu dépendront la nature et l’étendue de nos libertés. »
46 Des réévaluations quant à la portée de cette césure in Christofferson M., Les intellectuels contre la gauche. L’idéologie antitotalitaire en France (1968-1981), Marseille, Agone, 2009, 444 p.
47 Cette dimension est plus particulièrement perceptible dans l’article 3 des propositions communistes : « La loi protège contre tout placement arbitraire dans un établissement de soin. Nul ne peut y être placé contre son gré. »
48 Duhamel O., La gauche et la Ve République, op. cit.
49 « Un concept ne s’abandonne pas comme un chien » objecte Louis Althusser, Semaine de la Pensée marxiste, in l’Humanité, 24 avril 1976.
50 Cf. Schwartz O., le monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du Nord, Paris, PUF, 1990, 533 p.
51 La comparaison des articles concernant la morale ou la pornographie respectivement parus dans la Nouvelle critique (depuis 1973) et les Cahiers du communisme serait, à cet égard, éclairante.
52 AD Seine-Saint-Denis, 261 J 1. Nous tenons à remercier vivement Pascal Carreau qui a bien voulu mettre à notre disposition ces archives dont l’inventaire n’était pas achevé. Cette situation explique que les 16 cartons relatifs au XXIIe congrès, consultés par nous soient dépourvus de cote spécifique.
53 « De la liberté », no 2080, p. 2.
54 Mitterrand F., préface à Liberté, libertés, op. cit. : « Aux hommes vivant et agissant de se débrouiller pour faire la synthèse. Le socialisme devra les faire fonctionner toutes ensemble, les unes par les autres ».
55 Assemblée nationale, débats, séance du 23 octobre 1975, Bertrand Denis (RI) : « Pensez aux parents qui promènent leurs enfants sur les Champs-Élysées. Pensez à ces films dont certaines vues souvent reproduites en photos agrandies que chacun peut voir dans les villages… Tout cela ne va pas. »
56 Sénat, débats, séance du 4 décembre 1974, Jacques Carat (socialiste).
57 Sénat, débats, séance du 3 décembre 1975. Selon Maurice Schumann, rapporteur de la loi de Finances, les Lesbiennes, les Incestueuses et Fellations ont bénéficié d’une subvention automatique de 150 000 francs, Histoire d’O de 594 000 francs.
58 Sénat, débats, séance du 22 novembre 1975. Intervention de Jacques Carat (PS).
59 Sénat, débats, séance du 4 décembre 1974.
60 Assemblée nationale, débats, séance du 23 octobre 1975, intervention de Jack Ralite. Cf. également Sénat, débats, 5 mars 1975, Francis Palmero, question au ministre Michel Guy. Le sénateur socialiste fait valoir que les frontières entre l’érotisme et la pornographie sont parfois ténues. Ce débat sur la frontière revient dans plusieurs des contributions à la tribune de discussion du XXIIe congrès. Cf. AD Seine-Saint-Denis 261 J, « Contributions adressées à la commission dirigée par Jean Kanapa », no 47 et no 150.
61 L’HD, no 237, 24 septembre-30 septembre : « La liberté n’est pas de ce camp-là. »
62 Ibid.
63 L’HD, no 242, un CDH (comité de diffusion de l’Humanité) de Nogent-sur-Oise dit sa gêne d’avoir eu à vendre ce numéro au porte à porte. La rédaction se défend : elle a publié une « scène de rue aujourd’hui telle que tout le monde la voit […] un spectacle tellement commun que nous ne pensions pas que sa représentation pose problème ». Elle invite les lecteurs à réagir. Réaction similaire d’un autre CDH dans le numéro 245. Dans ce même numéro 245 un lecteur trouve normal « qu’un individu s’intéresse à la pornographie en tant qu’une certaine forme de sexualité ». Un autre, marié, père de famille, « bien dans sa peau » se félicite du recul des préjugés et de l’ignorance en matière de sexualité et considère que si le porno est aujourd’hui source de profit c’est parce que « trop de gens ont été réprimés sur le plan de la sexualité ».
64 Assemblée nationale, débats, séance du 23 octobre 1975.
65 Assemblée nationale, débats, 1re séance du 21 octobre 1975.
66 Assemblée nationale, débats, séance du 23 octobre 1975.
67 Sénat, débats, séance du 4 décembre 1974 : « Il n’est pas sûr que la majorité de la population considère comme un progrès sur le chemin de la liberté le déferlement de la pornographie. Un sondage sur ce point serait instructif. »
68 Assemblée nationale, débats, séance du 23 octobre 1975.
69 Sénat, débats, séance du 4 décembre 1974.
70 Sénat, débats, séance du 3 décembre 1975. Maurice Schumann félicite les sénateurs d’avoir dénoncé, les premiers, dès 1974, les risques que la pollution « morale des écrans faisait courir à la sécurité de nos citoyens », au risque d’être qualifiés d’« arrière-garde ».
71 Assemblée nationale, débats, séance du 23 octobre 1975.
72 Ibid. : « Comme cela vous serait commode si une introuvable majorité silencieuse pouvait se lever et tonner avec vous contre un prétendu excès de liberté au cinéma et surtout, par glissement, contre un prétendu excès de liberté à l’usine, dans la rue, dans la vie quotidienne, dans la société. » Sénat, débats, séance du 22 novembre 1975, argumentation similaire du communiste Guy Shmauss.
73 Assemblée nationale, débats, séance du 23 octobre 1975, Charles Josselin (PS).
74 Assemblée nationale, débats, 1re séance du 21 octobre 1975. Hélène Constans : « La pornographie est un des produits nocifs et nauséabonds de la société capitaliste […]. Elle est le produit des sociétés décadentes qui ont fait leur temps historique. Voyez l’exemple du bas Empire ou de la fin de l’ancien régime. » Même approche de l’homosexualité dans la contribution no 371 à la tribune de discussion du XXIIe congrès du PCF (cf. plus loin) : « L’homosexualité qui correspond à des phases de décadence et ne s’est jamais développée dans les classes laborieuses. »
75 Assemblée nationale, débats, séance du 23 octobre 1975, Charles Josselin : « Le vrai problème n’est pas d’ordre fiscal. Il s’agit de défendre notre société. » Jack Ralite « ce n’est pas une question de censure ni une question de taxation, c’est une question de société. »
76 Idem, Claudius Petit. Cf. également Sénat, débats, séance du 22 novembre 1975. Francis Palmero (UDF).
77 Assemblée nationale, débats, séance du 23 octobre 1975, Charles Josselin annonce le prochain dépôt d’un projet de loi allant en ce sens. Une manifestation a lieu au Trocadéro et les partis de gauche annoncent qu’ils dénonceront cette « censure » à la prochaine alternance.
78 Assemblée nationale, débats, séance du 23 octobre 1975, Claudius Petit.
79 Sénat, débats, séance du 3 décembre 1975, Maurice Schumann.
80 AD Seine-Saint-Denis, 261 J. Les premières lettres sont datées du 1er novembre. Les 18 premières sont toutes publiées. Une sélection s’opère ensuite. À ces 604 contributions s’ajoute un dossier d’une vingtaine de contributions non numérotées, vraisemblablement parvenues après la clôture de la discussion.
81 L’Humanité, 12 décembre 1975. AD Seine-Saint-Denis, 261 J, contribution no 75. Les contributions sont souvent sensiblement plus longues que les extraits publiés dans l’Humanité ou dans France nouvelle.
82 AD Seine-Saint-Denis, 261 J. Contribution nos 2, 31, 36, 47, 92, 90, 97, 98, 113, 115, 116, 117, 118, 120, 129, 139, 147, 148, 157, 163, 164, 165, 177, 286, 337, etc. Les chiffres en italique renvoient aux communications publiées. Le débat se prolonge ensuite en concernant plus directement la dictature du prolétariat.
83 Contribution no 177, Carnac.
84 L’Humanité, 5 janvier 1976, contribution no 64.
85 L’Humanité, 6 janvier 1976, Joël Jung, Paris XX, Jean-Pierre Januel. Paris XI. Contributions 27 et 28 datées du 26 novembre. Une seule des 26 contributions précédentes est consacrée à ces mêmes questions. Elle présente un tour moins théorique.
86 La contribution no 47 aborde ces deux thèmes.
87 Cahiers du Communisme, février-mars 1976, « ce que veulent les communistes pour la France », p. 367-368.
88 L’Humanité, 16 janvier 1976, Guy Poussy, « Oui nous sommes contre l’immoralité ! », contribution no 364.
89 AD Seine-Saint-Denis, 261 J 1. Revue de presse. Le Monde du 20 janvier 1976 rend compte de la conférence fédérale des Bouches-du-Rhône où « la direction s’est battue pied à pied » en s’appuyant « sur le courant ouvriériste particulièrement fort au sein du PC » et de celle de la Moselle qui retient les amendements sur le paragraphe contesté.
90 Plusieurs lettres publiées antérieurement dans le courrier des lecteurs de l’HD suite à l’article de Claude Cabannes relèvent, il est vrai, de cette tonalité. Une vieille militante relate un incident dont son petit-fils a failli être la victime pour dénoncer ces « cochonneries » et assimiler implicitement il est vrai homosexualité et pédophilie. Un militant de Bléré (37) en appelle à « l’exemplarité du comportement » des communistes et qualifie l’homosexualité de « phénomène anormal » qui se retrouve plus volontiers chez les nantis et « tous les blasés de la vie ». Il qualifie « le porno, la sexualité et la sexologie […] d’éléments de diversion diffusés par la presse bourgeoise et les classes au pouvoir pour masquer les vrais problèmes ».
91 Les termes soulignés le sont dans le texte.
92 France nouvelle, 18-26 janvier 1976. Contribution no 395.
93 L’Humanité, 21 janvier 1976, Marie-Rose Pineau, « Devons nous garder le silence sur l’immoralité ? », 24 janvier 1976, Rémy Boutavant, vétéran, section du Creusot-Loire : « À propos d’immoralité et de perversion », 27 janvier 1976, A. Korzec, « À propos de la morale ».
94 Des amendements concernant ce paragraphe sont néanmoins retenus par 17 conférences fédérales. Pour le détail, cf. AD Seine-Saint-Denis, 261 J 1 : Amendements acceptés et rejeté par les conférences fédérales (classement par département). Cinq cartons sans cote.
95 Politique-Hebdo, 29 janvier 1976.
96 AD Seine-Saint-Denis, 261 J 1. Une note manuscrite accompagne la contribution de Guy Poussy : « Envoyer aussi vite que possible un chauffeur. En effet nous avons deux textes à remettre à la tribune (volume total 9 feuillets) qui doivent remplacer le texte en votre possession “Problèmes du parti à l’entreprise”. Le texte devra être publié samedi matin. » La seconde contribution, publiée dans le même numéro de l’Humanité émane d’Annie Mandois. Elle a pour titre : « La meilleure arme, la cellule ».
97 Cet aspect, étranger à notre propos, est abordé dans de nombreuses contributions postérieures à celle de Guy Poussy.
98 La conjoncture ne saurait tout expliquer. La question de la prostitution n’affleure pas dans le débat quand la mobilisation des prostituées lyonnaises est pourtant quasi contemporaine. Elle n’est pas davantage abordée dans Liberté, libertés.
99 Contribution no 108, psychanalyste, Paris XI. Ce texte regrette la « psychologisation des raisons de notre démarche ». (Nous avons choisi de ne pas mentionner les noms des auteurs des contributions non publiées. Lorsque nous disposons d’éléments socioprofessionnels, nous les mentionnons. Ils sont entre parenthèses quand ils nous sont connus sans avoir été explicitement mentionnés.) Ici et désormais, nos références n’ont aucun caractère exhaustif.
100 Contribution no 354, élève professeur, Angers. Cette contribution se réclame d’Althusser.
101 Jean-Pierre Januel, EDF, Paris. L’Humanité, 6 janvier 1976. L’auteur introduit le qualificatif « sexuelle » qui n’est pas dans le projet de résolution. Il est vrai qu’il n’utilise pas de guillemets.
102 Ibid.
103 Joël Jung, l’Humanité, 6 janvier 1976, enseignant, Paris : « Un point de vue marxiste ». Cf. également contributions no 415, enseignant, Paris, no 515 (psychanalyste), Paris, no 554, no 555…
104 Contributions no 466, Paris, no 510, Paris, no 604… En 1974, la Semaine de la pensée marxiste avait été consacrée à Morale et société. Cette référence est plusieurs fois mentionnée.
105 Contributions no 417, Paris, no 466, no 489, EDF, Paris, no 507, Paris : « Ne pas se contenter de mettre Muldworffen avant quand ça nous arrange, par exemple à la Semaine de la pensée marxiste, pour ensuite le désavouer implicitement » (no 554, no 576, section universitaire, Haute-Garonne).
106 Joël Jung, l’Humanité, 6 janvier 1976, contribution no 150, technicien TV-cinéma, Paris, no 416, Paris : « On ne peut faire comme si Freud et Lacan n’avaient jamais existé », no 472, universitaire, Paris…
107 AD Seine-Saint-Denis, 261 J 1. Amendements rejetés, 92.
108 Jean-Pierre Januel, l’Humanité, 6 janvier 1976.
109 Contribution no 170, Paris. Analyse critique du courrier des lecteurs de l’HD.
110 Contribution no 47, Montrouge. Cf. également no 72, Avranches : « Les communistes ne sont pas des pisse froids. […] Il ne faut pas permettre qu’ils puissent être confondus avec des séminaristes ». La contribution s’inquiète des « relents d’austérité » perceptibles dans le projet de résolution : « Je n’aimerai pas savoir que nous avons de la perversion la même définition que les puritains censeurs, normatifs. »
111 Jean-Pierre Januel, l’Humanité, 6 janvier 1976. Contribution no 72, no 312, Alpes-Maritimes, no 463, no 516, Rosny-sous-Bois.
112 Politique-Hebdo, 29 janvier 1976 : « Marchais est en retard d’une évolution. Les chrétiens attirés par le PCF ont mal réagi aux déclarations du Vatican. » Ce thème se retrouve dans certaines des contributions citées dans la note précédente.
113 Contribution no 379, enseignant, Oise.
114 Contribution no 312 : « Nous avons des difficultés à nous faire comprendre par la jeunesse. Un grand changement s’est produit en France depuis 68. Bien des jeunes perturbés entre tous les mouvements qui proliféraient à cette époque se sont emparés de la sexualité et condamnent la moralité qu’on leur imposait. […] La jeunesse nous considère souvent comme un parti de vieux parce que nous n’osons pas, ne croyons pas utile de donner notre position sur ces questions. » No 413, enseignante, Paris : « C’est, une revendication importante de certaines couches de la population [dont les jeunes] et une grande partie des intellectuels […]. Il serait inopportun d’exclure du combat une partie des victimes de l’exploitation capitaliste en leur lançant un anathème brutal et injustifié. Ce qui reviendrait d’ailleurs à les jeter dans les bras des gauchistes. » Contribution no 604 ? : « L’enjeu est de gagner ces nombreux jeunes très sensibilisés à ces problèmes, qui les vivent sur le mode de l’angoisse et du désespoir. Sinon nous laissons le terrain aux délires gauchistes toujours prompts à s’infiltrer là ou nous ne sommes pas à la pointe du combat et force est de constater qu’en ces domains, nous faisons parfois figure de suiveurs et non d’avant-garde »…
115 Contribution no 402, didacticiens, Paris : « La bourgeoisie utilise à ses fins toutes ces remises en cause pour les conduire dans les impasses de l’individualisme et de l’égoïsme. » No 414, Corbeil-Essones : « On culpabilise les victimes, on le jette dans le camp du pouvoir. »
116 France nouvelle, 18-26 janvier 1976.
117 Contribution no 312 : « Il paraît difficile de discuter de sexualité, d’érotisme, de pornographie […] parmi les communistes. Dans cette section rurale où je milite, j’ai pu m’en rendre compte […]. Pourrons-nous continuer à nous taire ? »
118 Contribution no 413 : « La manière dont les gens feront l’amour dans la société socialiste ne nous regarde pas. C’est une affaire privée. Si certains veulent “faire l’amour comme on se lave les mains”, ils ne savent pas ce qu’ils perdent mais c’est leur affaire […]. Évidemment il y a des limites mais c’est à chacun de les fixer en fonction de son projet personnel, de la politique qu’il a choisi pour mener sa vie […]. Ce qui relève du parti, comme l’affirme le projet : “Assurer à chacun la protection de sa vie privée et la possibilité de l’organiser comme il l’entend” en montrant dans la pratique que nous sommes le parti des libertés. » No 513, Maine-et-Loire : « Il n’y a rien dans la sexualité qui soit immoral. C’est un problème personnel et individuel si c’est un acte décidé librement et n’aliénant personne. » No 414 : « L’exercice des libertés passe par la reconnaissance absolue de la liberté individuelle dans tous ses aspects et donc, évidemment, de ce qui est éminemment subjectif : les voies du désir. »
119 Contribution no 414 : « On voit mal comment nous serions contre la censure, contre les internements arbitraires et pour le recours aux rééducateurs de sexe. » Même contradiction soulignée par la contribution no 486, Vaucluse.
120 L’Humanité, 6 janvier 1976, Jean-Pierre Januel : « Il nous a fallu assez longtemps pour passer de la vaine lutte contre la religion à la lutte avec chrétiens sur la base de leurs aspirations progressistes, nous ne sommes pas encore tout à fait passés de la lutte contre les illusions “écologistes” à la lutte avec les gens sensibilisés par les problèmes écologiques sur la base de leurs aspirations […]. Ne renouvelons pas les mêmes errements à propos de la sexualité. »
121 Ibid.
122 L’Humanité, 6 janvier 1976, Joël Jung.
123 Contribution no 447, signée par un couple dont le mari est ingénieur chez Renault et la femme travaille au planning familial, Chaville. Les signataires font valoir les mutations advenues « depuis 10 ans [souligné par nous] » et tentent de les expliquer : « L’humanité n’a plus à lutter pour sa défense numérique. De ce fait, le plaisir n’est plus condamnable. L’héritage est modifié par le salariat des deux conjoints, les antibiotiques et la contraception diminuent des risques. La morale de nos enfants (nous avons 47 et 50 ans) sera obligatoirement différente et plus libérale que la notre. » No 72 : « Les hommes ne restent pas identiques à eux-mêmes lorsqu’ils changent de conditions d’existence. » No 182, professeur de philosophie, Rouen : revient sur les bases matérielles de la morale. No 517 : « La morale sexuelle est avant tout le produit d’un système économique et social donné. »
124 Contribution no 72 : « La famille que nous voulons, ce n’est pas la famille bourgeoise débarrassée des “tracas et des angoisses” qui en sont constitutifs. C’est une autre famille […] qui n’a plus pour fonction de transmettre une propriété privée à un héritier légitime et de maintenir la femme dans une position subalterne mais de favoriser le développement de la personnalité. »
125 Contribution no 379 : « Les critères de la sexualité ne correspondent plus aux besoins des individus de la famille, de la collectivité tout entière. D’autres critères se cherchent, le plus souvent de façon sourde, inquiète, culpabilisée par la morale bourgeoise. » No 402 : « Les transformations opérées par le capitalise monopoliste d’État et par la lutte des classes ont profondément remanié les relations entre les individus. Aujourd’hui les hommes et les femmes s’interrogent sur leur sexualité, leur corps, leurs relations, le plaisir, le désir. »
126 Contribution no 170, Paris, vive réponse au lecteur de l’HD accusé de vouloir « réduire le corps à un organisme de (re) production ». No 413 : « La recherche du plaisir, la volonté de pouvoir disposer de son corps librement, consciemment, de manière responsable ne sont absolument pas condamnables en soi. » No 458, Paris : « La sexualité participe pleinement du développement de la personnalité, à l’épanouissement de l’individu. » No 414 : « Si “jouissez sans entrave” n’est pas un mot d’ordre révolutionnaire, “jouissez comme les simples gens” n’en est pas un non plus. » La contribution défend « le droit d’accéder à la jouissance dans des formes qui ne peuvent être qu’historiques et subjectives en même temps ». No 512, Paris : « Ne mélangeons plus aveuglement, corruption et jouissance. Nous avons besoin de tout pour édifier le socialisme. »
127 Contribution no 47 : y voit « un phénomène de curiosité et de réaction contre la morale religieuse et bourgeoise qui les a caché systématiquement ». No 514, Paris : estime qu’elle « utilise l’aspiration des gens à une sexualité épanouie ». No 558, Hauts-de-Seine et Seine-et-Oise : « Les records d’affluence au porno correspondent à un besoin, une curiosité réelle. [C’est le] résultat direct de siècles d’obscurantisme et de tabous stupides. » Ces plaidoyers demeurent minoritaires. Ainsi, no 150 : « C’est le stade monopoliste de la prostitution traditionnelle. »
128 Contribution no 463, Seloncourt. No 57, Nice : « Nous ne pouvons garantir le bonheur à court terme. Nous pouvons, par contre, garantir la mise en place de structures qui sont les conditions objectives du bonheur. » No 181, Rouen : « Le bonheur est subversif et la morale est oppressive. » Amendement rejeté par la fédération de l’Ain : « affirmation du droit pour chaque individu à la recherche du bonheur et de l’épanouissement ».
129 La contribution no 379 propose l’amendement suivant : « Notre politique ainsi définie permettra l’épanouissement des relations humaines. En matière sexuelle, des progrès, longtemps empêchés par la pudibonderie bourgeoise seront rendus possibles […]. Les progrès en matière sexuelle ne signifient pas l’abandon de la famille et l’imposition de nouvelles normes morales […] mais le progrès social et culturel permettra des rencontres sexuelles plus longues, plus riches, plus voulues. » A contrario : no 245, électeur communiste, non membre du parti, Boulogne : « Sous prétexte de liberté [souligné dans le texte] doit-on rendre frigide par l’étalage des vices toute une génération de jeunes qui ont droit à l’amour. » Et d’évoquer en termes crus la zoophologie et la scatologie « que connaissait bien d’Annunzio, par exemple, qui fut le chantre du fascisme ». Pour conclure : « S’il y a des malades, il faut les soigner. » Cette association entre fascisme et sexualité dénoncée comme déviante se retrouve à deux ou trois reprises.
130 Selon Politique-Hebdo, 29 janvier 1976 : « Le PCF ne remet pas en cause le rôle de la famille dans la société et que la cellule familiale [demeure à ses yeux] un élément déterminant de l’ordre social. »
131 15 % des contributions numérotées se consacrent à cette question.
132 Huit lettres de lecteurs sont publiées jusqu’au numéro 250 qui fait état d’un abondant courrier et prévoit la prochaine publication d’un dossier sur les questions abordées. Sans suite immédiate. Nous n’avons pas trouvé trace du courrier reçu par le journal dans les archives de l’Humanité à ce jour répertoriées par AD de la Seine-Saint-Denis.
133 Il est naturellement la règle dans le courrier des lecteurs de l’HD. Pour des raisons inhérentes au genre, il est plus exceptionnel dans la tribune de discussion où prévalent le « nous » ou des formes impersonnelles.
134 La moyenne d’âge des délégués à la conférence fédérale de la Moselle (qui a accepté les amendements sur ce paragraphe) est de 33 ans. Le Monde du 20 janvier en conclut que les jeunes « l’ont emporté sur les anciens ». Selon Le Quotidien de Paris du 26 janvier, « très nettement, ce sont les intellectuels qui interviennent ». Ce que nous savons de la sociologie des auteurs de contributions va dans ce même sens.
135 « Les Français votent 68 », Le Nouvel Observateur, no 2264, mars 2008, p. 6-13.
136 Cet argument surgit après la contribution de Guy Poussy. Ainsi, contribution no 170 : « Les sondages montrent qu’une majorité de Français sont favorables au maintien de la peine de mort, à l’abolition du droit de grève, le parti doit-il les suivre ? » Même argument dans le no 422.
137 Selon Politique-Hebdo, 29 janvier 1976, la direction du parti « reflète passivement et craint d’effaroucher une classe ouvrière qui compte plus de lecteurs de Nous deux que de Reich ». Et d’évoquer « un puritanisme prolétarien ».
138 La fédération de la Seine-Maritime qui amende le paragraphe contesté commente : « La commission a le sentiment que le parti dans son ensemble aborde là un problème posé par le monde contemporain. Le débat doit se poursuivre. »
139 Nicole Mayer-Fabbri, Cahiers du communisme, no 12, décembre 1975 : « La morale bourgeoise est en crise mais le rejet des valeurs traditionnelles peut devenir le refuge de l’amoralisme » écrit l’auteur qui oppose, ensuite, Rousseau et Kant à Nietzsche et Freud. « On assiste alors à une véritable fuite en avant, à la recherche de la satisfaction sexuelle prise en soi, d’un développement anarchique et incontrôlé des velléités individuelles. » Non sans bénéfice pour la classe dirigeante. « Car si l’individu se prend pour fin, c’est en tant qu’individu isolé. Il refuse l’ordre traditionnel mais il ne risque pas de le renverser. Il devient incapable de la seule critique destructrice de la société bourgeoise qui débouche sur une action collective. […] Allons plus loin, cette démarche individualiste risque de détruire les individus eux-mêmes. » L’auteur évoque la drogue, la recherche de solutions individuelles utopiques : mythe de la pureté associé à une vulgarisation approximative de l’hindouisme, exaltation de la vie en petites communautés, refus du travail social. Elles génèrent un processus de « désindividuation », de « retour à la horde » dont la bande à Manson constitue un terrible exemple. Dans cette perspective idéaliste « c’est la conscience qui déterminerait la vie et non la vie qui déterminerait la conscience » (souligné par nous).
140 Contribution no 415, enseignant, Paris : « La millénaire contradiction entre l’homme et la femme n’est pas une invention des gauchistes. À nous de la prendre enfin en compte. » No 20 (même intervenant) : « Il n’y a pas que la femme travailleuse. Il n’y a pas que la mère. Toutes les femmes vivent une exploitation globale différemment de l’homme. Notre rôle d’avant-garde passe aussi par la prise en compte du vécu et des contradictions secondaires. »
141 Durand M. et Harff Y., La qualité de la vie. Mouvement écologique, mouvement ouvrier, Mouton, 1977, 258 p. La CGT intègre la notion à son vocabulaire lors du 38e congrès mais n’accorde qu’une attention marginale aux questions de société comprises en termes autonomes. Leur prise en charge est plus précoce dans le PCF.
142 Contribution no 47 : « La vie privée telle qu’elle est définie par le droit français actuel implique pour beaucoup un pouvoir sur d’autres personnes qu’eux-mêmes, à l’intérieur de leur famille. Quand elle n’est pas réglementée, elle implique souvent pour beaucoup de monde contrariétés, brimades, humiliations et souffrances pendant 18 ans (autrefois 21). Alors la vie privée en liberté totale ? Hum, il faudrait la redéfinir. » Contribution no 512 : « Seules trois choses sont à combattre : le crime, la drogue et les aberrations du genre secte Moon. »
143 Tartakowsky D., « La CGT, Du hors travail au cadre de vie », La CGT de 1966 à 1984. L’empreinte de mai 1968, op. cit., p. 288-306.
144 Bernard Muldworf et Lucien Sève, dont les travaux sont plusieurs fois invoqués par les intervenants de la tribune de discussion du XXIIe congrès du PCF, n’interviennent ni l’un ni l’autre dans le temps court de ce débat biaisé.
145 De bons exemples in Krauss F., « Les Assises du socialisme ou l’échec d’une tentative de rénovation d’un parti », Les notes de la Fondation Jean-Jaurès, no 31, juillet 2002, p. 96.
146 Bernard M., « Le projet giscardien face aux contraintes du pouvoir », op. cit.
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