Chapitre VII. Le traitement de la peste bovine : plus de tradition que d’innovations
p. 225-269
Texte intégral
« C’est ici le point rigoureux de l’art. C’est ici qu’il faut avouer que nous n’avons rien encore de certain pour remédier efficacement aux venins et aux poisons contagieux. »
Nicolas Gabriel Clerc, Essais sur les maladies contagieuses du bétail, avec les moyens de les prévenir et d’y remédier efficacement, Paris, N.M. Tilliard, 1766, p. 26-27.
1Maladie « exotique » étrangère à l’Europe occidentale, la peste bovine n’a suscité aucun traitement traditionnel spécifique. Les guérisseurs autant que les médecins ont dû, à chacune de ses apparitions, faire preuve d’invention, à moins de se souvenir de ce qui avait été pratiqué pendant les précédents épisodes. De plus l’inefficacité des thérapeutiques populaires et savantes a suscité une foule de remèdes secrets annoncés comme souverains.
L’élimination, principe du traitement de Bernardino Ramazzini
2Les traitements préconisés par les médecins du XVIIIe siècle reflètent leurs idées sur la physiopathologie de la peste bovine, dont on a vu qu’elles ont peu varié jusqu’au milieu du siècle suivant, si bien qu’ici encore Bernardino Ramazzini, premier d’une longue liste d’auteurs, pourra servir de guide. Généralement, le monde médical confronté aux épizooties tentait de ramener les maladies animales à son domaine de compétence en les assimilant à celles des hommes, ce qui, au prix de quelques accommodements des doses, permettait d’appliquer aux animaux les traitements des humains. Les médecins de Genève le disaient clairement en 1716 :
« Nous avons cherché avec quelle maladie connue celle des bœufs peut avoir rapport, afin que cette connaissance nous conduise à la méthode que l’on doit observer pour la guérir1. »
3Restait l’écueil des remèdes trop onéreux pour les bestiaux, auxquels les plus attentifs s’efforçaient de substituer des drogues plus communes, sinon aussi efficaces, à base de plantes indigènes. Bernardino Ramazzini, éloigné de ces contingences, préconise sans sourciller la thériaque, le quin quina et la corne de cerf, pourtant hors de portée des éleveurs comme ses contemporains ne manquent pas de le souligner (§ 19, 22 et 23).
4Les prétendues affinités de la peste bovine avec la variole humaine ont fourni le principal schéma thérapeutique, celui de l’élimination, emprunté à Hippocrate2.
« Que faire, donc, dans une maladie si funeste, qui semble annoncer l’extinction de l’espèce bovine ? Je suis persuadé qu’il ne faut s’appliquer qu’à une chose : éteindre, ou du moins affaiblir ce miasme pestifère avec tous les3 alexipharmaques disponibles – puisque nous n’avons pas de remède propre et spécifique à ce venin – de sorte que l’organisme, raffermi, le repousse et l’évacue jusqu’aux confins de la peau ; car c’est dans les ulcères, les pustules et papules observés sur les bœufs qui ont échappé à la maladie que la nature nous a elle-même [...] indiqué la voie à suivre. (§ 19) »
5Il faut attendre la période d’expulsion de la maladie pour aider l’excrétion des substances nocives. Jusque-là, on évitera, toujours selon Bernardino Ramazzini, les médicaments échauffants puisque la fièvre fatigue l’animal. Donc pas de « vins presque purs additionnés de beaucoup de thériaque4 », ni plus généralement de cordiaux5, réputés développer brutalement les propriétés vitales. Aux premiers symptômes, les alexipharmaques pourraient neutraliser le venin répandu dans le corps. Ils ont mission d’éteindre le miasme pestifère avant que l’organisme ne l’évacue par la peau. On retrouve parmi eux beaucoup de plantes déjà annoncées comme cordiales contre-indiquées ou à manier avec prudence (§19). Tout est question de dose : en décoction plus concentrée elles favorisent l’expulsion une fois la fièvre installée. L’usage constant de ces espèces végétales tout au long de notre période incite à en examiner l’action supposée. Le tableau 9 indique les vertus que leur ont reconnues l’Encyclopédie méthodique et les principaux traités de thérapeutique vétérinaire du XIXe siècle6.
Tableau 9. Propriétés des plantes citées par B. Ramazzini selon l’Encyclopédie méthodique et les auteurs vétérinaires du XIXe siècle. En gris, celles dont l’activité était encore admise au XIXe siècle.
Plante | Partie à utiliser selon B. Ramazzini | Propriétés selon l’Encyclopédie méthodique | Propriétés selon des auteurs du XIXe siècle |
Germandrée des marais | feuilles | Fébrifuge antiscorbutique | Fébrifuge, amère, stomachique, (Lebas 1809) |
Chardon béni | feuilles | Amer, fébrifuge, vermifuge, diurétique | Sudorifique et vermifuge trop peu actif (Lebas 1809) |
Centaurée | Feuilles (les sommités fleuries auraient été plus actives) | Amère, fébrifuge, apéritive, vermifuge | Amère, fébrifuge, tonique, stomachique, vermifuge, (Lebas 1809) |
Gentiane | racine | Amère, stomachique, vermifuge | Amère, cordiale, fébrifuge (Lebas 1809) |
Chicorée | Décoction de feuilles | Tonique, stomachique, fébrifuge | Tonique, amère, trop peu active (Moiroud 1831) |
Dictame de Crète | Feuilles (en fait seule l’écorce aurait été active) | Vulnéraire (mais s’il s’agit de racine de fraxinelle : apéritive, vermifuge) | Écorce sudorifique, autrefois vermifuge (Rodet 1857) |
Tormentille | Feuilles (la racine aurait été plus active) | Astringente, antidiarrhéique antihémorragique | Astringente, antidiarrhéique (Moiroud 1831) |
Scorsonère | feuilles | ? Racine : vertus imaginaires | ? Racine : alimentaire (Moiroud 1831) |
6Hormis la tormentille, astringente et utile dans la diarrhée, on voit que les autres sont principalement amères, fébrifuges et vermifuges, autant de qualités reconnues par la suite illusoires, comme celles du camphre qui ne se comporte sûrement pas en antiseptique général aux doses préconisées.
7Une fois tous les signes cliniques installés, le traitement proprement dit, fondé sur l’élimination, peut commencer.
8La saignée veineuse ou phlébotomie a pour objet d’apaiser l’ébullition de la masse sanguine et d’empêcher sa coagulation (§ 20). Elle est recommandée, à la suite des auteurs antiques, par les plus grands médecins du XVIIe siècle dans les fièvres pestilentielles de l’homme. La variole étant prise pour modèle, c’est une manière de diminuer
« l’ébullition de l’ensemble de la masse sanguine, ainsi que la circulation à travers ses vaisseaux. [...] Ce sera une décision salutaire que de retirer un sang poussé à s’échauffer et porté à la coagulation (§ 20) ».
9L’écuyer Jacques de Solleysel, en 1664, avait énuméré pour l’espèce équine – aux yeux des maréchaux cela valait pour les bovins – six bonnes raisons de saigner annonçant les conseils de Bernardino Ramazzini. On y retrouve l’échauffement et l’ébullition du sang.
« La première raison [...] est la plénitude, qui n’est autre chose qu’une quantité de sang immodérée et excessive. [...] Quoiqu’il n’y ait pas crainte de rupture de veine, [le sang] ne laisse pas d’oppresser le corps et de l’échauffer.
La seconde raison est la chaleur du sang qui pétille dans les veines ; la saignée le rafraîchit et en apaise le bouillonnement. [...] »
10Vient ensuite le motif de la pourriture du sang.
« La troisième raison qui nous oblige à saigner c’est pour ôter les humeurs corrompues dans les veines qui, par leur pourriture ne peuvent produire que de mauvais effets ; la nature étant soulagée par cette évacuation digère plus facilement le reste. »
11La saignée facilite la circulation sanguine par désencombrement de l’espace vasculaire.
« La quatrième raison est, lorsque le sang n’a pas la liberté de couler et de se porter librement dans ses canaux, que la saignée lui donne le jour et facilite son mouvement. »
12Le prélèvement de sang tempère les congestions.
« La cinquième raison est pour faire révulsion en détournant ce qui coule d’une partie à l’autre avec impétuosité et en trop grande abondance : l’on tâche d’en suspendre le cours ou d’en procurer un tout contraire.
La sixième et dernière raison de la saignée est de soulager une partie qui se trouve chargée de sang, ce qui se fait en saignant la partie affectée7. »
13Dans ce cas, on n’incise pas la jugulaire, mais la veine accessible voisine de la région du corps touchée par la maladie, une vénérable méthode qui remonte à l’Égypte ancienne et à la Chine des Han. Celse a rapporté une polémique concernant le lieu de saignée en fonction des parties malades8, et les vétérinaires de l’Empire romain tardif énuméraient les veines à ponctionner chez le cheval suivant chaque affection9. Dans la peste bovine, Bernardino Ramazzini ne voit cependant pas d’intérêt à privilégier un site plutôt qu’un autre. « Du moment que la saignée supprime le trop-plein des vaisseaux, peu importe que soit ouverte cette veine-ci ou celle-là » (§ 20). La soustraction de sang a de surcroît, suivant la première raison de Jacques de Solleysel, une vertu préventive. Le professeur de Padoue l’admet comme précaution « dans cette contagion qui touche plus gravement les animaux pléthoriques », même si un régime convenable ou la purgation pourraient suffire (§ 26). Comme en médecine humaine, la saignée des animaux est une institution. Les marchands de bestiaux et les éleveurs l’ont pratiquée jusqu’au XXe siècle, sur les animaux en (trop) bonne santé de crainte du coup de sang. C’était surtout à la Pentecôte qu’il convenait de le faire, en survivance de la théorie des humeurs.
« Personne ne révoque en doute qu’il n’y ait des temps dans l’année où une humeur domine plus qu’une autre : par exemple, chacun convient qu’au printemps c’est le sang qui domine [...]10. »
14Certes, en 1894, le vétérinaire J.-M. Fontan s’insurge contre « ces croyances absurdes dont on est maintenant revenu11 », mais il s’en faut qu’il proscrive l’opération de manière absolue.
« Les animaux pauvrement nourris pendant l’hiver, maigres, épuisés par une alimentation de mauvaise nature autant qu’insuffisante et qui, lorsque arrive le printemps, passent subitement de cette ration misérable à la pleine abondance des fourrages verts, ces animaux, disons-nous, prennent tout à coup de l’embonpoint et de la graisse. Ils ont les conjonctives rouges, les vaisseaux gorgés de sang, le pouls plein et dur : c’est ce que l’on nomme l’état pléthorique ou pléthore qui prédispose les animaux aux congestions et aux coups de sang. Dans ces circonstances, la saignée est utile, indispensable même [...]12. »
15Chez les bovins et les équidés, on ne procédait pas avec la lancette des chirurgiens mais avec une flamme, lame comportant latéralement une pointe ogivale tranchante (fig. 27). Les utilisateurs de grands animaux en avaient une dans leur poche, et le caractère personnel de l’objet explique le décor de beaucoup d’étuis (ou châsses), aussi varié que celui des canifs. La diversité des motifs ornementaux – animaliers, cynégétiques, grivois – en fait de nos jours des objets de collection. Pour saigner, la pointe de l’instrument est placée par exemple sur la veine jugulaire que l’on a fait gonfler en serrant un lien, plus bas, autour de l’encolure. En frappant avec un petit bâton (le bâton à saigner) sur l’instrument, on sectionne à la fois la peau et le vaisseau sanguin (fig. 28 et 29). Une fois obtenue la quantité de sang désirée on transfixe avec une épingle les lèvres de la plaie pour fermer celle-ci. L’épingle et la peau sont solidarisées par un lien (nœud de saignée, fait de quelques crins chez les chevaux). Les quantités soustraites importaient évidemment beaucoup, et Jacques de Solleysel s’est insurgé contre l’habitude de laisser le sang se répandre sur le sol au lieu de le recueillir dans un récipient, comme le faisaient soigneusement les chirurgiens afin d’en apprécier le volume et les qualités. En 1715, Giov.-Maria. Lancisi s’oppose raisonnablement à cette pratique dans la peste bovine. On le comprend maintenant : diminuer la réserve globulaire chez un malade susceptible de diarrhée hémorragique ne peut améliorer le pronostic.
16La saignée des animaux a moins retenu l’attention des historiens que celle de l’homme13. Outre deux études actuelles14, les textes classiques suffisent toutefois à s’en faire une idée15.
17Le séton (du latin seta, soie, crin) est le deuxième genre d’émonctoire16 proposé par Bernardino Ramazzini, à la fois comme traitement effectif et comme prophylactique. C’est une autre façon de « procurer au sang des endroits par lesquels il se purifiera des parties malignes dont il est chargé17 ».
18Applicable, comme la saignée, à l’homme et aux animaux, il remonte à l’Antiquité et n’a été abandonné qu’au XXe siècle18. Il s’agit d’une bandelette de linge, un ruban de fil, une mèche de filasse, un morceau de corde ou autre que l’on passe sous la peau par deux ouvertures, l’une pour les faire pénétrer, l’autre pour les faire sortir (fig. 30). Le ruban est mis en place en se servant d’une aiguille à séton, lame métallique à pointe lancéolée tranchante, munie d’un chas allongé dans lequel passe le tissu. C’est emporté par l’instrument que celui-ci traverse la peau de part en part. (fig. 31 et 32). Une autre méthode consiste à percer au préalable le cuir au fer rouge. Chez le bœuf, la région de prédilection était le fanon19.
19Afin d’activer la suppuration locale, on enduisait le séton de substances irritantes minérales comme la térébenthine, et surtout végétales comme l’ellébore, le garou, le daphné lauréole20.
« Pour faire ces sétons, il faut pincer la peau et l’élever le plus que l’on peut, ensuite la percer avec un fer rouge de la grosseur du doigt ; passer à travers le trou une corde ou une mèche qui sera frottée ou trempée dans un onguent nommé suppuratif, qui se fait chez les apothicaires ; à son défaut, on se servira de vieux oing. Quand les sétons suppurent, il faut les panser tous les jours en tirant la mèche ou corde doucement, crainte de la faire passer entièrement. À chaque pansement, on mettra de l’onguent à l’entrée de chaque trou, et on renouvellera la corde quand la première sera hors d’état de servir21. »
20Le chirurgien Drouin rapporte une pratique populaire analogue appelée herbire (ou herber), dans laquelle le tissu est remplacé par le végétal irritant lui-même, alors nommé trochisque.
« Pour herbire, on prend un fer pointu environ de la grosseur du petit doigt, on perce la peau, autrement dit la lampe [le fanon], qui est pendante entre les jambes de devant ; on met par le trou fait par ledit fer deux ou trois brins de racine d’Hellébore noir ou maussaire qu’on laisse plusieurs jours ; par le moyen d’Hellébore il s’y fait une grosse tumeur ou abcès que l’on perce [...]22. »
21On ne peut s’étonner que, chez les animaux récalcitrants, il ait fallu recourir à de sérieux moyens de contention.
« On rencontre quelquefois des chevaux et des bœufs tellement irritables et méchants que l’on est contraint, pour leur placer un séton, de les abattre [les coucher] ou de les mettre dans un travail. On attache quelquefois les bœufs à une voiture, ou bien on les fixe par les cornes à un pilier ou à un arbre23. »
22Le séton donnait lieu à un engorgement local qui persistait deux ou trois jours ; après quoi survenait un suintement séreux qui ne tardait pas à devenir purulent. On ne le laissait pas en place plus de trois semaines. Une autre façon de faire, qui remontait encore à l’Antiquité24, consistait à « percer les oreilles à l’aide d’un fer arrondi et à y insérer ensuite une racine d’hellébore » (§ 21).
23Bernardino Ramazzini proposait un troisième type d’émonctoire : la cautérisation « sur chaque côté de l’encolure avec un large fer, chauffé à blanc » (§ 21). Le médecin Boniol, traduisant librement ce passage, parle d’une pelle rougie au feu25. Les ampoules produites par la brûlure s’infectaient rapidement, et la suppuration les transformait en pustules analogues, pensait-on, à celles qui annonçaient la guérison naturelle. C’est encore Hippocrate que cite le professeur de Padoue pour justifier cette pratique26, cruelle mais on avait également utilisé le cautère chez l’homme à titre prophylactique dans les épidémies de peste27.
24Dernier procédé chirurgical mis en œuvre, les frictions avaient pour but de « faciliter la perspiration » – respiration cutanée ou insensible transpiration – « pour préparer la peau à recueillir dans ses glandes ce que rejettent les nerfs et les artères » (§ 21). Dans le même but, le docteur Blondet retient deux genres de « remèdes capables d’augmenter l’excrétion des humeurs cutanées ». Il s’agit soit de diminuer la résistance qui s’y oppose, soit d’augmenter la force du cœur. Le premier moyen lui paraissant préférable, il imagine un surprenant artifice. Il considère d’abord « le poids que supporte un bœuf, ou quelque bête de pareille grosseur, par la pression de l’atmosphère, lorsque le mercure est à 27 pouces ½, qui est sa hauteur ordinaire ». Diminuer une pression atmosphérique aussi considérable aurait selon lui pour effet d’exercer une sorte de succion de l’intérieur vers l’extérieur de l’organisme. Pour ce faire, l’animal est introduit dans une « cabanne », sa tête restant à l’air libre. L’abri, parfaitement fermé, est construit au-dessus d’une fosse dans laquelle sont placés trois récipients d’eau bouillante, ce qui doit raréfier l’air « comme dans une ventouse28 ». Car c’est bien aux ventouses de verre utilisées en médecine que l’auteur se réfère. Rappelons qu’on flambe l’intérieur de ces petits récipients avant de les appliquer sur la peau. Le refroidissement et la contraction de l’air emprisonné soulèvent celle-ci qui se boursoufle. L’afflux local du sang se fait, on l’espère du moins, au détriment du foyer de congestion à résoudre. Il faut l’esprit inventif du docteur Boniol pour appliquer le procédé à un organisme entier. On doute que ses contemporains physiciens cautionnent une telle méthode. Plus simplement, M. du Hamel, sociétaire de l’Académie des sciences, propose une sorte de sauna pour faciliter l’éruption en humidifiant et en ramollissant la peau.
« Ce moyen est de retenir les bestiaux dans un lieu bas et commode, pour leur faire recevoir longtemps les vapeurs de l’eau bouillante ; ce qui se pourrait faire avec plusieurs chaudières chauffées, et dans lesquelles on jetterait encore du métal ou des pavés rougis, pour exciter de plus en plus les vapeurs : beaucoup de raisons fondent à en faire bien augurer, il est avantageux de rendre ce moyen public [...]29. »
25Une fois exposé ce qui ressort de la chirurgie, le vieux maître de Padoue revient à la pharmacopée avec le plus célèbre médicament d’alors, le quinquina (§ 22). Si le principe actif du kina-kina des Incas, la quinine, ne fut isolé qu’au XIXe siècle, les effets du produit brut distinguèrent aussitôt autres, en majorité inopérantes30. On avait affaire à cette drogue des médicament miracle. L’origine de la poudre des Jésuites, dont l’importation débuta vers 1630, resta secrète jusqu’à ce que le coûteux remède se répande dans les cours européennes puis dans toutes les couches de la société. On finit par en abuser, et c’est contre l’administration de doses exagérées que s’insurgea Bernardino Ramazzini. Depuis trois ans déjà Carlo Francesco Cogrossi avait consacré un ouvrage à « l’écorce péruvienne31 » lorsque, en 1713, une polémique opposa Bernardino Ramazzini 31 à son ami et ancien collègue à l’Ateneo de Modène, le professeur Francesco Torti (1658-1741). Bernardino Ramazzini, en 1714, ne manquait pas d’arguments pour critiquer la mode prétendument nouvelle des doses élevées de quinquina déjà dénoncée par Thomas Sydenham dans la variole32.
« Mais peut-être dira-t-on que cette méthode est nouvelle, qui consiste à employer le quinquina à la forte dose de plusieurs onces et souvent dans la même journée, et de continuer un tel usage tant que la fièvre n’a pas disparu. Cependant cette méthode n’est pas nouvelle, bien qu’on la vante comme telle ; elle commença, il y a longtemps, à être en usage en Allemagne, comme nous l’apprend une lettre de Robert Brady à Thomas Sydenham33. »
26Volontaire ou non, il s’agissait d’une attaque contre un ouvrage récent de Francesco Torti34. Ce dernier répliqua en réfutant paragraphe par paragraphe le texte de son contradicteur35. Comme la mauvaise foi n’empêche pas le talent, la postérité retint si bien ses arguments que le nom de Francesco Torti resta associé au quinquina, tandis que pâlit la réputation de Bernardino Ramazzini36. Le texte de 1712 sur la peste de bœufs montre au demeurant qu’il n’était pas l’adversaire inconditionnel du quinquina qu’on persiste à croire, puisqu’il conseillait non seulement cette drogue contre les fièvres intermittentes de la malaria pour lesquelles elle faisait merveille, mais encore dans les fièvres continues où elle agissait en symptomatique (§ 22). On est donc loin de l’entêtement borné dénoncé par Francesco Torti. Reste à savoir quel était l’effet du quinquina sur les bestiaux aux quantités conseillées, tout en sachant que son prix en interdisait l’usage sur un troupeau entier37. Les auteurs du début du XXe siècle, derniers utilisateurs du produit fournissent une réponse fondée sur l’expérimentation38. Ils reconnaissent à cette substance, donnée à faible dose, une action astringente et antiseptique sur le tube digestif, favorable dans les diarrhées modérées mais certainement insuffisante contre la dysenterie de la peste bovine. Quant à l’action antifébrile, elle s’obtient en augmentant les doses de dix fois (tableau 10).
Tableau 10. Doses de quinquina dans les grandes espèces domestiques. René Cerbelaud, Manuel vétérinaire ou Formulaire des médications rationnelles et des remèdes secrets, P., l’auteur, 1910, p. 1048.
Doses toniques de poudre de quinquina | Doses fébrifuges de poudre de quinquina | |
Bœuf | 2 à 5g | 20 à 50 g |
27Bernardino Ramazzini conseille une préparation contenant trois onces39 de quinquina, soit 94 g, qu’il divise en quatre parties à faire absorber matin et soir. Cette dose quotidienne de 47 g convient parfaitement pour supprimer la fièvre d’un bovin adulte, et Félix Vicq d’Azyr confirmera en 1776 que « cette formule a été employée par tout le monde, depuis que Ramazzini l’a rendue publique40 ».
28Peu onéreux, en revanche, l’antimoine et le camphre étaient diaphorétiques, c’est-à-dire qu’ils augmentaient l’activité de la peau et la transpiration, toujours dans l’idée « d’expulser le terrible poison de l’intérieur vers l’extérieur ». (§ 22 – 23)
29Si le reste des médicaments préconisés n’entre pas dans le schéma de l’évacuation, il ne faut pas s’en étonner. On a affaire à un cours magistral et toute occasion était bonne de rappeler les possibilités de l’ancienne matière médicale, réputées illimitées. Les prescriptions s’allongeaient en conséquence, grevant d’autant le budget des propriétaires.
30Ainsi la corne de cerf semble-t-elle inspirer beaucoup de confiance car « les remèdes, dans lesquels elle entre, seront utiles ». Contrairement à l’opinion de Buffon qui lui reconnaissait une nature végétale, il ne s’agit que d’os. La relation symbolique du bois de cervidé à la renaissance des fonctions vitales en faisait certainement toute la valeur.
« On se sert encore, dans la petite vérole, de la corne de cerf qui, étant réduite en gelée, est une espèce de spécifique contre cette maladie, mais ce remède est un peu trop cher pour en user dans la maladie des bœufs aussi abondamment qu’il serait nécessaire41. »
31La poudre de vipère ou mieux l’eau cordiale dans laquelle on a cuit deux vipères « mettent fin à la fièvre en quelques jours ». Jacques de Solleysel s’en servait chez les chevaux dans des conditions analogues.
« L’essence de vipère est la base des bons cordiaux, et celle qui peut préserver le cœur du venin et du feu étranger de la fièvre continue ; et si d’abord qu’on la découvre on en use, le cheval qui a la fièvre en sera soulagé42. »
32En 1771, Claude Bourgelat emploiera « plus commodément la vipère en poudre » mais toujours comme « cordial, dépuratoire, alexitère, très propre dans les maladies malignes, pestilentielles, cutanées, etc.43 ».
33Le blanc de baleine ou spermaceti, substance pectorale, tempérante, anodine, émolliente44, extraite de la « bosse » du cachalot, s’opposait à la concrétion du sang accusée de tous les maux dans les préliminaires pathologiques ; il facilitait la respiration.
34Bernardino Ramazzini s’étend en outre sur les anthelminthiques (§ 24), inopportuns dans cette maladie si l’on omettait le rôle attribué aux vers par son collègue Antonio Vallisneri. C’est ce dernier qui certainement a soufflé à Bernardino Ramazzini les avantages du mercure, comme le suggère une lettre écrite deux ans plus tard :
« Si la fièvre des bœufs n’avait pas encore altéré les viscères, qu’il n’y eût pas de transports au cerveau45, je leur ferais une onction mercurielle telle qu’on la fait à ceux qui ont la grosse vérole. On en tirerait deux avantages, l’un de tuer les vers, l’autre d’exciter une salivation abondante ; car on a observé que ceux qui ont été guéris ne l’ont été que par une abondante évacuation d’une salive puante qui leur sortait par la gueule46. »
35L’efficacité (prétendue) du mercure contre les vers, admise par les Anciens, avait naguère été confirmée par une « expérience » de Francesco Redi, qui, posant un lombric sur du vif-argent, le vit s’agiter puis mourir « tout raide et convulsé » en vingt-quatre heures47. Au moins le vif-argent avait-il, comme chez les syphilitiques, l’avantage d’activer la salivation et de contribuer à l’évacuation des principes morbifiques. L’injection intraveineuse, recommandée par Antonio Vallisneri, de décoctions antiver mineuses a eu son heure de gloire. Cette effrayante pratique avait eu des antécédents en Angleterre où l’on avait osé introduire dans le système circulatoire « les plus forts purgatifs à un homme qui avait la grosse vérole », lequel n’en guérit pas moins48 !
36Bernardino Ramazzini cite un autre anthelminthique, populaire celui-là, le pétrole qui affleurait dans les contreforts des Apennins non loin de Modène où le vieux médecin avait autrefois exercé49. Les paysans, avertis de l’infestation massive de leurs veaux par les ascaris en raison de l’odeur butyreuse de leur haleine (ce qui est exact), mélangeaient quelques gouttes d’asphalte aux buvées. Mais la présence de vers n’avait pas pour tous les lecteurs un rapport de cause à effet avec la peste bovine, et Bernardino Ramazzini se contentait de mettre ce vermifuge au rang des mesures préventives d’hygiène.
37Le traitement se fonde globalement sur l’élimination.
« Évacuer, c’est opérer par le secours de l’art, au défaut des forces de la nature, l’expulsion des diverses humeurs surabondantes par les différents 50. couloirs qui peuvent en permettre la sortie50. »
38En définitive, la thérapeutique ancienne, à l’opposé de l’antibiothérapie qui tente de détruire sur place l’agent infectieux, compte sur l’évacuation du principe morbide, et dans cette intention toutes les voies sont utilisables. Si Bernardino Ramazzini passe sous silence les diurétiques et les purgatifs – condamnés par son confrère Giov.-Maria Lancisi –, il n’omet aucun des autres modes d’évacuation : la sueur, produite par le camphre et l’antimoine ; le pus, par les sétons et les cautérisations ; le sang, par la phlébotomie ; la salive, par le mercure. Bien que ce traitement, à trois siècles de distance, nous semble nuisible ou pour le moins inutile et cruel, il n’a, selon les conceptions de l’époque, rien que de très rationnel. Végèce et Columelle l’avaient déjà recommandé, avec les sétons, les cautères, les saignées sous la queue. Et malgré l’évolution de la physiopathologie, il faut convenir qu’il se maintiendra jusqu’au milieu du XIXe siècle.
Les remèdes populaires démarquent la médecine savante
39Est-ce à l’imitation de prescriptions médicales qu’en 1714 et en 1745 les paysans français traitent leurs animaux avec les cordiaux, la saignée et le séton décrits par Bernardino Ramazzini ? Ces moyens ne relèvent en tout cas ni de la magie, ni de l’obscurantisme, et les médecins n’auraient pas dû y trouver à redire.
40Henri-François d’Aguesseau, Procureur général du Parlement de Paris pour lequel la Faculté n’est sans doute pas omnisciente, ne néglige aucune rumeur de guérison. En 1714, il collecte les recettes qui lui parviennent, et qui donnent une idée des méthodes répandues dans les campagnes.
« J’ai appris du Sr Guillon, de Courtoin [Yonne, mais près de Courtenay] qui est de notre élection, qu’une femme de ce pays-là saigne les vaches à la langue et ensuite leur fait avaler du suc de flammes, autrement Iris du pays, dans un demi-septier de vin, et qu’elle en guérit plus qu’il n’ en meurt.
Un marchand de Nevers qui est au marché me vient de dire que, dans le Morvan où est cette maladie, on a employé toutes sortes de remèdes inutilement ; qu’ils ont à présent recours à l’acier. Ils prennent une bille ou un carreau d’acier qu’ils font fondre avec le soufre au-dessus d’un seau d’eau, mettent en poudre ce qui tombe dans l’eau et en donnent aux vaches (il ne sait pas la dose) dans un verre d’eau-de-vie, après les avoir fait saigner sous la langue51.
Les remèdes les plus chauds paraissent les meilleurs. Un verre d’eau-de-vie, dans lequel on délaie gros comme une noix d’orviétan et une charge de poudre à tirer, et qu’on fait boire quelques jours à la bête malade, en a sauvé. D’autres ont pris une chopine de vinaigre, trois cuillérées de soufre, une cuiller de sel et une de poivre, bouillie un moment, dans laquelle on jette trois poignées de suie de cheminée bien passée. Remuer ensuite avec un bâton et reposer pendant demie heure. Ils en ont fait boire à la bête malade qu’ils ont laissée reposer depuis pendant trois heures [sic] dans une écurie séparée avant de lui donner à manger ; et ce remède en a sauvé, surtout donné aussitôt que la bête paraît malade52. »
41On retrouve l’orviétan, le nitrate de potassium sous la forme de « poudre à tirer », le sel, le soufre et le vinaigre, ingrédients de la thérapeutique classique. De plus l’alcool figure partout. Il s’agit donc principalement de cordiaux.
42En Île-de-France, le chirurgien Drouin observe aussi que « les paysans guérissent quelques vaches en leur donnant des cordiaux53 », et le traitement qu’il mettra au point accordera une large part à ces substances54. Il n’y a donc pas d’opposition de principe, tout juste un degré de savoir, entre les remèdes professionnels et ceux du public. Cette démarcation imprécise ne laisse pas d’embarrasser les responsables politiques, d’autant que les instructions des docteurs en médecine pèchent par leur inefficacité. Aussi « l’assemblée » réunie spécialement à Paris de 1714 à 1715 fera-t-elle essayer toutes sortes de formules, y compris les moins recommandables55.
43En 1745, Jean-Baptiste-Louis Chomel56 s’inquiète des cordiaux que les paysans « s’entêtent » à utiliser, tandis que certains de ses confrères les prescrivent encore.
« Conduit par ses préjugés, persuadé qu’on doit fortifier dans la maladie parce que les forces diminuent, [le paysan] traitait les bêtes comme il se serait traité lui-même. Il leur donnait force vin assaisonné de muscade, cannelle, poivre, etc. [...] En vain faisions-nous observer que l’orviétan, la thériaque, la cannelle, la muscade, l’eau-de-vie, la poudre à canon, l’ail et tous les autres cordiaux devenaient nuisibles dans le cas présent. Il espérait toujours et se flattait de réussir en en donnant encore de nouvelles doses. [...] Si par hasard on nous promettait de suivre notre conseil, on était bien résolu de nous tromper, et la nuit on veillait les animaux pour les faire manger, ou boire beaucoup de vin aromatisé. Nous avons vu des gens qui ont dépensé une feuillette de vin pour cinq ou six vaches dans fort peu de temps57. »
44L’influence de la thérapeutique savante sur les pratiques populaires ne peut surprendre. Face à une maladie aussi soudaine et étrangère aux recettes traditionnelles, force était de recourir aux ouvrages de vulgarisation : compilations médicales des livrets de colportage58, ouvrages de maréchalerie comme ceux de Jacques de Solleysel et de François de Garsault59, ou Maisons rustiques60.
45En 1774, les insuccès des médecins et des vétérinaires amènent Turgot à s’intéresser, comme l’avaient fait les responsables politiques en 1714, aux traitements populaires. La mission qu’il confie à Félix Vicq d’Azyr consiste plus à expertiser les remèdes de toutes natures qu’à intensifier la police sanitaire, comme en témoigne le titre de l’ouvrage qui conclut l’enquête du médecin : Exposé des moyens curatifs et préservatifs qui peuvent être employés contre les maladies pestilentielles des bêtes à cornes61.
46On aurait pu attendre de la part de Félix Vicq d’Azyr une condamnation des formules non médicales, inutiles ou nocives, et que seule excusait la détresse des éleveurs. Mais il se prononce rarement, soit par une modestie tirée de ses propres échecs, soit par esprit de conciliation, afin de ménager le public et le Contrôle général. Au moins récuse-t-il les préparations les plus incendiaires, comme ce mélange de plantes et « d’esprit de tartre », déjà utilisé en 1745 par un berger de Villeneuve-Saint-Georges, qui a fait avorter presque toutes les vaches62. Il transcrit cependant sans commentaire et comme sous la dictée de leurs auteurs les moyens qui ont donné la moindre apparence de succès.
« [...] 11° M. Lafite, de Toulouse, a guéri plusieurs bestiaux avec le bouillon de mouton et de vipères, donné dans le principe [au début de la maladie], et une potion cordiale très compliquée, dans laquelle le vin et la thériaque dominent, administrée vers le milieu et le déclin de la maladie.
12° M. de Lapie dit avoir opéré des cures surprenantes avec la recette suivante : prenez thériaque et extrait de genièvre, de chacun une once, sel ammoniac demi-once, vin rouge une pinte ; faites bouillir le tout, donnez-le à la bête, et mettez-lui sur le dos une couverture de laine trempée dans de l’eau chaude de fumier. L’animal transpire et il pousse une grande quantité de boutons qui terminent heureusement la maladie63. »
47De leur côté, les vétérinaires, qui endurent la concurrence des guérisseurs traditionnels, se font un devoir d’en dénoncer les pratiques, même si, encore une fois, elles se distinguent peu de leurs propres prescriptions. En 1799, un praticien de Nancy préconise, selon Claude Bourgelat, l’huile, le vinaigre et le sel, tout en s’insurgeant contre des formules populaires assez analogues (Document 15).
Document 15
traitements non professionnels de la peste bovine en l’an VII, selon un vétérinaire nancéien.
Feu Mayeur père, « Mémoire sur la maladie inflammatoire, nerveuse, putride, gangreneuse, dysentérique, morveuse, exanthématique et pestilentielle, qui régna en 1799, sur les bêtes à cornes du département de la Meurthe, et qui ravagea diverses contrées de l’Europe » communiqué par M. Mayeur fils, aussi vétérinaire à Nancy, in : C.-M.-F Fromage de Feugré., Correspondance sur la conservation et l’amélioration des animaux domestiques [...], P., F. Buisson, 1810-1811, 4 vol, t. 2, 1810, p. 114-137 : p. 134-135.
Les marcaires et autres gouverneurs de bestiaux ont la mauvaise habitude d’administrer des soupes faites avec du saindoux, du lard ou du jambon ; ils y ajoutent de l’huile de lin, ou de l’huile à brûler ; ou bien de l’ail, des poireaux, des baies de genièvre, des racines de jonc odorant, de pied de veau, de brione, d’hellébore, de gentiane, d’aunée, de cabaret, etc. Je pense que les bouillons âcres ne peuvent qu’augmenter l’inflammation, et que leur composition enlève au ménage des choses qu’on doit réserver pour la nourriture du propriétaire et de ses gens.
Ils sont encore d’usage d’administrer par les naseaux le vinaigre aromatique appelé vinaigre des quatre voleurs64, dans lequel ils ont une trop grande confiance, et auquel ils attribuent plus de vertus qu’il n’en a réellement. Cette dénomination des quatre voleurs étant mystérieuse séduit le vulgaire ; et ce qui devrait empêcher de croire à son efficacité est précisément ce qui devient un motif de crédulité.
Je regrette également comme incendiaires les substances suivantes qu’ils ont coutume de donner par les naseaux : ce sont l’huile de térébenthine, celle de pétrole, le vinaigre de piment, la poudre à canon, l’alun, etc. Ainsi je partage l’avis de Lieutaud65 qui rejette absolument tous les remèdes violents.
On a cru avantageux de faire respirer aux animaux des vapeurs de soufre jeté sur des charbons ardents ; mais ce moyen est capable de déterminer la suffocation.
48De fait, la peste bovine échappe aux superstitions séculaires. Nous n’avons relevé qu’un seul procès en sorcellerie relatif à la maladie, qui ne mérite d’ailleurs d’être rapporté que pour son caractère exceptionnel. De prétendus sorciers, croisant sur leur chemin des campagnards se rendant à la foire et les ayant interrogés sur les raisons de leur affliction, ceux-ci
« répondirent, c’est que nos bœufs et vaches se meurent journellement. Et ils leur donnèrent avis de tuer un de leurs bœufs et de le faire enterrer en un lieu béni, et à mesure qu’il pourrira, les bêtes se porteront mieux. Et par la toute puissance de Dieu, le Curé en fut averti et fit avertir la Justice [...]66 ».
49Conseil fatal pour les six gaillards qui le donnèrent, car, soumis à la question, ils furent bientôt convaincus de sorcellerie et envoyés au bûcher.
50En 1774, selon Christian Desplats, « pour de nombreux Béarnais, l’épizootie était un mau dat, un mal donné ; le fléau fut suivi de multiples procès de sorcellerie67 ». Faut-il y voir une particularité régionale ? On attribuait surtout aux sortilèges les maladies charbonneuses dont les accès localisés étaient courants dans le Sud-Ouest. Dans ce cas, l’arrivée de la peste bovine n’aurait qu’accusé un phénomène préexistant, quoique, soulignons le, on ne rapporte nulle part ailleurs de croyances magiques relatives à l’épizootie. Quant aux tribunaux, ils ne se souciaient plus des sorciers sous le règne de Louis XVI.
Prescriptions médicales officielles
51Devant l’épizootie de 1714, aucun des praticiens proches du pouvoir, ne manquent à ses obligations. Gui-Crescent Fagon68, en sa qualité de Premier Médecin responsable de la santé du royaume, donnera son avis au mois d’août, après l’échec des remèdes secrets dont la mise en œuvre sera rapportée plus loin. Il « a fait composer par les apothicaires de Sa Majesté une espèce d’orviétan très utile pour les animaux et même pour les hommes quand il est donné à propos, mais qui ne produit nul effet quand le mal est parvenu à un certain période69 », à la manière du Remède des Pauvres.
52Le Procureur général du Parlement de Paris consulte de son côté le célèbre Jean-Adrien Helvétius70, le propre inventeur du Remède des Pauvres. Son père, prétend celui-ci, a traité « trois contagions de même espèce qui ont affligé les Provinces-Unies depuis environ quatre-vingts ans71 », de quoi, en plus des mémoires qu’il a entre les mains, renforcer la crédibilité de sa prescription. Il propose plusieurs assemblages d’ingrédients « afin que le choix en fût libre pour ceux qui ne seraient point à portée d’en recouvrer quelques-uns aisément », montrant par là qu’il a conscience de la rareté et du prix de certaines drogues. L’efficacité des antidotes ne faisant de doute pour personne, il en propose un grand (Document 16) et un petit. En poids, la composition du grand antidote se répartit de la façon suivante :
poids métrique | pourcentage du poids total | |
Produits végétaux (hormis le Quinquina) et poudre de vipère | 3,375 kg | 10.4 % |
Total | 31.875 kg | 100 % |
53Ce mélange correspondait à 1020 doses d’une once (31,25 g), de sorte qu’avec sa ration quotidienne, un bœuf ou une vache absorbait à peine un gramme de quinquina. On restait loin de la quantité antifébrile de 20 à 50 g, et même en deçà de la dose antidiarrhéique. Quant au « petit antidote », c’était une version simplifiée du précédent où manquait le quinquina mais où figuraient en faibles quantités l’opium et le mercure. On donnait ces antidotes avec un « lait de térébenthine », peut être en référence au pétrole de Bernardino Ramazzini. Une allusion à l’action vermifuge de la térébenthine se lit effectivement parmi les indications.
Document 16
Grand antidote universel selon Jean-Adrien Helvétius Mémoire sur la maladie des bestiaux, p., A. mercier, 1714, 10 p.
Racines de : Dompte-venin, Carline, Angélique, Valériane, Enula-Campana, Chélidoine, Impératoire, Aristoloche, Bryone72 et Méon, Calamus aromaticus | 8 onces |
Ail desséché | 8 onces |
Quinquina | 1 livre |
Safran ou fleurs de Carthame | 3 onces |
Baies de Laurier, Graines de Genièvre, | ½ livre |
Myrrhe, Aloës succotrin [socotrin] | 10 onces |
Noix muscade, Cannelle, clous de Girofle, Gingembre, | 3 onces |
Æthyops minéral [Sulfure noir de Mercure] | 2 livre |
Antimoine cru | 1 livre |
Salpêtre [Nitrate de Potassium] | 1 livre |
Faites du tout une poudre, tamiser, arroser de : Huile de Genièvre ou de Pétrole | 1 livre |
mélanger à : Miel | 50 livres |
« C’est le baume le plus excellent qui convienne dans les maladies des bestiaux dont le sang est chargé de sels corrosifs. Ce qui se manifeste tant par le ténesme [qui est une fréquente envie de fienter] dont ils sont fatigués pendant la maladie, que par le flux de sang et cours de ventre qui leur surviennent, et par les vers, ulcères et excoriations qu’on trouve après leur mort dans le poumon, le foie et différents viscères73. »
54Jean-Adrien Helvétius recommande d’obtenir la sudation de l’animal en le faisant « nager à sec », ce qui consiste à lui « lier un membre en faisant joindre le pied au coude au moyen d’une longe qui passe sur le garrot ; ensuite on [le] contraint de marcher à trois jambes74 ». Dans d’autres cas,
« on le fera passer plusieurs fois à travers un feu de copeaux pour l’animer et l’agiter ; ou bien on l’attachera entre deux poteaux et on lui allumera le feu sous le ventre, sans néanmoins le mettre à portée de se brûler le poil ou la peau. Quand il sera bien échauffé, on le mettra dans un lieu bien clos, et on le couvrira bien pour tâcher de le faire suer abondamment pendant deux ou trois heures [...]75 ».
55L’importance de la sueur dans l’évacuation ne se dément pas, ni celle de la saignée, des frictions, ni des trochisques à l’ellébore. Les purgations sont limitées à quatre. L’auteur ajoute son remède de prédilection, « la racine d’ipécacuanha en poudre, dont la dose doit être d’une demi-once, dans une chopine de vin76 ». Elle restera classiquement indiquée dans les diarrhées graves du bœuf à la dose de 5 à 15 g77 et cette « demi-once » – 15,60 g – convient parfaitement. Les prescriptions de Jean-Adrien Helvétius sont, avec celles de Gui-Crescent Fagon, les premières à être officiellement distribuées. En janvier 1714, le Dr Helvétius adresse à la généralité de Bourges, sur ordre du Contrôle général, trois mille prises de son remède, « qui sont parties par la voiture publique ». On ne peut savoir s’il s’agit du grand ou du petit antidote78.
56En août 1714, Pierre Chirac79 rédige également une instruction sans avoir examiné le moindre animal malade, se contentant des relations envoyées de Lyon et de Chalons. Jusqu’à la fin du siècle les consultations par correspondance n’ont rien d’exceptionnel. Nombreux sont les patients qui décrivent leurs maux comme ils le peuvent dans une lettre à un praticien célèbre, et en attendent, moyennant finance, la guérison que ne leur ont pas permise les pratiques du voisinage80. Pierre Chirac conclut d’abord de ce qu’il a pu apprendre
« qu’il faut traiter les bêtes à cornes qui sont malades à peu près comme on traite les fièvres malignes dans les hommes, qui portent le sang à une dissolution totale »81.
57Ce principe de la dissolution du sang s’oppose à l’épaississement soutenu deux ans auparavant par Bernardino Ramazzini. Mais il n’en conseille pas moins la saignée
« dans le moment qu’on s’aperçoit de la maladie [dès la détection des premiers symptômes], parce que si on attend vingt-quatre heures, le sang est alors dans un tel degré de dissolution et de fonte que la saignée ne ferait que précipiter la mort en donnant plus d’espace au sang pour la fermentation [...]82 ».
58Il recommande l’évacuation manuelle du rectum suivie d’un lavement de trois livres d’une décoction de bouillon blanc, de plantain et de renouée, additionnée de miel. « Après quoi, sans aucun délai, le lavement rendu ou non, et sans égard pour l’hémorragie [intestinale] il faut purger la bête malade ». Comme Bernardino Ramazzini, il fait donner des soupes claires de céréales (l’eau blanche), favorables à la réhydratation, qu’il additionne, hélas, de salpêtre, diurétique d’effet antagoniste. Dans les deux lavements quotidiens, il ajoute, parmi des plantes sans importance, une tête de pavot capable d’apaiser un peu les contractions douloureuses de l’intestin. Quant aux purgations renouvelées les troisième, cinquième et sixième jours en vue d’expulser le mal, elles ne peuvent qu’aggraver le pronostic. La térébenthine – une demi-once (15 g), mêlée à trois jaunes d’œufs – complète la prescription. On passera sous silence les potions qui alourdissaient un traitement dont aucun paysan n’aurait pu venir à bout sans le coûteux secours de l’apothicaire. La remarque, déjà faite au sujet de Bernardino Ramazzini, vaudra pour la majorité des rédacteurs d’instructions, y compris Claude Bourgelat dont les cures dépasseront elles aussi les moyens financiers des éleveurs.
59D’autres mémoires nous sont parvenus, écrits par des praticiens témoins de l’épizootie. Ainsi Herment83, médecin à l’Hôtel-Dieu de Paris, eut-il pour mission d’expérimenter une foule de remèdes autour de la capitale. Quant à Drouin, chirurgien major des Gardes du Corps du roi, on le choisit pour accompagner – et surveiller – Géraudly, auteur d’une formule secrète, dans son expédition de Paris en Bourgogne. Sans doute le croyait-on familier des maladies animales, lui qui avait soigné la grippe équine de 1712 durant la campagne d’Allemagne84.
60Pour le médecin Herment, la saignée doit absolument être suivie le lendemain, et deux fois ensuite à deux jours d’intervalle, d’une purgation (assa-fœtida, crocus metallorum85, salpêtre, fleur de soufre). Averti qu’on ne trouve pas ces drogues dans tous les villages, il propose d’employer au besoin des plantes ordinaires : racine de couleuvrée (vigne blanche ou courge sauvage) et Gratiola (la grâce de Dieu ou herbe-à-pauvre-homme). Le chirurgien Drouin trouve aussi « la saignée très nécessaire, parce qu’en désemplissant les vaisseaux, le sang circule et se développe plus aisément » ce qui équivaut à la quatrième raison de Jacques de Solleysel. Il fait soutirer chaque fois deux livres aux bœufs, une livre et demie aux vaches et une livre aux génisses, quantités très insignifiantes. Une heure et demie après la saignée, on donne chaud le breuvage suivant toutes les quatre heures86 (voir tableau p. 249).
61Vin, absinthe et sauge font partie, on l’a dit, des cordiaux. Si la maladie augmente, on administre à deux reprises une nouvelle potion à base de vin, de fiente de pigeon, de soufre, d’ellébore, de salpêtre, de sabine et de genièvre.
62Il faudra attendre l’épizootie suivante pour que certains médecins prennent conscience de l’inutilité de la thérapeutique. En 1745, Jean-Baptiste-Louis Chomel, dont le père, médecin lui aussi, avait publié un remède en 171487, est le premier à avouer qu’aucun traitement n’a donné satisfaction, ni à ses confrères parisiens ni à lui-même. « Il en coûte beaucoup à l’amour-propre quand on est forcé d’avouer que tous les soins ont été presque inutiles et qu’on a été spectateur d’un incendie sans pouvoir en arrêter les progrès88 ». Les saignées ne préviennent pas l’inflammation ; l’huile à grandes doses et les purgatifs réitérés ne parviennent pas à débarrasser les réservoirs digestifs des matières alimentaires qui les encombrent ; la fièvre (aux doses qu’il emploie) ne cède pas au quinquina ; les sudorifiques, comme le sang de bouquetin, le camphre, la suie de cheminée sont restés inopérants, de même que de recouvrir les animaux de fumier pour les faire suer. Restent les sétons, le fer rouge, les caustiques – il s’en faut qu’ils réussissent tous –, la diète, et pour finir « la boisson fréquente avec de l’eau blanche89 ».
63Ces sages conclusions n’empêcheront pas ses confrères de multiplier les prescriptions pendant l’épizootie du Sud-Ouest en 1774. À Bordeaux, le docteur Doazan déplore le peu de succès des méthodes curatives employées jusque-là, mais n’en propose pas moins un vinaigre aromatique. On peut essayer, dit-il, à titre de spécifique l’alcali volatil (ammoniaque), mais il s’en remet pour finir à une recette étrangère dont il n’a pas même vérifié l’efficacité.
« Enfin il est rapporté dans la Gazette de France du mois de décembre de l’année 1772, article de Vienne en Autriche, que la racine de pétasite, ou herbe aux teigneux90, a produit des effets surprenants, tant pour guérir la maladie des bestiaux que pour les en préserver. Sa vertu alexitère est connue depuis longtemps des médecins, et surtout fort vantée par les allemands91. »
64Claude Bourgelat publie à son tour en 1774 et 1775 un traitement certainement raisonnable pour ses contemporains, mais peu original tant il doit à ses lectures92. Il réserve la saignée aux animaux pléthoriques, vante l’efficacité du séton, des frictions au vinaigre et du billot ou mastigadour.
« Des billots placés dans leur bouche, pendant quelques heures du jour, seront encore très efficaces : on peut les former de deux gousses d’ail hachées, d’une demi-once de racine d’angélique, de trois dragmes de myrrhe et de deux dragmes de sel ammoniac93. On pulvérise les racines et la myrrhe ; on broie le tout avec une suffisante quantité de miel commun qu’on a fait bouillir dans du vinaigre de vin jusqu’à ce qu’il ait repris sa consistance ordinaire et on le met dans un linge fort et roulé, en manière de billot [cylindre de bois utilisé au lieu de mors], que l’on suspend dans la bouche par le moyen de ficelles attachées aux cornes : la salive étant le véhicule à la faveur duquel les ventricules [les estomacs] et les premières voies peuvent participer au poison morbifique, et s’en trouvant le plus souvent la première imprégnée, en exciter l’écoulement au-dehors, c’est mettre l’animal à l’abri de la force multiplicative du venin94. »
65Les substances à introduire dans la bouche portent le nom de masticatoires. Outre le billot, les maréchaux utilisent le nouet, un linge renfermant les masticatoires, qu’on attache à un mors.
66Claude Bourgelat fait irriguer le nez et la bouche de vinaigre mélangé de thériaque, d’orviétan et d’eau-de-vie camphrée. Comme Giov.-Maria Lancisi, il ajoute de l’alun à la boisson, ou encore des baies de genièvre pour leur propriété antiputride. Quant à l’évacuation digestive, il croit devoir se limiter aux purgatifs doux : sulfate de magnésium, décoctions de tamarin et d’oseille additionnées de nitre. Enfin, ses breuvages fortifiants comprennent entre autres, comme l’antidote d’Helvétius, l’angélique, l’impératoire et le camphre95. À peu de choses près, la formule est répétée par les élèves vétérinaires envoyés dans les provinces sous forme d’instructions à distribuer au public96. Celles qui n’ont pas été exposées ici diffèrent trop peu pour s’y attarder. Tous les auteurs ont composé des lotions oro-nasales et des boissons nutritives analogues à l’eau blanche. Un certain nombre a préconisé le billot. Le cautère, la saignée, les sétons, les sudorifiques, les purgatifs ont eu chacun leurs partisans et – moins nombreux – leurs détracteurs. Claude Bourgelat signale à plusieurs reprises la trépanation des cornes comme moyen thérapeutique. Chez les bovins, la cheville osseuse de la corne est creuse et son ouverture met le sinus en contact avec l’air extérieur (fig. 33). En 1711 déjà, le vénitien Francesco Fantasti considérait la « térébration » des cornes efficace « dans le cas de dépôts dans ces parties », c’est-à-dire dans les collections purulentes des sinus crâniens97.
67Il semble que certaines formules aient été essayées par Félix Vicq d’Azyr lui-même dans les hôpitaux mis en place dans le Sud-Ouest98, comme le suggère un brouillon autographe de vingt-deux numéros dont les douze premiers suffiront à donner une idée.
« mesures accréditées.
1. méthode des montagnes : poivre, poudre à canon, cumin, etc. 3 bœufs morts de gangrène dans les quatre estomacs, dans tous les intestins.
2. méthode de toulouse : corne percée ; baies de genièvre... on fait ce remède à plusieurs. les uns sont morts, les autres revenus.
3. méthode de normandie : décoction d’avoine, contrayerva avec marrube et assa foetida, vin et diascordium99. kinkina à la fin. 2 sont morts. [...] trop cher.
4. méthode espagnole : frotter l’épine avec un onguent fort, très composé, trop cher. les charges100 aromatiques y suppléent. on l’a fait à presque tous les bestiaux. aussi bien de patienter...
5. méthode de tarbes : saignée, scarifications, thériaque de vin, eau-de-vie, camphre. employé en béarn en préservatif.
6. méthode de gases [gastes, landes ?] : saignée, scarifications, vinaigre injecté dans la plaie. vinaigre [non lu] et miel. eau tiède salée. [non lu] 2 bestiaux morts, un très malade, l’un qui va mieux... mais cette méthode se rapproche de la méthode [précédente ?].
7. pâte de fougère, par un officier : 2 morts. onguent. trop cher et trop rare...
8. laver tout le corps avec [non lu], la tête avec [non lu]. excellent moyen de réussir.
9. deux ou trois saignées avec émollients. a réussi sur 3 à ma connaissance.
10. émollients sans saignée. m’a réussi deux fois. en ont eu de grands succès dans la juridiction de [comminges ?].
11. émollients avec des cordiaux et alexitères après les premiers jours. lavements copieux. succès nombreux.
12. purgatifs, 6 morts. je parle non seulement des bestiaux dont j’ai ordonné le traitement, mais encore de ceux dont le régime a été réglé des [sic] propriétaires que j’ai suivi avec soin101. [...] »
68Il serait déplacé de critiquer l’irrationalité de ces « essais » et, pis encore, de les comparer à l’appréciation actuelle des médicaments en double aveugle. Outre l’anachronisme dont on se rendrait coupable, ce serait méconnaître le manque de moyens auquel devait faire face le jeune académicien. Il cherchait simplement l’introuvable méthode, celle qui donnerait 100 % de réussite, et cela dès les premières tentatives. Sans doute aussi répondait-il fidèlement aux demandes du Contrôle général. On pense bien que sa carrière officielle aurait tourné court s’il avait affirmé haut et fort que les mesures d’abattage et de séquestration s’imposaient à l’exclusion de tout traitement. Les essais bénéficiaient au contraire du soutien de Turgot. Celui-ci recommanda en janvier 1775 à l’intendant Journet de payer 1 300 livres pour ceux que le médecin avait pratiqués à Condom102.
69L’Académie des sciences, outre son envoyé sur le terrain Félix Vicq d’Azyr, continuait à satisfaire aux questions du gouvernement. Ainsi en 1776 Antoine-Laurent Lavoisier tenta de relier le traitement de l’épizootie aux recherches qu’il menait sur l’air fixe, c’est-à-dire le dioxyde de carbone, CO2. Il prenait en compte les observations de l’anglais David MacBride qui aurait rendu leur fraîcheur à des viandes à demi putréfiées en les exposant à ce gaz. D’où l’utilisation que l’on aurait faite en Grande Bretagne de l’air fixe en inhalations contre le scorbut de mer, et sous forme d’eau gazeuse en lavements et en boissons. Après quelques essais sur les bovins, on exclut ces méthodes aussi sophistiquées qu’inutiles103. Il fallait se contenter d’une alimentation réputée fortement productrice d’air fixe, comme les matières végétales, en particulier les décoctions d’orge germé et l’eau-de-vie. Selon Lavoisier, les acides étaient également antiputrides parce qu’ils neutralisaient l’alcalinité des matières en putréfaction, mais ces considérations chimiques l’amenèrent tout au plus à recommander les fumigations aromatiques déjà pratiquées104.
70Sous le Directoire, lorsque la maladie envahit l’est de la France, les vétérinaires J.-B. Huzard et J.-B. Desplas conseillent, dans leur instruction publiée par le Gouvernement et distribuée au public, « un traitement simple et nullement dispendieux [qui] peut être pratiqué par les gens les moins instruits105 ». On retrouve sans surprise la saignée, les sétons, les breuvages et lavements, la « boisson d’eau blanchie avec de la farine » et salée, les billots, beaucoup de propreté et une grande circulation d’air dans les étables106. Comme les fumigations aromatiques sont proscrites en cas de maladies respiratoires, « il faut, si les étables sentent mauvais, se borner à y répandre du vinaigre »107.
71Pour l’épizootie de 1815, il suffit de se reporter à Louis-Henri Hurtrel d’Arboval qui fut chargé de la combattre dans le Pas-de-Calais. Ayant eu certainement affaire à une souche virale moins pathogène, il prétend avoir sauvé 75 % des malades, ce qui l’amène à considérer la thérapeutique comme l’unique solution. Ses « résultats, dit-il, peuvent être présentés en réponse aux objections plus ou moins spécieuses qu’élèvent les partisans entêtés de l’assommement108 ». Il déplore avant tout « la négligence des premiers moments » qui force le praticien à intervenir trop tard – objection imparable à la très relative efficacité du traitement –, les contraintes financières, « le très grand nombre d’animaux malades en même temps, et le défaut de monde pour s’en occuper109 ». On ne saurai s’arrêter à ces obstacles, sans quoi « il faudrait remplacer les vétérinaires par des équarrisseurs ou des bouchers110 » comme le prévoyait – avec raison dirions-nous – la police sanitaire du siècle précédent.
72Passant en revue chaque méthode, il commence par la saignée. Après avoir énuméré les auteurs qui se sont prononcés pour ou contre, il rapporte les expériences récemment pratiquées dans les écoles vétérinaires.
« Quatre bœufs chez lesquels le typhus contagieux commençait à se manifester, et qui tous avaient le pouls assez fort et plein, furent saignés à l’École vétérinaire de Lyon, et périrent du quatrième au cinquième jour de la maladie. Girard et Dupuy, qui se sont livrés, à l’École d’Alfort, à une suite d’expériences sur le traitement du typhus, n’hésitent pas à se prononcer que la saignée est nuisible, même au début de l’affection111 »
73Il se réfère également à ce qu’il a vu lui-même et qui confirme la nocivité de cette pratique.
« Quatorze vaches, cinq génisses et un veau meurent dans les vingt-quatre heures d’une saignée qui leur est faite à notre insu, au mois de juillet 1816, dans l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer. Toutes les saignées que nous avons vues pratiquer, même au premier moment de l’invasion, ont constamment accéléré la mort ; c’est ce que nous pouvons certifier par des procès-verbaux authentiques112. »
74Sous la plume d’un fidèle partisan de la Médecine physiologique, une telle acceptation des faits montre une remarquable honnêteté. Certes, l’émission sanguine reste pour lui le plus puissant des antiphlogistiques, « un agent thérapeutique quelquefois héroïque quand on sait en user à propos, mais dont le vulgaire, qui ne discerne pas, abuse souvent113 ». Pourtant dans les maladies contagieuses, il réservera à la « gastro-entérite » équine (l’artérite virale) les saignées exigées par son maître à penser François Broussais114.
75Les purgatifs n’ont pas davantage d’intérêt.
« Ceux qu’en 1815 et 1816 on a administrés sans notre participation et contre notre volonté, dans plusieurs communes confiées à nos soins, ont constamment été suivis d’une mort prompte qui n’a pas laissé à la maladie le temps de parcourir ses périodes ordinaires. Presque toutes les substances qu’on emploie pour purger les ruminants de la grosse espèce sont drastiques115. »
76Louis-Henri Hurtrel d’Arboval s’oppose de même aux médicaments excitants, échauffants ou toniques, particulièrement l’acétate d’ammoniaque – l’esprit de Mindérérus – préconisé par les professeurs d’Alfort116 Jean Girard et Alexis-Casimir Dupuy, suivant Doazan qui déjà, en 1774, n’y croyait guère. Il reproche à ceux-ci de fonder leur opinion sur onze cas, faible nombre en regard de ce qu’il rapporte lui-même.
« Ce sont encore les faits qui parlent pour nous. Dans le mois de mai 1816, soixante-dix bêtes à cornes, prises dans quatre communes rurales de l’arrondissement de Boulogne-sur-Mer, sont soumises à l’expérience de l’acétate d’ammoniaque, et cela dès les premiers indices de la maladie ; il n’en est réchappé que quatre, qui ont été plus fortes que la maladie et les remèdes. Les mêmes essais ont été faits très en grand dans la commune de Verchocque [Verchocq], arrondissement de Montreuil-sur-Mer, et tout aussi infructueusement117. »
77Il est favorable, sous conditions, aux sétons et aux trochisques.
78Ce sont seulement d’utiles auxiliaires dont on peut tirer parti dans certains cas. Ils deviennent dangereux et souvent funestes une fois la congestion établie, et pendant l’accroissement de la phlegmasie typhoïde118.
79Les moyens à employer dépendent donc des symptômes et des phases de la maladie. Contre la diarrhée fétide sont utilisées la diète, l’eau blanche, les décoctions de mauve, de guimauve, additionnées au besoin d’acide sulfurique ou de vinaigre « jusqu’à agréable acidité » ; en cas de constipation, « on ajoute de l’huile de lin aux breuvages et aux lavements » ; dans l’atteinte des voies respiratoires, on évite les acides pour avoir recours au nitrate de potassium – dont il n’indique pas les propriétés diurétiques ; les déjections fétides sont justiciables du tartrate d’antimoine ; les frictions répétées et les couvertures de laine sont indispensables. On peut même recourir aux cautérisations.
« Si [...] la maladie continue ses progrès, l’on ne risque plus rien dans ce cas désespéré d’avoir recours aux stimulations extérieures les plus énergiques, le moxa119, même les scarifications peu étendues, avec application de fer rouge sur les parties latérales de l’épine, du thorax, ou sur les extrémités120. »
80Il n’utilise donc que des méthodes thérapeutiques couramment employées un siècle plus tôt, et sa discussion sur ce qu’il faut proscrire ou réserver à certains symptômes n’a rien d’original. Mais au lieu des quelques paragraphes consacrés à ce sujet par Bernardino Ramazzini ou Giov.-Maria Lancisi, son dictionnaire en traite sur seize pages d’une typographie serrée121. La seule nouveauté se trouve dans les données statistiques dont il use autant pour étayer ses conclusions que pour infirmer les opinions des autres vétérinaires. Il montre dans les chiffres une foi qui annonce en pathologie les changements radicaux du milieu du XIXe siècle.
81La question de la thérapeutique ne se posera plus en 1870-1872, l’indemnité des trois quarts de la valeur des animaux suffisant à faire accepter l’abattage de tous les malades. Mais avant cette dernière vague contagieuse, en 1865, le traitement avait encore ses partisans. Henri Bouley s’inquiétait d’y compter Jean-Augustin Barral, rédacteur en chef du Journal d’agriculture pratique. Comment se fait-il, écrivait celui-ci dans l’Opinion nationale pour soutenir le droit de traiter les malades,
« ... que dans tous les rapports et documents publiés sur l’épizootie, il n’y ait pas un seul mot sur le traitement à faire suivre aux animaux ? La destruction immédiate et complète des animaux malades et, à plus forte raison, des bêtes saines qui ont eu avec elles [sic] quelque contact, a le grave inconvénient de menacer dans sa source même la production d’une matière alimentaire de première nécessité122. »
82On conclura par les propositions du vétérinaire Corriol dont Henri Bouley souligne qu’elles ne peuvent avoir d’utilité « que dans les pays où le typhus a pris de telles proportions qu’il n’y a plus moyen de l’enrayer par l’abattage123 ». Dix ans plus tôt, pendant la guerre de Crimée, celui-là prétendait avoir mis au point un protocole fondé sur l’acétate d’ammoniaque, repris en fait à Doazan, et à J. Girard et A.-C. Dupuis. Une lettre au ministre de l’agriculture tentait de faire admettre cette « nouveauté » qui favoriserait sans doute l’avancement du valeureux militaire124.
Illusoire sécurité des moyens prophylactiques : les préservatifs
83Après avoir dit comment traiter la contagion des bœufs, Bernardino Ramazzini parle de prophylaxie, car « mieux vaut prévoir la tempête et l’éviter plutôt que d’en réchapper » (§ 25-26). Il se fait le champion, avant les médecins des Lumières partisans de l’aérisme, de l’assainissement des locaux, de la propreté des murs, de l’élimination du fumier, et surtout des fumigations. Celles-ci, on l’a vu, tirent leur origine des parfums utilisés dans les pestes humaines aux XIVe et XVe siècles. Deux sources les recommandent à titre préventif. Les médecins antiques d’abord conseillaient de brûler des bois odoriférants comme le pin, le sapin, le genièvre, le laurier, le romarin ; d’autre part le texte liturgique de la messe votive contre la peste qui rappelle la tradition biblique des fumées purificatrices d’encens, de myrrhe et d’aloès. Dès la seconde moitié du XVIe siècle, la désinfection devient de plus en plus fréquente. À compter des années 1620, on renforce ces fumigations avec le soufre, la poudre à canon, l’arsenic, l’antimoine et le vinaigre. Rien d’étonnant à ce qu’on les utilise dans les étables125.
84L’alimentation doit être peu abondante, puisque les bêtes grasses mourront davantage si le troupeau venait à être touché. On y ajoute les frictions et le séton. Voilà des précautions simples et raisonnables. Mais les auteurs suivants tomberont dans des excès d’autant plus dommageables que les préservatifs entretiendront dans une illusion dangereuse. À quoi bon les vexations de la police sanitaire si ces petits moyens sauvegardent le bétail ?
85Les préservatifs se calquent sur les traitements, et l’on reviendrait inutilement sur la saignée, les sétons, les lavages de la cavité buccale, les masticatoires, l’antimoine, ou la thériaque. On retiendra cependant l’attitude de Claude Bourgelat pour ce qu’elle a marqué de générations de vétérinaires, leur faisant, non sans arrière-pensée, une obligation de préserver le bétail. Les rapports de mission des élèves entretiennent à dessein un malentendu. Ils n’y distinguent pas les animaux guéris des nombreux sujets « préservés ».
86À partir de 1775, lorsque est admise l’inutilité du traitement et que s’est imposé l’abattage des malades, les vétérinaires ne publient plus que des méthodes préservatives, comme François-Alexis Coquet, envoyé combattre la contagion dans l’élection d’Eu (Document 17). Celui-ci simplifie la formulation de Claude Bourgelat126 et laisse plusieurs possibilités à ses lecteurs quant au choix des ingrédients. Conscient des spécificités régionales, il recourt au vinaigre de cidre dans un pays où le vin est rare, et conseille à ceux qui vivent près de la côte d’utiliser l’eau de mer, puisque la gabelle interdit de gâcher le sel domestique. Le genièvre macéré dans le vinaigre remplace au besoin le soufre et le salpêtre. Lorsque François Coquet rédige cette instruction, il a déjà exercé dans la région et il a pris la mesure des limites financières, apparemment contraignantes, auxquelles est soumise la population.
Document 17
Une méthode préservative imprimée à Dieppe en 1775.
François-Alexis Coquet, Médecin vétérinaire, Méthode préservative contre la maladie épisootique [sic] qui règne actuellement dans l’Élection d’Eu, Dieppe, Imprimerie de la veuve Dubuc, 1775, 2 p. (Bibliothèque ENV Alfort, 150933)
[...] On réduira la nourriture ordinaire des vaches aux deux tiers. [...] La boisson sera de l’eau blanche, sur un seau de laquelle on jettera un demiart127 de vinaigre très fort. Ceux qui seront proches de la mer pourront y mettre une demi-écuellée d’eau salée.
On fera prendre à chaque bête le matin à jeun une bouteille et demie du breuvage suivant.
Prenez une bonne poignée d’oseille fraîche, ou deux cuillerées si elle est cuite ; faites bouillir dans suffisante quantité d’eau jusqu’à réduction. Coulez, ajoutez sel commun environ une once, de vinaigre de cidre un demiart, ou la moitié de cette dose, si le vinaigre est de vin. Au défaut d’oseille, on pourra se servir de l’alléluia128, de l’épine-vinette, ou d’égale partie de cidre et d’eau.
Cette méthode sera continuée de deux jours l’un, l’espace de dix ou douze jours, ce qui fera à peu près cinq à six breuvages dans cet espace de temps pour chaque bête. On cessera alors pendant un même espace de temps, en observant toujours le même régime de vie ; ensuite on redonnera le même breuvage au moins deux jours par semaine, tant que la contagion durera dans le canton.
Le parfum des étables suivra le même ordre. Ceux qui auront le moyen, se serviront d’une combinaison égale de soufre et de salpêtre, que l’on jettera sur des charbons ardents, en observant de bouchonner, pendant cette action, les animaux avec de la paille, et de tenir les portes des étables fermées. Au défaut de cette combinaison, on se servira du genièvre macéré dans le vinaigre. [...]
On renouvellera souvent l’air des étables, et on les tiendra très propres.
Remèdes secrets
87La lutte contre l’épizootie française de 1714-1715 fut décidée en réunions hebdomadaires par les agents du pouvoir les plus concernés129. Sensibles à l’opinion publique ou par conviction personnelle, ils n’ont pas accordé, après le Remède des Pauvres qui existait déjà, de réelle priorité aux médecins officiels comme Gui-Crescent Fagon, Jean-Adrien Helvétius ou Pierre Chirac, les mettant en pratique sur un pied d’égalité avec des gens sans formation, parfois des charlatans.
« La maladie des bestiaux faisant depuis quelques temps un grand progrès dans plusieurs provinces [...], on a d’abord envoyé dans ces provinces le remède de Géraudly, dont on avait éprouvé d’assez bons effets. On y a depuis envoyé le remède de M. Fagon, composé de l’ordre du Roi, par les apothicaires de Sa Majesté, et on a fait savoir aux intendants qu’on leur adresserait telle quantité qu’ils jugeraient nécessaire130. »
88Faute de disposer des moyens d’une vraie police sanitaire, sans doute fallait-il expérimenter le plus de formules possibles, y compris celles tenues secrètes. L’une d’entre elles l’emporterait peut-être en efficacité, et permettrait de faire tomber plus vite les entraves du commerce.
89Le remède secret le plus documenté est celui de Géraudly. Ce dentiste parisien commence à le vendre lorsque se répand la première épizootie, en mars 1714. La renommée grandissante du produit incite les intendants131 à en réclamer des doses auprès de « l’assemblée » de Paris. On ne s’inquiète pas d’entendre ici ou là parler d’échecs, soi-disant attribués à un emploi tardif. Il s’agit d’une pâte qui ne contient pas moins de quarante-six ingrédients, et dont la formule sera finalement connue lorsque le Régent l’achètera pour en faire profiter le public. Au retour de la peste bovine, en 1742, elle allait opérer des cures soi-disant surprenantes avant que Félix Vicq d’Azyr ne la condamne définitivement en 1776.
« Cet antidote, qui ne pèche pas moins par l’assemblage monstrueux des drogues qui le composent que par le peu de justesse et de proportion des doses qui y sont indiquées, a été vanté contre la peste, contre la petite vérole et contre les poisons. On en donne comme une fève de marais dans les maladies humaines. La dose pour les chevaux, bœufs et vaches est une demi-once dans du vin ; pour les moutons, la dose est de deux ou trois gros. On le donne comme préservatif et comme curatif132. »
90En 1715, son inefficacité l’a fait abandonner une première fois dans les circonstances suivantes.
91On a d’abord essayé en 1714, aux environs de Sézanne, le Remède des Pauvres, cette pâte sèche que le roi a fait distribuer « et qui n’est pas moins bonne pour les animaux que pour les hommes ». Bien qu’elle ait l’avantage d’être moins chère, c’est le remède de Géraudly que demandent les intendants133. Non seulement en recevront-ils, mais on enverra l’inventeur le distribuer lui-même. Géraudly, volontaire pour cette mission, craint non sans raisons de ne pas être payé. D’ailleurs « il [...] ne peut s’absenter de Paris un mois ou deux sans s’exposer à perdre un grand nombre de ses pratiques qui, par les petites pensions qu’il en reçoit pour entretenir leurs dents, lui produisent, à ce qu’il dit, deux à trois mille livres par an134 ». On n’accédera pas à sa demande de pension qui serait un engagement financier exagéré, préférant régler les 4 500 livres qu’on lui doit pour la quantité de médicament qu’il a déjà fournie, et même lui faire une avance sur ce qu’il emportera avec lui dans son voyage. La fabrication de la spécialité – qu’il monnaie dix livres la « livre pesant »135 – prend une tournure quasi industrielle : les généralités de Champagne, Franche-Comté, Bourgogne, Lyon, Moulins et Paris en ont déjà reçu, et, le 24 juillet, Géraudly « met au carrosse 250 livres qui lui ont été commandées, en cinq caisses différentes avec les adresses pour MM. les intendants136 ». Comme on se méfie des altérations indélicates, il faudra désormais conditionner le produit en petits pots de terre cachetés portant le prix sur une étiquette. Les revendeurs doivent délivrer gratuitement la spécialité, sauf aux riches – probablement désignés par les asséeurs de la taille. Le prix marqué permet également à ceux qui sont chargés de la vente « de retenir quelque chose pour leur peine137 ». En principe, le sieur Géraudly devrait prendre ses honoraires sur la commercialisation, en plus de M. Biet l’Apothicaire du roi à Versailles, à qui revient, de droit, un pourcentage. Lorsque le 4 août on presse Géraudly de commencer sa tournée, il déclare ne pouvoir fabriquer plus de 400 livres « pesant » de remède avant son départ, ce qui fera 800, avec les 400 dont il dispose. Il demande que l’on donne des ordres pour que la totalité puisse partir avant lui, pour la trouver sur son chemin dans la direction où l’on compte l’envoyer138. Par l’intermédiaire du Procureur général du Parlement de Paris, il fait parvenir à l’intendant de Lyon une liste des ingrédients nécessaires à la fabrication de sa spécialité afin que des droguistes confectionnent les poudres adéquates « d’autant [plus vite] qu’il faut beaucoup de temps pour pulvériser les racines et autres choses qui entrent dans la composition139 ». On tiendra prêtes ces matières premières aux endroits où il en aura besoin. Dès lors, il ne s’agira plus tout à fait d’un remède secret puisque les apothicaires lyonnais sauront ce qu’il faut pour le préparer. Seules les proportions du mélange resteront exclusivement connues de Géraudly.
92L’assemblée tient à faire accompagner ce dernier par le chirurgien Drouin, qui fera les observations dont le dentiste serait incapable, et qui rendra un témoignage moins suspect des effets du remède140. Géraudly lui-même a demandé « un chirurgien pour aller avec lui et pour ouvrir le corps des bêtes mortes, parce qu’il craint de n’en pas trouver d’assez habile sur les lieux »141.
93Tout va donc pour le mieux au départ de Paris. Mais le désaccord ne tarde pas à s’installer entre les deux hommes. Arrivé à Sens le 24 août, le chirurgien « croit qu’il serait nécessaire de diversifier les remèdes selon les différentes maladies, et qu’un remède purgatif et émétique ne convient pas à toutes », sans qu’on sache si ces « différentes maladies » correspondent aux symptômes de la peste ou à ceux d’autres affections, comme le Mal de langue. Géraudly se défend : sa préparation est préservative, et on lui fait soigner des animaux malades. Il accepte d’en retrancher plusieurs choses et d’en rajouter d’autres « qui seront plus cordiales »142. Il déplore surtout qu’on distribue à son insu des contrefaçons « qu’on dit être de lui et qui n’en sont pas ». Prétendant enfin « que la présence du Sr Drouin l’empêche de donner son remède comme il conviendrait, on peut, dit-il, lui écrire d’agir séparément [...] ». Pour préserver le sérieux de sa mission, il propose d’envoyer des certificats signés par les subdélégués et les juges ordinaires qui rendront compte du nombre des bestiaux qu’il aura guéris143.
94Fin août, Drouin et Géraudly finissent par se séparer. Le médecin Herment continue l’expertise144. Un courrier du 4 septembre 1714 clôt les essais, et l’on rappelle le dentiste à Paris145. Le remède de Géraudly a produit de si mauvais effets qu’il semble « extrêmement décrié dans les lieux où l’on s’en est servi146 ». Mais l’importante publicité dont il a fait l’objet assurera son retour en 1742.
95Les inventeurs de remèdes secrets sont médecins, apothicaires, religieux, paysans ou simplement escrocs. Ainsi le Procureur général du Parlement de Paris demande de faire rechercher le plus rapidement deux hommes qui semblent réussir dans la guérison des bestiaux à Vézelay puis à Aunay-en-Bazois, pour « les engager à donner leur secret par écrit moyennant une récompense que le roi leur promettrait ». Ces individus marchent vers le Bourbonnais dont ils sont originaires et il est à craindre qu’ils sortent de la généralité de Paris. Il s’agit évidemment de guérisseurs itinérants qui, une fois payés, n’attendent pas le résultat des cures pour prendre leurs distances. Plus de circonspection aurait sans doute amené à les retenir un temps en prison à titre d’exemple147.
96Beaucoup plus respectable, le Sr Bailly, apothicaire à Paris, a conçu une formule dont il garde la composition, et il devra, comme Géraudly, quitter son officine pour l’utiliser sur les bestiaux des environs de la capitale148. On fait également essayer le produit par un autre Sieur Bailly – jeune médecin dont on pourrait douter de l’indépendance, étant le propre frère de l’apothicaire – associé au chirurgien Regnault pour une tournée de quinze jours en Brie et en Île-de-France. Sans surprise, le jeune Bailly assure le plein succès de la spécialité, mais il attribue également un satisfecit à la composition secrète d’un médecin rouennais, le Sr Mauger, auquel on a demandé pour l’occasion deux livres (en poids) de son médicament – soit quatre cents prises de 2,5 g. La Normandie n’ayant pas été infectée, le praticien de Rouen n’a jamais vu le moindre bovin pestiféré, mais sa crédibilité n’est nullement mise en cause. Pour en revenir à l’apothicaire Bailly, on finira par lui allouer 758 livres, tant pour ses voyages que pour son remède à l’efficacité si peu régulièrement prouvée149. Il faut dire que, dans ces temps de grande indulgence, la Poudre du Lieutenant préservative et curative pour plusieurs maladies publiée en 1664 par Jacques de Solleysel a paru réussir150 !
97À la fin de 1714, « l’assemblée » accepte encore de financer, pour le prix négligeable de 50 livres, le déplacement en Île-de-France d’un paysan du Bas-Maine qui exerce depuis vingt-cinq ans la profession de médecin des bestiaux « avec beaucoup de succès ». C’est en faisant sa tournée que M. Chauvelin, intendant à Tours, l’a découvert. L’expert en bêtes malades n’a voulu donner aucune de ses recettes, ni expliquer la façon de s’en servir ; mais il s’est offert pour se rendre dans les lieux infectés, pourvu qu’on lui rembourse les frais du voyage. On ignore les résultats de son déplacement151.
98Clairvoyant parmi tant de crédulité, le médecin Herment condamne les remèdes d’un frère Pierre, jacobin du couvent de la rue Saint-Jacques, dont le cheptel de Villejuif a fait les frais. M. Voyer d’Argenson convoque aussitôt le supérieur de la communauté, qui devra calmer le zèle du moine guérisseur. Il faut admettre que les religieux attachés aux pharmacies des abbayes ont autant de raisons que les apothicaires de concevoir de nouveaux traitements, comme ces Chartreux de Dijon qui envoient à Versailles un152 échantillon de leur préparation pour la faire éprouver. Herment émet d’autres réserves à l’égard d’un boucher de Puiseaux (Loiret), Sainsard. On a envoyé celui-ci aux environs de Paris en octobre 1714 où il y avait quantité de bestiaux malades, dans l’espoir qu’un homme semblable aux éleveurs serait mieux reçu par eux, fatigués de traitements inutiles. « [Ils] sont fort rebutés de tous les remèdes qu’on leur a ci-devant proposés et n’en veulent faire qu’à leur tête153 ». Sans surprise, la plupart des animaux soignés par Sainsard à Nangis ne tardent pas à mourir154. En fait, aucun des nombreux essais demandés par « l’assemblée » dans la généralité de Paris n’a réussi. La population se lasse. En décembre « les paysans ne veulent plus employer aucuns remèdes, tant parce que la maladie est fort calmée que parce qu’ils sont très prévenus contre toutes les drogues qui leur sont inconnues155 ».
99S’il a fallu expérimenter sur le terrain les compositions secrètes, les formules connues sont, durant les années 1714 et 1715, imprimées et distribuées dès la moindre apparence de succès.
« Il a été fait un extrait de différents remèdes préservatifs pratiqués en plusieurs lieux, que M. Bignon doit faire imprimer pour les répandre dans les provinces. On fera aussi imprimer le remède de Savoie, celui de Langres et celui de Troyes156. »
100En 1774, on donne à examiner à Claude Bourgelat un gros mémoire intitulé Consultation sur la maladie qui règne en Guyenne dans lequel le Sieur Faure de Beaufort, médecin, fait la promotion de son remède. Celui-ci, malgré le statut de son inventeur, relève davantage de la formule commerciale que de la prescription professionnelle. Le Contrôleur des écoles vétérinaires insiste sur la personnalité équivoque du Dr Faure.
« C’est un vrai galimatias qui justifie au mieux la réputation qu’il s’est acquise à Paris d’être l’inventeur et le vendeur, sous un nom emprunté, de l’eau antiputride qu’il distribue à tout propos et dans toutes les maladies des hommes et même des bêtes à cornes ; et si ce n’est pas pour leur plus grand bien, c’est toujours ad sui utilitatem157. »
101Turgot, qui n’apprécie pas le Contrôleur des Écoles vétérinaires158, prend plaisir à relativiser cette condamnation raisonnable, quoique entachée de corporatisme.
« J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite le 18 de ce mois [décembre 1774] au sujet des plaintes qui vous ont été portées contre le Sr Faure de Beaufort. Il est vrai que ce médecin passe pour un charlatan, mais je ne vois pas qu’il y ait un grand mal à ce qu’il prescrive des préservatifs et des remèdes antiputrides qui, s’ils ne sont pas utiles, ne peuvent faire un grand mal159. »
102Claude Bourgelat ne sera pas davantage écouté quand, dans son tableau de mesures idéales à prendre contre les épizooties, il reviendra sur le commerce des remèdes secrets.
« On punirait de prison, jusqu’à extinction du fléau, tous charlatans et hommes sans aveu qui, cherchant leur fortune dans la misère publique, et non moins redoutables aux campagnes que tous les maux qui peuvent se rassembler sur la tête des bestiaux, s’introduisent dans ces mêmes villages160. »
103On a vu d’ailleurs que le Contrôleur général des Finances ne s’opposait pas catégoriquement aux traitements « sauvages. »
Prières publiques
104L’incertitude thérapeutique jointe aux graves implications économiques de la maladie justifiait l’organisation de prières officielles. Certes, l’impact psychologique des épizooties n’avait rien de commun avec celui des pestes humaines, mais la proximité de centaines de cadavres de bovins, ajoutée aux nuisances olfactives et à de désagréables spectacles, n’était pas sans affecter le moral des populations.
105Il semble donc naturel qu’en 1711, dans les très catholiques États de Venise frappés de peste bovine, la religion ait son mot à dire. Lorsque Bernardino Ramazzini en vient à parler de prières publiques (§ 27), son adhésion aux décisions du pouvoir qui les a promulguées peut sembler formelle. En l’occurrence, aucun orateur n’aurait pu se soustraire aux conventions du genre, mais pour autant ce serait un anachronisme de faire un athée du médecin de Padoue : sa longue existence, commencée sous la Réforme catholique, a pris fin bien avant l’avènement des Lumières. En outre, dans une Italie qui résistera longtemps aux courants libres penseurs du nord de l’Europe, se fier à la raison n’exclut en rien le recours à la prière, et Bernardino Ramazzini ne s’indigne certainement pas de voir cette calamité réveiller une ferveur populaire que la clairvoyance du Doge n’a fait qu’encadrer en ordonnant des cérémonies religieuses. Carlo Francesco Cogrossi et Antonio Vallisneri ne réagiront pas différemment161. Bien plus naturellement encore, le Médecin du Pape Giov.-Maria Lancisi rapportera les prières officielles et les indulgences promulguées à Rome lorsque la maladie y fera son apparition l’année suivante162.
106Les processions d’intercession pour demander la fin d’une peste, d’une disette ou d’une sécheresse, remontaient au monde romain antique, et elles s’étaient surtout imposées à partir du XIIIe siècle. Au Mans, en 1746, l’évêque prescrit comme à Rome des prières publiques et des processions pro peste animalium. Probable concession aux croyances populaires, sur le passage du cortège on place un bœuf de cire qui, une fois béni, sera mis sur l’autel de Notre-Dame de la Pitié. À la requête des échevins, le chapitre de Saint-Pierre-la-Cour expose la châsse de Sainte Scholastique du 7 au 21 janvier 1747 pour que les paroisses y viennent en pèlerinage. Les curés de campagne (comme celui de Courtillers) aspergent les étables d’eau bénite163.
107Les ecclésiastiques partisans des Lumières sont moins favorables aux manifestations de religiosité populaire que ne le seront leurs successeurs, au siècle suivant. En 1774, Étienne-Charles Loménie de Brienne164, archevêque de Toulouse et futur Contrôleur général, écrit aux curés de son diocèse une lettre pastorale dans laquelle il montre autant de réticences à l’égard des processions que d’attention aux risques de contagion qu’elles occasionnent. Avant d’envisager les causes divines du fléau, il adhère aux mesures prises par le gouvernement, et engage son clergé à seconder les autorités civiles.
« [Q]ui mieux que vous, à l’aide de la confiance que vous avez dû inspirer aux habitants de votre paroisse, peut les faire entrer dans les vues sages et bienfaisantes du Gouvernement ! Qui peut mieux que vous les convaincre qu’une rigueur apparente est un bienfait réel165 ? »
108Il propose généreusement d’indemniser lui-même l’abattage des bêtes des paysans les plus pauvres. Il met en garde contre ceux qui, une fois remplis leurs devoirs religieux, se croiraient exemptés des contraintes de la police sanitaire ; il déconseille les pèlerinages et les rassemblements de bétail pour les bénédictions, circonstances favorables au contage (Document 18).
Document 18
Lettre pastorale de monseigneur l’Archevêque de Toulouse, au sujet de la maladie épizootique, à Montpellier le 25 décembre 1774.
In : Vicq d’Azyr F., Exposé des moyens curatifs et préservatifs qui peuvent être employés contre les maladies pestilentielles des bêtes à cornes, P., Mérigot, 1776, p. 708-715 : p. 712-713.
[...] Je ne vous ai parlé ici, Monsieur, que des moyens que la sagesse humaine peut proposer, et des secours que la charité peut répandre. Il en est d’un ordre supérieur, qui peuvent seuls donner de la valeur à nos faibles tentatives et rendre nos mesures efficaces. Eh ! que peuvent les conseils des hommes, si les mains du Très-Haut ne les secondent pas ? Prosternons-nous donc aux pieds de ses autels, et demandons-lui, par des prières réitérées, que si nous l’avons offensé par nos péchés, il soit fléchi par notre repentir et par nos malheurs ; qu’il n’étende pas sur nous le fléau destructeur dont les provinces voisines sont affligées ; que si quelques parties du diocèse en ont été atteintes, il daigne épargner au moins, et le reste de la province, et le royaume entier, qui peuvent en être victimes. Mais en excitant votre paroisse à obtenir du Ciel les salutaires effets de sa miséricorde, je ne doute pas que vous ne soyez attentif à les éloigner de ces pratiques superstitieuses auxquelles le peuple, dans de semblables occasions, n’est que trop porté à avoir recours. Quelques-uns, pour obtenir une bénédiction qu’ils ne craignent pas souvent de confondre avec les remèdes humains, exposeraient, par des pratiques indiscrètes ou par la seule réunion, leurs bestiaux à la contagion. D’autres, contents de l’avoir obtenue, négligeront tous les préservatifs qui leur sont offerts, et manqueraient ainsi à la Providence qui n’aide l’homme qu’autant qu’il s’aide lui-même par son travail et par son industrie. Il faudrait à d’autres des processions, des pèlerinages qui, les détournant du soin de leurs ménages et de leurs occupations habituelles, ajouteraient encore à leur misère, et les exposeraient à rapporter la contagion des lieux qu’ils auraient fréquentés pour s’en garantir.
109Pour autant, comme tout prélat doit le faire en cas de calamité, le même archevêque de Toulouse ordonne en octobre 1775 des prières publiques « pour demander à Dieu qu’il arrête les progrès de l’épizootie ». Sans doute les autres diocèses du Sud-Ouest ont-ils connu de semblables lettres pastorales.
« À ces causes, nous ordonnons que pendant trois mois, à compter de la réception du présent mandement, il sera dit à la messe la Collecte Pro peste animalium, et que dans l’église métropolitaine et dans toutes les autres de cette ville et faubourgs où il y a Office Canonial, on chantera à l’issue de la Grand’Messe, le Psaume Miserere mei Deus, etc. avec le V (erset) Ostende nobis, Domine, misericordiam tuam, et l’Oraison Deus qui nullum respuis, et que, dans les autres églises de la campagne, on dira les mêmes prières après la Messe Conventuelle ou de Paroisse, pendant le susdit temps.
Ordonnons en outre que dans toutes les églises de cette ville, le Saint-Sacrement sera exposé pendant trois jours, suivant l’ordre ci-dessous [...]166. »
110Comme dans d’autres domaines, la Révolution semble imposer une parenthèse. J.-B. Huzard et J.-B. Desplas, désireux peut-être de témoigner leur libre pensée, ne manquent pas d’accuser en l’an IV les attroupements de bétail occasionnés par les bénédictions de favoriser la contagion, comme aussi, selon eux, les processions incitent les paysans à l’oisiveté. En réalité, ils ne font que reprendre les exhortations publiées vingt-deux ans plus tôt par l’archevêque de Toulouse.
« Nous avons rencontré de nombreuses processions depuis Thionville jusqu’à Francfort. Des villages entiers abandonnent les travaux des champs et les bestiaux malades pour aller invoquer les saints, quelquefois à plus de 50 lieues167. »
111En juillet 1796, des griefs analogues incitent le commissaire du Directoire à rapporter « près l’administration du canton de Saint-Avold »...
« que les femmes et les filles de plusieurs communes, encore imbues des anciens préjugés, font des processions avec croix et bannières, croyant cette ressource plus efficace contre cette épisootie [sic] que les moyens indiqués par l’artiste vétérinaire168. »
112En application de la Loi du 7 vendémiaire an IV qui, tout en restaurant le libre exercice du culte, en défend les pratiques extérieures, l’administration centrale de la Moselle arrête que, sur dénonciation du commissaire du Directoire exécutif, les contrevenantes risquent à l’avenir d’être traduites devant les tribunaux169.
113Selon le premier article de la Loi du 18 Germinal an X (8 avril 1802) – loi qui instaure définitivement le libre exercice de la religion catholique – le culte doit se conformer « aux règlements de la police que le Gouvernement jugera nécessaires pour la tranquillité publique ». Le pouvoir se garde bien en tout cas de prendre part aux manifestations religieuses. Il faut attendre la Restauration pour que l’État s’engage en faveur de celles-ci. Le 19 juillet 1816 à l’invitation du roi lui-même, le pays entier processionne pour demander la cessation des pluies, mais la peste bovine n’a pas eu un tel honneur. Ensuite, tandis qu’en France la Monarchie de Juillet et le Second Empire prennent des distances avec le formalisme de la piété populaire, en Angleterre, son statut de chef de l’Église anglicane conduit la reine Victoria à faire publier une prière pour éloigner des rives britanniques l’épizootie de 1865. Elle invite ses sujets à reconnaître leurs fautes, raison profonde du châtiment divin qui les frappe (Document 19).
Document 19
Face à l’épizootie de peste bovine dans le Royaume-Uni : la prière de la reine victoria.
Extrait du journal International du 12 octobre 1865, cité in : Recueil de Médecine vétérinaire, 1865, p. 795.
Ô Dieu tout puissant, dont les troupeaux vont sur des milliers de montagnes, et qui tiens dans tes mains le souffle de tout être qui respire, abaisse tes regards sur nous, et, nous T’en supplions, aie pitié de tes serviteurs auxquels Tu as infligé une terrible peste sur leurs bestiaux et leurs moutons ; nous reconnaissons nos fautes qui méritent ton châtiment, et nos péchés sont constamment devant nous ; nous faisons humblement pénitence et nous venons Te demander, Seigneur, de nous protéger. Que ton jugement n’oublie pas la merci. Arrête, nous T’en supplions, ce fléau d’un mot de ta puissance, et conserve-nous cette alimentation que Tu nous as accordée pour notre subsistance. Défends-nous aussi, Gracieux Seigneur, contre cette peste qui ravage les autres pays ; éloigne-la de nos rives et protège nos maisons contre ses ravages [...].
114De Padoue à Londres, rien n’a donc changé quant à la cause première. En revanche, l’ultime accès de 1870 à 1872 en France ne s’accompagne, semble-t-il, d’aucune manifestation religieuse. La maladie, assez peu conséquente, survient au milieu d’évènements dont l’importance accapare l’opinion, et la Troisième République naissante doit faire face à trop de problèmes pour envisager la question.
Pérennité et inefficacité du traitement
115Le foisonnement de méthodes thérapeutiques qui viennent d’être passées en revue ne doit pas faire illusion : les procédés fondamentaux de traitement n’ont pas plus changé depuis 1712 que leur cruelle inefficacité. Vanité ou illusion des auteurs, tout succès ne fut qu’apparent, lorsque certaines pratiques ne venaient pas encore aggraver le pronostic. Seule l’eau blanche, administrée par voie orale en quantités importantes a pu parfois réhydrater et soutenir les malades. L’attitude logique restait d’interdire le traitement pour concentrer les efforts sur les moyens de police sanitaire, en condamnant jusqu’à l’incitation à la thérapeutique.
« Les Allemands, qui ont une très grande expérience de tout ce qui se rapporte à la peste bovine, sont tellement convaincus qu’il est dangereux de traiter les animaux malades, qu’ils défendent même la vente des remèdes conseillés pour cet usage. Un arrêté publié à Nancy par ordre du gouverneur de Lorraine, von Bonin, contient la disposition suivante : “Art. 16. – La vente, l’emploi et la recommandation des remèdes et des préservatifs contre la peste bovine devront être interdits. Les moyens de désinfection ne sont pas considérés comme remèdes et pourront être appliqués”170. »
116Fait notable, les systèmes médicaux qui se sont succédé en cent soixante ans n’ont eu aucune influence sur le traitement de la maladie. Une fois mis en place les procédés hippocratiques de l’élimination, assortis du quinquina et de l’ipécacuanha, seuls se sont ajoutés l’antimoine, et à l’extrême fin de la période, l’acide phénique171. À cette permanence des prescriptions répondait une thérapeutique non professionnelle difficilement qualifiable de « populaire » puisqu’elle reprenait en partie la médication savante simplifiée par les ouvrages de vulgarisation. Une méthode différente avait pourtant vu le jour, qui allait conduire, en un siècle et demi, à la vaccination.
Notes de bas de page
1 Soc. Méd. Genève, 1745, p. 51.
2 L’élimination fait intervenir chez Hippocrate l’évacuation, la saignée et la cautérisation. Jouanna, 1992, p. 224-232.
3 Alexipharmaques ou alexitères : médicaments à usage d’antidote. Les alexipharmaques des anciens étaient des toniques, des excitants, des sudorifiques.
4 Thériaque : préparation pharmaceutique très ancienne – elle remonterait au premier médecin de Néron – de consistance molle (électuaire), faite de quantité de médicaments « chauds » variable selon les lieux et les époques. Le vin, le miel, la chair de vipère, et l’extrait d’opium en étaient les constantes. La thériaque de d’Aquin, la plus commune, comportait plus de soixante-dix substances.
5 Cordiaux : plantes très aromatiques – comme la sauge, la menthe, le clou de girofle, la muscade, la mélisse – toutes présentées dans un alcool fort.
6 Toniques : médicaments qui augmentent les forces de manière durable. Stomachiques : médicaments facilitant les fonctions de l’estomac, et propres à combattre les troubles digestifs. Apéritifs : médicaments expulsant les humeurs en les divisant et en ouvrant les conduits naturels pour leur livrer passage. Astringents : médicaments resserrant les tissus. Par la voie orale, ils constipent et arrêtent la transpiration. Fébrifuges ou antipyrétiques : médicaments s’opposant à la fièvre. Vermifuges : médicaments permettant l’expulsion des parasites intestinaux. Amers : médicaments qui augmentent le tonus des fibres, particulièrement celui des organes digestifs. En exprimant les tissus, ils dessèchent les corps trop humides et raniment les forces musculaires. Les amers sont généralement fortifiants et stomachiques et encore anthelminthiques, par augmentation des contractions de l’estomac et de l’intestin.
7 Solleysel [1664], 1744, t. 2, p. 268-269.
8 Celse, II, 10, 12-15.
9 Sévilla, 1922, p. 216-227. Au XXe siècle, encore, on saignait non seulement les vaches aux veines jugulaires mais aux veines mammaires. Moussu, 1928, p. 1003-1005.
10 Solleysel [1664], 1744, t. 2, p. 270.
11 Fontan, 1894, p. 120.
12 Ibid.
13 Beauchamp, 2000 ; Boury, 2007.
14 Sévilla, 1922 ; D’HoudainDoniol-Valcroze, 2001.
15 Solleysel, [1664] 1744, t. 2, p. 267-278 ; Garsault, 1771, p. 180-181, 193, 386-389 ; Chabert, « De la saignée des animaux » in :Chabert, Flandrin, Huzard, t. 3, 3e éd., 1808, p. 94-170, 1 pl. dépl. ; Hurtrel d’Arboval, Dict., t. 3, 1827, p. 98-139 ; Gourdon, 1857, p. 440-626.
16 Émonctoire : voie ou organe destinés à évacuer les humeurs superflues.
17 Drouin, 1714, in : Soc. Méd. Genève, 1745, p. 165.
18 Chez l’homme, on le fixait en haut du cou, sous la tête, au niveau de la deuxième vertèbre cervicale. Acquapendente, 1658, p. 528-530 ; La Faye, 7e éd., 1792, p. 172.
19 Fanon : repli de peau qui pend sous l’encolure et entre les membres antérieurs des bovins.
20 Ellébore : Helleborus niger ou H. viridis L. ; Garou : Daphne gnidium L. ; Daphné lauréole : Daphne laureola L. Toutes ces plantes ont un latex fortement irritant. « [L]a racine d’Hellébore noir connu sous le nom d’Herbe du Feu, qu’on trouve en Dauphiné vis-à-vis le Pouzin [Ardèche], faute duquel on peut employer le Garou, l’Herbe aux Gueux, le Pied-de-veau ou le Tithymale [...]. » Sauvages, 1746, p. 21.
21 Anon., « Abrégé de la méthode qu’il faut observer dans la cure de la maladie des bœufs, 1714 » in : Soc. Méd. Genève, 1745, p. 268-269.
22 Drouin, 1714, in : Soc. Méd. Genève, 1745, p. 166.
23 Vatel, 1828, t. 2, 1ère partie, p. 374.
24 Dans l’Italie de Columelle, on fixait une racine de Pulmonaire à l’oreille, en traversant celle-ci de part en part (Columelle, Rei rusticae, VI, V, 4).
25 Boniol, 1789, p. 37, note 2.
26 Hippocrate, Épidémies, VI, 3,3.
27 « Si l’on doit croire Fabrice de Hildan [Wilhelm Fabry], Deusing, Paré, Diemerbroëck, presque tous ceux qui ont eu des cautères ont été exempts de la peste. » Bourgelat, 1775, p. 26.
28 Boniol, Ibid.
29 Courtivron, 1752, p. 339-340.
30 Quinquina : écorce des arbres du genre Cinchona (Rubiacées) qui croissent spontanément au Pérou, en Bolivie. Elle contient notamment cinq alcaloïdes, dont la Quinine et la Cinchonine.
31 Cogrossi, 1711.
32 Soc. Méd. Genève, 1745, p. 71.
33 Ramazzini, 1905, p. 41.
34 Torti, 1712.
35 Torti, 1715, réédité jusqu’en 1821.
36 C’est la médecine du travail qui, reconnaissant un précurseur en B. Ramazzini, finit par lui rendre une prépondérance méritée.
37 Nombreux furent les auteurs du XVIIIe siècle à considérer le quinquina trop coûteux pour traiter les bovins. On lui substituait l’écorce de saule (Vitet, 1771, t. 3, p. 242). Son prix élevé incitait de plus aux falsifications (Penso, 1981, p. 164).
38 Cerbelaud, 1910 ; Kaufmann, 1910, p. 533-535.
39 Une once : 31.25 g.
40 Vicq d’Azyr, 1776, p. 221.
41 Soc. Méd. Genève, 1745, p. 78-79.
42 Solleysel [1664], 1744, t. 1, p. 8.
43 Bourgelat, 1771, Hist. Abrégée, p. 54. Dépuratoire : qui clarifie les humeurs troubles. Alexitère : remède propre à combattre les poisons.
44 Ibid., Hist. Abrégée, p. 10. Pectoral ou béchique : médicament actif sur les poumons. Tempérant : qui modère l’activité de la circulation. Anodin : qui diminue la douleur. Émollient : qui relâche les tissus, qui en affaiblit la tonicité et la sensibilité.
45 Dans les formes nerveuses de la maladie.
46 Soc. Méd. Genève, 1745, p. 232-233.
47 Penso, 1981, p. 166.
48 Soc. Méd. Genève, 1745, p. 231-232.
49 B. Ramazzini s’était intéressé aux propriétés thérapeutiques du naphte liquide ou huile de pétrole qui affleure au sud-ouest de Modène, en particulier à Sassuolo et autour de Sestola. (De oleo Montis Zibinii, seu petroleo agri mutinensis libellus, 1698, in : Ramazzini, Opera omnia, 1717, p. 320-363.)
50 Bourgelat, Mat. médic. rais., 1771, p. 42.
51 Arch. nat., G7 1667, f° 134.
52 Ibid., f° 138.
53 Ibid., f° 145.
54 En particulier le vin, le safran, l’absinthe et la sauge. (Drouin, 1714, in : Soc. Méd. Genève, 1745, p. 162).
55 Cf. infra, dans ce chapitre, les Remèdes secrets.
56 Reçu docteur à Paris en 1732.
57 Chomel, 1745, p. 18-19.
58 Mandrou, 1999, p. 74-75. Le Médecin charitable de Nicolas Oudot, ouvrage de la Bibliothèque bleue, Troyes, 1645, donne par exemple cette liste de médicaments nécessaires « aux personnes de médiocre qualité » : séné, casse, fenouil, anis, miel, sucre, rhubarbe, agaric, gingembre, cannelle, sirop de rose, sirop violat, sirop de capillaire, thériaque. Ces substances, jointes au vin et à l’eau-de-vie, donnent une idée de la thérapeutique courante. Andries, Bollème, 2003, p. 846.
59 Solleysel, 1664 ; Garsault, 1741.
60 En particulier Liger, 1ère éd., 1700.
61 Vicq d’Azyr, 1776. Pendant l’été 1775, on annonce dans le Sud-Ouest le succès de méthodes curatives non médicales. Turgot pense que « la maladie en s’étendant [a] changé de nature et s’[est] radoucie, comme l’histoire de toutes les épidémies en donne l’exemple » (Arch. nat., F12, lettre du comte de Fumel à l’intendant Journet). Mais il n’en rappelle pas moins sur place Félix Vicq d’Azyr pour chercher s’il n’y aurait pas de la vérité dans ces rumeurs. Le médecin ne tarde pas à détromper ses espoirs (ibid., lettre de Turgot à Cadignan, 1er novembre 1775).
62 Vicq d’Azyr, 1776, p. 256-257.
63 Ibid., p. 258.
64 « Vinaigre des quatre voleurs : prenez deux pintes du meilleur vinaigre, dans lesquelles vous ferez infuser des feuilles de sauge, d’absinthe, de romarin, de rue, de lavande, de thym, de la grande menthe, de chacune une petite poignée ; laissez infuser le tout pendant huit jours au soleil ou sur les cendres chaudes ; passez-le, et faites dissoudre dans la liqueur une once de camphre. Ce vinaigre est un excellent antidote contre la peste et le mauvais air ; on s’en lave le matin la bouche, on s’en frotte sous les aisselles, et on en respire de temps en temps ». Liger, 1775, t. 2, p. 387.
65 Selon : Joseph Lieutaud (1703-1780), Précis de Médecine pratique, P., 1759.
66 Sentences de mort rendües par les juges de Tânne proche Salins [Salins-les-Bains, Jura ?], contre six sorciere [sic], qui sont nommez André Baron, Jacques Falet, Jean Mesnard, Nicolas Tiron, DenisBlanché, Pierre Marteau, atteints et convaincus de sortileges sur les bœufs et vaches, lesquels ont été brûlés vifs, et les cendres jettés au vent pour avoir usé de sort et de magie. 1714. (ms. Alfort, recueil factice du fonds Huzard, armoire 10, non coté.)
67 Desplats, 1984, p. 324, note 54. Sur les pratiques magiques dans les maladies des animaux : Huzard, 1790.
68 Gui-Crescent Fagon, 1638-1718, Premier Médecin de Louis XIV de 1693 à 1715, membre de l’Acad. des Sc. en 1699. Sur son rôle en tant que premier médecin du roi : A. Lunel, 2008, p. 204-234.
69 Arch. nat., G7 1667, f° 25, 14 août 1774. « Quand le mot période signifie le plus haut degré auquel une chose puisse parvenir, il est masculin. » Littré, 1886, p. 1195.
70 Jean-Adrien Helvétius (1661-1727), né en Hollande et fixé en France, devint fameux en popularisant l’ipécacuanha dans la dysenterie. En 1714 il était Médecin-Inspecteur général des Hôpitaux de Flandre et allait devenir Conseiller d’État et Premier Médecin du Régent. Il était lui-même fils de l’allemand Jean-Frédéric Schweitz Premier Médecin des États généraux des Provinces-Unies et du Prince d’Orange, qui avait latinisé son nom en arrivant en Hollande († 1709). Jean-Adrien sera père de Jean-Claude-Adrien – qui sauva Louis XV en 1719 et fut médecin de la reine Marie Leczinska -, et grand-père de Claude-Adrien (1715-1771), auteur de De l’Esprit.
71 Helvétius, 1714, p. 1. Aucune épizootie de peste bovine n’est signalée en Hollande pendant cette période.
72 La bryone était déjà employée par les contemporains de Columelle, Rei rusticae, VI, iv, 3. Cet antidote est à comparer avec le remède hollandais (Bates, 1717-1719, p. 879, beaucoup plus simple, et dont 5 composants sur 11 se trouvent dans la formule de J.-A. Helvétius.
73 Helvétius, 1714, p. 5.
74 Lafosse, dict., 1775, t. 3, p. 243.
75 Helvétius, 1714, p. 6.
76 Ibid.
77 Cerbelaud, 1910, p. 771.
78 Arch. nat., G7 1667, f° 128.
79 Pierre Chirac (1650-1732), membre de l’Acad. des Sc. en 1716, futur Premier Médecin de Louis XV. Les mesures qu’il a proposées en 1694 contre des épidémies survenues à Rosas (Catalogne) et à Rochefort ont établi sa notoriété (Lile, 2006). Sur P. Chirac premier médecin, Lunel, 2008, p. 282-299.
80 Sur les consultations par lettre : Teysseire, 1993.
81 Chirac, ms., Paris, 12 août 1714, Arch. Acad. de Méd., SRM 180, D 22, no 1. Ce manuscrit a été remis à F. Vicq d’Azyr par M. de Gevigland, Docteur-Régent de la Faculté de Paris (Vicq d’Azyr, 1776, p. 219, note 3).
82 Ibid.
83 Orthographié indifféremment Hermant ou Herman. (Herment [1714], in: Soc. Méd. Genève, 1745, p. 136-158).
84 Drouin, [1714], in : Soc. Méd. Genève, 1745, p. 136-158.
85 Assa foetida ou asa foetida : gomme résineuse de saveur âcre, à très forte odeur alliacée, extraite de la racine d’une férule (Ombellifère). Crocus metallorum : foie d’antimoine, kermès, oxysulfure d’antimoine, Sb2 S2 O.
86 Pinte de Paris : 0.931 litre.
87 En octobre 1714, on envoie 100 livres de la pâte de la composition du Sr Chomel, médecin, en Provence, et 20 livres en Bretagne comme préservatif. L’intendant d’Auvergne en demande encore 50 livres car elle aurait réussi. Le Sr Chomel a présenté un mémoire pour 1 132 livres de son remède qu’il a fourni et envoyé, sur l’ordre de M. Daguesseau [le père] Conseiller d’État, aux intendants, et, par celui du Procureur général, dans différents endroits du ressort du Parlement de Paris, pour être distribué aux pauvres. Le prix demandé est de 9 160 Livres. Arch. nat., G7 1667, f° 71.
88 Chomel, 1745, p. 4.
89 Ibid.
90 La pétasite hybride, Petasites hybridus (Composée astéracée).
91 Vicq d’Azyr, 1776, p. 240.
92 Bertin (envoyé par), Mém. sur la maladie épizootique, 1774 ; Bourgelat, 1775, p. 23-27.
93 Une demi-once : 15.3 g. Dragme, drachme ou gros, environ 3.8 g.
94 Bourgelat, 1775, p. 24.
95 Bertin, 1774 ; Bourgelat, 1775, ibid.
96 P. ex. celles de l’élève Chanut en Artois, en octobre-novembre 1770 : Arch. nat., H1 46, f° 10, 16 et 20, (le futur professeur d’Alfort avait déjà été envoyé dans la Province de Luxembourg des Pays-Bas autrichiens du 28 juillet 1769 au 16 mai 1770. Raillet et Moulé, 1908, p. 368) ou celle de François-Alexis Coquet (cf. infra Document 17).
97 Paulet, 1775, t. 2, p. 134.
98 Au moins trois « hôpitaux des bœufs » ont été établis par F. Vicq d’Azyr : deux près de Condom en Janvier 1775 (Arch. départ. de Gironde, C 1526) et un à Saint-Sulpice (? dans la généralité de Bordeaux) (Dronne, 1965, p. 157 et 171).
99 Diascordium, ou confection de Fracastor : électuaire de composition complexe dans laquelle entraient les feuilles de Teucrium scordium L. (Germandrée scordium ou des marais). Sa teneur en opium l’aurait rendu utile dans la diarrhée.
100 Charge : topique gras ou poisseux destiné à être appliqué sur la peau.
101 Arch. Acad. de Médecine, SRM 139 dr no 4.
102 Arch. nat., F12, 151, lettre à M. Journet, 26 janvier 1775.
103 « Les lavements avec l’air fixe ont beaucoup gonflé l’abdomen sans aucun bien réel. » Paulet, 1775, t. 2., p. 178.
104 Lavoisier, feuille autographe s.d. (1776) Bibl. ENV Alfort [150915].
105 Huzard, Desplas, 1795, p. 17-18.
106 Sur le discours agronomique et vétérinaire en faveur de l’aérisme dans les locaux d’élevage, Vallat 2007.
107 Huzard, Desplas, 1795, p. 21-22.
108 Hurtrel d’Arboval, Dict., 1ère éd., t. 1, 1826, p. 562.
109 Ibid., t. 4, 1828, p. 428.
110 Ibid., t. 1, 1826, p. 562.
111 Ibid., p. 428-429.
112 Ibid., p. 429.
113 Ibid, p. 131.
114 Vallat, Caillault, 2004, p. 56-57.
115 Ibid, p. 429. Drastique : purgatif très énergique.
116 Raymund Minderer, médecin allemand (c. 1570 – 1621), a découvert l’acétate d’ammoniaque.
117 Ibid, p. 432.
118 Ibid, p. 435. Phlegmasie : état inflammatoire fébrile.
119 Moxa : tampon serré de coton ou de matières végétales que l’on fait consumer en l’appliquant sur la peau. On souffle dessus afin d’entretenir la combustion et de produire une escarre de surface réduite de l’ordre du centimètre.
120 Ibid, p. 439.
121 Ibid, p. 426-442.
122 Bouley, 1865, p. 775.
123 Ibid., p. 796.
124 Ibid., p. 798-799.
125 Biraben, 1976, t. 2, p. 177.
126 Bourgelat, Mémoire, 1775, p. 22-24.
127 Démiart ou démiard : 22.95 cl.
128 Alléluia : « Petite plante qui fleurit vers le temps de Pâques (d’où son nom), dont les feuilles ont un goût aigrelet, et qui fournit le sel appelé dans le commerce sel d’oseille » (Larousse, 1866, t. 1, p. 211) mélange de bioxalate de potassium et d’acide oxalique. (oxalis acetosella, pain-de-coucou, petite oseille.)
129 D’août 1714 à avril 1715. Arch. nat., G7 1667.
130 Lettre du 5 août 1714 du Contrôleur général aux intendants de Châlons, de Lyon, de Moulins, et de Paris. Boilisle, 1874-1893, t. 3, no 1692, p. 548.
131 On en demande par exemple 50 livres pour le bailliage de Provins. Arch. nat., G7 1667, f° 1, mars 1774.
132 Vicq d’Azyr, 1776, p. 256.
133 Arch. nat., G7 1667, f° 8.
134 Ibid., f° 10.
135 Ibid., f° 142.
136 Ibid., f° 140.
137 8 août 1714, Ibid. f° 53.
138 Ces 800 livres équivalent à environ 25 600 doses d’une demi-once.
139 Ibid., f° 142.
140 Ibid., f° 8, août 1774.
141 Ibid., f° 13, Daguesseau, 5 août 1774.
142 Ibid., f° 145.
143 Ibid., f° 57.
144 Ibid., f° 31.
145 Ibid., f° 62, lettre de M. Desmaretz à M. Daguesseau.
146 Ibid., f° 59.
147 13 août 1714, Ibid., f° 22.
148 Ibid., f° 57.
149 Ibid., f° 69 et 77.
150 Poudre à base de sauge, chardon bénit, aristoloche, véronique, réglisse, enula campana, gui, gentiane, grains de laurier, anis, cumin, angélique, cruciata ou morsus diaboli, racines de mauve, pulmonaire. Pour une bête adulte, une cuillérée et demie dans la nourriture ou mieux dans du vin blanc et de l’urine d’enfant. Solleysel [1664], 1744, t. 2, p. 279-280.
151 Arch. nat., G7 1667, f° 82.
152 Ibid., f° 33, 30 août 1714.
153 Ibid., f° 71.
154 Ibid., f° 77.
155 Ibid., f° 80.
156 Ibid., f° 36.
157 Arch. départ. de Gironde, C 64. Selon Paulet, 1775, t. 2, p. 164, il s’agissait essentiellement d’acide vitriolique (sulfurique) étendu d’eau « jusqu’à agréable acidité ».
158 Lorsque Turgot était intendant du Limousin, Claude Bourgelat lui a refusé le maintien de son école vétérinaire de Limoges (Raillet et Moulé, 1902).
159 Arch. nat., F12 151, 28 décembre 1774.
160 Bourgelat, 1775, p. 7.
161 Cogrossi, Vallisneri, 2005, p. 72.
162 Lancisi, [De bovilla peste, Pars I, 5.], 1739, t. 2, p. 4-9.
163 Roquet, 1925. Courtillers, Sarthe, près de Solesmes.
164 Étienne-Charles Loménie de Brienne (1727-1794) était depuis 1763 archevêque de Toulouse. Il avait été élu à l’Ac. française en 1770 avec le soutien de d’Alembert. Prélat instruit et habile administrateur, on lui doit entre autres le canal de Brienne qui relie celui de Caraman à la Garonne. Il fut Contrôleur général des finances en 1787-1788, entre Calonne et Necker. Il prêta serment en 1791 à la constitution civile du clergé comme évêque de l’Yonne et se démit de son cardinalat. Arrêté pour la seconde fois en 1794, il mourut d’apoplexie le lendemain de son incarcéra
165 Vicq d’Azyr, 1776, p.
166 Mandement de Mgr l’Archevêque de Toulouse..., Toulouse, Capitoul, 1775, 1 f. in-plano, in : Arrêts et ordonnances, 1746-1816. Voir aussi : « Note sur les prières liturgiques en cas de maladie du bétail », Hours, 1957, p. 85-86.
167 Huzard, Desplas, 1795, note, p. 18-19.
168 « Extrait des registres des délibérations de l’administration centrale du département de la Moselle, séance publique du 18 messidor an 4 [...] », f. in-plano, in : Arrêts et Ordonnances, 1746-1816, no 49.
169 Ibid.
170 Magne, 1871, p. 579, en note.
171 « Un médicament puissant inconnu des anciens, l’acide phénique, qui agit avec la plus grande énergie sur les êtres organisés, a été essayé, mais sans succès, par les Anglais en 1866. Le docteur Déclat le fait administrer dans ce moment comme agent préservatif et curatif à Paris et en Bretagne. Sans être concluants, les faits observés démontrent que les expériences offrent un grand intérêt scientifique. » Ibid.
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