Figures de la mémoire et économies du silence dans le Chaco
p. 179-197
Texte intégral
1Événement multiple, la guerre du Chaco (1932-1935) est un engrenage majeur dans l’évolution récente des sociétés bolivienne et paraguayenne. Mais elle constitue, pour les populations indiennes du Chaco, ce point de non retour qui signa la colonisation définitive de cet espace et leur insertion dans l’orbite étatique des pays belligérants. Elle fonctionne ainsi comme une guerre internationale entre États constitués. Mais elle fonctionne également comme la dernière grande campagne militaire d’occupation des territoires indiens libres dans le Cône Sud latino-américain. Or la dimension indienne du conflit a été l’objet d’un double exil : l’historiographie de la guerre a effacé ces populations de la scène pour mieux raconter l’épopée ou la tragédie de ses nations ; l’ethnologie régionale a, pour sa part, fait de la guerre un non-événement pour mieux argumenter l’inextinguible permanence de ses ethnies. Pendant longtemps, la présence indienne sur le champ de bataille a été invisible, de même que les profondes transformations que la guerre a introduites dans le monde indien du Chaco. À partir des années 1980, la situation commence cependant à évoluer. Une série de récits et de témoignages indiens affleurent à la surface. Il s’agit en général de récits compilés sur le terrain qui traitent invariablement de la biographie de tel ou tel autre « grand homme ». Ces personnages avaient joué un rôle de premier ordre au moment de la guerre, mais ils avaient également joué un rôle de premier plan dans le processus de recomposition sociale postérieur à l’événement. Leurs biographies ont permis d’éclairer la complexité et l’hétérogénéité des situations, ainsi que des dynamiques qui ont accompagné l’événement. Et si des travaux postérieurs ont conduit à un approfondissement des sources et des analyses, ces biographies constituent aujourd’hui encore l’ossature centrale de notre compréhension de la dimension indienne du conflit.
2Nous nous étions interrogés en d’autres circonstances sur les conditions d’émergence de ces récits1. Ils furent en effet recueillis de manière plus ou moins simultanée dans des régions et des contextes sans relation immédiate. Plusieurs facteurs ont été retenus pour expliquer cette simultanéité, ce mouvement de fond par lequel des versions indiennes de l’événement font surface en des lieux distincts et au même moment. On peut observer d’une part un relatif infléchissement dans l’orientation des recherches ethnologiques. Celles-ci abandonnent progressivement la réification d’un « passé ethnographique » pour s’ouvrir aux mémoires vives et aux témoignages comme sources d’analyse. Les travaux de Miguel Chase-Sardi sur le Pilcomayo, ceux de Bárbara Schuchard et de Jürgen Riester dans l’Isoso, ou ceux de Ticio Escobar et d’Edgardo Cordeu dans l’Alto Paraguay peuvent être interprétés en ce sens2. Mais cet argument explique unilatéralement cette émergence, en faisant l’économie des évolutions qui, à l’intérieur du monde indien, accompagnent ce mouvement. On peut argumenter d’autre part que la relation entre les appareils d’écritures – historique et ethnographique – et les sociétés indiennes du Chaco tend à évoluer, dans la mesure où celles-ci renforcent leur processus d’organisation politique – le projet Marandú et l’Asociación de Parcialidades Indígenas au Paraguay, tout comme la Confederación Indígena de Bolivia en seraient des cas paradigmatiques pour les années 1980. Outre le fait qu’il ne faudrait pas surestimer la force de ces processus, cet argument pose problème dès lors qu’aucun de ces mouvements n’inscrivit ces récits dans son argumentaire revendicatif, ni ne fit d’eux un lieu dense de lutte symbolique. Il serait donc difficile d’associer directement le renforcement des dynamiques politiques indiennes et l’émergence de ces récits. Un troisième argument possible tient aux évolutions générationnelles. Par une dynamique attestée en d’autres circonstances historiques, la troisième génération saurait dire le traumatisme que la première génération a vécu et que la deuxième intériorisa. Ce seraient donc ici aussi aux petits-fils de dénouer le silence instauré par leurs aïeux.
3Si chacun de ces éléments d’explication détient sa part de vérité, aucun d’eux ne nous permet de comprendre cet élément décisif, dans la mesure où ces récits, compilés dans des régions et des circonstances distinctes, ont tous une même forme. Ils s’organisent autour d’un meurtre. On pourrait penser qu’il n’y a là rien de surprenant, la guerre étant un temps de violences extrêmes et généralisées. Le problème réside dans le fait que ces récits ne racontent pas le meurtre d’un « Indien » aux mains des « blancs ». Ils racontent en effet, chacun à sa façon, un meurtre commis entre égaux. Dès lors, la question devient plus complexe. Alors que l’expérience indienne de la guerre a été effacée pendant des décennies, au fil des années 1980, des récits indiens de la guerre commencent à faire surface. Il s’agit invariablement d’une même figure qui revient, un meurtre entre-soi. Ces figures de mémoires auraient-elles été jusqu’alors bloquées par une économie du silence ? L’ordre social qui se configura dans l’après-guerre ne devenait-il vivable qu’à condition de taire le meurtre trop douloureux, trop proche, trop particulier qui l’avait institué ? Ce déblocage de la parole ne signifierait-il pas le dépassement historique de cet ordre ? Sa crise ou son démantèlement ?
4Telle est, à travers ces trois meurtres que nous allons « visiter », l’hypothèse que nous voudrions proposer. Tout agencement social organise une certaine économie du secret, voire une géométrie de l’indicible. Ce qui est caché ne vient à être dit que lorsque cet agencement s’épuise. Si ces meurtres sont respectivement à la base de l’acceptation des missions catholiques (« récit de Yacutché »), de l’acceptation d’un rapport à la nation (« récit de Casiano Barrientos »), et enfin, de l’acceptation d’un devenir-prolétaire dans les obrajes3 manufacturiers du fleuve Paraguay (« récit de Chicharrón »), leur énonciation publique au cours des années 1980 signerait alors la crise de ces missions, de ce rapport à la nation et de ces ports fluviaux. Les figures de mémoires émergeraient de la sorte dans la crise de l’économie du silence imposée par ces institutions. Il convient par conséquent de se pencher sur ces faits, sur la manière dont ils nous ont été transmis, quelle est leur structure et la variété des situations qui les circonscrit.
« Yacutch’é »
5Le premier meurtre a lieu sur la place ensoleillée de la mission de San José de Esteros, un samedi du printemps de 1938. Un Indien niwaklé surnommé « Yacutch’é », de nom chrétien « Oscar », est ligoté et pendu par les pieds au grand arbre près de l’église. Ce samedi, le lieutenant paraguayen Adolfo Escobar, qui se trouvait en visite dans la mission, lui assène le coup de grâce et demande calmement à ses hommes de descendre le cadavre de l’arbre pour le remettre au curé. Les circonstances du meurtre restent obscures. Selon la version des faits la plus acceptée, Yacutché aurait été puni car, refusant de se laisser couper les cheveux, il aurait fini par s’attaquer au curé. Nous savons en tout cas que ce meurtre est le signe d’un destin plus large, celui que la mission réservait à ceux qui n’avaient eu d’autre office que celui de guerrier. Yacutché, « colonel » dans la milice du grand Tofaai, avait fait de sa vie une question de scalps. Il se rendit peut-être compte, lorsqu’il décida de défendre sa chevelure, qu’il n’aurait plus de place dans le nouveau monde qui s’annonçait.
6Au moment de la guerre du Chaco, la région est l’une des plus densément peuplées du Chaco boréal4. C’est aussi dans cette région qu’a été concentré le gros des troupes boliviennes. C’est ici également, que les principales actions militaires ont lieu5. Jusqu’alors, le pays n’avait pas été colonisé. Des escarmouches fréquentes opposaient les acteurs du front pionnier, arrêtés sur la bande du Pilcomayo, et les milices indiennes – dont celle de Tofaai – qui protégeaient les campements de l’intérieur, tenus à bonne distance du front de colonisation. Lors de la guerre, la pression croisée des armées en opération a fini par obliger ces populations à trouver refuge dans l’enceinte des missions catholiques fondées sous les auspices de l’État bolivien pour gérer la « question indienne ». La recomposition de cet espace social dans l’après-guerre s’est opérée à partir de ces missions. C’est aussi à partir d’elles que les premières descriptions linguistiques, mythologiques et ethnologiques sur « les Niwaklé » ont été réalisées6. Or, dans les décennies suivant la guerre, aucune mention n’est faite, ni dans le corpus ethnographique ni dans le corpus historiographique, de l’expérience indienne de l’événement. Comme si la nouvelle configuration se donnait précisément pour angle mort l’événement qui l’avait engendrée. À la fin des années 1970, Miguel Chase-Sardi recueille sur place une série de récits traitant pour la première fois de cette période difficile. Au centre du corpus : plusieurs versions de la biographie de Yacutché, un caanvaklé (guerrier indien). La version de synthèse que Miguel Chase-Sardi présente provient de plusieurs conteurs, le principal desquels est Ta’nuuj – ce dernier compte également parmi les informateurs de Branislava Susnik7 et de Pierre Clastres8. Il la publia dans son recueil El pequeño decamerón Niwaklé9, et, plus récemment, dans une monographie, Palavai nuu !, parue en deux volumes à titre posthume10. Le récit n’apparaît pas dans les compilations établies par les missionnaires oblats. Il fut utilisé par Adriana Sterpin11 et réapparaît dans les travaux de Miguel Fritz12. Enfin, trois nouvelles versions de l’histoire ont été récemment compilées dans les communautés niwaklé du Pilcomayo13.
7Les versions recueillies diffèrent quant aux circonstances de sa mort et aux détails de sa vie, mais elles s’accordent sur trois faits principaux. D’abord, que Yacutché était un grand guerrier, un caanvaklé. Ensuite, que dans les années qui précèdent sa mort l’homme avait été pris de folie. Enfin, que lorsqu’il contemplait la mission il devenait sombre et circonspect, violent parfois, triste toujours.
8Nous ne disposons pas de détails sur la première jeunesse de Yacutché14. Cette absence est peut-être voulue, car toutes les versions s’accordent à dépeindre un personnage paradigmatique, la figure type d’un guerrier niwaklé. Les récits le font grandir à Toyisch (actuel Campo Azul). Il était surnommé « Yacutché », c’est-à-dire negrito (petit brun), car il avait la peau plus obscure que d’ordinaire. Il était aussi plus grand et plus svelte. Une fois adulte, son entrée dans la confrérie guerrière est évoquée. Ce passage est marqué par sa participation aux grandes beuveries masculines, et par le dévoilement progressif d’une science précise et difficile, celle qui règle la relation du guerrier aux scalps conquis, c’est-à-dire, entre l’homme et l’âme toujours dangereuse, toujours puissante, des ennemis qu’il a abattus. Toute une hygiène, toute une culture et une maitrise du soi, une esthétique, une relation aux rêves, une intensification du caractère marquent la relation à ces objets, traces indélébiles et permanentes de l’assassinat commis. L’homme se doit en effet de surveiller en permanence l’équilibre fragile entre les forces destructrices et réformatrices de ces objets qui l’accompagneront pour le restant de sa vie15. Quelque expédition guerrière contre des Pilagá, la prise de ses premiers scalps, la découverte de son « chant » propre, les fêtes du vat-ôôt et du Yivôôm palh Lhcashatech sont autant de moments qui jalonnent le devenir guerrier du jeune Yacutché. Nous nous épargnerons ici la description détaillée de ces institutions. Mais parce qu’elles interviennent de façon générique et parce qu’elles font du parcours de Yacutché une affaire archétypique, les circonstances particulières de sa mort deviendront également le symbole ou l’image d’une question d’ensemble.
9Venons-en à la folie du personnage. Elle survient vers la fin du récit, lorsqu’il agit déjà en guerrier confirmé. S’il participe encore à quelques expéditions guerrières contre des groupes indiens ennemis, l’essentiel des actions vise désormais les colons et les militaires argentins ou boliviens récemment installés dans la zone. Selon les versions, il est un « général », un « colonel » ou un « garde-du-corps » du renommé Tofaai, cacique dont l’autorité s’étendait sur le vaste pays des Schichaam lhavos (« abajeños », sur la bande du Pilcomayo). Plusieurs récits viennent nous informer sur les agissements de cette milice qui harcela sans cesse l’avancée du front pionnier sur le Pilcomayo16, jusqu’à sa progression définitive lors de la guerre du Chaco. La période est marquée par une violence extrême. Les soldats boliviens et argentins faisaient des « entrées » périodiques afin de « pacifier » la région. La milice de Tofaai s’acharnait sur des patrouilles égarées, sur tel foyer trop éloigné et exceptionnellement, comme lors de l’assaut du Fortin Chávez, sur des positions établies plus solides. Cette milice elle-même était le résultat de cette pression renforcée. C’est à cette époque, dans la spirale de violence qui la caractérise, que Yacutché, selon les différentes versions, aurait perdu l’équilibre, ses scalps se seraient appropriés de lui, ne lui permettant plus de repos, ni de recul, ni de deuil. Il cessa d’être un guerrier pour mieux devenir assassin : il prit goût à la mort. Plusieurs versions semblent s’accorder sur le fait que l’expédition de trop fut celle que Tofaai ordonna contre un foyer argentin. Les colons avaient attrapé, ligoté et tué une partie des chasseurs niwaklé et Tofaai avait décidé la vengeance. Or, après avoir abattu le « patron » et ses hommes de confiance, lorsque l’équipée indienne se préparait à repartir, Yacutché s’acharna sur les femmes en tuant la mère et ses cinq filles. Puis, pour les uns, de retour au campement, il mangea de la viande et ne respecta pas le jeûne qui doit suivre toute mise à mort. Pour d’autres, il apporta les chevelures de ces femmes innocentes mais refusa de les prendre en charge, de les nettoyer et de chanter. Quoi qu’il en soit, tous sont d’accord pour signaler qu’en cette période le jeune Yacutché perdit le contrôle sur ces scalps, et qu’il devint dangereux.
10Le troisième moment, celui qui organise le drame, correspond à la guerre elle-même. L’armée bolivienne accrut ses effectifs. Le dispositif paraguayen se déploya au Sud et à l’Est. L’armée argentine, enfin, ferma le passage du Pilcomayo pour renforcer sa présence sur la frontière. La plus grande guerre qui a opposé deux États latino-américains au XXe siècle se déchaîne sur les forces désormais insignifiantes de Tofaai et des siens. Les populations locales durent décider d’une fuite incertaine dans la brousse, ou de leur entrée dans les missions catholiques oblates, où d’autres étaient déjà venues se réfugier. Les délibérations sont difficiles. L’espace politique se tend. Deux partis se profilent. Yacutché prend celui d’une fuite en avant : il n’y a pas d’autre issue que la mort, la « nôtre » et celle du plus grand nombre possible de soldats et d’usurpateurs. Mais son parti est minoritaire. Tofaai lui-même décide de négocier l’entrée dans la mission. Peut-être pour montrer son autorité, peut-être pour obliger son ami à revenir à un équilibre perdu, il fait de Yacutché son émissaire et le charge de conduire les siens, à travers les lignes militaires, vers l’enceinte de la mission. Tous s’accordent à signaler qu’une fois dans la mission l’homme ne parla plus, qu’une tristesse l’envahit, et qu’une fois que le groupe fut en sûreté, il quitta les lieux pour se perdre à jamais, vagabond et mendiant, sachant qu’en ce nouveau monde il n’avait plus de place.
11Jusqu’à son retour à la mission. Selon la version de Miguel Chase-Sardi, le curé reconnut le guerrier d’autrefois sous l’homme sale et alcoolisé qui se présentait à lui. Il lui donna un lieu et une occupation, rien d’important, un balai pour s’occuper de la cour ou un sceau pour chercher de l’eau. Selon d’autres versions, il ne put refuser l’entrée à Yacutché, car une pression silencieuse et collective, empreinte de respect, la lui imposa. Le reste est une affaire connue. Un incident quelconque – la coupe des cheveux pour les uns, un ordre de trop pour les autres –, et l’homme ne supporta plus. Il bouscula le curé et, sans l’intervention des autres, il aurait fini par le tuer. Selon la version de Miguel Chase-Sardi, le curé n’eut pas le temps d’arrêter le lieutenant Escobar, en visite dans la mission, avant que celui-ci ne rétablisse l’ordre en l’exécutant immédiatement de deux coups de feu dans la poitrine. Selon la version du frère cadet de Yacutché, qui vit encore de nos jours, et qui regardait la scène depuis l’école de la mission, « les militaires se sont jetés sur lui et l’ont laissé presque mort, puis ils l’ont attaché et l’ont suspendu par les pieds à ce grand arbre, plusieurs jours, avant de le tuer17 ». Très rapidement, tout le monde dans la région sut ce qu’il était arrivé. Les hommes, pris par un sentiment d’ancienne amitié, se préparèrent pour capturer Escobar et venger Yacutché. Mais Tofaai en décida autrement. Il en est même qui disent qu’il consentit à ce sacrifice : le nouveau monde en dépendait.
Casiano Barrientos
12Le deuxième meurtre se produisit sur les plages du Parapetí, dans l’Isoso bolivien, le 12 octobre 1936. Julio Ortiz, militaire, fils de colon bolivien et d’Indienne isoceña, tire sur Casiano Barrientos Iyambae, « mburuvicha guasú » (grand chef) de l’Isoso, lui-même métis, fils d’un commerçant blanc et d’une femme indienne de lignée royale. Barrientos est accusé de collaboration avec l’armée paraguayenne et de « trahison à la patrie ». Avec ses deux compagnons Nepou et Tupaire, ils sont contraints de creuser leur propre tombe, tandis qu’Ortiz s’érige en invraisemblable arbitre de leurs destins. Certains dirent qu’il les fusilla pour une vieille rancune. D’autres enfin qu’il le fit par intérêt personnel. Toujours est-il que Juan Casiano Barrientos Iyambae fut enterré comme un traître, par un matin de printemps, dans le nœud irréconciliable de ses milles loyautés. Julio Ortiz eut encore le temps de vanter son exploit, avant que quelque temps après, une parole de trop, un rire inconscient, un geste impensé ne lui coûtent la vie à son tour, une nuit de beuverie à Tamachindi18.
13Dès la fin du XIXe siècle, l’avancée militaire bolivienne et la pression croissante du front pionnier avaient redessiné en profondeur les dynamiques indiennes sur cette marge occidentale du Chaco. Les communautés indiennes de l’Isoso voyaient se multiplier les estancias19. Du bétail, en nombre chaque fois plus important, venait menacer leurs champs. Travaillée par une série de conflits et de méfiances croisées, la politique locale s’organisait de la sorte autour du problème foncier. Lors de la guerre, les communautés furent mises à contribution pour fournir des denrées et la force de travail pour l’ouverture de chemins, la construction de fortins, la logistique des campagnes d’exploration, sans que des contingents militaires significatifs ne s’y installent durablement20. Lorsque l’armée paraguayenne arriva sur place, l’effort consenti avait été suffisamment important pour que la majorité de la population décidât de quitter l’Isoso et de suivre l’armée paraguayenne vers le Chaco. L’aventure ne dura que peu de temps. À l’exception d’une minorité, l’essentiel du groupe retourna vers l’Isoso qu’il venait d’abandonner. Les déplacements massifs de population vers le Nord argentin, ou leur dispersion dans les vallées du piémont andin complètent le cadre des profonds bouleversements que la guerre précipita dans la région21.
14Longtemps invisible face à la robuste production historiographique de la région andine, l’histoire de l’Orient bolivien a été amorcée dans les années 1970. Les premières recherches – celles de Branislava Susnik22 ou de Thierry Saignes23 par exemple – se sont cependant données comme limite historique la fin du XIXe siècle, délaissant l’histoire contemporaine de cette région. Ici aussi, il faut attendre que la recherche anthropologique s’ouvre aux discours locaux pour qu’émerge une première image de l’expérience indienne de la guerre. Au début des années 1980, l’équipe réunissant entre autres Jürgen Riester et Bárbara Shuchard réalisa des enregistrements systématiques permettant de constituer un premier corpus retraçant l’histoire récente de ces communautés24. Au centre du corpus : la biographie de Juan Casiano Barrientos, capitán grande (grand chef) de l’Isoso pendant la guerre. Depuis, d’autres recherches sont venues approfondir ce travail et détailler, autant qu’il était possible, les traits difficiles, complexes et capitaux de la vie de Juan Casiano Barrientos.
15Juan Casiano Barrientos est un personnage central dans l’histoire récente de l’Isoso. Sa trajectoire éclaire en effet l’ensemble des contradictions, des duplicités et des entrecroisements qui caractérisent la trame politique locale. Mais sa figure présente également des caractéristiques de précurseur, et son action politique annoncerait en quelque sorte celle des générations suivantes. Il l’est plus encore en raison des circonstances de sa mort, qui signent d’une certaine façon l’intégration définitive de l’Isoso dans la sphère bolivienne et déterminent les coordonnées sous lesquelles cet espace s’est réorganisé dans l’après-guerre. Son exécution pour « trahison à la patrie » parafe de ce fait sur le corps collectif une appartenance nationale jusqu’alors bien diffuse.
16Trois éléments circonscrivent cette mort, trois éléments qui sont aussi trois moments dans le parcours de l’incontournable Juan Casiano Barrientos. Le premier tient au problème de ses filiations, à sa condition de métis et à sa relation au lignage de la « maison royale » de l’Isoso. En effet, par une disposition ancienne et commune aux sociétés d’horizon chané – et l’Isoso en est une –, l’autorité politique, ici représentée par le titre de « mburuvichá guasú » (capitán grande) de l’Isoso, est choisie parmi les représentants ou les héritiers d’un lignage précis. Du côté de sa mère, Casiano Barrientos est descendant de José Manuel Iyambae, « Grand capitaine » de l’Isoso à partir de 1854, et il est le neveu d’Enrique Iyambae, fils de José Manuel, qui reçoit le même titre en 1920. C’est son oncle qui intercède pour que Casiano reçoive à cette même date le titre de « capitaine en second » ou « capitaine du Bas Isoso ». Mais une disgrâce personnelle oblige Enrique à s’exiler dans le Nord-Ouest argentin. Casiano prend alors sa place, vers 1927, devenant à son tour « grand capitaine ». Certes, il n’est pas le seul à afficher ses titres de noblesse, d’autres dans la région peuvent s’en prévaloir. Son intronisation comme « Grand capitaine » fut ainsi le résultat des négociations et des luttes de pouvoir entre les différents partis de l’Isoso. Après sa mort, le titre est revenu à son frère, Bonifacio Barrientos Iyambae, qui l’exerça jusqu’à son décès en 1985. Ce dernier fut l’un des informateurs clés des recherches entamées dans les années 1980. Ainsi, Casiano Barrientos est d’une part le fils de Naicho Iyambae, fille de José Manuel et sœur d’Enrique Iyambae, il appartient par voie maternelle à la « maison royale » de l’Isoso. Mais il est aussi le fils de Juan Barrientos, premier mari de Naicho, un commerçant bolivien qui vers la fin du XIXe siècle approchait périodiquement la zone pour acheter du bétail et d’autres produits. Juan Barrientos mourut lors des épisodes de Kurujuki (1892)25, alors que près de cinq mille guerriers chiriguano et leurs familles furent massacrés par une force bolivienne composite regroupant des éléments de l’armée régulière, des milices privées de propriétaires fonciers, et une partie d’un détachement d’Indiens de l’Isoso sous commandement d’Apiaguaiki. La mort de Juan Barrientos intervint avant la naissance de Casiano. Il fut donc élevé par sa mère, dans l’Isoso, ce qui ne l’empêcha pas de passer de longues périodes dans les industries sucrières du Nord-ouest argentin où il apprit à lire, à écrire, et à parler un espagnol fluide. La trace de sa filiation paternelle n’a jamais disparu, elle fut même capitale.
17Le deuxième élément tient à la façon dont son parcours met en relation de façon permanente le champ politique indien et celui des acteurs régionaux ou nationaux. Son oncle Enrique est intronisé « capitaine » par l’intervention du préfet de Santa Cruz. Lorsqu’il doit s’exiler, c’est encore en jouant du soutien des acteurs non indiens que Casiano parvient à s’imposer comme « capitaine ». Mais la fragilité de ces alliances est à la mesure de l’ambiguïté du personnage. Si les autorités locales ont poussé Casiano à la tête de l’Isoso, car il est Indien et qu’il appartient au lignage Iyambae, elles furent aussi les premières, le moment venu, à contester sa légitimité en arguant de son caractère métis et non plus indien. En fait, il est vain d’essayer de distinguer une sphère politique indienne et une autre « blanche » ou bolivienne. À l’échelle locale, elles s’engendrent mutuellement et s’organisent dans des systèmes changeants d’alliances qui ne respectent pas les limites ethniques ou linguistiques de l’Isoso. La particularité du personnage tient précisément à ce qu’elle articule de façon paradigmatique ces différentes sources de légitimité et ces différentes coordonnées politiques.
18En effet, ce qui est véritablement surprenant dans le personnage, ce qui constitue en quelque sorte son originalité historique, ce sont précisément la labilité et la territorialité accrue de son parcours politique. Sa capacité à cerner les contradictions qui animent le camp bolivien – puis paraguayen –, et à jouer d’elles pour conforter les intérêts qu’il défend. Ainsi, Casiano est de la partie lorsque dix-sept personnalités de l’Isoso se rendent à La Paz pour contrer au plus haut niveau les procédures engagées par les autorités de Santa Cruz, afin de faire avancer les démarches de titularisation des terres et pour assurer un cadre de gouvernance stable et légitime dans l’Isoso. Ce voyage est capital sous plusieurs angles et il montre bien le caractère précurseur de la figure de Barrientos : d’une part, il inscrit les luttes locales de l’Isoso dans un cadre politique national, ce qui n’avait pas été le cas auparavant. D’autre part, en rejoignant à la Paz le mouvement revendicatif du leader aymara Nina Quispe, il associe ces luttes à l’horizon plus général de la « question indienne » dans la Bolivie des années 193026. En ce sens également peuvent être interprétés ses contacts avec les autorités paraguayennes à Asunción, quelque temps plus tard. Voici donc un dirigeant de l’Isoso qui a réalisé ce que très peu de personnes étaient en mesure de faire à cette époque : négocier, à La Paz et à Asunción, en temps de guerre, avec les plus hautes autorités de chacun des deux pays. L’ambiguïté de son identité, la territorialité extraordinaire de son action politique, la modernité de sa stratégie et des relations qu’il mobilise, sa capacité à user des contradictions qui à différents niveaux travaillent les sociétés bolivienne et paraguayenne, en font une figure extraordinaire qui annonce sous plusieurs angles l’attitude des générations à-venir.
19Venons-en aux circonstances qui précipitent le drame. La guerre approche et l’armée bolivienne se doit de marquer sa présence sur cet énorme Chaco qui s’étend au-delà de l’Isoso. Barrientos, qui exerce comme « capitaine », reçoit l’ordre de fournir les effectifs nécessaires à l’exploration et à l’ouverture de chemins. Or au fur et à mesure que ceux-ci s’enfoncent dans le Chaco et que la guerre devient imminente, l’effort demandé s’intensifie27. De sorte que les conditions de cette collaboration deviennent insupportables. Dans les communautés, la position de Barrientos est fragilisée. Le parti de ses opposants gagne du terrain. Barrientos, qui ne peut se soustraire aux injonctions des militaires, peine à expliquer les raisons de cette collaboration. Jusqu’alors, la zone avait été épargnée par les combats, mais en 1935 l’armée paraguayenne atteint la limite occidentale du Chaco et se rapproche de l’Isoso. Les uns disent que ce furent les opposants de Barrientos qui ont envoyé les émissaires, les autres que ce fut Barrientos lui-même qui décida de négocier avec l’armée paraguayenne. Le fait est que celle-ci profita de l’occasion, et en reconnaissant l’autorité du « mburuvichá guasú », décida avec son accord de la migration des populations de l’Isoso vers le Chaco désormais paraguayen. Commence alors un chapitre que nous ne détaillerons pas ici, celui des négociations, des duperies et des déceptions qui marquent le périple paraguayen de Barrientos. Enfin, une partie majoritaire du groupe, avec Barrientos à sa tête, décide de fuir, et, dans un voyage qualifié d’« épique », regagne, à pied, l’Isoso à peine abandonné. La guerre est finie. Les frontières ont été dessinées. L’Isoso dévasté est resté bolivien.
20Le reste de l’histoire nous est connu. Une fois sur place, Barrientos sait qu’il va être trahi. Il a le temps de le déclarer. Qui de ses opposants, des villageois déçus, de sa noble parentèle ou des autorités régionales sortira de l’ombre pour lui assener le coup de grâce ? Comment pourrait-il défendre sa position, privé qu’il est de soutiens extérieurs, dirigeant une région anéantie par la guerre et déchirée par des rivalités intestines ? Le matin du 12 octobre 1936, Julio Ortiz, qui comme Barrientos était fils d’Indienne et de karaí (blanc), exécuta d’un geste unique et limpide la marche d’un destin. Barrientos a été enterré comme traitre et nul ne revint, au cours des décennies suivantes, pour lui restituer un nom. Le nouveau monde en dépendait.
Chicharrón
21Le troisième meurtre est presque indiscernable. Il s’est produit dans une toldería28 indienne aux abords du port forestier de Puerto Sastre, sur le fleuve Paraguay, quelque part vers 1938. « Cacique Chicharrón », ancien guide du général russe Juan Bélaieff29 et ancien combattant dans la guerre du Chaco, abat, de son « fusil militaire », et dans le dos, un dénommé « Conito », que l’on dit être le fils du diable. Son corps fut jeté dans le fleuve « avec l’aide des militaires ». Reportons-nous à une version récente des faits :
« Alors Conito s’est approché de Chicharrón et l’a défié avec sa machette. Pas pour le blesser, mais pour qu’il se relève et accepte de se battre. Il lui a touché la tête, l’épaule, il l’a poussé, mais comme Chicharrón était un homme tranquille, il n’a pas répondu aux provocations de Conito. S’il avait répondu, Conito l’aurait tué avec sa machette. Conito pensa que Chicharrón avait peur, il se moqua de lui, et se retira. Alors Chicharrón se releva tranquillement, mit ses souliers, prit son fusil de militaire et cria : “Par ta faute tous les Tomaraho sont morts, parce que tu n’as pas voulu laisser entrer la médecine. Par ta faute, parce que tu attaques tout le monde. Par ta faute ma sœur et mon frère sont morts. Ils sont tous morts à présent ! Je n’ai plus personne, je suis seul !” Et sans attendre, il lui tira dessus. Il voulut recharger et tirer de nouveau, mais les autres lui dirent de le laisser mourir, ils lui dirent qu’il allait mourir. Et Chicharrón demanda aux militaires de jeter son corps au fleuve30. »
22Ce meurtre aurait pu passer inaperçu. Il aurait pu se fondre avec ses personnages dans la masse d’un infra-prolétariat qui campait à la périphérie des ports manufacturiers du fleuve Paraguay dans l’après-guerre. Certains étaient venus de régions lointaines, avec les ouvriers, lors de la fondation du port, deux décennies plutôt, et avaient pris femme dans le pays. D’autres s’étaient approchés peu-à-peu, au fil des années 1920. Une subtile trame de parentèles et de parrainages leur assurait un lieu, le temps d’un commerce ou d’un travail, avant de repartir vers les campements intérieurs. Mais là-bas, « tierra adentro31 », vivait avant la guerre le gros de la population qui dans sa grande majorité n’avait connaissance du port qu’à travers les nouvelles, les objets, les jeux et la venue épisodique d’un étranger guidé par ceux qui étaient partis. Une série d’espaces et de graduations composites assurait une médiation, et une circulation suffisamment fluide, entre les campements de l’intérieur et les « tolderías » installées en bordure du fleuve32. Mais la guerre avait tout bouleversé. De partout dans le Chaco accourraient des familles qui avaient tout perdu. Des veuves, des gamins, des hommes désespérés, au point de s’entasser dans des campements incongrus où l’on parlait quantité de langues, venus se chercher un destin commun. Derrière elles : un pays déserté et ravagé par les épidémies apparues avec la guerre. Non pas que les actions militaires aient été dans le Haut Paraguay d’une particulière ampleur. Si quelques événements majeurs y ont eu lieu – la prise de Pitiantuta (1932), le bombardement de Bahia Negra (1933) –, le gros des actions et des combats se sont déroulés plus au Sud, vers le Chaco central. Mais les explorations militaires d’abord, la fondation de fortins ensuite, puis les contingents qui s’enfoncèrent dans le Chaco par des chemins de fer à peine terminés, avaient définitivement ouvert le pays à une colonisation que les décennies suivantes ne démentirent pas. Après la guerre, ce fut le temps des épidémies :
« Quand cette guerre est finie, une grande maladie est venue, très grande. Si une personne était assise, elle mourrait comme ça, sur sa chaise. Ou alors si elle était couchée, elle mourrait dans son lit, très vite. Presque tout le monde est mort de cette maladie. Dans chaque village. On arrivait à un village et on ne trouvait que des os par terre. On trouvait les affaires, les souliers, les casseroles, mais il n’y avait plus personne, tout était recouvert d’os33. »
23Comme ailleurs dans le Chaco, ce fut dans le contexte de la guerre que les premières descriptions ethnographiques approfondies de ces populations ont été développées34. Comme ailleurs, elles occultèrent les circonstances du présent pour mieux « restituer » un « passé ethnographique » dont avait été effacée la trace de l’événement. Mais ce ne furent pas seulement les mémoires et les récits indiens de la guerre qui ont été ainsi submergés : des pans entiers de population sont devenus invisibles à l’œil ethnographique, confondus qu’ils étaient dans la périphérie alcoolisée des ports fluviaux. Ainsi, au même moment où les « Chamacoco » réduits dans la mission évangélique de Puerto Diana faisaient l’objet d’une première grammaire et d’une notable série monographique35, les « Tomaraho », dispersés dans les estancias qui venaient d’être créées ou sous-prolétarisés dans les ports forestiers, étaient déclarés « tribu en extinction », « disparus » à tout jamais de la surface de la terre36. De ce fait, la « réapparition » des Tomaraho au cours des années 198037 changea la donne, et ouvrit le dossier jusqu’alors inentamé de l’expérience indienne de la guerre. « Réapparus », une série de travaux d’inégale valeur leur furent dédiés, et un corpus consistant de récits historiques fut recueilli38. Au centre de ce corpus, la biographie du « Cacique Chicharrón », personnage central dans l’histoire récente de ces groupes. S’il y a mention de Chicharrón dans les travaux de Ticio Escobar39, la première transcription in extenso de l’histoire a été réalisée par Edgardo Cordeu40. Deux autres versions ont été récemment compilées41.
24Le « récit de Chicharrón » se laisse lire comme l’emboîtement de trois meurtres successifs. Chacun de ces meurtres installe un silence, prend la forme d’un secret. La révélation de ce secret est la condition pour que soit organisée la scène du crime suivant, qui sera lui-même à la base d’un nouveau secret et d’une nouvelle économie de la complicité. Comme si chacun de ces meurtres était à la base d’un agencement précis que la révélation du secret venait à dépasser. Cette histoire peut être racontée comme l’histoire de ces agencements successifs, des meurtres qui s’y donnent, du silence, de la géométrie et de l’économie du silence qu’ils organisent à chaque fois. Venons-en à cette séquence.
25Ici, le premier meurtre n’est pas à proprement parler inclus dans le récit. Il lui sert de préalable. Il est même d’ordre mythologique. L’une des particularités ethnologiques de cette région du reste du Chaco est en effet que la vie sociale et culturelle de ces groupes se structure autour d’une société secrète masculine – le « tobich ». Un très vaste et exceptionnel corpus narratif explique les raisons d’être de cette institution et son fonctionnement. Ce corpus constitue le « secret » que tout homme apprend au moment de son initiation. Or ce corpus – la « saga des anabsoro » – traite très spécifiquement d’un magnicide fondateur – la mise à mort, en un temps mythologique, de tous les anabsoro – qui doit être occulté. La ritualité ishir (chamacoco) est entièrement construite sur la nécessité de feindre l’existence de ces êtres – les hommes cagoulés se déguisent, dansent et chantent comme eux – pour mieux occulter le fait qu’ils furent assassinés. Ce dispositif, que nous ne détaillerons pas ici, est au centre de l’« ordre » social : l’ensemble des institutions sociales – les partitions claniques, l’exogamie dualiste, le patriarcat, les tabous et le totémisme, la gérontocratie, etc. – se réfère à cette instance première qui fonctionne comme mythe d’origine, comme explication fondatrice du social42. En fait, tous les anabsoro n’ont pas été tués, et si le secret venait à s’éventer, les survivants reviendraient pour se venger. Cette menace toujours réitérée oblige à garder le secret. Autrement dit, la société se structure symboliquement autour d’un secret, secret qui tient à un meurtre, et le groupe fonde la communauté de destin sur la loyauté et le devoir que ce secret lui impose.
26Un secret n’est révélé que lorsqu’il ne fonctionne plus. Le premier à avoir dévoilé ce secret fut Guido Boggiani, explorateur et ethnographe italien qui visita la zone vers 1900. Or le deuxième meurtre, intérieur au récit cette fois-ci, est précisément le meurtre de Guido Boggiani. Nous avons analysé ailleurs les circonstances de ce crime43. L’Italien entame en 1902 sa première et ultime expédition vers l’intérieur du Haut Paraguay. L’homme part avec son peón paraguayen, « El gavilán », et avec sa parentèle indienne (sa femme, dont il eut un enfant, et ses beaux-frères) pour découvrir des « tribus non encore connues », et compléter sa collection d’objets et de portraits photographiques indiens. Une frontière invisible l’arrête quelque part près d’Inmakata, là où ses parents commencent à ne plus être les bienvenus. Quelques semaines plus tard, il meurt d’un coup de massue porté à la tête. Sur place, conscients de l’importance du personnage, tous décident d’abandonner les lieux et de garder le secret. Tous, par crainte de ce jour « où les Italiens viendront pour se venger44 ». Une nouvelle structure du secret se dessina. Une nouvelle économie de la complicité organisa la relation au front de colonisation jusqu’à la guerre du Chaco : cette relation se construisit sur une dissimulation et sur la crainte d’une vengeance.
27C’est justement par le dévoilement des circonstances de la mort de Boggiani que débute la relation entre le « cacique Chicharrón » et le général russe Juan Bélaieff, envoyé en mission par l’état-major paraguayen pour explorer la zone. Chicharrón est le principal guide de Bélaieff dans le Haut Paraguay45. C’est avec lui que Bélaieff fonde Pitiantuta, fortin le plus avancé du dispositif paraguayen et lieu du déclenchement des hostilités. La longue première partie du récit traite de cette exploration, des lieux parcourus, de l’amitié naissante entre les deux hommes, la faim et la soif qu’ils ressentirent, et la façon dont ils s’informèrent sur leurs invraisemblables biographies. Ils ressortent du Chaco à Bahia Negra, après deux mois d’exploration, et descendent ensemble le fleuve Paraguay sur un vapeur militaire. Sur la proue, Bélaieff et Chicharrón scellent ce pacte qui inaugure un nouveau temps : les Indiens s’associeront à l’effort de guerre paraguayen, le Paraguay leur garantira la vie sauve, un territoire et de l’aide. Suit alors ce dialogue fondamental – c’est Bélaieff qui parle :
« Chicharrón, il y a longtemps qu’on est ensemble, maintenant nous sommes comme des frères, je voudrais te poser une question, seulement par curiosité : ce gringo, Boggiani, où est-ce que les Tomaraho l’ont tué ? Chicharrón hésita un moment puis il dit : je ne connais pas cette histoire, je ne sais pas par où est ce qu’il est passé ce Boggiani. Juan a insisté : ne t’inquiète pas, Chicharrón, maintenant que nous sommes des frères tu n’as rien à craindre et tu peux me raconter. Chicharrón hésita encore puis il dit : oui, tu as raison, c’est en ce lieu que Boggiani a été tué, dans cet endroit plein de serpents. Moi, je ne l’ai pas connu. Mais mon oncle m’a raconté, mon oncle m’a montré cet endroit, le Boggian’ debió46. »
28Ce dévoilement ouvre par conséquent une nouvelle relation. Il en est le symptôme et l’allégorie. La révélation du secret exorcise la « vengeance des Italiens ». Elle signe le dépassement d’une configuration et d’une frontière, l’abolition de cette géométrie de la complicité que la crainte d’une vengeance organisait.
29La deuxième et toute aussi longue partie du récit traite de la guerre du Chaco à proprement parler. Elle raconte les premiers combats, l’enrôlement des Indiens dans les unités paraguayennes, les uniformes et les armes, le bruit, surtout le bruit assourdissant des canons et des bombes qui inondait la forêt, le train, les camions, les anciens ennemis retrouvés dans le même camp, les longs voyages à travers le Chaco, les femmes qui étaient restées, et enfin, le départ des Boliviens et cette guerre qui prend fin. Toute cette partie du récit est travaillée par la dissolution de la différence que le meurtre de Boggiani installait : cette peur qui n’a plus lieu d’être, cette célébration guerrière d’une fraternité militaire – et masculine – qui se construit. Mais tout change dans la troisième et ultime partie du récit. Car derrière cette guerre il y avait un abîme.
30Troisième meurtre donc, celui de « Conito », qui n’a pas laissé entrer la médecine. Il faut bien saisir toute la tragédie qui entoure ce meurtre. Lorsque les fièvres ont atteint la forêt, une partie substantielle de ces populations fut confrontée à une unique possibilité. Soit elles fuyaient le « diguichibit » en s’aventurant plus loin dans le pays, vers des lieux et des gens qui leur étaient étrangers. Soit elles décidaient de se vacciner et approchaient (pour ne plus repartir) des ports et des missions. L’angoisse de ces moments est suffisamment forte (en cette zone, la mortalité atteint des seuils de 75 %47) comme pour qu’elle soit restée gravée dans les mémoires à travers les générations. Les deux partis se sont déchirés : « Conito » dirigeait celui qui s’opposait aux vaccins. Chicharrón le rendit responsable de la mort de sa femme et de quatre de ses cinq enfants. Ceux qui ont survécu – et seuls ont survécu ceux qui ont accepté le vaccin – ont fait de lui l’incarnation de l’hécatombe. Le « fils du démon48 » mourut assassiné, dans le dos, aux abords de Puerto Sastre, vers 1938. Son corps ne fut pas enterré et la « haine de Conito » devint une communion. Chicharrón ne pouvait pas savoir qu’il avait survécu aux fièvres coloniales pour mieux mourir, quinze ans plus tard, d’une tuberculose prolétaire.
31Ces trois récits – et les trois meurtres qu’ils mettent en scène – montrent l’hétérogénéité des situations, des acteurs et des dynamiques qui ont caractérisé « la grande transformation » de l’espace indien au moment de la guerre du Chaco. Ces trois situations sont en quelque sorte paradigmatiques. Non seulement elles laissent entrevoir l’impact de l’événement, mais plus fondamentalement, elles éclairent les principaux vecteurs à partir desquels cet espace fut réorganisé après-guerre. L’entrée dans les missions, la dégradation sociale dans les périphéries manufacturières, ou l’affirmation d’un rapport à la nation constituent les éléments caractéristiques et structurants de la période qui suit la guerre. Or voici que l’avènement de ces trois instances est raconté par la mise en scène d’un meurtre, pas n’importe lequel, mais le plus intime d’entre tous : cet avènement se dit aux travers d’un meurtre entre pairs et d’un meurtre qui apparaît comme nécessaire à l’agencement de la nouvelle situation.
32Le meurtre de Yacutché scelle l’avènement missionnaire. Il y a dans le renoncement de Tofaai un compromis fondateur. S’il renonce à se venger, c’est parce qu’il comprend l’inévitable. Le silence qui suit, la résignation des hommes, l’horreur contradictoire – rage et espoir, violence contenue, pulsion qui se réfléchit – que suscite le corps pendu du guerrier inaugurent en quelque sorte la vie dans la mission. Il n’est pas nécessaire d’insister sur la place que le dispositif missionnaire a occupé dans l’après-guerre – les missions salésiennes, oblates, anglicanes, franciscaines ou évangéliques tramèrent le tissu à partir duquel se regroupèrent les populations indiennes du Chaco. Cette scène est capitale. Mais qui pourrait s’en enorgueillir ? Ce meurtre ne pouvait que devenir un non-dit, une forme de l’indicible, le centre aveugle et refoulé du nouveau temps qui commençait. Telle a été l’économie du silence qui accompagna l’avènement missionnaire. Il n’était pas imposé. Il ne relevait pas d’une censure. Il était intériorisé. Il émanait même d’une nécessité, engendrait une communauté et une complicité. Il fonda une mémoire silencieuse, la mémoire de ce qui ne pouvait être dit, la forme d’un refoulement constitutif à une nouvelle donne, prenant la forme d’un traumatisme. Quand et comment cette parole a-t-elle été libérée ? Dans quelle circonstance, si ce n’est la crise de la médiation missionnaire et l’organisation d’un nouveau rapport à la société nationale – et donc d’un nouveau rapport à soi et d’une nouvelle économie du silence ?
33Le meurtre de Barrientos signa le rapport à la nation sur le corps collectif de l’Isoso. Rentré de son aventure paraguayenne, Barrientos savait qu’il était condamné. Pas seulement parce qu’il savait que tel ou tel autre de ses ennemis profiterait de l’occasion. Il était condamné dans la mesure où ce rapport à la nation devenu inévitable allait effacer la trace de sa propre historicité. Il devait occulter son caractère daté. Il savait qu’il était condamné parce que la normalisation du lien avec la Bolivie passait par l’effacement de son hésitation nationale, par l’éviction de cet autre destin possible. Il savait qu’il serait assassiné enfin parce que ceux qui resteraient devaient pouvoir dire sa trahison. Mais qui donc aurait pu la clamer haut et fort ? Telle fut l’économie du silence que ce rapport à la nation demandait. Et si, depuis quelque temps, les initiatives se multiplient afin de réhabiliter le nom et la figure de Casiano Barrientos, c’est que ce rapport lui-même a évolué dans sa nature et ses mécanismes. Il ne nécessite plus de désigner le traitre dans Barrientos, il ne demande plus à signer la filiation nationale dans sa condamnation. Comment cette parole en est-elle venue à être libérée ?
34Le meurtre de Conito sert lui aussi à organiser la nouvelle donne. Lors des grandes épidémies qui ont suivi la guerre, il n’y eut d’autre issue que celle d’approcher, pour ne plus jamais repartir, le front de colonisation. Sa mort est apparue nécessaire : en empêchant l’entrée de « la médecine » et en prenant le parti de la fuite vers la brousse, Conito condamna à une mort certaine ceux qui étaient encore en vie. Si sa mort en vint à être racontée dans l’histoire d’un meurtre antérieur, qui était lui-même placé dans celle d’un meurtre premier, c’était parce que cette série disait trois moments dans la relation au front pionnier. Trois circonstances qui se résolvaient chacune dans l’autre, pour aboutir à l’entrée définitive du groupe dans la périphérie des établissements forestiers. Or cette entrée signa non seulement l’avènement d’un temps de misères, elle annonça aussi la « disparition » du groupe en tant que tel, confondu à présent dans la masse composite entassée aux abords des industries. La « réapparition » des Tomaraho au cours des années 1980 n’était pas la seule condition objective pour que ce récit puisse être recueilli, elle fonctionne aussi rétrospectivement en désamorçant la situation que ce meurtre avait permise. De ce fait, le dévoilement de ce meurtre participait de la crise de l’industrie du tanin – tout en la signalant –, et de l’abandon progressif de ses ports et de ses obrajes.
35Les trois meurtres fonctionnent ainsi comme le point de suture de la nouvelle situation qui s’organise. Ils ont émergé en tant que figures de mémoire, car la crise de cette situation, telle qu’elle avait été instituée dans l’après-guerre, les a libérés de leur condition d’indicibles fondateurs. La crise des missions, le démantèlement des industries forestières, la réorganisation du rapport à la nation se traduisent aussi dans une nouvelle économie des silences : quels seront les meurtres qui organiseront la strate suivante ?
Notes de bas de page
1 Capdevila Luc, Combès Isabelle, Richard Nicolas, « Los indígenas en la Guerra del Chaco. Historia de una ausencia y antropología de un olvido », in Richard Nicolas (dir.), Mala Guerra. Los indígenas en la Guerra del Chaco (1932-1935), Asunción del Paraguay, Museo del Barro/Servilibro/CoLibris, 2008, p. 13-65.
2 Voir infra.
3 Obraje : exploitation forestière.
4 Pour une vision générale de l’ethnologie du Chaco cf. Métraux Alfred « Ethnography of the Chaco », dans Steward Julian H. (éd.), Handbook of South American Indians, Washington, Smithsonian Institution, Bureau of American Ethnology, Bulletin 143, 1946, vol. 1, The Marginal tribes, p. 197-370. Traduction castillane, Etnografía del Chaco, Asunción, El Lector, 1996 ; Susnik Branislava & Chase-Sardi Miguel, Los Indios del Paraguay, Madrid, Mapfre (col. Indios de América, no 14), 1995 ; Zanardini José & Biedermann Walter, Los Indígenas del Paraguay, Asunción, Centro de Estudios Antropológicos de la Universidad Católica Nuestra Señora de la Asunción, 2001.
5 Pour une vision générale de la guerre du Chaco : Fernandez Carlos J., La Guerra del Chaco, Buenos Aires, Pellegrini Impresores & Asunción, Imprenta Militar & Editorial Histórica, 1955-1987, 7 vol. ; Querejazu Calvo Roberto, Masamaclay : Historia política, diplomática y militar de la Guerra del Chaco, La Paz, Los Amigos del Libro, 1975 (1965 pour la première édition).
6 Junker Paulino (e.a.), « Manual de gramática chulupí », dans Suplemento antropológico, Asunción, 1968, vol. III, no 1-2 ; Schmidt Max, « Vocabulario de la lengua churupí », dans Revista de la sociedad científica del Paraguay, 1940, vol. V, no 11 ; Susnik Branislava, Sistema fonico y principios morfológicos del chulupi, Asunción, 1954 ; Susnik Branislava, Chulupi : Esbozo gramatical analítico, Asunción, 1968 ; Mashnshnek Celia Olga, « Mitología de los Mataco, Chorote y Chulupi », dans Cuadernos franciscanos, Salta, 1974, no 35 ; Mashnshnek Celia Olga, « Textos míticos de los Chulupi del Chaco Central », dans Scripta Ethnologica, vol. III, no 1, Buenos Aires, 1975 ; Tomasini Alfredo, « Contribución al estudio de los indios Niwaklé (Chulupi) del Chaco boreal », dans Scripta Ethnologica, vol. V, no 2, Buenos Aires, 1978-1979 ; Loewen Jacob Abram, Research Report on the Question of settling Lengua and Chulupi Indians in the Paraguayan Chaco, Akron [Penn.], 1964 ; Loewen Jacob Abram, « The Anatomy of an unfinished Crisis un Chulupi Culture Change », dans Suplemento Antropológico, vol. II, no 1, Asunción, 1966.
7 Susnik Branislava, Chulupi: Esbozo gramatical analitico, Asunción, Museo Etnográfico Andrés Barbero, 1968.
8 Clastres Pierre, Mythologie des Indiens Chulupi, Paris, Bibliothèque de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1992.
9 Chase-Sardi Miguel, Pequeño Decameron Nivaclé. Literatura oral de una etnia del Chaco paraguayo, Asunción, Ediciones Napa, 1981 ; « Pequeño Decamerón Nivaklé : literatura oral de una etnia del Chaco Paraguayo », Suplemento Antropológico, 18/2, 1983, p. 15-252.
10 Chase-Sardi Miguel, ¡ Palavai Nuu ! : Etnografía nivaclé, Asunción, Centro de Estudios Antropológicos/Universidad Católica Nuestra Señora de la Asunción (Col. Biblioteca Paraguaya de Antropología, vol. 45), 2 vol., 2003.
11 Sterpin Adriana, « L’Espace social de la prise de scalps chez les Nivacle du Gran Chaco », dans Hacia una nueva carta étnica del Gran Chaco, Las Lomitas, Centro del Hombre Antiguo Chaqueño, vol. 5, 1993, p. 129-192. ; « La chasse aux scalps chez les Nivacle du Gran Chaco », Journal de la Société des Américanistes, Paris, 1993, no 79, p. 33-66.
12 Fritz Miguel, « Nos han salvado ». Misión : ¿ Destrucción o salvación ?, Quito, Abya-Yala, 1997.
13 Barbosa Pablo, Hernández Consuelo & Richard Nicolas, Rapport de mission au Pilcomayo, juillet-août 2008, Inédit, programme de recherche ANR « Indiens dans la guerre du Chaco », déposé au CERHIO – Université Rennes 2.
14 Nous suivrons la version publiée par Miguel Chase-Sardi et celles compilées récemment par nos soins.
15 Cf. Sterpin Adriana, « L’Espace social de la prise de scalps chez les Nivacle du Gran Chaco », art. cit., et « La chasse aux scalps chez les Nivacle du Gran Chaco », art. cit.
16 Barbosa Pablo, Hernandez Consuelo & Richard Nicolas, op. cit.
17 Ceballos Ciriaco, « le meurtre de Yacutché » dans Barbosa Pablo, Hernandez Consuelo & Richard Nicolas, op. cit.
18 Nous suivons la biographie établie par Combès Isabelle, « Vida y muerte de Casiano Barrientos », à paraître. Voir aussi Combès Isabelle, Etno-historias del Isoso : Chané y Chiriguanos en el Chaco boliviano (siglos XVI a XX), La Paz, Fundación Programa de Investigación Estratégica en Bolivia & Lima, Instituto Francés de Estudios Andinos, 2005.
19 Estancia : grande propriété foncière, type de latifundium dans le Cône Sud.
20 Dans ce même ouvrage, cf. Combès Isabelle, Ortiz Elio et Caurey Elías, « Une guerre contre personne. Mémoires isoseñas de la guerre du Chaco ».
21 Bossert Federico, Combès Isabelle & Villar Diego, « La guerra del Chaco entre los chané e isoceños del Chaco Occidental » dans Richard Nicolas (dir.), Mala guerra… op. cit., p. 203-235.
22 Susnik Branislava, Chiriguanos I : Dimensiones etnosociales, Asunción, Museo Etnográfico Andrés Barbero, 1968.
23 Saignes Thierry, Ava y karai : Ensayos sobre la frontera chiriguano, siglos XVI-XX, La Paz, HISBOL, 1990 ; Combes Isabelle et Saignes Thierry, Alter Ego : Naissance de l’identité chiriguano, Paris, École des Hautes Études en Sciences Sociales, Coll. Cahiers de l’Homme, no 30 (nouvelle série), 1991.
24 Schuchard Bárbara et Gomez Cecilio, Entrevista a Natalio Barrientos, Santa Cruz de la Sierra, Apoyo para el Campesino Indígena del Oriente Boliviano, 1981 ; Schuchard Bárbara, « La Conquista de la tierra : Relatos guaranes de Bolivia acerca de experiencias guerreras y pacíficas recientes », dans Riester Jürgen (éd.), Chiriguano, Santa Cruz de la Sierra, Apoyo para el Campesino Indígena del Oriente Boliviano, 1995, p. 421-476. Réed. dans Suplemento Antropológico, Asunción, Centro de Estudios Antropológicos de la Universidad Católica Nuestra Señora de la Asunción, décembre 1986, vol. 21, no 2, p. 67-98 ; Schuchard Bárbara, « The Chaco War : An Account from a Bolivian Guarani », dans Latin American Indian Literatures, vol. 5, no 2, Pittsburgh, University of Pittsburgh, 1981, p. 47-5. ; Riester Jürgen, Trad. Mandiri Justo, Iyamba-Ser Libre, Textos bilingües guaraní-castellano, Santa Cruz de la Sierra, 2005, apcob@apcob.org.bo ; et www.apcob.org.bo.
25 L’épisode de Kurujuki (1892) est retenu de manière un peu simplificatrice dans l’histoire nationale bolivienne comme l’ultime bataille opposant l’armée bolivienne aux Chiriguano aboutissant à la reddition de ces derniers et à la pacification de cette région du piémont andin.
26 Voir dans ce même ouvrage, Borras Gérard, « Mémoire collective et histoire officielle de la “guerre du pétrole” : conflits et sensibilités dans la société bolivienne contemporaine ».
27 Cf. dans ce même ouvrage, Combès Isabelle, Ortiz Elio et Caurey Elías, « Une guerre contre personne. Mémoires isoseñas de la guerre du Chaco », art. cit.
28 Toldería : village indien, campement.
29 Le général Juan Belaieffétait un ex-officier de l’armée tsariste. Il avait combattu dans les armées « blanches » avant de se réfugier au Paraguay au début des années 1920. Il fut rapidement contracté par le gouvernement paraguayen pour mener plusieurs campagnes d’exploration dans le Chaco, avant de compter parmi les cadres du commandement de l’armée régulière pendant la guerre. Il mena également des travaux importants en ethnologie du Chaco et fait partie des fondateurs de l’Association indigéniste du Paraguay (AIP).
30 Vera Palacios, « Histoire de Conito », dans Richard Nicolas, Les chiens, les hommes et les étrangers furieux : Archéologie des identités indiennes dans le Chaco boréal, Thèse de doctorat en Anthropologie sociale et ethnologie, École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, janvier 2008, 2 vol., Annexe II.
31 Tierra adentro, littéralement terre de l’intérieur, depuis l’époque coloniale expression employée pour désigner les terres indiennes non colonisées ou restées en dehors du contrôle colonial.
32 Voir Richard Nicolas, « Los baqueanos de Belaieff », dans Braunstein José et Meichtry N. (dir.), Liderazgo, representatividad y control social en el Gran Chaco Sudamericano, Buenos Aires, Eudene, 2008, p. 150-176 ; Richard Nicolas, Les chiens, les hommes et les étrangers furieux…, op. cit.
33 Aquino Emilio, « La peste », dans Richard Nicolas, Les chiens, les hommes et les étrangers furieux…, op. cit.
34 Súsnik Branislava, Estudios chamacoco, Asunción, Sociedad Científica del Paraguay & Museum Dr. Andrés Barbero, Boletin de la Sociedad Científica del Paraguay y del Museum Dr. Andrés Barbero, Etnografía I, 1957 ; Súsnik Branislava, Chamacocos I : Cambio cultural, Asunción, Museo Etnográfico Andrés Barbero, 1969 ; Súsnik Branislava, Chamacocos II : Diccionario Etnográfico, Asunción, Museo Etnográfico Andrés Barbero, 1970.
35 Ibidem.
36 Súsnik Branislava, Chamacocos I : Cambio cultural…, op. cit.
37 Richard Nicolas, Les chiens, les hommes et les étrangers furieux…, op. cit. Voir aussi Escobar Ticio, Misión : Etnocidio, Asunción, Comisión de Solidaridad con los Pueblos Indígenas/RP ediciones, 1988 ; Escobar Ticio, La Maldición de Nemur : Acerca del arte, el mito y el ritual de los indígenas ishir del Gran Chaco Paraguayo, Asunción, Centro de Artes Visuales Museo del Barro, 1999.
38 Cf. Escobar Ticio, op. cit., 1988 et 1999 ; Sequera Guillermo, À la recherche d’une culture inconnue : Les Tomaraho, Paris, Unesco, document de travail, 1988 ; Sequera Guillermo, « A la búsqueda de una cultura desconocida : Los Tomáraho del Alto Paraguay », Suplemento Antropológico, Asunción, Centro de estudios Antropológicos, Universidad Católica Nuestra Señora de la Asunción, vol. XXXVII, no 2, 2002, p. 577-751 ; Cordeu Edgardo J., Los relatos de Wölkö, Buenos Aires, Ciudad Argentina, 1999 ; Cordeu Edgardo J., « Palabras de los Antiguos : Historia y Metahistoria entre los ishír del Chaco Boreal », Cuarto Congreso Argentino de Americanistas, Sociedad Argentina de Americanistas, vol. II, 2003, p. 121-149.
39 Escobar Ticio, op. cit., 1988 et 1999.
40 Cordeu Edgardo J., « Saga del cacique Chicharrón », dans Cordeu Edgardo, « Textos etnohistóricos de los Ishír del Chaco Boreal », dans Cordeu Edgardo J., Fernández Analía J., Messineo Cristina, Ruiz Moras Ezequiel & Wright Pablo, Memorias Etnohistóricas del Gran Chaco : Etnias Toba (Qóm) y Chamacoco (Ishír), Buenos Aires, PICT-BID, 2003, p. 147-496.
41 Voir « Histoire du cacique Chicharrón », dans Richard Nicolas, Les chiens, les hommes et les étrangers furieux…, op. cit., Annexe II.
42 Cf. Cordeu Edgardo J., Aishtuwénte : Las ideas de deidades en la religiosidad chamacoco, Tesis doctoral en Filosofía y Letras, Buenos Aires, Universidad de Buenos Aires, 1981 (inédit/transcription PDF) ; Cordeu Edgardo J., Transfiguraciones simbólicas. Ciclo ritual de los índios tomáraxo del Chaco Boreal, Quito, Abya-Yala, 1999.
43 Richard Nicolas, « Cinco muertes para una crítica de la razón artesanal », dans Escobar Ticio (dir.), Catálogo del Museo de Arte indígena. Asunción del Paraguay, Museo del Barro, vol. I., 2008, p. 75-88.
44 Une année plus tard, José Fernandez Cancio, mercenaire asturien, est envoyé en mission par la Société Italienne d’Asunción pour retrouver le corps de l’ethnographe. Un Indien, « Luciano », est arraché à la brousse et conduit par la force à Asunción où il a été jugé, puis relâché. Fernandez Cancio José, Alla ricerca di Guido Boggiani: Spedizione Cancio nel Ciaco Boreale (Alto Paraguay). Relazione e Documenti, Milano, A. Bontempelli, 1903.
45 Richard Nicolas, « Los baqueanos de Belaieff. La mediación indígena en la entrada militar al Alto Paraguay », dans Richard Nicolas (dir.) Mala guerra. op. cit., p. 291-333.
46 Aquino Emilio, « Histoire de Chicharrón », dans Richard Nicolas, Les chiens, les hommes et les étrangers furieux…, op. cit., Annexe II.
47 Les deux seules données consistantes et disponibles sont le recensement effectué par Juan Bélaieff en 1928 transcrit par Herbert Baldus en 1931, et le recensement effectué par la Comisión de Solidaridad en 1985. Le premier donne « soixante groupes dirigés par des sous-chefs avec trois cent une familles en tout, soit : trois cent un hommes mariés. En attribuant à chaque famille une moyenne de cinq individus, ils seraient approximativement 1 500 ». Le recensement de 1985 donne quatre-vingt-deux individus. Il est difficile de faire la part des choses entre la crise sanitaire consécutive à la guerre et la mortalité associée aux conditions de vie dans les tolderías : Baldus Herbert, « Notas complementâres sôbre os indios chamacoco », Revista do Museu Paulista, São Paulo, 1931, vol. 17, p. 529-551 ; Escobar Ticio, Misión : Etnocidio, Asunción, Comisión de Solidaridad con los Pueblos Indígenas/RP ediciones, 1988. Pour une analyse plus détaillée voir Richard Nicolas, Les chiens, les hommes et les étrangers furieux…, op. cit.
48 L’expression est de feu Aparaicia Tani, cf. « La peste », dans Richard Nicolas, Les chiens, les hommes et les étrangers furieux…, op. cit., Annexe II.
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