De la révolution sandiniste au néolibéralisme : l’histoire nicaraguayenne à travers des récits ouvriers1
p. 69-82
Texte intégral
« On peut faire du Nicaragua un pays entier de zones franches. »
Un entrepreneur nicaraguayen2.
« Les Zones Franches sont devenues un patrimoine économique de la nation. »
Le gouvernement, 20053.
1En dehors d’une brève apparition en 1976, l’arrivée et l’installation des maquilas au Nicaragua se produit une fois les Sandinistes écartés du pouvoir, en 1990, avec la libéralisation économique et l’ouverture de ce pays au néolibéralisme. Les Sandinistes ayant pris le pouvoir en 1979, la population nicaraguayenne connut, après une longue dictature, deux ruptures importantes qui ont profondément bouleversé son histoire politique, économique, juridique, sociale et idéologique. Avant d’entrer dans le vif de notre sujet – qui consiste à saisir ces bouleversements à travers les récits d’ouvriers ayant connu ces trois périodes – il nous faut préciser quelques éléments d’ordre historique et ce à quoi nous faisons référence lorsque nous évoquons les maquilas.
2Ces usines textiles de sous-traitance internationale d’origine essentiellement asiatique et étatsunienne, inconnues jusqu’aux années 1990, constituent aujourd’hui le secteur qui crée le plus de nouveaux emplois4. Les emplois offerts, extrêmement précaires et flexibilisés, se sont imposés au point de faire totalement partie du paysage et de l’horizon de travail des ouvriers et des ouvrières. Ces usines sont perçues comme la seule option possible, et les candidats, continuellement menacés par la pauvreté, ne manquent jamais à l’entrée des zones franches qui abritent ces usines. On peut retrouver les traces de la construction et de la légitimation de cette nouvelle réalité au cours de ces trente dernières années : dans les faits historiques, dans la structure juridique et les discours qui ont accompagné ces changements, dans la centralité du besoin et du manque de travail (et son corollaire que l’on retrouve, tel un leitmotiv, dans la bouche de chaque travailleur rencontré, l’absence de choix), dans la difficulté enfin d’imaginer un Nicaragua sans maquilas.
3L’histoire du Nicaragua est marquée par la présence constante de puissances étrangères, en particulier des États-Unis. Des années 1930 à la fin des années 1970, le Nicaragua connaît l’une des dictatures les plus longues du continent, sous la férule de la famille Somoza, père et fils, soutenus par la Garde Nationale, tout à la fois police et armée fidèle qui écrase toute velléité de rébellion. Le développement économique et les transformations sociales et idéologiques des années 1960 et 1970 se heurtent à la rigidité du régime politique et ébranlent les assises de la « dynastie sanglante5 », et de son État patrimonial. Le « ras-le-bol » de la population finit par se cristalliser, et de larges secteurs se rallient à la mobilisation puis à l’insurrection menées par le Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN). Le régime de Somoza est renversé en juillet 1979, après plusieurs mois de combats.
4La révolution de libération nationale marque, en 1979, une profonde rupture avec le passé. Les Sandinistes, qui se réclament de quatre grands principes : pluralisme politique, économie mixte, non-alignement en politique extérieure et participation populaire, peinent à se situer dans un cadre à la fois démocratique et révolutionnaire. L’État est également à l’origine d’indéniables avancées sociales. De grandes réformes sociales et populaires sont mises en place tandis que les rapports avec l’opposition bourgeoise, dont l’espace d’intervention et de pouvoir diminue, se dégradent. Il est difficile de dire aujourd’hui ce qu’aurait donné la révolution sandiniste, quelles auraient été ses capacités et ses défauts, si elle n’avait été si rapidement emportée dans une logique de défense et de survie, en raison de la guerre contre la Contra financée par les États-Unis peu disposés à accepter une révolution dans leur pré-carré. L’objectif de l’administration républicaine est clair : il faut déstabiliser la jeune révolution et provoquer le soulèvement du peuple. Pendant plus de dix ans, guerre civile et asphyxie économique affaiblissent considérablement le pouvoir, et contribuent à lasser la population. À la fin des années 1980, le gouvernement, complètement enlisé dans une guerre d’usure et un marasme économique sans issue, finit par céder.
5Changement de régime : avec la fin de la révolution, le pays s’ouvre au néolibéralisme, aux politiques d’ajustement structurel en échange de l’aide des bailleurs de fonds, et aux maquilas, attirées par les énormes avantages fiscaux et la main-d’œuvre abondante « libérée » par la chute de l’État employeur et menacée, par conséquent, de sombrer dans la pauvreté ou l’indigence. Entre les aléas de la « débrouille » et de l’informel précaire, et le travail de la maquila, ce dernier s’impose de lui-même jusqu’à paraître indispensable aux yeux de tous : gouvernement, travailleurs, syndicats, medias, universitaires. Chaque jour renouvelée par la création d’emplois, la légitimité de leur présence ne peut être matière à discussion.
6À travers les récits ouvriers, on peut observer l’impact de ces bouleversements, notamment chez les travailleurs qui, comme Marta, Araya ou encore Enrique ont traversé ces trois périodes historiques. Si, tout au long des entretiens, l’évocation des conditions actuelles s’impose, les souvenirs et les traces des configurations de travail passées subsistent. Cependant, ce sont les formes les plus flexibilisées et précaires de travail qui apparaissent, au fil des entretiens, comme les repères « normaux » structurant ce type d’emplois. Des conditions historiques de leur apparition aux plus intimes bouleversements que les exigences de ce travail imposent aux familles, le cas de la mise au travail par les maquilas du Nicaragua illustre avec une clarté particulière les profonds changements que le système néolibéral a entraînés.
7Ces considérations historiques, bien qu’un peu longues, étaient nécessaires avant d’aborder notre sujet6. Nous aurons l’occasion de revenir sur certains points. Mais il convient d’ores et déjà de souligner la présence d’une histoire qui oriente l’existence des acteurs, ici de Marta et, dans une moindre mesure dans cette présentation, d’Araya. Une première partie nous aidera à présenter Marta à travers ses propres récits d’ouvrière. La seconde partie a pour objectif une réflexion sur le récit comme source de connaissance socio-historique. Si la connaissance des faits historiques est riche d’enseignements, il est apparu, tout au long de notre recherche7, que ces récits, en articulant au sein de trajectoires ouvrières individuelles les temps historiques aux perceptions et aux représentations d’acteurs les ayant vécus au quotidien, leur confèrent une épaisseur et des significations inhabituelles. Cet exercice nous suggère de prendre au sérieux les représentations « microscopiques » dans la mesure où elles conduisent à la compréhension d’un processus historique général.
Trajectoires ouvrières et histoire récente
8Marta, qui a connu le travail ouvrier dans ce type d’usines (orientées vers l’exportation ou nationalisées) sous les trois régimes précédents, nous permet de pénétrer autrement cette histoire. Sa dimension individuelle ne se contente pas de refléter les événements collectifs, en se les réappropriant, elle les re-signifie ; elle leur donne l’épaisseur d’un vécu qui enrichit les éléments de connaissance socio-historique disponibles.
9Marta a cinquante-et-un ans. Je l’ai rencontrée dans les bureaux de l’organisation de défense des femmes travailleuses María Elena Cuadra (MEC). Elle vient d’y être engagée pour assister les avocats et renseigner les nouvelles venues. Marta parle sans difficultés et paraît sûre d’elle. Son ton posé, sa présence décidée ont tôt fait d’effacer la première impression de timidité. Marta, qui vient de quitter le monde des usines, a été ouvrière du textile pendant vingt-huit ans. En tant que telle, et tout comme Araya et Enrique, elle a traversé trois périodes historiques bien distinctes : le régime de Somoza pendant cinq ans, la révolution et le gouvernement sandiniste de 1979 à 1990, et la libéralisation économique avec l’arrivée des maquilas à partir des années 1990. Ces trois époques sont clairement distinguées dans le récit de sa vie ; récit amplement consacré à son travail d’ouvrière et son travail d’organisation des ouvrières – ces deux activités sont intimement liées à partir de 1979. La vie de Marta est celle de bien d’autres femmes. Vu les circonstances historiques, elle n’est pas exceptionnelle – même si cela n’élimine en rien les particularités de son témoignage, de ses expériences et de la manière dont elle s’en saisit. La vie a suivi son cours. Pourtant, indépendamment des qualités d’oratrice de Marta et de son âge, son histoire semble maîtrisée, ses temps sont plus longs, plus denses et équilibrés. Marta s’approprie des événements de sa vie sans laisser une impression de passivité ou d’impuissance.
10La vie n’a pas été particulièrement tendre avec elle. Le décès de son père et le départ de sa mère l’éloignent du rêve de poursuivre ses études et la poussent à s’occuper de ses frères et sœurs plus jeunes. Ce n’est qu’une fois ceux-ci indépendants qu’elle décide de former sa propre famille. En 1984 elle choisit d’avoir un enfant, « car ce pays nous donnait un futur ». Séparée de son compagnon, elle vit seule avec sa fille, étudiante universitaire d’une vingtaine d’années.
11Marta, vingt-deux ans, cherche et finit par trouver du travail dans une usine textile parmi les plus grandes d’Amérique Centrale. « À cette époque-là, Somoza gouvernait. Celui qui voulait investir devait donner des actions à Somoza jusqu’à ce que, finalement, l’entreprise lui appartienne complètement (à Somoza). » Les Somoza, en bons dictateurs de père en fils, se sont considérablement enrichis aux dépens des gouvernés, et c’est cette image que retient Marta. « Avant, précise-t-elle plus loin, il n’était pas permis de nous organiser en syndicat, ni même de parler, il y avait le travail, c’est tout. » L’entreprise s’appelait alors Fabritex et appliquait les trois-huit, « là-bas, ils m’ont appris à travailler ». Ses premiers souvenirs ne sont pas si différents de ceux qu’exposent les jeunes ouvrières des maquilas actuelles. « C’était dur. C’était la première fois [que je travaillais], le bruit des machines, les particules de coton, et travailler la nuit, jusqu’au matin, c’était dur. Mais je ne suis pas partie. Il fallait que je tienne, par nécessité. » Marta passe douze ans dans cette usine, Fabritex, qui devient Fanatec lorsqu’elle est nationalisée en 1979. Elle passe les six premiers mois – les plus durs – à l’empaquetage mais supporte difficilement les conditions de travail, en particulier l’alternance des horaires de travail, et le médecin lui prescrit vitamines et médicaments. Sa chance, dit-elle, s’est présentée lorsque le chef est venu demander des volontaires pour un poste du secteur « contrôle de qualité ». Elle obtient le poste convoité qui ne compte que deux horaires diurnes, et l’air conditionné. Elle y reste dix ans et s’y plaît « parce que j’y ai appris beaucoup de choses ».
12Avec la Révolution de 1979, son travail, s’il ne change pas immédiatement, prend un nouveau tournant qui marquera toute sa trajectoire professionnelle et toute sa vie. « Je me suis inscrite dans le Parti (FSLN) […]. On a commencé à organiser des syndicats dans les entreprises, je travaillais avec les femmes. » Ce tournant historique est également mis en exergue dans le témoignage de l’ouvrière Araya qui, pour sa part, profite du nouveau régime pour reprendre ses études, abandonnées par manque de moyens financiers. Contrairement aux témoignages actuels qui démontrent l’impossibilité de concilier travail et études, à partir de 1979 ce sont justement les conditions politiques et sociales qui offrent cette possibilité qu’Araya saisit (elle étudiera jusqu’en deuxième année d’université). Marta poursuit son travail de production dans l’entreprise – tâches qu’elle décrit minutieusement – parallèlement à ses activités militantes d’organisation des femmes ouvrières. Fin 1984, malgré son désir de rester dans l’usine, on lui demande de s’occuper de l’organisation de l’ensemble des ouvrières des usines textiles de la Carretera Norte. Elle doit alors quitter son poste au laboratoire, mais également le syndicat où les femmes l’avaient élue pour les représenter et « lutter pour elles ». « Ma préoccupation concernait surtout les femmes, en tant que travailleuses et comme femmes. » Enceinte de sa fille, son expérience ressemble fort peu à ce qui m’a été raconté par les ouvrières des maquilas d’aujourd’hui. Elle prend soin d’elle-même et ne manque aucun des rendez-vous de contrôle chez le médecin. « C’était plus facile. Les soins médicaux étaient très bons. On me donnait des vitamines, du fer, des minéraux. Tous les jours je buvais du lait, (je mangeais) des fruits… tout, tout ce qui était sain. » En 1984, elle quitte l’usine et se consacre à la création de comités de femmes dans les entreprises et poursuit parfois, le soir, son travail de sensibilisation dans les quartiers. Ces horaires l’épuisent et affaiblissent son couple qui ne résistera pas. Pourtant cette période, magnifiée, est chère à Marta : la femme enceinte était réellement prise en charge et sa grossesse surveillée ; la ville était sûre ; les conditions de travail étaient telles que les gouvernements suivants auraient préféré fermer les entreprises que de continuer à assumer leurs responsabilités envers les travailleurs.
« Parce qu’à l’époque de la révolution, dans toutes les entreprises on donnait aux travailleurs ce que l’on appelait le panier de base, des produits gratuits pour tout le monde. Il y avait du riz, des haricots noirs, de l’huile, du dentifrice, du papier toilette, du savon pour le corps, pour les vêtements […] il y avait tout cela. Et dans chaque entreprise il y avait une clinique, il y avait un médecin, une infirmière, la nuit et le jour. S’il y avait un accident, ils étaient là et il y avait toujours un véhicule disponible pour, en cas d’urgence, pouvoir emmener un travailleur à l’hôpital. »
13Les souvenirs d’Araya ne diffèrent pas substantiellement de ceux de Marta :
« On s’était habitués avec le Frente (FSLN), on avait la nourriture, le transport. On avait à manger parce qu’au travail ils nous donnaient le petit-déjeuner, ils nous donnaient le déjeuner, et si on devait faire des heures supplémentaires, on dînait sur place. On avait le transport. On ne dépensait pas pour le transport. On recevait de la nourriture tous les mois, le “panier alimentaire de base” avec du riz, des haricots noirs, du sucre, tout ça. On pouvait acheter les vêtements (de l’usine) tous les six mois, des chemises, des pantalons, que l’entreprise nous vendait pour un prix modique. »
14Époque probablement idéalisée par ces ouvriers et ces ouvrières mais définitivement révolue. Pour tous, la rupture viendra en 1990 : le FSLN perd les élections et « Doña Violeta Barrios est arrivée et a fermé toutes les usines textiles de la Carretera Norte […] ils ont dit qu’il n’y avait pas les moyens financiers d’aider ces entreprises ».
15L’entreprise ferme comme toutes les usines de la zone en 1990, laissant des milliers d’ouvriers sur le carreau. Des milliers d’ouvriers qualifiés qui, comme Araya, chercheront du travail chez les nouvelles arrivées, les maquilas à capitaux étrangers. Marta, quant à elle, rentre chez elle et cesse de travailler pendant cinq ans. « J’étais fatiguée. Je ne voulais plus travailler […]. Je ne voulais plus rien savoir, ni de syndicats, ni de rien… » La chute de l’État sandiniste se répercute dans la vie de chaque travailleur qui, à son échelle, se retrouve sans travail ni salaire, soudainement las. Elle fait un peu de lavage ou de repassage de temps à autre pour quelques sous, ou donne un coup de main à une amie serveuse les fins de semaine. Pendant ces années, Marta se coupe elle-même du travail en usine et de toute participation politique. Ignore-t-elle que la zone franche a reçu les maquilas ? Bien sûr que non, on sent même poindre un certain ressentiment quand, « avec la Violeta, de plus en plus d’usines venaient à la zone franche alors que le reste des entreprises (celles de la Carretera Norte) sont là, toujours fermées ». L’État se désengage, causant l’amertume des ouvriers les plus âgés qui pointent sa responsabilité du doigt, et le silence des ouvriers les plus jeunes qui n’ont jamais connu un État acteur au sein du monde du travail.
16Marta cache mal sa résistance à demander du travail aux nouveaux patrons des lieux. Pourtant, il lui faudra bientôt, comme tous les autres, chercher du travail. C’est dans une usine italienne de chaussures, par l’intermédiaire d’un ancien responsable de la Fanatec, que Marta entre dans la Zone Franche « libéralisée ». Marta travaillera cinq ans dans ces usines, deux ans pour l’Ecco, trois dans l’entreprise étasunienne Ronaco. Amaya, qui est entrée dans la zone dès leur arrivée, est déjà passée par six usines. Dans l’usine italienne, malgré la pénibilité du travail, Marta, placée dans le secteur qu’elle connaît, trouve un certain équilibre : « Je ne me sentais pas trop mal parce que je faisais bien mon travail. »
17Au sein de l’entreprise Ecco, Marta trouve également le moyen de renouer avec une forme de militantisme, avec ses préoccupations pour les femmes. « Il fallait faire croître le mouvement des femmes, il fallait les organiser… alors j’ai été d’accord et je leur ai dit “je vais vous aider, je vais contribuer”, parce que lorsque le Frente a perdu, on s’est retrouvés en congé, plus de syndicat, plus de… rien, nous ne travaillions pour plus rien. » Ce travail de sensibilisation des ouvrières ne l’empêche pas de ressentir le poids des conditions dans lesquelles s’effectue son travail dans l’usine. Marta, comme beaucoup, finit par quitter l’usine italienne. Les normes augmentent, les tarifs baissent, les salaires ne correspondent jamais au travail effectué ; pas plus que les vacances ou que le treizième mois, les horaires de travail n’ont pas de limites… « Travailler autant et gagner si peu… Nous ne voyions pas de futur à cette situation, ça n’allait pas s’arranger. Je m’ennuyais alors je suis partie (j’ai donné ma démission). » Marta quitte les usines. Cinq mois plus tard l’organisation lui propose de travailler pour elle. Marta saisit cette opportunité. Araya n’a pas eu cette chance ; prématurément malade et vieillie par trente ans d’usine, dont dix à la maquila, elle quitte cependant aussi la zone franche suite à une altercation – une de trop. Ses filles travaillent, son compagnon aussi, c’est elle qui maintenant s’occupera des enfants et de la maison. « Le système est là. Tout le monde travaille avec ce système (l’accepte). Alors comme moi il ne me plaisait pas, je suis sortie […]. Par des contacts je peux trouver du travail, mais je ne veux plus travailler à l’usine, c’est fini, c’est fini, je suis maintenant bien fatiguée. » Comme tous les parents, bien que « les maquilas, c’est tout ce qu’on a à portée de main », elle fera ce qui est en son pouvoir pour épargner ses plus jeunes filles de ce travail-là, car : « Je ne veux plus aucun de mes enfants derrière une machine parce que je suis déjà passée par là et je sais que c’est dur. Dur, dur, dur. » D’autres ouvriers, tels Enrique ou Aura, tentent de tenir le coup jusqu’à ce que la maquila les rejettent car, comme le rappelle ce premier : « Ici il n’existe pas d’autre travail […]. Nous n’avons pas où aller en dehors de la maquila. »
18L’histoire de Marta, et celle d’Araya, s’adaptent à l’histoire que leur pays traverse. Ses mouvements, ses temps, ses accélérations et ses soubresauts dessinent des séquences dans le récit personnel de Marta qui ne cherche ni à les reprendre à son compte, ni à en diminuer l’impact. Contrairement aux générations suivantes, les travailleurs plus âgés ont été marqués par la place que réservait la révolution sandiniste aux « classes travailleuses ». Qu’ils aient été ou non des militants de la première heure, qu’ils se soient emparés ou non, par la suite, d’un nouveau flambeau, ils font montre d’une présence plus dense, plus sûre, qui s’enracine dans une histoire collective constituante. C’est un passé révolu qui a laissé ses empreintes ; c’est une boîte à outils de reconnaissance de soi en tant qu’ouvrier – ouvrier, acteur historique, être de droits, témoin et porteur de valeurs. Il n’est pas nécessaire d’avoir été révolutionnaire, ni même syndiqué. La manière d’appréhender la nouvelle donne apparue avec les années 1990 et les expériences qui l’accompagnent diffèrent sensiblement de celles des jeunes générations dépourvues de ces outils, tournées un peu plus que les autres vers de nouveaux espaces dépolitisés de socialisation (certaines communautés religieuses tels les Évangéliques et les Témoins de Jéhovah, par exemple). On connaît ses droits et les devoirs que le gouvernement ne remplit pas. Cette fermeté aide à vivre au jour le jour, à faire face à la nouvelle situation et à l’adversité – autrement que les plus jeunes ; qui sait si plus efficacement ? La réalité est la même pour tous : il n’y a pas d’autre travail, il n’y a pas le choix, encore heureux que ces usines soient là.
L’histoire récente et le récit
19La méthode employée – les récits de vécus à partir d’« entretiens narratifs8 » centrés sur l’individu dans sa « totalité » et sur les histoires de sa vie – intègre le vaste champ des méthodes biographiques. Dans la perspective historique que nous dégageons ici, elle peut être en partie assimilée à l’effort de défenseurs de la micro-histoire9 – et de certains sociologues10 – de dégager le social (et l’historique) du local11. C’est passer par « l’individu empirique, le sujet agissant et récitant » que « nous n’avons […] pas d’autre solution que de prendre au sérieux12 » qui, par les récits de ses vécus, revécus par la mise en parole, nous offre la possibilité d’approcher la « dialectique entre le singulier et l’universel dans l’étude concrète d’une vie humaine13 ». À cette dialectique s’ajoute un intérêt croissant vis-à-vis des temporalités historiques et sociales, dont les articulations peuvent diverger selon les groupes sociaux et leur appréhension du temps14. Passé, présent et futur s’interpellent et s’articulent ; la sociologie s’enrichit de ce que lui enseigne le temps long, tandis que l’histoire se penche sur les temps présents, voire immédiats. Comme le rappelle Luc Capdevila « l’approche historique du temps présent s’est développée en étendant ses objets à l’échelle des interactions entre l’instant vécu, la résonance du passé et les perceptions du futur, qui forment l’un des principaux éléments structurants de l’imaginaire social15 ». Dans le cas particulier présenté du Nicaragua actuel abordé à partir de la reconstruction de l’histoire de travailleurs sur ces trente dernières années, elle nous permet de cerner la brutalité des changements ainsi que la superposition et le décalage entre récits individuels, temps sociaux et temps historiques que l’on devine à travers les processus de normalisation que les discours sur la réalité actuelle laissent apparaître.
20Ce sont des « petites voix » qui nous renseignent sur la « grande histoire », moins sur les faits et les dates précis que sur les représentations dont les acteurs du quotidien sont aujourd’hui porteurs. Elles nous renseignent sur le passé (partant du présent) autant que sur le présent (à partir du vécu passé) puisque c’est du temps présent que le regard est porté. Les témoignages ne nous enferment cependant pas dans une sociologie de la mémoire collective. Les voix et les vies sont travaillées par l’histoire et ses bouleversements sociaux et politiques ; elles drainent des vécus que les plus jeunes travailleurs n’ont pas connus. De l’écart mais aussi des rapprochements entre ces témoignages, apparaît la profondeur des ruptures de l’histoire récente du Nicaragua.
21Les méthodes qualitatives qui se centrent sur la narration que fait l’acteur de sa vie et de ses vécus ne sont pas sans poser problème. Elles soulèvent de nombreux questionnements théoriques et épistémologiques qui font l’objet de débats ; cela n’a rien d’étonnant puisqu’elles placent les chercheurs devant le défi de passer des histoires individuelles à de la connaissance historique, anthropologique ou sociologique reconnue comme telle. Elles les placent ainsi sans cesse devant la nécessité de se défendre des risques et des critiques intrinsèques aux méthodes qui relèvent de l’interprétation, avec, dans le cas des biographies, des débats supplémentaires portant sur la construction du récit proposé par le narrateur.
22Dans l’impossibilité d’aborder l’ensemble de ces critiques et dangers, nous pouvons cependant faire rapidement allusion à la difficulté principale d’une méthode qui cherche à concilier rigueur, production scientifique et histoires individuelles, face aux risques de tomber dans le « subjectivisme » ou dans « l’illusion » comme le rappelle sans concession le petit article de Pierre Bourdieu intitulé « L’illusion biographique16 ». Pour le Bourdieu des années 1980, la vie racontée, mise sous une forme biographique, est un leurre. La vie racontée est une histoire reconstruite en fiction légitime et intéressante pour le narrateur comme pour celui qui l’écoute. Elle est reconstruite en fonction d’une fin connue laquelle a motivé l’acteur (illusion téléologique) qui « récupère » une unité et une continuité, dans le temps et dans l’espace, de ces multiples états (illusion de l’ipséité), et qui, en se racontant, pense son histoire comme une création originale qui échappe à l’anonymat (illusion du propre) alors que l’on découvre, derrière cette altérité, des effets communs de régularités sociologiques17.
23Pierre Bourdieu se fait le porte-voix de la méfiance envers les sujets et leur subjectivité communément préconisée par les diverses sciences humaines et sociales. Le récit de vie est un artefact séduisant et significatif qui ne fait que cacher les processus sociologiques réellement à l’œuvre et qui sont les objets de l’analyse18. Méfiance des sujets, méfiance du sujet. De nos jours, une place plus grande lui est laissée (comme en témoigne l’usage des récits de vie) même si le chercheur s’accroche à dégager les récurrences qui attestent de ce qui, en extériorité, détermine les conduites des individus19. Quelques années plus tard, Pierre Bourdieu se rapprocha également de l’approche compréhensive, sans perdre sa vigilance envers les conditions de production des récits20.
24Le récit de vie est certes une production qui n’est en rien la vie « en soi » substantialisée partagée par un Ego ontologique et c’est en tant que tel qu’il est justement important et intéressant puisqu’il porte, dans son contenu, dans les représentations véhiculées comme dans sa forme narrative, des éléments qui permettent d’accéder à des trames et à des enjeux sociaux et culturels qui prennent ancrage sur la double temporalité individuelle et sociale qui traversent les sujets. En réponse aux critiques formulées par Pierre Bourdieu, Olivier Schwartz propose de distinguer « le registre biographique au sens large (qui) désigne l’ensemble des énoncés dans lesquels un narrateur évoque des événements par lui vécus, proches ou lointains » de « l’effet biographique » au sens strict qui désigne « la figure décrite et critiquée par Bourdieu dont on peut résumer l’essence en quelques mots : c’est la “belle forme” du “moi”, du sujet intentionnel, doué de vie propre et d’ipséité, supposé donc posséder son centre de gravité en soi-même21 ». Le cas étudié des travailleurs de la maquila, qui articule situations de travail et de vie d’une extrême difficulté, nous enseigne que la nécessité de créer une « belle forme du moi » n’est pas insignifiante tant il est difficile, dans une situation fragilisante, de se consolider comme sujet en accord avec sa vision du monde et ses valeurs ; par ailleurs, si cette construction l’aide à ne pas sombrer dans ses propres failles et ruptures, elle ne les annule pas. La fiction même est porteuse d’éléments de connaissance sociaux, culturels et historiques. Le souvenir recréé, qui déforme la réalité, est intéressant en tant que tel. Il n’est pas anodin d’idéaliser une époque qui, selon toute vraisemblance, était marquée non seulement par la guerre civile mais l’embargo, la carence de produits, les difficultés économiques et une inflation galopante source d’incertitude. Mais Araya, par exemple, préfère s’appesantir sur ce qui a représenté un tournant dans sa vie : le droit d’étudier, le respect des travailleurs et une place reconnue légitime dans la société.
25Ainsi, le récit met en histoire(s), sous une forme unifiée, cohérente et rationnelle des expériences, des pratiques, des événements qui ont été vécus non pas dans le registre (ordonné) de l’histoire mais celui (désordonné) de la vie. Les travailleurs nicaraguayens, en nous parlant de leurs vies, nous parlent de l’histoire, non en tant que reflet d’une quelconque authenticité empirique, mais comme registre subjectif d’expériences politiques, économiques, brutales ou quotidiennes. La vie n’est certes pas une construction en soi ordonnée ; cependant la « raconter » implique de lui donner la forme d’une narration, avec ses passerelles et ses logiques, lui permettant d’être transmise et partagée. L’objectif de l’enquêté est moins de créer un récit dont la cohérence refléterait la logique d’un vécu et la maîtrise de celui qui joue le premier rôle (« l’illusion biographique ») qu’un récit qui traduise la « cohérence » de soi, une intégrité par rapport à lui-même qui lui évite des situation « sans issue » – les failles de son histoire ou la trahison de sa propre image ; condition pour que le récit puisse exister et pour que l’enquêté puisse surmonter le récit de son histoire. Si l’individu cherche à devenir le sujet d’une histoire dont il est le sujet22, en même temps « plus (il) s’approche du baroque de sa vie23, et plus il lui est difficile de produire […] de “l’effet biographique” », comme nous avons pu le constater tout au long de notre recherche24.
26Les récits de vie sont à analyser en tant que production qui avec, voire grâce à, ses failles (incohérences, silences, catharsis) donne accès à des univers sociaux et culturels ainsi qu’à des univers de sens et d’expériences de sujets (individuels et collectifs). Les éléments contenus dans le récit sont à replacer dans diverses strates de construction-reconstruction (dans l’histoire racontée et l’histoire présente, dans l’histoire racontée par rapport à l’histoire présente, dans le récit, avec ses nœuds, ses rugosités et la gestuelle qui l’accompagne, dans la situation de communication, etc.
27Le récit manifeste les rencontres entre les histoires individuelles et l’histoire sociale, ce que l’homme fait des déterminations qui s’imposent à lui dans la production de son existence25. Face à la production biographique, le chercheur privilégie « la réalité du récit » plutôt que « le récit de la réalité ». Le récit n’est pas sollicité en tant que reflet mécanique restituant fidèlement les événements sociaux ou historiques, il peut être fidèle au cours de l’histoire comme il peut ne pas l’être, les déformations sont nombreuses. Pour Daniel James26, qui défend l’emploi de l’« histoire orale » en histoire, il faut avoir la précaution de ne pas tomber dans les supposés d’un réalisme ingénu. Le témoignage oral ouvre une fenêtre sur l’univers culturel, social et idéologique des acteurs historiques ; le récit, les symboles et les logiques qu’il contient sont à lire en tant que construits culturels qui puisent dans un discours public structuré par des conventions de classe et de genre, et dans le large éventail des rôles, d’auto-représentations possibles et de narrations disponibles27.
28Les récits subissent, en outre, le filtre de la mémoire et c’est là un point intéressant. La mémoire n’est pas « fiable » s’il s’agit de dégager du magma constitutif du récit les seules informations empiriques. Pourtant, plus que faiblesse, ce facteur représente, en fait, le point fort des entretiens puisqu’il permet, au-delà des faits, de toucher à leur signification et aux fondements historiques de ces significations, comme le montre le regard porté par les ouvriers des maquilas sur un passé qui paraît si éloigné, désormais hors de portée. La mémoire « obéit à d’autres logiques que celles de la vérité et de la science. Elle oublie, déforme, transforme, reconstruit le passé en fonction des exigences de l’inconscient, des pressions de l’environnement, des conditions de production du récit, des stratégies de pouvoir du locuteur et de l’intervieweur28 ». Elle implique des erreurs, des inventions, des silences, des ruses et de multiples déformations. Ces « tricheries » ne visent pas à « tromper » l’enquêteur sur la réalité des faits, elles dessinent la topographie accidentée de l’histoire racontée et de la situation dans laquelle elle est transmise avec ses nœuds de tensions et ses carrefours conflictuels ; elles ouvrent à la connaissance de l’univers de l’enquêté qui n’est jamais un univers simple et lisse29 ; elles ouvrent aux significations passées et présentes des événements et à leur charge affective. La mémoire – inséparable d’un processus d’oubli – opère consciemment ou inconsciemment de manière sélective pour restituer des faits et des passages qui font sens dans l’histoire racontée.
29La mémoire n’est pas une ; elle présente plusieurs couches, strates ou niveaux perméables les uns par rapport aux autres. Elle est mémoire historique, mémoire générationnelle, mémoire familiale, souvenirs personnels, mémoire transmise, dérobée ou involontairement emportée, mémoire mutilée ou censurée, traversée par les équipements institutionnels et collectifs de subjectivation, pour reprendre un terme de Félix Guattari30, qui concourent au façonnement des subjectivités individuelles et collectives. La mémoire peut faire l’objet d’un oubli décidé, sa transmission s’épuiser, l’urgence s’imposer – même si elle n’est pas si facilement domptable comme le montrent les populations qui refusent de panser leurs traumatismes par l’oubli31. La mémoire des faits, la mémoire sensible des savoirs nourrit notre matériau en redéployant un monde avec ses ancrages et ses accrochages, ses étirements, ses glissements, ses rugosités, ses vides et ses pleins, ses temps. « Les récits sont les seuls équipements de mémoire que nous (analystes) possédons », la mémoire est le vrai nom du récit, elle seule, selon Jean-François Laé et Numa Murard, « s’inscrit dans le temps, offre une continuité et reconduit un savoir ou un complexe d’émotions32 ».
30C’est dans cette perspective que nos témoignages ouvriers prennent toute leur importance. Il nous importe moins de vérifier l’exactitude de ces souvenirs que de les analyser à l’aune de la situation historique et politique qui s’est imposée en si peu de temps. Une explication de type structurelle et objectiviste est-elle suffisante pour capter la profondeur des transformations qu’a connue le Nicaragua ? Le mouvement que nous proposons part du moment de l’entretien pour puiser dans le passé des éléments de compréhension des temps présents : passé et présent s’éclairent mutuellement. Il est certain que la perception du passé révolutionnaire subit une idéalisation forcée au regard du présent, cependant elle éclaire également des nœuds d’expériences collectives et individuelles à même d’expliquer une identification ouvrière et populaire que l’expérience révolutionnaire sandiniste est parvenue à construire à un moment donné. Ainsi, malgré des conditions de travail et de vie difficiles, rétrospectivement, à la lumière de leur nouvelle situation, les travailleurs gardent en mémoire un sentiment de stabilité et de respect, de temps « dignes » où on mangeait sainement, on se soignait, on s’éduquait, on avait un travail stable. L’État, qui pour eux se dérobe et les trahit, est totalement absent des récits des plus jeunes. Ce mouvement entre temps passés et temps présents, à partir de l’expérience et des récits de ces ouvriers, nous informe autant sur leurs propres transformations que sur l’expérience actuelle des plus jeunes et l’histoire récente du Nicaragua. Ces relations ne sont cependant pas mécaniques : la fermeté de propos des anciens ne se traduit pas systématiquement par une moindre soumission à la nouvelle donne. Pétris d’autres expériences, ils font pourtant écho à la nouvelle réalité marquée par « l’absence de choix » et, l’un dans l’autre, la chance de pouvoir au moins compter sur la présence des maquilas.
31Au contact de cette réalité, des récits ouvriers et des discours des uns et des autres, comment ne pas être saisi par la rapidité des changements qui fait apparaître comme « normale » voire « souhaitable » une situation de travail qui n’existe que depuis moins de vingt ans ? Il semblerait que les temporalités se soient condensées, accélérant les processus d’acceptation puis d’intégration de la nouveauté ; alors que parallèlement, dans les représentations des acteurs, la brutalité des changements renvoie ce passé proche à un temps lointain et définitivement hors de portée. L’arrivée des maquilas n’a fait qu’accompagner un bouleversement bien plus large, dont on retrouve les racines dans la politique de discrédit menée à l’encontre de l’ancien gouvernement. Ce bouleversement, correspondant au développement attendu de toute société dite démocratique et moderne, a saisi la société jusque dans ses moindres recoins. Le passé ne peut être que passé révolu et les temps nouveaux ceux de la paix et de la démocratie.
32La nouvelle donne, légitimée de toute part à force de discours et de carence réelle d’emplois, a infiltré les représentations du passé et le quotidien présent. Suite à la rupture qu’a représentée l’année 1990 dans chacune des trajectoires – rupture qui s’est traduite par la perte d’emplois succédant la chute du régime sandiniste – les zones franches et la maquila sont peu à peu devenues la réalité « naturelle » et l’horizon de chacun. Salaire au rendement et aux primes – toujours insuffisant, horaires flexibilisés à outrance, heures supplémentaires colonisant les soirées et les fins de semaine, sentiment constant de menace et arbitraire des chefs : ces conditions de travail déstabilisantes sont devenues l’ordinaire des ouvriers et des ouvrières (majoritaires). Elles colonisent l’espace familial et privé qui s’organise pour « libérer » le travailleur, lui-même dans l’impossibilité de se former par ailleurs et de se projeter dans un futur dont il ne parle jamais. Le seul futur abordé est celui des enfants auxquels ils souhaitent épargner ce type de travail ; pourtant : « la maquila, c’est tout ce qu’on a », « c’est là que nous mourrons », « c’est tout de même mieux que rien, que ferions-nous sans elles ? » Le récit de Marta nous permet de suivre le parcours d’une partie de la population ouvrière nicaraguayenne de ces dernières décennies33 ; celle-ci est pourtant en voie de disparition. Plus âgée, de moins en moins présente, ce sont les jeunes qui prennent la relève, ces jeunes qui n’ont pas l’esprit encombré par des souvenirs d’une vie ouvrière ne ressemblant en rien à ce qu’ils connaissent. « Réalité » et « normalité » se marient sans risque d’entraves.
Notes de bas de page
1 Je remercie tout particulièrement Humberto Cucchetti pour son soutien et ses conseils toujours avisés.
2 Entretien de G. Cuadra dans El Observador Económico (2001/2002), « Las nuevas inversiones están en manos del sector privado », no 119, décembre/janvier, p. 22-25.
3 Le gouvernement par l’intermédiaire de la Commission nationale de Zones Franches. La CNZF est l’organe dirigeant du régime de zones franches industrielles dont elle trace la politique générale. Elle est composée de représentants du secteur public ainsi que du secteur privé.
4 Les maquilas sont à la tête de la création de plus de 85 000 emplois directs en 2007.
5 Rouquié Alain, Guerres et paix en Amérique Centrale, Paris, Seuil, 1992, p. 57.
6 Pour plus d’information, consulter entre autres l’ouvrage de Rouquié Alain, op. cit. ; Touraine Alain, La parole et le sang, Paris, Odile Jacob, 1988 ; Vilas Carlos María, La Revolución Sandinista, Buenos Aires, Éd. Legasa, 1984, et Mercado, Estados y Revoluciones en Centroamérica 1950-1990, México, UNAM, 1994 ; Torres-Rivas Edelberto, Historia general de Centroamérica. Historia inmediata 1979-1991, San José de Costa Rica, FLACSO, 1994 et plus récemment La piel de Centroamérica : una visión epidérmica de setenta y cinco años de su historia, San José de Costa Rica, FLACSO, 2007, ou encore « ¿ Qué democracias emergen de una guerra civil ? », in Waldo Ansaldi (dir.), La democracia en América Latina, un barco a la deriva, Buenos Aires, Fondo de Cultura Económica, 2007. Edelberto Torres-Rivas offre une bibliographie détaillée des ouvrages portant sur la région dans le onzième chapitre de son ouvrage cité La piel de Centroamérica.
7 Cet article est pensé à partir d’une recherche doctorale de sociologie portant sur les sujets travailleurs confrontés à la mise au travail par les maquilas. Une approche en termes de subjectivité et de domination a été privilégiée pour cette recherche. Sur le plan méthodologique, j’ai procédé, entre 2002 et 2004, à de longs entretiens de type récits de vie avec les ouvrières et les ouvriers des maquilas. Cf. Borgeaud-Garciandía Natacha, Les sujets du labeur. Travail à l’usine, travail de soi et subjectivité des ouvrières et des ouvriers des maquilas du Nicaragua, Thèse de Sociologie de l’Université Paris 1-Panthéon Sorbonne, 2008.
8 Bertaux Daniel, Les récits de vie, Paris, Éd. Nathan, 1997, p. 6.
9 Par exemple Giovanni Levi et Carlo Ginzburg, notamment : Levi Giovanni, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le piémont du XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1985 ; Ginzburg Carlo, Le fromage et les vers, Paris, Aubier, 1993. Sur ce type d’approche qui lie la recherche historique et le temps présent – comportant notamment des références sur l’Amérique Latine – consulter la bibliographie sélective présentée par Frédérique Langue : « Écrire l’histoire immédiate de l’Amérique latine », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, Bibliografías, 2005 : http://nuevomundo.revues.org/index1041.html.
10 Par exemple Ferrarotti Franco, Histoire et histoires de vie. La méthode biographique dans les sciences sociales, Paris, Libraire des Méridiens, 1983.
11 Pour paraphraser Jacques Revel dans sa préface à l’ouvrage de Giovanni Levi cité.
12 Laé Jean-François, Murard Numa, Les récits du malheur, Paris, Descartes & Cie., 1995, p. 177.
13 De Gaulejac Vincent, « Sociologie et psychanalyse des récits de vie : contradictions et complémentarités », Current Sociology/La sociologie contemporaine, volume 43, no 2-3, automne/hiver, 1995, p. 20.
14 Capdevila Luc, « Le temps présent paraguayen », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, Coloquios, 2007 : http://nuevomundo.revues.org/index3636.html.
15 Ibidem.
16 Bourdieu Pierre, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, no 62-63, 1986, p. 69-72.
17 Schwartz Olivier, « Le baroque des biographies », Les cahiers de philosophie, no 10, 1990, p. 175.
18 Cf. Bourdieu Pierre, « L’illusion biographique », art. cit., p. 71-72 ; sur « l’illusion objectiviste » cette fois, voir Clot Yves, « L’autre illusion biographique », Communication au colloque Biographie et cycles de vie, Marseille, Vieille Charité, Association Internationale de Sociologie, juin 1988.
19 Pour une critique de la « collection de récurrences » indispensable pour légitimer la recherche, voir Laé Jean-François, « Les “beaux cas” chez Michel Foucault », Le Portique, no 13-14, Metz, 2d semestre 2004.
20 Bourdieu Pierre (dir.), La misère du monde, Paris, Éd. du Seuil, 1993.
21 Schwartz Olivier, « Le baroque des biographies », op. cit., p. 176.
22 Expression chère à de Gaulejac Vincent, op. cit.; cf. également L’histoire en héritage, Paris, Desclée de Brouwer, 1999, p. 11.
23 « Pour caractériser ce moment où le sujet rencontre en lui l’étrangeté, les conflits et les violences, les zones de sens obscur et menaçant, le travail du négatif, le désordre qui défait cette fragile construction qu’est son existence, et qui peut l’amener jusqu’au point de rupture des normes, on pourrait parler d’une dimension « baroque » de la biographie », Schwartz Olivier, « Le baroque des biographies », op. cit., p. 177.
24 Schwartz Olivier, « Le baroque des biographies », op. cit., p. 179. Les incohérences et les troubles, les fissures parfois profondes, existent et, objectivés par le langage, peuvent placer ou replacer l’enquêté dans une situation qui met en danger sa propre intégrité comme nous l’avons vu dans Borgeaud-Garciandía Natacha, « Los obreros nicaragüenses en la maquila », Revista Trabajo, no 3, BIT-Universidad Autónoma Metropolitana Itzapalapa, México, 2007, p. 149-178.
25 De Gaulejac Vincent, op. cit., 1995.
26 James Daniel, Doña María : historia de vida, memoria e identidad política, Buenos Aires, Éd. Manantial, 2004.
27 Ibidem, p. 128.
28 De Gaulejac Vincent, op. cit., 1995, p. 21.
29 Les ruses et les déformations, concomitantes à la communication, sont en partie épistémologiques en ce que, selon l’historien Daniel James, elles sont à même d’affecter profondément le statut des preuves empiriques « dures » recueillies dans les entretiens. James Daniel, op. cit., p. 129.
30 Voir, par exemple, Guattari Félix, « De la production de subjectivité », Chimères, no 4, D. Baudou (éd.), hiver 1987, p. 27-44 ; ou encore, « Des subjectivités pour le meilleur et pour le pire », Chimères, no 8, D. Baudou (éd.), été 1990, p. 23-37.
31 On peut citer, par exemple, certaines revendications liées aux dictatures uruguayenne et argentine vis-à-vis des exactions et du « devoir de mémoire », ou encore celles liées à la guerre civile et aux années de franquisme en Espagne. Voir, par exemple, la contribution de Funes Patricia, « “Mamá Mercedes.” Diario de viaje de una madre de Plaza de Mayo », à l’ouvrage de Mallimaci Fortunato (comp.), Modernidad, Religión y Memoria, Buenos Aires, Colihue, 2008 ; la publication électronique de Pérotin-Dumon Anne (éd.), Historizar el pasado vivo en América Latina, 2007 : http://www.historizarelpasadovivo.cl ; ou encore l’article de Maud Joly dans le présent ouvrage.
32 Laé Jean-François et Murard Numa, op. cit., p. 175. Sur le rôle des émotions et de la perception dans l’enquête sociologique, cf. ces auteurs, ainsi que Borgeaud-Garciandía Natacha, Les sujets du Labeur…, op. cit., en particulier le chapitre 2. Cette même idée – partant, cette fois de la sensibilité comme source ou élément de connaissance historique – fut reprise au cours de la journée d’étude (EHESS, le 4 mars 2004) consacrée aux Représentations et sensibilités dans les Amériques et la Caraïbe (XVIe-XXIe siècles). Mémoires singulières et identités sociales. Voir notamment la communication de Sandra Pesavento, « Sensibilidades no tempo, tempo das sensibilidades » mise en ligne par la revue Nuevo Mundo Mundos Nuevos le 04 février 2005 : http://nuevomundo.revues.org/index229.html.
33 On peut introduire un précédant de ce type d’approche avec Lewis Oscar, The Children of Sánchez : Autobiography of a Mexican Family. New York, Random House, 1961 ; ouvrage qui, selon l’historien Philippe Joutard, peut être considéré comme le précurseur de l’histoire orale : Joutard Philippe, Ces voix qui nous viennent du passé, Paris, Hachette, 1983.
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