« Mon honneur vaut bien ton silence. » Deux universitaires et le souvenir de la torture au Chili (1973-2001)
p. 53-67
Texte intégral
À mon ami Hernán (Nano), dont la musique et la générosité nous libèrent de toutes les violences1.
« Ils m’ont changé… Ils nous ont changé la vie à moi et à mon épouse, ils nous ont marqués pour la vie entière, ils nous ont introduit la peur jusqu’à toucher nos os… Ils m’avaient… détenu, séquestré, torturé, humilié… donné des coups de pied… insulté… banni… subir la faim… maigre… avec des cernes sous les yeux… blessé dans l’âme… »
Homme détenu en 1973, à l’âge de 24 ans. Région métropolitaine (Chili)2.
1Il est des situations dans lesquelles la dynamique propre à un événement, son impact médiatique et la surprise de son irruption engendrent d’emblée des conséquences qui changent le cours de l’histoire ou bien le modifient de façon substantielle. C’est ce qui arriva avec l’affaire « Agüero-Meneses » qui opposa judiciairement deux chercheurs, universitaires chiliens à propos du thème épineux de la torture3.
2Il ne s’agissait pas d’une querelle historiographique à propos de ce qui était arrivé dans le passé récent de la dictature militaire chilienne (1973-1989) mais d’une plainte pour injures graves déposée par le politologue et professeur d’université Emilio Meneses Ciuffardi contre son collègue – également politologue – Felipe Agüero Piwonka. Ce dernier avait identifié clairement et publiquement Meneses comme l’un de ses tortionnaires du Stade National durant le mois de septembre 1973. Cependant, la révélation d’Agüero intervint en 2001, c’est-à-dire 28 ans après les faits alors qu’il n’existait plus aucune possibilité de poursuite pénale.
3Du point de vue d’une histoire des sensibilités4, il s’agit essentiellement de comprendre ce qui a conduit à une révélation aussi intime et douloureuse au bout de presque 30 ans. Qu’est-ce qui déclenche cette nécessité de rendre publique cette douleur si particulière et indicible qu’est la torture ? La singularité de ce cas ne réside pas dans la confrontation de deux êtres humains mis en situation de se remémorer des expériences personnelles mais dans la rhétorique de l’honneur, de la honte, de la « renommée » et de cette blessure qui ressurgit du plus profond de la conscience. En outre, le regard institutionnel, d’abord incrédule, puis dans le déni, et enfin dans l’acceptation et l’extrême précaution face à l’indicible ou, mieux, face à « l’imprésentable5 », nous interpelle particulièrement. Nous ne cherchons pas le récit de la torture en soi, déjà amplement traité dans d’autres travaux, mais ses répercussions sociales6 et la gêne sociale que provoque sa seule mention. Comme l’a écrit Marc Ferro7, il s’agit là de l’un des tabous de l’histoire.
Contexte
4Au Chili, la question des atteintes aux droits humains a cessé de se poser après la publication du rapport de la « Commission Nationale de Vérité et Réconciliation » (Rapport Rettig) en 1991. Ce rapport traitait spécifiquement des cas des personnes et des détenus disparus. En ce qui concerne la torture et ses survivants, il contenait peu d’éléments, car la politique officielle d’une transition politique négociée8 avait évité tout sujet qui aurait pu altérer les fragiles équilibres démocratico-économiques, et générer des frictions dans le monde militaire ainsi qu’auprès des civils qui les appuyaient9. L’arrestation d’Augusto Pinochet à Londres, le 16 octobre 199810, modifia les choses.
5La demande d’extradition formulée par le Juge Baltazar Garzón auprès du gouvernement britannique retint parmi les charges la disparition des personnes, le génocide, le terrorisme, ainsi que la torture. Elle se conformait par conséquent à la Convention Internationale que le gouvernement même de Pinochet avait signé pendant les dernières années du régime militaire11. Cette arrestation eut un effet immédiat sur les affaires d’atteinte aux droits de l’homme au Chili contre l’ex-dictateur. Elles avaient difficilement évolué jusqu’alors en raison des équilibres politiques mentionnés précédemment12.
« Le caractère contenu de la transition chilienne, avec Pinochet toujours influent depuis des positions de pouvoir, empêchait que la société s’ouvre à la connaissance approfondie de toute la vérité de la répression. Les choses changèrent cependant avec l’arrestation de Pinochet à Londres en 1998, ce qui permit une sorte de catharsis. Si la Chambre des Lords parlait de torture, morts et crimes, la société chilienne pouvait commencer à le faire plus aisément13. »
6C’est par conséquent un facteur international, la détention de Pinochet à Londres14, qui ouvrit la voie à l’irruption publique de la question des droits de l’homme sur la scène médiatique chilienne. Il permit aussi aux victimes d’exprimer leur exigence de justice face à l’État chilien15. Il suffit de rappeler les innombrables pressions internes que subit le gouvernement pour assurer le retour de l’ex-dictateur sous le motif de l’atteinte à la souveraineté juridictionnelle16.
7En outre, Pinochet n’était plus intouchable, malgré la légitimité institutionnelle et politique dont il bénéficiait en tant que sénateur à vie. Cette arrestation provoqua alors chez beaucoup de personnes, qui avaient gardé au sein de leur plus stricte intimité les douleurs de la répression, une activation des mécanismes de la mémoire.
8Parmi ces douleurs se trouvait la torture. Pour la première fois il devint possible d’imaginer de dire la vérité et d’atteindre un certain degré de justice et de réparation. L’espoir émanant de la tension politique suite à la détention et au procès londoniens de Pinochet était cependant accompagné d’une autre douleur : celle du souvenir17.
Les particularités de la situation
9Du point de vue de l’analyse socio-historique, le cas Agüero-Meneses présente des singularités que nous voudrions examiner en adoptant un regard d’historien des sensibilités.
10En premier lieu, il donna lieu à ce que le tourment physique, utilisé pour des raisons politiques, s’impose comme question dans la société chilienne. Drame passé sous silence pendant des années, le tourment physique subi était bien souvent teinté de honte comparé à la tragédie que représentait la disparition ou l’exécution de personnes. La torture, en effet, était qualifiée de « crime mineur », et était considérée, selon un euphémisme usité durant des années, comme faisant partie des « excès » de quelques agents de l’État18. Ainsi, pour de nombreuses personnes concernées, la torture apparaissait comme le prix de la survivance, c’est-à-dire un douloureux secret. Ce secret une fois rendu public était susceptible de réveiller les fantômes du passé et d’humilier pour la seconde fois ceux qui en avaient souffert. En outre, dénoncer la torture obligeait à faire de nouveau face à ceux qui l’avaient perpétrée ; établir des faits obligeait à réunir des témoignages, tout cela sans que l’on pût espérer la moindre sanction pénale, ou réparation légale puisque les crimes étaient prescrits et amnistiés.
11Par ailleurs, le système légal chilien permet de surcroît à toute personne de se constituer partie civile pour injures et calomnies. Dans le cas qui nous occupe, Meneses était par conséquent en mesure de demander des sanctions pénales contre ses délateurs. Cela concourait à l’inhibition des témoins potentiels. Mais ce passé rendu vivant retourne constamment au présent et contraint à mettre des mots sur l’indicible et sur ce que la société perçoit comme honteux. Cela conduit alors à rompre le silence et la marginalisation, déjà ancienne, qui s’ensuit.
12En deuxième lieu, le cas Agüero-Meneses permit la création d’une seconde instance, la Commission nationale sur la prison politique et la torture (Comisión Nacional sobre Prisión Política y Tortura), dont la mission était de collecter des informations sur l’étendue, le degré et le caractère systématique de l’application de la torture durant le régime militaire chilien19. À l’aide de témoignages, du croisement de données informatiques et de la présentation de preuves écrites, la Commission a pu établir un nombre officiel de victimes de la torture, soit 27 255 personnes pour les années 1973 à 1989. Ce chiffre a été obtenu à partir de la confrontation de 35 868 témoignages volontaires. Cette énorme quantité d’informations ainsi que sa publication contribua à la prise de conscience, au Chili, de l’importance de l’utilisation de la torture et de ses répercussions contemporaines.
13Dans le cas Agüero-Meneses, l’histoire de la victime et de son bourreau remonte au mois de septembre 1973. Felipe Agüero Piwonka, alors jeune étudiant en sociologie de la Pontificia Universidad Católica de Chile, est arrêté dans la rue par une patrouille militaire car il appartient au MAPU, parti politique participant à la coalition de gauche du président Salvador Allende. Agüero est transféré à la base aérienne d’El Bosque à Santiago. Là, il est durement frappé. Il est ensuite emmené dans le plus grand centre de détention de la ville, le principal Colisée sportif : le Stade National20. Il y subit tout type d’interrogatoires, d’humiliations et de tortures intenses, tels que les ont vécus les nombreuses personnes détenues alors dans ce lieu. C’est là que commence l’histoire des deux protagonistes car, au cours de l’une de ces séances d’interrogatoire, Agüero peut distinguer à travers la capuche qui couvre sa tête deux visages, qu’il peut associer à leur voix respectives, et qu’il n’oubliera jamais21 : ce sont les visages et les voix de ses tortionnaires, dont il ignore l’identité.
14L’un d’eux, Emilio Meneses Ciuffardi, est sous-lieutenant de réserve de la Marine chilienne. C’est un jeune homme de 23 ans. Bien qu’il ait été détenu en 1971 pour port illégal d’arme, tandis qu’il se trouvait lié à des groupes d’extrême-droite, il est appelé au service actif au moment du coup d’État de septembre 1973. Il est rapidement amené à effectuer des missions d’« intelligence » dans l’enceinte du Stade National. C’est au cours de l’une de ces missions que se lient les destins des deux hommes. Meneses n’est pas seulement chargé de diriger l’interrogatoire, il pratique également divers actes de tortures sur Agüero, dont de multiples coups dans les parties les plus sensibles du corps.
15Felipe Agüero reste un mois entier dans le Stade National avant d’être transféré dans la Prison publique de Santiago. Il est libéré en février 1974.
« Comme des milliers d’autres, je suis tombé à quelques jours du coup militaire de 1973. J’ai suivi un trajet qui, avec quelques différences, était très commun. J’ai commencé dans un régiment de la Force aérienne, j’ai continué au Stade National et j’ai fini à la Prison publique de Santiago. Dans les deux premières enceintes, j’ai été victime de tortures. D’autres ont connu un sort pire que le mien et furent assassinés, ont disparu ou ont été détenus beaucoup plus longtemps22. »
16Felipe Agüero est resté au Chili pendant une dizaine d’années après les faits et a travaillé entre 1978 et 1982 comme chercheur, très productif, à la Facultad Latinoamericana de Ciencias Sociales (FLACSO). Il partit ensuite pour les États-Unis où il obtint un doctorat en Sciences Politiques à l’Université de Duke. Il s’est spécialisé en étude de la Défense, notamment sur les relations entre civils et militaires23. Tandis qu’il résidait encore au Chili, il affirme avoir vécu avec la peur constante, commune à toutes les victimes de la répression, d’être à nouveau détenu de façon arbitraire et soumis à des interrogatoires ainsi qu’à des humiliations.
17Les marques de la mémoire ne lui permirent pas d’oublier les visages de ses bourreaux. Il s’est trouvé alors parfaitement en mesure de reconnaître l’un d’entre eux dans le principal journal du pays, El Mercurio. Le pire de ses cauchemars devenait réalité puisque l’homme qu’il venait d’identifier comme son tortionnaire, d’après les pages du journal, était un collègue respecté, le professeur Emilio Meneses, expert et conseiller en défense et histoire diplomatique, qui plus est professeur dans l’une des universités les plus reconnues du Chili, la Pontificia Universidad Católica de Chile (PUC).
« Comme je suis politologue, inévitablement j’allais le rencontrer dans des lieux d’activité professionnelle. Je vécus quelques années avec cette information que je n’ai partagée qu’avec quelques amis très proches. Ce n’était pas possible de faire autrement, car c’était encore l’époque de la dictature, et les représailles continuaient d’être mortelles24. »
18La carrière universitaire de Meneses avait commencé en 1974 lorsqu’il prépara le diplôme de Relations Internationales de la Pontificia Universidad Católica de Chile. Durant ces années-là, cette université était occupée par la Marine et avait pour recteur l’amiral à la retraite Alfonso Sweet. Emilio Meneses exerça la charge de conseiller du Commandement de la Marine jusqu’en 1975. Il appartint officiellement à la Marine jusqu’en 1978. Il donnait quelques cours à l’Académie de Guerre de l’Armée, notamment sur les matières intitulées « guerre spéciale » et « intelligence internationale stratégique25 ». Meneses fut aussi boursier du régime militaire pour réaliser un master à l’Université de Georgetown et un doctorat en Relations Internationales à Oxford.
19Ainsi, bien qu’Agüero eût identifié Meneses grâce aux pages du journal, il garda le silence pendant quelques années. Les deux hommes poursuivaient leurs carrières académiques jusqu’à ce que, au début des années 1990, ils se rencontrent à un séminaire organisé par la FLACSO. Il se produisit ce qu’Agüero avait tant redouté, à savoir que les deux hommes soient amenés à partager un même espace de réflexion académique. Agüero reconnut immédiatement Meneses. Malgré les dix-sept années qui s’étaient écoulées, celui-ci avait conservé la même allure athlétique de sa jeunesse et son visage avait peu changé. Meneses ne gardait aucun souvenir particulier d’Agüero. Pour lui, et à l’instar de nombre de ceux qui perpétrèrent des interrogatoires dans les centres de détention du régime militaire, l’ancien étudiant en sociologie n’était qu’un parmi d’autres : un nom, un visage de plus, un autre ennemi politique vaincu, terrorisé et sans défense.
20Agüero s’est trouvé perturbé par le silence et ce que certains psychologues ont diagnostiqué comme le sentiment de honte du survivant26. Au moment où il décida de parler, il avait en outre gardé son secret pendant onze ans parce qu’il savait que la transition démocratique qui débutait au Chili se faisait sous la tutelle des militaires et de ceux qui collaborèrent à leur régime. Un voile de mutisme et de peur recouvrait alors la société chilienne. Seule l’arrestation de Pinochet à Londres en 1998 et l’ouverture sociale accompagnée de moyens pour faire valoir de respect des droits de l’homme octroyèrent un espace pour, enfin, se libérer d’un silence qui lui-même commençait par se faire complice. Pour Agüero, le fait d’éviter les rencontres académiques au Chili – avec le préjudice que cela portait à son travail – à cause de la crainte de se trouver face-à-face avec Meneses, ne se justifiait plus puisqu’il devait à présent faire face à son passé.
« Dans ce contexte, je décidai que je ne pouvais pas continuer de garder le silence sur l’information que je possédais et je décidai de la porter à la connaissance des autorités de l’Université Catholique, où travaillait le tortionnaire du Stade National susmentionné. Je le fis dans une lettre privée qui finit par être publiée lorsque la presse s’en est emparée. J’ai également parlé de l’affaire dans un entretien à la revue Cosas, bien que je n’aie pas mentionné l’individu en question27. »
21En février 2001, Felipe Agüero, résident aux États-Unis depuis 1982, écrivit une lettre et un courrier électronique privé au directeur de l’Institut de Sciences Politiques et au recteur de la Pontificia Universidad Católica, en faisant clairement mention du fait que le corps professoral comptait en son sein une personne qui avait été son tortionnaire dans le Stade National en 197328.
« À cause de circonstances qu’il n’est pas utile de mentionner ici, j’ai été en mesure de connaître l’identité de deux de mes tortionnaires pendant assez longtemps après avoir retrouvé la liberté en 1974. L’un d’eux décéda d’une attaque cardiaque il y a quelques années. L’autre travaille, malheureusement, comme professeur de sciences politiques dans l’Institut que tu diriges. Comme moi je suis également professeur en sciences politiques, j’ai dû entrer en contact avec lui dans plusieurs endroits, fréquemment à l’intérieur de votre prestigieux Institut, lors de certains événements auxquels tu m’as gentiment invité29. »
22Les médias ont eu connaissance de cette lettre à cause d’une fuite. Cela fit naître une controverse importante au sein de l’Université. Que devait-on faire ? Comment réagir face à une dénonciation concernant un délit déjà prescrit30 ? Le témoignage d’une seule personne était-il suffisant pour appliquer des mesures disciplinaires ? Des preuves judiciaires étaient-elles nécessaires ? Que faire, entre temps, avec la mobilisation d’étudiants et avec l’universitaire dénoncé, qui niait les faits et se disait victime d’une conspiration étrangère ? Le milieu universitaire pouvait-il résister à l’idée que l’un des siens était soupçonné d’avoir participé à des tortures ?
23Toutes ces questions plongèrent la vie de la communauté universitaire dans une grande tension durant le premier semestre 2001. En outre, suite à une révélation faite par les Forces Armées du Chili, des doutes pesaient sur une éventuelle intercession de Meneses dans l’achat d’avions de combat d’origine suédoise Saab Gripen, au détriment des F16 provenant des États Unis31. Dans ce contexte, Meneses dénonça à son tour une conspiration de ceux qui faisaient pression pour l’achat des F16 et qui l’accusaient de faire du lobbying en faveur des engins suédois. Ainsi, pour préserver son image, son honneur et son prestige, il décida de répondre aux paroles d’Agüero par la voie judiciaire et déposa le 22 mai 2001 une plainte pour « injures graves32 » auprès du septième tribunal criminel de Santiago contre Felipe Agüero Piwonka. Au Chili, cette infraction33 est passible d’amende et même d’une peine de privation de liberté. Le paradoxe fait que Felipe Agüero s’est retrouvé instantanément dans le siège des accusés suite à l’action de celui qui avait été son tortionnaire presque trente ans auparavant. En outre, c’était à lui de démontrer que ce qu’il disait était vrai. Mais il ne disposait d’autre preuve que la certitude de son souvenir, et les marques de sa mémoire. Ainsi, la possibilité d’affronter son bourreau se produisit de la façon la plus inattendue et la moins confortable.
24Le monde universitaire chilien demeurait perplexe devant une situation jusqu’alors inimaginable : deux chercheurs professeurs universitaires reconnus s’affrontaient en raison d’une accusation très grave : la torture. Cela fut largement relevé à l’époque, « le lieu par définition dans lequel les savoirs et les valeurs de la société sont transmis se trouvait profondément altéré par le fantôme de l’horreur et de la violence physique la plus brutale ».
25Le procès eut lieu et dura dix-huit mois. Quatre prisonniers du Stade National vinrent témoigner. De nombreux autres furent interrogés. Certains, résidents à l’étranger, se remémorèrent le visage de Meneses qui avait été reproduit pour l’occasion dans les journaux chiliens ainsi que sur l’Internet, et décidèrent de témoigner. La presse et la société chilienne ont pu connaître alors les détails de ce qui était arrivé dans ce centre de détention34.
26Pendant le procès, Meneses reconnut qu’il avait été « interrogateur » au cours de la période signalée. Il insista sur le fait qu’il n’avait jamais pratiqué de tortures et qu’il n’avait jamais su qu’elles existaient lors de sa permanence au Stade National. Il dit également qu’il avait eu connaissance de ces faits ultérieurement. Son récit manqua cependant de crédibilité, au niveau juridique comme aux yeux des universitaires. Toutes les personnes qui étaient passées par le Stade National pouvaient se souvenir des cris et des gémissements de ceux que l’on avait conduits à l’endroit nommé disco negro35 pour y être ensuite « interrogés ».
27Il a été établi que Agüero n’avait pas menti et que, par application du principe d’Exceptio Veritatis36 retenu par le tribunal, il ne s’était pas rendu coupable du délit d’injures.
28Le cas de Felipe Agüero et Emilio Meneses permit de dévoiler un sujet occulté pendant presque trente ans. Des milliers de Chiliens avaient souffert de la répression politique sur leurs corps, étaient restés silencieux et avaient ressenti de la honte pendant des années. La peur commençait à s’estomper.
Sensibilités et honneurs en cause
29Parmi les arguments de la défense, nous voudrions insister sur la récurrence d’éléments tels que l’honneur, la honra, la renommée, le prestige, l’image de soi et la réputation des personnes. Ces éléments font ressortir les caractéristiques des sujets impliqués. Il s’agit de personnes possédant un capital social et intellectuel important, appartenant à un espace réglé et fortement élitiste, tel le milieu universitaire – même s’il est peu influent en matière économique. Dans cet environnement, le jugement public représente un élément déterminant des trajectoires individuelles particulières, aussi bien professionnelles que sociales. On peut en déduire que la situation de victime comme, spécifiquement, la simple suspicion d’avoir été tortionnaire portent en elles une série de conséquences sociales, indépendamment des sanctions pénales envisageables ou de la véracité de la situation énoncée. Le fait d’appartenir au milieu universitaire dans lequel on présume – dans un a priori absolu – que les antécédents académiques et moraux de ses membres sont immaculés, rend la situation de ce qui a été appelé « convivialité académique » compliquée.
30L’idée de « mort sociale37 », qu’il n’est pas rare de trouver dans la littérature et dans les médias chiliens, représente le plus grand danger auquel doit faire face celui qui se sent injurié. À la douleur du supposé affront s’ajoutent le jugement de la communauté et l’image que se façonnent les autres de l’injurié. Cela est particulièrement vrai au sein de la société chilienne38 dans laquelle le regard de l’autre occupe une place importante dans la construction sociale des sujets. Les délits de parole contre « l’honneur », la « honra » et la « renommée » continuent d’y avoir un poids capital, empêchant même le libre exercice de la liberté d’expression et de celle de la presse39. On ne peut pas ne pas mentionner que les effets d’intimidation40, dans le volet pénal de la législation en question, ont donné lieu à une série de sentences contre l’État chilien pour contravention aux principes de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme, particulièrement lorsqu’il s’agit de critiques à l’encontre de personnes qui occupent des fonctions de pouvoir41.
31Felipe Agüero décida d’en finir avec le voile de silence et de pudeur. Il a confié ne plus pouvoir le supporter car il s’agissait d’un « breuvage douloureux et amer qu’il devait expérimenter en solitaire ». Les circonstances dans lesquelles était plongé le pays, auxquelles s’ajoutait l’affaire Pinochet et les révélations sur le traitement cruel qu’avait subi son ami Eugenio Ruiz-Tagle déchaînèrent en lui les mécanismes douloureux du souvenir. Ces éléments l’ont incité à écrire la lettre. Agüero insistait sur le fait qu’il ne devait pas être celui qui porterait le poids de la honte, de la vexation. Celui qui devait en porter le poids était Meneses, qui pourtant continuait de vivre dans le mensonge vis-à-vis de ses collègues et des étudiants universitaires :
« En dépit de la surprise et de mon profond désaccord avec cette situation, j’ai nourri l’espoir que cet individu s’exprimerait de telle sorte que, en reconnaissant le caractère perturbant de la circonstance, cela contribuerait à mitiger ma sensation confuse de stupeur et de peur. Avec le temps, cela ne s’étant pas produit, et me donnant l’espace pour clarifier lentement un sentiment réprimé, je me suis rendu compte que mon silence finissait, en réalité, par se faire complice du mensonge que fait subir cet individu, Emilio Meneses, quotidiennement à tous ceux qui l’entourent42. »
« Cela paraît absurde mais moi, la victime et non le victimaire, j’étais celui qui avait peur43. »
32La fuite dans la presse de cette lettre privée et du mail destiné aux autorités universitaires, et la réaction de Meneses poussèrent Felipe Agüero à ratifier sa dénonciation. La stratégie de Meneses consista d’abord à nier toute participation aux faits, puis à accuser Agüero de faire partie de la conspiration liée à la vente d’avions de combat à l’État chilien. Voyant que cela ne produisait aucun résultat satisfaisant et que la situation devenait de plus en plus délicate au sein de l’université, Meneses changea son fusil d’épaule et porta plainte pour injures graves contre Agüero. Le système pénal chilien offrait la possibilité au demandeur, Emilio Meneses, de « laver son honneur » et d’imposer le silence à Felipe Agüero qui, en outre, ne semblait disposer d’aucune preuve ni de témoin direct de ce qui s’était passé trente ans auparavant au Stade National. Une telle dénonciation formulée par Agüero, sans preuve ni témoin, à propos de délits présumés prescrits et amnistiés depuis 1978 paraissait bien destinée à tomber sous la qualification d’injure. Comme l’annonce le titre, la défense de l’honneur du demandeur prétendait faire taire la mémoire vive de celui qui se trouvait affecté.
33Toutefois, la position du demandeur fut affaiblie au bénéfice des allégations d’Agüero. Outre le témoignage d’autres ex-prisonniers qui certifièrent l’avoir identifié au Stade National, le fait de reconnaître que Meneses avait la qualité d’« interrogateur et classificateur de détenus », et non de tortionnaire, posait une série de questions : comment pouvait-on être interrogateurclassificateur en ignorant tout des tortures, alors que le dernier des soldats savait ce qui se passait là ? Comment pouvait-on « interroger » sans participer à l’ensemble du mécanisme répressif qui incluait la torture psychologique, ainsi que l’établit la convention internationale contre la torture ?
« Moi, Monsieur Felipe Agüero, je ne l’ai pas interrogé, je ne l’ai jamais vu au Stade National. J’ignorais jusqu’à sa présence là-bas. […] Depuis toujours, tous mes amis connus et collègues ont su, et je n’ai jamais caché, que je faisais partie de la Armada de Chile (Marine) et que la Armada me désigna comme interrogateur au Stade National. Jamais, tandis que j’accomplissais cette tâche, à aucun moment, je n’ai soumis personne à des contraintes illégitimes44. »
34Ce furent ces éléments qui fragilisèrent l’argumentation qui s’appuyait sur le défaut de preuves concrètes. La question s’est résumée à la parole d’un homme contre celle d’un autre, et à la « communauté de mémoire » qui soutenait chacun d’eux.
35En termes juridiques, il s’agit de la confrontation de deux systèmes probatoires : Meneses et son avocat utilisèrent le dispositif légal du délit d’injures graves, en dépit des faits décrits par Agüero, c’est-à-dire, dans l’abstrait, écarté de la réalité sociale. La perte du procès par Meneses montre que l’historicité de la circonstance propre aux individus impliqués prend le devant face au dispositif légal qui sous-tend la figure juridique de l’injure : elle ne peut pas exister séparée de son historicité.
36Au niveau international, ce cas fit réagir des professionnels des sciences sociales. Une lettre circula assez vite, signée par deux-cent-trente universitaires reconnus du monde entier qui apportaient leur soutien à la cause d’Agüero et exprimaient leur refus de participer, même d’assister, à toute activité scientifique dans laquelle Emilio Meneses pourrait se trouver. La chose devenait délicate. En effet, combien de temps pouvait résister le milieu académique international à l’idée de compter parmi ses membres une personne sur laquelle pesaient des soupçons de participation à de graves atteintes aux droits de l’homme ? Ce n’était pas seulement une affaire de solidarité vis-à-vis du professeur Agüero, il s’agissait du prestige de la discipline.
37La justice chilienne détermina que Felipe Agüero avait exercé son droit de liberté d’expression, sans violer le droit à l’honneur de Meneses, car les faits relatés par Agüero relevaient du principe d’exceptio veritatis. L’argument principal fut que la protection de la honra d’un individu était subordonnée au droit de connaître les graves crimes contre l’humanité perpétrés au Stade National.
La gêne institutionnelle
38Cette situation, vécue par deux individus et mettant en scène leurs sensibilités par un bond dans le temps de presque trente ans, a connu une série de répercussions dans l’institution universitaire qui accueillait le professeur dénoncé comme tortionnaire. Déjà, en 1998, Felipe Agüero avait confié en privé à son ami et collègue de Sciences Politiques de la Pontificia Universidad Catolica, Tomas Chuaqui, l’identité de celui qui l’avait interrogé et maltraité au Stade National :
« Je suis tombé par terre. L’impact fut tel que mes genoux se plièrent et je suis tombé par terre. J’ai continué à lui parler en restant assis au sol. Il me parlait d’Emilio Meneses, avec qui je passais beaucoup de temps à l’Institut de Sciences Politiques, presque toute la journée. Nous déjeunons ensemble presque tous les jours. J’ai demandé à Felipe ce qu’il pensait faire, finalement. Je devrais l’affronter à un certain moment, me répondit-il. » (Tomas Chuaqui.)
39L’atmosphère du milieu universitaire se tendit très vite dès que la dénonciation d’Agüero fut rendue publique. Un groupe important d’étudiants s’organisa pour ne pas assister aux cours de Meneses et rendre public le boycott de sa permanence à l’université45. D’une part, les professeurs formèrent au moins deux groupes. Il y avait ceux qui considéraient la situation comme insoutenable. Pour eux, même s’il n’y avait pas de sentence judiciaire établie, le fait de savoir qu’un membre de leur entourage avait été un tortionnaire était inacceptable. D’un autre côté, il y avait ceux qui privilégiaient la voie légale, en mettant en avant la présomption d’innocence et le risque du préjudice porté à la carrière universitaire de Meneses46. Cependant, la question de fond qui inquiétait le milieu était : pourquoi un professeur avec le prestige et la carrière de Felipe Agüero, habitant les États-Unis, aurait-il pu s’engager dans une fausse dénonciation sur une question aussi délicate que la torture, et prendre le risque d’être démenti car il se pouvait que l’on essayât de l’accuser de mensonge ? Savoir lequel des deux mentait devenait impossible. Mais les temps de la justice ne sont pas ceux de l’université, et la tension au sein de l’Institut de Sciences Politiques au cours du premier semestre 2001 exigeait une prise de position.
40Comme le dit Claudio Fuentes47, le problème était de caractère éthique et non judiciaire. Un individu qui s’était défini comme interrogateur et classeur de prisonniers pouvait-il continuer à être membre d’une communauté académique confessionnelle, qui se disait vouée à la transmission de valeurs ? La réaction de l’université fut de faire prévaloir la présomption d’innocence et de méconnaître les actes d’Emilio Meneses antérieurs à son incorporation à établissement universitaire. Finalement l’institution lui octroya une « autorisation indéterminée » pour mettre fin à ses problèmes avec la justice, en espérant qu’avec celle-ci « la vérité s’imposerait48 ». Meneses voulut poursuivre ses activités universitaires ; simultanément ses collègues de l’Institut décidèrent de ne présenter aucune déclaration publique sur les faits. Les professeurs s’imposèrent à eux-mêmes un silence dont le propos était d’éviter un scandale plus grand encore dans une Faculté déjà assez tendue. De plus, la communauté académique internationale renforçait son soutien à la position de Felipe Agüero. Néanmoins, tous les professeurs savaient que derrière ce problème précis, il y avait une question beaucoup plus délicate : s’interroger sur le passé récent de l’université, et sur son rôle pendant la dictature militaire.
41Ce que nous savons avec certitude est que ce qui prit fin avec la carrière académique de Meneses à la Pontificia Universidad Católica de Chile ne furent pas les dénonciations portant sur sa qualité antérieure d’interrogateur de prisonniers mais plutôt celles du gouvernement nord-américain visant les tentatives de « lobby » couvertes par la vente des avions de guerre. Ce fut en effet le motif choisi pour l’éloigner de l’Institution. La plupart des professeurs comprirent clairement que Meneses n’avait jamais pu expliquer de façon satisfaisante sa connaissance des faits qui s’étaient produits au Stade National alors qu’il était interrogateur. Il ne s’est pas non plus exprimé sur le fait que cela ait pu lui sembler éthiquement condamnable ou pas. Une chose paraissait cependant avoir été clarifiée du point de vue éthique et judiciaire : il n’était pas possible d’avoir été présent au Stade National entre septembre et novembre 1973 et ne pas savoir qu’on y avait pratiqué des tortures.
42Ce croisement d’histoires personnelles et de sensibilités sous tension a brisé le silence malgré les débats portant sur l’honneur et ses dérivés. Mais plus que cela, il ouvrit la porte, pour la première fois au Chili, à la réflexion à propos de la torture et de la prison politique.
Notes de bas de page
1 Je souhaite remercier María Eugenia Albornoz pour son aide et ses suggestions, en particulier ce qui concerne la loi sur les délits de parole et leur sens dans la culture chilienne. Je remercie aussi Adeline Joffres et Elizabeth Osborne pour leur aide précieuse, ainsi que Aude Argouse et Delphine Grouès.
2 Comisión Nacional sobre Prisión Política y Tortura, Informe de la Comisión Nacional sobre Prisión Política y Tortura, chap. viii : « Consecuencia de la prisión política y la tortura », Santiago de Chile, 2005, p. 513. Disponible sur http://www.comisiontortura.cl/listado_informes.html.
3 Sur ce point, nous avons publié dans le no 5 de la revue Nuevo Mundo un compte rendu du livre le plus important relatif à ce sujet : Gárate Manuel, « De la tortura no se habla : Agüero versus Meneses », Patricia Verdugo (éd.), Catalonia, Santiago, 2004, 228 p. Disponible sur Nuevo Mundo Mundos Nuevos, no 5, 2005, disponible sur : http://nuevomundo.revues.org/document884.html.
4 Frédérique Langue a écrit une introduction sur le concept d’Histoire des Sensibilités appliqué à l’histoire récente latino-américaine. Langue Frédérique, « L’histoire des sensibilités. Non-dit, mal dire ou envers de l’histoire ? Regards croisés France-Amérique latine », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, no 6, 2006, disponible sur : http://nuevomundo.revues.org/document2031.html.
5 Une excellente étude récente sur le seuil et les limites de ce qui est acceptable moralement dans les sociétés dites occidentales est l’ouvrage de Fassin Didier et Bourdelais Patrice (éd.), Les constructions de l’intolérable. Études d’anthropologie et d’histoire sur les frontières de l’espace moral, Paris, La Découverte, 2005, 230 p.
6 Baeza Paz Rojas, « Torturas. Romper el silencio », in Verdugo, Patricia (éd.), De la tortura no se habla. Agüero versus Meneses, Catalonia, Santiago, 2004, p. 161-180.
7 Ferro Marc, Les tabous de l’Histoire, Pocket, Paris, 2004.
8 Recommandons la lecture du travail intéressant d’Alexander Wilde sur l’irruption de la mémoire pendant la transition chilienne à la démocratie durant les années 1990. Son point de vue s’éloigne du nôtre uniquement lorsqu’il pointe des moments antérieurs à la détention de Pinochet à Londres, au moment où la mémoire de la répression est apparue dans l’espace public. Wilde Alexander, « Irruptions of Memory: Expressive Politics in Chile’s Transition to Democracy », Journal of Latinoamerican Studies, vol. 31, no 2, mai 1999, p. 473-500.
9 Ce même auteur parle avec une certaine ironie de « conspiration du consensus » (ibid., p. 476) et lui ajouta l’usage abusif du concept de « gouvernabilité » comme étant une façon d’échapper à tout type de conflit. Sur ce dernier point cf. Baeza-Rodríguez Cecilia « Los discursos públicos sobre la gobernabilidad en Chile como relatos de acción pública : un enfoque cognitivista sobre la importación de las ideas », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, no 8, disponible sur : http://nuevomundo.revues.org/document11042.html.
10 Carmen Hertz explique cette situation depuis le regard de la légalité dans Hertz Carmen « El Proceso », dans Verdugo Patricia (éd.), De la tortura no se habla. Agüero versus Meneses, Catalonia, Santiago, 2004, p. 63-89.
11 Le texte complet de la Convención contra la Tortura de 1987 est disponible sur http://www.unhchr.ch/spanish/html/menu3/b/h_cat39_sp.htm.
12 Ne pas oublier que les familles des victimes du régime militaire continuèrent la recherche de façon systématique en explorant tous les chemins afin que leurs cas soient véritablement étudiés par la justice, malgré les restrictions politiques et l’oubli persistant d’une bonne partie de la société chilienne et de leurs représentants politiques.
13 Agüero Felipe (06 juin 2001), « La interminable tortura del silencio », [Electronic Version], Medios y Libertad en Las Américas, p. 1 : http://www.libertad-prensa.org/Director.aspx?P=Articulo&A=221.
14 Cf. l’étude collective récente sur l’effet des « grandes affaires », et des polémiques publiques dans l’histoire et leurs conséquences ultérieures de Boltanski Luc, Claverie Élisabeth, Offenstadt Nicolas et Van Damme Stéphane (éd.), Affaires, scandales et grandes causes. De Socrate à Pinochet, Paris, Stock, 2007, 457 p. Voir en particulier le texte de Compagnon Olivier : « L’affaire Pinochet (1990-2006). La justification à l’épreuve des changements d’échelle », p. 347-364.
15 Sur l’affaire Pinochet, lire le journal espagnol El País, en particulier le « Especial Pinochet » : http://www.elpais.com/especiales/2001/pinochet/portada.html. En matière filmée, les meilleures images sont celles du documentaire de Patricio Guzmán : Guzmán Patricio, Le cas Pinochet, France, Chile, Belgium, Spain, Éditions Montparnasse, 2001, 110 min.
16 Voir O’Shaughnessy Hugh, Pinochet: the politics of torture, New York, New York University Press, 2000, 208 p.
17 Anne Pérotin-Dumon fait une bonne description de l’évolution de la société chilienne dans sa connaissance de ce qui eut lieu durant le régime militaire. Voir Pérotin-Dumon Anne, « El pasado vivo de Chile en el año del Informe sobre la Tortura », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, no 5, 2005, http://nuevomundo.revues.org/document954.html.
18 Sur une définition de torture et le traitement qui en est fait en Droit International voir Garretón Roberto, « ¿ Qué es ser “torturador” ? Una perspectiva desde el Derecho Internacional de los Derechos Humanos », en De la tortura no se habla. Agüero versus Meneses, Catalonia, Santiago, 2004, p. 141-159.
19 La deuxième commission fut crée en 2003, sous le président Ricardo Lagos Escobar, comme organisme assesseur de la Présidence de la République. Elle fut nommée « Comisión Nacional sobre Prisión Política y Tortura » et resta ultérieurement sous le nom de « Comisión Valech », suivant le nom de celui qui fut son président, l’évêque catholique Sergio Valech. Le bilan de la commission est disponible sur le site web du ministère de l’Intérieur chilien, http://www.comisiontortura.cl/.
20 Katherine Hite propose un texte intéressant sur la qualité du monument à la mémoire du Stade National. Hite Katherine, « Estadio Nacional : monumento y lugar de conmemoración », en De la tortura no se habla. Agüero versus Meneses, Catalonia, Santiago, 2004, p. 213-227.
21 Sur la capacité à figer et sur l’exactitude des détails du souvenir dans des situations traumatisantes, voir le texte de Rojas Baeza Paz, op. cit., p. 168.
22 Agüero Felipe, op. cit., p. 1.
23 Voir Agüero Felipe et Hershberg Eric, « Las fuerzas armadas y las memorias de la represión en el Cono Sur » dans Agüero F. et Hershberg E. (éd.), Memorias militares sobre la represión en el Cono Sur : visiones en disputa en dictadura y democracia, España/Argentina, siglo XXI, 2005.
24 Ibidem, p. 1.
25 Verdugo Patricia, « Los Protagonistas », dans De la tortura no se habla. Agüero versus Meneses, Catalonia, Santiago, 2004, p. 17-44.
26 Sur les conventions et les définitions internationales acceptées de la torture et ses effets physiques et psychiques, voir la « Guía de formación para el recibimiento de víctimas de la tortura » préparée par la Sección de Refugiados de Comisión de Inmigración y del status de Refugiado de Canadá. Disponible sur http : //www.irb-cisr.gc.ca/fr/ausujet/tribunaux/spr/victorture/.
27 Agüero, Felipe, op. cit., p. 2.
28 Selon Agüero lui-même, la décision d’envoyer la lettre et d’avertir le Directeur de l’Institut de Sciences Politiques de la Pontificia Universidad Católica de Chile naquit lorsqu’il connut les circonstances de la mort de son ami, détenu puis disparu en 1973, Eugenio Ruiz-Tagle. Ce cas fut instruit par le juge Juan Guzmán Tapia en rapport aux assassinats de ce que l’on a appelé la Caravane de la Mort, dont fut accusé Pinochet en tant qu’auteur intellectuel. Les macabres détails de ce crime, en plus de la confession des Forces Armées à propos des corps des disparus qui ont été jetés à la mer, entraînèrent chez Agüero la nécessité de réagir d’une manière ou d’une autre. À cela s’ajoute le fait que son nom a été mentionné par le quotidien El Mercurio comme l’un des prisonniers libérés grâce à l’aide de Jaime Guzmán, leader assassiné de la droite, qui aurait intercédé en faveur de Agüero après avoir pris connaissance du sort de Ruiz-Tagle. En définitive, l’exposition médiatique des tortures sauvages subies par Ruiz-Tagle (et décrites par sa propre mère) décida Agüero à en finir avec l’impunité sociale de son propre bourreau. À propos des détails du cas Eugenio Ruis-Tagle, voir le bilan du Centre des Droits de l’Homme et Droits Humanitaires du Washington College of Law sur le cas no 1874 : http://www.wcl.american.edu/pub/humright/digest/inter-american/espanol/annuales/1975/caso1874chi.htm.
29 Agüero Felipe (reproduction), « Carta de un Académico », Encuentro XXI, Otoño 2001, no 18, 2001, p. 134.
30 Sur l’histoire de l’amnistie en Europe, nous recommandons en particulier l’ensemble de travaux dirigés par Sophie Wahnich et l’équipe de recherche « Droit et justice » du CNRS. Wahnich Sophie (éd.), Une histoire politique de l’amnistie. Études d’histoire, d’anthropologie et de droit, Paris, Presses Universitaires de France, 2007, 263 p.
31 Verdugo Patricia, « Protagonistas de la tortura », La Nación, 9 janvier 2005. Disponible sur http://www.lanacion.cl/prontus_noticias/site/artic/20050108/pags/20050108194853.html.
32 Pour comprendre la procédure et la tradition hispaniques par rapport à ce type de délits de parole, voir le travail de Dougnac Rodríguez Antonio, « Los principios clásicos del procedimiento y palabra hablada en el sistema jurídico indiano al estilo de Chile », Revista de estudios históricojurídicos, no 28, 2006, p. 425-490.
33 L’article 418 du code pénal chilien de 1874 établit que : « Les injures graves faites par écrit et avec publicité seront punies par des peines de réclusion mineure de niveau minimum à moyen et une amende de 20 à 30 unités tributaires mensuelles. En l’absence de ces circonstances, les peines seront de la réclusion mineure de niveau minimum assortie d’une amende de six à dix unités tributaires mensuelles. » De son côté, l’article 422 dispose que : « La calomnie et l’injure sont réputées faites par écrit et avec publicité lorsque elles sont propagées au moyen d’affiches et de pamphlets accrochés dans les lieux publics ; par imprimés, non assujettis à la loi de l’imprimerie, lithographies, gravures ou manuscrits communiqués à plus de cinq personnes ou par allégories, caricatures, emblèmes ou allusions reproduits au moyen de la lithographie, de la gravure, de la photographie ou d’autres procédés quelconques. »
34 Le documentaire de Carmen Luz Parot réalisé en 2001demeure probablement le meilleur documentaire historique produit sur ce qui s’est passé au Stade Nacional du Chili durant les premiers mois postérieurs au coup d’État (septembre/novembre 1973). Parot Carmen Luz, Estadio Nacional, Colección Memoria Viva, Alerce, Chile, en Español, 2001, DVD NTSC, 90 min. Le documentaire contient des scènes réellement révélatrices de ce qui se produisit en ce lieu, mais souligne spécialement l’épisode tragicomique du montage que firent les militaires pour montrer à la presse étrangère le « bon traitement » qui était réservé aux prisonniers, notamment du point de vue de la nutrition et des activités « récréatives ». Sur le documentaire en DVD, voir la fiche technique et les commentaires : http://www.candilejas.cl/modules.php?name=News&file=article&sid=9.
35 Le tristement célèbre « disque noir » du Stade National était le lieu où devaient se diriger les prisonniers qui étaient appelés par haut-parleurs pour être interrogés. Tous savaient le sort qui attendait ceux qui atteignaient cet endroit. La majorité d’entre eux revenait frappés, boitant après avoir été soumis à tout type de vexations et humiliations physiques et psychologiques.
36 La exceptio veritatis (exception de vérité) est la faculté dont dispose l’accusé d’un délit de calomnie de prouver la réalité du fait qu’il a imputé à une personne, demeurant exempt de responsabilité pénale. Sur ce principe juridique – en termes généraux – Otero González María Del Pilar, « La exceptio veritatis y la falsedad objetiva en los delitos contra el honor », La ley penal : revista de derecho penal, procesal y penitenciario, no 28, 2006, p. 23-40. Aussi Armendáriz León Carmen, « La naturaleza jurídica de la exceptio veritatis en el delito de calumnia », Icade : Revista de las Facultades de Derecho y Ciencias Económicas y Empresariales, no 70, 2007, p. 221-243.
37 Sur le concept de « mort sociale » et le travail d’archives sur le délit d’injures au Chili depuis le XVIIIe siècle, voir Albornoz Vásquez María Eugenia, « Seguir un delito a lo largo del tiempo : interrogaciones al cuerpo documental de pleitos judiciales por injuria en Chile, siglos XVIII y XIX », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, no 7, 2007, http://nuevomundo.revues.org/document13033.html.
38 Sur l’histoire et la notion du délit d’injures au Chili voir Albornoz Vásquez María Eugenia, « La Injuria de Palabra en Santiago de Chile, 1672-1822 », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, no 4, 2004, http://nuevomundo.revues.org/document240.html.
39 La Constitution chilienne établit expressément dans son article 19, no 4 : « La Constitution garantit à toutes les personnes le respect et la protection de la vie privée et publique et de l’honneur des personnes et de leurs familles. »
40 Voir Alejandra Matus, « El honor y su poder intimidatorio », Medios y Libertad en Las Américas, 6 juin 2001. Disponible sur http://www.libertad-prensa.org/Director.aspx?P=Articulo&A=221.
41 Le rapport le plus complet sur les restrictions de la liberté d’expression au Chili, élaboré en 2001, est disponible sur le site de l’organisation internationale Human Rights Watch, http://www.hrw.org/spanish/informes/2001/chile_desacato.html. Dans le cadre de cet exposé, voir le paragraphe suivant sur les recommandations à l’État chilien : « Le gouvernement (chilien) doit abolir définitivement toutes les lois qui criminalisent la diffamation et reconnaître par là le principe selon lequel tous les conflits provenant d’allégations injurieuses ou de calomnies doivent être résolus devant les juridictions civiles et non pénales. »
42 Agüero Felipe (reproduction), « Carta de un Académico », Encuentro XXI, Otoño 2001, no 18, 2001, p. 134.
43 Délano, Manuel, « Frente a frente con el horror. Un académico chileno identificó entre sus colegas a uno de sus torturadores », El País (España), 17 janvier 2005. Disponible sur http://www.elpais.com/articulo/ultima/Frente/frente/horror/elpepiult/20050117elpepiult_1/Tes/.
44 Déclaration d’Emilio Meneses publiée par le journal La Segunda (Chili), disponible sur le site web Memoria Viva, http://www.memoriaviva.com/culpables/criminales%20m/meneses_emilio.htm.
45 Les étudiants étaient partagés en : 1° ceux qui soutenaient la condamnation morale de Meneses : il ne pouvait pas rester à l’Université ; 2° ceux qui préféraient la voie légale et la présomption d’innocence ; 3° ceux qui appuyaient sa charge comme académicien quoi qu’il arrive (groupe minoritaire).
46 Cette position fut particulièrement soutenue par Carlos Huneeus à l’intérieur du Conseil de la Faculté, car il considérait que Meneses était le bouc émissaire de ce qui eut lieu à l’université durant le régime militaire. Son argument principal chercha à éviter toute condamnation en vertu du principe de présomption d’innocence.
47 Fuentes Claudio, « Académicos : Golpe a la Cátedra », dans Verdugo Patricia (éd.), De la tortura no se habla. Agüero versus Meneses, Catalonia, Santiago, 2004, p. 91-116.
48 Ibidem, p. 101.
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