La puissance des Villeroy l’héritage du pouvoir à l’épreuve, 1589-1619
p. 311-332
Texte intégral
1Dans les deux derniers siècles de l’Ancien Régime, l’horizon politique des élites urbaines n’est souvent jamais plus que la peau de chagrin d’une puissance ancienne soumise aux appétits de compétiteurs plus en grâces. S’il convient de nuancer ce jugement global en prenant en compte, outre les particularités locales, comment il faut définir et ce qu’il faut entendre dans les mots de pouvoir, de politique, d’administration et de gouvernance urbaines, ce constat appelle surtout à comprendre les mécanismes transformant un type de relation en un autre et à préciser la chronologie de ces altérations. Dans le cadre lyonnais, le contraste est saisissant entre, d’une part, la relative autonomie du consulat et la réalité de ses pouvoirs au XVIe et au début du XVIIe siècle et, d’autre part, sa sujétion apparemment sans réserve à l’autorité des gouverneurs de la province qui se sont rendus maîtres des élections échevinales et censeurs de l’administration du corps de ville, forts de la faveur continue du gouvernement royal. Pour comprendre le pouvoir des élites dirigeantes urbaines, il faut donc non seulement s’intéresser à leur nature et à leurs actions mais surtout prendre en compte ce qui, au sens premier du terme, les définit. C’est cette perspective exogène que nous adopterons ici en étudiant le destin singulier de celui par lequel le pouvoir du consulat lyonnais est soumis à une irrémédiable transformation de ses légitimités et de ses prérogatives au terme d’un processus d’affirmation néo-féodale d’une famille, les Neufville-Villeroy, en marche vers la patrimonialisation aristocratique de son lignage et de son influence1. Aussi, davantage que les magistrats populaires de la cité lyonnaise, c’est l’histoire de cette mutation familiale qui constituera le cœur de cette étude fondée chronologiquement sur la transition capitale des années 1580-1620 et sur l’action d’un homme, Charles de Neufville, dont le rôle crucial dans cette promotion curiale doit être mieux compris.
2Avant les alliances aristocratiques bien connues des lignages ministériels des Louvois, Barberzieux, Courtanvaux, Seignelay et Blainville à la fin du XVIIe siècle, la voie avait été ouverte, un siècle plus tôt en effet, par le secrétaire d’État Nicolas de Neufville grâce auquel sa famille se signale par « l’extrême rapidité d’une parfaite intégration aristocratique » comme le signale Charles Frostin2. Son petit-fils, Nicolas de Neufville de Villeroy se marie ainsi en 1617 avec Madeleine de Créqui, fille du maréchal-duc de Créqui et petite-fille du connétable de Lesdiguières. Il devient ensuite gouverneur du jeune Louis XIV en 1646 et maréchal de France cette même année, puis chef du Conseil royal des Finances en 1661, duc de Villeroy et pair de France en 1663. Son fils, François, maréchal de France en 1693, ministre d’État et chef du Conseil royal des Finances en 1714, est membre du Conseil de Régence sous la Polysynodie et gouverneur du jeune Louis XV de 1717 à 1722. Son mariage en 1662 avec Marguerite de Cossé, fille de Louis de Cossé, duc de Brissac, grand panetier de France, et de Marguerite-Françoise de Gondi, cousine germaine du cardinal de Retz consacre cette mutation et alimente la vindicte d’un Saint-Simon.
3Cet exceptionnel parcours familial en moins d’un demi-siècle n’a de comparable dans sa précocité et sa permanence que la bonne fortune de Louis Potier de Gesvres, nommé secrétaire d’État en février 1589 quelques mois après la première disgrâce de Nicolas de Neufville en septembre 1588. Son intégration est même plus rapide encore si l’on considère la date d’érection en duché-pairie de la seigneurie puis comté de Tresmes antérieure d’une quinzaine d’années (1648) à celle de Villeroy (1663), les Neufville gardant cependant l’avantage en termes de proximité curiale avec leur succession comme gouverneurs des jeunes Louis XIV et Louis XV et de pouvoir local avec l’antériorité de leur gouvernement lyonnais en 1612 quand Léon Potier, connu sous le nom de duc de Gresves, ne devient gouverneur de Paris qu’en 1687 cette charge se conservant dans la famille jusqu’à Louis-Joachim-Paris, guillotiné en 1794. Derrière ces similitudes fortes et ces destinées familiales parallèles, l’avantage revient cependant aux Villeroy puisqu’ils sortent indemnes des bouleversements politiques du ministériat de Richelieu, conservant leur gouvernement lyonnais, tenu en 1794 par Gabriel-Louis-François de Neufville, duc de Villeroy, guillotiné cette année-là, quand les douze grands gouvernements du royaume connurent de nouveaux maîtres.
4Ce qui semble déterminant dans ces fortunes lignagères réside dans le choix pour l’aîné de ces deux secrétaires d’État d’un destin curial : René Potier (1579-1670), seigneur de Tresmes en Valois, capitaine des gardes du corps en 1610, se marie en 1607 avec Marguerite de Luxembourg, fille de François de Luxembourg, duc de Piney et pair de France (mort en 1613) et de Diane de Lorraine-Aumale apparentée à la maison de Guise. L’aîné de ses enfants, meurt au siège de Thionville en 1643 comme lieutenant-général des armées ; le cadet est tué en 1646 au siège de Lérida comme maréchal de camp. Son troisième fils, Léon, premier duc de Gesvres, est pourvu de la charge de premier gentilhomme de la chambre du roi en 1669 avant de devenir gouverneur de Paris en 1687. C’est avec ce personnage que le lignage devient véritablement une des principales figures de l’aristocratie française. Pour les Villeroy, cet éclat courtisan et cette proximité avec la famille royale survient avec le premier duc de Villeroy évoqué plus haut.
5Ce qui est également intéressant à relever dans ce rapprochement entre les Villeroy et les Potier consiste dans le maintien, parallèlement à la promotion aristocratique et l’impôt du sang qui l’exemplifie, d’une branche ministérielle indirecte et ténue mais qui a pu jouer son rôle dans les décennies 1610-16203. À ces emplois laïcs, il faut également ajouter la bonne fortune d’une ramification ecclésiastique que nous n’étudierons pas précisément ici mais qui a certainement bénéficié aux deux lignages4. Pour les Potier de Gesvres, dans l’ordre ministériel, il revient d’abord au benjamin de Louis, Antoine Potier de Sceaux, d’obtenir la survivance du secrétariat d’État de son père en 1606 avant que sa mort, survenue en 1620, refasse revenir cette charge, en octobre 1622, à l’un des neveux du vieux secrétaire d’État, Nicolas Potier d’Ocquerre, jusqu’à sa mort en 1628. Faute d’autre fils, la charge de Nicolas de Villeroy est transmise au gendre de Charles de Neufville, Pierre Brulard, vicomte de Puysieux qui avait épousé Madeleine de Neufville. Il obtient le 4 mars 1606 la survivance de la charge de secrétaire d’État pour l’exercer conjointement avec Nicolas de Villeroy. Le 9 août 1616, Claude Mangot obtient cette survivance du fait de la volonté du maréchal d’Ancre qui avait écarté Pierre Brulard de la cour. Après la promotion de Mangot comme garde des sceaux, cette survivance fut obtenue pour Richelieu le 30 novembre suivant. Mais avec le coup de Majesté d’avril 1617, Puysieux retourna en grâce et retrouva sa place au côté de Villeroy. La mort de ce dernier lui fit jouir pleinement de cette charge jusqu’à la disgrâce de son père, Nicolas Brulart de Puysieux, marquis de Sillery, garde des sceaux en 1604, chancelier depuis 1607 et renvoyé en janvier 1624. Sa charge revenant sans récompense d’abord à Charles de Beauclerc le 5 février 1624 avant d’être remise à Abel Servien. La disgrâce de Puysieux en 1624 précède donc de quelques années la perte pour la famille de Gesvres de leur charge ministérielle quand se maintient dans la robe une branche du lignage avec les Potier de Novion, descendant du président à mortier au Parlement de Paris, Nicolas Potier de Blancmesnil, frère aîné de Louis Potier de Gesvres, et ancêtre de deux autres présidents à mortier au Parlement de Paris, son fils Nicolas, de 1678 à 1689, et son petit-fils André II, de 1723 à 1731. Ce lien des Villeroy avec les milieux robins, rouge ou noir, n’est pas définitivement brisé en 1624 car l’année précédente s’est conclu le mariage entre Charles-Henri de Neufville, comte de Bury, et Marie-Françoise, la nièce de Paul Phélypeaux, secrétaire d’État de 1610 à 1621 et fondateur de la fortune ministérielle des Pontchartrain avec son frère aîné Raymond qui lui succède dans cette charge jusqu’à sa mort en 1629 et dont hérite son fils cadet Louis Ier de La Vrillière5.
6Précisément, dans sa récente étude consacrée à ces derniers où il s’intéresse notamment au virage aristocratique de cette lignée avec la vie et la carrière de Jérôme de Pontchartrain sous le règne de Louis XIV, Charles Frostin rappelle l’importance dans ces conquêtes curiales des personnages de transition généralement tenus dans une ombre destinée à renforcer l’éclat d’une histoire familiale édifiante et vertueuse. Sans connaître, toutes proportions gardées, le même sort que Jérôme de Pontchartrain, quelquefois oublié des histoires lignagères ou simplement mentionné dans l’évocation des liens qui unissent les deux grandes figures familiales, son père, le contrôleur général puis le chancelier Louis II de Pontchartrain d’une part, et son fils, Jean-Frédéric Phélypeaux de Maurepas, le grand ministre de la Marine de Louis XV d’autre part, Charles de Neufville est un personnage destiné dans ces mécanismes de transmission d’un pouvoir familial à ne jouer qu’un rôle falot6. Un rôle de simple transition biologique quand c’est avec lui, pour reprendre les expressions de Charles Frostin, qu’est réussie par le secrétaire Nicolas de Villeroy « la conquête de la cour » que constitue le « coup d’éclat », quelques mois avant sa disgrâce, du mariage en 1588 de son fils avec la fille unique de François de Mandelot, gouverneur de Lyon, puis, quelques mois avant sa mort, celui de son petit-fils, Nicolas de Neufville, avec la petite-fille du connétable de Lesdiguières, Madeleine de Créqui, fille d’un maréchal de France, duc et pair du royaume7. Et l’on pourrait parfaitement reprendre le constat établi alors par Charles Frostin entre les deux figures Pontchartrain d’un « usage cavalier de sauter directement de l’aïeul au petit-fils, en négligeant le père » pour les Villeroy du début du XVIIe siècle8. Le rapprochement entre ces deux raccourcis outranciers est d’autant plus pertinent que peut s’y lire la marque de Saint-Simon dont la plume se montre prompte et efficace dans l’art de la confusion et dans celui de peindre un portrait voilé par le fiel d’un duc et pair outragé par les fortunes incompréhensibles d’héritiers de bureaucrates, de plumitifs et de vils bourgeois comme les dénonçait déjà un Sully en 1601 en ridiculisant ceux dont la charge consistait seulement à « prôner, caqueter, faire la mine, écrire et sceller » et à s’agiter « avec des mains de papier, des peaux de parchemin, des coups de ganivet, des traits de plumes, des paroles vaines, des sceaux et de la cire, bref, avec des imaginations, fantaisies, mines et simagrées9 ».
7Toutefois, ne pensant pas qu’après avoir été « chargé de la vengeance des peuples », l’historien doive se muer en vengeur d’un homme et s’efforcer à une réhabilitation aussi suspecte dans sa pertinence scientifique que l’entreprise d’oubli ou de mépris contre laquelle elle lutte, il s’agira pour nous ici de comprendre la place occupée par ce personnage, Charles de Neufville, marquis d’Halincourt, dans cette histoire de famille et de pouvoir. Nous y rencontrerons aussi bien ce qui factuellement a nourri ce dénigrement que ce qui structurellement devait provoquer l’oubli de son rôle durant cette période charnière de la transformation de la puissance ministérielle de son père en l’autorité curiale et aristocratique de son fils, soit trois décennies entre 1589 et 1619. À partir d’un constat qui est celui d’une insigne médiocrité illuminée, paradoxalement, de rôles éclatants, nous esquisserons ensuite la figure d’un homme qui, d’héritier, ne peut être seulement ni définitivement tenu pour « l’idiot de la famille », un homme dont la brutalité apparente ne doit pas dissimuler l’habilité politique de l’heureux manœuvrier.
« Une personne de peu de valeur, un incapable et un ignorant… » : la fortune sourirait-elle aux imbéciles ?
8Derrière cette question ce sont les mécanismes de la promotion sociale plus que les qualités d’un individu qui seront les héros de l’histoire brièvement rappelée. Charles de Neufville n’a longtemps jamais été que le fils du secrétaire d’État Nicolas de Villeroy (1543-1617) et le père du premier duc de ce nom, Nicolas de Neufville. Au regard d’une historiographie qui l’ignore largement, il semble n’avoir existé que pour relier biologiquement ces deux grandes figures d’un des plus importants lignages ministériels et curiaux de l’époque moderne comme le signalent d’abondance les faveurs dont se trouvèrent régulièrement gratifiés les héritiers du grand ministre de Charles IX, d’Henri III, d’Henri IV et de Louis XIII et le souverain mépris que nourrissait à leur égard l’écriture acerbe du duc de Saint-Simon attaché à dénoncer autant leur faveur qu’à compter leurs humiliations10. Oublié par le public savant, inconnu des amateurs, Charles de Neufville n’est pas loin de n’être plus qu’un personnage de roman, caricaturé sous les traits d’un grotesque et ridicule potentat provincial comme le croque allègrement Tallemant des Réaux dans l’une de ses historiettes qui ne s’arrête à son existence que pour mieux l’associer à la médiocrité galante, à la bêtise et à la morgue d’un personnage abîmé dans sa propre suffisance11. Comme l’histoire littéraire nous l’a enseigné, le chroniqueur n’est ici que le greffier de la rumeur commune, le secrétaire curieux des « on dit » qui font et défont les réputations au gré d’une économie tourmentée de la considération et de l’estime. C’est un piètre personnage qui se dessine donc à l’issue de ces quelques témoignages ébranlant le monument glorieux que ce dernier s’est efforcé, sa vie durant, de dresser à son avantage comme l’illustre le remarquable tombeau qu’il avait fait ériger dans le couvent des Carmélites de Lyon pour le faire entrer dans l’Histoire, le collier des ordres du roi sur la poitrine et les mains jointes pour honorer Dieu12. Entre la caricature et l’encomiastique, la satire et l’honneur, une récente exposition, organisée au Musée Condé de Chantilly et consacrée au portraitiste Daniel Dumontier, a rappelé l’humanité vraisemblable de l’individu et fixé les traits d’un personnage oscillant entre une médiocrité cocasse et une gloire éthérée quand ce n’est pas le soupçon de la tyrannie qui vient teinter d’ombre la figure d’un courtisan devenu gouverneur de la seconde ville du royaume dont il fera son miel et ses fils leur « Pérou ».
9Fils unique de Nicolas de Villeroy, il bénéficie de l’extraordinaire longévité du pouvoir et du crédit de son père qui, au terme de sa carrière, devient selon les mots mêmes du jeune Louis XIII une sorte de figure tutélaire de la monarchie française. Aux lendemains de l’exécution du maréchal d’Ancre, le roi fit rappeler les « barbons » disgraciés précédemment par le favori de sa mère, demandant le 24 avril 1617 à Villeroy de le retrouver pour l’assister de ses conseils : « Mon père, je suis roi à présent, ne m’abandonnez pas. » Si la grande étude de Joseph Nouaillac sur le secrétaire d’État nous a dessiné la figure d’un homme de pouvoir dont il faudrait préciser certaines caractéristiques à l’aune des renouvellements historiographiques contemporains, celle de son fils demeure encore peu connue quand elle permettrait d’éclairer les mécanismes d’une promotion sociale que ne connurent pas, ou pas immédiatement, les autres membres du Conseil royal à l’articulation des XVIe et XVIIe siècles13. Si les Potier partagent avec les Villeroy la transformation de leur fortune individuelle en Maisons aristocratiques dès le milieu du XVIIe siècle, les Pontchartrain doivent attendre la fin de celui-ci quand les Jeannin (1542-1623), Bellièvre (1529-1607) et Sillery (1544-1624) connaissent des destins moins éclatants. Pour le premier, les difficultés se succèdent : la mort de son fils, le baron de Montjeu, lors d’un duel en 1612 et la disgrâce de son gendre, Pierre de Castille, ambassadeur en Suisse puis intendant des finances et contrôleur général, à la suite de la chute du surintendant des finances, le maréchal de Schomberg, en janvier 1623, suivie trois ans après par celle de sa petite-fille, mariée à la mort de son premier mari, Charles Chabot de Charny, avec Henri de Talleyrand, prince de Chalais, grand-maître de la garde-robe du roi et artisan de la conspiration à qui il donna son nom et qui lui coûta sa tête, constituèrent autant de revers qui brisèrent les ambitions d’un lignage. La chute de Nicolas Fouquet entraîna ensuite l’embastillement, en 1662, de Nicolas Jeannin de Castille, marquis de Montjeu en 1655, conseiller du roi, trésorier de l’Épargne et greffier des ordres du roi14. Pour le second, la disgrâce implicite qui accompagne l’échec de son opposition à la paulette et le choix d’une carrière ecclésiastique et robine pour ses enfants pénalisent la promotion d’un lignage qui, malmené par des stratégies successorales malheureuses aggravées par les aléas biologiques, et en dépit des qualités du petit-fils de chancelier, Pomponne II, président à mortier au parlement de Paris et employé par le pouvoir royal dans différentes missions diplomatiques, ne peut éviter la banqueroute et la ruine à la fin des années 1670, soit seulement vingt ans après la mort de ce dernier15. Le troisième enfin, en dépit d’appuis solides dans les milieux robins et aristocratiques avec les Bellièvre, les Desmarets ou encore les La Rochefoucauld, ne parvient pas à constituer un lignage comparable en crédit et en influence avec les Potier ou les Villeroy.
10Bénéficiant des soins attentifs d’un père soucieux de favoriser la carrière de son fils unique, Halincourt jouit dès son baptême en janvier 1566 de l’attention bienveillante du roi qui est son parrain et qui lui donne son prénom et à l’occasion duquel encore Ronsard compose quelques vers. La chronique qui suit dresse le tableau de l’éducation d’un homme nourri auprès de personnages destinés à l’accueillir parmi la meilleure noblesse du royaume, lui, le fils de plumitifs anoblis depuis un demi-siècle seulement (1507).
11Après l’échec d’un premier projet de mariage avec Louise de Maure, il se marie, le 26 février 1588, à Lyon, avec Marguerite de Mandelot, dame de Passy et de Lerné, fille du gouverneur en poste depuis février 1571, François de Mandelot, et d’Éléonore de Robertet. Mais survient la disgrâce de son père le 8 septembre suivant aggravée par la mort de Mandelot le 24 novembre, alors âgé de 59 ans, sans qu’Halincourt ait pu affermir sa position dans la ville et résister au duc de Nemours qui obtient du roi ce gouvernement quelques jours plus tard. Le « petit brigand » comme l’appelait son père au témoignage de Pierre de L’Estoile (28 novembre 1588) se voit par ailleurs privé de la lieutenance-générale du gouvernement et du bailliage de Mâcon. Présent à Lyon lors du soulèvement de la ville contre le roi le 24 février 1589 et dans lequel il prit une part considérable selon Jacques-Auguste de Thou contrairement à ce que veut laisser croire son père dans ses « Mémoires », il espère obtenir de Mayenne ce que le roi lui a ôté mais la lieutenance-générale que lui donne le chef de la Ligue, le 12 mars suivant, n’est qu’un leurre pour le retenir dans la Sainte-Union jusqu’au retour dans la province de son demi-frère, le duc de Nemours, qui, après s’être évadé, à la fin du mois de janvier 1589, de Blois où Henri III l’avait fait enfermer lors du coup de Majesté du mois de décembre précédent, avait rejoint Paris pour défendre la ville révoltée contre les troupes royales.
12Villeroy rend postérieurement compte de son attitude et de celle de son fils dans la « Lettre de Monsieur de Villeroy a Monsieur du Vair sur le subject d’un livre intitulé la Satyre menippee, 1594 ». Dans cette lettre de justification, datée du 1er août 1594, réagissant aux attaques dont il était la cible dans la première édition de La Satyre Ménippée, il affirme comment, par désespoir et au prix de sa vie, il s’est rallié avec son père à la Ligue à laquelle son fils s’était joint, lui, par dépit, maladresse et inconséquence16.
13La position de son fils à Lyon devient de plus en plus précaire. Utilisant l’hostilité de la noblesse de la province à l’égard d’un homme dont elle ne reconnaît pas les mérites et la qualité, le duc de Nemours, dès son retour à Lyon, le 22 mars, travaille au discrédit d’Halincourt qui éclate le 10 avril suivant quand l’assemblée de la noblesse propose que le frère puîné de Nemours, le marquis de Saint-Sorlin, Henri de Savoie, soit pourvu de la lieutenance-générale en lieu et place du fils d’un secrétaire d’État disgracié, lui-même descendant d’un aïeul marchand de poissons dieppois mort en 1401. Ces événements témoignent dans leurs péripéties dramatiques de la difficile intégration à la noblesse d’un héritier qui n’est pas proprement un gentilhomme. Dans la perspective arrêtée ici, c’est bien là l’essentiel de notre propos. Quand l’autorité politique fait défaut et ne peut imposer sa volonté, la résistance idéologique et sociale d’un corps condamne au mépris celui qu’il ne reconnaît pas, n’avoue ni n’agrée17.
14Pourtant, Villeroy n’avait pas ménagé ses efforts pour former et nourrir en gentilhomme son fils. Après des études au Collège de Navarre, la fréquentation des académies militaires et un tour italien pour parfaire son éducation et sa connaissance du monde, il l’avait placé auprès des princes de Longueville et Halincourt avait rejoint le maréchal de Matignon dans sa campagne de Guyenne au printemps 1586. Il gagne ensuite le service du duc de Joyeuse et après avoir échappé au désastre de Coutras, le 24 octobre 1587, il rejoint probablement le duc d’épernon en Bourgogne qui poursuivait les restes de l’armée protestante vaincue par le duc de Guise à Vimory puis à Auneau pendant que son père, depuis le mois de mai de cette année, négociait son mariage avec la fille du gouverneur Mandelot.
15Après son humiliation lyonnaise, son arrivée à Pontoise au mois de juin 1589 est l’occasion de parfaire son image de soldat et de montrer sa bravoure, marqueurs d’une identité nobiliaire qui lui avaient fait alors défaut. Il suit donc les traces de son grand-père, réfugié à Paris, pourvu du titre de lieutenant du roi en Île-de-France, après avoir été prévôt des marchands de cette ville entre 1566 et 1570, chevalier de l’ordre du roi en 1572 et gouverneur de Melun, Mantes et Meulan18. Tenant cette ville pour la Ligue, il doit repousser dès le 11 juillet 1589 l’armée des deux Henri qui lui enlèvent Pontoise après la mort de son lieutenant et sa blessure au bras, recevant ainsi le témoignage dans sa chair de son engagement martial et religieux, dont le souvenir se perpétuera au siècle suivant. Reprise par les troupes de la Ligue, Pontoise est confiée de nouveau à Halincourt en janvier 1590 par Mayenne pour s’assurer de la fidélité de son père qui poursuivait le rapprochement de la fraction modérée de la Ligue avec Henri IV. Le début de l’année 1592 annonce le ralliement prochain des Villeroy au parti royaliste et, de trêves en trêves, Halincourt ouvre les portes de Pontoise aux troupes d’Henri IV le 22 mars 1594. Tandis que son père obtient la restitution de sa charge de secrétaire d’État à la mort de Louis Révol au mois de septembre suivant, et le paiement d’une forte indemnité, Halincourt se voit confirmer dans son titre de gouverneur de Pontoise et du Vexin français – ville dont il était le seigneur depuis août 1593 –, obtenant ensuite celui de lieutenant au gouvernement d’Île-de-France et prenant la qualité de conseiller du roi en son Conseil d’État.
16S’il s’engage aux côtés d’Henri IV dans ses combats à Laon, à La Fère et devant Amiens notamment, il doit davantage sa bonne fortune à son père et à la mort de sa femme qu’à ses qualités particulières en dépit des hyperboles héroïques employées par son biographe pour décrire avec enthousiasme ses actions militaires. À la tête des affaires étrangères et de la guerre, Villeroy retrouve la place éminente qu’il avait occupée aux conseils du roi jusqu’en septembre 1588 quand la mort de Marguerite de Mandelot, âgée de 23 ans, le 10 juillet 1593, faisait de son fils un parti à s’allier pour qui souhaitait entrer dans ses bonnes grâces. Son mariage avec Jacqueline de Harlay, fille de Nicolas de Harlay (1546-1629), baron de Sancy, premier maître d’hôtel du roi, surintendant des finances sans le titre, ambassadeur et colonel général des Suisses, fut célébré le 11 février 159619. Il devient ensuite gentilhomme ordinaire de la chambre du roi à la fin de cette année et, dérogeant aux statuts de l’ordre grâce à une dispense d’âge, il est fait chevalier du Saint-Esprit le 5 janvier 1597. Cette promotion aristocratique ne connaît qu’un seul échec en septembre de cette année quand le roi lui préfère le père de sa maîtresse, Antoine d’Estrées, pour la charge de grand-maître de l’artillerie vacante par la mort d’Espinay de Saint-Luc devant Amiens. Trop content de ce revers infligé plus à Villeroy qu’à son fils, Sully mentionne dans ses Œconomies royales qu’Henri IV trouvait au jeune chevalier « les ongles bien pasles » pour une pareille charge20. Toutefois, c’est lui qu’il choisit comme ambassadeur extraordinaire en janvier 1600 pour remercier le pape Clément VIII d’avoir fait annuler, le 24 octobre précédent, son mariage avec Marguerite de Valois. Reçu par le pape le 7 février 1600, il demeure à Rome jusqu’aux fêtes de Pâques pour regagner la France en passant par Florence où la Grande Duchesse lui remet un portrait de Marie de Médicis pour l’offrir au roi. Le rapport qu’il fait à ce dernier au sujet de son ambassade et surtout son éloge de la future reine lui assurent la bonne grâce royale, Marie de Médicis se souvenant par la suite de ce service. Dans la continuité de cette mission diplomatique, Villeroy s’efforce de le faire nommer ambassadeur à Rome mais, entrant en conflit avec Sully qui poursuivait cette charge pour son frère, Philippe de Béthune, c’est ce dernier qui est envoyé auprès du pape le 23 août 1601, le roi assurant toutefois que Charles de Neufville lui succèdera son mandat fini pour satisfaire ses deux principaux ministres21. Apprenant ce choix, l’envoyé du Grand-Duc de Toscane en France, Baccio Giovannini fait part à son maître, le 19 septembre 1604, de ses doutes quant à la pertinence de cette désignation, estimant Halincourt incapable d’honorer dignement les charges d’une telle promotion, « perchè egli è un dappoco, un inetto e un’ignorante, e non è in alcuna stima per avere a esser contrapeso all’ambasciator di Spagna nel teatro del mondo22 ». Quelques semaines plus tard, il renouvelle ses appréhensions à l’égard d’une personne qui « nè per nobiltà nè per virtù, non vale nulla23 ». Cet homme qui « ne vaut rien » arrive à Rome le 27 juillet 1605 et grâce à l’important parti français reconstitué dans la Curie grâce aux soins de son prédécesseur, il saura défendre l’honneur de son roi sur le grand « théâtre du monde » et augmenter sa réputation. Si la résolution du conflit romano-vénitien grâce à l’arbitrage de la France doit bien davantage au cardinal de Joyeuse et à Fresne-Canaye qu’à ses qualités de diplomate, il saura oublier le peu de cette science qu’il maîtrise manifestement si mal pour défendre point par point la prééminence française à Rome contre l’ambassadeur espagnol et faire élever, dans la basilique de Saint-Jean de Latran, une statue de bronze d’Henri IV sous le nez du parti hispanophile de la cour romaine24. Il quitte Rome le 6 juin 1608 pour prendre la charge de lieutenant-général du gouvernement du Lyonnais laissée vacante par la mort de Philibert de La Guiche un an auparavant, un vieux compagnon d’armes d’Henri III et d’Henri IV que ce dernier avait placé dans ce gouvernement dont son fils illégitime, César de Vendôme, né en juin 1594, était nominalement le gouverneur en chef depuis le 15 septembre 1595.
17Le crédit de Villeroy assure de nouveau à son fils cette charge en dépit des prétentions d’autres grands personnages comme le marquis de Praslin, Charles de Choiseul. L’entrée d’Halincourt dans Lyon, le 21 novembre 1608, est un triomphe quasi royal – Halincourt empruntant notamment à l’iconographie du roi le thème herculéen – que prolonge sept jours plus tard une pièce théâtrale jouée par les élèves du collège jésuite de la Sainte-Trinité, une pastorale dans laquelle « Halincus » figure comme le pasteur des lions d’Henri IV, le berger des troupeaux lyonnais au milieu de la Rhétorique et de la Musique et parmi les nymphes et les déesses25. Et l’on verra désormais comment il entend défendre le bien qu’on lui a confié.
D’un berger romain au prince lyonnais ?
18Résumons. À la veille de l’assassinat d’Henri IV, Charles de Neufville est chevalier des ordres du roi, capitaine d’une compagnie d’ordonnance de cent hommes d’armes, lieutenant-général du gouvernement de Lyon. Son père est un secrétaire d’État à qui seul Sully résiste encore mais celui-ci se retrouve souvent isolé dans les conseils du roi, Pierre Jeannin et Nicolas Brulart de Sillery étant attachés au premier. Son beau-père, bien que retiré de la vie publique depuis 1605, continue d’avoir de nombreux appuis dont son oncle et son fils, présidents au parlement de Paris. Les liens familiaux de son père avec les L’Aubépine lui permettent en juillet 1609 de prendre le titre de grand maréchal des logis du roi après le décès de Méry de Barbezières de La Roche-Chémerault grâce aux bons soins de la veuve de ce dernier, Claude de L’Aubépine, comtesse de Civray26. Sa fille Madeleine est mariée depuis 1606 au fils du chancelier Sillery, Pierre Brulart de Puysieux, auquel Villeroy a assuré la survivance de sa charge, et il marie, le 3 mai 1610, sa seconde fille, Catherine, avec Jean II de Souvré, marquis de Courtanvaux et premier gentilhomme de la chambre du roi, fils de Gilles de Souvré, gouverneur de Touraine et du dauphin. Sa femme est une cousine éloignée de Charlotte des Essarts, maîtresse du roi en 1607-1608. L’un de ses fils, Camille, a eu pour parrain en 1606 le pape et son autre fils, Ferdinand, né en 1608, le Grand-Duc de Toscane. À la cour du roi, probablement durant l’automne 1610, le peintre Dumoustier fait son portrait et celui de sa femme.
19L’établissement de la régence n’entame en rien cette bonne fortune ; elle sert même les intérêts du clan Villeroy avec la défaveur grandissante de Sully qui doit se retirer du Conseil en 1611 quand les rumeurs font état, très rapidement, d’une prochaine promotion d’Halincourt auprès du jeune roi27. S’il ne parvient pas à lui obtenir un état de maréchal de France qui lui aurait permis, selon la mémoire rancunière de Sully, « sans se souvenir de son extraction […] non seulement [de] faire le seigneur d’illustre maison, mais le prince », son père lui obtient de lucratives sources de revenus comme la ferme des greffes du Châtelet de Paris28. Cette faveur est pleinement accomplie lorsqu’il est pourvu de la charge de gouverneur en chef du Lyonnais, le 18 février 1612, acquise de César de Vendôme pour 240 000 L. de récompense et quand la terre de Villeroy, érigée en châtellenie en septembre 1610, est élevée à la qualité de marquisat en janvier 1615. S’il a dû céder sa lieutenance-générale du gouvernement au marquis de Saint-Chamond, Halincourt parvient à obtenir, en mai 1615, la survivance de sa charge de gouverneur en faveur de son fils aîné, Nicolas de Neufville, âgé de seize ans, enfant d’honneur, par ailleurs, de Louis XIII29.
20Ces différents exemples témoignent du crédit quasi sans partage que s’est acquis le vieux secrétaire d’État auprès de Marie de Médicis, confirmant l’analyse de l’ambassadeur florentin Bartoloni dans une lettre au Grand-Duc, datée du 1er septembre 1612, dans laquelle il considère que « le conseil secret de ce roi est Villeroy seul30. » Concini, ne pouvant vaincre immédiatement un tel adversaire, se propose d’abord de se l’allier après l’échec de ses premiers efforts matrimoniaux en direction d’épernon, de Charles de Lorraine et du comte de Soissons. Grâce à l’entremise du président Jeannin et du marquis de Cœuvres, un accord de mariage, signé à Fontainebleau en septembre 1613 en présence de la reine, promet la fille du favori, Marie, née en 1607, à l’un des petits-fils de Nicolas de Villeroy, Halincourt obtenant la dot fabuleuse de 450 000 L. – ramenée ensuite à 300 000 L. dont la reine s’engage à payer le tiers –, la charge également de premier gentilhomme de la chambre du roi pour son fils Nicolas et une place de dame d’honneur auprès de la future reine de France pour sa fille Catherine31. Les événements politiques à la fin de cette année et au début de la suivante brouillent ensuite le secrétaire d’État et le favori qui dénonce au mois de mai l’alliance précédemment négociée. Ce revers prend place dans une période capitale de la consolidation ou la fragilisation de l’aristocratisation du lignage Villeroy. Outre qu’il s’est aliéné le favori de la reine-mère, le secrétaire d’État, vieillissant, perd la confiance de Jeannin tandis que ses liens avec le chancelier se distendent du fait qu’il ait été tenu à l’écart de ces négociations et que leur alliance pâtisse de la mort de Madeleine de Neufville, le 24 novembre 1613, même si son mari continue d’exercer sa charge auprès de Villeroy. Toutefois Halincourt parvient à bien servir Concino Concini, en l’assistant lors de son conflit avec le duc de Longueville, et obtient de la reine-mère la survivance de son gouvernement lyonnais pour son fils aîné. La nouvelle disgrâce qui frappe finalement son père, en novembre 1616, place Halincourt dans une posture inédite où il doit surmonter une crise de légitimité dans son propre gouvernement quand ses appuis semblent céder de toutes parts.
Par le fer et le canon : être seigneur chez soi
21Le fils du principal responsable de son humiliant rejet par la noblesse du gouvernement du Lyonnais au printemps 1589, Melchior Mitte de Chevrières, seigneur de Saint-Chamond, profite de ces orages à la cour pour donner à son titre honorifique de premier baron de la région une réalité politique et institutionnelle. Né en 1586, il devient à vingt ans le chef d’une maison à la tête des principaux réseaux nobiliaires du gouvernement et, dès son retour d’Italie, il affronte la famille Villeroy en essayant d’obtenir, mais en vain, réparation du rapt et du mariage forcé de sa sœur par Claude de L’Aubépine, marquis de Châteauneuf, apparenté au secrétaire d’État par sa tante. Il épouse en janvier 1610 Isabeau de Tournon, fille de Just-Louis de Tournon, comte de Roussillon, bailli de Vivarais et grand sénéchal d’Auvergne, et de Madeleine de La Rochefoucauld. Cette même année voit l’érection de sa terre de Saint-Chamond en marquisat et, en plus d’une pension annuelle de 1 200 écus, il acquiert, le 4 mai 1612, la lieutenance-générale du gouvernement du Lyonnais contre 120 000 L. de récompense offertes à Halincourt, ses lettres de provision insistant sur son enracinement régional et son autorité naturelle sur la noblesse du pays. Il n’a de cesse alors de rassembler tous ceux qui vivent le pouvoir d’Halincourt comme une injure permanente aux qualités du sang et sa faveur comme un outrage à l’honneur. Les liens d’Halincourt avec le favori de la reine déplacent sur le premier tous les reproches faits au second ; la disgrâce de son père excite l’affrontement ; l’exécution d’avril 1617 fait espérer le dessillement du roi ; la mort du secrétaire d’État, le 12 décembre suivant, la chute de son fils.
22La « guerre du Bien public » comme la nomme tardivement – en écho à d’autres troubles contemporains dont elle fournirait la trame dramatique – un fidèle du marquis de Saint-Chamond est l’épreuve à la fois de la puissance d’Halincourt et de l’aristocratisation de son lignage, le défilancé à la métamorphose d’une famille de patients plumitifs en gendarmes bouillonnants et bardés de fer assistés des forces de la robe et de l’Église32.
23Dans ce conflit où finalement se font moins entendre les canons, les tambours et les trompettes que les pamphlets assassins, il revient à un homme de lettres d’ouvrir le feu des hostilités, le 30 janvier 161733. Le tir est précis ; il peut infliger une blessure profonde. Dans la dédicace au marquis de Saint-Chamond accompagnant la publication du troisième volume des Diverses leçons de Louis Guyon, l’imprimeur lyonnais Claude Morillon feint d’ignorer la prééminence d’Halincourt tout au long d’une comparaison implicite avec lui au bénéfice exclusif de son rival « à qui doivent estre données les charges d’importance34 ». Ce n’est pas ici le lieu de la chronique mi-dramatique mi-ridicule de cet affrontement qui dressa, entre 1616 et 1619, « Halincourtistes » contre « Sainct Chamontistes » selon les termes de l’époque, élevant en partis deux clans familiaux rivaux. Nous n’y relèverons que ce qui est pertinent pour notre propos sous l’angle lignager et éthique au sens où l’on parle d’un ethos nobiliaire. Car ce n’est pas tant la dimension institutionnelle et technique mobilisée par l’élément déclencheur des hostilités qui est au centre véritable de cette rivalité qu’une contestation idéologique et sociale de la légitimité d’Halincourt à la tête du gouvernement. Chargé par le roi de lever un régiment de 1 200 hommes destinés à l’armée mise en place contre les menées du duc de Nevers, Saint-Chamond n’a pas pris son attache d’Halincourt comme il aurait dû le faire. Face à ce déni de son autorité, le gouverneur ordonne que soient arrêtés tous ceux qui font battre le tambour à cette fin, et notamment le châtelain de Saint-Paul-en-Forez dont la libération est demandée, le 17 mars 1617, par deux parents de Saint-Chamond. Leur requête est rejetée par Halincourt qui leur rappelle qu’il n’a pas de compagnon en sa charge pour refuser, à deux reprises, « une parole d’honneur » que le comte de La Baume voulait lui faire entendre de la part de son parent35. Les canons sont sortis de l’arsenal de Lyon pour être conduits à l’Abresle où le châtelain s’apprête à faire battre également le tambour pour l’enrôlement des troupes et au secours duquel Saint-Chamond rassemble en une semaine 1500 cavaliers et 6000 hommes. Cette question de l’attache à prendre du gouverneur n’est en fait que l’incident de trop qui permet de publier les rancunes et les ambitions des deux camps accumulées depuis le printemps 1616.
24Parmi les principaux griefs adressés au gouverneur figure celui de la confusion qu’il a introduite dans les relations naturelles de la noblesse locale par l’usage partisan de son autorité politique. Il fait figure de perturbateur de l’ordre nobiliaire en instrumentalisant à son profit le pouvoir que lui a confié le roi. Dès 1608, il :
« sema mil divisions, parmy les principaux d’entre nous : mettant les parents contre le parent, et les a entretenus tant qu’il a peu en ces aigreurs, tesmoignant de sçavoir mauvais gré aux amis communs, qui s’entremettoient de les accomoder, estant adverty par personnes de qualité qu’ils avoient des querelles formees entre des plus relevez et dont la consequence pouvoit porter grand prejudice à vostre service, et alterer le repos publicq. Il ne les a voulu accorder, ny leur faire aucunes deffences, pensant par ce moyen de se vanger de l’un aux despens de l’autre, et de pouvoir plus librement exercer les violences parmy les divisions des Principaux du Gouvernement36 ».
25Cette citation du pamphlet contre Halincourt de la fin de l’été 1617 trouve un écho direct dans la correspondance de Saint-Chamond qui dans une lettre au roi datée du 17 juillet 1617, évoque « la jallousie qu’il [Halincourt] avoit de me voir quantité de parentz et amys en ce pays ». Quelques lignes plus loin, Saint-Chamond ajoute que le gouverneur :
« fermentoit sa hayne et recherchoit avecq plus de facilité les moyens de me perdre, car il essayoit de débaucher mes plus particuliers amys et ceulx qui vivoient comme domesticques chez moy et qui tiennent leur nourriture et leur advancement de ma maison, faisant offrir aux ungs des charges et des pensions aux despens de vostre Majesté pourveu qu’ilz cessassent d’estre mes amys comme si ce fust ung crime de me voulloir du bien, et représentoit aux aultres que jamais aucun de mes amys ny moy n’auroient part aux commissions et aultres employs que vostre Majesté luy envoit pour distribuer dans ce gouvernement et que nous n’en pourrions es pérer que par son moyen, et tout ceulx que ses artifices n’ont peu divertir de l’amytié qu’ilz m’avoient promise, ont heu pour vengence la compagnie de gens d’armes, et d’aultres logementz de gens de guerre dans leurs terres […]. Il a encor exclue dans Lyon tous mes amys des honneurs et charges publicques pour ceste seulle considération qu’ilz sont mes amys et leur a faict dire en particulier que tant qu’ilz m’affectionneroient, il leur nuyroit de tout son pouvoir et la ainsy praticqué par effect37. »
26En s’attaquant à la noblesse, Halincourt dévoilerait donc les desseins tyranniques de son gouvernement en substituant au respect de son ordre naturel l’artifice d’une domination politique illégitime. Il partagerait avec l’ancien favori, Concino Concini, non seulement une complicité dans la manipulation délictueuse des deniers du roi, mais surtout une même ambition nourrie de la même indignité sociale. Sa tyrannie et son ridicule se manifestent alors dans le déportement suivant que retiennent ses adversaires comme le symbole de l’ignominie d’un personnage qui s’est imaginé le chef de la noblesse du pays :
« Il a faict tenir la campaigne à ses chiens courans comme à une compagnie de gens de pied, mandant aux Consuls des villages de les luy garder, si bien que les pauvres gens se sont accordez entre eux pour les nourrir, l’un 8 jours, l’autre 10, un autre 15 : ainsi du reste ; et ceux qui en ont laissé perdre quelques-uns, pourront dire veritablement combien se vendent les chiens courans en ce pays : car on les leur a bien fait payer38. »
27Ayant obtenu par le crédit retrouvé de son père auprès du roi un arrêt du Conseil favorable à ses intérêts, Halincourt réplique à ses détracteurs par la publication de celui-ci et d’un texte qui provoque la colère de ses adversaires. Dans un libelle s’ajoutent ainsi aux qualités d’hypocrite, de parjure et de rancunier précédemment prêtées au gouverneur, celles d’un homme qui ne doit véritablement sa place qu’à l’habilité politique de son père dont témoigne en effet de manière spectaculaire, le 11 juillet 1617, le mariage de son fils aîné, Nicolas, né en octobre 1598, avec la petite-fille du maréchal de Lesdiguières, Madeleine de Bonne de Créquy, fille cadette de Charles de Blanchefort, marquis de Créquy et colonel des gardes françaises, et de Madeleine de Bonne de Lesdiguières39. Il s’agit bien dès lors d’un procès d’indignité nobiliaire qui est intenté à Halincourt rendant d’autant plus singulière et injuste l’alliance dont il bénéficie. Ce manque de générosité qui distingue le noble de fraîche extraction du gentilhomme de race est mis en exergue dès les premières lignes du second pamphlet saint-chamontiste. Il se manifeste par l’absence de courage et de magnanimité40. Cette âme pusillanime n’est pas en mesure, en effet, de s’opposer à la noblesse de son lieutenant-général, illustrée notamment par les coups d’épée que ses prédécesseurs ont donné « plus de 500 ans avant que de parler des traicts de plume de ceux dud. Sieur d’Halincourt41 ». Ce dernier use arbitrairement par ailleurs de son droit d’étapes pour faire tenir garnison aux compagnies revenant de Piémont dans les lieux où vivent ses adversaires, assuré du silence du maréchal de Lesdiguières, son parent. Et quand une ville s’y refuse, c’est presque toute une armée qui vient en faire le siège et ravager sa campagne comme le montre l’encerclement de Montbrison du 8 au 10 novembre 1617. Quand le devoir d’un noble est de protéger le bien public et de soulager les peuples confiés à ses soins, l’intérêt est toute la passion d’Halincourt comme le montrent ses détracteurs qui rappellent ses concussions à Pontoise dont il a cherché le pardon du roi :
« C’est pourquoy il ne faut pas s’estonner de ce qu’il sçait si bien le metier de prendre, puis qu’il l’a praticqué dez sa jeunesse, aussi tient il ceste maxime (et l’a dict à des personnes dignes de foy) que le peuple n’a du bien que pour nourrir les honnestes gens, et qu’il ne sert de s’en faire aymer, parce que tant qu’on a du pouvoir sur eux, ils craignent et cela suffit, et quand on est hors de puissance, ils ne se souviennent plus ny du bien ny du mal, oderint, dum metuant42. »
28Enfin, l’auteur termine son réquisitoire en convoquant la figure abominable de Concini pour admonester Halincourt en l’apostrophant directement dans une prière qui achève sa condamnation : « que peux-tu esperer d’une semblable vie qu’une pareille fin, à laquelle ne vueille bien tost conduire pour nostre delivrance, le Pere, le Fils, et le Sainct Esprit. Ainsi soit-il43 ». Cette prière ne fut pas entendue et après des péripéties oscillant entre le tragique et le grotesque – il est quand même question de duels, d’emprisonnement et d’un homme grillé à la broche comme d’une volée de coups de bâton et du vol d’un papier qu’aucun ne veut reconnaître ni avoir pris ni signé –, l’histoire finit par un beau mariage. Grâce à l’entremise des ducs de Ventadour, de Lesdiguières, de Guise et, enfin, en mars 1619, du maréchal de Thémines, Pons de Lauzières, un accord fut trouvé entre les deux champions. Si, dès le 7 novembre 1618, s’esquisse en effet une solution grâce au possible mariage du fils de Saint-Chamond, Louis Mitte de Chevrières, avec la fille d’Halincourt, Marie de Neufville, les négociations se poursuivent encore quant aux modalités honorables de l’abandon par le premier de sa charge de lieutenant-général du gouvernement et du juste montant de la dot à payer par le second comme l’établissement du prix du dédit en raison du bas âge des enfants concernés, Louis étant âgé de sept ans44. Le 23 avril 1619 est enfin signé ce traité de mariage et le 6 mai suivant, Halincourt donne pouvoir à son fils aîné de payer au marquis de Saint-Chamond 225 000 L. pour le récompenser de sa charge de lieutenant-général résignée en faveur de Charles-Henri de Neufville, comte de Bury, et frère cadet donc du gouverneur en survivance45. Le 21 mai 1619, le roi ordonne des lettres patentes en forme d’édit abolissant tous les troubles commis par ce différend dans le gouvernement et le mois suivant la noblesse réconciliée fête la fin des hostilités qui l’avaient déchirée.
29Cet été 1619 marque la naissance des Villeroy comme Maison : le vaincu salue la générosité de son seigneur, titre avec lequel Saint-Chamond désigne Halincourt, qui est allé, « avec tous ses amis », le visiter dans ses terres du Forez. Il y termine « touttes les brollieries qu’il a trouvé dans son gouvernement », étant reçu partout « avec toutes sortes d’honneur et de bonne chere ». Laissons Halincourt savourer son triomphe de chef de la noblesse du pays : « j’ay acomodé en ses pais la grande quantité de querelles parmy la noblesse et y ay remis un chacun bien avec lesdicts sieurs de Sainct-Chaumont et de la Baulme, et asoupi plusieurs divisions qui y estoient entre les officiers, tellement nombreux, que jamais pais ne fust sy en repos ny sy assuré qu’est maintenant ce gouvernement46 ». Et lorsque Madame, Christine de France, entre dans Lyon le 7 octobre 1619, toute la noblesse du pays fait service au marquis de Villeroy en lui rendant honneur par SA présence exemplaire. Enfin, le 31 décembre, dans l’église des Augustins à Paris, le roi fait chevalier de l’ordre du Saint-Esprit deux de ses alliés directs, le marquis de Saint-Chamond et Jean de Souvré, marquis de Courtenvaux, dans une promotion où l’on compte le frère du roi, le comte de Soissons, le duc de Guise, le duc de Luynes ou encore le duc de Montmorency.
30La Maison de Neufville après l’épreuve de la Ligue et les troubles de la Régence de Marie de Médicis a achevé la mutation aristocratique de ses membres. Le secrétaire d’État, raillé en 1601 par le gentilhomme de race qu’est le duc de Sully se gaussant de ses traits de plume et de l’encre couchée sur ses parchemins quand il peut, lui, faire valoir son épée ébréchée et son sang versé pour la défense de la Couronne, a eu sa revanche quelques mois avant de mourir. En épousant Madeleine de Créquy, son petit-fils devenait, en juillet 1617, le beau-frère du fils aîné de son rival au Conseil du roi, un Conseil par ailleurs où il siégeait toujours quand ce dernier en avait été écarté six ans plus tôt47. Deux gravures, en guise de conclusion, serviront de témoignage de cette aristocratisation.
31Assise sur son trône, la Religion regarde Louis XIII, la tête ceinte d’une couronne de laurier, le sceptre à la main gauche et le grand collier des ordres du roi sur la poitrine, qui se tient debout, face à elle, quelques marches plus bas. À ses côtés, en contrebas, un homme plus âgé, portant comme le roi, une armure de gendarme, se retourne vers le spectateur de cette scène. Charles d’Halincourt est accompagné de ses quatre fils, rangés en deux groupes de part et d’autre de Louis XIII. Du côté de l’Église, se tiennent agenouillés Camille, abbé d’Ainay, et Ferdinand, abbé de Saint-Vandrille ; du côté du roi, Nicolas, accompagné de son fils, Charles qui tient un bouclier aux armes de la famille de Villeroy, et Lyon-François, reconnaissable à sa croix de chevalier de Malte. Gravée par Karl Audran d’après le lyonnais Jacques Stella, probablement vers 1635-1636, cette composition signale tout à la fois une continuité et une rupture48. La continuité d’un dévouement et d’une fidélité à la monarchie mais sous une forme différente. Au secrétaire d’État de quatre rois très-chrétiens succèdent quatre serviteurs de la Couronne et de l’Église conduits par le chef de leur Maison signalent par son geste de la main le mérite qui lui revient dans cette mutation du ministerium. Il n’est pas l’héritier passif d’une gloire qui passerait mystérieusement de son père à son fils mais il est bien l’artisan, maladroit quelquefois, brutal souvent, efficace toujours, de cette conquête aristocratique donnant ses enfants à l’Épée, à la Cour, à la Robe et à l’Église pour le service de la Couronne. Il est, avec son père, le fondateur de la Maison de Neufville sous les doubles auspices de Minerve et de Pallas comme l’immortalise Karl Audran dans une autre gravure exécutée vers 1615-161749.

Bibliothèque municipale de Lyon, Coste 14551
32Deux de ses fils sont à l’Église appelés l’un à la primatie des Gaules et l’autre au prestigieux siège chartrain. Sa fille Madeleine est mariée en 1606 avec le fils du chancelier Sillery, le secrétaire d’État Pierre Brulart de Puysieux, et elle est la belle-sœur de Nicolas de Bellièvre, héritier du précédent chancelier. Charles-Henri a épousé en 1623 Marie Phélypeaux, fille et sœur de deux autres secrétaires d’État de la famille Pontchartrain. Sa dernière fille, Marie, après avoir épousé Alexandre de Bonne, vicomte de Tallard, s’est mariée en 1640 avec Louis de Champlais, seigneur de Courcelles, quand son autre sœur, Catherine, avait épousé en 1610 Jean II de Souvré, marquis de Courtanvaux. Nicolas, son aîné, est, en 1617, le gendre du maréchal de Créqui et de la fille du connétable de Lesdiguières. Il est le gouverneur de Lyon et bientôt celui du Dauphin. Si le crédit et l’autorité de son père l’ont établi, puis rétabli, il revient cependant à Halincourt d’avoir affronté presque seul l’épreuve de sa reconnaissance nobiliaire. Dans sa victoire contre le « premier baron du Lyonnais », c’est bien son bâton de gentilhomme qu’il a gagné.
Notes de bas de page
1 Influence dont témoigne la place des Villeroy comme gouverneurs des rois Louis XIV et Louis XV rappelée par Pascale Mormiche dans un livre récent, Devenir prince. L’école du pouvoir en France, XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, CNRS éditions, 2009.
2 Frostin C., Les Pontchartrain, ministres de Louis XIV. Alliances et réseau d’influence sous l’Ancien Régime, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 242.
3 Deux des enfants de Charles d’Halincourt, Charles-Henri de Neufville, comte de Bury, et Lyon-François de Neufville, chevalier de Malte, meurent dans les armées du roi en juin 1628 et en août 1639 durant ses campagnes italiennes.
4 Deux neveux de Louis Potier, René et Augustin, sont ainsi évêques-comtes de Beauvais et pairs ecclésiastiques de France, quand le petit-fils de Nicolas de Villeroy, Camille, monte en 1654 sur le siège archiépiscopal de Lyon et devient primat des Gaules tandis que son frère, Ferdinand, d’abord coadjuteur de son oncle, Achille de Harlay de Sancy, est fait évêque de Saint-Malo en 1644 avant de devenir évêque de Chartres en 1657.
5 On pourrait relever également les liens ténus des Villeroy avec les Harlay de Beaumont, présidents au parlement de Paris, par l’intermédiaire de Jacqueline de Harlay de Sancy, petite-fille d’Achille Ier de Harlay, premier président au parlement de Paris jusqu’en 1611. Notons également que Lyon ne dispose pas de cour souveraine aux XVIe et XVIIe siècles et qu’une cour des monnaies est créée seulement en 1704.
6 Frostin C., Les Pontchartrain…, op. cit., p. 22.
7 Ibid., p. 245.
8 Ibid., p. 22.
9 Sully, « Mémoires des sages et royales œconomies d’Estat de Henry le Grand », Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France… par M. Petitot, Paris, Foucault, libraire, 1820, 2e série, t. IV, p. 56-57.
10 Les principaux passages sur les Villeroy se trouvent dans les Mémoires […] de Saint-Simon, Chéruel A. (éd.), 1924, t. XI, p. 195-198 ; 1928, t. VI, p. 413-416 (voir également Mémoires, de Boislisle A. (éd.), Paris, 1962-1966, t. II, p. 561-562, t. XI, p. 194 et suivantes et t. XIII, p. 258). Il est plaisant de relever que parmi les blessures cruelles infligées à l’amour-propre du duc de Villeroy, l’une des plus mordantes fut un mot du duc de Gesvres, en 1699, qui rappela que leurs pères descendaient pour lui d’un marchand de marée des Halles et pour lui-même d’un porte-balle « et peut-être de pis ». Cette saillie est aussi sensible à l’honneur du duc de Villeroy que son humiliation, en 1701, lorsque le prince de Savoie, sans dire un mot, renversa sa tabatière par terre après qu’il se soit saisi d’une pincée du tabac qu’elle contenait, ordonnant qu’on lui en apportât une nouvelle.
11 Tallemand des Réaux G., Historiettes, Adam A. (éd.), Paris, Gallimard, 1960, t. I, p. 219.
12 Lignereux Y., Lyon et le Roi. De la « bonne ville » à l’absolutisme municipal, 1594-1654, Seyssel, Champ Vallon, 2003, p. 413-415.
13 Nouaillac J., Villeroy, secrétaire d’État et ministre de Charles IX, Henri III & Henri IV (1543-1610), Paris, Honoré Champion, 1909. En dépit du travail plus récent de Dickerman E. H. (Bellièvre and Villeroy. Power in France under Henry III and Henry IV, Providence, Brown University Press, 1971 et son article écrit avec Walker A. M., « The Language of Blame : Henri III and the Dismissal of his Ministers », French History, 1999, no 13, p. 77-98), il manque une grande étude contemporaine sur ce personnage et ses réseaux. Dans notre thèse (Lyon et le roi…, op. cit.) nous avons commencé ce travail de reconstitution de la carrière et de la fortune de Charles de Neufville complété notamment par l’étude d’un projet inabouti de biographie de ce personnage par un religieux lyonnais (« Soldat du roi ou miles christi ? L’illustre vie de Charles de Neufville (1566-1642), gouverneur du Lyonnais », Weber J. et Joly B. (éd.), Églises de l’Ouest. Églises d’ailleurs. Mélanges offerts à Marcel Launay, Paris, Les Indes Savantes, 2009, p. 57-70) auxquels nous renvoyons pour des développements plus précis. Nous avons également entrepris depuis quelques temps l’étude mieux documentée de son ambassade romaine en 1605-1608, épisode qu’il faut compléter par une analyse plus approfondie de la « guerre du Bien public » qui l’opposa, de 1616 à 1619, à son lieutenant-général, le marquis de Saint-Chamond, et à laquelle nous emprunterons quelques éléments d’analyse pour notre dernière partie.
14 Ballande H., Rebelle et conseiller de trois souverains : le président Jeannin, 1542-1623, Paris, Barre-Dayez Éditeurs, 1981 ; Poigeaud P., Le roman du président Jeannin (1541-1623), Précis-sur-Thil, Éditions de l’Armançon, 2001.
15 Poncet O., Pomponne de Bellièvre (1529-1607). Un homme d’État au temps des guerres de religion, Paris, École des Chartes, 1998, p. 365-380.
16 « Lettre » publiée par Tricotel E. dans son édition de La Satyre Ménippée de la vertu du catholicon d’Espagne et de la tenue des Estatz de Paris, Paris, Lemerre A. (éd.), 1877-1881, deux tomes, t. II, p. 140-175, le passage cité se trouve à la page 165.
17 Sur les transformations sociales et les mutations idéologiques du second ordre à l’articulation des XVIe et XVIIe siècles, Devyver A., Le sang épuré. Les préjugés de race chez les gentilshommes français de l’Ancien Régime, 1560-1720, Bruxelles, Éditions de l’Université, 1973 ; Jouanna A., L’idée de race en France au XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, Montpellier, Presses de l’imprimerie de recherche Université Paul Valéry, 1981, 2 vol. ; Schalk E., L’épée et le sang. Une histoire du concept de noblesse (vers 1500-vers 1650), Seyssel, Champ Vallon, 1996.
18 La National Gallery de Dublin conserve un magnifique tableau du corps de ville de la capitale en 1568 où il figure, la robe courte et l’épée au côté, face aux quatre échevins parisiens.
19 Schrenck G., Nicolas de Harly sieur de Sancy (1546-1629). L’antagoniste d’Agrippa d’Aubigné. Étude biographique et contexte pamphlétaire, Paris, Honoré Champion, 2000, p. 154.
20 Les Œconomies Royales de Sully, Buisseret D. et Barbiche B. (éd.), t. II, 1595-1599, Paris, Librairie C. Klincksieck, 1988, p. 185-186.
21 Sully, « Mémoires des sages et royales œconomies d’Estat », Nouvelle collection des mémoires relatifs à l’histoire de France depuis le XIIIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, t. XVI, Michaud et Poujoulat (éd.), Paris, Didier, 1854, p. 369-370 ; Barbiche B. et de Dainville-Barbiche S., Sully. L’homme et ses fidèles, Paris, Fayard, 1997, p. 144-145.
22 Desjardins A. (éd.), Relations diplomatiques de la France avec la Toscane, t. V, Paris, Imprimerie nationale, M. DCCC. LXXV., p. 546 : « parce qu’il est une personne de peu de valeur, un incapable et un ignorant, et il ne jouit d’aucune estime pour pouvoir servir de contrepoids à l’ambassadeur d’Espagne dans le théâtre du monde ».
23 Ibid., p. 549, lettre de Bartoloni Giovannini au Grand-Duc de Toscane, datée du 14 novembre 1604 : « les bons conseillers du roi ne doivent pas être tout à fait d’accord qu’on envoie comme ambassadeur à Rome une personne qui, ni en noblesse, ni en vertu, ne vaut quelque chose ».
24 Lignereux Y., Lyon et le roi…, op. cit., p. 273-279. L’étude précise de cette ambassade est en cours de réalisation mais la fermeture de la Bibliothèque apostolique du Vatican a contrarié la confrontation de la correspondance de l’ambassadeur avec les avvisi.
25 Ibid., p. 281-288 ; « Pastorale allégorique sur le bonheur et pronostique du gouvernement de Monseigneur d’Halincourt, représentée dans le Collège des Jésuites, le 28 de novembre 1608 », 37 feuillets (BML, Mss, Fds Gal 1406 [1307], microfilm 312).
26 En décembre 1610, bénéficiant de l’intercession du chancelier, il se défait de cette charge contre 90 000 L. en faveur de Jacques d’Étampes, sieur de Valençay, d’Applaincourt et de Boray.
27 En reconstituant la bonne fortune de ces lignages, il est difficile d’éviter un certain type de vocabulaire emprunté aux associations criminelles contemporaines comme s’y emploie Frostin C., avec « parrain » et « syndicat », Les Pontchartrain…, op. cit., p. 30 et p. 41. Le consulat, le 23 septembre 1610, informe son député envoyé à la cour que l’on « murmure que l’on pourroit attirer led. seigneur d’Halincourt à delaisser ce gouvernement pour l’employer a plus serieuses charges pres la personne du Roy » (Arch. Mun. de Lyon, BB 146, ff. 108vo-109).
28 Sully, Mémoires des sages et royales œconomies d’Estat…, op. cit., t. II, p. 407-408.
29 La patrimonialisation régionale de ce grand crédit se manifeste par l’obtention, en 1611, de la prestigieuse abbaye lyonnaise d’Ainay en faveur de son fils Camille qui prend possession sept ans plus tard, à l’âge de douze ans, d’une autre importante abbaye de la région, celle de l’Ile-Barbe sur la Saône. Consolidant ses assises régionales, Halincourt acquiert, dans des circonstances douteuses, la charge de sénéchal du Lyonnais en avril 1616.
30 Citée par Duccini H., Concini. Grandeur et misère du favori de Marie de Médicis, Paris, Albin Michel, 1991, p. 133.
31 À titre de comparaison, la dot de Marguerite de Sully, mariée en 1605, à Henri, duc de Rohan fut de 200 000 L.
32 Les dernieres paroles de Monsieur de Saint-Chamond, decede en son hostel a Paris, le 10 de Septembre 1649, aagé de soixante et trois années. Avec un fidel Recit des belles actions de sa Vie. Par le sieur de Figuiere, À Paris, pour l’Autheur, et se vendent Chez Cardin Besongne, au Palais, en la Gallerie des prisonniers, M. DC. XLIX., avec privilege du Roy, 23 p. [BNF, Mss. Fds Clairambault 1105, ff. 9-20, fol. 16vo].
33 Outre une importante correspondance, nous nous appuierons principalement sur la Requeste presentée contre le sieur d’Halincourt, sous le nom supposé de la Noblesse des pays, de Lyonnois, Forestz et Beaujollois. Avec la responce dud. sieur d’Halincourt, à lad. requeste, s. n., s. l., s. d., in-4°, 7+13 p. (BNF, 4 FM 14975), la Replique à la response faicte par le sieur d’Halincourt soubs le nom de Destouches son Procureur. A la Requeste de la Noblesse des pays de Lyonnois, Forestz et Beaujollois, s. n., s. l., in-4°, 36 p. (BNF, 4 FM 14977), l’Advis salutaire d’un Bourgeois Citoyen de la ville de Lyon et Officier du Roy en icelle : addresse à ses Combourgeois, Concitoyens, et Confreres en Offices, pour leur conservation au service de sa Majesté, à Lyon, M. DCXVII., in-8°, 20 p. (Bibliothèque municipale de Lyon [BML], Rés. 354 116), l’Arrest rendu par le Roy séant en son Conseil au proffit du Sieur d’Halincourt contre la requeste présentée soubs le nom supposé de le noblesse des Pays de Lyonnois, Forests et Beaujollois. Donné à Paris le 2e jour d’octobre 1617, à Lyon, par B. Ancelin et N. Jullieron, Imprimeurs ordinaires du Roy, 1617, avec privilege de sa Majesté, in-8°, 13 p. (BNF, F 47034 [19], le Discours veritable de ce qui s’est faict et passé, touchant l’establissement de la compagnie de Mr de Longueville, en garnison à Montbrison, en novembre 1617, s. l., s. d., in-8°, 15 p. (BNF, Mss. Fds Clairambault 373, ff. 25-31vo), la Coppie de l’acte de Monsieur le Duc de Guyse, touchant les differends de Messieurs d’Alincourt et de Sainct-Chamond du dernier juin 1618, s. l., s. d., in-8°, 7 p. (BNF, Ln27 257) et sur le « Manifeste de Mr. Le comte de Saint-Chamont contre Mr. D’Halincourt », (BNF, fds frçs 4606, pièce no 31, ff. 62-64vo).
34 Les diverses leçons de Louis Guyon, sieur de la Nauche, suivans celles de Pierre Messie et du sieur de Vauprivaz, à Lyon, par C. Morillon, 1617, in-8°, t. III, (BNF, Z 19794), p. 4.
35 BNF-Arsenal 4119, recueil Conrart, t. XIV, ff. 129-131, fol. 130 ; BNF, Fds frçs 4606, pièce no 31, ff. 62-64vo, ff. 62 vo-63.
36 Requeste presentée contre le sieur d’Halincourt…, op. cit., p. 3.
37 BNF, Mss. Fds Clairambault 372, fol. 185 et fol. 185vo.
38 Requeste presentée contre le sieur d’Halincourt…, op. cit., p. 4-5.
39 Gal S., Lesdiguières. Prince des Alpes et connétable de France, Grenoble, PUG, 2007, p. 233-237 et p. 262-263.
40 Ce thème est développé également dans un cahier adressé à l’automne 1618 par Saint-Chamond aux arbitres commis par le roi pour régler son différend avec Halincourt comme le montrent ses premières lignes : « Entre les imperfections de l’homme, la plus punissable de toutes, et la moings punye, est le mecognoissance destestée des gens de bien, et condamnée par tout d’une hayne publique, comme mortelle ennemie de la société humaine qui s’entretient principalement par le recognoissance des biens faictz […]. Voyant le soing que je prins de l’y recevoir avec mes amys les asseurances que je luy donnay deslors de mon affection, et que je luy ay depuis faict paroistre par les tesmoignages que j’en ay rendus en public, et tous les ordres, et en particulier par toutes mes actions pour les honneurs et frequentes visites que mes plus proches et moy luy avont rendu dans Lyon, la reception que nous luy avons faict en noz maisons, les caresses et bonne chere que ses amys ont receu de moy, pendant son absence pour les luy conserver, la confiance et communication de toutes affaires que j’ay eu avec luy et les siens par lettres et de vive voix, l’assistance que je luy ay rendu en ses querelles contre ceux mesmes qui lors estoient les plus relevez en fortune, les conseilz que je luy ay donné pour le soulagement du pauvre peuple, la conservation du repos public, le maintien de sa reputation et accroissement de son auctorité dans la province, et en fin, la franchise de mon deportement luy a tousjours faict cognoistre celle de mon intention. » (BNF, Mss. Fds Clairambault 375, ff. 99-106).
41 Replique à la response faicte par le sieur d’Halincourt…, op. cit, p. 3.
42 Ibid., p. 33.
43 Ibid., p. 35-36.
44 Il est arrêté le montant de 210 000 L. de récompense pour la lieutenance-générale, de 200 000 L. pour la dot et de 50 000 L. pour le dédit. Saint-Chamond s’efforça de se faire nommer ambassadeur à Rome mais en vain à la suite de l’expiration du mandat du marquis de Cœuvres. Il poursuivra par la suite une importante carrière de diplomate.
45 « Article du traicté de mariage du filz de Monsieur de St Chomon et la fille de M. d’Alincourt » (Arch. dép. du Rhône, « Contrats perpétuels » d’Antoine Grangier, années 1615-1623, 3 E 5313, à la date du 23 avril et du 6 mai 1619) et « Coppie de provisions de lieutenant général pour le Roy au gouvernement de Lyonnois, Forestz et Beaujollois, en faveur de Charles de Neufville, baron de Burry du 21 may 1619 », données à Amboise (BNF, Mss. Fds Clairambault 958, ff. 279-283). Marie de Neufville se marie finalement avec Alexandre de Bonne, comte d’Auriac et vicomte de Tallard, qui exerce la charge de lieutenant-général du gouvernement du Lyonnais de 1631 à sa mort en 1636 (Nicolas de Neufville s’en démettant en sa faveur après l’avoir recueillie à la mort de son frère Charles en juin 1628), puis avec Louis-Charles de Champlay, sieur de Courcelles, en mars 1640, qui hérite de cette charge jusqu’en 1645 avant qu’elle ne revienne à un autre fils de Charles d’Halincourt, Camille, alors abbé d’Ainay.
46 Lettres de Saint-Chamond et d’Halincourt au roi et à Pontchartrain des 4 et 7 juillet 1619 (BNF, Mss. Fds Clairambault 375, ff. 263-266vo).
47 Maximilien II de Béthune, marquis de Rosny et grand maître de l’artillerie en 1610, avait épousé en octobre 1609 Françoise de Créquy. Il se sépara ensuite rapidement de sa femme pour sa maîtresse, Marie d’Estournel, avec laquelle il abîma son patrimoine avant de mourir en 1634.
48 BNF, Cbt. des Estampes, E 073707 et E 036640 ; Chomer G., « Jacques Stella pictor Lugdunenis », Revue de l’art, no 47, 1980, p. 85-89 et Perez M.-F., « Estampes et graveurs à Lyon aux XVIIe et XVIIIe siècles », Estampes et gravures d’illustration, no 12, « Travaux de l’Institut d’Histoire de l’Art de Lyon », 1989, p. 3-17.
49 BML, Fds Coste, Estampe, 14551.
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