Élites municipales des Flandres : Dunkerque, Calais, Boulogne sur mer et Lille au XVIIIe siècle
p. 145-169
Texte intégral
1Dans sa thèse1, Philippe Guignet indique que rien n’est plus honorable à Lille que de devenir un des membres de la Loi. Consécration sociale, l’accès au Magistrat ne peut être assimilé à une simple distinction honorifique. L’entrée dans ce haut lieu du pouvoir municipal résulte de longues et patientes stratégies tissées et élaborées par des familles afin, non seulement, d’accéder à ces postes à responsabilité mais, aussi et surtout, de s’y maintenir notamment grâce à l’intégration des homines novi.
2Capitale de la Flandre wallonne au passé prestigieux, Lille est la dernière des quatre villes étudiées à intégrer le royaume de France, en 1667. À cette date, elle rejoint Boulogne-sur-mer (réunie à la couronne dès 1550), Calais (située aux confins de la plaine littorale flamande et du Boulonnais, rattachée à la France en 1559) et Dunkerque (port flamingant définitivement français après son rachat aux Anglais en 1662). Ces quatre cités ont en commun le fait d’être à un moment ou à un autre de leur histoire, une ville frontière, ultime retranchement face à l’ennemi qu’il soit anglais, espagnol ou autrichien. Avant-postes politiques mais aussi citadelles de la Réforme catholique face aux dangers religionnaires en provenance d’Angleterre ou des Provinces-Unies toutes proches, ces villes sont l’objet de toutes les attentions de la monarchie française. Elles bénéficient donc d’exemptions fiscales, de franchises portuaires et du maintien de leurs privilèges, en particulier celui de s’administrer librement.
3Ces espaces de liberté sont l’objet d’une sollicitude suspicieuse et intéressée de la part du roi. Il est indispensable pour ce dernier de conquérir les cœurs de ces nouveaux sujets de peur qu’ils ne rejoignent, au moindre signe de faiblesse, leurs anciens souverains. La consolidation de la frontière septentrionale du royaume des lys nécessite non seulement l’érection de nouvelles fortifications mais l’acceptation par la population de son rattachement à la France2. Aussi, pour séduire ces villes si fières de leur indépendance, le roi s’emploie-t-il à s’attacher en tout premier lieu les élites municipales en leur confiant la direction des cités. Qui sont les hommes, ou plutôt les familles, choisis par la monarchie pour consolider l’influence française sur des régions frontalières fragiles et toujours menacées ? Empruntent-ils le même chemin, que ce soit à Boulogne, Calais, Dunkerque ou Lille, pour accéder à l’Hôtel de ville ? La position géographique qui influe sur les activités économiques et donc sur l’accès aux richesses permet-elle de distinguer, voire d’opposer, des villes de l’intérieur comme Lille, aux villes du littoral ? Pour vérifier la validité de certains poncifs présentant les villes portuaires comme des lieux de liberté où l’ascension sociale serait plus aisée, il faut s’interroger sur la facilité supposée de la conquête du pouvoir municipal par les homines novi à Boulogne, Calais ou Dunkerque par opposition à Lille, ville aux fonctions administratives plus développées qui, selon ce préjugé, pourrait être davantage marquée par une reproduction des élites.
4Un premier point nous permettra de nous pencher sur les similitudes ou oppositions entre les « diverses constitutions urbaines » et sur la façon dont la Loi était renouvelée. Nous tenterons ensuite de comparer le nombre de charges scabinales (moyen d’accès) réellement disponibles pour toute famille voulant atteindre les sommets de la notabilité urbaine. Puis nous nous intéresserons aux parcours empruntés par ces notables pour tenter de dresser un premier portrait du candidat idéal à l’échevinage.
Des chemins d’accès à l’hôtel de ville différents
5Au milieu du XVIIe siècle, le conseiller lillois Hovyne écrit que le plus « haut desseing des bourgeois » est « d’aspirer aux Magistrats3 ». Pour atteindre cet objectif, tout candidat sérieux se doit de connaître les « constitutions » urbaines des diverses cités. Il peut ainsi identifier quelles sont les voies institutionnelles à suivre pour pouvoir siéger sur les bancs scabinaux.
Élection à Boulogne et Calais
6Boulogne et Calais présentent une procédure de création de la Loy assez proche. La confirmation des privilèges de Boulogne (1552) et de Calais (1559) indique que les cités doivent théoriquement renouveler annuellement le Magistrat au moyen d’un scrutin.
7À Boulogne, l’échevinage doit être remplacé à partir du jour de la Sainte-Croix (14 septembre). Le samedi précédant l’élection :
« on arrête que samedy prochain on fera publier au son de la caisse de ville que le lendemain dimanche, il y aura renouvellement de la Loy et assemblé à cet effet au dit hôtel commun après la messe de paroisse en la ville haute et que le dit samedy quatre heures de relevée on donnera au dit hôtel de ville des billets aux bourgeois qui doivent procéder le lendemain à la ditte election4 ».
8Les bourgeois électeurs désignent ensuite les vingt élus (dix bourgeois de la haute ville puis dix de la basse ville) et le célèbre vingt-et-unième, leur président, incarnation en quelque sorte de l’unité de la ville. Puis cette assemblée, plus réduite, choisit par la voie du scrutin, le mayeur et les quatre échevins.
9Calais connaît un mode d’accès à l’échevinage semblable à celui de Boulogne-sur-mer. Le renouvellement annuel de la Loy (dont la composition est identique à celle de Boulogne) s’y produit le premier janvier. Une première distinction importante avec Boulogne est à noter. Calais ne désigne pas son échevinage par ce qu’on appellerait, selon une terminologie contemporaine, le suffrage indirect à l’instar de son homologue boulonnaise. L’assemblée électorale désigne directement l’échevinage. L’un des quarteniers appelle les électeurs selon leur rang. Ces derniers se rendent à la table des élections où se trouvent trois pots en étain. Sur ces pots, utilisés comme urnes, sont inscrits les noms des prétendants aux diverses fonctions scabinales. À proximité se trouve un plat rempli de boules de liège qui servent de bulletins de vote. Le bourgeois dépose ensuite son bulletin dans l’urne de son candidat. Une seconde différence apparaît avec Boulogne-sur-mer. La composition du corps électoral et la présence de scrutateurs singularisent le scrutin calaisien. À Boulogne, la municipalité sortante est exclue du corps civique et elle n’assiste pas au déroulement des opérations électorales5. Or à Calais, les listes électorales arrêtées par le mayeur comprennent les noms des bourgeois inscrits par ordre d’ancienneté, ceux des échevins, des anciens mayeurs et vice-mayeurs, des marguilliers, des juges consuls. L’ancienne municipalité ici participe au vote et garantit la régularité de la consultation. L’électorat calaisien possède un point commun avec celui de Boulogne : l’importance de l’abstention. Le nombre d’électeurs calaisien est très variable6 oscillant entre dix-neuf (élections des échevins en 1763) et deux cent cinquante personnes en 1695.
10Dans ces deux villes, le scrutin permet à une sanior pars aux effectifs conséquents de choisir leurs élites municipales. Quel est le processus de sélection des élites municipales lilloise et dunkerquoise ?
Désignation à Lille et Dunkerque
11Alors que Boulogne et Calais connaissent des consultations électorales où participent plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines, d’électeurs, les scrutins lillois et dunkerquois paraissent beaucoup plus confidentiels.
12La capitulation du 27 août 1667 accordée à la ville de Lille précise la création de la Loy. Cette dernière est confiée à quatre commissaires : le gouverneur (premier commissaire), l’intendant et deux personnalités nommées par le roi. Parmi celles-ci figure à maintes reprises le doyen du chapitre de Saint-Pierre, puis s’établit l’usage de maintenir en fonction, au cours des renouvellements successifs, deux gentilshommes de la province7. Le rôle de ces trois derniers personnages est purement honorifique. Seuls comptent le gouverneur et l’intendant. En général le choix du mayeur et du rewart revient au gouverneur tandis que l’intendant choisit les échevins. L’expression politique des bourgeois de Lille quant au choix des membres du Magistrat est on ne peut plus restreinte.
13À Dunkerque, le corps électoral défini comme « une assemblée de bourgeois élisant leurs représentants », est réduit à sa plus simple expression. Seigneur foncier de la ville de Dunkerque, le roi délivre une commission à l’intendant ainsi rédigée :
« commettons et ordonnons et deputons par ces presentes signez de notre main pour vous transportez au plutost es ville de Dunkercke […] proceder en notre nom et en la forme ordinaire à l’élection nominale des mayeurs et echevins et autres officiers en corps commun… faisant choix pour vérifier les places de ceux qui sortiront que vous jugerez estre les plus capables et les mieux intentionnez pour le bien de notre service et celuy du public des villes et chatellenies8 ».
14L’historien de Dunkerque, le grand bailli Faulconnier9 nous décrit cette formalité : « Depuis l’année 1662, Sa Majesté Très Chrétienne a donné cette commission [le renouvellement du Magistrat] à l’intendant de ce département qui l’exécute ainsi. La veille que le commissaire veut renouveler le Magistrat, il dit au grand bailli de le faire assembler le lendemain […]. » En séance, l’intendant fait lire sa commission pour l’enregistrer :
« Le grand bailli, les pensionnaires et le greffier étant restés seuls, le commissaire leur montre un mémoire où sont les noms de ceux qui doivent composer le Magistrat : il leur demande s’ils trouvent quelque chose à dire contre la réputation, la vie et les mœurs des personnes qui y sont nommées […]. Sur ces choses, chacun dit son sentiment et on le remercie du bon choix qu’il a fait ou on lui représente les raisons qu’on a de ne le pas approuver. »
15Alors, on interroge le curé « pour sçavoir si parmi ceux qui doivent entrer dans le nouveau Magistrat, il y en a de suspects d’hérésie ». Puis, M. l’intendant ayant pris la première place sur le banc de Magistrat, remercie d’abord ces messieurs au nom de Sa Majesté du zèle et du soin qu’ils se sont donnés pour le bien de son service. Puis ayant ouvert la liste du Magistrat nouveau, il la donne au premier conseiller pensionnaire qui la lit. Après cela, « on sonne la cloche et lorsque le peuple est assemblé à l’entour de la maison de ville […], le greffier accompagné du grand bailli, lui annonce le nouveau Magistrat ». Ensuite, l’intendant installe les nouveaux officiers et « leur recommande la fidélité au Roi et la prompte expédition » des affaires de la commune.
16Dans les deux cités flamandes, il n’y a pas de scrutin pour désigner un échevinage aux effectifs bien plus importants que ceux de Boulogne ou de Calais.
17Les membres du Magistrat lillois sont divisés en trois « bancs » ou catégories hiérarchisées. Le premier banc est composé du rewart et des douze échevins. Une des particularités de la constitution lilloise est l’existence d’une direction bicéphale avec le rewart et le premier échevin qui porte le nom de mayeur10. Le deuxième banc est formé par le conseil des douze jurés11. Le troisième et dernier banc est constitué par les huit hommes ou « prud’hommes » qui sont désignés par les curés des quatre paroisses les plus anciennes de la ville (Saint-Pierre, Saint-Étienne, Saint-Maurice et Saint-Sauveur12). Les membres temporaires de la Loi (rewart, mayeur, échevins, conseillers et huit hommes) forment une puissante équipe de trente-trois notables. Ils sont assistés par un groupe de sept officiers permanents : trois conseillers pensionnaires, un procureur syndic, un greffier civil, un greffier criminel et un trésorier13.
18Selon le registre du renouvellement du Magistrat dunkerquois et la description d’Expilly14, le Magistrat dunkerquois offre une organisation moins complexe. Le corps de ville se compose d’un bourgmestre et de dix échevins. Aux côtés de ces membres « élus », on retrouve cinq membres permanents : trois conseillers pensionnaires, un greffier et un trésorier15.
19Lille et Dunkerque disposent donc d’un échevinage aux effectifs plus étoffés afin d’administrer au mieux leur importante population. Cela offre autant d’opportunités pour intégrer le monde des élites municipales. Si les occasions semblent plus nombreuses dans ces deux cités, l’accès y paraît plus délicat. L’entrée dans le Magistrat ne dépend finalement que des bonnes grâces d’un nombre très restreint de personnes.
Relativité des oppositions relevées
20Au terme de l’étude de ce premier point, il semble que l’opposition entre villes de l’intérieur et villes du littoral soit à relativiser. Ces quatre cités ont en commun le maintien de leurs constitutions urbaines authentifiées par le pouvoir royal. Le respect de leurs privilèges et libertés urbaines est consacré par la monarchie. Le mode d’accès à l’échevinage (élection ou désignation par un commissaire royal) souligne plus une opposition « culturelle » qu’une opposition « géographique » (intérieur/littoral). Boulogne et Calais appartiennent au modèle picard (désignation de l’échevinage grâce au scrutin des bourgeois) et se distinguent de Lille et Dunkerque représentant le modèle flamand (échevinage important et fermé car renouvelé sur décision d’un commissaire royal).
21Cependant, on ne peut croire que Boulogne et Calais disposent d’une liberté totale quant au choix des échevins. En effet, les représentants du pouvoir royal ont l’initiative des opérations électorales et valident les résultats du scrutin. À Boulogne, l’échevinage au grand complet :
« après avoir entendu la messe de Paroisse à l’autel de Saint-Joseph […] s’est transporté précédez des sergents de la ville en l’hostel de Monsieur le Chevalier de Gueny lieutenant de Roy en cette ville pour suivant l’usage recevoir les ordres du Roy au sujet de la Magistrature dont le jour ordinaire du renouvellement doit estre Dimanche prochain et Monsieur le chevalier de Gueny nous ayant dit que la place de Mayeur étant vacante, il convient d’assembler les bourgeois en la manière accoutumée et procéder à l’élection ».
22ou pour authentifier le procès-verbal de l’élection. Après l’élection, les anciens et nouveaux Magistrats retournent chez le commandant de la place : « de retour à l’hotel de ville nous avons dressez le procès-verbal de l’élection en continuation de celuy de ce matin que nous avons tous signez avec les gens du Roy et notre greffier16 ». À Calais, le gouverneur contrôle et valide le déroulement du scrutin. Il reçoit entre ses mains le serment de fidélité du nouveau maire. Le gouverneur grignote davantage la liberté de choix des bourgeois électeurs et l’indépendance de la ville en imposant, en 1665, l’exécution d’un règlement royal du 30 janvier 1662. Selon ce règlement, les mayeurs et échevins sortant de charge doivent désormais « remettre entre les mains du sieur gouverneur ou lui envoient un rôle des principaux habitants qu’ils croient capables d’exercer les dites charges ». Puis le gouverneur choisit sur cette liste les candidats proposés à l’assemblée des bourgeois. Les bourgeois perdent donc la prérogative de choisir leurs candidats. La composition du corps électoral est également modifiée par le même arrêt car, désormais, « les officiers et receveurs du domaine pourront être nommez dans le rôle des principaux habitants de la ville pour être élu mayeur et échevins17 ».
23L’opposition entre les deux systèmes est donc à relativiser, la liberté dont bénéficient Boulogne et Calais semblant bien amoindrie par les pratiques électorales. Les candidats doivent être d’abord agréés par le pouvoir royal avant d’être choisis par les électeurs. Qu’en est-il de Lille et de Dunkerque ? Peut-on les décrire comme des villes soumises au plus vil despotisme ? Peut-on réellement imaginer que l’intendant impose brutalement son choix, faisant fidu poids que représentent certaines familles de notables ? La description livrée par Faulconnier démontre que le commissaire royal prend avis des conseillers pensionnaires pour nommer un nouvel échevinage. Le réseau très étendu des alliances matrimoniales et la nécessité de placer à la tête du Magistrat des hommes capables de maintenir la paix « sociale » dans des villes frontières régulièrement menacées par les affres de la guerre réduisent singulièrement la liberté de choix des commissaires royaux18. Le renouvellement annuel de ces échevinages permet mécaniquement d’offrir de nombreuses opportunités si les constitutions urbaines sont respectées.
La mise en place des oligarchies municipales
24Ces Magistrats aux pouvoirs étendus sont renouvelés annuellement mais à des dates variables selon les villes, la Sainte-Croix pour Boulogne, le 1er janvier pour Calais, la Saint-Jean-Baptiste pour Dunkerque, la Toussaint pour Lille. Le passage sous la tutelle française, tant redoutée par les Dunkerquois et les Lillois, s’est-il traduit par un abandon de cette pratique ?
Abandon progressif de l’annalité du renouvellement de la Loy
25L’étude du nombre de places réellement disponibles dans chaque échevinage apporte un premier renseignement concernant la mise en place d’un processus d’oligarchisation. Pour déceler des tendances sur la longue durée, il est apparu opportun de remonter au milieu du XVIIe siècle, date du rattachement des deux villes flamandes à la Couronne de France. La comparaison entre le nombre de renouvellements du Magistrat par décennie, pour chacune des villes étudiées permet de saisir la réalité des places scabinales disponibles. Les données concernant Boulogne-sur-mer sont très lacunaires. En effet, les archives municipales boulonnaises furent victimes du vandalisme révolutionnaire et nombre de registres de renouvellement du Magistrat ont disparu. De plus, le greffier n’a pas toujours noté le nom des nouveaux élus. Certains renouvellements ont pu être devinés grâce à la comparaison des diverses signatures apposées au bas des procès-verbaux et autres règlements pris par les autorités municipales. Dans le tableau comparant les renouvellements des magistrats dans les quatre villes étudiées, nous avons utilisé l’abréviation inc(onnu) lorsque les données nous étaient inconnues.
Tableau no 1. Périodicité des renouvellements des magistrats dans les quatre villes étudiées (1650-1789)
Périodes décennales | Lille | Dunkerque | Calais | Boulogne |
1650-1659 | 10 | 7 | 7 et 2 reconductions partielles | Inc |
1660-1669 | 9 | 12 échevinages | 8 | Inc |
1670-1679 | 7 | 10 | 10 | Inc |
1680-1689 | 10 | 10 | 8 | Inc |
1690-1699 | 8 | 10 | 8 et 2 renouvellements partiels | Inc |
1700-1709 | 9 | 10 | 6 et 1 reconduction partielle | Inc2 |
1710-1719 | 9 | 10 | 5 et 3 reconductions partielles | quatre renouvellements qui correspondent à des échevinages qui durent deux ans environ. Il n’y a aucune mention de renouvellement ou de continuation pour 1718 |
1720-1729 | 5 | 5 | 5 et 4 reconductions partielles | Un renouvellement en 1721, 1723, 1728 |
1730-1739 | 5 | 4 et 2 reconductions partielles | 1732 et 1736 : renouvellements partiels3 | |
1740-1749 | 3 | 3 | 4 et 5 reconductions partielles | 3 |
1750-1759 | 5 | 4 | 5 et 5 reconductions partielles | 14 |
1760-1769 | 7 | 7 | 6 et 3 reconductions partielles | 3 |
1770-1779 | 5 | 5 | 3 | 9 mais renouvellements partiels5 |
1780-1789 | 2 | 3 | 2 | Inc |
2e moitié XVIIe siècle | 44 | 49 | 41 et 4 reconductions partielles | |
XVIIIe siècle | 50 | 52 | 40 et 23 reconductions partielles |
Notes :
1. Les registres de l’échevinage portent des mentions de renouvellements les 28 décembre 1660, 13 septembre 1661, 16 novembre 1661, 19 août 1662, 19 décembre 1662, 31 août 1663, 23 juin 1665, 10 juillet 1666, février 1667, novembre 1667, 18 novembre 1667, 30 avril 1669. L’importance des renouvellements peut s’expliquer par les bouleversements politiques britanniques (Dunkerque était au début de cette décennie sous domination britannique) et internationaux (Dunkerque passe ensuite sous domination française).
2. Pour cette décennie, seuls les échevinages de 1707, 1708 et 1709 nous sont connus et encore de façon très partielle. En 1707, on évoque le renouvellement de deux échevins, de même le 16 septembre 1708, et le renouvellement du 28 avril 1709 donne les noms des vice-mayeurs et des premier et second échevins qui sont identiques à ceux de 1708 ; le seul nom qui a changé est celui du procureur fiscal.
3. En 1732, deux échevins sont remplacés. En 1736, M. Ducrocq qui a embrassé l’état ecclésiastique quitte l’échevinage.
4. De 1749 à 1754, il n’existe aucune trace de renouvellement ni de continuation. Par contre, du 22 septembre 1754 au 18 janvier 1760, les signatures des membres de l’échevinage sont les mêmes. On peut considérer qu’il y a eu reconduction de l’échevinage.
5. Pour cette période malgré les lacunes des registres, on relève un renouvellement partiel de l’échevinage puisque les Boulonnais renouvellent soit le mayeur mi-triennal et un échevin, soit deux échevins. De ce fait les mandats dépassent l’année.
26Lille et Dunkerque semblent suivre le même cheminement. Le renouvellement annuel s’effectue avec la plus grande régularité dans la seconde moitié du XVIIe siècle en particulier pour Dunkerque. Le changement de souveraineté ne se traduit pas, dans un premier temps, par l’abandon du renouvellement annuel. La crainte des Lillois et des Dunkerquois devant une tutelle administrative française plus lourde que celle des Habsbourg ne semble pas être fondée. La règle de la création annuelle à date fixe de la Loi urbaine de Lille perd ensuite de sa force sans que l’espacement des créations prenne une ampleur excessive jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Le nombre, par décennie, des renouvellements tombe ensuite à cinq dans les années 1720 et 1730 ; il n’est même plus que de trois dans les années 1740. Le second XVIIIe siècle prolonge la tendance à l’espacement des renouvellements19.
27Malgré un rattachement plus ancien à la couronne des lys, Calais semble présenter un profil semblable à celui des deux villes flamandes. Le nombre des renouvellements annuels est assez élevé durant les années 1650-1679, mais dès la décennie 1680, la périodicité des créations de la Loi diminue bien plus rapidement que celles des deux homologues flamandes. On descend à cinq dès la décennie 1710-1719 alors que Lille et Dunkerque continuent au même moment sur le rythme d’un renouvellement annuel de leur équipe scabinale. De 1720 à 1759, Dunkerque et Lille prennent exemple sur Calais. L’annualité de la création de la Loy dans les deux cités flamandes n’est plus respectée. Après 1760, Calais se démarque de ses deux homologues flamandes par une faiblesse accrue des renouvellements scabinaux.
28Les premières conclusions tirées de l’étude boulonnaise ne sont nullement définitives suite aux aléas de la conservation des archives. Les équipes scabinales les plus longues dans la durée semblent être celles du premier XVIIIe siècle. Le mayeur Mutinot reste en place du 21 septembre 1723 au 15 décembre 1748, Daniel Meignot est vice-mayeur du 21 septembre 1723 jusqu’en 1738 si l’on se réfère aux signatures, Bernard Cannet et Pierre Isaac Arnoult du 21 septembre 1723 au 11 janvier 1732. Le décès précoce des deux autres échevins François Latteux et son remplaçant M. Martin réduit la durée de leur présence sur les bancs de l’échevinage. L’étude de la longévité des mandats des mayeurs boulonnais confirme cette tendance. Avant 1667, aucun maire ne reste en place plus de dix ans (la moyenne est de six ans). Après cette date, la durée du mandat majoral s’accroît.
29Ainsi, ces quatre villes connaissent une évolution identique mais décalée dans le temps. Le renouvellement annuel de la Loi n’est plus respecté. Il semble que l’espacement des renouvellements soit proportionnel à l’ancienneté du rattachement de la cité à la couronne des lys.
Pérennisation des équipes municipales
30La reconduction des équipes municipales diminue mécaniquement le nombre de postes disponibles. Pour tenter de prendre une première mesure de cette fermeture, en fonction des sources disponibles, nous avons comparé Dunkerque et Calais particulièrement remarquables de par la présence de renouvellements partiels de l’échevinage. L’opération était impossible pour Boulogne-sur-mer, les sources étant trop lacunaires.
Tableau no 2. Nombre de postes réellement disponibles à Dunkerque et à Calais entre 1694 et 1789
1694-1718 | 1719-1743 | 1744-1768 | 1769-1789 | |
Nombre de municipalités théoriques : | ||||
* Dunkerque : | 24 | 26 | 22 | 21 |
* Calais : | 24 | 26 | 26 | 21 |
Nombre de municipalités réelles : | ||||
* Dunkerque | 24 | 13 | 12 | 10 |
* Calais | 19 | 19 | 22 | 6 |
Nombre de postes théoriques de bourgmestres et d’échevins : | ||||
* Dunkerque | 268 | 286 | 242 | 231 |
* Calais | 120 | 130 | 120 | 108 |
Nombre réel de bourgmestres et d’échevins : | ||||
* Dunkerque | 268 | 147 | 135 | 113 |
* Calais | 72 | 76 | 86 | 43 |
Différences en pourcentage entre les effectifs réels et les effectifs théoriques : | ||||
* Dunkerque | * 0 | *-48,6 % (139 places) | *-44,21 % (107 places) | * -51,08 % (118 places) |
* Calais | * -40 % (48 places) | (*-41,53 % (54 places) | *-28,33 % (34 places) | * -60,18 % (65 places) |
31On constate une diminution du nombre de postes plus forte pour Calais que pour Dunkerque dans le premier tiers du XVIIIe siècle. Une des explications de cette chute importante semble la disparition du poste de mayeur, tant à Calais qu’à Boulogne, entre 1695-1714. La réduction du nombre de postes réellement offerts dans la seconde moitié du XVIIIe siècle semble être liée à l’application de la réforme municipale de L’Averdy à Calais, à Dunkerque mais également à Boulogne-sur-mer. Cette réforme ne fut guère appliquée à Lille où le Magistrat de Lille fit obstinément obstruction.
32Cette diminution des postes disponibles se confirme avec le nombre et la durée des mandats des maires :
Tableau no 3. Nombre de mandats de maire et durée moyenne des mandats au XVIIIe siècle
Dunkerque | Calais | Boulogne sur mer | |
Nombre de maire | 21 | 37 | 17 |
Durée moyenne des mandats | 46,4 mois | 32,7 mois | 42,3 mois |
Valeurs extrêmes des mandats | Minimum : 20 mois | Minimum : 12 mois | Minimum : 24 mois |
Nombre de personnes ayant exercé deux mandats | 4 | 2 | 1 |
Tableau no 4. Durée moyenne d’exercice des mandats des bourgmestres au XVIIIe siècle
Durée de l’exercice | Moins de 38 mois | Entre 38 et 46, 4 mois | Plus de 46,4 mois |
Pourcentage de bourgmestres dunkerquois | 42,85 | 23,80 | 33,33 |
Pourcentage de bourgmestres calaisiens | 75,67 | 0 | 24,32 |
Pourcentage de bourgmestres boulonnais | 52,94 | 11,76 | 29,41 |
33On retrouve un profil identique pour les trois cités : une majorité de mandats très courts ou très longs ainsi qu’un écrasement des mandats à durée moyenne. Ces écarts extrêmes révèlent les perturbations dans le renouvellement annuel du Magistrat.
Délaissement des constitutions urbaines
34On constate donc une réduction des postes offerts et un étranglement pour Boulogne et Calais. Cette situation recouvre une réalité complexe où l’on dénote soit une abondance de mandats très courts correspondant aux périodes où le renouvellement annuel était respecté, soit des mandats exceptionnellement longs. Il est donc utile de se pencher sur l’origine de ces perturbations.
35L’une des premières causes de cette diminution de l’offre des postes disponibles est l’intervention du pouvoir royal. Le pouvoir central ne cesse de reconduire les équipes municipales déjà installées. Dès les premières décennies du XVIIIe siècle se manifeste un fort ralentissement du rythme des renouvellements. Les années de la guerre de la Succession d’Autriche s’accompagnent d’une sorte de pérennisation de la même équipe pendant de longues années20. Un tournant décisif est alors pris. Le second XVIIIe siècle, en dépit d’une conjoncture politico-militaire fort stable, prolonge l’espacement des renouvellements. Toutes les occasions furent bonnes pour justifier une « continuation » qu’il s’agisse du mariage du roi ou de la naissance d’un enfant royal. Un point de non-retour est dès lors franchi : les anciens usages s’effacent de la mémoire administrative. C’est la continuation du Magistrat qui devient la règle et non plus la création.
36L’abandon de l’annalité n’est pas une stratégie de dépérissement des institutions locales habilement menée par les représentants du pouvoir central. Les oligarchies municipales ont opposé une faible résistance à cette mise en sommeil des clauses coutumières. Au vrai, ce sont les Magistrats qui sont demandeurs. La prolongation pendant une longue période d’une équipe municipale est rapidement perçue par les bénéficiaires comme la juste récompense de leur zèle21, mérite parfois reconnu par la population elle-même comme le démontre l’exemple du mayeur boulonnais Mutinot qui demeure vingt-trois années à la tête de sa cité. À son décès, la ville organise des funérailles solennelles en témoignage de reconnaissance pour l’œuvre accomplie : remplacement de l’ancienne Maison Commune par un Hôtel de Ville neuf, liaison entre la Haute et la Basse Ville, amélioration des communications avec l’extérieur, condition indispensable pour le développement des échanges et la prospérité de la ville.
37La seconde raison expliquant ces distorsions dans le renouvellement annuel de la Loy est l’importance des besoins financiers de la monarchie française. La réduction du nombre des échevins et des conseillers de ville est un moyen de pression utilisé par le pouvoir royal afin d’obtenir le rachat des mandats restants transformés en offices. Poussé dans ses derniers retranchements par suite des dépenses entraînées par les divers conflits de la fin du XVIIe siècle, jouant sur l’attachement de ces cités à leurs libertés, le pouvoir royal utilise un moyen efficace pour obtenir de l’argent frais : la transformation des mandats électifs en offices. Les villes doivent racheter ces offices sous peine d’être dépossédées de leur souveraineté comme le démontre l’exemple calaisien. Les ordonnances de 1692 entrent en application. La ville de Calais, ne voulant pas souscrire à cet emprunt forcé, refuse de racheter l’office de maire qui est purement et simplement supprimé par le pouvoir royal. Le vice-mayeur fait office de maire de 1694 à 1714. La monarchie, toujours impécunieuse, utilise le même procédé en 1733. La ville n’ayant pas racheté les offices, l’intendant ordonne de cesser toute élection le 13 janvier 1734. Les finances de Calais sont dans un état désastreux. Aussi en 1772, lors de l’abandon de la réforme municipale de L’Averdy, elle est incapable de racheter les offices municipaux. La ville est alors administrée pendant dix ans par un corps nommé par lettre de cachet. Ce n’est qu’en 1783 que les offices sont rachetés par trois bourgeois enrichis ayant acheté leur noblesse et par un négociant présent dans l’échevinage dès 1769.
38L’abandon de la réforme L’Averdy a pour conséquence inattendue à Boulogne-sur-mer la réduction du nombre des électeurs du second scrutin. En 1764, lors de la mise en place de la réforme municipale, les élus disparaissent et sont remplacés par quatorze notables qui choisissent l’échevinage et administrent avec eux la cité. En 1771, la réforme est abandonnée. En 1772, l’ancien système est partiellement repris. En effet, les quatorze notables sont conservés au détriment du système des vingt-et-un. De ce fait, moins de notables boulonnais participent à l’exercice du pouvoir local.
39L’application des réformes municipales motivées par des besoins financiers pressants, ainsi que la volonté de récompenser des hommes dévoués aux intérêts de la Couronne en prorogeant leurs mandats, expliquent ces perturbations dans le renouvellement de la Loy. Le déclin économique de Calais concurrencé par Dunkerque (port franc) et Boulogne-sur-mer (bénéficiaire d’exemptions fiscales pour favoriser son commerce) pourrait expliquer la gravité des perturbations observées dans le rythme de création du Magistrat de cette cité.
Le portrait des élites municipales septentrionales
40Ces remous dans les méthodes employées pour renouveler les équipes scabinales entraînent de ce fait une ouverture ou une fermeture de l’échevinage aux nouveaux venus. Il est dès lors utile de tenter de mesurer ce phénomène et de retrouver l’origine sociale des hommes qui peuplent les bancs des hôtels de ville.
L’apparition des homines novi
41Pour mesurer l’impact de ces mesures sur le recrutement des échevins, nous avons tenté de calculer le poids des familles nouvelles (apparues depuis moins de deux générations) au sein des différents échevinages. Pour ce faire, nous avons repris la méthode utilisée par Philippe Guignet22 et avons comparé aux chiffres qu’il fournit pour Lille ceux obtenus par nos recherches à Dunkerque, Calais et Boulogne-sur-mer. L’étude de la parentèle féminine permet d’aborder cette question sous un nouvel angle. Laurent Coste insiste sur la nécessité d’affiner la méthode Guignet qui omet la parenté matrilinéaire et les alliances matrimoniales23. En étudiant ces dernières, on peut s’apercevoir que nombre d’homines novi ne sont guère des nouveaux venus dans les allées du pouvoir municipal. Aussi, les données produites dans le tableau ci-dessous ne constituent-elles qu’une première étape dans l’identification des nouvelles familles accédant au Magistrat.
Tableau no 5. Poids relatif des familles apparues depuis moins de deux générations au sein des Magistrats entre 1650 et 1789
Période | Lille | Dunkerque | Calais* | Boulogne |
1650-1674 | 50,89 | 67 | 35,89 | INC |
1675-1699 | 48,87 | 55,55 | 45,09 | INC |
1700-1724 | 51,14 | 43,85 | 42 | INC ** |
1725-1749 | 47,89 | 48,83 | 42,22 | 60 |
1750-1774 | 54,8 | 67,21 | 38,46 | 44,4 |
1775-1789 | 52,63 | 42,68 | 42,85 | 1775-1780 : 25 |
Notes :
1. Les pourcentages de Calais pour l’extrême fin du XVIIIe doivent être nuancés par le fait que les offices municipaux ont été rachetés par des particuliers. Pour la dernière période citée, sept familles seulement sont présentes à l’échevinage.
2. Pour Boulogne-sur-mer, les registres étant incomplets et tous les noms des titulaires des différents postes n’étant pas parvenus jusqu’à nous, nous avons tenté une estimation en relevant le nom des personnes présentes entre 1707 et 1724 pour tenter de calculer le poids des nouvelles familles et vérifier si Boulogne suivait plutôt le modèle calaisien ou le modèle flamand. Pour la période 1707-1724, malgré les lacunes, nous relevons quatorze noms et pour la seconde période, où l’on peut suivre davantage le renouvellement de la Loy, nous ne comptabilisons que quinze patronymes.
42Au XVIIe siècle, à Lille, on compte 214 familles scabinales et au XVIIIe siècle, 143 familles sont présentes dans l’échevinage. À Dunkerque, on dénombre, entre 1692 et 1792, 185 patronymes différents. On recense 123 patronymes à Calais au XVIIIe siècle. Le gouvernement municipal lillois a toujours bénéficié d’une politique d’ouverture aux nouveaux venus24. Les familles apparues depuis moins de deux générations fournissent encore 54 % des échevins, en 1750-1774, et 52 % d’entre eux, entre 1775 et 1789. La situation est semblable à Dunkerque où l’on constate cependant des taux supérieurs à ceux observés à Lille, excepté pour la période 1700-1724, conséquence directe de l’application du traité d’Utrecht et de l’ensablement du port de Dunkerque. En conséquence, à la veille de la Révolution, plus des trois quarts des lignées représentées dans l’échevinage n’ont fait leur entrée dans les allées du pouvoir municipal qu’au XVIIIe siècle.
43À Lille, toutefois, les plus anciennes familles occupent une position significative. Si l’on scrute non pas le nombre des familles mais la durée des fonctions assumées par chacune d’entre elles, il apparaît qu’au cours des trois siècles, étudiés par Philippe Guignet, trois familles ont dépassé les quarante ans de gouvernement municipal : ce sont les Imbert (quarante-cinq ans), les Hespel (cinquante-deux ans) et les Cardon (soixante ans). À Dunkerque, sur la même période, le fait familial domine puisque 400 notables sur les 703 appartiennent au type de présence familiale (soit 57,89 % de l’effectif) alors que 296 notables sont seuls à illustrer une famille. À Calais, entre 1662 et 1789, on comptabilise 175 familles dont seize fournissent quatre à douze représentants ou candidats à l’échevinage25 soit quatre-vingt-trois personnes ou 47,42 % de l’effectif. Ces influents lignages cohabitent avec une multitude de familles dont la seule ambition est d’accéder au Magistrat, même pour n’y faire qu’une courte apparition26.
44Cette concentration du pouvoir au sein d’un petit groupe de familles apparaît plus forte encore si l’on tient compte de la pratique de l’intermariage qui tisse un réseau de parentés et d’alliances recouvrant des secteurs entiers de la haute société.
Présence inégale des ordres privilégiés au sein du Magistrat
45Après avoir évalué le poids des nouvelles familles au sein de ces quatre échevinages, il importe de connaître les ordres auxquels elles appartiennent. Le poids de la noblesse et du clergé dans ces assemblées municipales pourra être ainsi évalué. À Lille, Philippe Guignet note que, de 1560 à 1620, sur trente-cinq personnes ayant assumé la fonction de rewart et de mayeur, dix-neuf peuvent exciper de leur appartenance au second ordre. De 1621 à 1667, elles sont vingt-six sur vingt-huit. Cette affirmation croissante de la noblesse dans les emplois dirigeants a été encouragée par les archiducs Albert et Isabelle dans une lettre du 28 octobre 1614. Le souhait de voir préférer les « gentilshommes lettrez, rentiers et autres bien qualifiez » est alors explicitement exprimé auprès des « commissaires au renouvellement ». Au XVIIIe siècle, la pénétration de l’ordre noble dans le gouvernement urbain s’amplifie. Dans les dix-sept promotions au Magistrat des deux dernières décennies du siècle, les échevins du second ordre forment 40,7 % de l’effectif total. Dans les équipes scabinales de 1771, 1772, 1774, 1779, 1782 et 1785, le pourcentage des nobles atteint 63,7 %. Bien sûr, il n’y a parmi eux aucun noble d’ancienne extraction mais tous sont authentiquement nobles. Ce modèle de recrutement de forte coloration nobiliaire est d’autant plus digne de mention que le négociant n’est pas à Lille persona non grata.
46À Dunkerque, ville proche de Lille par sa constitution et qui n’a pas subi le rachat des charges municipales, on constate également une coloration nobiliaire. Elle est cependant nettement moins affirmée qu’à Lille. Sur les neuf équipes scabinales, celles de 1771, 1772, 1774, 1776, 1778, 1780, 1781, 1786, 1789, on retrouve des seuils minimum oscillant entre 9 % en 1789 et 36,6 % en 177827 soit une moyenne de 18,23 % de 1771 à 1789. À Boulogne, les nobles sont également présents dans l’échevinage de 1687 à 1789. Sur dix-huit mayeurs, douze sont des nobles qualifiés de seigneurs, soit 66 %. Dans les équipes scabinales de 1771, 1773,1774, 1775, 1776, 1777, 1778, 1779, les pourcentages de personnes dont la noblesse28 ne fait aucun doute oscillent entre 16,6 % en 1775 et 50 % en 177929. Rappelons qu’il ne s’agit que d’un seuil minimum. À Calais, la situation est différente car les municipalités de 1772 et 1783 sont nommées par lettres de cachet du Roi. En 1783, les charges de maire et échevins sont rachetées par des particuliers. D’où des nuances à apporter quant à la couleur nobiliaire de la dernière décennie de l’Ancien Régime. En effet, l’état actuel de nos recherches ne nous permet pas de préciser l’origine sociale de l’équipe de 1772. Par contre, les deux listes de 1783 comportent des renseignements plus précis en ce qui concerne les acheteurs des charges municipales mises à l’encan. Des taux comparables à ceux relevés à Lille s’y retrouvent.
Tableau no 6. Origine sociale des équipes scabinales calaisiennes de 1772 à 1789
En pourcentage de l’effectif | 25/11/1772 | mars 1783 | fin 1783 |
Personnes nobles | données inconnues | 66,6 | 66,6 |
Origines inconnues | données inconnues | 16,6 | 33,33 |
état ecclésiastique | données inconnues | 16,6 | 0 |
47À Dunkerque30 et à Lille, il n’y a pas de privilèges fiscaux attachés à l’état de noblesse. C’est au nom de la défense des « libertés urbaines » que le Magistrat de Lille écrit « La ville de Lille a pour elle des titres et des privilèges selon lesquels toutes personnes sans distinction doivent paier toutes les impositions sans aucune exception. » Ce ne sont pas des prétentions démocratiques qui motivent les échevins à refuser des exemptions fiscales réclamées par la noblesse, mais le sentiment très vif d’appartenir à une « commune », bref, une collectivité urbaine dont les membres sont nécessairement solidaires les uns des autres. Cependant des tensions existent à Boulogne-sur-mer, selon l’écrivain anglais Tobias Smolett qui fit un séjour de quelques mois dans la cité en 1763. Il écrit que les nobles qui habitent surtout dans la haute ville évitent d’« entretenir de rapports avec les marchands qu’ils appellent des plébéiens… mais l’on voit que cela n’est affecté que pour cacher leur pauvreté ». À Calais, des frictions importantes apparaissent entre négociants et nobles lors de l’application de la réforme municipale de L’Averdy. Le 13 mai 1766, le comte de Calonne est élu à la pluralité des voix mais il prend cet honneur pour un affront. Il utilise ses relations en Cour pour obtenir l’annulation de son élection. Le comte de Saint-Florentin et l’intendant écoutent ses doléances et lui donnent satisfaction par retour de courrier : « La noblesse n’est pas faite pour occuper ses sortes de place31. » La coexistence de membres issus d’ordres différents n’est pas toujours aisée. Il se peut que l’ancienneté de la noblesse soit un facteur aggravant les dissensions entre les échevins issus du Tiers et ceux du second ordre.
48Dans ces villes qui sont au contact du monde « religionnaire » et qui vérifient systématiquement l’appartenance au catholicisme, trouve-t-on des Magistrats peuplés des représentants du premier ordre ? À Lille, tout comme à Dunkerque, le clergé est absent des rangs scabinaux. Il n’est pas question de voir dans ces deux échevinages une preuve de déchristianisation. On peut reprendre les conclusions de Philippe Guignet32 également pour Dunkerque. Si nul gouvernement municipal n’est plus animé de ferveur catholique et plus soucieux du salut de l’âme de la population que le Magistrat, pour adopter une terminologie contemporaine, nul échevinage n’est moins « clérical » que lui, en ce sens qu’il veille à ce que les ecclésiastiques ne participent pas à l’administration temporelle33.
49Par contre, on les retrouve à Calais et à Boulogne, parmi l’échevinage, après la réforme municipale de L’Averdy. Ainsi à Calais, on compte parmi les quatre échevins « continués » par le pouvoir royal, entre 1772 et 1783, l’abbé Simon Garret, curé de la citadelle. Ceci représente l’ultime étape de la conquête du pouvoir municipal par le clergé, conquête entreprise sous la réforme L’Averdy avec l’entrée d’un clerc parmi les notables, et poursuivie par l’agrégation d’un membre du premier ordre parmi les conseillers dès 176734. Le même phénomène est observable à Boulogne-sur-mer puisque nous pouvons noter l’entrée de Caffiery, chanoine notable du chapitre, dans l’échevinage boulonnais, le 10 janvier 1773. Il y demeure jusqu’au 15 septembre 1776. La réforme de L’Averdy a permis dès le 6 juillet 1765 l’entrée des ecclésiastiques dans la municipalité avec l’élection de Jean Ducrocq, doyen des chanoines, au rang de 3e conseiller. Cette introduction de membres du premier état est d’autant plus remarquable que cet état semblait être une condition incompatible avec les charges scabinales dans le premier tiers du XVIIIe siècle35.
50Calais, Boulogne, Dunkerque et Lille présentent des échevinages qui prennent une coloration nobiliaire plus marquée au fur et à mesure qu’avance le XVIIIe siècle. La recherche de l’obtention de cette qualité est à rattacher, semble-t-il, avec l’intégration croissante de ces cités au royaume de France. L’appartenance à la noblesse devient un instrument pour appartenir aux réseaux d’influence de la capitale. Par contre, une nette césure apparaît de nouveau entre Boulogne et Calais d’une part et les deux cités flamandes d’autre part. Dans ces deux dernières cités, malgré le soutien accordé aux œuvres ecclésiastiques, il est hors de question d’admettre un clerc sur les bancs de l’échevinage.
Domination du négoce et de la loi
51Après avoir déterminé le poids des deux premiers ordres, il est nécessaire de d’identifier les professions exercées par les échevins originaires du Tiers. Au XVIIIe siècle, à Lille, si on considère comme base d’analyse les trente-sept familles nouvellement promues dans le second XVIIIe siècle, Philippe Guignet36 relève trois composantes : des négociants, des hommes de loi et des nobles rentiers ou en garnison dans la capitale de la Flandre. Les hommes de Loi ne sont pas les plus nombreux. Leur place seconde s’explique par l’obstacle juridique s’opposant à Lille à l’entrée d’avocats dans le gouvernement municipal. Les hommes du négoce forment environ 40 % des homines novi. Ils accèdent au corps échevinal après une vie professionnelle leur ayant conféré l’expérience du négoce. C’est donc un Magistrat dont, contrairement aux poncifs, les rangs ne sont pas massivement peuplés de représentants de la bourgeoisie d’affaires qui assure la régulation globale de cette ville où le commerce occupe pourtant une grande place.
52À Dunkerque, Calais, Boulogne, on retrouve des avocats dans les rangs de l’échevinage. Il n’y a pas d’obstacles à Dunkerque concernant les professions juridiques. Les compétences des avocats y sont prisées, du moins dans la première moitié du XVIIIe siècle. Le Magistrat dunkerquois a à sa disposition des hommes compétents pour remplir au mieux ses missions de police. À Calais, les officiers du Roi n’étaient autorisés ni à élire l’échevinage ni à y entrer.
53À l’extrême fin du XVIIIe siècle, la reconstitution de la décennie de 1770 à 1779 à Boulogne-sur-mer on trouve la ventilation par profession présentée ci-dessous.
Tableau no 7. Activités professionnelles des échevins de Boulogne-sur-mer entre 1771 et 1779

Tableau no 8. Activités professionnelles des échevins de Calais entre 1772 et 1783
Professions en % de l’effectif scabinal | 25 novembre 1772 | mars 1783 | fin 1783 |
Profession inconnue (rentier ?) | 50 | 66,66 | |
Négociant | 50 | 16,6 | |
Marchand | 33,33 | ||
Profession juridique (avocat) | 16,6 | 33,33 | 6,6 |
État Ecclésiastique | 16,6 |
Tableau no 9. Activités professionnelles des échevins de Dunkerque (à l’exclusion des trois conseillers pensionnaires qui sont obligatoirement des avocats) entre 1771 et 1789

54Tout comme à Lille nous retrouvons trois catégories « professionnelles » présentes à Calais, Boulogne et Dunkerque, à savoir les négociants, les avocats et les professions non précisées (sans doute s’agit-il de personnes qui vivent de leurs rentes, anciens militaires, bourgeois récemment anoblis). Ici transparaît le poids des facteurs géographiques et économiques. Ces quatre villes tirent leurs richesses du commerce : contrebande d’alcool en direction de l’Angleterre pour Boulogne, Calais et Dunkerque ainsi que la pêche pour Boulogne et Dunkerque, activités manufacturières (sayetterie et bourgetterie) et du négoce des toiles de direction méridienne37 pour Lille. Une des activités principales de Boulogne est la pêche et avant tout celle du hareng et du maquereau38. Celle-ci est en déclin ; en 1729, il n’y a plus que 32 bateaux boulonnais de six à douze tonneaux auxquels on peut ajouter 12 bateaux portelois, alors qu’il y en aurait eu 80 à 100, cinquante ans plus tôt. à ce déclin, deux causes essentielles : d’une part les taxes, notamment le droit d’un sol par livre mis sur les exportations de poisson salé vers la Normandie ; d’autre part « l’estat dangereux du port… presque bouché par un banc de sable ». Cette situation désastreuse gêne bien plus encore le commerce. Or en temps de paix, Boulogne pouvait être un centre intéressant de commerce avec une Angleterre en pleine expansion. Les marins boulonnais allaient à Brouage chercher du sel pour le poisson, et surtout à La Rochelle, Nantes et Bordeaux chercher du vin et des eaux-de-vie. Les Anglais avaient leurs propres entrepôts et leurs négociants (les Francia et les Ballantyne) installés à Boulogne. Le commerce de contrebande des eaux-de-vie et du thé dit de Flessingue était plus important que le commerce légal. Pour les eaux-de-vie le commerce interlope était assuré par les smogglers anglais qui les introduisaient en fraude dans leur pays. Comptait aussi le trafic du thé. Les Anglais venaient y chercher le bon thé fourni par la compagnie des Indes mais s’y ajoutait un commerce d’un thé de très mauvaise qualité dit de Flessingue. Il coûtait six fois moins cher que le précédent et certains négociants peu scrupuleux faisaient des mélanges et des bénéfices considérables. En 1789, sur 1 136 bateaux enregistrés à l’entrée, on relève 117 navires français (sans compter les caboteurs), 88 hollandais et 931 smogglers. Les activités de Lille diffèrent quelque peu. Selon Philippe Guignet, Lille ne fait pas partie de cette cohorte de villes, si nombreuses sous l’Ancien Régime qui trouvent principalement dans les fonctions administratives, politiques et judiciaires leur point fondamental d’équilibre. Le textile (sayetterie et bourgetterie) et le commerce font vivre Lille. Les directions du commerce malgré l’intégration au royaume de France ne varient guère. Les étoffes lilloises continuent à être exportées vers l’Italie, l’Allemagne et la France, et prennent de plus en plus la direction de l’Espagne et du Nouveau Monde. Le poids du marché espagnol est une donnée pérenne du négoce lillois jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Le négoce textile témoigne d’une santé florissante mais il serait néanmoins exagéré de présenter une analyse unilatéralement négociante des milieux dirigeants lillois. On n’a pas suffisamment souligné que le nombre de rentiers double à Lille en un quart de siècle et qu’il forme en 1785 un groupe social trois fois plus nombreux que l’ensemble des négociants, des banquiers et des manufacturiers. Quant aux milieux dirigeants que dominent les officiers de haut rang et les membres du Magistrat, ils sont largement investis par la marée montante des ramasseurs de rentes, de tous ceux qui vivent bourgeoisement de leurs biens. Mais à côté de ces oligarchies bien assises et caractéristiques de la société d’Ancien Régime, se développe et s’enrichit une bourgeoisie dynamique de grands négociants et d’entrepreneurs appelée à devenir, dès la Révolution de 1789, le fer de lance des classes dirigeantes lilloises.
55Les homines novi sont essentiellement des négociants ou des entrepreneurs et ils tentent de réaliser des alliances matrimoniales avec des familles déjà établies. Pour Dunkerque, nos conclusions rejoignent celles obtenues par Philippe Guignet pour Lille : 38,30 % des homines novi du XVIIIe siècle proviennent du négoce, 14,34 % du monde des avocats et 28,43 % ont épousé une fille appartenant à une famille scabinale. À Dunkerque, on constate une part croissante des négociants au sein de l’échevinage voire une domination sans conteste à l’extrême fin du XVIIIe siècle au détriment des avocats. Il semble que l’attention apportée par Calonne au port de Dunkerque lors de son intendance ou de son passage au Contrôle général explique cette montée en puissance des grands négociants39. Pour Boulogne et Calais, nos premières recherches semblent indiquer que les professions exercées et apportant l’honorabilité nécessaire pour entrer à l’échevinage sont identiques à celles pratiquées par les échevins des villes flamandes. Les membres du Tiers sont essentiellement des avocats, des négociants ou des marchands.
56L’étude des homines novi permet de démontrer, lorsque les registres de catholicité en ont conservé les traces, que ces hommes étaient issus de familles tenant le haut du pavé. Ainsi, certains homines novi dunkerquois présentent-ils une ascendance scabinale extra dunkerquoise flatteuse40. Les liens inter cités et professionnels peuvent déterminer la conclusion de certaines alliances matrimoniales. En étudiant la généalogie des Gressier et des Campmajor à Boulogne, on constate également que certains de leurs membres originaires de Calais ont épousé des filles de familles scabinales de Boulogne41. Ces alliances permettent également de retracer le dynamisme de certaines cités et donc l’attractivité de leur Magistrat.
57En effet, au XVIIIe siècle, Calais connaît un marasme économique profond. Certaines familles anciennes tels les Beteford, les Darras (présents dès 1625-1649), sont absentes de l’échevinage calaisien après 1724. Or un Beteford, Pierre Claude, est nommé administrateur de l’Hôpital de Dunkerque en 1734 tandis que Beteford Jean est conseiller à la chambre de commerce de Dunkerque de 1732 à 1739. Ce dernier est témoin au mariage de son cousin Jean François Marcadé (famille scabinale dunkerquoise) avec Marie Thiery, sœur de Joseph et Louis, entrepreneurs des travaux du roi (famille scabinale dunkerquoise). Leur neveu Jean Jacques De Cassel devient échevin à Dunkerque à partir de 1757. Quant aux Darras, on retrouve deux représentants à Dunkerque au début du XVIIIe siècle (le père et le fils présents dans l’échevinage dunkerquois entre 1705 et 1732 ; le second entre 1772 et 1776). Ils sont apparentés aux Omaer, procureurs à l’Amirauté, ces derniers étant alliés aux Duthoict-Taverne et Remy, autres familles scabinales dunkerquoises. Les Mollien (issus de l’échevinage de Calais où ils sont présents dès 1625-1649) se retrouvent à Dunkerque grâce à des alliances conclues avec Herreford Roger (bourgmestre de Dunkerque de 1702 à 1709 puis de 1716 à 1719). En 1732, Dominique Pierre Morel, dirigeant d’une maison de commerce de Calais, s’installe à Dunkerque. La fuite des élites municipales calaisiennes vers Dunkerque se poursuit donc au XVIIIe siècle. Pour maintenir leur statut, elles intègrent le Magistrat de Dunkerque en utilisant les alliances matrimoniales ou leurs parentèles déjà établies à Dunkerque.
58Au travers de cette première étude des élites municipales de Calais, Boulogne, Dunkerque et Lille, les oppositions entre cités littorales et de l’intérieur doivent, semble-t-il, être relativisées. Un mode de renouvellement de la Loy plus ouvert grâce au scrutin n’est pas la garantie d’un accès plus facile à l’échevinage pour tout nouveau venu. Des points de concordance apparaissent entre ces villes : le poids de l’intervention du pouvoir royal motivé par des besoins financiers, la volonté de récompenser des équipes municipales fidèles dans des zones frontières expliquent les distorsions apparues dans les créations de la Loy. D’où une fermeture progressive des échevinages et le renforcement du poids de certaines familles. Ces dernières renforcent leur influence en gagnant la faveur du représentant du pouvoir royal, en tissant des alliances qui permettent d’intégrer des homines novi, issus le plus souvent du négoce.
59Les différences ne doivent pas être recherchées dans une opposition géographique mais relèvent davantage d’un facteur historique. Le poids plus ou moins sensible de l’intervention royale dans la composition de la Loy, l’accroissement plus ou moins rapide de l’influence du commissaire royal dans la nomination des nouveaux membres du Magistrat, permettent d’opposer Calais et Boulogne d’une part à Dunkerque et Lille d’autre part. Les villes dont l’intégration au royaume des lys est la plus ancienne et où l’économie est la plus atone subissent davantage la férule du pouvoir royal et connaissent une fermeture plus marquée des rangs scabinaux aux nouveaux venus.
Notes de bas de page
1 Guignet P., Le pouvoir dans la ville au XVIIIe siècle. Pratiques politiques, notabilité et éthique sociale de part et d’autre de la frontière franco-belge, Paris, Ehess, 1990.
2 Des témoignages d’hostilité à la souveraineté française sont relevés en 1652 lors de la remise de Dunkerque à la couronne espagnole (Lemaire L., Histoire de Dunkerque des origines à 1900, Dunkerque, Imprimerie du Nord maritime, 1927).
3 Guignet P., Vivre à Lille sous l’Ancien Régime, Paris, Perrin, 1999, p. 98.
4 Description du renouvellement de l’échevinage de 1749. Arch. mun. de Boulogne-sur-mer, B. B 5 folio 13. Le nombre et la qualité de ces électeurs ne sont guère connus. Le greffier a parfois conservé le nom des abstentionnistes car ces derniers sont frappés d’amende comme le démontre la description de l’élection de 1749. Le dimanche matin, après la harangue de l’avocat du roi se fait « l’appel des bourgeois. Le greffier a croisé les absents. L’avocat pour le procureur du Roy a requis acte de l’appel deffaut contre les absents qu’ils fussent condamnez en l’amende […] ». Une liste de noms comportant le patronyme des absents suit cette notation car les défaillants sont « condamnés […] en vingt sols parisis d’amende envers la ville quant à ceux contre lesquels il y a deffaut à la dernière élection attendu la récidive les condamnons en 3 Lt d’amende ». Selon les registres parvenus jusqu’à nous, on peut dénombrer quatorze abstentionnistes en 1748, onze en 1749, trente-deux en 1754, vingt-quatre en mars 1760.
5 Arch. mun. de Boulogne-sur-mer, B.B. 5, folio 14. Dans cette cité, le vote de la deuxième instance se déroule en dehors de l’échevinage sortant ou des représentants royaux. Après l’appel des bourgeois et après avoir couché par écrit le nom des abstentionnistes, les membres de l’échevinage prennent « le serment des bourgeois présents de bien et fidellement se comporté au fait de l’élection et après avoir admonesté les bourgeois d’y procéder fidellement. Nous nous sommes retirés à l’hostel de l’avocat du Roy par emprunt faute de place à l’hôtel de ville, afin de laisser aux bourgeois la liberté de procéder à la dite élection dans la salle du dict hotel de ville ». Les vingt bourgeois procèdent à l’élection du vingt-et-unième pendant que l’équipe municipale sortante dîne. Le vingt-et-unième élu est ensuite présenté à l’échevinage sortant et il prête serment. On le renvoie « pour procéder avec les autres bourgeois qui y sont à l’élection des maires et échevins ». Quand l’élection est terminée, le vingt-et-unième vient quérir l’ancienne équipe municipale qui se rend alors à l’Hôtel de ville. « Le vingt-et-unième donne le mémoire de l’élection au greffier de la ville qui, après avoir fait le signe de la Croix, a fait lecture à haute voix du dit mémoire. » Les résultats sont proclamés. On va quérir les nouveaux échevins. Ces derniers prêtent serment à l’instant, le peuple crie « Vive le Roy et monsieur le maire de la ville. »
6 Arch. mun. de Calais, B. B 47 folio 21. L’année 1763 est un étiage puisqu’on ne recense que vingt-six électeurs pour le scrutin majoral. En 1747, le 4 décembre, le procureur se plaignait déjà que les abstentions d’électeurs fussent trop nombreuses. Aussi, l’échevinage fait une obligation à tous ceux qui, en vertu du règlement de 1662, ont le droit d’exprimer leur suffrage le premier jour de l’an aux élections, sous peine de 3 Lt d’amende applicables aux absents sans excuses valables. L’année suivante, le procès-verbal précise que les bourgeois sont venus en grand nombre. Cependant, 103 électeurs seulement sont recensés.
7 Guignet P., Vivre à Lille sous l’Ancien Régime, op. cit., p. 100.
8 Arch. mun. de Dunkerque, série ancienne no 35, renouvellement du Magistrat.
9 Faulconnier P., Description historique de Dunkerque. Ville maritime et port de mer très-fameux dans la Flandre occidentale. Contenant son origine et progrès, la conversion de ses habitants au christianisme, l’institution de ses premiers magistrats… les grands hommes qu’elle a produits, leurs métiers, et la fortune à laquelle ils se sont élevez. Avec une description exacte de ses principaux édifices, de ses premières murailles, de ses fortifications, et des augmentations d’icelles…, Bruges, chez P. Vande Cappelle et A. Wydts, 1730, p. 19-21 et Carlier J. J., « Journal de M. Henri Verbeke, avocat et échevin de la ville et territoire de Dunkerque 1758-1764 », Bulletin de l’Union Faulconnier, Société historique et archéologique de Dunkerque, tomes 16 et 17, 1913-1919.
10 Dans les ordonnances, le nom du rewart figure en tête ; il a le pas dans les députations. Néanmoins dans les assemblées de la Loi, son autorité est loin d’être prépondérante. Au conclave, c’est le mayeur qui préside aux délibérations ; le rewart recueille les voix et fait connaître les résultats du vote (Guignet P., Vivre à Lille sous l’Ancien Régime, op. cit., p. 95).
11 Le rôle du deuxième banc est de suppléer les échevins dans les actes de juridiction volontaire (juridiction gracieuse) tels que l’enregistrement des contrats. Ils délibèrent avec les échevins dans les assemblées générales de la Loi.
12 Ces prud’hommes forment une véritable administration financière chargée de répartir l’impôt entre les contribuables, d’apprécier les charges de la ville et de contrôler les paiements.
13 En 1737, un règlement échevinal porte à trois le nombre de trésoriers.
14 Expilly J. J., Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de France, Paris et Amsterdam, chez Dessaint et Saillant, Bauche, Herissant, Despilly, Nyon, Leclerc, Pissot, MDCCLXVI (1766), réédité par Krauss, 1978.
15 Les trois conseillers pensionnaires apparaissent au sein de la Loy en 1666. Ce sont des avocats propriétaires de leur office. Ces hommes de dossiers expliquent la loi, éclaircissent les points de litige. Ils préparent les dossiers qui permettent aux échevins de prendre leurs décisions. Lors des débats, ils n’ont qu’une voix consultative mais étant considérés comme des spécialistes leurs avis l’emportent. Ce sont eux les véritables inspirateurs de la politique municipale. Leur influence est d’autant plus efficace que les offices se transmettent au sein de la même famille. Le poids des conseillers pensionnaires est également très important à Lille. Philippe Guignet se pose la question de savoir si l’on peut incriminer, comme le fait en 1730 le conseiller à la gouvernance de Courcelle, le pouvoir occulte et sans limites des pensionnaires qui « décident, parlent et disposent sans que [les échevins] n’en sachent rien ». L’ensemble des textes montre bien que les échevins, conseillers et huit hommes n’étaient pas de simples fantoches. Cependant, la façon de présenter le dossier influence très fortement la Loi.
16 À Calais, les élections se déroulent sous le patronage du gouverneur de la ville. Le 1er janvier à huit heures, le maire dont le mandat expire se rend avec ses collaborateurs chez le commandant de la place, chez le commandant de la marine, le curé, le président de la justice royale, l’ingénieur en chef et enfin chez le commandant de l’artillerie, le commandant du Courgain, le major de la place, les colonels ou commandants de chaque corps militaire, les commissaires des guerres, le commissaire de la marine, le consul en charge. Le nouveau maire prête serment de fidélité devant le gouverneur ou son représentant.
17 D’après la transcription dactylographiée de la série B. B des archives communales de Calais par Tison G., « Les élections municipales à Calais de 1560 à 1790 », Bulletin de la société historique du Calaisis, no 77, 1931, p. 15-16.
18 Ainsi, la plupart des bourgmestres et des principaux échevins de Dunkerque sont-ils tous de très proches parents du trésorier. Ces alliances et parentés sont indispensables pour assurer au Magistrat les fonds nécessaires pour faire face aux ponctions imposées par le pouvoir royal (emprunts forcés, entretien des fortifications, etc). Le trésorier de la ville doit être capable de lever sur son propre crédit de l’argent frais.
19 Guignet P., Vivre à Lille sous l’Ancien Régime, op. cit., p. 99.
20 Arch. mun. de Dunkerque, série ancienne no 35. À Dunkerque, l’équipe municipale de 1739 reste en charge jusqu’au 13 mars 1745. Le registre indique seulement à la date anniversaire du renouvellement : « Le Magistrat est reconduit par l’intendant. » Le bourgmestre Nicolas François Doncquer reste en place du 13 octobre 1738 au 19 septembre 1757, soit un mandat exceptionnel de dix-huit ans et onze mois dépassant très largement « la durée moyenne » de l’exercice majoral au XVIIIe siècle, à savoir quarante-six mois. Son successeur Louis Vernimmen demeure à la tête de la cité cinq années et le dernier bourgmestre de Dunkerque, Charles Thiery, reste en place cinq ans et quatre mois.
21 Arch. mun. de Boulogne-sur-mer B.B. 34, Pièce 2. En 1720 et en 1730 le Magistrat est confirmé par l’intendant « suite aux marques de sa satisfaction ». Le duc de Villequier justifie le choix de Grandsire comme maire de Boulogne, dans une lettre expédiée de Rouen datée du 27 octobre 1789, en indiquant « l’opinion que j’ay de ses talents et de son honnêteté me fait penser que cette nomination ne sera pas moins agréable à ses concitoyens qu’utile aux intérêts dont il est chargé ».
22 Guignet P., Le pouvoir dans la VILLE au XVIIIe siècle. Pratiques politiques, notabilité et éthique sociale de part et d’autre de la frontière franco-belge, op. cit., p. 330-334.
23 Coste L., Messieurs de Bordeaux. Pouvoirs et hommes de pouvoirs à l’Hôtel de ville 1548-1789, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, Centre aquitain d’histoire moderne et contemporaine, 2006, p. 186.
24 Guignet P., Le pouvoir dans la ville au XVIIIe siècle. Pratiques politiques, notabilité et éthique sociale de part et d’autre de la frontière franco-belge, op. cit., p. 336.
25 À Calais, la répartition du nombre d’échevins ou de candidats échevins fournis par les familles se présente comme suit : 118 familles fournissent 1 personne ; 27 familles fournissent 2 personnes ; 14 familles : 3 personnes (Betefort, Blanquart, Caillette, Danjan, Faillant, Gaddebled, Isaac) ; 8 familles : 4 personnes (Bernard, Darras, Bridault, Grésy, Hache, Lebrun, Le Mahieu, Morel) ; 4 familles : 5 représentants (Mareschal, Mollien, Ponthon, Porquet) ; 2 familles : 6 représentants (Duflos, Hedde) ; 1 famille fournit 7 représentants (Thellier) ; 1 famille fournit 12 représentants (Guillebert).
26 Il s’agit bien sûr des « météores » tels que les définit Saupin G., dans Nantes au XVIIe siècle. Vie politique et société urbaine, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1996, p. 345-353.
27 Les pourcentages pour Dunkerque se répartissent de la façon suivante 1771 : 27,27 %, 1772 : 18,18 %, 1774 : 18,18 % (mais 36,36 % si deux des échevins ont acquis la noblesse), 1776 : 18,18 % (mais 45,45 % possible), 1778 : 36,36 % (mais 54,45 % possible), 1780 : 27,27 % (45,45 % possible), 1781 : 27,27 % (mais 36,36 % possible), 1786 : 18,18 % (mais 27,27 % possible) 1789 (9,09 %). Il est en effet difficile de connaître la date d’achat d’un office de secrétaire du roi, moyen le plus fréquent pour accéder à la noblesse. Cependant, la plupart des filles de ces « nouveaux nobles » convolent en justes noces avec des époux de noblesse plus ancienne. La présence d’officiers facilite ces rapprochements entre ces deux noblesses.
28 Seules les reconstitutions généalogiques permettront de distinguer les personnes qui ont acquis la noblesse, souvent par achat de charges anoblissantes (conseiller du roi), de celles qui s’en donnent l’apparence tel Claude Meignot de Malframbus qui est député du Tiers État du Boulonnais, négociant en cette ville. Le greffier n’a pas toujours indiqué écuyer ou conseiller du roi.
29 Les pourcentages se répartissent de la façon suivante : 1771 : 40 %, 1773 : 40 %, 1774 : 50 %, 1775 : 16,6 % 1776 : 50 %, 1777 : 33,33 %, 1778 : 33,33 %, 1779 : 50 %.
30 En 1740, un mémoire du Magistrat de Bergues dirigé contre les abbés et religieux de l’abbaye de Saint Winoc, désireux de se soustraire à leurs obligations fiscales rappelle qu’« il est une maxime fondamentale en Flandre flamande que personne non plus le clergé que la noblesse […] n’est exempt de tailles et impositions ». La noblesse n’est que récente et provient très souvent de l’achat de charges anoblissantes telles que celles de secrétaire du roi. Les De Brier, Coppens, De Bonte, les Taverne de Montd’hiver, de Nieppe, Faulconnier ont emprunté cette voie d’anoblissement.
31 Arch. mun. de Calais. B. B. 52.
32 Guignet P., Le pouvoir dans la ville au XVIIIe siècle. Pratiques politiques, notabilité et éthique sociale de part et d’autre de la frontière franco-belge, op. cit., p. 87.
33 Dans un mémoire publié à la veille de la Révolution Arch. mun. Lille 15751 « Mémoire pour le Magistrat de la ville de Lille en la Flandre wallonne contre les députés des ecclésiastiques et des nobles de la même province » (1786-1787). « En Flandre wallonne… les ecclésiastiques ne participent en rien à l’administration civile. De tout temps, la régie des hôpitaux, des fabriques et des autres établissements pieux leur a été interdite et conservée aux Magistrats et aux juges du pays… Les lois municipales leur interdisent d’une façon absolue toute participation à la régie du temporel des biens d’Église qui les touchent de si près. » À Dunkerque, aucun ecclésiastique ne siège à l’échevinage alors que le curé de l’unique église paroissiale est un personnage influent (tous les titulaires de la cure de Saint-Éloi furent membres du bureau d’administration de l’Hôpital Général). Les deux derniers curés d’Ancien Régime, Bertrand Thiery (1767-1786) et Joseph Macquet, (1786-1790) sont respectivement le frère et un fort proche ami du dernier bourgmestre, Charles Thiery (1784-1789).
34 Il s’agit de Henry Duteil qui devient conseiller calaisien dès 1767.
35 En décembre 1736, le 1er échevin de Boulogne-sur-mer doit abandonner sa charge « car il devient ecclésiastique ». Quelques années auparavant le registre des délibérations de Boulogne s’oppose à une modification du cursus honorum permettant d’accéder à l’échevinage. Le 9 avril 1729, « l’assemblée extraordinairement convoquée en l’hôtel de ville » proteste énergiquement contre un arrêt du conseil d’État du 6 juillet 1728. Cet arrêt veut imposer « que doresnavant nul bourgeois ne pourra être nommé maieur ou eschevins qu’il n’ait été administrateur du dit hôpital et qu’il n’en fait la recette gratuitement pendant deux années… ». Le corps scabinal refuse car si cette procédure était adoptée « le premier choix nécessitant du bureau se feroit sous la principale direction du clergé, qui de droit commun est exclu des élections des officiers municipaux ».
36 Guignet P., Le pouvoir dans la VILLE au XVIIIe siècle. Pratiques politiques, notabilité et éthique sociale de part et d’autre de la frontière franco-belge, op. cit., p. 355.
37 Guignet P., Vivre à Lille sous l’Ancien Régime, op. cit., p. 131-141.
38 Lottin A. (dir.), Histoire de Boulogne-sur-mer, Lille, Presses universitaires de Lille, 1983, p. 147.
39 Arch. mun. de Dunkerque, série ancienne no 35. Le 29 août 1785, le Magistrat, composé essentiellement de négociants, est continué à la demande de Calonne, le contrôleur général se trouvant alors à Dunkerque.
40 La plupart des échevins qui ne sont pas nés à Dunkerque appartiennent à des familles scabinales de leur ville d’origine. Ainsi les Vernimmen et les De Hau sont-ils implantés à Bergues, les Thiery viennent de Givet, Meignot Joseph est le fils d’un échevin de Douai.
41 Dans l’ascendance de Charles Le Gressier de Belle Terre, on retrouve au début du XVIIe siècle un Christophe Le Gressier apparenté à Simon le Gressier marchand à Calais et dont la fille épouse un échevin de Calais. Quant à la famille Campmajor descendant de Pierre Campmajor mayeur de Calais en 1568, 1576, 1578, un de ses descendants devient mayeur de Boulogne dans le premier tiers du XVIIe siècle et a épousé la fille d’un échevin de Boulogne.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008