Dynamiques commerciales castillanes, ordres locaux bretons et monarchie française (seconde moitié du XVIe siècle)
p. 45-71
Texte intégral
1Dans les années 1550, le prince Philippe désobéissait à son père, Charles Quint, lorsqu’il lui intimait de faire cesser le commerce avec le royaume de France. Sans doute mieux informé de la situation castillane, Philippe savait combien certains produits français étaient indispensables à l’Espagne1. De son côté, la France – qui n’avait que des ressources minières propres médiocres – dépendait des métaux précieux américains dont la production augmenta rapidement dans les années 1560-1570. Le gouvernement français comme les marchands autochtones et étrangers installés dans les principaux ports du royaume s’efforcèrent donc d’attirer l’argent espagnol, même si le monarque castillan ne voyait pas forcément avec bienveillance cette évasion de comptant2.
2Au milieu du XVIe siècle, les Castillans, au premier rang desquels se trouvait la firme Ruiz établie des deux côtés des Pyrénées, contrôlaient une bonne partie du commerce toilier entre le sud de la Bretagne et la Castille, à travers les ports de Nantes et de Bilbao3. À cette époque, nombreux étaient les marchands originaires de Medina del Campo, de Burgos et de Bilbao qui s’étaient installés dans le port de la Loire. Toutefois, les arrivées massives d’argent américain à Séville dans les années 1560-1570, la paix de 1559 entre les royaumes de France et de Castille et la proximité des centres de production stimulèrent le développement commercial du nord de la Bretagne, à partir duquel Malouins et Vitréens allèrent vendre des toiles en Andalousie.
3Leurs zones d’approvisionnement en Bretagne étant les mêmes que celles des Castillans, ils entrèrent en concurrence avec eux4. Ce processus concurrentiel porté par des pratiques commerciales différentes aboutit à une certaine restructuration du champ économique et à une répartition accrue des fonctions marchandes et portuaires dans l’espace considéré au profit des Malouins, de leur port et des Vitréens, au détriment des Castillans, de leurs alliés et du port de Nantes. Certains indicateurs économiques (courbes démographiques5, ponctions du pouvoir royal sur le commerce6 et frappes monétaires7) confirment cette évolution différenciée des deux ports dans la seconde moitié du XVIe siècle, au profit de Saint-Malo et aux dépens de Nantes.
4La modification de la performance et de l’implication des différents groupes marchands dans l’économie considérée, et la redistribution des rôles qui s’ensuivit, eurent aussi des conséquences politiques, surtout dans le contexte troublé des guerres de Religion. L’activité des Castillans à Nantes comme celle des Malouins à Saint-Malo dépassait le monde du négoce. Grâce à l’importance de leurs capitaux matériels et immatériels, ces hommes participaient de façon diverse aux instances de gouvernement municipales et à la politique parisienne. Les monarques français les incitaient à collaborer aux grands desseins qu’ils s’étaient fixés au moyen d’avantages de toute nature. Ces privilèges, exemptions et autres immunités, étaient octroyés à des individus et/ou à des villes. Cela compliquait la relation entre ces hommes et le roi, car ces privilèges tendaient à rendre ces acteurs et/ou leur communauté d’appartenance plus autonomes tandis que la royauté était soucieuse de ne pas perdre le contrôle des villes, notamment portuaires. Aussi les performances économiques des différents groupes importaient beaucoup altérant la place de chacun d’eux au sein de la politique municipale, à Nantes comme à Saint-Malo, et conditionnant en bonne part la forme et la teneur de la relation avec le monarque. Cela avait de multiples incidences pour la construction du territoire car, comme on le verra, les États étaient attentifs à ces changements et utilisaient les effets de la concurrence entre groupes marchands à leurs propres fins, dans un contexte de mondialisation commerciale.
5Le contexte de mondialisation économique n’était pas seul à influencer les performances des acteurs et leur place sur l’échiquier politique local et « national ». Quelles soient civiles ou « internationales », les guerres créaient de l’incertitude. Chaque marchand, chaque groupe marchand avaient une résistance plus ou moins forte face à cette incertitude. Si d’un point de vue général l’économie française pâtit de ces guerres, il ne faut pas pour autant gommer les trajectoires différenciées des villes, à l’intérieur parfois d’une même province. Le roi ne s’y trompait pas. Avant d ´ être bretonne, sa politique, de même que celle des élites, fut nantaise, malouine, morlaisienne, etc.
6L’action du monarque s’organisa avant tout en fonction des villes et de leurs privilèges. Le dialogue entre le monarque et les élites doit être pris en compte sans obvier le cadre politico-économique local au sein duquel elles se mouvaient. Pour être toutes les deux bretonnes, les élites marchandes malouine et nantaise n’en étaient pas moins radicalement différentes. Schématiquement, l’on peut affirmer que les turbulences politico-religieuses de la seconde moitié du XVIe siècle donnèrent l’occasion à la cité malouine de s’ériger en république à la fin du siècle et d’accroître ses privilèges, tandis que la municipalité nantaise précipita à la même époque son passage sous le contrôle royal.
Le réseau Ruiz et la politique nantaise
7Notre analyse repose sur la participation des parents et associés de Simón Ruiz dans la gestion des affaires de Nantes, ce dernier étant établi à Medina del Campo et ses principaux partenaires commerciaux dans le port ligérien. Entre 1555 et 1559, période immédiatement antérieure à la création de la municipalité nantaise, André Ruiz I et Yvon Rocaz, respectivement frère et associé de Simón, ainsi que les cousins d’André Ruiz I, les De la Presa, participaient à la plupart des sessions du conseil des bourgeois représentant la ville8. Dans les actes qui émanaient de cette institution, les Espagnols étaient toujours cités en premier, à la suite des procureurs, des miseurs et des prévôts. C’est dire autrement qu’au moment du grand développement de leurs affaires avec Simón Ruiz, de Medina del Campo, ses parents et associés de Nantes étaient parties prenantes dans la direction des affaires politiques du port breton.
8Toutefois, si l’on y regarde de près, ces participations étaient inégales9. Entre 1555 et 1562, les commissions ordinaires données aux membres du conseil pour la gestion financière de la ville échoyaient surtout à Yvon Rocaz et à Jean Le Lou, les deux Nantais associés de Simón Ruiz, André Ruiz I, frère de Simón, n’y figurant pas10. En revanche, les commissions pour Saint-Nicolas, la paroisse marchande, étaient confiées à ces trois derniers et aussi au cousin des Ruiz, Pedro de la Presa11. Les Ruiz et leurs alliés à Nantes incarnaient la relation entre commerce international et gestion municipale. Pour les commissions extraordinaires de responsabilité importante (députation auprès du roi ou des États généraux ou provinciaux), Jean Le Lou surtout, mais aussi Yvon Rocaz et André Ruiz I lorsqu’il s’agissait de négocier avec les commissaires royaux le montant d’un emprunt exigé par le roi, apparaissaient fréquemment12.
9En somme, Yvon Rocaz, Jean Le Lou, Michel Le Lou et Pedro de la Presa comptaient parmi les hauts représentants de la ville et se trouvaient au cœur du processus décisionnel13. André Ruiz I, pour sa part, jouait un rôle en apparence plus effacé du point de vue politique. Il ne fut jamais maire ni sous-maire après la mise en place de la première municipalité en 1564 mais prenait directement part aux décisions du gouvernement de la ville à travers les quatre personnages précédemment cités, ses partenaires et associés commerciaux, du moins tant que dura leur entente économique jusqu’aux années 1565-157014.
10En 1559, dans l’espoir d’améliorer l’administration royale de la province, le roi avait accédé à la requête des riches marchands de Nantes de transformer le conseil des bourgeois de la cité en municipalité15. Cette décision, rejetée par toutes les autorités déjà en place (prévôt, capitaine, gens de justice), avait été bloquée pendant cinq ans16. La création d’un consulat de commerce en avril 1564 permit de sortir de l’impasse car, ressentie comme une victoire du groupe de pression marchand, elle lui donna l’énergie nécessaire pour lancer une nouvelle offensive en novembre 156417. Les deux institutions ardemment attendues par le même milieu se trouvèrent donc soudées par les circonstances historiques de leur naissance et aussi du point de vue institutionnel, car la municipalité définissait la liste des marchands éligibles au poste de juge et de consul du commerce de la ville18.
11À partir de la mise en place de la première mairie, les changements observés par rapport à la période antérieure intéressent tout à la fois stratégies matrimoniales, affaires commerciales et charges politiques. Plaçonsnous dans un premier temps du point de vue des stratégies matrimoniales. L’établissement de la première mairie coïncida avec la création d’alliances matrimoniales entre des membres des familles Ruiz-Rocaz-Le Lou déjà associées en affaires. Yvon Rocaz joua un rôle central dans la création de ce front de parenté. En effet, il maria ses enfants à ceux de ses associés et partenaires commerciaux présents à Nantes. Comme les enfants des Ruiz et des Le Lou ne contractèrent pas d’alliances matrimoniales directes entre eux, les Rocaz occupèrent une position centrale dans ces alliances.
12Nous touchons ici un point important de la structuration sociale du front de parenté et de son identité qui importait particulièrement dans le domaine de la politique locale. En effet, bien que le repérage de Castillans dans des familles nantaises ou au sein du gouvernement local donne des indices sur leur intégration sociale à Nantes19, la prise en compte de la teneur de leurs liens interindividuels conduit à mieux considérer l’aspect conflictuel de ces relations et les degrés ou paliers du processus d’intégration. Il paraît un peu hâtif de trancher la question de l’appartenance des Castillans de Nantes en affirmant qu’« ils étaient devenus à ce point nantais, qu’au cours du XVIe siècle ils se firent bâtir une chapelle au couvent des Cordeliers20 ». Sans écarter complètement l’idée d’intégration, il nous semble important de prendre en compte le processus lent et fragile qui y menait. En effet, l’appartenance à une communauté ou à la communauté d’un royaume était au début de la période moderne un processus qui dépendait et était constitué en fonction de réseaux relationnels et linguistiques21. En ce sens, toutes les familles castillanes de Nantes, même les plus prestigieuses, n’étaient pas logées à la même enseigne et suivaient des trajectoires propres.
13Au milieu du siècle, vingt ans après son arrivée à Nantes, André Ruiz I et sa famille étaient toujours en voie d’intégration. Ses enfants mâles avaient épousé des filles issues de familles d’origine espagnole22, installées depuis longtemps à Nantes : les Rocaz l’étaient au moins depuis le début du XVe siècle et les Compludo depuis la fin du XVe siècle. L’assimilation au milieu d’accueil était lente et liée à un processus de sédimentation et de stratification des liens. À ce titre, André Ruiz I ne jouissait pas à Nantes, à travers les mariages de ses fils, d’un accès privilégié aux marchands nantais de souche, autrement qu’à travers les Rocaz et les Compludo. Les lignages castillans les plus fraîchement arrivés dans la ville, indépendamment de leur niveau de richesse, se connectaient à la société marchande nantaise par l’entremise de familles d’origine castillane, établies à Nantes depuis plus longtemps qu’eux, et alliées par voie de sang à des Nantais de souche. L’assimilation s’effectuait par palier.
14La prudence restait de mise. André Ruiz I ne souhaitait certainement pas voir passer l’héritage marchand laissé à ses fils aussi bien en termes de compétences commerciales que de capitaux aux mains nantaises. Sous des apparences policées, une certaine défiance devait animer les deux groupes : le milieu marchand autochtone et les étrangers de récente installation. D’ailleurs, André Ruiz I ne semblait pas avoir beaucoup de confiance et de considération pour les Nantais dans le domaine commercial, ses employés étant presque tous des Basques espagnols. En outre, des disputes eurent lieu avec les beaux-parents de l’un de ses fils, Julien Ruiz, et se prolongèrent avec leurs héritiers pendant des années23.
15Lorsqu’en 1574 André Ruiz I reçut de Henri III avec l’accord du parlement, pour lui et sa descendance, les privilèges d’exemption de tous les impôts et tailles même en cas de possession de terres roturières, l’exemption ne fut pas appliquée par la communauté. La relation privilégiée que les Ruiz de Nantes entretenaient avec les rois de France successifs était sans doute de nature à éveiller la vigilance des Nantais qui ne souhaitaient pas voir le monarque s’immiscer dans leurs affaires et jouer de leurs prérogatives, en l’occurrence des droits locaux de citoyenneté.
16En dehors du milieu marchand, André Ruiz I maria ses filles à des juristes bretons de haute volée, sans plus de succès, semble-t-il, puisque des tensions eurent toujours lieu entre les Ruiz et leur belle-famille de ce côté-là également24. La lente assimilation au milieu d’accueil nantais que nous avons cru deviner dans les alliances matrimoniales de sa progéniture se refléta clairement dans la place qu’André Ruiz I occupa à la mairie. Pour un homme qui ne dédaignait pas les honneurs, il est curieux de constater que ni lui, ni aucun de ses deux fils, fut élu maire ou sous-maire par les Nantais dans le demi-siècle où leur poids économique à Nantes fut d’importance.
17Néanmoins, le front de parenté Ruiz-Rocaz-Le Lou, réunissant une famille castillane en voie d’assimilation, une famille d’origine castillane assimilée et une famille bretonne, domina la mairie pendant les années 1560-1570. À travers les mariages de leurs enfants, ces trois familles recrutèrent les relais qui les représentaient au sein de la mairie, renouvelant ainsi leur influence dans les affaires municipales25. La date des mariages n’était pas anodine et montre à quel point ces alliances étaient étroitement liées à la mise en place et aux premières années de fonctionnement de la municipalité en 1564-156526. Les membres du front de parenté en voie de formation installés à Nantes prenaient ainsi la tête de la nouvelle institution, autant pour les privilèges qui en découlaient que pour imprimer leur volonté à la politique de la ville27. À différentes dates, des branches de ce front de parenté furent investies de grands pouvoirs au sein de la mairie de 1565 à 158528. Des liens d’amitié avec d’autres familles, comme celle des Poullain, pouvaient même renforcer cette mainmise sur la politique locale et/ou pallier les faiblesses momentanées de la représentation du front de parenté au gouvernement de la ville. Toutefois, dès la seconde moitié des années 1560, la cohésion du front de parenté fut mise en danger.
18Tout d’abord, la concurrence commerciale malouine sur les marchés d’approvisionnement bretons engendra une déstabilisation des liens entre les associés de Castille et de Nantes, au terme de laquelle Simón Ruiz centralisa de plus en plus le pouvoir de décision de la firme aux dépens de ses associés nantais29. À la génération suivante, ces brouilles passagères entre associés de la firme s’étaient muées en inimitiés durables entre les fils Ruiz et les beaux-frères ayant hérité des affaires de feu Yvon Rocaz, ces derniers devenant ouvertement concurrents des Ruiz30. La concurrence des Nantais vis-à-vis des Castillans prenait donc forme au sein même du réseau Ruiz et avait lieu dans le domaine économique avant de se traduire politiquement. Mais ces rivaux bretons, Fyot et Saligot, qui avaient réussi à s’immiscer dans la famille et les affaires des Rocaz31, l’étaient aussi devenus parce que Simón avait refusé de former une compagnie avec eux32 et que les Ruiz de Nantes leur battaient froid. Ce refus d’intégrer à leur réseau les proches collaborateurs de leur ancien associé, Yvon Rocaz, fut responsable des ruptures de collaboration entre les marchands de la Fosse et maintinrent les Ruiz de Nantes à une certaine distance de la communauté nantaise tant politiquement que du point de vue économique.
19Par ailleurs, l’investissement dans la voie échevinale était un engagement contraignant en temps et en argent ; il était également dangereux et compromettant33. Ceux qui occupaient ces postes devaient se détourner partiellement des affaires commerciales et leurs liens horizontaux (à l’intérieur du conseil municipal) n’étaient pas forcément compatibles avec leurs liens verticaux (réseau commercial). En effet, au moment de leur passage à la mairie ou durant les années qui y firent suite, certains membres du front de parenté, installés à Nantes, renforcèrent leurs intérêts sur place, diversifièrent leurs relations et leurs placements, notamment à travers l’achat d’offices de finance. Julien Rocaz (1580-1587) et postérieurement Nicolas Fyot furent receveurs généraux de la trésorerie générale34. Bien que tous les titulaires de cette charge pussent être apparentés à André Ruiz I35, ce dernier ne s’était pas pour autant assuré par ce biais le contrôle de ces recettes importantes, puisqu’une certaine rivalité opposait les Ruiz aux Fyot dans les années 1570. Dans le cadre de la politique d’aliénation du domaine royal mise en place dans les années 1560-1570, Nicolas Fyot avait aussi acheté des droits sur les marchés urbains et, en la matière, le monarque n’aliénait pas son domaine à n’importe qui, mais attirait ainsi certains membres éminents des élites urbaines dans son orbite36.
20Certes ces investissements en temps, en argent et en prestige local, détournaient quelque peu les uns et les autres du commerce et de leurs anciens collaborateurs établis en Castille, mais on aurait tort de croire que les marchands embrassaient systématiquement des carrières administratives, car grâce à la résistance des États Généraux et des États Provinciaux, l’administration financière bretonne, par exemple, comptait peu de membres et limitait ainsi le nombre d’emplois accessibles aux familles attirées par le service de l’État dans la France de l’Ouest37. De même, la carence des offices de marine laissait à la Bretagne une relative autonomie. Cela réduisait d’autant les possibilités de dépendance des élites marchandes bretonnes vis-à-vis du pouvoir central.
21Cela explique qu’il y eut pendant les guerres de Religion des pouvoirs politiques et des réseaux commerciaux étrangers, nommément castillans, capables d’instrumentaliser certaines élites urbaines et des membres de la noblesse bretonne. Il y avait au sein de cette dynamique un des facteurs d’explication de la spécificité des élites portuaires bretonnes, à de multiples égards plus proches de la Castille que de l’intérieur du royaume. Dans les années 1560-1580, le fait que les favoris provinssent de territoires traditionnellement aux mains du roi – ce qui expliquait que rares étaient les Bretons ayant obtenu des responsabilités de premier plan à la cour38 – ajoutait aux logiques de fonctionnement décrites et à la permanence de la Bretagne dans un état de relative autonomie.
22Les quatre mariages des enfants d’André Ruiz I à Nantes n’avaient pas eu raison de ses préoccupations pour le commerce et la finance, qui le poussaient davantage vers Medina del Campo et vers Paris, que vers la communauté nantaise. D’autant qu’en parallèle des différends commerciaux des Ruiz avec les Rocaz et les Le Lou, ces deux dernières familles créaient des liens « horizontaux » au conseil municipal – lesquels affaiblissaient l’homogénéité des intérêts commerciaux entre les trois familles – et, à travers l’achat d’offices de finances, créaient un rapport privilégié avec le souverain39. André Ruiz I n’était d’ailleurs pas en reste. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, sans investir lui-même dans l’achat d’offices, il fut néanmoins à la tête des principales fermes de la province, comme celle de la prévôté de Nantes, ou souscripteur d’emprunts de la monarchie.
Patriciat nantais, noblesse et royauté : vers la fin de l’autonomie municipale
23Si la polarisation des intérêts nantais par les Castillans de Nantes avait signifié un certain degré de dépendance extérieure de la ville à une époque où le contrôle du roi sur la Bretagne était mal assuré – ce qui avait retardé l’intégration territoriale de cette province dans l’ensemble français –, la situation avait évolué sous le coup de la concurrence commerciale dès le milieu des années 1560 et évolua encore par la suite à cause des événements politiques.
24Malgré l’implication des Rocaz-Le Lou et de leurs parents dans la structure financière royale en Bretagne, la configuration des pouvoirs dans la province ne poussa pas à la création d’un groupe homogène de marchands et de juristes40. James Collins pense que la faute en revint à la faiblesse de l’appareil fiscal royal. Cela est sans doute vrai, mais s’y ajoutent les dissensions au sein du front de parenté Ruiz-Rocaz-Le Lou qui poussèrent les Ruiz de Nantes à adopter davantage une logique de réseau vers les nobles bretons et parisiens, et vers Medina del Campo, qu’une logique de groupe avec les autres marchands et conseillers municipaux de Nantes.
25La demande grandissante d’argent de la part du trésor royal poussa aussi certains riches marchands nantais à traiter de grosses affaires financières avec le gouvernement. Ces liens étaient médiatisés par la haute noblesse, laquelle intervenait à Paris, dans les plus hautes sphères, en faveur d’André Ruiz I et de ses alliés notamment41. André Ruiz I avait réussi à se rapprocher durablement des grands propriétaires terriens de Bretagne. Dans l’évêché de Nantes, ces grandes familles possédant les fiefs les plus importants étaient les Montmorency, le duc de Mercœur, le duc de Retz et le duc de Montpensier42. De plus, les Grands et André Ruiz I avaient des connaissances en commun. Vital de Contour, grand ami de ce dernier, avait été trésorier du duc de Montpensier43. Ces grands lignages furent les premiers à bénéficier des aliénations importantes du domaine royal dans les années 1560-157044. André Ruiz I parvint à tisser un lien d’amitié avec eux au moment de leur participation au gouvernement, les échanges de services dans la finance et l’activité guerrière les réunissant.
26Lisons les mots durs de l’ambassadeur espagnol à Paris dans une lettre écrite à Philippe II en juin 1568 :
« André Ruiz, habitant de Nantes, […] n’est pas la meilleure pièce qui soit sortie d’Espagne. Il était grand ami du connétable Anne de Montmorency et, si je comprends bien, homme qui avait l’habitude de lui donner des informations en temps de paix et de guerre, et ainsi il [le connétable] l’a aidé à devenir riche45. »
27De même, son amitié avec les Gondi – Albert de Gondi était duc de Retz – tout puissants auprès de Catherine de Médicis, lui avait valu de nombreuses aides et informations politiques46. Cette proximité avait été facilitée par le fait qu’Albert de Gondi avait exercé plusieurs charges en Bretagne (général des galères, gouverneur de Belle-Isle et de Bretagne47). Toutefois, Gondi ne put maintenir son accès à la faveur royale. Il perdit le poste-clé de Premier Gentilhomme de la chambre en 1574, à l’avènement de Henri III, et vit ainsi son autorité à la cour largement entamée, mais ce ne fut qu’à la fin des années 1570 qu’il fut réellement évincé48.
28Quant au duc de Montpensier, il demanda à parrainer le petit-fils d’André Ruiz I tandis que le père du nouveau-né, Julien, avait pensé à Simón Ruiz49. Cette substitution forcée montre à quel point les Ruiz de Nantes étaient socialement « polarisés » entre le réseau commercial castillan auquel ils appartenaient, la noblesse et l’État français qui étaient leurs hôtes. À Nantes, André Ruiz I était souvent occupé avec le duc, gouverneur de Bretagne, et n’avait donc pas le temps d’écrire à son frère50 et son fils, André Ruiz II, avait à Paris un accès privilégié aux appartements royaux51.
29En 1582, lors de sa nomination au gouvernement de Bretagne, le duc de Mercœur descendit chez André Ruiz I52. Quelques années plus tard, Mercœur et la duchesse douairière de Penthièvre tinrent Marie Ruiz, la petite fille d’André I, sur les fonts baptismaux53. La volonté des grands et des proches du monarque de se ménager la loyauté des acteurs économiques à forte capacité financière gommait quelque peu les intérêts réciproques des membres de la firme Ruiz. Pour le Nantais d’adoption, ce n’était pas peine perdue. À travers les mariages de ces grands lignages, André Ruiz I pouvait espérer des faveurs d’une bonne partie de la noblesse de France54.
30Autant de facteurs en définitive qui renforçaient les liens du front de parenté Ruiz/Rocaz/Le Lou – en fonction des différentes branches – avec la municipalité de Nantes, la province de Bretagne et/ou le roi de France au détriment de la solidité du réseau transnational marchand. Ces changements accroissaient sans doute les mésententes et les jalousies au sein de la descendance des Ruiz-Rocaz-Le Lou et poussaient à un certain degré d’individualisation des trajectoires de chaque branche.
31Les guerres de Religion polarisèrent davantage encore les intérêts divergents des membres du front de parenté, en fonction de leurs liens sociaux locaux, provinciaux et/ou « nationaux », fragilisant de façon accrue les liens inter-familiaux entre les membres de la seconde génération du front de parenté55. Au sein d’une même branche familiale les prises de position divergeaient. Dans les lettres qu’il envoyait à son oncle en Espagne, Julien Ruiz, le cadet d’André Ruiz I, proférait les injures les plus terribles contre les hérétiques. Il était profondément catholique. De peur qu’ils trouvent l’Anglais Montgomery sur leur chemin, Julien espérait même que ses rivaux commerciaux, malouins et vitréens, catholiques pour la plupart, n’envoient pas de toiles blanches en Andalousie56. À Nantes, il expédiait le courrier du duc de Mercœur. Julien appartenait au cercle des marchands du port de la Loire, à tendance ligueuse, qui faisait le commerce avec la Castille et ne possédait pas d’offices royaux. Il n’était donc pas étonnant qu’il fût en accord avec les idées de son oncle, farouchement opposé aux Protestants. Parmi les cousins de Julien, les De la Presa, étaient aussi en grande faveur auprès de Mercœur, l’un d’entre eux exerçant les fonctions de capitaine de la ville57. Lorsqu’à Nantes les Protestants entendirent bénéficier de l’édit d’Amboise, la panique s’empara de l’élite négociante, car cela était contraire à la politique de Philippe II et au commerce avec l’Espagne58. Cette opinion prévalait toujours en 1589 lorsque la ville se révolta contre la monarchie.
32Pourtant, tous ne réagissaient pas de la même manière. L’aîné d’André Ruiz I et frère de Julien Ruiz, André Ruiz II, fut fait prisonnier par les troupes de Mercœur, à proximité de Nantes en 158959. Bien que sa fille fût la filleule du duc rebelle au roi de France, il avait toujours été regardé avec méfiance par le milieu ligueur60. Il faut dire qu’il avait séjourné à plusieurs reprises à la cour dans les années 1570-1580, où il possédait beaucoup d’entregent. Avant comme après les assassinats des Guise, il entrait dans les appartements royaux et s’entretenait personnellement avec Catherine de Médicis61, que l’on soupçonnait de favoriser la cause protestante. En outre, son beau-frère, Jacques Barrin, qui intervenait dans nombre de ses procès et participait financièrement à la firme Ruiz de Nantes, était président au parlement à Rennes, un des bastions loyalistes de Bretagne. D’ailleurs, lors de son passage à Nantes, en 1598, Henri IV en personne fit une visite à André Ruiz II62. Bien souvent, les grands financiers ne s’identifiaient pas clairement à un parti et agissaient au service de camps opposés. En définitive, le choix d’André Ruiz II était celui du roi de France, puisqu’il était lié à la couronne, tandis que son frère Julien, coupé de tous pour rester au service de son oncle, était demeuré foncièrement pro-catholique.
33Michel Le Lou, pour sa part, fils du marchand Jean Le Lou, associé de Simón Ruiz dans les années 1560, adopta une attitude assez modérée vis-à-vis de la ligne dure du parti catholique. Et en avril 1589, en tant qu’officiers du roi, Michel Le Lou et son beau-frère, Nicolas Fyot, furent jetés en prison par le gouverneur. Cela permit sans doute à la descendance de Le Lou d’occuper la mairie à l’extrême fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle63.
34On voit combien les cas de figures étaient divergents à l’intérieur du front de parenté, les attitudes allant du soutien inconditionnel à Mercœur, de la part de ceux dont les revenus provenaient essentiellement du commerce hispano-breton, à une certaine résistance de ceux qui ne se cantonnaient pas au commerce, comme les officiers royaux et les grands financiers, en passant par des prises de position plus modérées. D’où le danger de considérer uniformément tous ces acteurs économiques. La grande crise politique qui voyait la ville de Nantes opter pour la Ligue contre l’avènement de Henri IV, contraria la fusion et/ou accrut les différends au sein du milieu marchand entre ceux qui dépendaient en bonne partie du commerce international et ceux qui avaient opté pour une diversification de leurs activités et trouvé dans l’achat de charge un complément utile. Il y avait marchand et marchand.
35Le soutien des acteurs économiques à la révolte du duc de Mercœur n’était donc pas unanime. Bien que les marchands – surtout ceux qui appartenaient à l’association commerciale organisant les échanges entre la Basse-Loire et la Castille – aient été particulièrement actifs et semblent même avoir été les premiers à poser les principes de la Ligue64, tous n’y étaient pas franchement favorables. D’ailleurs, si l’on y regarde de près, aussi importante fut-elle dans le dernier quart du XVIe siècle, la participation des Castillans aux charges municipales de la ville fut moins soutenue dans les années 1590 qu’elle ne l’avait été dans les années 157065.
36La Ligue n’était pas l’élément déclencheur de ces parcours différenciés, le groupe marchand s’étant scindé dès les années 1560-1570 pour des raisons commerciales, comme nous l’avons vu. Mais les conflits politiques et religieux les accrurent en singularisant les trajectoires. La teneur et l’intensité des échanges de services entre marchands, et entre marchands et gouvernements, n’étaient pas neutres et l’achat de charges, les prêts à la couronne ainsi que les associations commerciales, influençaient les partis pris politiques et religieux. Il existait une corrélation certaine entre interdépendance commerciale et financière, loyauté politique et conviction religieuse66.
37Le désintérêt des Ruiz de Nantes et de leur parentèle pour certaines activités, notamment militaires, avait aussi son importance. Parmi les capitaines des milices bourgeoises chargées de protéger la ville, les Ruiz et autres Espagnols étaient exceptionnellement nommés, pas plus avant la révolte de Mercœur que pendant ou après67. Généralement, les Castillans de Nantes ne se passionnèrent jamais pour les affaires militaires de la ville : leurs activités étaient essentiellement commerciales et financières. Cette caractéristique se retrouvait à l’échelle collective, puisque Nantes ne jouissait pas d’une protection militaire propre et dépendait d’armes extérieures à la ville : inconvénient difficile à gérer68. Pourtant, les rivalités organisées autour du thème des milices montrent bien l’importance que leur contrôle revêtait pour le souverain comme pour la ville69. De toute façon, la milice bourgeoise de Nantes demeurait faible et inefficace, en particulier à cause d’une artillerie en mauvais état et d’échevins ignorants de l’art de la guerre70. En 1588, grâce à l’introduction de forces militaires à Nantes, le duc de Mercœur avait fait facilement taire les oppositions, notamment celle du maire de Nantes, modéré opposé à la politique ducale, et en avril 1589 un dévoué du duc et de la duchesse avait été placé à la tête de la nouvelle administration municipale.
38Le manque d’indépendance des armes de la part de la municipalité avait donné à la noblesse ligueuse puis à Henri IV des opportunités de manouvres politiques qu’ils n’avaient pas eues à Saint-Malo. À Nantes, deux faits particulièrement importants avaient marqué la période des guerres de Religion. En 1562, elles avaient été d’abord l’occasion pour le monarque de remplacer la milice urbaine par des troupes royales professionnelles71. Et au moment de la Ligue, la municipalité n’avait pas été mieux lotie car, dès 1589, Mercœur s’était adressé à Philippe II pour demander des secours militaires ; l’année suivante 7 000 Espagnols débarquaient à Saint-Nazaire72. Pour assurer sa survie militaire, Mercœur réitérait auprès du roi castillan les autorisations pour importer de la poudre, du soufre, du fer et des munitions des territoires de Philippe II, notamment de Bilbao et du reste de la Biscaye73.
39Cette dépendance militaire de la ville vis-à-vis de Mercœur et de ce dernier vis-à-vis de l’extérieur, enleva une bonne part du pouvoir de négociation de la ville avec Henri IV, lors de la reddition de celle-ci en 1598. Le monarque en profita pour priver les Nantais d’importants privilèges. Du point de vue politique, la communauté des habitants n’élirait plus les échevins et le maire directement – comme cela avait été le cas depuis 1565 – ; cela se ferait au bon vouloir du roi74. Les nominations de 1599 et celles du début du XVIIe siècle montrèrent bien l’étroitesse de la marge de manœuvre des Nantais en matière d’élection municipale : dans ses missives, le roi n’hésitait pas à faire référence à un éventuel recours à la force si son choix n’était pas respecté75. Rien d’étonnant alors à ce que le candidat « royal » ait fait partie d’une famille qui avait aidé le souverain à lutter contre Mercœur et les Espagnols76. Ce furent les officiers de justice ayant résisté à la Ligue et garants d’une stratégie d’union avec la monarchie qui occupèrent les postes-clé de la municipalité au début du XVIIe siècle77. Le roi essayait donc de créer un espace de pouvoir dans une ville qu’il entendait mieux contrôler.
40La relative faiblesse des connexions entre les élites nantaises et le gouvernement central, et les rivalités au sein des élites urbaines même, se combinaient donc avec les luttes entre la noblesse bretonne et la royauté. Sous Henri III, le roi avait tenté de fidéliser de nouveau la noblesse par un rapport établi à la cour, et non par des gratifications et des honneurs redistribués par des barons provinciaux78. Cette politique royale s’inscrivait dans une réaction au mouvement de promotion autonome des maisons nobiliaires et de constitution de réseaux politico-confessionnels indépendants qui se produisit pendant les premières années des guerres civiles79. Il s’agissait de court-circuiter l’autorité des grands lignages que le souverain avait jusqu’alors associés à l’exercice du pouvoir. Mais le fonctionnement de la cour en système fermé portait en lui-même son échec, car il empêchait cette institution de ce qui en définitive était son principal objet : servir de point de contact entre les élites et le pouvoir central80. Henri IV rompit avec cette idée de faveur exclusive à une troupe81.
41Coupée de la possibilité d’obtenir des faveurs à la cour durant la majeure partie des guerres de Religion, les nobles provinciaux renforcèrent leurs bases locales et régionales. À ce titre, la période des guerres de Religion peut être considérée comme une époque de restructuration des clientèles aristocratiques, car nombre de patrons perdirent alors des parts significatives de leur patronage et leurs clientèles déclinèrent puisque tous les clients n’étaient pas fidèles82. Toutefois, les clientèles continuèrent d’exister et se renouvelèrent même en partie, ce qui démontre la vitalité et la durabilité de ces liens, qui ne disparurent pas mais furent absorbés dans des partis et continuèrent à opérer.
Les marchands-guerriers garants des privilèges de la république malouine
42Avant d’entrer dans le détail, il est utile de rappeler que Saint-Malo comptait tout au plus 10 000 habitants à la fin du XVIe siècle tandis que la ville de Nantes en avait 25 000 environ. Cet écart de population est déterminant à l’heure de considérer la capacité de contrôle de la part des marchands sur l’institution municipale. De plus, à la différence de beaucoup d’autres villes et ports, Saint-Malo ne connut pas la mainmise de l’État royal sur les finances municipales et la création d’offices urbains avant la fin du XVIIe siècle83. La résistance à l’ingérence de l’État fut plus longue que celle opposée par Nantes, et les guerres de Religion furent pour Saint-Malo l’occasion d’affirmer son indépendance. Cette indépendance politique à l’égard de Mercœur et du roi permit de sauvegarder et même d’accroître les privilèges de la ville et de sa bourgeoisie. Toutefois, les sources faisant défaut, nous ne pourrons aborder dans le détail les aspects sociaux considérés pour Nantes dans la seconde moitié du siècle. En revanche, le processus d’indépendance militaro-commerciale sera retracé sur le long terme.
43Fondée par un évêque en 1152, Saint-Malo fut ainsi placée sous la coupe d’une puissante seigneurie ecclésiastique, ce qui permit aux habitants d’échapper à la tutelle directe des ducs de Bretagne84. À partir du XIIIe siècle et de façon croissante par la suite, le roi de France s’appuya sur la course malouine pour contester le pouvoir anglais dans le canal de la Manche, récupérer la Normandie et accentuer son influence en Bretagne85. De ces services militaires, en particulier ceux livrés pendant la guerre de Cent ans, Saint-Malo obtint de nombreux avantages économiques. En effet, par les lettres patentes de 1395, Charles VI octroyait aux Malouins d’importants privilèges avec comme noyau central une immunité fiscale généralisée aux habitants, ainsi qu’aux étrangers86.
44Aussi, dans le dernier quart du XVe siècle, n’était-il pas étonnant de retrouver les Malouins, devenus plus français que bretons, aux côtés du roi dans l’affrontement maritime franco-breton au cours de la lutte entre le roi de France et un duché dont l’indépendance politique était devenue insupportable87. Il n’en retirait pas seulement des privilèges économiques, comme on vient de le voir, mais aussi une gestion militaire propre, en matière de fortifications par exemple88. Or, c’était à travers ces fortifications que rois et ducs transformaient certaines villes portuaires en bases militaires89, introduisant ainsi dans la ville des pouvoirs concurrents de ceux de la municipalité. L’indépendance des armes et la gestion propre des affaires de défense représentaient une limite stricte à la marge de manœuvre des seigneurs et à celle du roi vis-à-vis des élites malouines. Fait capital pour comprendre l’avantage de Saint-Malo sur Nantes, au moment où éclatèrent les guerres de Religion, moment de pression maximum sur les villes, leurs élites et leurs privilèges.
45Par ailleurs, compte tenu des conflits ambiants de la seconde moitié du XVe siècle, les Malouins se virent attribuer de la part du duc le privilège d’escorter les convois marchands contre les Anglais aussi bien que contre les Français90. Le développement de cette force armée malouine à l’intersection des antagonismes territoriaux entre l’Angleterre, la Bretagne et la France, protégeant tour à tour le roi de France et le duc de Bretagne, aidait le port de la Rance à construire son propre territoire. Entre le XIIIe et le XVe siècle, cette même force armée au service du roi de France permettait aux Malouins de se jouer de la rivalité des pouvoirs épiscopal, ducal et royal pour tirer leur épingle du jeu.
46À la faveur de cette position particulière, les bourgeois de Saint-Malo développèrent leurs activités guerrières et commerciales pendant les siècles suivants. Cette force ne déclina pas au XVIe siècle comme on l’a supposé91 : elle s’accrut même pendant cette période, à l’issue des guerres de Religion, comme à chaque fois que la monarchie recourut aux services des Malouins.
47En 1513, les habitants de Saint-Malo qui bénéficiaient déjà de nombreux privilèges commerciaux s’appuyèrent sur la reine Anne pour obtenir la création d’une communauté de ville et l’abaissement des droits perçus par la co-seigneurie92. Dès les premières assemblées, les bourgeois nommèrent des officiers municipaux. Toutefois, il y eut peu de délibérations entre 1561 et 157593, et le capitaine de la ville, nommé par le duc – qui prêtait serment au roi et au chapitre tandis que ce dernier nommait les officiers94 – présidait les assemblées de bourgeois dont les droits étaient restreints, seulement pour réparer les murailles ou lutter contre les épidémies95. À cette époque, trois pouvoirs dominaient la ville : celui déclinant de l’évêque et des chanoines, celui du capitaine-gouverneur et celui montant des bourgeois96.
48Par à-coups, en se jouant des rivalités entre puissants, les bourgeois allaient réussir à s’imposer à leurs concurrents. En 1575, Henri III délivra des lettres patentes en vue de la création d’une juridiction consulaire, mais sur les oppositions des chanoines et du chapitre (oppositions de 1576 et de 1582 au cours desquelles les États généraux se mirent du côté de l’évêque et des chanoines) – qui avaient la juridiction ordinaire –, l’établissement en fut différé jusqu’en 159497.
49Les titulaires des charges de consul et de prieur étant le plus souvent des échevins, la communauté de ville contrôlait le consulat98. Grâce à la cooptation, une trentaine de familles de marchands et d’armateurs monopolisait les charges de prieurs et consuls99. Les commerçants de la ville avaient en outre la faculté de faire arrêter les étrangers pour dette ou délit100.
50Autre privilège d’importance : la cité avait sa propre garde. Même si l’on ne possède pas de renseignements sur son origine exacte, il est probable que le caractère immémorial auquel faisait référence les Malouins à ce sujet, remontait à 1384, époque où ne pouvant mettre de garnison dans la ville de Saint-Malo le pape en avait confié la garde aux co-seigneurs et à leurs vassaux les bourgeois101. Ce ne fut qu’avec les guerres de Religion et l’instauration de la République malouine que naquit cette coutume de garde de la ville par les Malouins eux-mêmes, qui serait par la suite confirmée comme privilège par Henri IV, Louis XIII et Louis XIV, respectivement en 1594, 1610 et en 1643102.
51Dans le dernier tiers du XVIe siècle, particulièrement troublé, les Malouins réussirent à négocier au mieux de leurs intérêts leur force militaire. Ils semblaient invincibles sur mer103 et, dans le port, en 1589, il existait quatorze compagnies de milice bourgeoise. Avant le commencement de la guerre civile, le procureur syndic de la ville, les quatorze capitaines de la milice et quatre capitaines généraux formaient un conseil souverain de la commune104. En 1590, soupçonnant le gouverneur de vouloir introduire une garnison royaliste dans la ville et rançonner les riches marchands pour établir une autorité despotique, les Malouins le tuèrent105. Comme ils n’avaient pas besoin de secours militaire, ils ne laissèrent pas pour autant Mercœur pénétrer dans leur ville et refusèrent de participer aux frais de guerre qu’il établissait en grevant le commerce marchand106.
52Saint-Malo, d’abord ligueuse, se constitua en république autonome dès mars 1590. Après la mort du gouverneur, les Malouins imposèrent que ce dernier ne tiendrait dorénavant son autorité que des habitants ; ils levèrent aussi des impôts et constituèrent des troupes armées107. Ceux qui avaient alors le pouvoir à Saint-Malo étaient des gens de « créance et de moiens » qui voulaient « tendre à la liberté108 ». Saint-Malo devait avant tout protéger ses intérêts commerciaux et écrivit dans ce sens aussi bien aux États de Hollande en 1589, qu’à Philippe II en 1591 et en 1594.
53Les opérations étaient menées par de puissantes familles d’armateurs-négociants qui formaient le nouveau conseil et s’y maintenaient par divers moyens : épuration, cooptation, etc.109. Il s’agissait de lignages enrichis dans le négoce avec l’Andalousie, ceux-là même qui concurrençaient Castillans et Nantais dans le commerce des toiles bretonnes en Espagne. Ces armateurs-négociants entraient au conseil et dans les charges à la tête d’une clientèle d’ouvriers et de marins qu’ils occupaient ; ils avaient mené les opérations à l’origine des révoltes urbaines110.
54L’argent et l’indépendance des armes leur permettaient de garder à distance Mercœur et Henri de Navarre en se défendant d’une mise sous tutelle : Mercœur par la menace de leur puissance de feu, Henri de Navarre grâce à leur utilité militaire et aux barres et réaux d’argent rapportés d’Espagne111, même si au plus fort des troubles l’hôtel des monnaies de Rennes ne fonctionna pas à plein rendement. Les Espagnols et les Hollandais avaient également besoin de leur commerce. À cette époque, en 1591, les bateaux de Saint-Malo de retour d’Espagne, avec 500 000 écus à leur bord, relâchaient à Blavet, port sous contrôle espagnol, à cause de la menace des navires anglais présents en Bretagne112.
55Compte tenu de l’homogénéité relative de son milieu militaro-marchand, l’élite malouine et le port échappèrent à la manipulation politique des pouvoirs étrangers et français. De même, les incitations économiques de la monarchie française échouèrent. Les aliénations du domaine royal observées pour Nantes n’existaient pas à Saint-Malo, puisque la cité était hors du domaine royal. De plus, à la fin du XVIe siècle, les Malouins refusèrent l’établissement d’un hôtel des monnaies dans leur ville, disant ouvertement qu’ils voulaient bailler leurs réaux aux plus offrants, ce dont la cour des monnaies se plaignait113. Comme si cela était peu, en tant que villes productrices de textiles, Saint-Malo, Vitré et Morlaix recevaient la protection des États tandis que Nantes avait peu d’alliés en leur sein114.
56La double nature de leur activité, commerciale et guerrière, se solda par un accroissement de leurs prérogatives en 1594. Lors de la reddition de la ville, les Malouins obtinrent la création d’un consulat, dont les co-seigneurs ecclésiastiques avaient longtemps bloqué la promulgation115. Ce fut l’une des concessions majeures consenties aux Malouins en échange de leur soumission à l’autorité royale. Mais si l’on y regarde de près, il y en eut d’autres, dont la signification n’a pas été mise en valeur, notamment dans le domaine de la puissance de feu de la ville. En effet, tandis que le parlement de Rennes, demeuré fidèle au roi, avait condamné à la roue et à la corde le procureur de la ville et une centaine d’habitants, suite à l’assassinat du capitaine-gouverneur, le roi accorda un pardon général et imposa le silence aux Rennais et aux héritiers de ce dernier. Les prérogatives de la ville furent maintenues, avec dispense de toute garnison, liberté commerciale complète et six ans d’exemption de toutes tailles et emprunts116. Privilège souvent passé sous silence, la ville eut le droit de fondre de l’artillerie pour sa défense et ses nombreux bateaux qui couraient la mer117. En outre, par privilèges spéciaux, le roi donnait aux juges de Saint-Malo le pouvoir de connaître et de décider tous cas royaux en première instance, la ville se soustrayant ainsi à la tutelle rennaise en pareille matière118.
57On comprend mieux pourquoi les Malouins avaient réussi à négocier en leur faveur avec Henri IV, en 1594. Les marchands-guerriers faisaient le commerce d’Andalousie et rapportaient depuis une vingtaine d’années des sommes prodigieuses de comptant à Saint-Malo ; ils figuraient parmi les grands pourvoyeurs de l’argent qui entrait à l’hôtel des monnaies de Rennes. Bien sûr, les agents du roi devaient payer les barres d’argent ou les réaux, mais compte tenu des quantités en jeu, le monarque les obtenait à bon prix et en retirait le droit de seigneuriage qui lui rapportait de grosses quantités d’argent.
58L’impossibilité pour Henri IV de manœuvrer à Saint-Malo était également due au caractère relativement monolithique de sa bourgeoisie, nous l’avons évoqué. Il ne nous est pas permis de suivre les fronts de parenté marchands qui se formèrent dans la ville. Nous nous en tiendrons à quelques indices forts. Tout d’abord, la stratégie sociale des lignages bourgeois était sans conteste sa fidélité au commerce et, jusqu’en 1690, les évasions vers les offices de finance de la province, ceux de la chambre de comptes de Nantes surtout, demeurèrent des cas isolés119. De plus, la grande noblesse bretonne et les juristes accaparaient les prestigieux offices du parlement de Bretagne, empêchant ainsi les marchands d’y avoir une importante représentation politique120.
59Ensuite le milieu marchand était constitué de marchands et de marchands-guerriers, c’est-à-dire d’hommes qui conjuguaient la fonction d’armateurs et de capitaines de navires navigant avec celle de marchands. Cela renvoyait au triple rôle que les Malouins jouaient depuis les derniers siècles de la période médiévale : marchands, corsaires et protecteurs armés des convois de commerce. Le service du roi fondait dans un même moule ces trois activités et donnait au milieu militaro-marchand une grande homogénéité sociale que les Malouins mettaient à profit pour le commerce avec l’Espagne.
60Dans un contexte de mondialisation des échanges et de multiplication des conflits, la mobilité et la prégnance de valeurs maritimes au sein du monde marchand représentaient des atouts importants. Parce qu’elle permettait de maintenir la cohérence interne d’un groupe d’acteurs, la possession des armes était aussi un trait différenciateur marqué lorqu’on prenait en considération la performance des élites. L’exercice des armes exacerbait l’identité locale et la coopération des marchands-guerriers tandis qu’en temps de conflits les réseaux exclusivement marchands se délitaient.
61Cette accumulation de pouvoir économique et guerrier à Saint-Malo, valorisée par les rois de France, renforçait certainement le sentiment de puissance et de domination des mers des Malouins. C’était le trait distinctif majeur de ces élites portuaires liées aux monarques. Elles s’étaient forgées au cours des conflits atlantiques du Moyen Âge et du début de l’époque moderne un pouvoir maritime important. Le roi de France qui avait le monopole de la guerre n’avait pas celui de la force armée.
62En période de conflits et en fonction de ces caractéristiques, le roi construisait son territoire au détriment de certains ports marchands, comme celui de Nantes, dont l’indépendance des armes était fragile, et au profit de certains autres, comme Saint-Malo, qui à leur fonction militaire ajoutait un grand développement marchand avec le soutien du monarque. La période des guerres de Religion se solda en l’occurrence par la reconsidération des privilèges des villes à l’échelle du royaume, en fonction de la capacité de chacune d’elles à se défendre des pressions royales et à lui prêter des services. Ce raisonnement conduit à expliquer pourquoi au XVIIe siècle, dans une tourmente guerrière presque continue, les Malouins contribuèrent si activement aux échanges marchands atlantiques et transatlantiques.
63Pendant les guerres de Religion, Nantes et Saint-Malo ne furent pas des exemples isolés de développement différencié, car après la mort des Guise à Blois et celle de Henri III, nombre de villes, en passant à la Ligue, se risquèrent à compromettre leurs privilèges et donc leur place et leur fonction au sein du royaume. Les revers de certaines grandes familles à Paris les poussaient sans doute à privilégier les solidarités sociales régionales sur les territoires où leur patrimoine foncier était important. Tandis que des provinces entières se soulevaient contre Henri de Navarre, certaines villes servaient les deux partis en lutte et, au sein du chaos, accroissaient leur indépendance. Saint-Malo mis à part, Marseille, La Rochelle et Morlaix acquirent un état avancé d’indépendance121, ce qui montre la difficulté du roi de maîtriser ses frontières maritimes.
64Ces villes avaient en commun d’être dotées d’une autonomie militaire et commerciale et de vouloir s’ériger en république. En effet, en dehors de sa fonction commerciale, Marseille avait une vocation militaire abritant galères royales et corsaires. En 1595, les galères de Carlo Doria entrèrent dans le port avec 1 200 soldats espagnols et italiens, et les députés marseillais offrirent de céder Port-de-Bouc comme base pour les soldats espagnols122. C’était l’équivalent du Blavet breton, où Philippe II avait fait débarquer ses soldats pour soutenir Mercœur. La faible polarisation des élites guerrières à fort pouvoir économique par le roi de France provoqua au premier chef ces désordres, lesquels furent instrumentalisés par Philippe II123.
65Le roi de France avait échoué à tisser un lien fort d’interdépendance avec certaines de ses élites maritimes, largement modelées de l’extérieur. En période de guerre, la construction du territoire français et le contrôle aux limites du royaume s’avéraient fragiles. Cette possibilité d’ingérence de la Castille en France et l’interdépendance commerciale entre les deux royaumes avaient eu raison d’une possible guerre ouverte entre les deux ennemis politiques dans la seconde moitié du XVIe siècle.
66Toutefois, le processus de mondialisation lié aux flux importants de métaux précieux et la montée en puissance de certains pouvoirs locaux ne signifia pas un affaiblissement durable du pouvoir royal. Les États-nations émergents comme la France étaient à la fois malmenés par la mondialisation et consolidés par ses effets différenciateurs dans le champ économique. Plus qu’une opposition entre des économies mondialisées et des États, il existait une articulation entre les deux. En effet, la réussite malouine permettait au gouvernement français de battre monnaie et d’augmenter ses droits de seigneuriage. Et les Malouins avaient besoin de se voir garantir leurs privilèges pour continuer à être une voie privilégiée d’exportation de toiles. Comme le gouvernement français avait une faible force en passant par ses institutions, il passait par le social et captait le capital marchand et la force armée de cette façon. En ce sens, l’État n’avait pas une politique soit coercitive, soit de négociation, vis-à-vis des villes et de leurs élites : il avait l’une et l’autre alternativement en fonction de la capacité de négociation des élites avec lesquelles il transigeait. Le roi n’était pas un obstacle au développement économique, mais il canalisait les gains de l’économie en polarisant les réseaux. Et il tirait aussi profit des faiblesses du champ économique.
67La formation du royaume se fit donc par petites touches successives. Elle fut un processus très lent et un de ses éléments clef résidait dans le mode d’organisation des relations entre les élites locales et la monarchie124. S’il avait le monopole de la guerre, le roi n’avait pas celui des armes non plus que l’exclusivité du contrôle de la monnaie. Pour pouvoir livrer bataille, le monarque français était obligé de recourir aux services de certains de ses sujets, spécialisés dans le métier des armes et le maniement de l’argent.
68Il fallait donc qu’il pût compter avec les hommes d’affaires contrôlant les circuits de l’argent et le maniement des armes, en particulier les marchands-guerriers et les marchands-banquiers. Pour cela, ils devaient s’entendre avec eux, individuellement et/ou collectivement, et octroyer, selon les cas, des privilèges aux villes dont ils assuraient le contrôle politique, ce qui hypothéquait certaines prérogatives royales et « déconstruisait » paradoxalement le territoire dans certaines zones.
Annexe
Évolution de la structure sociale de la firme de Simón Ruiz et compagnie sur l’axe Nantes-Bilbao-Castille (1556-1593)
Date | Associé(s) de Castille | Facteurs de Bilbao | Facteurs de Nantes | Associés de Nantes |
1556-1562 | Simón Ruiz | Nicolas Fyot, 1559-1560 | André Ruiz I | Yvon RocazJean Le Lou |
Simón Ruiz | Guillaume Saligot, 1560-1561 | André Ruiz I | Yvon RocazJean Le Lou | |
1562-1565 | Simón Ruiz | Mathurin Bizeul | André Ruiz I | Yvon RocazJean Le Lou |
1565-1568 | Simón Ruiz | Bartolomé del Barco | André Ruiz I | Yvon Rocaz († 1569)Jean Le Lou († 1566) |
1568-1570 | Simón Ruiz | Bartolomé del Barco | Julien Ruiz André Ruiz I († 1580) | Michel Le Lou Yvon Rocaz († 1569) (fin de la compagnie 1569) |
1571-1580 | Simón Ruiz | Bartolomé del Barco | Julien Ruiz († 1583) | |
1581-1583 | Simón Ruiz | Bartolomé del Barco | Julien Ruiz († 1583) André Ruiz II | |
1584-1590 | Simón Ruiz À partir de 1585 Cosme Ruiz Lope de Arciniega | Bartolomé del Barco Sancho del Barco | André Ruiz II Hortuño del Barco | |
1591-1593 | Simón Ruiz Cosme Ruiz Lope de Arciniega | Bartolomé del Barco Sancho del Barco | Hortuño del Barco Domingo del Barco | |
1594 | Simón Ruiz Cosme Ruiz Lope de Arciniega | Sancho del Barco Lope de Arciniega | Hortuño del Barco Domingo del Barco |
Légende :
Origine géographique : Simón Ruiz : Castillan ; Bartolomé del Barco : Basque ; Mathurin
Bizeul : Breton.
Parenté :André Ruiz I (Nantes) : frère de Simón ; André Ruiz II (Nantes) : fils d’André I et neveu de Simón ; Julien Ruiz (Nantes) : fils d’André I et neveu de Simón.
Notes de bas de page
1 Cette dispute autour des questions commerciales se prolongea durant deux longues années, Rodríguez Salgado M. J., Un imperio en transición, Barcelona, Crítica, 1992, p. 122.
2 Ruiz Martín F., Pequeño capitalismo, gran capitalismo. Simón Ruiz y sus negocios en Florencia, Barcelona, Editorial Crítica, 1990, p. 21-24.
3 Sur la composition de la firme voir annexe et aussi Lapeyre H., Une famille de marchands : les Ruiz, Paris, A. Colin, 1955 ; Lapeyre H., El comercio exterior de Castilla a través de las aduanas de Felipe II, Valladolid, Universidad de Valladolid, 1981.
4 Priotti J.-P., « Metales preciosos, competencia comercial y transformación económica en el Atlántico franco-español (1550-1570) », Jahrbuch für Geschichte Lateinamerikas, 43, Böhlau-Verlag-Köln-Weimar-Wien, 2006, p. 25-40 ; Priotti J.-P., « Logiques commerciales d’une globalisation. Les toiles françaises dans l’Atlantique hispano-américain (1550-1600) », Pérez B., Rose S. et Clément J.-P. (éd.), Des marchands entre deux mondes, Paris, Presses Universitaires de la Sorbonne, 2007, p. 15-41.
5 Entre 1518-1537 et 1551-1575, Saint-Malo enregistra une progression de 68 % tandis que pendant le même temps la paroisse Saint-Nicolas de Nantes augmenta de 42 %. Voir Croix A., Nantes et le pays nantais au XVIe siècle, Paris, SEVPEN, 1974, p. 166. De plus, la population malouine continua de croître durant le derniers tiers du siècle et passa de quelque 4 300 habitants au début du XVIe siècle à plus de 10 000 habitants à la fin du siècle, en particulier grâce à une forte natalité ; Croix A., op. cit., p. 210.
6 L’écart des prélèvements que les autorités politiques (ducale ou royale) réalisèrent sur les économies des deux villes tendit à se résorber au cours du siècle, ce qui indiquerait que la place économique de Saint-Malo ne cessa de grandir au sein de l’ensemble breton entre la fin du XVe siècle et la fin du XVIe. En 1483, lorsque le duc de Bretagne ordonna la levée de deniers pour la défense des villes du duché, la contribution nantaise se fit à hauteur de 200 livres tandis que celle de Saint-Malo ne fut que de 60 livres. Voir Arch. mun. de Nantes, EE 161. Ce rapport de 1 à 3,5 environ entre les deux ports fut confirmé par la suite. En 1536, afin de payer les mercenaires chargés de lutter contre Charles Quint, Nantes contribua pour 4 000 livres tandis que Saint-Malo n’en déboursa que 1000. Voir Arch. mun. de Nantes, AA 23. Toutefois, douze ans plus tard, l’écart de richesse entre ces deux villes semblait s’être amenuisé, puisque sur 60 000 livres prélevées sur l’ensemble du duché, Nantes devait fournir 4 000 livres et Saint-Malo 2 255. Voir Vaihlen J., Le conseil des bourgeois de Nantes, thèse de doctorat de droit, université de Nantes, p. 160. Bien que grossières, ces valeurs devaient un tant soit peu tenir compte de la situation des économies urbaines.
7 Le volume des frappes monétaires réalisées à Nantes et à Rennes dont l’hôtel des monnaies était alimenté en argent par la voie malouine confirme le développement différencié des deux ports bretons dans la seconde moitié du XVIe siècle. Dans le parallèle qui nous intéresse, Saint-Malo fit jeu égal avec Nantes dans l’intervalle 1561-1570 et supplanta la cité ligérienne entre 1571 et 1590. Voir Spooner F. C., L’économie mondiale et les frappes monétaires en France, 1493-1680, Paris, Armand Colin, 1956, cartes, p. 263-264.
8 Vaihlen J., Le conseil…, op. cit., p. 164.
9 Cette nuance revêt une importance capitale car, comme nous le verrons, ces implications différenciées renvoyaient à l’ancienneté de l’installation et au degré d’intégration dans le milieu d’origine.
10 Yokoyama N., Le « noyau » du conseil des bourgeois de Nantes au milieu du XVIe siècle, mémoire de Master (sous la direction de Saupin G.), 2001-2003, p. 8 notes 14-19, p. 9 notes 21-25.
11 Ibid., p. 11 notes 33-38.
12 Henri II, en tant que premier roi de France héritier du duché, y fit progresser l’impôt. En 1552, il imposa une taxe sur les marchés. Outre la taxe, il entendait créer 140 offices destinés à son prélèvement. Afin de faire abolir ces deux mesures et de répartir la charge nouvelle à leur convenance, les États de Bretagne empruntèrent 120 000 livres à André Ruiz I, Yvon Rocaz, Jean Le Lou et Julien Motay. Voir Collins J., Classes, Estates and Order in Early Modern Brittany, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 124 ; Collins J., « Les finances bretonnes du XVIIe siècle : un modèle pour la France », Bayard F. (dir.), L’administration des finances sous l’Ancien Régime, Comité pour l’Histoire Économique et Financière, Paris, 1997, p. 311. En 1559, André Ruiz I fit l’avance des 50 000 livres au roi, imposées à l’ensemble des villes closes de Bretagne. Voir Yokoyama N., Le « noyau »…, op. cit., p. 18.
13 Yokoyama N., Le « noyau »…, op. cit., annexes 1, 2 et 3.
14 L’emprise des négociants sur la municipalité ne s’arrêtait pas à ces grands noms. Des trentesept bourgeois siégeant au conseil de la ville entre 1555 et 1562 et ayant un rôle important, la moitié provenait de la paroisse de Saint-Nicolas dont dix du quai de la Fosse, les chefs de file étant ceux participant à la firme Ruiz. Les Poullain, par exemple, avaient tissé des relations d’amitié avec les Le Lou, les Ruiz et les de la Presa. Il s’agissait de quatre des cinq familles qui structuraient le noyau du conseil. Voir Yokoyama N., Le « noyau »…, op. cit., p. 30, 44-48 et annexe 6.
15 Saupin G., Nantes au XVIIe siècle. Vie politique et société urbaine, 1996, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 16-17.
16 Ibid.
17 Ibid.
18 Ibid, p. 48. Entre 1565 et 1597, dix marchands, onze officiers (quatre du groupe sénéchaussée-présidial, cinq pour les comptes, deux au parlement) et deux avocats furent nommés maire, ibid., p. 154.
19 Certes, à Nantes, les Espagnols l’emportaient de loin sur les autres étrangers, et leur installation était ancienne. Après la paix de Cateau-Cambrésis nombre d’entre eux s’installèrent à Nantes, puisque le nombre des baptêmes les concernant fit plus que doubler entre 1561-1565 et 1566-1570. Voir Saupin G., La vie municipale…, op. cit. À Nantes, le nombre des Espagnols s’était tellement accru que la langue castillane y avait acquis droit de cité : bon nombre d’actes de baptêmes étaient rédigés en castillan. Voir Mathorez J., « Notes sur les rapports de Nantes avec l’Espagne », Bulletin Hispanique, 1912, p. 388-389. Yvon Rocaz était un des tout premiers espagnols à avoir épousé une Française, Saupin G., La vie municipale…, op. cit., p. 212.
20 Ou en s’interrogeant : « Peut-on encore parler d’Espagnols ? » Dans un ouvrage récent, l’intégration des Castillans à Nantes est même érigée en modèle. Voir Croix A. (coord.), Nantais venus d’ailleurs. Histoire des étrangers à Nantes des origines à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 26-37.
21 Herzog T. Defining Nations. Immigrants and citizens in early modern Spain and Spanish America, New Haven & London, Yale University Press, 2003, p. 5-6.
22 André Ruiz I était lui-même marié à Isabel de Santo Domingo, issue d’une famille castillane. Elle était la fille de Francisco de Santo Domingo, établi à Nantes dès 1522. Voir Mathorez J., « Notes sur les rapports de Nantes avec l’Espagne », Bulletin Hispanique, 1912, p. 397.
23 De plus, Nantais et Espagnols n’occupaient pas la ville de la même façon. Tandis que les marchands espagnols vivaient tous dans la paroisse Saint-Nicolas, les Français se répartissaient dans l’ensemble des paroisses de la ville.
24 Deux filles d’André Ruiz I avaient épousé, l’une Jean Morin, avocat du roi au présidial de Nantes, sieur de la Marchanderie, maire en 1570, l’année de son mariage, et l’autre Jacques Barrin, en 1573, président au parlement de Rennes et à la chambre des comptes.
25 En 1565, Jeanne, une fille d’Yvon Rocaz, épousa Julien Ruiz et une fille d’André Ruiz I épousa Julien Rocaz vers 1564. Mais cette dernière mourut en 1568. En 1576, André Ruiz II épousa Bonaventure Compludo. Voir Lapeyre H., Une famille…, op. cit., p. 52. Yvon Rocaz, de son côté, maria plusieurs de ses autres enfants avec des membres de familles marchandes nantaises : les Le Lou et les Fyot. Tous faisaient office d’associés ou de facteurs dans la compagnie Ruiz-Rocaz-Le Lou.
26 André Ruiz I, qui avait reçu sa lettre de naturalité en 1547, se trouvait parmi les délégués des marchands députés à l’assemblée qui se tint dans la salle des Cordeliers, lors de la création de la mairie, en novembre 1564. Voir Perret A., « André Ruiz », Bulletin de la Société Archéologique de Nantes, 1949, t. 87, p. 10.
27 La municipalité règlementait les lieux de travail et les marchés, et défendait ses privilèges à travers ses membres. De plus, des avantages étaient réservés aux membres du corps de la ville (avantages financiers, prestige social et anoblissement transmissible depuis les lettres patentes de François II en 1559).
28 Si à la place de considérer les familles isolément, on prend les fronts de parenté pour « unité d’étude », on s’aperçoit que certains fronts de parenté contrôlèrent les charges municipales pendant un certain temps. En effet, lors des premières élections, fin 1564, Yvon Rocaz devint sous-maire et il occupa le poste de maire entre 1566 et 1568 tandis que son associé Jean Le Lou était élu échevin en 1565. La branche Ruiz du front de parenté prit alors la relève : Jean Morin fut élu maire dès après son mariage avec la fille d’André Ruiz I en 1570, et ce jusqu’en 1571. Ce fut également en 1570 que les beaux-fils d’Yvon Rocaz, Michel Le Lou et Nicolas Fyot, furent respectivement élus sous-maire et échevin. Nicolas Fyot accéda au poste de sous-maire en 1572-1573 et Jean Le Lou à celui de maire en 1573. Si nous ne connaissons pas la date du mariage de Jean Le Lou avec la fille d’Yvon Rocaz, en revanche, il est sûr que Nicolas Fyot se maria avec Marguerite Rocaz avant son accession au pouvoir municipal. À cette date, Bonaventure de Compludo était échevin et le fut jusqu’en 1576. Après le mariage de sa fille avec André Ruiz II en 1576, un des fils d’André Ruiz I, Bonaventure fut élu maire en 1581 et en 1582, et André Ruiz II, pour sa part, officia en tant qu’échevin. Les fils d’Yvon Rocaz, Jean et Julien, prolongèrent cette participation en occupant pour le premier le poste d’échevin en 1578-1579 et celui de sous-maire en 1580-1581, et pour le second celui d’échevin en 1582 et de sous-maire en 1584-1585. Ce front de parenté occupa les postes-clé de la mairie de 1564 au milieu des années 1580, pendant une vingtaine d’années.
29 Priotti J.-P., « Conflits marchands et intégration économique (Bretagne, Castille et Andalousie, 1560-1580) », Priotti J.-P. et Saupin G. (dir.), Le commerce atlantique franco-espagnol. Acteurs, négoces et ports (XVe-XVIIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 73-99.
30 En effet, les beaux-frères de Julien Ruiz étaient à la tête de la communauté marchande nantaise faisant des affaires à Séville. Nicolas Fyot, lequel s’était marié avec une fille d’Yvon Rocaz et qui avait été facteur de Simón Ruiz à Bilbao, s’était entouré du facteur d’Yvon Rocaz : Saligot G., « Nicolás Fyot [era] doctor de todos en Sevilla y Saligot su factor ». Voir Arch. Hist. Prov. de Valladolid, fonds Ruiz, C20-168, JR à SR, 30-9-1573. Julien Ruiz ne s’entendait pas du tout avec ses beaux-frères.
31 En 1572, Simón Ruiz leur paya des dividendes, lesquels étaient certainement issus de la compagnie qu’Yvon Rocaz avait eu avec lui. Voir Arch. Hist. Prov. de Valladolid, C17-175, JR à SR, 16-5-1572.
32 Arch. Hist. Prov. de Valladolid, C17-198, JR à SR, 14-10-1572.
33 Ruggiu F.-J., Les élites et les villes moyennes en France et en Angleterre (XVIIe-XVIIIe siècles), Paris, Éditions L’Harmattan, 1997.
34 Julien Rocaz fut receveur des fouages et Nicolas Fyot du taillon, Le Page D., « Les grands officiers de finances en Bretagne dans la seconde moitié du XVIe siècle », Bayard F. (dir.), Pourvoir les finances en province sous l’Ancien Régime, Comité pour l’histoire économique et financière, Paris, 2002, p. 197.
35 Ibid., Vital de Contour était marié à Françoise Morin, sœur de Jean Morin, premier président de la chambre des comptes de Bretagne et gendre d’André Ruiz I ; Julien Rocaz, son successeur, avait épousé en premières noces Marie Ruiz, fille d’André Ruiz I et en secondes noces, Françoise de Contour, fille de Vital. Julien Rocaz transmit ensuite la charge à son gendre Nicolas Fyot, époux de sa fille Marguerite.
36 Ainsi, en 1580, Nicolas Fyot, marié avec une fille d’Yvon Rocaz et ancien employé de la firme Ruiz, plus tard receveur général du taillon en Bretagne, achetait certains de ces droits.
37 Le Page D., « Les grands officiers de finances… », op. cit., p. 195.
38 Le Roux N., La faveur du roi. Mignons et courtisans au temps des derniers Valois (vers 1547-vers 1589), Seyssel, Champ Vallon, 2000, p. 104, 212.
39 Blaufarb R., « Vers une histoire de l’exemption fiscale nobiliaire. La Provence des années 1530 à 1789 », Annales, Histoire, Sciences Sociales, nov-déc. 2005, no 6, p. 1203-1228. En suscitant la division des élites provinciales au sujet de la répartition de la charge fiscale, les exigences royales contribuèrent à multiplier les disputes internes, qui non seulement sapèrent la cohésion des institutions provinciales susceptibles de s’opposer à l’intrusion royale, mais poussèrent les élites régionales désunies à réclamer l’arbitrage royal. L’imposition déclencha donc une dynamique corrosive qui affecta les solidarités provinciales.
40 Traditionnellement, le principal allié politique des marchands venait du monde des officiers de finance royaux, mais ce groupe était assez réduit en Bretagne. Collins J., Estates and Order…, op. cit. Aussi, en Bretagne, le pouvoir du roi s’appuya surtout sur les nobles et les juristes. Il faut insister sur le fait que la Bretagne était la seule généralité qui n’ait pas de bureau des finances. L’élite mercantile bretonne qui manqua de leviers de pouvoir était assez inutile pour le roi en tant qu’alliée. Parmi les cinquante familles françaises de la « contractation », trois ou quatre seulement passèrent à la bureaucratie royale avant 1650 et deux étaient déjà dans la bureaucratie avant 1580.
41 Ainsi, en 1578, la duchesse de Montpensier envoya une lettre de faveur à son oncle, le cardinal, pour Vitores Ruiz, neveu d’André Ruiz I et de Simón.
42 Depuis 1540, les Montmorency possédaient la baronnie de Châteaubriant (23 paroisses). Le duc de Mercœur, quant à lui, acheta la baronnie d’Ancenis en 1599. Un autre grand seigneur du comté de Nantes était le duc de Retz. Les Gondi achetèrent la baronnie de Retz au XVIe siècle. Henri III l’éleva au rang de duché en 1581, duché de 86 paroisses. De 1543 à 1565, le duc d’Étampes fut gouverneur de Bretagne et appliqua fidèlement la politique de concorde de Catherine de Médicis et de L’Hospital. Louis de Bourbon, duc de Montpensier, fut gouverneur de Bretagne de 1569 à 1582. En 1582 lui succéda le duc de Mercœur. Il s’opère une montée en puissance de la fonction du gouverneur parallèle au fléchissement de l’autorité royale pendant les guerres de Religion. Voir Collins J. B., Classes, Estates…, op. cit., p. 116-117 ; Saupin G., Nantes au temps de l’édit, Geste Éditions, La Crêche, 1998, p. 30, 114-117.
43 Le Page D., « Les grands officiers… », op. cit., p. 197.
44 Collins J. B., « La gestion du domaine royal en Bretagne », Bayard F. (dir.), Les finances en province sous l’Ancien Régime, Comité pour l’Histoire Économique et Financière, Paris, 2000, p. 155.
45 Real Academia de la Historia, Archivo documental español. Negociaciones con Francia, Madrid, 1959, t. 10, p. 460. Je remercie Bertrand Haan d’avoir attiré mon attention sur cette citation ; Le Roux N., La faveur du roi…, op. cit., p. 17, 40 et suivantes.
46 Le pays de Rais (ou Retz) en Bretagne échut aux Gondi à partir du mariage d’Albert de Gondi avec Catherine de Clermont en 1565, laquelle l’avait reçu en douaire de son premier mari. L’accumulation des droits en Bretagne fut particulièrement impressionnante. Le rôle d’Albert de Gondi à la cour fut de toute première importance à partir de 1565. Comte de Retz et marquis de Belle-Île en 1573, avant de devenir duc et pair en 1581. C’était l’une des premières fortunes de France. Le plus remarquable dans l’ascension de Gondi, ce fut la répartition par capillarité des bénéfices de la faveur à ses parents. Voir Le Roux N., La faveur du roi, op. cit., p. 63-68 ; Dubost J.-F., La France italienne, XVIe-XVIIe siècle, Aubier, 1997, p. 180, 234, 239-241, 251, 272, 275, 295-297.
47 Dès le premier tiers du XVIe siècle, la royauté avait peuplé d’Italiens les bénéfices lucratifs du diocèse. Après l’arrivée des Gondi en Bretagne ce mouvement de favoritisme alla croissant jusqu’au moment où les membres de la famille des ducs de Retz, préférant leur propre avantage à celui de leur clientèle, sollicitèrent pour eux-mêmes des bénéfices fructueux. Albert de Gondi, duc de Retz, était gouverneur de la ville de Nantes en 1568. Lorsque Mercœur s’empara du château de la ville, il fut évincé sinon de ses fonctions du moins de son autorité. Lorsqu’il eut adhéré à la politique de la Sainte Union, en 1591 (mais Gondi avait rallié la cause de Mercœur bien avant), il obtint le commandement de la flottille de la Ligue et fut nommé amiral des galères. Voir Mathorez J., Les étrangers en France sous l’Ancien Régime, Paris, édouard Champion Éditeurs, 1919, p. 11-17.
48 Le Roux N., La faveur du Roi…, op. cit., p. 164-168, 193.
49 Le 22 décembre 1572, Jeanne Rocaz eut un fils que Julien voulait prénommer Simón. Mais le duc de Montpensier, gouverneur de Bretagne, arriva à Nantes le lendemain et lorsqu’il sut que la belle-fille d’André Ruiz I avait accouché, il voulut qu’on lui donne son prénom, Louis, et il s’offrit comme parrain, Archivo Histórico Provincial de Valladolid, C20-122, 31-01-1573, AR I à SR. Bien qu’anecdotique en apparence, cette affaire montre la capacité des Grands à attirer et à protéger de nouveaux clients au détriment des liens de ces derniers avec leurs parents de Castille.
50 André Ruiz I avait eu à s’occuper de nombre de choses avec le gouverneur (duc de Montpensier) et n’avait pu écrire à Simón Ruiz, Archivo Histórico Provincial de Valladolid, C20-130, 27-01-1573, JR à SR.
51 André Ruiz II « puede entrar y salir cuando quiere en la cámara del rey. […] Y la reina madre le habla luego que le ve », Archivo Histórico Provincial de Valladolid, C14-256, AR I à SR, 5-12-1571 ; C20-127, 16-01-1573, JR à SR.
52 Grégoire L., La Ligue en Bretagne, Paris-Nantes, Dumoulin J.B. et Guéraud A. et Cie, 1856, p. 12.
53 Perret A., op. cit., p. 10.
54 Voir Carroll S., Noble Power during the French Wars of Religion, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 18, 25 note 28.
55 Pendant l’été 1561, pour contrer la montée en puissance des Protestants, la formation d’un triumvirat pour la défense du catholicisme scella un rapprochement entre les Guise et les Montmorency, lequel résulta d’une perte d’influence à la cour. Montpensier en faisait partie, Carroll S., Noble Power…, op. cit., p. 106.
56 Arch. Hist. Prov. de Valladolid, C20-153, JR à SR, 26-5-1573.
57 Lapeyre H., Une famille…, op. cit., p. 89.
58 Saupin G., Nantes à l’époque…, op. cit., p. 170.
59 Archivo Histórico Provincial de Valladolid, C131-95, 23-6-1589, BB à CR et LA.
60 Archivo Histórico Provincial de Valladolid, C64-142, JR à SR ; C168-242, AR II à SR, 7-1-1594. André Ruiz II s’était rendu à Rennes pour voir sa sœur. Son beau-frère l’avait assuré de son amitié et si les troubles finissaient, il s’occuperait des nombreux procès dans lesquels André était impliqué, mais à ce moment-là il n’était pas question d’en parler, car cela revenait à assurer sa défense dans les villes desquelles ses opposants étaient originaires. Arch. Hist. Prov. de Valladolid, C131-162, Baltasar de Lezama (BL) à SR, 17-01-1589 ; C131-163, BL à SR, 7-02-1589 ; C168-243, AR II à SR, 20-4-1594.
61 Archivo Histórico Provincial de Valladolid, C14-256, AR I à SR, 5-12-1571 ; C17-138, AR I à SR 12-2-1572 ; C69-235, 13-5-1581, ARII à SR ; C124-230, 1588, Baltasar de Lezama à SR ; C131-162, BL a SR 17-01-1589.
62 Mathorez J., op. cit., p. 405.
63 Déjà en 1572, le maire Harouys et le sous-maire Michel Le Lou, fils de l’associé des Ruiz, avaient agi avec prudence pour ne pas engager la ville dans une Saint-Barthélémy nantaise. Voir Saupin G., Nantes à l’époque…, op. cit., p. 124, 141. Comme de plus en plus de membres de la seconde génération du front de parenté devenaient officiers royaux (Julien Rocaz, Michel Le Lou et Nicolas Fyot, en particulier), avec une prise de position plutôt loyaliste, ils s’écartaient de l’alliance faite avec l’Espagne laquelle correspondait davantage aux intérêts des riches marchands nantais faisant commerce avec la Castille et l’Andalousie.
64 Saupin G., Nantes à l’époque…, op. cit., p. 256-257.
65 Voir graphique dans Casado Alonso H., El triunfo de Mercurio. La presencia castellana en Europa (siglos XV y XVI), Burgos, 2003, p. 105. Dès la seconde moitié des années 1560, des disputes incessantes concernant le négoce eurent lieu entre les Ruiz de Nantes et les descendants d’Yvon Rocaz, et à partir des années 1580 cette représentation s’affaiblit au profit de marchands français de souche qui concurrençaient les firmes castillanes dans le domaine commercial, à Nantes et à Bilbao comme à Séville. À partir de cette époque-là, les patronymes de marchands français connus en Espagne, Jean Gobin, Jean Fruneau, Jean Jarnigan apparaissent aux postes d’échevins. Voir Perthuis A. et de la Nicollière S., Le livre doré de l’hôtel de ville de Nantes, Nantes, 1873. Cette logique commerciale était renforcée par le fait qu’à partir de 1589, les hommes du duc de Mercœur, français pour la plupart, furent amenés à diriger la ville. Voir Saupin G., Nantes au temps de l’édit, op. cit., p. 204.
66 À l’image de ce que Stuart Carroll observe en Normandie à la même époque, Noble Power…, op. cit., p. 83-85.
67 Saupin G., La vie municipale…, op. cit., p. 24. Il n’en reste pas moins que le représentant de la Fosse était lié à la parentèle : en 1562, lors de la préparation militaire liée à la première guerre de Religion, il s’agit de Jean Le Lou. Voir Saupin G., Nantes au temps…, op. cit., tableau p. 172.
68 Cela n’empêchait pas les Espagnols de contribuer financièrement à la défense de la province. Voir Perret A., op. cit., p. 8.
69 Il existait au XVIe siècle une milice bourgeoise à Nantes qui assurait le maintien de l’ordre de jour et de nuit. Au moment de la création de la municipalité, cette milice était sous les ordres du connétable, officier royal, adjoint au capitaine du château de Nantes. En 1588, après de longues discussions, le maire fut reconnu colonel de la milice bourgeoise. Voir Saupin G., La vie municipale à Nantes sous l’Ancien Régime (1565-1789), thèse de troisième cycle, 1981, Université de Nantes, p. 21-22.
70 Ibid., p. 65, 74-75 ; Croix A., L’âge d’or de la Bretagne, 1532-1675, Rennes, Éditions Ouest-France, 1993, p. 50. En 1598, il existait quatorze compagnies de milice. Saupin G., Nantes au temps de l’édit, op. cit., p. 61
71 Croix A., L’âge d’or…, op. cit., p. 51.
72 Ibid., p. 54.
73 de Carné G., Documents sur la Ligue en Bretagne. Correspondance du duc de Mercœur et des ligueurs bretons avec l’Espagne, Vannes-Rennes, 1899, t. 1, p. 24 (Lettre du duc de Mercœur à Philippe II) ; Vaihlen J., Le conseil…, op. cit., p. 142 note 1. Voir de Carné G., Documents…, op. cit., lettre 19, lettre 24 (15-11-1590), lettre 69, lettres 35, 36 et 37, lettre 61 note 2, lettre 165.
74 Saupin G., La vie municipale…, op. cit., p. 23, 32.
75 Perthuis A. et de la Nicollière S., Le livre doré…, op. cit., p. 194-197.
76 Ibid.
77 Ibid., p. 256.
78 Le Roux N., op. cit., p. 197.
79 Ibid., p. 717.
80 Ibid., p. 718.
81 Ibid., p. 720.
82 Kettering S., « Clientage during the French Wars of Religion », Sixteenth Century Journal, vol. XX, no 2, 1989, p. 221-239.
83 Chaline O., « La société urbaine des ports français de commerce français du Ponant », Poussou J.-P. (dir.), Les sociétés urbaines au XVIIe siècle (Angleterre, France, Espagne), Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2007, p. 151.
84 Troty de la Touche C., Les privilèges de Saint-Malo et de ses habitants, DES histoire du droit, 1972, Rennes, p. 5.
85 À ce sujet, voir Russon M., Les côtes guerrières. Mer, guerre et pouvoirs au Moyen Âge (France-Façade océanique, XIIIe-XVe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 21-22, 46 ; Grégoire L., La Ligue en Bretagne…, op. cit., p. 101.
86 Sans être un paradis fiscal absolu, Saint-Malo offrait ainsi, indéniablement, aux marchands une situation favorable en matière de charge fiscale, qu’ils devaient conserver jusqu’en 1695. Cette immunité octroyée en 1395 s’étendait aussi aux marchandises qui transitaient par la place et y faisaient l’objet de transactions. Cette immunité de droits sur les transactions commerciales, formulée en termes archaïques en 1395, signifia progressivement franchise commerciale, et de facto statut de port-franc pour Saint-Malo, lui permettant d’échapper aux taxes établies successivement par les ducs et les rois sur les marchandises entrant ou sortant par voie de mer dans le duché et le royaume. Voir Lespagnol A., Messieurs de Saint-Malo. Une élite négociante au temps de Louis XIV, 1997 (1re éd. en 1990), p. 51-52 ; Collins J. B., Classes…, op. cit., p. 243.
87 Ce ralliement était d’autant plus compréhensible que les Malouins avaient pris l’habitude de servir le monarque dans la lutte contre l’Anglais, souvent allié des ducs. Voir Russon M., Les côtes guerrières…, op. cit., p. 61.
88 Au XVe siècle, pour la Bretagne, la Normandie et la Guyenne, les décisions concernant l’édification, la réparation ou le renforcement des fortifications urbaines furent seulement celles du prince et non celles de la communauté, Saint-Malo étant à cet égard une exception puisque c’était la communauté urbaine qui décidait des ouvrages fortifiés. Voir Russon M., Les côtes guerrières…, op. cit., p. 183.
89 Ibid., p. 185.
90 Entre 1460 et 1470, l’escorte armée des convois marchands se concentrait à Saint-Malo, autour de la nef amirale de Bretagne, pour lutter contre les Anglais et, par la suite, pendant les deux dernières décennies, contre la France. Voir Russon M., Les côtes guerrières…, op. cit., p. 260, 284.
91 Marc Russon conclut un peu vite que toutes les villes portuaires, parmi lesquelles Saint-Malo, furent de plus en plus soumises à l’État central, op. cit., p. 490.
92 Troty de la Touche C., Les privilèges…, op. cit., p. 6, 55. Au début du XVIe siècle, une lutte eut lieu entre les bourgeois et les chanoines, ces derniers voulant fixer les taxes, nommer les magistrats et garder les archives, mais la reine Anne trancha en faveur des bourgeois, maîtres du commerce, et interdit aux clercs de se mêler de justice et de conférer le droit de bourgeoisie. Voir Durand Y., « Les républiques urbaines en France au XVIe siècle », Annales de la Société d’Histoire et d’archéologie de l’arrondissement de Saint-Malo, 1990, p. 219.
93 Idem, p. 57. Ce ne fut qu’en 1578 que l’assemblée décida de nommer quinze bourgeois.
94 Durand Y., « Les républiques… », op. cit., p. 219.
95 Ibid.
96 Ibid.
97 Troty de la Touche C., Les privilèges…, op. cit., p. 66. Les bourgeois de Saint-Malo avaient réclamé la création d’un consulat lors du passage de Charles IX, en 1570.
98 Troty de la Touche C., Les privilèges…, op. cit., p. 67.
99 Ibid, p. 69.
100 Très grande sécurité pour les affaires, surtout à partir de 1594, qui n’avait pas cours en France de façon répandue, ibid., p. 69.
101 Ibid., note 2, p. 75.
102 Ibid., p. 76.
103 En 1573, les Malouins avaient lutté contre l’Anglais en aidant à leurs frais la prise de Belle-Isle. En 1575, vingt-trois marchands et capitaines de cette ville, proposait au duc de Montpensier, gouverneur de Bretagne, de fournir douze grands vaisseaux armés en guerre pour servir le roi. Ils s’engageaient à bloquer le port de La Rochelle, moyennant 120 000 livres, de manière que rien ne put entrer ni sortir, et ils offraient de 100 000 écus de caution à Paris ou à Rouen, qu’ils étaient disposés à perdre s’ils trouvaient en mer plus forts qu’eux. Voir Grégoire L., La Ligue en Bretagne…, op. cit., p. 101-102.
104 Ibid., p. 102.
105 Ibid., p. 102.
106 Ibid., p. 109.
107 Durand Y., « Les républiques… », op. cit., p. 225.
108 Ibid., p. 226.
109 Ibid., p. 231.
110 Ibid., p. 232.
111 Ils obtenaient ces barres et réaux d’argent contre des toiles bretonnes vendues au comptant, qu’ils commercialisaient en Andalousie.
112 Grégoire L., La Ligue…, op. cit., p. 108, 253.
113 En 1594, dans une remontrance, elle affirmait que les Hollandais et Flamands négociant en Bretagne tiraient la monnaie argent. Voir Lespagnol A., op. cit., p. 476-478.
114 Collins J. B., Classes…, op. cit., p. 46.
115 Lespagnol A., op. cit., p. 50.
116 Grégoire L., La Ligue…, op. cit., p. 294-295.
117 Voir l’édit de reddition publié par de Carné G., Documents sur la Ligue…, op. cit., doc. no 215 ; Grégoire L. La Ligue…, op. cit., p. 295.
118 Ibid.
119 Le choix des familles marchandes en matière d’éducation était simple : « de père en fils élevés dans le commerce ils continuent d’y élever leurs enfants ». Cette fidélité au commerce était renforcée par l’absence d’alternatives de carrière sur place. Voir Lespagnol A., op. cit., p. 107, 108, 110.
120 Collins J. B., Classes, Estates…, op. cit., p. 3. Il restait la perspective des grands offices parisiens de justice et de finances, mais ces offices étaient chers, et Paris restait encore, jusque dans les années 1680 une ville lointaine. Voir Lespagnol A., op. cit., p. 108.
121 Durand Y., « Les républiques… », op. cit., p. 205-244.
122 Ibid., p. 231.
123 Dès 1559, le monarque castillan implanta en France un réseau diplomatique dense et efficace qui recoupait en partie le réseau marchand castillan y étant établi, lequel, à travers ses agents, s’ingénia à troubler l’ordre et à diviser le pays. Francés de Álava remplit plusieurs ambassades extraordinaires en France à partir de 1562 et jusqu’à ce qu’il soit nommé ambassadeur en 1567. Il était au courant de ce qui se passait en France, au grand étonnement de son homologue établi à Madrid. Car, pour la France, il était impossible de savoir ce qui se tramait en Espagne du point de vue politique, de même que de connaître les informateurs de l’ambassade espagnole en France. Voir Ribera J.-M., Les ambassadeurs du roi de France auprès de Philippe II, du traité du Cateau-Cambrésis (1559) à la mort de Henri III (1589), thèse de doctorat, Université de Toulouse II, 2004, p. 78, 169-171, 266, 470 ; Vázquez de Prada V., Felipe II y Francia (1559-1598), Pamplona, Eunsa, 2004, p. 276.
124 Entre autres auteurs, Glete J., War and the State in early modern Europe, London and New York, Routledge, 2002, p. 1-9 et Dedieu J.-P., « Comment l’État forge la nation. L’Espagne du XVIe au début du XIXe siècle », http://halshs:ccsd:cnrs:fr/docs/00/03/64/98.
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