John Douglas, le récit au service de l’empire
p. 265-291
Texte intégral
1La disparition de John Hawkesworth en novembre 1773 imposa de fait à l’Amirauté de trouver un nouvel homme de lettres capable de préparer le journal du deuxième voyage de Cook pour la publication. Mais Lord Sandwich était décidé cette fois à ne pas commettre la même erreur que pour le premier voyage, et choisit de sélectionner, non pas un auteur comme l’avait été John Hawkesworth, mais un simple superviseur dont le travail, a priori, se bornerait à mettre en bonne forme le texte qui lui serait soumis. Cet homme, ce sera John Douglas, alors chanoine de Windsor, qui, comme nous l’avons déjà indiqué, sera également à l’origine de la publication de la relation du troisième et dernier voyage de James Cook.
2Mais dans les mois qui suivent le retour du Resolution en Angleterre en juillet 1775, l’Amirauté et Cook doivent faire face à un autre problème, celui posé par Johann Reinhold Forster, dont il faut ici dire quelques mots, afin d’établir le contexte dans lequel John Douglas fut choisi.
« Plus jamais d’Hawkesworth1 » : à la recherche d’un nouvel auteur
L’affaire Johann Reinhold Forster
3Johann Reinhold Forster, on s’en souvient, avait remplacé au pied levé Joseph Banks, comme botaniste-scientifique de l’expédition. L’avocat et naturaliste Daines Barrington, qui est à l’origine du recrutement de Forster, semble également avoir laissé entendre à ce dernier qu’il lui incomberait de publier la relation officielle du voyage. L’utilisation par Forster de la langue anglaise, plutôt que sa langue maternelle, l’allemand, dans son journal de voyage, semble attester le désir, ainsi qu’une certaine assurance, de publier en Angleterre, tout comme les longues négociations engagées à ce sujet par Lord Sandwich avec le botaniste à l’hiver 1775-1776 laissent à penser que l’Amirauté a bien envisagé cette éventualité avant le départ de l’expédition. Quoi qu’il en soit, si accord il y eut, celui-ci ne fut que verbal2.
4Au retour du Resolution, le problème se pose donc de choisir la personne qui va être chargée de la publication officielle du récit. Le projet semble à l’origine s’être développé sous la forme d’une collaboration entre Forster et Cook, le botaniste rédigeant le récit à partir du journal du capitaine, tout en y incluant ses propres remarques. Mais dès l’automne 1775, Lord Sandwich exprime sa désapprobation de voir Forster sur le devant de la scène. La personnalité du botaniste et la qualité du travail qu’il remet au premier Lord de l’Amirauté3 s’avèrent en effet rapidement des obstacles majeurs à la poursuite du projet. Dans une lettre datée du 28 octobre 1775 il confie à Daines Barrington : « Je commence à craindre que l’on ne puisse rien faire avec Mr Forster. Je suis presque convaincu qu’il est bien tel qu’on me l’a représenté : un homme avec lequel il est impossible de s’entendre4 ». Principalement en cause ici, le refus de Forster de voir ses épreuves revues et éventuellement corrigées par une tierce personne. Lord Sandwich se montre cependant toujours disposé à utiliser ses services. Dans la même lettre, il poursuit : « je souhaite que ses émoluments pour cette publication soient considérables, et à moins que sa vanité ne le conduise à penser qu’il mérite plus que ce qu’on lui offre, il n’aura aucune raison de se plaindre5 ». Une grande partie de la correspondance liée à cette affaire a aujourd’hui disparu, mais nous pouvons cependant en reconstruire les grandes étapes. L’automne et l’hiver voient peu à peu s’éloigner la perspective de voir Forster seul en charge de la rédaction du texte. L’étape suivante a lieu le 13 avril 1776, lors d’une réunion à l’Amirauté au cours de laquelle un accord semble être conclu entre les différentes parties. Deux volumes seraient publiés : le premier composé du journal de Cook qui ferait le compte rendu du déroulement chronologique du voyage ; le second par Forster, qui y inclurait ses remarques philosophiques et ses observations naturalistes et scientifiques. Forster aurait en outre la responsabilité de l’introduction générale de l’ouvrage, et de la traduction de l’ouvrage en français et en allemand. Le coût de la publication serait supporté par les deux auteurs, mais l’Amirauté financerait les gravures et les illustrations qui orneraient l’ouvrage. Les bénéfices des ventes reviendraient à Cook et Forster, à parts égales. Mais à nouveau, le refus de Forster de voir son travail soumis à l’approbation et aux éventuelles corrections d’un superviseur (ici le poète et essayiste Richard Owen Cambridge) s’érige en obstacle au bon déroulement du projet et la détérioration des relations entre les différentes parties concernées finit par mettre un terme à l’entreprise6. Une lettre de Cook à Douglas nous informe au mois de juin de la même année que le capitaine sera seul à publier, Sandwich ayant retiré à Forster le droit de mettre sur le marché quelque compte rendu que ce soit du second voyage de Cook avant que ne paraisse la relation officielle autorisée par l’Amirauté7. Dans une lettre datée du 12 juin 1776, Daines Barrington résuma l’affaire Forster de la manière suivante : « […] le pauvre homme a perdu la raison et a rejeté ce que Votre Seigneurie lui a très gracieusement offert, et qui aurait atteint, j’en suis certain, 1 500 livres Sterling8 ».
5Quels qu’aient été les torts de chacun dans cette affaire, il convient d’ajouter ici que Johann Reinhold Forster ne s’en tint qu’officiellement aux injonctions de l’Amirauté, et bien qu’interdit de publication, il reporta ses efforts sur son fils Georg qui n’avait pas pris part à la controverse et était donc dégagé de toute obligation envers Lord Sandwich. La collaboration des deux hommes fut concrétisée en mars 1777 par la publication de : A Voyage round the World, in his Britannic Majesty’s Sloop Resolution, commanded by Capt. James Cook, during the Years 1772, 3, 4 and 5. By George Forster ; F.R.S., Member of the Royal Academy of Madrid, and of the Society for promoting Natural Knowledge at Berlin. 2 vols. L’ouvrage, mis sur le marché six semaines avant que ne paraisse la relation officielle autorisée par l’Amirauté, est signé Georg Forster, mais la question de son véritable auteur et celle de la contribution de Forster père au travail de son fils, restent entières. En dépit de l’affirmation selon laquelle Georg ne consulta le journal de son père que de manière exceptionnelle et à l’occasion de circonstances extraordinaires, les nombreux parallèles entre les deux textes et la spécificité de certaines remarques attribuées à Georg, laissent penser que le rôle de Forster père fut plus important que ne l’indique le titre de l’ouvrage9.
6Ainsi satisfait d’avoir pu livrer au public un compte rendu du voyage avant que ne paraisse la version officielle, Johann Reinhold Forster put en toute sérénité se consacrer à la mise en forme de ses propres observations qu’il publia à Londres en 1778, sous le titre : Observations made during a Voyage Round the World, on Physical Geography, Natural History and Ethic Philosophy. Especially on 1. The Earth and its Strata, 2. Water and the Ocean, 3. The Atmosphere, 4. The Changes of the Globe, 5. Organic Bodies, and 6. The Human Species. By John Reinhold Forster, LL.D. F.R.S. And S.A. And a Member of several Learned Academies in Europe. Cet ouvrage, composé d’un seul volume de six cent cinquante pages, aurait constitué, selon Georg Forster, la contribution de Forster père à la publication officielle, si un accord avait été trouvé entre les différentes parties. Mais le contenu même de l’ouvrage et les différents sujets qu’il traite, en font, comme l’écrit J. C. Beaglehole, « un bien curieux compagnon des deux volumes de Cook10 ».
John Douglas
7Alors qu’à l’automne 1775, l’idée de confier l’ouvrage à venir à Forster s’éloigne progressivement, Cook se voit parallèlement de plus en plus impliqué dans l’affaire, comme en témoignent les longues heures qu’il passe à réviser son journal. C’est en effet à cette période qu’a lieu le long travail de préparation du manuscrit. Réécriture de certains passages, suppression de certaines parties, élaboration des transitions, ajouts d’annotations et d’informations diverses, réagencement général du texte, aucun des aspects du travail fastidieux de composition n’échappe à l’officier de marine11. Mais si depuis son premier voyage, Cook s’est familiarisé avec l’acte d’écriture, il lui manque encore les ornements classiques et littéraires présents dans bien des relations de voyage de l’époque. À la différence de Forster, il n’est pas opposé à l’idée de voir son texte revu et corrigé par un littérateur plus formé que lui à ce genre d’exercice. C’est donc à la même époque qu’est sollicité John Douglas et que débute entre lui et Cook une collaboration qui se concrétisera par la publication de la relation officielle du voyage en mai 1777.
8Né le 14 juillet 1721 à Pittenweem dans le comté de Fife en Écosse, John Douglas suivit principalement une carrière d’homme d’Église. Diplômé d’Oxford en 1743, il fut tout d’abord chapelain militaire, et à ce titre participa à la bataille de Fontenoy en mai 1745. Il devint ensuite prêtre à High Ercall dans le Shrophire (1750), et chanoine de Windsor en 1762. À partir de 1787, il fut promu évêque de Carlisle, puis de Salisbury en 1791. Titulaire d’un titre de Doctor of Divinity depuis 1758, il devint également membre de la Royal Society et de la Society of Antiquaries en 1778. Parallèlement à sa carrière ecclésiastique, il publia un certain nombre d’ouvrages critiques dont une défense de Milton contre les accusations de plagiat portées à son encontre par William Lauder, ainsi qu’une attaque contre le rationalisme de David Hume (Criterion of Miracles en 1752) et contre David Hutchinson (Apology for the Clergy en 1755). En 1763, il publia le journal et la correspondance du comte de Clarendon.
9C’est donc ce littérateur confirmé, sociable et cultivé, ce « grand détecteur d’impostures12 », proche de James Boswell et du Dr Johnson, à qui Lord Sandwich confie la préparation des journaux de Cook pour le second voyage. Les premiers contacts semblent avoir été pris à l’automne 1775, de manière discrète13, sans doute pour ne pas froisser un Johann Reinhold Forster que l’on croit alors encore susceptible d’adhérer pleinement au projet, tout en se préparant à son éventuel désistement. Dès janvier 1776, la correspondance entre Cook et Douglas montre que les deux hommes collaborent déjà. Les obligations diverses auxquelles est soumis Cook, dont celle de préparer un troisième voyage dans le Pacifique, les empêchent de travailler quotidiennement côte à côte. Cook révise donc les entrées de son journal, qu’il fait parvenir à Douglas qui les relit, y apporte certaines corrections, et fait parvenir à leur auteur certaines suggestions en retour. L’ouvrage avance ainsi peu à peu et au moment où Cook quitte l’Angleterre, l’essentiel du texte est prêt. Le public doit pourtant patienter. L’ajout de nombreuses annexes14, l’insertion du discours de Sir John Pringle, président de la Royal Society, à l’occasion de la remise de la médaille Copley à Cook en novembre 177615, ainsi que la préparation des illustrations et des cartes qui accompagnent l’ouvrage, en retardent considérablement la publication. Enfin, en mai 1777, ce qui s’annonce comme « l’un des grands événements de l’histoire de l’exploration du Pacifique16 », est publié à Londres, chez Strahan et Cadell, sous le titre : A Voyage towards the South Pole, and Round the World. Performed in His Majesty’s Ships the Resolution and Adventure, In the Years 1772, 1773, 1774 and 1775. Written by James Cook, Commander of the Resolution. In which is included, Captain Furneaux’s Narrative of his Proceedings during the Separation of the Ships. 2 vols.
10L’ouvrage est composé de deux volumes, eux-mêmes divisés en deux livres. Le premier livre comporte quatorze chapitres, le deuxième livre, quinze. Les troisième et quatrième livres en comportent onze chacun. Un extrait du journal de Tobias Furneaux, détaillant la progression de l’Adventure lorsque les deux navires furent séparés entre le 8 février et le 18 mai 1773, et que Cook avait déjà largement inclus dans son journal, est intégré au texte et en constitue le huitième chapitre du troisième livre. S’ajoutent également au récit soixante-trois illustrations fondées sur les croquis du peintre William Hodges, dont douze cartes, et une quantité considérable d’annexes, dont la quasi-totalité des données techniques du voyage, présentées sous forme de tableaux clairs et précis sur, par exemple, les différentes conditions météorologiques rencontrées, ou encore les variations de la boussole. L’ouvrage, hors annexes, avoisine sept cent pages. Mis sur le marché au prix avantageux de deux guinées, les premiers exemplaires sont rapidement épuisés. Une deuxième édition voit le jour la même année, et une troisième en 1779. En 1778, la traduction française est publiée. Tout comme le récit de John Hawkesworth, la relation officielle du deuxième voyage fut un succès commercial, et contribua à installer un peu plus James Cook au panthéon des navigateurs britanniques.
11En 1781, lorsque le Resolution et le Discovery arrivent enfin en Angleterre, John Douglas est à nouveau sollicité pour préparer le compte rendu officiel de l’expédition. Mais l’ouvrage voit également la collaboration de James King, commandant du Discovery à la mort de Clerke en août 1779, qui prend en charge le troisième volume, couvrant les dix-huit derniers mois du voyage, entre la mort de Cook et le retour en Angleterre. La nomination de King, à son retour des Caraïbes en 1782, intervient sur recommandation de Joseph Banks, mais selon J.C. Beaglehole, aucun autre choix n’était possible, King étant un officier de commission lettré et ayant pris part au voyage17. Dans un souci d’harmonie générale, le texte de King est également soumis à l’approbation de John Douglas, qui assure ainsi la continuité de ton entre les différents volumes. Il faudra près de trois ans pour que l’ouvrage voit le jour à Londres, en juin 178418. Intitulé A Voyage to the Pacific Ocean. Undertaken, by the Command of his majesty, for making Discoveries in the Northern Hemisphere. To determine The Position and Extent of the West Side of North America ; its Distance from Asia ; and the Practicability of a Northern Passage to Europe. Performed under the directions of Captain Cook, Clerke, and Gore, in his Majesty’s Ships the Resolution and Discovery. In the Years 1776, 1777, 1778, 1779, and 1780. in Three Volumes. Vol. I and II written by James Cook, F.R.S. Vol. III by Captain James King, LL.D. And F.R.S., il est composé de soixante-trois chapitres, répartis en trois volumes de deux livres chacun. Quarante-quatre de ces chapitres sont de la main de Douglas. Le troisième chapitre du cinquième livre (volume trois) présente un compte rendu détaillé de la mort de Cook rédigé par James King. À la fin du deuxième volume, une insertion éditoriale précise que : « Le Journal du Capitaine Cook finit ici. C’est le Capitaine King qui a écrit la suite du Voyage19 ». On dénombre un total de quatre-vingt-sept illustrations et cartes, ainsi qu’un grand nombre d’annexes, dont l’itinéraire suivi par le Resolution et le Discovery, les variations de la boussole observées entre l’Angleterre et le Cap de Bonne-Espérance, et plusieurs tableaux comparatifs des langues du Pacifique et de la côte nord-ouest américaine. L’ensemble, annexes comprises, dépasse mille six cent pages20. Vendus au prix de quatre guinées et demi, les trois volumes furent épuisés en quelques jours seulement. Une deuxième et une troisième éditions furent préparées et mises tour à tour sur le marché l’année suivante. La traduction française fut également publiée en 1785. Tout comme les relations des deux premiers voyages, cet ouvrage connut un succès commercial considérable, qui attesta une fois de plus de l’intérêt toujours vif du public anglais pour les voyages dans le Pacifique.
Les publications non officielles
12En dépit des efforts de l’Amirauté pour prévenir la publication de comptes rendus du voyage avant que ne paraissent les relations officielles, un certain nombre d’ouvrages fut mis sur le marché avant mai 1777 pour le deuxième voyage et juin 1784 pour le troisième. Nous avons déjà évoqué le cas du récit de Georg Forster publié quelques semaines seulement avant A Voyage towards the South Pole, mais dès la fin de l’année 1775 paraît Journal of the Resolution’s Voyage21, ouvrage anonyme composé sur la base du journal de John Marra, artilleur à bord du Resolution, par David Henry, patron du Gentleman’s Magazine, qui y ajoute cartes et illustrations, ainsi qu’un court compte rendu du voyage de l’Adventure, et en fait paraître de larges extraits dans son magazine entre décembre 1775 et mars 1776, offrant ainsi aux lecteurs un premier contact avec la deuxième expédition de Cook. L’ouvrage semble avoir connu un certain succès puisqu’une édition irlandaise parut en 1776, ainsi qu’une traduction allemande la même année. En 1776, une seconde relation anonyme voit le jour22. Si cet ouvrage a l’avantage de présenter au public un éclairage nouveau sur certains épisodes du voyage, fruit sans doute de conversations diverses avec des marins ayant pris part à l’expédition, il est par ailleurs largement composé d’événements fictifs et extrêmement romancés, dont on ne trouve trace nulle part ailleurs. La Monthly Review publia à l’occasion une liste de quinze anecdotes mentionnées et décrites dans le récit et réfutées par Cook, consulté à ce sujet23. Une seconde édition en fut néanmoins publiée en 1781, dans laquelle l’auteur anonyme se présente comme officier à bord du navire, sans doute pour donner plus de poids à son prétendu récit. L’auteur de ce texte n’a pu à ce jour être identifié.
13Pour le troisième voyage, ce sont quatre récits qui sont mis en circulation avant que ne paraisse l’ouvrage de Douglas. Peu de temps après le retour de l’expédition, une lettre de James King à Joseph Banks nous informe que William Bligh, master du Resolution, a l’intention de publier son compte rendu de l’expédition contre toute mise en garde de l’Amirauté. Mais il n’en sera rien et en dépit des affirmations de King selon lesquelles aucune publication ne saurait provenir d’un des membres du Discovery24, c’est bien un officier de ce navire qui, le premier, met son récit sur le marché en 1781 peu de temps après le retour de l’expédition. L’œuvre, publiée par Francis Newbury, libraire qui avait été à l’origine de la mise sur le marché du journal de John Marra en 1776, est composée à partir du journal de John Rickman, deuxième lieutenant du Discovery, auquel sont incorporées des descriptions puisées dans les relations officielles des premier et deuxième voyages, ainsi que de nombreuses anecdotes imaginaires25. En dépit des affirmations du titre selon lesquelles les faits sont fidèlement rapportés, l’ensemble donne un récit hautement fantaisiste et romancé, mais suffisamment populaire pour que l’ouvrage soit réédité à Londres et à Dublin la même année, puis de nouveau à Londres en 1785.
14En 1782, un deuxième ouvrage anonyme voit le jour. Il est l’œuvre cette fois de William Ellis, chirurgien assistant à bord du Discovery, qui, en mal d’argent, se sépare de son journal pour cinquante guinées26. Les deux volumes qui sont produits présentent peu d’intérêt. Les notes de voyage à partir desquelles Ellis construit son récit n’ont pas été rédigées à cet effet et manquent de précision. David Samwell, chirurgien du Discovery en fait une description tout à fait convaincante dans une lettre à Matthew Gregson, en date du 16 mai 1782 :
La langue est bonne, mais le récit est dénué d’esprit. Il n’est pas non plus suffisamment consistent et ne saurait donc nous satisfaire. Nous fûmes tous d’accord qu’il a été rédigé, en grande partie, de mémoire, et s’il ne contient pas de mensonges, il ne relate pas la moitié des aventures insolites que nous avons vécues. Il s’agit d’un compte rendu ennuyeux du voyage dans ses grandes lignes […] L’auteur est un jeune homme aimable et instruit, qui aurait pu, je crois, produire un récit de bien meilleure qualité s’il s’en était vraiment donné la peine, mais je pense que l’idée même de publier ne lui est venue qu’une fois rentrée à la maison27.
À l’étranger, c’est Heinrich Zimmermann en Allemagne puis John Ledyard sur le continent nord-américain qui publient leurs récits respectivement en 1781 et 1783.
15Le journal de Zimmermann, matelot du Discovery, est une œuvre courte, d’une centaine de pages environ, et rédigée en allemand. Une édition française vit le jour en 1782, mais la première traduction anglaise ne parut qu’au début du xxe siècle28. Très lacunaire en ce qui concerne les événements qu’elle décrit, son principal intérêt réside dans le portrait qu’elle offre de Cook, vu depuis l’univers confiné des matelots du pont inférieur29. Zimmermann y dépeint un homme sobre et frugal, strict mais juste avec les membres de son équipage, dont il ne pouvait tolérer les actes d’insubordination, mais pour lesquels il était prévenant en matière de santé et d’alimentation ; un homme courageux, qui avait un don naturel pour établir et préserver le contact avec les indigènes qu’il rencontrait et avec lesquels il savait se montrer affable et compréhensif ; un homme enfin, considéré comme l’un des plus grands marins de tous les temps, et dont la mort fut vécue comme la perte d’un père par les matelots du bord30.
16Publié à Hartford dans le Connecticut à l’été 1783, le journal de John Ledyard, caporal des Marines à bord du Resolution, est le dernier ouvrage à précéder la relation officielle du troisième voyage de Cook31. Le texte fut composé sur la base de notes prises pendant l’expédition auxquelles l’auteur inséra de nombreuses remarques et descriptions puisées chez Hawkesworth et dans l’ouvrage de John Rickman, qu’il reprend verbatim dans la dernière partie de son texte, de juin 1779 à octobre 1780. Patriote américain convaincu, Ledyard produisit un récit, qui, par certaines remarques envers les Britanniques, se veut le témoin d’une époque de conflits entre la Grande-Bretagne et ses colonies américaines. Peu rigoureux en ce qui concerne la syntaxe, l’orthographe ou la ponctuation, peu enclin à suivre un ordre chronologique strict, le texte de Ledyard tient plus du mémoire que du journal de bord, mais dénote un certain goût de l’auteur pour la mise en scène (à l’occasion de la mort de Cook, par exemple, à laquelle Ledyard n’a pas assisté, mais qu’il décrit de manière très détaillée), ainsi qu’une certaine propension à exagérer son rôle dans le bon déroulement de l’expédition32. L’ouvrage semble avoir connu un certain succès en librairie et a recueilli l’estime de figures importantes telles que Thomas Jefferson, Thomas Paine, David Thoreau ou encore Herman Melville, qui ne tarissaient pas d’éloges sur son auteur33. Mais, comme le souligne James Zug, éditeur des écrits de Ledyard, l’intérêt principal du texte réside sans doute dans le fait qu’il est à l’origine des premières lois américaines sur la protection des œuvres, qui virent le jour dans les années 178034.
Entre collaboration étroite et liberté éditoriale : la contribution de John Douglas
17Quel rôle John Douglas joua-t-il exactement dans l’élaboration des relations des deuxième et troisième voyages ? L’absence de son nom associé au titre de ces deux ouvrages tendrait, en première analyse, à réduire sa participation à une simple mise en conformité du texte avec les attentes et les exigences du lectorat en matière de récit de voyage. Dans une lettre au commodore William Wilson à Great Ayton, datée du 22 juin 1776, Cook indique à ce propos : « Quant au journal, il parle de lui-même. Je dirais simplement qu’il s’agit de mon propre récit, tel qu’il a été rédigé durant le voyage35 ». Douglas, lui-même, confie dans un courrier à un correspondant anonyme daté du 19 janvier 1783, que « C’est le capitaine qui prépara le texte des deux derniers voyages pour la publication, comme le montrent bien les manuscrits36 ». Mais, par ailleurs, une série de notes autobiographiques conservées à la British Library, appuyée par la mise en regard des journaux de Cook et des versions qui en sont publiées, révèle qu’il en est autrement et que le travail de Douglas fut plus important que ce qu’il déclare en premier lieu. Ainsi, à propos du deuxième voyage : « J’ai beaucoup travaillé à corriger le style du journal du capitaine. J’en ai modifié la ponctuation, je l’ai divisé en phrases, en paragraphes, en chapitres et en livres. Mon travail n’apparaît pas au grand jour, mais si le journal avait été publié tel que le capitaine me l’a remis, il aurait été jugé incorrect et aurait dégouté le lecteur37 ».
18La correspondance entre Cook et Douglas nous laisse cependant perplexe sur la portée réelle des affirmations citées précédemment. Si les lettres que les deux hommes échangent entre janvier et juin 1776 sont l’indice d’une entière confiance de Cook dans les capacités de Douglas à accomplir la tâche qui lui a été confiée38, elles n’en révèlent pas moins une forte implication de Cook dans le processus de préparation du texte définitif. S’il laisse à Douglas l’entière liberté de procéder à toutes modifications qu’il juge utiles, Cook n’en reste pas moins un observateur scrupuleux de l’avancement du récit, prenant en compte les remarques qui lui sont faites, tout en restant maître de l’ouvrage, et suggérant la plupart des orientations du texte, du point de vue de sa forme, comme de son contenu. Ainsi, au sujet des relations entre marins et indigènes dont son journal fait très souvent mention, il indique :
Je trouve les remarques que vous avez formulées sur des feuilles séparées, très à propos. En ce qui concerne les aventures amoureuses de mes hommes à Tahiti ou ailleurs, je pense qu’il n’est pas nécessaire de les mentionner, à moins que cela ne puisse jeter quelque lumière sur le tempérament ou les coutumes des Indigènes parmi lesquels nous étions. Mais même dans ce cas, j’aimerais que cela soit fait de manière à ne pas choquer les lecteurs les plus délicats. En résumé, je souhaite que rien d’indécent n’apparaisse dans l’ouvrage, et vous ne pourrez m’obliger plus qu’en me signalant ce qui vous apparaitra comme tel39.
Du point de vue du format et de la disposition générale du texte, Cook n’est pas non plus en reste. Ses lettres à Douglas révèlent en ce domaine une activité intense : division du récit en livres et chapitres, qu’il dit être inspirée en partie de la lecture du récit de voyage de Lord Anson40, choix du temps de la narration, rédaction de l’introduction générale, insertion d’une partie sur Omai que l’Amirauté a prévu de rapatrier dans les îles de la Société, aucun aspect de la mise en forme de l’ouvrage ne semble échapper à l’œil vigilant de Cook, même si ce dernier s’en remet entièrement à Douglas pour la validation de son travail. Le texte de la relation du second voyage apparait donc bien comme le fruit d’une collaboration étroite entre les deux hommes, que seul, l’examen du texte nous permet de mesurer.
19À l’opposé, l’absence de Cook lors de la préparation de la relation définitive du troisième voyage laisse toute liberté à Douglas de procéder aux aménagements textuels qu’il juge nécessaires. De son propre aveu, la recomposition du récit de Cook s’avère considérable. Dans ses notes autobiographiques, il mentionne en effet l’importance de ce travail :
Le public ne sut jamais combien j’ai mis de ma personne dans cet ouvrage. Le manuscrit du capitaine fut suivi de près, mais je pris plus de liberté avec ce texte qu’avec celui du deuxième voyage. J’ai relaté les faits de manière fidèle, mais j’ai eu moins de scrupules à les habiller d’un style plus élégant que celui que l’on connaissait habituellement au capitaine41.
En plus du journal de Cook, Douglas a à sa disposition le texte de William Anderson, l’assistant-chirurgien du Resolution, sur lequel Cook s’était déjà appuyé pour la rédaction de son journal. Nombres d’informations présentes dans le texte de Douglas sont ainsi à mettre au crédit d’Anderson, mais la disparition d’une partie de ce journal empêche de prendre l’entière mesure de son influence dans l’élaboration de A Voyage to the Pacific Ocean. Celui-ci semble toutefois être relativement important, si l’on en juge par les commentaires de Douglas : « Le manuscrit d’Anderson fut lui-aussi une source fructueuse d’ajouts importants, et en l’ayant en permanence sous les yeux, j’ai pu en tirer un récit bien plus intéressant que si je n’avais utilisé que le manuscrit du capitaine Cook42 ».
20Quelle que soit la relation envisagée, la contribution de Douglas semble donc dépasser largement le cadre de ces quelques incorrections grammaticales et stylistiques qu’il mentionne dans sa lettre du 19 janvier 1783.
Élaboration du texte
Mise en conformité : correction grammaticale et lisibilité
21Tout comme avec Hawkesworth, la première mission de Douglas consiste à rendre parfaitement présentable et lisible le texte de Cook, du point de vue de la forme. Si les nombreuses années passées à écrire ses différents journaux ont permis au capitaine d’acquérir une certaine aisance dans le maniement de la langue anglaise, le texte qui est soumis à John Douglas est encore impropre à la publication en l’état. Orthographe, syntaxe et ponctuation sont donc scrupuleusement surveillées, harmonisées et corrigées, le lexique est diversifié, afin de rendre le texte recevable et attrayant aux yeux d’un lectorat impatient de lire le compte rendu de cette expédition.
22Dans l’ensemble, l’esprit du texte de Cook est respecté. Douglas ne s’intéresse qu’à la forme et se borne à réécrire parfois certaines formules maladroites, ou à rééquilibrer certaines phrases mal rythmées. Un exemple sera suffisant ici pour mesurer le travail de correction stylistique qu’il effectue à partir du journal d’origine. Le 24 février 1773, au sud du Cap de Bonne-Espérance, les navires sillonnent une mer emplie d’icebergs. Cook écrit alors :
La situation ne présentait aucun avantage et ne servait qu’à accroître le nombre de morceaux de glace que nous devions éviter, car les blocs qui se détachent des îles sont bien plus dangereux que les îles elles-mêmes. Ces dernières sont visibles à une distance suffisante pour que l’on puisse en éloigner le navire, alors que l’on ne voit pas les blocs la nuit ou par temps maussade qu’au moment où ils se trouvent sous la proue. Mais aussi grands que soient ces dangers, ils nous sont devenus si familiers que les appréhensions qui y sont attachées ne durent jamais très longtemps et sont, dans une certaine mesure, compensées par l’aspect aussi curieux que pittoresque de ces îles, accru par l’écume des vagues projetées avec force dans les crevasses et les trous formés sur celles-ci. Pour résumer, tout ceci donne un aspect qui ne peut être décrit que par le pinceau d’un peintre habile. La beauté du spectacle et le danger qui y est attaché remplissent l’esprit d’admiration et d’horreur, car s’il arrivait qu’un navire heurte l’un de ces blocs de glaces, il serait réduit en morceaux sur le champ43.
Voici le même passage chez Douglas :
Les circonstances, loin de nous être avantageuses, augmentaient considérablement le nombre de blocs de glace à éviter. Ceux-ci, lorsqu’ils se détachent, sont bien plus dangereux que les îles elles-mêmes, généralement visibles de loin, du fait de leur haute élévation au-dessus de la surface de l’eau, sauf lorsque le temps est brumeux et sombre. Tandis que les blocs sont invisibles la nuit jusqu’à ce qu’ils soient sous le vaisseau. Cependant, ces dangers nous étaient devenus si familiers qu’ils ne nous causaient pas de longues inquiétudes et étaient compensés à la fois par l’eau douce que les îles de glace nous fournissaient çà et là (et sans laquelle nous aurions été grandement dans le besoin), et par leur aspect très romantique, un aspect grandement renforcé par l’écume des vagues projetées avec force dans les étranges crevasses et cavernes que l’on trouve sur la plupart de ces îles, et qui offrent ainsi un spectacle qui remplit l’esprit d’admiration et d’horreur, et qui ne peut être représenté que par un peintre habile44.
On ne saurait parler ici de révisions importantes. Douglas découpe ce long paragraphe en plusieurs phrases et y insère donc une ponctuation différente. L’orthographe est corrigée, et l’ordre des mots se voit parfois modifié, mais l’essentiel du texte de départ se retrouve dans la version publiée. Comme l’écrit Philip Edwards pour le récit du second voyage, « ce qu’on lit est du Cook, quelque peu nettoyé et arrangé45 ». La critique a eu parfois tendance à réduire le travail de Douglas à cet aspect purement technique. Ainsi, un correspondant anonyme du Morning Chronicle écrit-il dans le numéro du 18 janvier 1783 :
Les navigateurs et les explorateurs français, portugais ou espagnols ont toujours offerts eux-mêmes au public le récit de leurs voyages, et récemment, nous avons eu le plaisir de lire les excellentes et exotiques relations de Condamine, Bellin et Bougainville, etc. Mais il a fallu que Mr Ben. Robbins écrive le récit de Anson pour Walter, et que Hawkesworth ternisse les journaux de Cook. À présent, le Dr. Douglas, qui a corrigé la relation du deuxième voyage de Cook, est en train de finir grammaticalement le dernier […] Il est certain que ces expéditions maritimes auraient été bien mieux relatées par les gentilshommes qui ont effectué ces voyages que par des personnes qui n’ont pas pris part aux scènes de plaisir ou d’angoisse décrites46.
Le travail que Douglas effectue à partir des journaux de Cook ne saurait cependant se réduire à une simple mise en conformité grammaticale, si importante soit-elle. La sélection des informations transmises est également l’objet de toute l’attention de l’éditeur. Ainsi, on note pour Douglas, comme on l’avait fait pour Hawkesworth, une tendance à gommer l’aspect professionnel de certaines remarques afin de produire un texte lisible pour le lecteur non initié au vocabulaire nautique. Les informations techniques concernant les différentes manœuvres du navire disparaissent par exemple du texte car jugées impropres à susciter l’intérêt du public. D’autres types d’informations sont soumis au même traitement. La liste des différentes victuailles embarquées au départ de la seconde expédition, par exemple, que Cook présente sous forme de tableaux détaillés dans son journal47, est condensée en un court paragraphe inséré dans l’introduction générale de l’ouvrage de Douglas48, tout comme les nombreux détails que Cook livre sur Funchial. Les entrées concernant le débat autour de sa position géographique exacte ainsi que sur la situation administrative de la capitale de Madère sont élaguées et reformulées de manière plus concise dans le récit officiel49. Dans un cas comme dans l’autre, le but est d’en rendre la lecture plus agréable et de répondre ainsi aux attentes du lectorat destinataire de l’ouvrage, une fois de plus, peu concerné par ces données.
23Les informations techniques que fournit le journal de Cook n’en sont pas pour autant complètement éliminées. Si certaines sont maintenues dans la version officielle du récit (car il faut bien que le texte conserve ses attributs de journal de voyage maritime), la plupart est, comme nous l’avons indiqué plus haut, rejetée en annexes sous forme de tableau, dans lequel sont indiqués pour chaque date, la latitude et la longitude, les relevés de température et de pression atmosphérique, ainsi que les vents et les conditions météorologiques générales. Voici, à titre d’illustration, quelques-unes des informations consignées pour les premiers jours du mois de décembre 1776 :
Marins professionnels à la recherche d’informations précises, ou simples lecteurs peu enclins à s’intéresser aux données techniques du voyage, chacun peut donc trouver ce qui l’intéresse dans le texte50.
Sélection et réorganisation
24La sélection des informations que Douglas choisit de conserver s’opère également sur un certain nombre d’aspects jugés contraires à l’éthique que Douglas souhaite mettre en avant dans sa relation. Ainsi, en accord avec le souhait de Cook que rien d’indécent ne puisse être présent dans le récit du second voyage, Douglas ne s’intéresse que de loin aux relations que les hommes de l’équipage entretiennent avec les indigènes qu’ils côtoient lors des escales. Sa sensibilité et son statut d’homme d’Église lui empêchent également de mentionner, de manière trop directe, les « étuis à pénis » et autres « enveloppes à pénis » que portent les habitants des Nouvelles-Hébrides en guise de vêtements. La mention de ce détail vestimentaire est l’occasion d’ailleurs de modifier la structure complète du passage équivalent chez Cook. Celui-ci écrit à propos des habitants de l’île de Malekula :
Ils portent une sorte de corde ou de ceinture autour de la taille, juste en dessous des côtes et au-dessus du ventre. Celle-ci est si serrée qu’ils semblent avoir deux ventres, l’un au-dessus et l’autre au-dessous de la ceinture. Les hommes sont nus et couvrent à peine leurs parties naturelles. Les testicules sont visibles, mais le pénis est enveloppé dans une espèce de tissu ou de feuille, dont l’extrémité inférieure est attachée à la ceinture51.
Chez Douglas, si l’information est transmise dans son ensemble, toute référence aux parties intimes de l’anatomie masculine se voit supprimée : « Ce qui ajoute particulièrement à leur difformité, c’est une sorte de corde ou de ceinture qu’ils portent autour de la taille et qu’ils serrent si fortement que la forme de leur corps est semblable à celle d’une grosse fourmi. Les hommes vont tout nus et ne se couvrent que d’une pièce de tissu ou d’une feuille dont ils se servent comme d’un étui52 ».
25Ailleurs, c’est le long compte rendu du désistement de Joseph Banks lors du second voyage qui est éliminé du texte de la relation officielle. Dans les premières pages de son journal, Cook avait longuement détaillé cet épisode, n’épargnant pas ses mots pour fustiger le comportement hautain et méprisant de Banks à cette occasion, ainsi que son influence auprès de certains officiers de marine prêts à lui rendre service au mépris de toute logique professionnelle53. Dans la version publiée, l’épisode est à peine évoqué en introduction de l’ouvrage, et les mots durs que Cook avait eus envers Banks ont disparu54. À la place, Douglas rend hommage à la science et l’engouement de Banks et Solander à l’occasion d’un récapitulatif des voyages d’exploration du Pacifique dans lequel il inclut l’expédition de l’Endeavour55. Seules quelques petites allusions aux qualités nécessaires à un navire pour effectuer le genre de voyage d’exploration que Cook s’apprête alors à accomplir à nouveau, permettent de mesurer l’ampleur du scandale, qui comme le souligne Cook dans son journal, en arriva presque jusqu’à être débattu au sein de la Chambre des Communes56. Au troisième voyage, c’est le paragraphe dans lequel Cook critique ouvertement la qualité du cordage qui équipe les navires de la Royal Navy, qu’il compare avec celui, bien meilleur, utilisé dans la marine marchande, qui est remanié. Ce passage, véritable mise en cause du Navy Board, est reformulé en termes bien plus respectueux du prestige et du sérieux de l’organisme en charge du gréement des navires. De surcroît, à l’initiative de Sir Hugh Palliser, alors contrôleur de l’Amirauté, Douglas insère une note qui, si elle n’efface pas complètement la critique de Cook, tend à trouver des circonstances atténuantes au constat que dresse l’officier et avant tout, à réaffirmer la qualité supérieure des cordages, et de tout équipement, fournis par les arsenaux royaux :
Il se peut que le capitaine Cook ait raison lorsqu’il compare le cordage utilisé dans la Marine Marchande à celui que l’on trouve dans la Marine Royale, surtout en temps de guerre lorsqu’une partie des cordages nécessaires est obtenue par contrat. Mais on sait très bien que les meilleurs cordages sont ceux que l’on fabrique dans les Arsenaux du Roi. Ce que j’écris s’appuie sur l’autorité d’un officier de la Marine Royale, d’un rang distingué et de grande habilité professionnelle, qui recommande en même temps, comme une précaution nécessaire, de fournir aux vaisseaux qu’on envoie découvrir de nouveaux territoires, les cordages des Arsenaux du Roi, uniquement. Il recommande d’ailleurs de choisir avec soin tous les articles qui composent l’équipement des vaisseaux57.
La plupart du temps, cependant, les modifications, ne concernent que quelques termes et expressions, tels que les qualificatifs de « noiraud, affreux et une véritable fripouille58 », qu’il emploie à l’encontre d’Omai et qui, sous l’impulsion de Lord Sandwich, laissent place à un paragraphe élogieux chez Douglas. Celui-ci évoque certes la basse extraction d’Omai que trahit son teint plus mat que celui des gens de la caste supérieure tahitienne, mais l’accent est principalement porté sur les qualités exceptionnelles de cet homme qui sut s’attirer la sympathie et la protection des plus grands lors de son séjour en Angleterre :
Je ne sais pas si aucun autre indigène, quel qu’il fut, aurait pu donner, par sa conduite, une satisfaction plus générale. Omai a certainement de la pénétration, de la vivacité d’esprit et des principes honnêtes. Son comportement naturel le rendait agréable à la meilleure compagnie, et un juste degré d’orgueil lui apprit à éviter la société des personnes d’un rang inférieur. Il a des passions semblables à celles des autres jeunes personnes, mais il a assez de jugement pour ne pas s’y livrer avec excès. J’imagine que les boissons fortes ne lui causent aucune répugnance, et que s’il s’était trouvé avec des gens pour qui celui qui boit le plus est le mieux reçu, il aurait sans doute tâché de mériter lui-aussi des applaudissements. Mais heureusement pour lui, il a remarqué qu’on ne buvait que rarement avec le bas peuple, et comme il était soucieux de respecter les manières et la conduite des personnes de rang qui l’honoraient de leur protection, il était sobre et modeste, et je n’ai pas ouï dire que durant les deux années que dura son séjour en Angleterre, il ait été une seule fois pris de vin, ou qu’il ait jamais montré la moindre envie de passer les bornes les plus rigoureuses de la modération59.
À la différence de John Hawkesworth, Douglas ne procède donc à aucune modification structurelle importante du texte de départ. Malgré les corrections qu’il apporte au journal de Cook, malgré l’utilisation du journal d’Anderson au troisième voyage, l’esprit du récit ainsi recomposé, reste celui que le capitaine avait donné à ses propres entrées. Ceci est manifeste pour le récit du second voyage, où Douglas travaille en collaboration étroite avec Cook, mais se vérifie toutefois moins pour le troisième voyage, pour lequel Douglas a toute liberté, ou presque, d’apporter au texte les changements qu’il juge utiles.
26Enfin, contrairement à Hawkesworth, Douglas ne se donne pas pour mission d’améliorer le statut de la littérature de voyage et son narrateur ne se lance pas dans des digressions sur des sujets qui sortent du cadre de sa mission. Les insertions narratoriales sont rares et sont presque toujours développées à partir des mots de Cook. Exception cependant, cette remarque qui met en parallèle explorateurs maritimes et Argonautes et qui n’a de base dans aucun des écrits du capitaine :
Les navigateurs qui découvrirent le Nouveau Monde et ceux qui sillonnèrent les premiers l’océan Indien et la Mer du Sud étaient si talentueux et si intrépides que leurs noms furent transmis à la postérité, à la manière des Argonautes de l’Antiquité. Leurs vaisseaux ne furent pas changés en constellations, mais ils furent longtemps visités et honorés comme s’il s’était agi de reliques sacrées60.
Si aucune des révisions ne touche véritablement à l’architecture même du texte de Cook, il est intéressant cependant d’essayer de dégager le fil directeur qui conduit la plume de Douglas, ainsi que la logique qui motive ses interventions sur le manuscrit de départ.
L’empire en ligne de mire
Élaboration d’une persona : le noble commandant, ambassadeur du Roi George
27Tout comme cela avait été le cas avec Hawkesworth, le portrait que brosse Douglas est celui d’un officier fort, au jugement sûr et affirmé, qui ne saurait, comme le fait Cook dans son journal, se justifier auprès de ses lecteurs sur l’itinéraire qu’il choisit de suivre61, pas plus qu’il ne saurait montrer quelque signe de découragement que ce soit sur le sort de l’Adventure, lorsque le navire du capitaine Furneaux est séparé du Resolution62. John Hawkesworth avait voulu créer la persona d’un officier lettré et savant dont le langage, les descriptions et les réflexions diverses étaient autant d’occasions d’ennoblir un genre qui souffrait jusqu’alors de n’être porté par des personnages-narrateurs dignes de cette fonction. C’est une tout autre logique qui se cache derrière les modifications qu’apporte Douglas au texte d’origine, notamment dans les attributs dont il revêt son personnage de commandant. L’utilisation quasi exclusive de la première personne souligne d’emblée l’importance de ce narrateur à qui sont attribuées toutes les descriptions et réflexions qui naissent au cours du voyage. L’examen en parallèle des deux textes laisse ensuite apparaître que le type de persona que Douglas construit est moins un officier d’extraction populaire, formé par l’expérience du terrain, qu’un gentilhomme voyageur, digne de figurer à la cour du roi d’Angleterre, et dont le langage et l’attitude trahissent l’appartenance à une classe sociale supérieure.
28L’exemple du séjour à Nootka Sound sur l’île de Vancouver, entre le 30 mars et le 26 avril 1778, illustre parfaitement le travail de John Douglas en ce domaine. Au langage franc et direct utilisé par Cook dans ses journaux, Douglas substitue une certaine élévation stylistique qui ne vise pas simplement à corriger le texte de départ et à le rendre acceptable d’un point de vue grammatical, mais également à instaurer ce que I. S. MacLaren a appelé une « séparation linguistique verticale63 », une barrière qui s’érige entre celui qui explore et celui qui reçoit la visite. Car le commandant de l’expédition ne saurait se confondre avec les autochtones qu’il rencontre, pas plus qu’il ne saurait se confondre avec l’équipage qui l’entoure. La barrière linguistique dressée entre les différentes parties peine à dissimuler une différenciation qui se veut avant tout sociale. Lorsque par exemple, Cook se rend à terre accompagné de John Webber, le journal indique simplement : « Mr Webber, qui était avec moi, effectua des croquis64 ». Le texte de Douglas donne à l’excursion un caractère plus officiel : « M. Webber, qui m’avait accompagné en ce lieu, effectua des croquis65 ». L’utilisation du verbe « attend » dans le texte d’origine introduit un rapport hiérarchique entre les deux hommes que ne rend pas complètement le terme français « accompagné ». Çà et là, Douglas opère des modifications de style qui visent donc à distinguer socialement Cook de ceux qui l’entourent, membres de l’équipage comme indigènes. Voyons par exemple le traitement textuel qui est proposé pour le passage où Cook envoie les marins couper de l’herbe. Le journal dit : « […] Dès que nous eûmes débarqué, j’envoyai quelques hommes couper de l’herbe, sans penser que les naturels s’y opposeraient, ce qui arriva66 ». Le texte de Douglas est le suivant : « Dès que nous eûmes débarqué, j’ordonnai à mes gens de couper de l’herbe. Je n’imaginais pas le moins du monde que les Naturels formuleraient la moindre objection à ce que nous prenions une chose qui leur paraissait inutile et dont nous avions besoin67 ».
29Le Cook de la relation officielle devient ici un personnage noble qui dispose à son gré de ses gens et observe, depuis sa position privilégiée, ce qui se passe autour de lui. Ainsi, ce n’est plus la possibilité que les Indiens Nootka puissent émettre une objection à l’action des Britanniques qui importe dans la version officielle de cet épisode, mais la réaction du commandant devant cette objection (« Je n’imaginais point du tout »), ce que souligne la répétition des pronoms « je » et « nous » et la présence du possessif « mes » qui placent Cook au centre de la scène. Signalons également l’arrière-plan philosophique que Douglas installe en mentionnant, de manière insignifiante en apparence, que cette herbe que les marins britanniques souhaitent cueillir, n’est d’aucune utilité aux indigènes mais tout à fait nécessaire aux Anglais : « une chose qui leur paraissait inutile et dont nous avions besoin ». Derrière ces quelques mots, se dévoile l’hypothèse qu’une société de chasseurs et de pêcheurs nomades, telle que celle des Indiens Nootka, a moins de droit sur la terre qu’elle ne fait qu’occuper, que les tenants d’une société mercantile comme celle des Européens, qui sauront mettre cette terre en valeur et la faire prospérer. C’est donc une vision extrêmement hiérarchisée que propose Douglas de la rencontre entre Anglais et indigènes. Dès lors, il devient primordial d’affirmer cette supériorité anglaise, de la laisser transparaître dans le choix des mots que le narrateur emploie et dans la mise en scène des relations entre chaque partie. Parallèlement, il devient capital de gommer du texte tout faux-pas de l’écriture qui pourrait trahir les origines humbles du narrateur, ou émettre une réserve quelconque quant à la supériorité anglaise sur les peuples autochtones du Pacifique. La cérémonie d’échange de présents entre Cook et le chef Nootka au moment du départ des Anglais est à ce titre révélateur. Ainsi, là où Cook écrit que le grand sabre à poignée de cuivre qu’il offre au chef, rend celui-ci « aussi heureux qu’un prince68 », Douglas signale simplement que le cadeau rendit ce dernier « complètement heureux69 ». L’effet produit rétablit une hiérarchie entre les deux camps que le texte de Cook avait tendance à effacer en érigeant son interlocuteur au rang de prince, et donc d’égal du monarque anglais que Cook représente dans la cérémonie. Dans la scène réécrite par Douglas, le chef indien devient moins l’équivalent du roi George III, qu’un enfant émerveillé devant le cadeau qu’il reçoit. La supériorité anglaise ainsi suggérée est par ailleurs confirmée par la modification des expressions que Cook emploie pour décrire les différentes étapes de la cérémonie. Le chef Nootka n’offre plus simplement ses présents, mais insiste pour que le commandant accepte ce qui lui est respectueusement présenté70. Ainsi, la réciprocité spontanée de l’échange telle qu’elle transparait dans le journal de Cook, se pare chez Douglas des attributs d’une cérémonie officielle, au protocole clair et rigoureux, au cours de laquelle Cook ne se contente pas d’offrir une épée à son hôte71, mais octroie72 cet objet qui comble le chef indien de bonheur. Dans la version officielle, les deux hommes ne se situent plus au même niveau, car si on offre et on reçoit d’égal à égal, en revanche, on octroie à son inférieur, en un geste magnanime qui affirme la supériorité de celui qui accorde la faveur. À travers ces quelques modifications lexicales, Douglas établit donc une inégalité entre Indiens Nootka et Anglais, pourtant absente du journal d’origine, et qu’il ne permet pas au lecteur d’oublier, car elle est révélatrice de la structuration hiérarchique de l’humanité, dans laquelle les Britanniques occupent le rang supérieur et dominent à tous points de vue les différents peuples qu’ils rencontrent dans le Pacifique. Si cette position privilégiée confère sur le moment un avantage considérable aux membres de l’expédition, ce que Douglas ne manque pas de souligner, elle possède également un effet à long terme, en préparant les indigènes à l’arrivée prochaine d’autres navires : « Je suis persuadé que quiconque viendra en ce lieu après moi y trouvera les Naturels prêts et en possession suffisante de cet article de commerce qu’ils ont bien vu que nous désirions ardemment et que les navigateurs pourront se procurer à bon prix73 ».
30Ainsi, Cook, sous la plume de Douglas, devient un prototype de l’impérialisme européen, qui tout en exportant son savoir-faire et son savoir-être chez les peuplades non civilisées, installe et perpétue une hiérarchisation entre les peuples qui va devenir la justification de toute entreprise européenne dans le Pacifique. Cette hiérarchisation, qui vise à placer les Européens au-dessus dans l’échelle de l’humanité, est subtilement établie par le traitement textuel des rencontres faites lors des escales, mais, et de manière sans doute plus marquante, par l’insistance sur le caractère cruel et inhumain des pratiques indigènes, parmi lesquelles les sacrifices humains et le cannibalisme occupent une fois de plus une place de choix.
Les indigènes, ces sauvages : la question du cannibalisme et des sacrifices humains
31En septembre 1777, Cook a l’opportunité d’assister à une cérémonie de sacrifice humain à Tahiti, qu’il ne manque pas d’observer et de décrire avec précision74. L’épisode est retranscrit en intégralité par Douglas, qui choisit pour l’occasion de consulter également le journal d’Anderson, lui-aussi témoin oculaire de la scène.
32Au-delà des habituelles modifications stylistiques (pour évoquer l’odeur nauséabonde qui s’échappe du lieu du sacrifice, Douglas remplace par exemple l’expression « puait de manière intolérable » de Cook par celle, plus élégante de « qui exhalait une odeur insupportable75 » qu’il puise chez Anderson), Douglas attire avant tout l’attention sur le caractère profondément inhumain d’une pratique que la démarche d’objectivité journalistique de Cook ne souligne peut-être pas suffisamment. Ce dernier qualifie, certes, la scène à laquelle il assiste de « coutume extraordinaire et barbare76 », mais c’est véritablement le souci empiriste de relater la cérémonie dans ses moindres détails qui prend le pas sur l’émotion et l’éventuelle condamnation qui en découlerait. Chez Douglas, l’objectif premier est d’un tout autre ordre. Si la scène est relatée avec fidélité, elle est également l’occasion de rappeler que les Tahitiens, en dépit du caractère attrayant et civilisé de leur société, n’en restent pas moins de cruels barbares, et « On ne peut que trop regretter qu’une coutume si atroce en elle-même et si destructrice du droit sacré de préservation, que tous les hommes possèdent à la naissance, subsiste encore77 ». À l’inverse du compte rendu objectif et neutre que propose le journal de Cook, les commentaires expressifs que Douglas puise en partie chez Anderson, ont pour but de provoquer effroi et dégoût, sentiments d’ailleurs que Douglas espère bien voir naître chez son lecteur78.
33Le texte de Douglas ne saurait en définitive admettre quelque doute ou quelque circonstance atténuante que ce soit à l’existence d’une telle pratique, pas plus qu’il ne limite le caractère barbare des Tahitiens aux sacrifices humains. Cook, on s’en souviendra, avait évoqué le fait que ceux-ci n’étaient sans doute pas la seule coutume barbare pratiquée sur l’île, mais, prudent, il avait préféré se contenter de ce que l’observation empirique l’autorisait alors à mentionner. Douglas, dans une approche fondée moins sur l’observation de terrain que sur les préjugés, donne à la réflexion de Cook une tournure entièrement différente, et signale de manière explicite que la liste des atrocités tahitiennes ne s’arrête pas à ceux qu’il vient d’évoquer. Ainsi, « les sacrifices humains ne sont toutefois pas les seules coutumes barbares que l’on trouve encore parmi ces gens remplis de tant de bienfaisance et d’humanité79 ».
34La question du cannibalisme est l’occasion pour le texte de Douglas de prendre une nouvelle dimension. Nous avons vu plus haut que ce sujet n’avait pas laissé indifférents les différents membres de l’équipage, Cook compris, qui y avaient été confrontés de manière directe ou indirecte. Le séjour parmi les Indiens Nootka lors du troisième voyage fait resurgir cette question. Au moment du départ, Cook dresse la liste des biens acquis auprès des indigènes. Parmi les différents objets énumérés, on trouve notamment mention de mains et de crânes humains, dont la présence ne peut qu’interpeller le lecteur sur les éventuelles pratiques anthropophages des Nootka. La mention de ces restes humains offerts en cadeaux aux Anglais ne manqua pas non plus d’attirer l’attention de Douglas qui leur offrit un traitement textuel particulier en les isolant des autres articles présentés par Cook, pour leur consacrer un paragraphe entier dans lequel il en livre l’analyse suivante :
Mais parmi les articles qu’ils vendaient à bord du navire, les plus extraordinaires étaient des crânes et des mains d’hommes qui n’étaient pas encore tout à fait dépouillés de leur chair et dont nous comprîmes clairement qu’ils avaient mangé les parties qui manquaient. On y voyait parfois des traces évidentes de cuisson sur le feu. Nous avions donc que trop de raisons de penser que l’horrible usage de se nourrir de la chair de ses ennemis étaient tout autant répandu ici qu’en Nouvelle-Zélande et dans les autres îles de la Mer du Sud80.
En dehors de l’isolement de ce paragraphe qui a pour effet de faire ressortir la question du cannibalisme, que Cook avait intelligemment dissimulée à cette occasion, deux éléments nous semblent ici particulièrement intéressants.
35Le premier est la présence de l’expression « d’une manière claire », qui présente comme une évidence sur laquelle il n’est pas nécessaire de trop s’attarder, le fait que les Indiens Nootka sont cannibales. Cette assertion n’est pourtant pas présente dans le journal de Cook. Douglas a pu la puiser chez Anderson, mais la disparition de la portion du journal du chirurgien qui correspond à cette escale, nous empêche de conclure de manière définitive en ce sens. En tout état de cause, la lecture des différents journaux ou publications annexes nous amène à penser que Douglas a disposé rapidement d’un sujet plus problématique que ce que les simples termes qu’il utilise semblent indiquer. Certains des membres de l’expédition vont bien sûr dans son sens. Heinrich Zimmermann et John Rickman, par exemple, dont nous avons mentionné les textes, estiment que les Nootka sont sans doute le peuple le moins civilisé que l’expédition a pu côtoyer. Ainsi, pour Zimmermann, « Ils sont dans un état de guerre permanent, et les victimes sont mangées81 », et pour Rickman, « Nous eûmes quelques raisons de penser qu’ils mangeaient la chair de leurs ennemis, en observant la présence d’un crâne humain dans une de leurs pirogues82 ». Mais, par ailleurs, de nombreux autres témoignages viennent contrarier ce point de vue. Ainsi, William Ellis, assistant-chirurgien du Discovery, admet le manque de civilisation des Nootka mais réserve son jugement sur la question de leur cannibalisme supposé : « Certains de nos marins leur firent des gestes évoquant de la chair que l’on mange, gestes qu’ils reproduisirent immédiatement, probablement parce ce qu’ils nous virent les faire. On en conclut, sans doute un peu rapidement, qu’ils étaient cannibales83 ».
36Charles Clerke, capitaine du Discovery, va dans le même sens : « C’est sur cet argument qu’on les a prononcés cannibales. Mais Dieu seul sait s’ils le sont vraiment. Je pense qu’il y a certaines raisons de le penser, mais on ne saurait pour l’instant conclure de manière définitive sur cette question84 ».
37On pourra opposer ici, que Douglas n’a peut-être pas eu connaissance de ces écrits au moment où il rédige sa relation, bien que la plupart des œuvres mentionnées aient été alors en libre circulation sur le marché depuis le début des années 1780, mais l’argument ne tient plus lorsque l’on compare la position de Douglas, à celle de James King, avec lequel il collabore pour le troisième volume de A Voyage to the Pacific Ocean. King, revenant sur l’épisode d’un indigène qui souhaite vendre un enfant à l’équipage à des fins cannibales, analyse l’événement d’une toute autre manière et écrit dans son journal : « J’étais présent et je compris plutôt que par ses gestes, l’homme nous signifiait qu’il désirait obtenir un objet coupant en fer, et il est certain que c’est une hachette qu’il voulait. Il serait donc bien cruel de se servir de cet épisode comme preuve dans l’horrible accusation de dévorer ses semblables85 ».
38Il apparaît donc que Douglas ne cherche pas à enquêter plus en avant sur cette question pourtant sensible, et qu’il se contente de suivre son intuition, sans que celle-ci ne soit appuyée de manière incontestable par le témoignage des autres membres de l’expédition. Il conclut bien rapidement sur le cannibalisme supposé des Nootka et transforme les hypothèses, les présomptions, et les hésitations que contiennent les écrits de Cook et des autres membres de l’expédition, en autant de certitudes à propos d’une pratique dont l’existence n’est pourtant pas aussi évidente que ce que la relation officielle laisse entendre.
39Le deuxième élément qui retient l’attention dans le paragraphe de Douglas concerne la généralisation des pratiques cannibales dans le Pacifique. Pour Douglas en effet, si les Nootka sont cannibales, ils ne le sont pas moins que les Maoris de Nouvelle-Zélande ou que les indigènes des autres îles du Pacifique. Or, la question, on l’a vu, est beaucoup plus complexe et ne saurait être abordée et évacuée aussi rapidement. Car si le soupçon de cannibalisme pèse sur certains des peuples rencontrés par les expéditions de Cook, (dont les habitants de Nouvelle-Zélande), cela n’est pas le cas pour tous, ni ne pourrait être considéré comme leur caractéristique la plus marquante, comme en témoignent à la fois les journaux de Cook et ceux des membres d’équipage. Ici aussi, Douglas conclut bien vite. On ne peut reprocher certes, à un homme d’Église du xviiie siècle de ne pas avoir le recul critique ni la base de données que possèderait un ethnologue du vingt-et-unième siècle, pour étudier cette question et en tirer des conclusions dignes d’intérêt, mais il apparaît clairement que Douglas choisit d’éviter le débat que ce sujet avait pourtant suscité au sein de l’équipage de Cook et procède à une conclusion hâtive sur le cannibalisme supposé des Indiens Nootka, qu’il étend de manière subtile à l’ensemble du Pacifique. Comme nous l’avons signalé, cette attitude ne nous semble pas procéder d’un manque d’informations sur la question, mais plutôt d’un parti pris qui informe tout le texte de Douglas : celui de présenter les Indiens Nootka, et avec eux les peuples du Pacifique, comme ce que l’humanité contient de plus sauvage et de plus inhumain. Ce que son texte s’évertue à souligner, c’est cette constante depuis l’époque des grandes découvertes, que les peuples non civilisés existent forcément dans un état de barbarie extrême, dont l’anthropophagie demeure la manifestation la plus visible (quoi de plus inhumain, en effet, que l’idée de se nourrir de son prochain ?). Situés en dehors des frontières de la civilisation, les Indiens Nootka, et plus largement les indigènes du Pacifique, ne pouvaient être que cannibales aux yeux de John Douglas, et à ce titre ils ne pouvaient provoquer chez les Britanniques que le devoir de mettre un terme à ces horribles pratiques.
Un discours de propagande à peine voilée
40La vision particulière qu’offre Douglas des indigènes et des relations que les Anglais entretiennent avec ceux-ci obéit à un schéma clair et précis, que l’auteur expose dans son introduction générale, et qu’il est intéressant de citer ici in extenso :
Lorsque nos navires vont explorer les coins les plus reculés du globe, non pour y acquérir des possessions, mais pour accroître le savoir, lorsqu’ils rendent visite à de nouveaux peuples, animés de sentiments d’amitié et mûs par le seul désir d’être au courant de leur existence, afin de les instruire des devoirs de l’humanité, de combler le vide dû à l’état imparfait de leur société en leur communiquant nos connaissances supérieures, alors les voyages de découvertes ordonnés dans un esprit de bienveillance par Georges III et accomplis par Cook, ne sont pas vains. Nos séjours réguliers et le commerce longtemps entretenu avec les Naturels des îles des Amis, de la Société et Sandwich, n’ont pas pu ne pas jeter quelques rayons de lumière dans l’esprit infantile de ces pauvres peuples. Les objets extraordinaires qu’ils ont eu l’occasion d’observer et d’admirer ne manqueront pas d’élargir leurs idées et de fournir de nouveaux matériaux à l’exercice de leur raison. En se comparant à nous, ils ne peuvent qu’être frappés du sentiment profond de leur infériorité, et être amenés par les plus puissants des motifs à vouloir s’arracher à leur sort et se rapprocher de ces enfants du soleil qui ont daigné jeter leurs yeux sur eux et qui leur ont laissé tant de marque de leur généreuse et bienfaisante attention. L’introduction dans leur pays d’animaux et de végétaux utiles leur a offert de nouveaux moyens de subsistance et a augmenté leur bien-être et leur confort immédiats. Et si c’était là le seul avantage que nous leur ayons procuré, qui oserait dire qu’ils n’ont pas beaucoup gagné ? Mais ne pouvons-nous pas porter nos vœux et nos espoirs plus en avant ? La Grande-Bretagne elle-même, quand elle fut visitée par les Phéniciens pour la première fois, était habitée par des sauvages qui se peignaient le corps et dont la civilisation n’était peut-être pas plus avancée que celle des indigènes de Nouvelle-Zélande, et certainement inférieure à celle des habitants de Tongatapu et de Tahiti. Les relations que nous avons établies avec les peuples de l’océan Pacifique constituent la première étape de leur progrès. Qui sait si les récents voyages que nous avons effectués ne sont pas la forme qu’a choisi la Providence pour apporter au moment voulu les bienfaits de la civilisation à ces nombreuses tribus et leur faire ainsi abandonner leurs horribles festins et leurs affreux rites, afin d’établir les bases de projets plus utiles encore et d’arriver à occuper une place honorable parmi les nations de la terre86 ?
Ce passage, essentiellement consacré à la justification de l’engagement britannique dans cette zone non-civilisée du monde qu’est alors le Pacifique, recèle avant tout que cet investissement procède d’une mission : celle d’apporter les bienfaits de la civilisation à ces « pauvres peuples » qui en sont privés. Il s’agit, comme le formule Douglas, de « les instruire des devoirs de l’humanité et de combler le vide dû à l’état imparfait de leur société en leur communiquant nos connaissances supérieures ». En d’autres termes, le contact entre Anglais et indigènes du Pacifique permettra à ces derniers de sortir de leur état actuel afin d’entrer dans le cercle privilégié de l’humanité, et par conséquent de se débarrasser des attributs barbares qui les ont caractérisés jusqu’ici : le cannibalisme et la pratique du sacrifice humain (« leurs horribles festins et leurs horribles rites »). Le processus a d’ailleurs déjà commencé, selon Douglas, du fait même de l’arrivée des Anglais et de l’exemple que ceux-ci ne manquent pas de procurer aux indigènes du Pacifique. L’amélioration de leur condition équivaut au final à une maturation identique à celle que connait l’enfant lorsqu’il devient adulte. Car c’est bien d’enfants en bas âge qu’il s’agit (Douglas parle d’« esprit infantile ») et qu’il faut éduquer peu à peu à la civilisation par l’exemple que leur procurent les Britanniques. Cette mission apparaît comme totalement désintéressée. Il ne s’agit pas de satisfaire un quelconque intérêt privé ou d’explorer le Pacifique pour y « acquérir des possessions », mais au contraire d’œuvrer dans l’intérêt général de l’humanité, et en quelque sorte d’opérer un juste retour de ce dont a bénéficié l’Angleterre des siècles auparavant lorsque la civilisation méditerranéenne est venue éduquer les peuplades barbares et autres « sauvages qui se peignaient le corps » qui régnaient alors en maîtres sur l’île. On reconnaît sans peine ici la théorie des étapes de la civilisation, selon laquelle les sociétés nomades de chasseurs-cueilleurs occupent un stade inférieur à celui des sociétés européennes dites plus évoluées et dont la mission, in fine, est d’accompagner leurs congénères dans leur accession aux rangs supérieurs de la civilisation. Cette mission civilisatrice revêt enfin une dimension religieuse (n’oublions pas que Douglas est homme d’Église), par laquelle Cook devient l’instrument de la Providence qui va sauver ces êtres humains jusqu’ici exclus des lumières du progrès, et auprès desquels il va répandre la bonne parole civilisatrice87, sans laquelle les indigènes du Pacifique resteront les brutes qu’ils ont toujours été88.
41Le projet énoncé dans l’introduction générale du récit de Douglas, transforme le texte en pamphlet politique, dont le but est d’installer dans l’opinion publique anglaise le caractère inévitable et parfaitement justifié de la présence des navires de George III dans le Pacifique.
42Si la motivation des expéditions semble a priori le fruit d’une œuvre désintéressée au profit de l’humanité, les bénéfices que l’Angleterre pourra tirer d’une telle activité ne sont pas pour autant passés sous silence. Douglas ne peut s’empêcher en effet d’évoquer les opportunités commerciales nées d’une telle aventure :
N’est-on pas en droit de se livrer au flatteur espoir, que même de nos jours, on essaiera avec succès de nouvelles branches de commerce ? […] Qui sait les nouvelles routes que le commerce ouvrira si la perspective du gain s’ajoute à l’esprit d’entreprise ? Si la Grande-Bretagne est trop éloignée, d’autres nations commerçantes tireront sûrement parti de nos découvertes89.
Si les découvertes de Cook ont une dimension internationale, il ne saurait être question qu’une autre nation puisse en profiter au détriment de la Grande-Bretagne. Comme le signale à nouveau Douglas : « Chaque nation maritime profitera de ces découvertes, mais la Grande-Bretagne, dont le commerce est sans limite, sera la première à en recueillir pleinement les fruits90 ».
43Dès lors, l’enjeu est tel que l’entreprise anglaise dans le Pacifique ne saurait être discutée. Ainsi, tout ce qui dans le texte d’origine pourrait remettre en question la mission de Cook auprès de ses congénères et s’apparenter à une remise en question de la supériorité des Anglais sur les peuples du Pacifique est ainsi modifié ou supprimé, afin que le récit publié soit en harmonie totale avec les visions missionnaires et commerciales développées dans l’introduction. Quelques exemples suffiront ici à mesurer le travail de Douglas dans ce domaine. Il s’agit parfois de simples modifications lexicales, un mot mis pour un autre, une expression qui remplace celle utilisée dans le texte d’origine. Le contenu demeure mais l’effet produit est parfois différent. Lorsque dans les Nouvelles-Hébrides, un indigène est abattu de manière quelque peu discutable par un des Marines du lieutenant John Edgecombe, l’expression « commit de manière criminelle » utilisée par Cook, est transformée en un simple « tira » qui enlève toute connotation négative et ne porte pas de jugement sur l’événement91. Ailleurs, ce sont des paragraphes entiers qui sont réécrits ou enlevés. Dans le cas de la relation du deuxième voyage, la présence de Cook aux côtés de Douglas empêche ce dernier de modifier le texte à loisir. Certaines réflexions de Cook se trouvent ainsi conservées en l’état, comme par exemple les remarques du capitaine au sujet de la désertion de John Marra92. Mais lorsque l’éloge des indigènes ou de leur mode de vie se fait trop explicite, c’est une tout autre version qu’en offre Douglas. Ainsi, la remarque de Cook selon laquelle « plus on connait ces gens, plus on les apprécie, et, pour leur rendre justice, je dois dire que ce sont les personnes les plus obligeantes et bienveillantes que j’ai rencontrées jusqu’ici93 », ne peut espérer parvenir jusqu’aux lecteurs, en raison sans doute d’une dimension subversive trop affirmée. De la même manière, le passage maintes fois cité dans lequel Cook formule de fortes interrogations quant aux éventuels avantages que les peuples indigènes auraient à tirer de leur rencontre avec les Européens, est absent du texte publié, tout comme l’est la conclusion de Cook selon laquelle l’accroissement de la débauche des Maoris est dû à la présence des marins anglais94. Ce que le texte de Cook présente comme une dénonciation de l’attitude des Anglais envers les indigènes de Nouvelle-Zélande est transformé par Douglas en un regret que le modèle et l’exemple fournis par les membres de l’expédition n’aient suffi à améliorer le comportement hautement dépravé des Maoris95. C’est donc une tout autre couleur qui est donnée au passage du journal, par le biais de laquelle Douglas referme toute porte laissée entrouverte à une analyse négative de l’action anglaise auprès des populations indigènes. Chez Douglas, il ne saurait être question de méfaits quand il s’agit de l’entreprise civilisatrice menée par les Britanniques.
A Voyage to the Pacific Ocean apparaît en définitive comme une œuvre moins littéraire que politique, par laquelle Douglas entend confirmer la position indiscutable et privilégiée de l’Angleterre dans les territoires nouvellement découverts et sur le point d’être acquis dans le Pacifique au moment où le traité de Paris du 3 septembre 1783 éloigne définitivement de la couronne britannique une grande partie de ses possessions nord-américaines. La nation britannique se trouve alors chargée d’une nécessaire mission civilisatrice auprès des peuples du Pacifique, qui annonce déjà l’idée du « fardeau de l’homme blanc » qui s’imposera au xxe siècle. Comme cela avait été le cas pour l’ouvrage de John Hawkesworth en 1773, le travail qu’effectue John Douglas sur les journaux des deuxième et troisième voyages de Cook aboutit en définitive à la production de deux textes nouveaux qui, s’ils ne sont pas soumis aux mêmes contraintes éditoriales, du fait même de la collaboration de Cook dans l’élaboration de l’un de ces textes, n’en sont pas moins relativement éloignés de ce que le capitaine avait produit lors de ses voyages. Discutant de l’écart qui sépare le journal du troisième voyage de sa relation officielle, I. S. MacLaren conclut au sujet de cette dernière :
On peut lire cet ouvrage comme la relation officielle des toutes récentes explorations britanniques, on peut le lire comme le récit de l’aventure palpitante d’un gentilhomme tué à Hawaï par des cannibales assoiffés de sang […] éventuellement comme l’œuvre d’un chanoine dont le christianisme est imprimé sur chaque page […] Enfin, on peut le lire comme l’exercice de fabrication d’un héros, effectué par Douglas pour le compte de sa nation. Mais on ne saurait le lire […] comme la relation d’un explorateur qui décrit lui-même ses explorations96.
En définitive, l’examen des relations publiées par Hawkesworth et Douglas, respectivement en 1773, 1777 et 1784, met en lumière l’une des problématiques liées à l’étude des récits de voyages, à savoir que les textes offerts aux lecteurs sont souvent envisagés comme des témoignages intègres de l’expérience viatique, sans que l’on y décèle toujours les traces d’une élaboration minutieuse, ni la dimension littéraire, voire la motivation politique, qui les animent. Pendant près de deux cents ans, le Pacifique que des milliers de lecteurs occidentaux découvrirent au travers des œuvres sus-citées ne fut pas celui qu’avait décrit James Cook, mais bien celui qu’avaient créé des littérateurs professionnels comme John Hawkesworth et John Douglas.
Notes de bas de page
1 L’expression est de J. C. Beaglehole. Voir Cook II, p. cxliii.
2 On peut supposer que dans l’urgence de faire face au désistement de Joseph Banks, et afin de s’assurer de la participation de Forster à l’expédition, Sandwich ou Barrington ont pu faire certaines promesses qu’ils ne pensaient pas avoir à tenir.
3 Il s’agit d’un compte rendu du séjour de l’expédition à Dusky Sound en Nouvelle-Zélande en mars et avril 1773.
4 Sandwich, John Montagu 4th Earl of, Extracts from Papers at Hinchingbrooke relating to Captain Cook, 1774-1780. Alexander Turnbull Library, Wellington, Nouvelle-Zélande, qMS-1379. Selon Michael Hoare, biographe de Forster, Sandwich aurait subi ici la pression des principaux représentants du monde des lettres de l’époque, peu enclins à voir la rédaction d’un tel ouvrage confiée à Forster. Voir Michael E. Hoare, The Tactless Philosopher : Johann Reinhold Forster (1729-98), Melbourne, Hawthorn Press, 1976, p. 156.
5 Sandwich, John Montagu 4th Earl of, Extracts from Papers, op. cit.
6 Dans À Letter to the Right Honourable the Earl of Sandwich : First Lord Commissioner of the Board of Admiralty, & C, publiée à Londres à Londres en 1778, Georg Forster souligne qu’à cette occasion, son père Johann Reinhold « ne put se soumettre à l’indigne manière avec laquelle son manuscrit fut corrigé et privé de tout bon sens ». Ceci donne à penser que c’est moins l’idée de voir son texte revu et corrigé que la manière avec laquelle on proposait de le faire qui rencontra le refus de Forster. Voir P. Edwards, The Story of the Voyage, op. cit., p. 114.
7 « Il est maintenant arrêté que je publie sans Mr Forster, et j’ai pris les mesures nécessaires à cet effet ». Lettre du 23 juin 1776, citée dans P. Edwards, The Story of the Voyage, op. cit., p. 115.
8 Sandwich, John Montagu 4th Earl of, Extracts from Papers, op. cit.
9 Les deux premiers chapitres de l’ouvrage sont, par exemple, identiques au spécimen remis par Forster père à Lord Sandwich. Voir Life, p. 470.
10 Cook II, p. cliii.
11 Il s’agit du manuscrit MS 27888, conservé au Département des Manuscrits du British Museum.
12 J. Boswell, The Life of Samuel Johnson, op. cit., p. 256. Oliver Goldsmith mentionne lui aussi Douglas comme « le fléau des imposteurs, la terreur des charlatans » (Retaliation : A Poem [1774]. P. Cunningham, F.S.A., ed., The Works of Oliver Goldsmith, vol. I. London, John Murray, Albermarle Street, 1854, p. 82).
13 De l’aveu même de Douglas : « j’entrepris cette tâche à la demande de Lord Sandwich et à condition qu’elle demeure secrète, seule Sa Majesté étant au courant » (Cook II, p. cxliv).
14 Parmi celles-ci, signalons : la présence d’un lexique des Îles de la Société établi par William Anderson, assistant-chirurgien du Resolution, ou encore le détail des itinéraires suivis par les deux navires et la liste des différentes observations astronomiques effectuées au cours du voyage.
15 La cérémonie eut lieu le 30 novembre 1776, en présence d’Elizabeth Cook. Le texte du discours de Sir John Pringle est précédé d’une lettre de John Ibbetson, secrétaire de l’Amirauté demandant au nom des Lords de l’Amirauté que le texte en soit inclus dans l’ouvrage.
16 Life, p. 471.
17 Cook III, p. ccii. Il semble bien que la motivation principale de James King ait été financière, comme l’indique une lettre à Lord Sandwich, datée du 22 septembre 1783 : « J’ai toujours été bien plus enchanté et honoré à l’idée de prendre part à cet ouvrage, que par l’espoir d’en retirer des bénéfices. Mais n’ayant pas de fortune personnelle, et n’ayant pas eu beaucoup de succès dans ma carrière, j’espère qu’il me sera permis de préciser à Votre Seigneurie que dans la rédaction du troisième volume, je n’ai utilisé que mes notes personnelles et que cette tâche m’a tenu écarté de tout emploi pendant un an » (Sandwich, John Montagu, 4th Earl of, Papers, mainly correspondence relating to Cook, 1771-1790. Alexander Turnbull Library, Wellington, Nouvelle-Zélande, qms-1380).
18 Dans une lettre non datée à Lord Sandwich, John Douglas énumère les différentes raisons qui, selon lui, ont retardé la publication de l’ouvrage : « 1. Je souhaite avoir en ma possession les cartes et les graphiques afin de m’assurer que ceux-ci sont en accord avec l’ouvrage qu’ils sont censés illustrer, en ce qui concerne les noms de lieux et l’orthographe de ces noms. 2. Je souhaite avoir une liste exacte des illustrations qui vont être gravées, de sorte que je ne fasse allusion dans mon récit qu’à celles qui apparaitront véritablement dans l’ouvrage. 3. Je ne peux prendre le risque de commencer la publication avant d’avoir la contribution du Capitaine King. Étant parfaitement ignorant de la taille de son récit, je dois attendre de l’avoir entre les mains avant de procéder à l’agencement final de l’ouvrage. Le Capitaine King doit me rendre visite bientôt et a promis d’apporter son manuscrit. Vous pouvez compte sur moi pour tenir mes promesses du mieux que je pourrai, mais il est vraiment dommage que je n’aie pas eu les cartes dès le début de l’entreprise » (Sandwich, John Montagu, 4th Earl of, Papers, op. cit.).
19 17 janvier 1779. Cette date correspond à la dernière entrée du journal de Cook.
20 510 pages pour le premier volume, 549 pour le deuxième et 558 pour le troisième.
21 Le titre complet est : Journal of the Resolution’s Voyage in 1772, 1773, 1774 and 1775, on Discovery to the Southern Hemisphere, by which the Non-Existence of an undiscovered Continent, between the Equator and the 50th Degree of Southern Latitude, is demonstratively proved. Also a Journal of the Adventure’s Voyage… interspesed with Historical and Geographical Descriptions of the Islands and Countries discovered in the Course of their respective Voyages… London, F. Newbury, 1775.
22 A Second Voyage round the World, in the Years MDCCLXXII, LXXIII, LXXIV, LXXV ; By James Cook, Esq. Commander of His Majesty’s Bark The Resolution. Undertaken by Order of the King, and encouraged by a Parliamentary Grant of Four Thousand Pounds. Drawn up from Authentic Papers. London, printed for the editor, 1776.
23 Cook II, p. clvi.
24 Cook III, p. ccv.
25 Journal of Captain Cook’s Last Voyage to the Pacific Ocean, on Discovery ; performed in the Years 1776, 1777, 1778, 1779. Illustrated with Cuts, and a Chart, shewing the Tracts of the Ships employed in this Expedition. Faithfully Narrated from the original MS. London, F. Newbury, 1781.
26 An Authentic Narrative of a Voyage performed by Captain Cook and Captain Clerke in His Majesty’s Ships Resolution and Discovery, during the Years 1776, 1777, 1778, 1779 and 1780, in Search of a North-West Passage between the Continent of Asia and America ; including a faithful Account of all their Discoveries, and the unfortunate Death of Captain Cook. Illustrated with a Chart and a Variety of Cuts. 2 vols. London, G. Robinson, J. Sewell and J. Debrett, 1782.
27 Cité par J. C. Beaglehole dans Cook III, p. ccvii.
28 Il s’agit de la traduction de U. Tewsley, publiée par l’Alexander Turnbull Library en Nouvelle-Zélande, sous le titre : Zimmermann‘s Account of the Third Voyage of captain Cook ; 1776-1780. Wellington, 1926.
29 Zimmermann, Heinrich, von Wissloch in der Pfalz, Reise um die Welt mit Capitain Cook. (Mannheim, 1781).
30 Zimmermann‘s Account, op. cit., p. 41-43.
31 A Journal of Captain’s Cook last Voyage to the Pacific Ocean, and in quest of a North-West Passage, between Asia & America ; Performed in the Years 1776, 1777, 1778, and 1779. Illustrated with a Chart, shewing the Tracts of the Ships employed in this Expedition. Faithfully narrated from the original MS. of Mr John Ledyard. Hartford, Connecticut, Nathaniel Patten, 1783.
32 Cook III, p. ccix.
33 Jefferson en parle par exemple comme d’un « homme de génie » (James Zug, ed., The Last Voyage of Captain Cook. The Collected Writing of John Ledyard, op. cit., p. xviii).
34 L’assemblée du Connecticut fut la première à légiférer en ce sens en janvier 1783, suite à une demande de Ledyard de bénéficier du droit exclusif de publication de son journal. Le Massachusetts puis le Maryland passèrent des lois similaires en mars et avril de la même année, et en 1790, le Congrès américain en fit une loi nationale. (Ibid., p. xxi).
35 Life, p. 505.
36 Cook II, p. cxliv.
37 Ibid.
38 Voir par exemple, ce qu’il écrit à la date du 4 janvier 1776 : « Je m’en remets entièrement à vous pour procéder à toutes modifications que vous jugerez nécessaires, et pour éliminer du texte tous les passages que vous estimerez superflus » (Life, p. 463).
39 Lettre du 10 janvier 1776. Citée dans Life, p. 464.
40 « je l’ai divisé en livres et chapitres, en m’inspirant du texte de mes précédents voyages, ainsi que de celui de Lord Anson » (Life, p. 466).
41 Cook III, p. cxcix. Dans ces mêmes notes autobiographiques, Douglas se plaint du manque de reconnaissance de l’Amirauté envers son travail : « Alors que le public a rendu justice à mon labour, je n’ai reçu aucun véritable remerciement de la part de ceux dont c’était le devoir d’exprimer en premier leur reconnaissance pour l’aide que j’ai apportée. Lord Sandwich avait été écarté de l’Amirauté et Lord Howe, qui y siégeait lorsque l’ouvrage est paru, n’a jamais eu la politesse de s’occuper de ma personne. Loin de me consulter à quelque étape que ce soit de cette affaire, il me négligea complètement, et sembla faire de son mieux pour me vexer et me mortifier » (Ibid). Cette reconnaissance, Douglas l’avait appelée de ses vœux dans l’introduction de son ouvrage : « Il sera cependant permis à l’éditeur de cet ouvrage de dire qu’il croit avoir droit à beaucoup d’indulgence de la part du public, car il s’est consacré à un travail très ennuyeux et pénible, sur un motif des plus désintéressés » (Douglas 1784, vol. I, General Introduction, p. lxxviii-lxxix).
42 Ibid. Dans son introduction, John Douglas reconnaît de manière explicite sa dette envers William Anderson, mais précise également : « J’ai rempli cette tâche de telle manière que le lecteur reconnaîtra sans peine les passages où j’ai eu recours à M. Anderson » (Douglas 1784, vol. I, p. lxxviii). J. C. Beaglehole rajoute à ce sujet que l’utilisation par Douglas du texte d’Anderson est telle que le nom de ce dernier « pourrait presque figurer comme troisième auteur en couverture » (Cook III, p. cci).
43 Cook II, p. 98-99.
44 Douglas 1777, vol. I, p. 56-57.
45 P. Edwards, The Story of the Voyage, op. cit., p. 123.
46 Cook III, p. CXLIV, n. 1. C’est moi qui souligne.
47 Cook II, p. 13.
48 Douglas 1777, vol. I, General Introduction, p. xxx.
49 Cook II, p. 22-23, Douglas 1777, vol. I, p. 6.
50 Douglas 1784, vol. III, p. 493.
51 Cook II, p. 466.
52 Douglas 1777, vol. II, p. 34. Quelques jours plus tard, ce sont les habitants de l’île d’Eromanga, qui sont décrits en termes similaires : « Comme les habitants de Mallicolo, les hommes vont en quelque sorte tous nus, n’ayant autour de la taille qu’une corde ou un morceau de tissu ou de feuille dont ils se servent comme d’un étui » (Douglas 1777, p. 49). Cook est, ici aussi, plus direct dans la livraison de cette information : « Comme à Mallicollo, les hommes n’ont d’autres vêtements que l’étui dans lequel ils glissent leur pénis et qu’ils attachent à une corde ou une ceinture qu’ils portent autour de la taille » (Cook II, p. 480).
53 Cook écrit notamment : « Je ne mentionnerai pas les arguments utilisés par Mr Banks et ses amis, ceux-ci étant en grande partie absurdes et avancés par des personnes n’ayant aucune connaissance en la matière, à l’exception d’un officier ou deux qui pour l’occasion sacrifièrent leur jugement sur l’autel de l’amitié » (Cook II, p. 7).
54 À l’inverse, les mots qu’emploie Cook à l’encontre de J. R. Forster lorsque celui-ci lui demande avec insistance de prendre le botaniste suédois Sparrman à bord sont conservés. Mais il faut dire que Forster n’était alors plus très apprécié au sein de l’Amirauté.
55 Douglas 1777, vol. I, General Introduction, p. xxii.
56 Ibid., vol. I, General Introduction, p. xxiv-xxv. Cook II, p. 7.
57 Douglas 1784, vol. II, p. 538.
58 Cook II, p. 428, n. 2.
59 Douglas 1777, vol. I, p. 169-170.
60 Douglas 1784, vol. I, p. 9.
61 « Si le lecteur de ce journal désire connaître les raisons qui m’ont poussé à prendre la décision mentionnée ci-dessus, qu’il considère simplement qu’après avoir sillonné ces hautes latitudes pendant cinq mois, il est normal d’avoir envie de repos dans un port où je serai en mesure de procurer des vivres à mon équipage » (Cook II, p. 106).
62 Ainsi une expression comme « nous abandonnâmes tout espoir » que Cook utilise à cette occasion, est transformée en « nous abandonnâmes les recherches » dans le texte de Douglas (Cook II, p. 92, n. 4 ; Douglas 1777, vol. I, p. 51).
63 I. S. MacLaren, op. cit., p. 47. Les exemples qui suivent sont empruntés à cet article.
64 Cook III, p. 306.
65 Douglas 1784, vol. II, p. 285.
66 Cook III, p. 306.
67 Douglas 1784, vol. II, p. 283-284. C’est moi qui souligne.
68 Cook III, p. 308.
69 Douglas 1784, vol. II, p. 286.
70 Cook utilise l’expression « me donna » que Douglas transforme en « insista pour que j’accepte » (Cook III, p. 307 ; Douglas 1784, vol. II, p. 286).
71 Cook III, p. 308.
72 Douglas 1784, vol. II, p. 286.
73 Ibid., p. 287.
74 Cook III, p. 198-202.
75 Cook III, p. 202 ; Douglas 1784, vol. II, p. 35.
76 Cook III, p. 199.
77 Douglas 1784, vol. II, p. 41.
78 Ibid., p. 31.
79 Ibid., p. 41.
80 Douglas 1784, vol. II, p. 271.
81 Zimmermann ’s Account, op. cit., p. 30.
82 John Rickman, op. cit., p. 242. Cité dans I. S. MacLaren, op. cit., p. 52.
83 William Ellis, op. cit., vol. I, p. 192. Cité dans I. S. MacLaren, op. cit., p. 52.
84 Cook IV, p. 1329.
85 Cook III, p. 1413-1414.
86 Douglas 1784, vol. I, General Introduction, p. lxxvi-lxxvii.
87 Un peu plus bas dans le texte, il est spécifié que les Anglais sont « les instruments du salut de millions de leurs congénères » (ibid.). Le rôle d’apôtre confié à Cook transforme celui-ci en martyr de la cause civilisatrice, tué, de manière ironique, par ceux-là mêmes qu’il vient aider, à l’aide des instruments mêmes qu’il leur fournit.
88 Ailleurs dans son introduction générale, Douglas souligne combien il est aisé de constater ce que l’absence de la civilisation a de préjudiciable : « jusqu’où la nature humaine, quand elle ne bénéficie d’aucune aide extérieure, peut dégénérer » (Douglas 1784, vol. I, General Introduction, p. lxviii), ce qui vient appuyer l’impérieuse nécessité de l’intervention européenne auprès des peuples du Pacifique.
89 Douglas 1784, vol. I, General Introduction, p. lviii.
90 Ibid.
91 Cook II, p. 499-500 ; Douglas 1777, vol. II, p. 72-73.
92 Cook II, p. 403 ; Douglas 1777, vol. I, p. 345.
93 Cook II, p. 236.
94 Ibid., p. 174-175.
95 Douglas 1777, vol. I, p. 130.
96 I. S. MacLaren, op. cit., p. 43-44.
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