John Hawkesworth, « auteur » du Voyage around the World
p. 231-264
Texte intégral
L’homme, la mission et l’œuvre
1Né en 1715 à Londres dans une famille modeste, John Hawkesworth s’impose rapidement sur le devant de la scène littéraire grâce notamment à son amitié avec Samuel Johnson, dont il imite le style1 et avec lequel il collabore au sein du Gentleman’s Magazine dès les années 1740. Au début des années 1750, il est le principal artisan de The Adventurer, successeur du Rambler de Johnson auquel le célèbre lexicographe contribue également de manière active2. Hawkesworth y développe certaines idées sur le rôle de la littérature que l’on verra resurgir de manière concrète au moment où l’Amirauté lui confie la mission de préparer les journaux de Cook à la publication. En 1756, les mérites de John Hawkesworth sont récompensés par l’octroi du titre de Doctor of Laws que lui décerne l’Archevêque de Canterbury. Dans les années 1750 et 1760, il travaille à l’adaptation de plusieurs pièces de théâtre à l’attention de David Garrick, dont Amphitryon de John Dryden (1756) et Oroonoko de Thomas Southerne (1759) et publie un conte oriental (Almoran and Hamet, 1761), ainsi qu’un conte de fée qu’il adapte pour la scène (Edgar and Emmaline, 1761). Il rédige également les livrets de deux oratorios (Zimri en 1760 et The Fall of Egypt, édité en 1774), et publie en 1766 les œuvres complètes de Jonathan Swift auxquelles vient s’ajouter une biographie de l’écrivain dont Samuel Johnson fera l’éloge dans son Lives of the English Poets, présentant leur auteur comme « un homme capable de dignifier son récit avec beaucoup d’élégance de langage et de sentiments3 », ainsi qu’une traduction des Aventures de Télémaque de Fénelon en 1768.
2C’est donc à un auteur accompli et jouissant d’une certaine réputation dans les milieux culturels et littéraires londoniens que Lord Sandwich confie la mise en forme des journaux de Cook en septembre 1771, deux mois seulement après le retour de l’Endeavour en Angleterre. La situation est alors pressante. Car en dépit des précautions prises par Cook qui avait confisqué tous les journaux tenus par les membres de son équipage4, un compte rendu anonyme de l’expédition a déjà été publié, qui menace quelque peu d’entamer la mainmise de l’Amirauté sur les informations divulguées5. La nécessité s’impose donc de produire une relation officielle avant que d’autres auteurs, conscients de l’intérêt financier que pouvait alors représenter un tel ouvrage, ne publient à leur tour leurs journaux respectifs6. C’est dans ces conditions qu’est recruté John Hawkesworth.
3Il existe deux versions différentes de la manière dont Hawkesworth fut recommandé à Lord Sandwich. L’une est fournie par Fanny Burney, dont le père, Charles, était un proche d’Hawkesworth, et qui livre tous les détails de l’affaire dans son journal intime à la date du 15 septembre 1771 :
Mon père a eu l’heureuse opportunité de se montrer très obligeant envers le Docteur Hawkesworth. Lors de son séjour à Norfolk, il est allé présenter ses respects à Lord Orford, qui a toujours été particulièrement chaleureux à son encontre. Il y a rencontré diverses personnes, dont Lord Sandwich, qui s’entretenait du tout dernier voyage autour du monde dont il avait les journaux de bord en sa possession, en sa qualité de Premier Lord de l’Amirauté. Il dit qu’il ne s’agissait là que de simples brouillons, non agencés, et qu’il serait très obligeant envers quiconque qui lui recommanderait un auteur adéquat pour écrire le récit du voyage7.
Charles Burney propose alors le nom de John Hawkesworth, qui recueille également les soutiens de David Garrick, d’Elizabeth Montagu et de Lord Lyttleton8, et fin septembre l’affaire semble être conclue, comme l’indique une lettre d’Hawkesworth à Burney en date du 6 octobre, dans laquelle il le remercie chaleureusement pour l’appui fourni : « Veuillez, cher monsieur, accepter tous mes remerciements, pour les avantages que ne manquera pas de me procurer cet ouvrage, et qui seront considérables9 ».
4La seconde version offre à David Garrick un rôle plus actif et en fait le véritable instigateur de l’affaire. S’il est vrai que son nom apparaît souvent en liaison avec la rédaction de l’ouvrage, il ne semble finalement n’y avoir joué qu’un rôle subsidiaire et ne s’être révélé qu’à l’occasion du choix de l’éditeur, que Garrick aurait préféré voir être son ami Becket10. Le choix de la maison Strahan et Cadell, qui offrait à l’auteur des revenus bien plus importants, fut la cause d’une rupture entre Garrick et Hawkesworth qui perdura jusqu’à la mort de celui-ci en dépit de ses efforts de réconciliation11. Dès octobre 1771, Hawkesworth emploie l’essentiel de son temps à travailler à ce qui promet d’être l’œuvre la plus importante de sa carrière, et en juin 1773, l’ouvrage enfin prêt est publié en trois volumes sous le titre : An Account of the Voyages undertaken by the order of his present Majesty for making Discoveries in the Southern Hemisphere, And successively performed by Commodore Byron, Captain Wallis, Captain Carteret, and Captain Cook, in the Dolphin, the Swallow, and the Endeavour : drawn up from the Journals which were kept by the several Commanders, And from the Papers of Joseph Banks, Esq ; By John Hawkesworth, LL.D., in three Volumes12.
5Le premier volume est consacré aux voyages de Byron, Wallis et Carteret. Les deux derniers concernent entièrement le voyage de Cook et sont regroupés sous le titre : An Account of a Voyage round the World, in the Years MDCCLXVIII, MDCCLXIX, MDCCLXX, and MDCCLXXI. By Lieutenant James Cook, Commander of his majesty’s Bark the Endeavour. L’ouvrage connait un succès phénoménal : les deux mille exemplaires de la première édition sont épuisés en quelques semaines et très rapidement une deuxième édition voit le jour. Avant la fin de l’année, une édition américaine est disponible, ainsi que des traductions allemandes et françaises dès 1774. En 1785, une troisième édition anglaise est mise sur le marché, et en 1794, c’est la version italienne qui paraît. Pendant toute cette période de nombreux extraits sont publiés çà et là dans la presse et les magazines. Entre 1773 et 1784, l’ouvrage sera emprunté plus de deux cent fois à la bibliothèque de Bristol.
6John Hawkesworth est alors au sommet de sa gloire : l’homme jouissait déjà d’une certaine réputation dans les cercles littéraires, voilà que son nom est associé à la plus audacieuse entreprise de la couronne et qu’il est même devenu depuis avril 1773 l’un des directeurs de la East India Company. Homme de lettres, il devient également homme d’affaires. Comble de la gloire, Lord Sandwich l’invite à bord de son yacht Augusta, qui le conduit jusqu’à Plymouth où il est présenté au roi à la fin du mois de juin 1773. Le bonheur sera cependant de courte durée. À son retour à Londres à la fin du mois, Hawkesworth doit faire face à une critique impitoyable qui se déchaîne à son encontre : la presse et tout ce que la capitale compte d’hommes et de femmes de lettres participent à ce qu’un critique a appelé « the Great Voyage Controversy of 177313 ».
7L’ampleur de la critique est à la mesure des attentes du public. Depuis le retour de l’Endeavour, le voyage de Banks et de Solander, comme est alors fréquemment nommée la première expédition de Cook, est dans toutes les conversations. Lady Mary Coke écrit dans son journal que : « les personnes dont on parle le plus en ce moment sont M. Banks et le Docteur Solander. Je les ai vus à la cour, puis chez Lady Herford, mais je ne les ai pas entendu parler de leur voyage, dont on me dit qu’il fut très divertissant14 ». Tous ne sont pas si enthousiastes. Boswell retranscrit, par exemple, une conversation avec le docteur Johnson au cours de laquelle ce dernier se montre circonspect quant à la valeur et l’intérêt de la relation à venir :
« Monsieur, si vous en parlez comme d’un objet de transaction commerciale, il sera très lucratif, mais s’il s’agit d’un ouvrage dont l’objet est d’enrichir le savoir humain, je ne crois pas que nous en retirerons grand-chose. Hawkesworth ne peut que répéter ce que les voyageurs lui ont rapporté, et ils n’ont Presque rien trouvé, à peine un nouvel animal, je crois ». BOSWELL : « Mais de nombreux insectes, Monsieur ». JOHNSON : « Et bien, en ce qui concerne les insectes, Ray estime à vingt mille le nombre de leurs espèces en Grande-Bretagne. Ils auraient pu rester chez eux, et auraient fait suffisamment de découvertes dans ce domaine15. »
Mais quelle que soit alors l’opinion sur le sujet, celui-ci passionne un lectorat de plus en plus impatient de lire enfin le compte rendu des aventures britanniques dans le Pacifique, et c’est donc avec un engouement sans précédent que le public accueille la publication de l’ouvrage en juin 1773. Très rapidement cependant, les critiques négatives font leur apparition. Si certains lecteurs, tels Horace Walpole, William Cowper ou Samuel Johnson ne semblent reprocher à Hawkesworth que ses piètres qualités de littérateur (« Je suis péniblement arrivé au bout des trois volumes du Dr Hawkesworth sur les voyages dans la Mer du Sud. On aurait à peine de quoi remplir la moitié d’un volume avec ce qu’ils contiennent de divertissant, et au mieux, s’agit-il de la relation des aventures d’un groupe de pêcheurs sur les côtes d’une quarantaine d’îles16 », écrit Walpole à William Mason le 5 juillet), d’autres l’attaquent sur le contenu même de l’œuvre et sur les idées qui y sont présentées, notamment la description des mœurs tahitiennes, réputées dissolues. Ainsi, Elizabeth Carter et Elizabeth Montagu, personnalités influentes de la société des Bas-bleus, ne manquent-elles pas de souligner l’impudeur qui anime le récit, regrettant qu’un auteur tel que John Hawkesworth ait pu autant s’éloigner de la vertu et de la morale qui le caractérisaient jusqu’alors. Le livre est d’ailleurs bien souvent condamné avant même d’être lu. Dans une lettre à Mrs Montagu, Mrs Carter écrit à son propos : « Je ne l’ai pas vu, et d’après le compte rendu que vous et certaines de mes amies m’en ont fait, je n’aurai certainement jamais la moindre curiosité de lire cet ouvrage », et de poursuivre un peu plus tard : « la scandaleuse indécence de certaines de ses parties m’ont indignée et m’empêchent de ressentir la moindre curiosité à l’égard de cet ouvrage17 ». Une telle réaction d’indignation ne pouvait qu’être appuyée par l’un des membres les plus influents du clergé, le méthodiste John Wesley, qui tout incrédule face à cette apparente contradiction de l’idée même de pudeur telle qu’elle est enseignée dans la Bible, s’exclame dans son journal au 17 décembre 1773 :
Je tombai sur un ouvrage célèbre : un volume des voyages du Capitaine Cook et m’assis tout plein d’espoir, pour le lire. Mais quelle déception !! […] Des hommes et des femmes qui s’accouplent en plein jour et sous le regard de dizaines de personnes ! […] Hume et Voltaire peuvent bien y croire, mais pas moi […] je ne peux ranger ce récit qu’aux côtés de Robinson Crusoe18 […]
La presse n’est pas en reste. Si certains périodiques, tels que l’Annual Register, la Critical Review ou la Monthly Review, s’en tiennent à une critique modérée et constructive de l’œuvre, d’autres titres montrent moins de réserves et publient un nombre important de commentaires de lecteurs livrés sous couvert d’anonymat. Déjà, dans le Morning Chronicle, du 15 mai 1773, « Candour » avait fortement critiqué la somme d’argent obtenue par Hawkesworth de la part de ses éditeurs, avant même que l’ouvrage ne paraisse19. Une semaine plus tard à peine, « Navalis » dans le London Weekly Journal, s’indigne que l’on puisse recevoir une telle somme en échange « d’un travail aisé, de quelques mois à peine, effectué au coin d’une cheminée, alors que les commandants qui ont pris part aux voyages au péril de leur vie, et qui sont les auteurs des manuscrits originaux, n’ont rien obtenu de la transaction commerciale20 ».
8Durant l’été 1773, pas une semaine ne passe sans que l’on puisse lire les attaques acerbes portées contre Hawkesworth. Un correspondant nommé « Bossu » se plaint dans le St. James’s Chronicle du 17 juin que l’on n’ait pas confié une telle entreprise à un Montesquieu plutôt qu’à un simple essayiste. Le 17 juillet, dans le même magazine, c’est « A Thinking Woman » qui questionne l’intérêt de publier un tel ouvrage subversif dans cette époque déjà bien corrompue. Dans le Morning Chronicle du 19 juin, « A Patagonian », après s’en être pris à la dédicace de l’œuvre au roi George III, promet de continuer dans la même veine et livre un avant-goût de ce qui attend les lecteurs :
Je m’occuperai dans une prochaine lettre de votre introduction générale, et de votre introduction spécifique au voyage de l’Endeavour, dans lesquelles il apparaît que vos principes religieux sont aussi inconsistants que votre pratique morale, et que l’on ne saurait soutenir l’un ou l’autre plus qu’on ne saurait soutenir vos prétentions littéraires ou scientifiques21.
Parmi tous ces correspondants que la lecture de la relation d’Hawkesworth ne laisse pas indifférents, c’est incontestablement « A Christian » qui se montre le plus acharné. Ses lettres, publiées dans le Public Advertiser, s’étalent du 14 juin au 28 août et ne laissent aucun aspect de l’ouvrage échapper à une plume sans pitié qui n’a de cesse d’accuser John Hawkesworth de promouvoir la débauche de la jeunesse anglaise. Un exemple suffira ici à prendre toute la mesure des critiques formulées alors :
Nos femmes trouveront dans l’ouvrage du Dr Hawkesworth bien plus d’excitation aux plaisirs vicieux que dans le plus intriguant des romans français, et […] nos libertines peuvent mettre de côté la Femme de Plaisir et satisfaire leurs âmes impures avec la lecture des récitals infiniment plus lascifs que l’on trouve dans ce scandaleux ouvrage22 !
Ces différents témoignages ne sauraient cependant faire oublier que ce sont justement les mœurs tahitiennes dépeintes par Hawkesworth qui intéressent, voire séduisent alors la plus grande partie de l’opinion publique, comme en témoignent les différents pamphlets anonymes publiés à la suite de An Account of the Voyages et qui mettent tous en scène un Joseph Banks et une reine Purea pris dans une idylle à laquelle Hawkesworth avait pourtant pris soin de ne pas faire allusion dans son texte23, ou encore cette invitation envoyée à un correspondant anonyme par Charlotte Hayes, la célèbre tenancière de maison close :
Mrs Hayes présente ses compliments les plus respectueux à Lord –, et prend la liberté de l’informer que demain soir, à sept heures précises, une douzaine de jolies nymphes, absolument pures, naturelles et en pleine santé, donneront une représentation des célèbres rites de Vénus, tels qu’on les pratique à Tahiti, sous la direction de la Reine Oberea, représentation dans laquelle Mrs Hayes elle-même fera une apparition24.
Autre argument sur lequel se portent les attaques de la critique : la religion, et plus particulièrement la position de John Hawkesworth sur la question de la Providence dont il fait état dans son introduction générale. Évoquant les péripéties de l’Endeavour sur la Grande Barrière de Corail, Hawkesworth refuse de voir dans le salut de l’équipage une intervention particulière de la Providence :
Nous ne pouvons pas déclarer, écrit-il, que le vent a cessé de manière providentielle sans dire que c’est également de manière providentielle que le soleil s’est levé ce matin […] il incombe à ceux qui ne sont pas de cet avis de montrer pourquoi une intervention extraordinaire ne s’est pas produite pour empêcher le vaisseau d’heurter un récif si cette même intervention a empêché le navire de tomber en morceau après sa collision25.
Si l’argument est proche des convictions déistes de certains grands personnages du siècle, tels que Pope, que Hawkesworth admirait, ou Benjamin Franklin, dont il était l’ami, il se révèle particulièrement sensible et ne passe pas inaperçu auprès des lecteurs, déclenchant de nombreux commentaires et railleries, tant dans la presse que dans les correspondances personnelles, comme l’attestent par exemple ces mots qu’Elizabeth Carter écrit à Elizabeth Montagu le 20 septembre 1773, où elle évoque l’accident auquel réchappe le neveu de sa correspondante, en ces termes :
Le récit de l’accident de votre cher neveu m’a donné des frissons. Quelle chance providentielle que ce gentil garçon n’ait pas perdu son œil. Le Docteur Hawkesworth, si ce qu’on m’a rapporté de son système philosophique est vrai, avancerait très sérieusement que si la Providence avait un quelconque rôle ici, le canif ne se serait jamais trouvé près de son œil26.
James Boswell, à l’occasion de son voyage dans les Hébrides avec le Dr. Johnson, mentionne également cet élément. Lors d’une traversée houleuse entre les îles de Sky et de Col, le 3 octobre 1773, il consigne la remarque suivante dans son journal :
La piété m’apporta quelque réconfort ; je fus cependant dérangé par les objections formulées à l’encontre des interventions particulières de la Providence, et par les arguments de ceux qui maintiennent qu’il est vain d’espérer que les prières d’un individu, ou même d’une assemblée de fidèles puissent avoir une quelconque influence sur Dieu. Ces objections, souvent formulées, ont été ravivées il y a peu de temps par le Dr Hawkesworth dans son Voyage dans les Mers du Sud27 […]
Ainsi, lors de l’été 1773, attaques privées et publiques se succèdent à l’encontre de John Hawkesworth et de son ouvrage, n’épargnant aucun des aspects d’une œuvre par ailleurs très prisée du lectorat. Si les périodiques se montrent particulièrement féroces, ils ne sauraient pourtant englober la totalité des critiques publiques qui paraissent alors. Ainsi, quelques jours seulement après la publication de An Account of the Voyages, paraît à Londres A Letter from Mr Dalrymple to Dr. Hawkesworth, Occasioned by Some Groundless and Illiberal Imputations in his Accounts of the late Voyages to the South28. Son auteur, on s’en souviendra, avait été pressenti pour conduire l’expédition de 1768, avant que l’Amirauté ne lui préfère Cook, dont le statut d’officier de la Royal Navy correspondait en tous points à ce que recherchaient les organisateurs du voyage. Si Dalrymple passe rapidement sur l’impact moral des descriptions d’Hawkesworth, il insiste plus longuement sur les prétendues erreurs théologiques que contient son introduction générale, mais porte essentiellement ses attaques sur ce qui constitue l’un des aspects les plus importants du voyage de Cook, la recherche de la Terra Australis Incognita, et fustige le scepticisme dont l’auteur fait part quant à son existence29. Incompétence, négligence, manquement aux devoirs les plus élémentaires d’un officier de marine, Dalrymple ne manque pas d’arguments pour démontrer le manque de sérieux de l’expédition, et par ce biais, remettre en question la validité des conclusions apportées à la question du continent austral. Hawkesworth, peu touché par une telle accusation, lui répond avec ironie dans la préface de la deuxième édition de son ouvrage, parue en août 1773 : « Je suis vraiment désolé que ce bon gentilhomme soit mécontent et j’espère sincèrement que l’on trouvera un continent austral, car je suis sûr que rien d’autre ne saura le rendre heureux et de bonne humeur30 ». Dalrymple réagit par la rédaction, en septembre 1773, d’une seconde lettre, que la mort de John Hawkesworth deux mois plus tard, empêche d’être publiée31. Dans cette seconde attaque, Dalrymple soulève l’une des questions les plus problématiques de la critique contre Hawkesworth : l’authenticité du texte :
Les gentilshommes dont il se targue d’avoir obtenu le consentement peuvent bien être portés à une certaine indulgence envers cet ouvrage, mais quiconque a pu en discuter avec eux, ne peut qu’être convaincu que leur silence ne saurait être interprété comme un acquiescement quant à la justesse des sentiments publiés par le docteur32.
Ce faisant, Dalrymple ne fait que s’attaquer à un point que l’auteur de An Account of the Voyages lui-même avait mis en avant dès le début du projet. Dans une lettre à Lord Sandwich, datée du 19 novembre 1771, Hawkesworth, accusant bonne réception du premier volume du journal de Joseph Banks, lui avait fait part de son intention de soumettre son manuscrit au commodore Byron et aux capitaines Wallis, Carteret et Cook, afin d’obtenir leur approbation quant à la fidélité avec laquelle il relatait leurs aventures dans les Mers du Sud33. Dans son introduction générale, le sujet est repris et après avoir justifié sa décision d’écrire un récit à la première personne, il affirme à nouveau :
Afin qu’il n’y ait pas de doute sur la fidélité avec laquelle j’ai rapporté les événements décrits dans les matériaux qui m’ont été fournis, la relation manuscrite de chaque voyage a été lue devant les commandants respectifs, sur demande de Lord Sandwich, qui a assisté à la plus grande partie de ces lectures. La relation du voyage de l’Endeavour a été également lue à M. Banks et au Docteur Solander, et le manuscrit leur a été confié pendant assez longtemps, ainsi qu’au Capitaine Cook. Le Commodore Byron, le Capitaine Wallis et le Capitaine Carteret ont eu de même le manuscrit de leurs voyages respectifs entre leurs mains, après en avoir entendu la lecture à l’Amirauté ; et j’ai fait tous les changements qu’ils ont demandés34.
On sait avec quelle indignation Cook prit connaissance de ce que Hawkesworth lui avait fait dire au sujet de l’île de Sainte-Hélène. Dans le journal de son deuxième voyage, il dément avoir eu l’opportunité de lire le manuscrit en préparation en dépit de ce que son auteur affirme en introduction et ne manque pas de rectifier les propos tenus en son nom35. Philip Carteret, capitaine du Swallow est encore plus indigné, et se sent dans l’obligation de préparer sa propre version du récit. Dans une note introductive, il reproche ouvertement à Hawkesworth d’avoir totalement corrompu ses propos et de n’avoir pas inclus l’ensemble de ce qu’il avait écrit :
Je me trouve dans la désagréable obligation de publier moi-même la relation dans son intégralité, afin que l’on ne me croit pas d’accord avec ce qui a été déjà publié, de manière, non seulement, à me rendre justice, mais aussi pour le bien du service et la sécurité des futurs navigateurs qui auront ainsi l’ensemble des observations que j’ai consignées à leur disposition, un grand nombre d’entre elles ayant été omises par le Docteur Hawkesworth36.
Comment concilier les différents points de vue antagonistes de cette affaire ? S’il n’y a a priori aucune raison de remettre en question les propos de Cook et de Carteret, il n’y en a pas non plus de contester les affirmations de John Hawkesworth dans son introduction. Philip Edwards donne ici une hypothèse tout à fait intéressante. Selon lui, Hawkesworth aurait été le jouet naïf d’un Lord Sandwich qui n’aurait peut-être pas jugé bon de lui faire remonter les éventuelles modifications proposées par Cook ou Carteret, car celles-ci auraient sans doute retardé la publication de l’ouvrage37. Cette hypothèse est appuyée par la réaction de Cook qui écrit, on s’en souviendra, qu’il n’eut pas l’opportunité de lire le manuscrit d’Hawkesworth, ni d’en écouter une lecture « tel qu’il avait été écrit38 », ce qui laisse clairement entendre que Cook n’eut accès qu’à un résumé du manuscrit, probablement lu lors d’une rencontre à l’Amirauté. Quelques années plus tard, Cook réitéra son propos lors d’un dîner chez Sir John Pringle, alors président de la Royal Society. Boswell rapporte qu’à cette occasion, « Il déclara qu’il n’était pas vrai que Mr Banks et lui-même avaient apporté des révisions à l’ouvrage dans son intégralité, et que Hawkesworth n’avait rien modifié des révisions qu’ils avaient effectuées (je crois bien que c’est ce qu’il a dit également39 ». Ici aussi, l’incertitude de Boswell, plutôt rare chez cet auteur, quant à l’exactitude des propos de Cook, empêche de formuler toute conclusion définitive sur ce sujet. Il faut enfin rajouter qu’en ce qui concerne Cook, l’importante utilisation que fait Hawkesworth du journal de Joseph Banks vient compliquer la question. Il ne s’agit plus seulement de distinguer ce qui appartient au journal de Cook de ce qui a été rajouté ou modifié par Hawkesworth, mais bien de mesurer les proportions dans lesquelles l’auteur de An Account of a Voyage round the World construit un nouveau récit à partir des deux manuscrits qui lui servent de base et auxquels il ajoute ses propres réflexions40. Il demeure cependant qu’en affirmant que les capitaines des expéditions avaient bien eu en mains son manuscrit, Hawkesworth semble avoir été sûr de ce qu’il avançait et c’est donc en toute honnêteté qu’il réitère ses propos dans la préface de la deuxième édition :
J’ai incorporé les journaux de chaque voyage et retranscrit les sentiments des auteurs sur le sujet du mieux que j’ai pu. La lecture de ces journaux prouve de manière certaine que les faits ont été rapportés fidèlement et le consentement des gentilshommes qui les ont rédigés, à qui mon manuscrit a été lu et qui ont eu ce manuscrit entre leurs mains jusqu’à ce qu’il juge utile de me le restituer, montre de manière certaine que je n’en ai pas trahi l’esprit41.
Il semble peu probable qu’Hawkesworth aurait conservé la même position entre les deux éditions quant à l’authenticité de ce qu’il avait retranscrit depuis les journaux de Byron, Wallis, Carteret et Cook, s’il n’avait eu l’assurance du soutien, même officieux, de l’Amirauté. En l’absence d’informations supplémentaires, il faut cependant en rester à l’hypothèse formulée par Philip Edwards et se pencher sur le texte lui-même. Qu’en est-il en effet des modifications que John Hawkesworth apporte aux différents manuscrits qu’il a en sa possession pour produire la version officielle des voyages anglais dans le Pacifique ?
La réécriture des journaux
« Polir le style » : organisation interne et élaboration littéraire42
9L’aspect le plus immédiatement visible du travail auquel se livre Hawkesworth concerne l’agencement du texte à partir duquel il compose son récit. Si le déroulement quotidien des événements est conservé, les dates ne sont plus en tête de chaque entrée, mais inscrites dans la marge. De la même manière, le calendrier nautique utilisé par Cook pour les entrées en mer est abandonné au profit exclusif du calendrier civil. Le journal est découpé en chapitres qui, comme le veut l’usage, présentent chacun en incipit un sommaire de leur contenu. Les chapitres sont regroupés en livres, les livres en volumes. Le premier livre (soit vingt chapitres) et une partie du second livre (six chapitres) sont contenus dans le premier volume ; la fin du deuxième livre (quatre chapitres) et le troisième livre (quatorze chapitres) constituent le second volume. À quelques détails près, chaque livre correspond à l’une des grandes escales du voyage : Tahiti pour le premier livre, la Nouvelle-Zélande pour le deuxième et la côte est de la Nouvelle-Hollande pour le troisième. De ce constat il ressort qu’un espace textuel considérable est réservé aux entrées à terre, au détriment des entrées en mer, bien moins développées. Ceci avait déjà été observé dans le journal de Cook et Hawkesworth ne fait en définitive qu’accentuer la tendance. L’impression générale est celle d’un voyage qui s’affranchit des longs et lents déplacements en mer pour ne concerner que les escales et ce qui s’y passe : rencontres et escarmouches, descriptions des lieux, des gens et de leurs coutumes. Cette diminution progressive de l’espace qu’occupent les entrées maritimes s’accompagne d’un abandon des considérations techniques et des détails de navigation, pourtant inhérents à tous récits de voyages maritimes43. Hawkesworth, sommé par l’Amirauté de les réintroduire, éprouve d’ailleurs le besoin dans son introduction de se justifier auprès de ses lecteurs :
Un grand nombre de lecteurs pensera sans doute que j’ai rapporté trop minutieusement les détails nautiques, mais on doit se souvenir que ces détails mêmes sont l’objet principal de cet ouvrage. Il était particulièrement nécessaire d’inclure la position du navire à différentes heures de la journée ainsi que les relevés des différentes parties de la terre, tandis que l’on sillonnait la mer et examinait des côtes jusqu’alors inconnues, afin de déterminer la route avec plus de précision que sur une carte, quelque grande que fût son échelle, et pour pouvoir décrire avec une exactitude scrupuleuse les baies, les caps et les autres irrégularités de la côte, l’aspect du pays, les collines, les vallées, les montagnes et les bois, ainsi que la profondeur de l’eau, et toutes les autres particularités qui pouvaient permettre aux futurs navigateurs de trouver aisément chaque partie indiquée et de s’y rendre en toute sécurité. Moi-même je n’étais d’abord pas conscient de l’importance de ces détails, de sorte qu’après avoir rédigé mon manuscrit, je fus obligé d’y faire de nombreuses additions44.
Cette contrainte n’obligeait cependant pas Hawkesworth à réintroduire les informations techniques du voyage sans y apporter quelques améliorations. Ainsi, au style télégraphique de Cook, fait d’abréviations et de chiffres, Hawkesworth substitue de véritables phrases, dans lesquelles la plupart des informations nautiques a disparu et où ne subsistent plus que les indications de longitude et de latitude, inévitables dans ce type de récit pourrait-on dire, ainsi que l’écart entre les mesures prises par les membres de l’équipage et celles consignées dans le carnet de bord. Le texte perd de son aspect technique, mais gagne en clarté et n’est plus de nature à dérouter, voire à lasser le lecteur non-initié. Voici par exemple ce qu’Hawkesworth écrit pour les premiers jours d’octobre 1768 :
Le 1er Octobre, à une latitude Nord de 14° 6’ et une longitude Ouest de 22° 10’, nous trouvâmes, par un azimut très convenable, que la déclinaison était de 10° 37’ Ouest. Le lendemain matin, elle était de 10°. Ce même jour nous trouvâmes que notre vaisseau était cinq milles au-delà de l’estime du lock et le jour suivant sept. Le 3, nous mîmes la chaloupe en mer pour découvrir s’il y avait du courant. Nous en trouvâmes un en direction de l’Est, à une vitesse de trois quarts de mille par heure45.
Le premier niveau de modification que John Hawkesworth apporte au texte de Cook est donc d’ordre stylistique. À partir de ces simples brouillons, pour reprendre l’expression de Lord Sandwich, Hawkesworth crée des paragraphes, y introduit une ponctuation cohérente, des majuscules en début de phrases, et y harmonise l’orthographe, en particulier celui des noms propres. La reine de Tahiti, tour à tour appelée « Purea », « Obaria », « Obeira », ou encore « Obareia » par Cook, devient ainsi « Oberea », chez Hawkesworth. Les deux chefs tahitiens que l’équipage de l’Endeavour avait surnommés Lycurgus et Hercules avant de prendre connaissance de leurs noms deviennent Tubourai Tamaide et Tootahah46. Lorsqu’elle fait défaut, la syntaxe de Cook se voit corrigée, tout comme la conjugaison ou l’emploi des temps. Le lexique est parfois modifié au profit d’une richesse stylistique que le texte d’origine ne possède pas. Le traitement du décès d’Alexander Buchan, par exemple, peintre-paysagiste engagé par Joseph Banks, illustre clairement le travail d’Hawkesworth. Le 17 juin 1769, à Tahiti, Cook écrit :
LUNDI 17. À 2 heures du matin, M. Alex Buchan, peintre de paysages, a quitté ce monde. C’était un gentilhomme fort compétent dans sa profession que nous regretterons bien lors de ce voyage. Il était depuis longtemps sujet à un désordre intestinal qui l’amena plus d’une fois à l’article de la mort, et était en même temps en proie à des crises comme celle qu’il a eue samedi matin, qui a ravivé son désordre et mis fin à ses jours. M. Banks ne jugea pas opportun d’enterrer le corps sur la plage, à un endroit où nous ne connaissions rien des coutumes des Naturels en cette occasion. On l’a donc emporté en mer et confié à cet élément avec toute la décence que la situation de l’endroit a permis47.
Chez Hawkesworth, ce passage donne :
Le 17 au matin, nous eûmes le malheur de perdre M. Buchan, que M. Banks avait amené comme peintre de paysages et de figures ; c’était un jeune homme sage, laborieux et ingénieux qu’il regretta beaucoup. M. Banks espérait par son entremise montrer à ses amis en Angleterre, des représentations de ce pays et de ses habitants, ce que personne d’autre à bord n’était capable de faire avec plus d’exactitude et d’élégance. M. Buchan avait toujours été sujet à des crises d’épilepsie. Il en fut victime sur les montagnes de la Terre de Feu, et cette disposition, aggravée par une maladie de foie qu’il avait contractée à bord du navire, mit fin à ses jours. On proposa d’abord de l’enterrer sur la plage, mais M. Banks pensa que cela offenserait peut-être les naturels du pays, dont nous ignorions complètement les coutumes. Nous jetâmes donc le corps à la mer avec autant de décence et de solennité que la situation où nous nous trouvions le permettait48.
Si l’essentiel de l’entrée de Cook est conservé, le texte d’Hawkesworth donne l’impression générale d’une écriture plus maitrisée qui prête une plus grande attention au rythme des phrases et au lexique utilisé. À la transmission brute et directe des informations qui caractérisait le texte de Cook, Hawkesworth substitue un texte enrichi syntaxiquement et lexicalement, un texte poli, pour reprendre l’expression de Smollett, de nature à satisfaire le goût du lectorat49, et qui correspond en tous points aux théories qu’il avait mises en avant quelques années plus tôt dans The Adventurer.
10C’est tout particulièrement dans le numéro quatre de ce périodique, intitulé « Of the different Kinds of Narratives, and why they are universally read », publié le samedi 18 novembre 1752, que Hawkesworth énonce les principes qui dicteront les modifications qu’il fera subir au texte de Cook quelques années plus tard50. Hawkesworth y ébauche une théorie des genres dans laquelle il reprend le célèbre précepte utile dulci d’Horace selon lequel l’objet premier de la littérature est d’instruire en divertissant, et que, pour ce faire, le texte doit mettre en avant la dimension émotionnelle de son contenu. Car c’est bien là le but essentiel de l’écriture : « Les récits les plus plaisants sont ceux qui non seulement excitent et satisfont la curiosité, mais engagent également les passions51 ». Si le poème épique semble remplir cette condition, ce n’est le cas ni du récit historique, ni de la biographie, et encore moins du récit de voyage, pour lequel « Aucune passion n’est excitée de manière forte, à l’exception de l’émerveillement52 ». En dehors de la curiosité et de l’émerveillement nés de la description de terres et de peuples jusque là inconnus, le récit de voyage ne suscite généralement que peu d’émotions au lecteur, car il s’attache à dresser la liste chronologique et exhaustive des faits et des découvertes, sans s’attacher suffisamment à ce qui semble bien être l’essentiel pour Hawkesworth, le potentiel émotionnel des relations humaines. C’est donc une sélection des faits marquants qui est privilégiée, sur lesquels la charge émotionnelle va pouvoir être portée. C’est dans ce sens qu’il faut lire par exemple son paragraphe sur la relation de faits historiques :
L’histoire est une relation des événements les plus naturels et les plus importants. Elle satisfait donc la curiosité, mais ne crée pas souvent de terreur ou de pitié. L’âme ne ressent pas de tendresse pour un état déchu comme il le fait pour une beauté insultée. L’âme ne s’alarme pas autant des migrations des barbares qui ne sèment que désolation, violence et rapines sur leur passage, que de la fureur d’un mari qui, victime d’apparences trompeuses, poignarde de jalousie son épouse fidèle et affectionnée, qui, à genoux devant lui, le supplie de l’écouter53.
Cette même idée qui place le détail du quotidien au-dessus de la narration de grands faits historiques est reprise dans l’introduction générale de An Account of the Voyages :
Rapportez que dix mille hommes ont péri dans une bataille, que le double de ce nombre a été englouti dans un tremblement de terre, ou qu’une nation toute entière a été balayée par la peste, et ces faits seront lus comme on lit un index : rapidement et sans la moindre émotion dans l’âme des lecteurs que vous verrez s’intéresser fortement à Paméla, cette héroïne imaginaire d’un roman, remarquable pour l’énumération de circonstances si frivoles en elles-mêmes, qu’on se demande comment elles ont pu se présenter à l’esprit de l’auteur54.
C’est donc l’aspect anecdotique et trivial des relations humaines qui constitue le socle du travail d’Hawkesworth sur le texte de Cook. En accord avec les principes énoncés dans The Adventurer et repris dans son introduction générale, Hawkesworth place moins l’accent sur l’importance des découvertes effectuées par l’Endeavour que sur les rencontres entre marins anglais et indigènes du Pacifique55. De nombreux passages du récit de Cook sont ainsi retravaillés afin de convoquer une émotion que le texte d’origine n’avait fait qu’évoquer. C’est le cas par exemple des retrouvailles le 2 mai 1769, de deux chefs tahitiens dont l’un était maintenu prisonnier par les Anglais suite au vol d’un quadrant quelques heures plus tôt. Le compte rendu de Cook est sobre et direct :
La scène entre Tubourai Tamaide et Tootahah, lorsque le premier arriva au fort et y trouva le second prisonnier, fut véritablement émouvante et chacun pleura un moment sur l’épaule de l’autre. Tootahah était si persuadé qu’il allait être exécuté que rien ne put le persuader du contraire jusqu’à ce qu’on le fasse sortir du fort et qu’il retrouve ses gens qui lui manifestèrent leur joie en l’embrassant56 […]
Si Cook ne peut manquer d’attribuer ici une certaine émotion à la scène qui se déroule devant ses yeux, celle-ci reste discrète, à reconstruire par le lecteur, et ne lui est pas imposée. Chez Hawkesworth le même événement obtient un traitement textuel différent, qui fait la part belle aux sentiments :
Sur les huit heures, M. Banks retourna au fort en compagnie de Tubourai Tamaide, où à sa grande surprise, il trouva Tootahah gardé par les soldats ainsi que de nombreux naturels effrayés et tristes, rassemblés devant la porte du camp. M. Banks se hâta d’y entrer et quelques indigènes furent autorisés à le suivre. La scène fut touchante : Tubourai Tamaide courut vers Tootahah et le prit dans ses bras. Ils fondirent tous deux en larmes et inondèrent leurs visages de pleurs, incapables de proférer un seul mot. Les autres Indiens pleuraient pour leur chef. Tous croyaient fermement qu’il allait être exécuté57.
La scène entre les deux chefs est dramatisée et agrémentée de détails qui ne trouvent pas leur source dans le journal de Cook, tels que la course de Tubourai Tumaide vers Tootahah, ou les larmes des villageois qui assistent aux retrouvailles. C’est véritablement à une mise en scène de l’événement à laquelle le lecteur assiste.
11Il faut cependant veiller à ce que les scènes que l’on donne à voir ne soient pas de nature à heurter la sensibilité du public. Hawkesworth corrige donc certains aspects du texte qui ne correspondraient ni à la bienséance de l’époque, ni aux attentes du lecteur. Ainsi, lorsqu’il décrit la sépulture où repose le corps d’un Tahitien tué peu de temps auparavant par les Anglais, il n’y inclut ni les remarques sur l’odeur qui y règne et que contient le texte de Cook58, ni l’état de décomposition avancée dans lequel se trouve le cadavre, que Banks livre sans plus de précaution : « Je soulevai le linceul et vis qu’une partie du corps avait pourri. De partout sur la chair, il y avait en effet une grande quantité d’asticots d’une espèce d’insecte très commune par ici59 ». C’est en effet une toute autre orientation qu’Hawkesworth donne à ce passage :
Je trouvai l’abri où l’on avait placé le corps tout près de la maison qu’il habitait de son vivant. Les autres habitations étaient éloignées de quelques mètres à peine. Cet abri mesurait quinze pieds de long et onze de large, avec une hauteur en proportion. L’un des bouts était entièrement ouvert et l’autre, ainsi que les deux côtés, étaient en partie fermés par un treillage d’osier. La bière sur laquelle on avait déposé le corps était un châssis de bois semblable aux cadres des couchettes de navires. Le fond était de natte et quatre poteaux d’environ cinq pieds de haut soutenaient cette bière. Le corps était enveloppé d’une natte et d’une étoffe blanche. À ses côtés, on avait placé une de ces massues de bois dont ils se servent à la guerre, et près de la tête, qui se trouvait au bout fermé de l’abri, deux coques de noix de coco, de celles dont ils se servent parfois pour transporter l’eau. À l’autre bout du hangar, on avait planté près d’une pierre grosse comme une noix de coco, quelques feuilles vertes et des brindilles sèches, attachées ensemble. Tout près, se trouvait un jeune plantain, dont les Indiens se servent comme emblème de paix, ainsi qu’une hache de pierre60 […]
Concentrée exclusivement sur la description de la sépulture, la version qu’offre Hawkesworth est ainsi épurée de toutes remarques jugées impropres. À l’évocation sans équivoque que fait Joseph Banks du corps en décomposition, Hawkesworth privilégie celle, plus acceptable sans doute, des dimensions de la tombe, des différentes parties qui la composent et des objets qui la décorent.
12Le traitement textuel de ce que Cook appelle « l’étrange scène » offre dans un autre registre un exemple particulièrement intéressant. Le dimanche 14 mai 1769, après un service religieux auxquels quelques Tahitiens assistent, les membres de l’équipage sont les témoins d’une représentation d’un tout autre genre. Voici ce qu’écrit Cook :
Ce jour, nous avons célébré le service religieux dans une des tentes du fort et plusieurs naturels y ont assisté, en se comportant avec beaucoup de décence tout au long de la cérémonie. En fin de journée, une étrange scène se déroula à l’entrée du fort, au cours de laquelle un jeune homme de six pieds coucha en public avec une jeune fille de 10 ou 12 ans, devant plusieurs de nos gens et un nombre considérable de naturels. Si je mentionne cette anecdote, c’est qu’elle me semble tenir plus de la coutume que de la lubricité, car plusieurs femmes, dont Obarea et quelques autres parmi les plus distinguées de l’île, ont assisté à la scène. Elles n’ont pas manifesté la moindre désapprobation et ont même indiqué à la jeune fille comment jouer son rôle, bien que celle-ci, si jeune qu’elle fût, ne semblait pas en avoir besoin61.
Chez Hawkesworth, on peut lire :
Le Dimanche 14, j’ordon nai que le service divin soit célébré au fort. Nous désirions la présence des principaux Indiens, mais lorsque l’heure arriva, la plupart rentrèrent chez eux. M. Banks, cependant, traversa la rivière et ramena Tubourai Tamaide et sa femme Tomio, dans l’espoir que les cérémonies occasionneraient quelques questions de leur part et quelques instructions de la nôtre. Il les fit asseoir et se plaça entre eux. Pendant le service, ils observèrent attentivement son attitude et l’imitèrent très exactement : ils s’assirent, se levèrent, s’agenouillèrent comme lui. Ils avaient conscience que nous étions occupés à quelque chose de sérieux et d’important, comme en témoigne l’ordre qu’ils donnèrent aux Indiens restés à l’extérieur du fort de se taire. Pourtant, à la fin du service, ni l’un ni l’autre ne posèrent de questions ou ne voulurent nous écouter lorsque nous essayâmes de leur expliquer ce qu’il venait de se passer.
C’est ainsi que se déroula la matinée. Les Indiens jugèrent à propos de nous montrer des vêpres d’un genre différent. Un jeune homme de six pieds de haut et une jeune fille de onze ou douze ans sacrifièrent aux rites de Vénus devant plusieurs de nos gens et un grand nombre de Naturels, sans aucune idée d’indécence, mais au contraire, apparemment en complète conformité aux usages du pays. Parmi les spectateurs, il y avait plusieurs femmes d’un rang distingué, tout particulièrement Obarea, qui, à proprement parler, présidait à la cérémonie. Ces femmes donnaient à la jeune fille des instructions sur la manière avec laquelle elle devait tenir son rôle, mais celle-ci, quoi qu’elle fût jeune, ne paraissait pas en avoir besoin62.
On constate tout d’abord un développement considérable du compte rendu du service religieux. Là où Cook se contentait d’une seule et courte phrase, livrant l’essentiel de l’information, Hawkesworth offre un long paragraphe descriptif qui détaille le déroulement de l’office et le comportement général des indigènes à cette occasion. Au-delà de l’importance que pouvait revêtir chez les lecteurs la question de l’attitude des habitants du Pacifique face à la religion chrétienne, la présence détaillée de cette scène permet un rééquilibrage judicieux de cette entrée, et par conséquent une diminution sensible de l’impact de la seconde partie, qui constitue chez Cook l’essentiel de l’information. Dans le texte d’Hawkesworth, cette scène qui, on s’en doute, était de nature à heurter la sensibilité de certains lecteurs, se voit donc atténuée et diluée dans un ensemble plus large au sein duquel elle n’apparait plus comme l’information principale, mais revêt au contraire une dimension presque anecdotique suite à la description détaillée du service religieux. Qui plus est, afin encore de diminuer le potentiel érotique de ce qu’il décrit, Hawkesworth procède à de subtiles modifications. L’homme qui dépassait six pieds de haut chez Cook, ne les atteint pas chez Hawkesworth, et la jeune fille est vieillie d’une année, passant de dix à onze ans. L’acte lui-même, évoqué de manière directe et franche chez Cook (« coucha »), se pare chez Hawkesworth d’une noblesse classique inexistante dans le texte de départ (« sacrifièrent aux rites de Vénus »). Enfin, Hawkesworth insiste sur le fait que cette scène est en parfaite conformité avec les coutumes de l’île, ce que Cook avait lui aussi indiqué, de manière moins assurée cependant.
13Plus problématique semble être le lien explicite qu’Hawkesworth établit entre les deux parties de la journée. Là où Cook n’avait fait que juxtaposer les deux événements, Hawkesworth les relie par l’utilisation d’un même champ lexical, celui du religieux. La représentation tahitienne devient ainsi une cérémonie religieuse d’un genre différent et la scène, à fort potentiel érotique, se voit investie dans le compte rendu qu’en fait Hawkesworth, d’une dimension spirituelle claire. Il peut paraître curieux de prime abord de procéder, d’une part, à une diminution de l’impact possible de la scène sur le public par le biais d’un réagencement du texte et de l’utilisation d’un vocabulaire approprié, et d’autre part, de courir le risque de choquer ce même public en établissant un parallèle entre érotisme et religion. Il faut cependant se souvenir que, ce faisant, Hawkesworth ne fait que reprendre un thème également cher aux penseurs du xviiie siècle, et que Bougainville dans sa description de Tahiti ou Diderot dans son Supplément au Voyage de Bougainville, avaient déjà abordé : celui de Tahiti comme lieu dédié à la religion de l’amour. Hawkesworth ne fait donc ici que s’inscrire dans une tradition déjà en vogue et jusqu’à un certain point séduisante aux yeux d’un public en mal d’exotisme. Il ne s’agit cependant pas de tomber dans une vulgarité de langage qui serait de nature à mettre en péril la dimension édifiante de l’œuvre, car selon les principes énoncés dans The Adventurer, si divertir est permis, ce n’est finalement que pour mieux servir l’instruction du lecteur. Il en est ainsi de l’évocation de cette danse tahitienne plusieurs fois donnée en représentation aux Anglais et que Cook inclut dans sa description de l’île :
Les jeunes filles, si tôt qu’elles sont en groupes de 8 ou 10, dansent la Timorodee, une danse très indécente qu’elles accompagnent de chants et de gestes tout aussi indécents, auxquels elles sont initiées dès le plus jeune âge […] Dès qu’elles atteignent l’âge de la maturité et qu’elles créent des liens avec l’autre sexe, elles sont cependant censées abandonner la pratique de la Timorodee, ce qu’elles font en général63.
Si Hawkesworth garde en substance le compte rendu de Cook, il procède à quelques légers changements lexicaux, préférant par exemple au terme « indécent » de Cook, celui peut-être moins explicite de « impudique », et donne à l’exercice une dimension éducative absente du texte d’origine, la jeune femme cessant de s’adonner à cette danse « dès qu’elle a pu mettre en pratique ces leçons prometteuses et donner corps aux gestes symboliques de cette danse64 ».
14Au-delà de l’enrichissement syntaxique et lexical, et de la mise en avant de la dimension émotionnelle du contact entre Anglais et Indigènes, le texte tout entier devient le fruit d’une élaboration minutieuse dont le but in fine est d’ériger le journal qui lui a été confié, en texte de littérature. Comme le souligne Neil Rennie, Hawkesworth a une approche romanesque de son matériau et « crée des personnages et les met en scène avec soin, fournit à la fois comédie et pathos, ainsi qu’une grandiloquence continue65 ». Par moment, ce sont les références classiques qui pénètrent le récit, à l’instar des parallèles qu’Hawkesworth établit entre femmes Maori et Diane66, entre Tahitiennes et Vénus67, entre musiciens itinérants et bardes de la Grèce antique68, ou encore comme l’indiquent les allusions au Télémaque de Fénelon qu’il avait traduit quelques années plus tôt. Ainsi, après avoir observé une série de combats à mains nues entre indigènes, le narrateur du récit poursuit :
Il est probable que les lecteurs familiers des sports athlétiques de l’antiquité, ne manqueront pas de remarquer une ressemblance grossière entre ces anciens jeux et les luttes auxquelles se livrent les habitants d’une petite île située au milieu de l’océan pacifique. Les Dames peuvent quant à elles, se rappeler la description donnée par Fénelon dans son Télémaque, car, bien que les événements qu’il mentionne sont fictifs, les mœurs de l’époque sont fidèlement copiées d’après des auteurs qui les ont eux-mêmes dûment relatées69.
Sous la plume de John Hawkesworth, le journal de Cook se pare d’une dimension proprement littéraire et se fait l’expression d’un vaste projet : celui de donner au récit de voyage ses lettres de noblesse.
Sources et choix narratifs
15C’est une fois de plus dans son introduction générale que John Hawkesworth fait état de ses choix en matière d’écriture. Il y aborde notamment un aspect qui nous semble primordial à plus d’un titre : le choix de la voix narrative à adopter. Cette question fut, semble-t-il, discutée en haut lieu, puisque Hawkesworth déclare avoir obtenu l’aval de l’Amirauté pour s’exprimer à la première personne du singulier : « Lorsque j’entrepris la rédaction de cet ouvrage, on débattit s’il devait être écrit à la première ou à la troisième personne. On convint rapidement qu’un récit fait à la première personne, en rapprochant davantage le lecteur du narrateur, sans l’intervention d’une tierce personne, provoquerait plus d’intérêt et offrirait un plus grand divertissement70 ».
16En plus d’assurer harmonie et cohérence de ces quatre récits publiés en un seul ouvrage, la rédaction à la première personne apparaît comme le garant de l’intérêt que le texte saura susciter auprès du lecteur, pris lui aussi dans l’aventure de l’exploration du Pacifique71. Mais ce choix narratif offre avant tout la possibilité à John Hawkesworth d’insérer dans le texte un certain nombre de réflexions personnelles qui n’apparaissent nullement dans les manuscrits dont il se sert. Il est clair que la simple retranscription, même réagencée et enrichie lexicalement, des journaux des capitaines, ne saurait présenter grand intérêt. Hawkesworth poursuit ainsi :
En écrivant au nom des différents commandants, je ne pourrais produire qu’une narration sèche, sans y joindre aucune de mes réflexions ou de mes sentiments, si naturels fussent-ils […] Mais comme le manuscrit serait soumis à l’examen des gentilshommes aux noms desquels j’écrivais, et que rien ne serait publié sans leur approbation, il importait peu de savoir qui avait conçu ces idées. J’étais donc parfaitement libre d’exprimer les miennes72.
L’impersonnalité paradoxale de ce « je » qui relate les événements des quatre voyages décrits permet donc à Hawkesworth d’inclure ses propres remarques dans le récit des différents capitaines sans que l’on y voit nécessairement l’intervention d’une tierce personne, étrangère à l’expédition. En dépit des affirmations selon lesquelles ces intrusions narratoriales ne sont pas nombreuses73, force est de constater que le matériel rapporté par les navigateurs donne très souvent à Hawkesworth l’occasion d’exprimer son point de vue. Les commentaires qui suivent l’étrange scène du 14 mai 1769 sont, à ce titre, riches d’enseignements. Après avoir rapidement décrit la représentation, Cook avait senti le besoin de justifier la mention d’une telle scène dans son journal en écrivant que ce qui lui avait été donné à voir relevait selon lui plus de la coutume que de la lubricité, comme en témoignait la présence sur place de nombreuses femmes, dont la reine de l’île. Dans le texte d’Hawkesworth, la même différenciation apparaît, sans que ne s’établisse toutefois de lien direct entre la présence des femmes de la caste supérieure et le caractère traditionnel et coutumier de la cérémonie. Là où Cook avait joint ces deux aspects par la conjonction « car », permettant ainsi d’expliquer le premier par le second, Hawkesworth se contente de les juxtaposer sans plus de justification. Mais au-delà du réagencement du texte de Cook, la mention de la cérémonie est l’occasion pour Hawkesworth de lancer un débat d’une ampleur que sa source ne possède pas :
Nous ne mentionnons pas cet événement comme une simple curiosité, mais parce qu’il mérite d’être pris en compte dans le débat qui agite les philosophes depuis fort longtemps, à savoir : la honte qui accompagne certaines actions considérées par tout le monde comme innocentes en elles-mêmes, est-elle naturelle ou provient-elle de la coutume ? Si elle a pour origine la coutume, il ne sera peut-être pas aisé d’en remonter jusqu’à la source, quelque générale qu’elle fût. Si elle procède d’un instinct naturel, il ne sera pas moins difficile de découvrir comment elle est maitrisée ou même sans aucun effet parmi ces peuples, chez qui on n’en trouve pas la moindre trace74.
Cet aparté philosophique n’est en aucune façon présent dans le journal de Cook. En parfaite adéquation avec le projet annoncé dans son introduction générale, Hawkesworth introduit à plusieurs endroits du texte ses réflexions et spéculations personnelles et, à partir de la mention d’un cas particulier qui a valeur d’exemple, élabore un commentaire plus général sur des sujets aussi divers que la religion catholique75, la mort76, le système d’évacuation des eaux en Espagne77, ou encore la capacité de l’homme à développer certaines compétences selon les circonstances78. Parfois, ces apartés ont une vertu didactique qui vise à l’édification du lecteur. C’est le cas notamment avec l’exemple du comportement à adopter face aux indigènes du Pacifique lorsqu’un vol est commis. Sur ce dernier point, Cook écrit :
Je ne pouvais souffrir qu’on leur tire dessus. Cela serait revenu à donner aux sentinelles le pouvoir de faire usage de leur arme à la moindre occasion, comme j’ai pu en faire l’expérience précédemment. De plus, je suis fermement opposé à l’idée de tirer à blanc sur des gens qui ne font pas la différence avec les tirs à balles réelles. Ils apprendraient vite à mépriser nos armes à feu et penseraient que leurs propres armes leur sont supérieures. Si tel était le cas, il est certain qu’ils nous attaqueraient et l’issue d’un tel événement ne leur serait pas plus favorable qu’à nous79.
Les deux arguments de Cook, ne pas accorder aux gardes un pouvoir de vie ou de mort sur les indigènes et ne pas réduire la force de dissuasion que représentent les armes à feu, sont repris par Hawkesworth, qui y ajoute un troisième paramètre et en change considérablement la portée en l’investissant d’une dimension humaniste nouvelle :
Je ne croyais pas non plus que les vols que commettaient les Tahitiens à notre encontre fussent des crimes qui méritaient la mort. Je ne voyais pas de raison à ce que l’on fusille des voleurs à Tahiti, sous prétexte qu’on les pend en Angleterre. C’eût été les exécuter en vertu d’une loi faite après coup. Ils n’avaient parmi eux de loi semblable et il ne me semblait pas que nous ayons le droit de la leur imposer80.
Le journal de Cook n’est pas l’unique base à partir de laquelle Hawkesworth compose son texte. Une autre source est en effet longuement utilisée : le journal de Joseph Banks.
17Dans son introduction générale, Hawkesworth y fait une courte allusion81, mais lui consacre la quasi-totalité de l’introduction spécifique au récit du voyage de Cook, qui se présente dès lors comme un hommage appuyé au naturaliste Banks, dans le journal duquel il déclare puiser l’essentiel de ses descriptions et remarques. Banks y est présenté tout d’abord comme un gentilhomme fortuné et érudit, dont le désir d’apprendre moins des livres que de la nature, l’a poussé à prendre part à l’expédition dans les Mers du Sud et à en rapporter un journal qu’il a mis à disposition de l’auteur. Hawkesworth n’est pas en peine de remerciements et de compliments envers un homme pour lequel il exprime la plus haute considération :
J’acceptai cette offre avec joie et reconnaissance. Je savais que j’en tirerais de grands avantages, car peu de philosophes ont écrit des relations de voyages entrepris dans le but de découvrir de nouvelles contrées. Les aventuriers, dans de telles expéditions, se sont en général contentés d’examiner les grands traits de la nature, sans s’attarder sur la diversité des ombres qui donnent de la vie et de la beauté au tableau82.
Avec le journal de Banks les conditions semblent donc remplies pour voir le genre viatique élevé au rang de littérature noble que John Hawkesworth appelait de ses vœux dès les premiers numéros de The Adventurer. En comparaison, le journal de Cook apparaît bien peu utile en dehors des aspects techniques de la progression du navire tout au long de l’expédition :
Les papiers du capitaine Cook contenaient un compte rendu détaillé de tous les incidents nautiques du voyage, ainsi qu’une description précise de l’aspect et de l’étendue des pays qu’il avait visités, du gisement des caps et des baies qui font la diversité des côtes, de la situation des ports où les navires peuvent se procurer des rafraîchissements, de la profondeur d’eau mesurée par les sondes, les latitudes, les longitudes, les variations de l’aiguille et tous les autres détails relatifs à la navigation qui l’ont présentés comme un excellent officier et comme un navigateur compétent. Mais j’ai trouvé dans les papiers de M. Banks, une grande diversité d’observations qui avaient échappé au capitaine Cook, telles que la description des contrées, de leur production, mais aussi des mœurs, des coutumes, de la religion, de la police et du langage des peuples qui y vivent, bien plus développées que dans les papiers d’un officier de marine, naturellement tourné vers d’autres objets. C’est à M. Banks donc, que le public est redevable de tous ces détails83.
Les deux qualificatifs « excellent » et « habile » ne sauraient faire disparaître l’idée que c’est avant tout le journal de Banks qui intéresse Hawkesworth et qui est la source principale de son récit. Si la trame chronologique générale ainsi que les détails de la progression de l’expédition sont fournis par le journal de Cook, l’esprit du récit à proprement parler provient du texte de Banks, au travers notamment des nombreuses descriptions qu’il contient de la nature humaine et des anecdotes qu’il transcrit et qui permettent donc d’enrichir considérablement les simples données factuelles du journal de Cook. C’est donc avec un certain lyrisme que Hawkesworth conclut son introduction en rendant une fois de plus hommage à Joseph Banks :
Il est véritablement heureux pour le genre humain qu’une même personne réunisse richesse et savoir, ainsi qu’un fort penchant à employer l’une et l’autre au service du public, et je ne puis que féliciter mon pays pour les plaisirs et les avantages futurs que lui procurera M. Banks à qui nous devons une partie si considérable de ce récit84.
C’est ainsi, selon les aveux mêmes de John Hawkesworth, principalement à partir du journal de Joseph Banks que le texte de An Account of a Voyage round the World est bâti. De ce constat, découlent plusieurs remarques :
18Tout d’abord, les accusations lancées contre Hawkesworth par la critique qui lui reproche d’avoir trahi le texte de Cook ne sauraient résister longtemps à la prise en compte des remarques faites en introduction de l’ouvrage. Le texte de Cook, on l’a vu, y apparaît moins comme la source qu’Hawkesworth utilise que comme le squelette d’un récit dont le contenu descriptif et narratif est fourni en grande partie par le journal de Banks. Hawkesworth s’attache moins à respecter le texte de Cook (finalement peu utile à ses yeux), qu’à suivre le récit de Banks dans lequel il trouve matière à ses spéculations et insertions diverses. On objectera avec raison que John Hawkesworth s’exprime au nom de Cook et qu’il lui fait tenir des propos que ce dernier n’a jamais tenus, mais le caractère officiel du récit, commande de l’Amirauté, rendait incontournable la présence de Cook comme narrateur de son propre récit de voyage. Hawkesworth ne pouvait écrire en son nom, ni utiliser le nom de Joseph Banks. Il aurait pu enfin s’en tenir au journal de Cook, sans adjonctions quelconques, mais ici aussi, la crainte de ne pouvoir produire qu’une « narration sèche » à partir des simples journaux de bord des capitaines, justifia aux yeux de John Hawkesworth l’utilisation d’autres sources, plus à même d’enrichir le texte. La seconde remarque concerne la manière dont la prédominance du journal de Banks dans le récit de John Hawkesworth informe en quelque sorte le contenu de ce dernier. En effet, Joseph Banks est un gentilhomme « propriétaire d’un bien considérable dans le Comté de Lincoln85 », qu’il ne faut pas présenter sous un jour défavorable, ni dans ses propos, ni dans ses actions, auprès d’un lectorat avide de détails et d’anecdotes sur la vie quotidienne à bord de l’Endeavour ou sur les plages tahitiennes et néo-zélandaises. C’est ainsi que la mise en regard des textes de Banks et d’Hawkesworth fait apparaître un certain nombre d’omissions ou de transformations du texte de départ. Les mots condescendants de Banks à l’égard de Tupia, qu’il décide de ramener en Angleterre, et de garder chez lui, « comme un objet de curiosité, de la même manière que certains de mes amis ont des lions ou des tigres, qui leur coûtent plus cher qu’il ne me coutera jamais », sont absents de la version publiée86. De la même manière, les propos sans ambiguïté que prononce Banks à l’égard de la ville de Rio réputée « pour l’absence de chasteté de ses femmes87 », sont nettement atténués par Hawkesworth, qui étend cette caractéristique à toutes les colonies espagnoles et portugaises du continent sud-américain et la reformule de manière moins directe : « Il est universellement reconnu, je pense, que les femmes des colonies espagnoles et portugaises accordent leurs faveurs plus facilement que celles de tous les autres pays civilisés de la terre88 ».
19Le comportement du naturaliste lui-même est sujet à une recomposition éditoriale dont le but est d’éviter de livrer au lectorat certains détails compromettants sur un représentant de la gentry, fiancé de surcroît à la jeune Harriet Blossett qu’il a promis d’épouser à son retour en Angleterre89. Dans ce domaine, ce sont donc les relations qu’entretient Banks avec la gent féminine qui sont particulièrement visées. À la date du 12 mai 1769, Cook décrit une cérémonie d’accueil au cours de laquelle une jeune Tahitienne se déshabille devant Joseph Banks, dans un cérémonial travaillé où il reçoit des offrandes et où elle lui présente ses vêtements et l’embrasse90. Cook ne fait que décrire la scène, suffisamment inédite et surprenante pour être mentionnée dans son journal, mais ne mentionne pas la réaction de Banks. Ce dernier est beaucoup plus explicite dans son journal, et confie notamment que la jeune Tahitienne n’a pas manqué d’attirer son attention :
La plus distinguée de ces femmes et sans doute l’une des principales, monta alors sur le tapis et ne tarda pas à dévoiler ses charmes que je pus admirer lorsqu’elle tourna lentement sur elle-même. Trois autres pièces furent ajoutées et elle répéta la même cérémonie. Trois nouvelles pièces furent placées sur les précédentes […] et à nouveau elle exhiba sa beauté nue, et immédiatement elle marcha en ma direction. Un homme la suivit et plia les étoffes derrière elle. Elle me fit comprendre qu’il s’agissait d’un présent qu’elle me faisait91.
Cet épisode qui, par son caractère exotique et inédit, ne pouvait pas disparaître de la version officielle du récit, est retravaillé par John Hawkesworth qui en diminue considérablement la charge potentiellement érotique :
Une de ces femmes appelée Ourattoua, la plus distinguée et sans doute l’une des principales, monta sur le tapis, et relevant ses vêtements jusqu’à la taille, tourna trois fois sur elle-même, avec beaucoup de calme et de sérieux, ainsi qu’un air de parfaite innocence et de simplicité. Puis, elle laissa retomber ses vêtements et descendit du tapis. Trois nouvelles pièces de tissu furent étendues et elle répéta la cérémonie que nous avons décrite. Trois pièces furent à nouveau placées sur les précédentes et la cérémonie fut répétée pour la troisième fois de la même manière. Les étoffes furent immédiatement repliées et offertes à M. Banks, comme un présent de la part de cette femme qui s’avança alors vers lui pour le saluer, accompagnée d’une amie92.
Chez Hawkesworth, les termes « charmes » et « beauté nue », que Banks avait utilisés, disparaissent du récit et sont remplacés par ceux moins encombrants d’« innocence » et de « simplicité ». De la même manière, là où Cook avait employé le terme « embrasser » pour clôturer la cérémonie, Hawkesworth préfère celui, plus noble, de « saluer ». Dans la version composée par Hawkesworth, la scène est investie d’une dimension cérémoniale plus marquée que dans les journaux de Cook et de Banks. Le texte d’Hawkesworth concentre son attention sur la jeune fille et sur la cérémonie, mais passe sous silence les réactions de Banks à ce qui lui est donné de voir. C’est dans cette même perspective qu’il faut analyser la fin de la scène. Banks écrit sans ambages : « Je la pris par la main et la conduisis dans la tente, accompagnée de l’une de ses amies. Je leur fis des présents à toutes les deux, mais ne pus les convaincre de rester plus d’une heure93 ». Le lourd implicite qui sous-tend ces paroles est absent de la version édulcorée qu’en offre Hawkesworth : « M. Banks leur fit à toutes deux les présents qu’il jugea les plus acceptables. Elles restèrent environ une heure puis s’en allèrent94 ». De la même manière, lorsque la reine Purea arrive sur les lieux de la scène quelques instants plus tard, elle est appelée « ma flamme » par Banks, mais devient simplement « une fille agréable » chez Hawkesworth95. Le jeune Joseph Banks, fort apprécié de la gent féminine tahitienne, voit ainsi sa réputation préservée de toute allusion compromettante. Cependant, comme nous l’avons déjà souligné, les efforts d’Hawkesworth en la matière ne suffirent pas, et les satiristes n’eurent aucun mal à lire entre les lignes du récit pour fonder leurs pamphlets et leurs odes sur les aventures amoureuses de Banks dans le Pacifique, notamment avec la reine Purea.
Nature du texte et du narrateur
Un texte composite
20Il ressort des remarques précédentes, que An Account of a Voyage round the World est un texte composite qui mêle les descriptions factuelles de Cook aux images et métaphores de Banks, ainsi qu’aux remarques plus morales ou philosophiques d’Hawkesworth, sans que l’on sache toujours avec certitude quelle voix s’exprime à tel ou tel endroit. Cet aspect est tout particulièrement marquant lorsque l’on considère la question du primitivisme. Nous avons vu précédemment que Cook, tout en n’adhérant pas de manière spécifique au mode de vie des indigènes du Pacifique, savait parfois souligner les mérites de leur condition. Sa position, fondée sur une observation in situ, oscille en permanence entre admiration et rejet, entre image positive et image négative des différents peuples qu’il rencontre. Chez Joseph Banks, la même analyse prévaut globalement. Qu’en est-il du texte de John Hawkesworth ? Le cas des habitants de la Terre de Feu et des Aborigènes australiens nous offre un premier aperçu du travail de composition qu’il effectue.
21Pour Cook et Banks, les habitants de la Terre de Feu ne sont que de misérables créatures privées de toutes commodités et de tout confort, qui ne font preuve d’aucune curiosité envers les Anglais et leur navire et ne montrent d’intérêt que pour la verroterie qui leur est offerte. Selon Cook, ils sont « peut-être les gens les plus misérables que l’on puisse trouver de nos jours sur cette terre96 ». La situation des Aborigènes australiens, si on laisse de côté les conditions climatiques dans lesquelles ils vivent, n’est quant à elle guère plus enviable au premier abord. Cependant, Cook signale qu’en dépit de la rudesse de leur condition de vie et du dénuement presque complet qui les caractérise, ceux-ci sont bien plus heureux que les Européens. Ayant appris à se contenter de ce que la nature avait à leur offrir, ils ne s’encombrent pas des commodités superflues et ne souffrent pas non plus des inégalités de condition qui caractérisent les sociétés européennes97. Avec Hawkesworth, il ne saurait être question d’un tel paragraphe. Celui-ci disparaît donc du texte, mais la question de la condition de vie des indigènes demeure et est transférée aux Indiens de la Terre de Feu :
Nous n’avons pas pu mesurer les souffrances qu’ils endurent pendant la rigueur de l’hiver, mais il est certain qu’ils ne sont affectés en rien de la privation des innombrables commodités que nous considérons, non pas comme du luxe, mais comme des choses de première nécessité. Comme ils ont peu de désir, il est probable qu’ils les satisfont tous. Il n’est pas facile de déterminer ce qu’ils gagnent à être exempts des soins, du travail et de l’inquiétude qui naissent des efforts vains et continus que nous fournissons pour satisfaire cette infinie diversité de désirs que crée en nous la délicatesse d’une vie artificielle. Mais peut-être que cela compense tous les inconvénients de leur situation par rapport à la nôtre et rééquilibre le partage du Bien et du Mal au sein de l’humanité98.
Ce passage, inspiré une fois de plus d’un passage similaire chez Joseph Banks99, peut à première vue être assimilé à une concession au primitivisme de l’époque. Mais si John Hawkesworth prend effectivement appui sur le texte de Banks, il ne peut s’empêcher d’en tempérer le propos, et de freiner l’ardeur d’un homme bien plus acquis au bonheur qui découle de la condition des Aborigènes de la Nouvelle-Hollande que ne l’est Hawkesworth. Chez ce dernier, c’est le doute qui l’emporte, et la concession qu’il semble faire à la position de Joseph Banks, n’apparait en définitive que comme une manière subtile de se situer par rapport à la question du primitivisme sans toutefois heurter de front la source principale dont son texte ne cesse de s’inspirer. Hawkesworth ne saurait donc être rangé du côté des tenants d’un quelconque primitivisme. Le tableau qu’il peint des sociétés plus accueillantes que sont Tahiti ou la Nouvelle-Zélande vient appuyer ce constat. Si, à cette occasion, il adopte un ton plus favorable que celui qu’il emploie avec les habitants de la Terre de Feu ou de la Nouvelle-Hollande, il n’envie pas leur mode de vie pour autant. Le fort accent mis sur le cannibalisme des Maoris empêche par exemple de considérer ces derniers comme des êtres civilisés à part entière, même si Hawkesworth est forcé d’admettre qu’ils possèdent un certain degré de civilisation dans leurs arts et manufactures. Quant aux Tahitiens, leurs conditions de vie, si enviables aux yeux de certains, ne sauraient tenir la comparaison avec celles du monde dit civilisé, car comme l’écrit Hawkesworth : « Cependant, si l’on admet qu’ils sont globalement plus heureux que nous, il faut admettre que l’enfant est plus heureux que l’homme, et qu’en perfectionnant notre nature, en augmentant nos connaissances et en élargissant nos vues, nous perdons en félicité100 ».
22Ainsi, les Tahitiens ne sont aux yeux d’Hawkesworth que des enfants que le style de vie insouciant qu’ils mènent ne saurait placer au même niveau que leurs aînés européens. Le parallèle entre Tahitiens et enfants est d’ailleurs clairement établi lorsque sont évoquées les larmes que les premiers versent en apprenant que Henry Jeffs, le boucher de l’Endeavour, doit être puni pour leur avoir volé une hachette en pierre et les avoir menacés de représailles s’ils s’en plaignaient auprès des officiers du navire :
Les Indiens regardèrent avec attention, pendant qu’on déshabillait le coupable et qu’on l’attachait aux agrès. Ils attendaient dans un suspens silencieux que la sentence soit exécutée, mais dès le premier coup, ils intercédèrent avec beaucoup d’agitation et nous supplièrent d’abandonner le reste du châtiment. J’avais de nombreuses raisons de ne pas y consentir et lorsqu’ils virent que leur intervention était vaine, ils fondirent en larmes. Comme les enfants, c’est toujours par des pleurs qu’ils expriment les passions qui les agitent, et comme les enfants, ces mêmes pleurs sont oubliés dès qu’ils sont versés101.
Banks, qui relate cet incident, mentionne lui aussi les larmes des Tahitiens : « dès que le premier coup fut donné, ils se mirent à pleurer et nous supplièrent de faire cesser le châtiment, ce que le capitaine refusa de faire102 », mais ne les compare nullement à des larmes d’enfants. De manière subtile, Hawkesworth donne donc à l’événement une coloration différente qui lui permet de prendre position sur la question du Bon Sauvage dans les sociétés du Pacifique, qui ne saurait trouver bon accueil chez l’auteur de An Account of a Voyage round the World. Le lyrisme dont font preuve parfois Cook et Banks au sujet de l’île de Tahiti, présentée comme lieu idyllique, préservé de la Chute, disparaît de la relation publiée, et lorsque Hawkesworth semble admiratif de la société qu’il décrit, son discours est toujours modéré par rapport à ce que Banks ou Cook peuvent écrire dans leurs journaux respectifs sur le même sujet. À l’opposé, la majorité des points négatifs relevés par les deux voyageurs se retrouvent dans le texte d’Hawkesworth, agrémentés des généralisations et des commentaires de l’auteur. Qu’il s’agisse de l’odeur capiteuse du monoï, du nombre important de moucherons sur l’île, des poux que les Tahitiens de basse extraction mangent sur la tête même de leurs compagnes et compagnons, ou de questions plus problématiques comme les sacrifices humains et les pratiques infanticides de la secte Arioi, aucun des défauts de la société tahitienne n’est oublié, ni regardé avec complaisance ou compréhension par Hawkesworth. Les mœurs en vigueur dans l’île sont ainsi l’objet d’une condamnation sans équivoque : « La licence des mœurs atteint un seuil que l’on n’a jamais observé chez les autres nations depuis le commencement du monde jusqu’à ce jour, et qu’il est impossible de concevoir103 ».
23Au premier rang des aspects négatifs mis en avant se trouve le problème, maintes fois souligné dans les journaux de Cook et de Banks, du nombre considérable de vols que les Tahitiens commettent à la moindre occasion. Mais alors que Banks présente cette caractéristique comme quasiment coutumière dans l’île104, la condamnation se fait plus globale et sentencieuse chez Hawkesworth pour qui : « […] les gens de ce pays sont les voleurs les plus déterminés de la terre105 ». À certains moments, le ton se fait franchement condescendant et moqueur. C’est en ces termes par exemple, que Hawkesworth tente d’expliquer un larcin commis par Tubourai Tamaide : « Il fut par la suite exposé à des tentations auxquelles sa probité et son honneur ne purent résister. Il avait été capable d’écarter de nombreux pièges, mais finit par succomber aux charmes fascinants d’un panier de clous106 ». Un peu plus tard, ces mêmes clous deviennent « l’inestimable métal » auquel les Tahitiens ne peuvent résister107. Au fond, l’indigène ne saurait se contrôler plus que ne le ferait un simple serviteur européen devant un tel trésor : « Un Indien au milieu de quelques couteaux bon marché, de rassade ou même de clous et de morceaux de verre brisé, est devant la même épreuve que le dernier de nos valets face à des coffres ouverts, remplis d’or et de bijoux108 ».
24Dès lors, il ne faudrait pas condamner avec trop d’ardeur cette caractéristique de la population tahitienne, et aborder la question des vols comme on le ferait en Europe, car comme l’écrit Hawkesworth, les principes moraux qui dictent les comportements des hommes ne sauraient être absolus : « Il nous faut en effet juger la vertu de ces gens par la seule règle de la morale : la conformité de leur conduite à ce qu’ils croient être juste. Mais nous ne devons pas conclure hâtivement, à la suite des exemples où nos gens ont été victimes de leur malhonnêteté, que le vol suppose chez eux la même dépravité que chez nous109 ».
25Cet exemple de relativisme moral, somme toute peu fréquent dans le texte de An Account of a Voyage round the World, a pour effet de donner une image des Tahitiens moins négative que ce qu’il semblerait de prime abord. Le texte d’Hawkesworth n’est donc pas exempt de contradictions et s’il est clair que l’on ne saurait ranger son auteur du côté des défenseurs du Bon Sauvage, force est de constater qu’il offre parfois une vision positive de la société qu’il dépeint. C’est le cas de l’admiration qu’il montre envers la distinction toute naturelle entre bien et mal dont font preuve les Tahitiens110, ou encore de la religion tahitienne, sorte de Déisme aux yeux d’Hawkesworth, qui permet aux fidèles de percevoir « L’humble sentiment de leur propre infériorité et l’excellence ineffable des perfections divines111 ». Comment peuvent s’expliquer ces contradictions ?
26Il faut tout d’abord prendre en considération le peu de temps dont Hawkesworth bénéficie pour mener à bien son projet. Les quelques mois seulement qui lui sont donnés pour préparer le journal avant que Cook ne reparte en expédition, permettent d’expliquer en partie certaines des incohérences d’un narrateur qui condamne d’un côté et se montre admiratif de l’autre. La volonté d’harmoniser les écrits de Banks et de Cook, qu’il faut également accorder à ses propres remarques et réflexions n’est donc pas toujours suivie d’effet. Puis, et de manière sans doute plus marquante, il faut garder à l’esprit le peu de latitude dont dispose l’auteur face à ses sources, et notamment le journal de Banks. L’obligation qui s’imposait de ne pas froisser le gentilhomme voyageur qui avait mis son journal à l’entière disposition de John Hawkesworth obligeait ce dernier à abonder quelque peu dans son sens, même si cela ne correspondait pas toujours à ses propres analyses. Et même si l’enthousiasme de Banks est généralement tempéré, l’esprit premier de la source demeure souvent, et confère au texte certaines orientations que le travail de réécriture ne parvient pas à faire totalement disparaître. Ainsi, le parallèle qu’Hawkesworth établie entre Tahiti et l’Arcadie est déjà présent chez Banks, tout comme la conclusion que tire Hawkesworth sur le système de gouvernement tahitien, qui n’a rien à envier à ceux que l’on trouve ailleurs dans le monde112. De la même manière, lorsque Hawkesworth mentionne l’attitude avec laquelle une jeune fille noble de Raiatea reçoit l’offrande que lui font les Anglais113, il ne fait que reformuler, de manière moins emphatique, ce que Banks avait écrit à ce sujet : « S’il s’était agi d’une princesse anglaise de sang royal tendant sa main à baiser, rien n’aurait pu lui indiquer comment faire ce geste avec plus de grâce114 ».
27S’il y a peu de jugements dans l’œuvre qui ne soient inspirés de Banks ou de Cook, il demeure que la combinaison de ces écrits aux réflexions personnelles de Hawkesworth produit un texte nouveau qui ne saurait s’identifier pleinement à aucune de ses sources et qui nous amène à requalifier le travail que fait Hawkesworth à partir de celles-ci. La mise en regard du texte de Hawkesworth et de ses sources laisse rapidement apparaître que An Account of a Voyage round the World est plus une œuvre à part entière qu’une simple édition, même remaniée, des journaux de Banks et de Cook. Hormis les contraintes liées à l’utilisation du journal de Banks et celles, imposées par l’Amirauté, d’inclure dans son texte un certain nombre de données techniques, Hawkesworth ne reçut finalement d’autres instructions que celle « d’écrire » le voyage, pour reprendre l’expression de Lord Sandwich, ou, en d’autres termes, de simplifier, clarifier, commenter, digresser, ou enrichir à volonté les journaux qu’il avait à disposition pour produire finalement une œuvre complexe qui résiste à toute analyse univoque. Plus qu’une simple édition des journaux, l’œuvre est, comme l’écrit John Lawrence Abbott, « une version établie à partir de ces journaux », et Hawkesworth, n’est pas « le simple compilateur d’un des plus célèbres ouvrages de l’époque, mais à proprement parler son auteur115 ». Plus que de préparer les journaux des voyageurs pour le public, Hawkesworth s’en sert comme d’un tremplin à partir duquel sa prose s’élance et prend toute sa force, consciente des différentes facettes du genre dans lequel elle s’inscrit, ainsi que de l’attente d’un lectorat dont il faut contenter le désir d’exotisme sans heurter la sensibilité, tout en donnant au récit ses lettres de noblesse littéraire, en vertu des principes qu’il avait énoncés quelque vingt années auparavant dans The Adventurer. Le travail fourni par Hawkesworth à partir de ses sources oblige donc, dans une certaine mesure, à proscrire le qualificatif d’éditeur au profit de celui d’auteur, sans doute plus à même de rendre compte de l’élaboration littéraire qui caractérise son ouvrage116.
28Ce constat nous amène à nous interroger sur le statut du personnage de Cook au centre de ce récit, ainsi que sur la qualité de ce « je » narrateur, utilisé par l’auteur pour évoquer à la fois les journaux de Cook et de Banks, et, si l’on garde à l’esprit que An Account of a Voyage round the World n’est qu’une partie de l’œuvre qu’Hawkesworth publie à l’été 1773, ceux de Byron, Wallis et Carteret.
« Un monstre à trois têtes117 », un narrateur aux multiples facettes
29Dans le quatrième numéro de The Adventurer, Hawkesworth s’était plaint du manque de qualités littéraires du récit de voyage, dont il fallait placer en grande partie l’origine dans le statut même du voyageur-narrateur, car, écrivait-il, « celui-ci n’est pas suffisamment important. On ne lui découvre rarement d’autres qualités qu’une curiosité hardie. Il n’est que rarement l’objet d’estime, jamais d’admitation118 ». Avec An Account of a Voyage round the World, il a pour projet d’y remédier, et de donner à ce personnage du voyageur toute l’importance que requiert le genre littéraire auquel il appartient. Le commandant de l’expédition devient tout d’abord sous la plume d’Hawkesworth un homme lettré et cultivé, capable, comme nous l’avons déjà souligné, de disserter sur un grand nombre de sujets comme les superstitions inhérentes à certaines religions par exemple119, ou de comparer les rites funéraires tahitiens à ceux évoqués par des auteurs de l’antiquité comme Claude Aelien et Apollonios de Rhodes120, d’analyser les règles de l’art dramatique de l’île de Raiatea121, ou encore de constater qu’à Tahiti, « Tout comme en Chine, leur langage religieux est différent du langage ordinaire122 ». Mais le Cook personnage-narrateur du récit d’Hawkesworth est également un botaniste avéré, capable de descriptions très précises et de comparaisons des espèces animales et végétales qu’il découvre et dont il peut donner l’appellation latine sans la moindre hésitation. On reconnaîtra sans peine ici l’influence de Joseph Banks et de Carl Solander, dont Cook s’était déjà inspiré pour la rédaction de certaines des parties de son journal, sans toutefois dépasser les limites que lui autorisait son statut d’officier de la Royal Navy peu versé dans le domaine naturaliste. Hawkesworth s’affranchit lui de ces contraintes et offre aux lecteurs un commandant d’expédition autant maître des techniques de navigation que spécialiste de la faune et de la flore du Pacifique. Parallèlement, un certain nombre d’éléments jugés peu favorables à l’image noble du capitaine de navire qu’Hawkesworth bâtit sont éliminés du texte. C’est le cas notamment de l’affaire Orton que nous avons mentionnée plus haut, et qui, parce qu’elle présente l’image d’un commandant d’expédition dont l’autorité est défiée à travers l’acte de violence commis contre son secrétaire particulier, ne saurait trouver sa place dans un récit tel que celui-ci. Plus généralement, c’est le comportement de l’officier face à ses hommes et aux indigènes qu’il rencontre qui est mis en avant. Hawkesworth brosse le portrait d’un commandant ferme et sûr de lui certes, mais qui s’avère être également un homme magnanime, bon et juste, avec son équipage comme avec les habitants des îles qu’il visite, un homme dont les actes sont toujours justifiés et par conséquent, au-dessus de la censure, et qui n’hésite pas à punir ses propres marins lorsque ceux-ci sont coupables d’exactions à l’encontre des indigènes. C’est un homme à part en d’autres termes, dont la noblesse le détache de ses compagnons de voyage, tout particulièrement des hommes du bord. Le 15 avril 1769 par exemple, un indigène est abattu par des gardes après avoir dérobé une arme. L’incident, rapporté par Cook et Banks123, est également présent chez Hawkesworth, mais alors que Cook ne montre dans son journal aucune émotion particulière face à ce qu’il considère comme une regrettable mais juste rétribution (un vol a été commis, le voleur est puni), l’épisode prend une autre coloration dans la relation publiée. Hawkesworth revient notamment sur les raisons qui poussent l’officier en charge des sentinelles à donner l’ordre de tirer :
Il semblerait qu’un des Indiens qui était resté près des tentes après que nous en fûmes sortis, saisit l’opportunité de surprendre la sentinelle et lui déroba son mousquet. L’aspirant qui commandait le détachement, soit par la crainte de nouvelles violences, soit par le désir naturel d’exercer une autorité à laquelle il n’était point habitué, soit enfin par sa nature brutale, ordonna aux soldats de Marine de faire feu. Ceux-ci, ayant aussi peu de considération et d’humanité que leur officier, tirèrent au milieu de la foule qui s’enfuyait et qui s’élevait à plus de cent personnes. Constatant qu’ils n’avaient pas tué le voleur, ils le poursuivirent et l’abattirent d’un coup de fusil. Nous apprîmes par la suite qu’aucune autre personne n’avait été blessée ou tuée124.
Il ne saurait s’agir ici de justifier de quelque manière que ce soit le comportement des membres de l’expédition impliqués dans cette affaire. La nature même des mots employés place Cook dans une position critique à l’encontre de l’officier et de ses hommes, qui ont peut-être agi ainsi du simple fait de leur nature brutale et qui s’acharnent sur le voleur après que l’ensemble des Tahitiens a fui la scène de l’incident. Si dans le cas présent, les exactions des membres de l’équipage sont dénoncées, ce n’est que pour mettre en valeur, par effet de contraste, l’attitude du capitaine de l’expédition, qui regrette la tournure que prennent les événements et ne manque pas d’exprimer son mécontentement.
30Pour autant, la condamnation ne s’étend pas jusqu’à remettre en question la nature même de l’intervention anglaise. L’épisode tout entier et son incidence sur les relations anglo-tahitiennes sont en même temps largement atténués par la réécriture qu’en offre Hawkesworth. Ainsi, alors que Banks déclare ne pas savoir si les coups de feu ont fait d’autres victimes, Hawkesworth assure, lui, sans aucune autorité textuelle, qu’il n’y en a eu qu’une seule125. De la même manière, profitant d’une allusion de Cook au fait que les Tahitiens préparaient peut-être un assaut du fort anglais, Hawkesworth introduit l’idée que le geste de l’officier des Marines est un acte de défense préventive126. La fin de l’épisode voit enfin chez Hawkesworth un Cook plus attristé par ce qui s’est passé que ne semblent l’être les Tahitiens, ce qui n’apparait ni dans le journal de Cook, ni dans celui de Banks. Le premier évoque simplement l’apparente satisfaction des Tahitiens lorsque les explications de la mort de l’un d’entre eux leur sont fournies, avec l’assurance que l’amitié et le commerce entre les deux parties seraient préservés127. Le second ne souligne que la déception de n’avoir pu gérer au mieux cet incident : « Nous nous retirâmes dans le bateau, mécontents de l’expédition de la journée, coupables dans une certaine mesure de la mort d’un homme que les lois d’équité les plus sévères n’auraient pas condamné à un tel châtiment128 ».
31Dans une certaine mesure, la noblesse du personnage reflète la noblesse de la mission. Comme nous l’avons déjà indiqué, il ne saurait être question chez Hawkesworth de remettre en question la présence et le comportement des Anglais dans le Pacifique. S’il est prompt à reconnaître, par la voix de son personnage-narrateur, certaines erreurs et certains comportements condamnables, ce n’est jamais pour questionner le fond d’une telle entreprise. Dès lors, les hésitations que contiennent parfois les journaux de Cook et de Banks sur cette question sont irrémédiablement éliminées de la version publiée, tout comme la note amère par laquelle Cook conclut son compte rendu de la désertion de deux marins en juillet 1769. Ayant à cette occasion retenu prisonniers plusieurs chefs qu’il soupçonnait d’avoir joué un rôle dans l’affaire, Cook, forcé d’admettre son erreur, écrit : « C’est ainsi, qu’à notre départ, ces gens garderont un sentiment écœuré de notre comportement envers eux, fruit de la folie de deux de nos hommes129 ». Chez Hawkesworth aucune réflexion de ce type n’apparait. L’accent est mis au contraire sur la nécessité qui s’est imposée de retenir les chefs prisonniers, seule solution efficace pour retrouver les déserteurs130, ainsi que sur la joie des Tahitiens lorsqu’ils sont libérés : « À cette occasion, ainsi qu’ils l’avaient fait précédemment, ils exprimèrent leur joie par une libéralité que nous ne méritions guère et nous pressèrent fortement d’accepter quatre cochons131 ». La justification de la méthode utilisée par Cook lors de cet épisode prend dans le texte de Hawkesworth une dimension nouvelle que l’on voit se répéter à plusieurs reprises : celle de la tragédie inévitable du contact entre civilisations anglaise et indigène, qui ne peut faire l’économie d’une certaine violence et donc, d’un certain nombre de victimes, qui bien que regrettables, n’en constituent pas moins un mal nécessaire à l’établissement du commerce et à l’avancée de la civilisation. Comme l’écrit John Hawkesworth dès l’introduction générale de son ouvrage :
De manière générale, il semble donc raisonnable de conclure que les progrès des sciences et du commerce sont en dernière analyse un avantage pour tous les hommes, et que les vies qui sont parfois perdues sont à mettre au nombre de ces maux particuliers qui concourent au bien général132.
Si victimes il y a, ce n’est donc qu’au nom du progrès et si la civilisation se montre parfois corrompue, elle demeure le modèle à suivre et à imposer. Le bien commun qui en découlera vaut bien les quelques inévitables désagréments de la confrontation entre deux civilisations jusque-là séparées par l’océan. C’est donc en vertu de cette vision de la rencontre entre Anglais et indigènes que John Hawkesworth oriente son texte et qu’il construit un personnage-narrateur qui, comme l’écrit W.H. Pearson, se présente comme un officier « pleinement serein et confiant dans sa supériorité militaire et technologique sur les “Indiens” qu’il rencontre […] compréhensif, imperturbable et inflexible, magnanime dans la victoire [et qui] ne cherche qu’à établir des liens de commerce et d’amitié, fut-ce par la force133 ». C’est bien cette image de Cook que l’on découvre le 10 octobre 1769, à Poverty Bay en Nouvelle-Zélande, lorsque celui-ci fait tirer sur des Maoris qui refusent de monter à bord de l’Endeavour :
J’ai bien conscience que les lecteurs faisant preuve d’humanité me blâmeront d’avoir fait tirer sur ces malheureux et il m’est impossible, en examinant les faits de sang-froid, de ne pas en faire autant. Il est certain qu’ils ne méritaient pas de mourir pour avoir refusé de se fier à mes promesses et de monter à bord du navire, même s’ils n’y avaient décelé aucun danger, mais la nature de ma commission m’obligeait à prendre connaissance de leur pays et je ne pouvais le faire qu’en y pénétrant de force de manière hostile, ou en obtenant la confiance des habitants. J’avais déjà tenté sans succès de leur faire des présents et le désir d’éviter de nouvelles hostilités me faisait maintenant entreprendre d’avoir quelques-uns d’entre eux à bord, unique moyen de les convaincre que nous ne leur voulions aucun mal et que nous pouvions contribuer à leur bien-être et à leur confort. Jusque-là mes intentions n’avaient certainement rien de criminel, et bien que dans ce combat, auquel je ne m’attendais pas le moins du monde, notre victoire eût pu être complète sans ôter autant de vies, il faut savoir que quand l’ordre de faire feu est donné, on ne peut plus ni en prescrire, ni en modérer les effets134.
Dans son journal, Cook regrette lui-aussi que cette opération ait fait des victimes, et se montre conscient de la condamnation de principe qui l’attend chez les lecteurs135. C’est l’argument sécuritaire qui, dit-il, l’a forcé à agir de la sorte : « Je ne pouvais rester sans rien faire, et souffrir que mes compagnons ou moi-même reçoivent des coups sur la tête136 ». Mais, à aucun moment il n’évoque la mission suprême d’aller à la découverte de ce territoire et de ce peuple, quel qu’en soit le prix. Avec Hawkesworth, le commandant magnanime à la grandeur d’âme exemplaire, admirable dans ses prises de position et ses actions, se fait donc également agent de l’expansion commerciale et civilisatrice anglaise dans le Pacifique, qui ne recule devant rien pour apporter son message aux peuples réputées inférieurs technologiquement, même si des vies humaines en paient le prix fort. Cook devient ainsi le prototype du héros à l’origine d’un des mythes les plus importants de la nation britannique, celui de l’empire, qu’il contribue à ériger, par son action. Comme l’écrit John Lawrence Abbott, « […] Hawkesworth a contribué à nourrir un mythe qui devait motiver la nation pendant plus d’un siècle : celui d’un royaume insulaire qui, par sa puissance maritime et son génie de l’administration, pouvait imposer une Pax Britannica à une grande partie du monde137 ».
32Les modifications qu’apporte John Hawkesworth au journal de Cook dépassent donc largement le simple cadre de la révision ou de la correction d’un texte jugé impropre à la publication, mais procèdent d’un ensemble de motivations variées, à la fois esthétiques (il s’agit de donner un statut proprement littéraire au récit de voyage), patriotiques (par l’affirmation d’une position privilégiée de la Grande-Bretagne dans le Pacifique, et par la promotion d’un certain type de relations avec les peuples indigènes ainsi que d’un certain modèle de société), et personnelles (confirmer sa position de personnage important de la société, proche des cercles dirigeants et de l’élite intellectuelle et artistique). Plus qu’en éditeur, c’est en homme de lettres qu’il aborde son travail de réécriture du journal de Cook, et qu’il essaie de transformer le texte brut qui lui est confié en une œuvre cohérente, à la fois historique et littéraire, et conforme en tous points aux critères qu’il avait mis en avant dans The Adventurer et qu’il répète, en guise de justification, dans son introduction. Les nombreuses critiques négatives que l’ouvrage reçut138, et qui seraient, selon certains historiens, à l’origine directe de la disparition de John Hawkesworth quelques mois plus tard139, ne sauraient cependant faire oublier que An Account of a Voyage round the World, assura à son auteur une postérité certaine dans l’histoire culturelle anglaise et constitue à plus d’un titre le socle à partir duquel le mythe Cook s’est bâti et a perduré jusqu’à aujourd’hui. Comme l’écrit J. C. Beaglehole, ce récit demeure : « Une sorte de classique, reconnu par les historiens de la littérature, l’indispensable introduction aux voyages de Cook, en version intégrale ou en extraits. Un classique, non pas de prose anglaise, mais d’aventure anglaise140 […] ».
33Et pendant près de deux siècles, jusqu’à ce que John Cawte Beaglehole publie le journal du premier voyage de Cook dans son intégralité, et permette ainsi au public d’avoir accès aux écrits du capitaine, « en ce qui concerne le premier voyage, Hawkesworth et Cook ne firent qu’un141 ».
Notes de bas de page
1 Dans sa biographie de Johnson, Boswell parle d’Hawkesworth comme de « son fervent admirateur, et un imitateur appliqué de son style » (James Boswell, The Life of Samuel Johnson, op. cit., p. 143), ou encore : « Les imitations que fait Hawkesworth de Johnson sont parfois si heureuses qu’il est extrêmement difficile de les distinguer avec certitude des compositions de son grand modèle » (Ibid., p. 154).
2 140 numéros de The Adventurer furent publiés entre le 7 novembre 1752 et le 9 mars 1754. Hawkesworth en signa 70, Johnson 24. Parmi les différents collaborateurs du magazine on trouve entre autres Joseph Warton, Hester Mulso, George Coleman, Catherine Talbot et Elizabeth Carter. La rumeur a longtemps voulu que Fielding y ait lui aussi contribué, hypothèse aujourd’hui abandonnée, et Richardson déclina l’offre. Voir John Lawrence Abbott, John Hawkesworth Eighteenth-Century Man of Letters. Madison, The University of Wisconsin Press, 1982, p. 29-32.
3 J. L. Abbott, op. cit., p. 47.
4 « Dans la matinée, je saisis les carnets de bord et les journaux des officiers, des sous-officiers, et des matelots, du moins tout ceux que je pus trouver, et leur ordonnai à tous de ne rien divulguer des endroits où nous nous étions rendus » (Cook I, p. 426. Entrée du 30 septembre 1770).
5 Journal of a Voyage round the World, London, Beckett, 1771. L’ouvrage a été attribué depuis à James Mario Matra, matelot de l’Endeavour.
6 C’est le cas par exemple de Stanley Parkinson qui publie en janvier 1773, après bien des déboires avec Joseph Banks, le journal de son frère Sydney, artiste-botaniste du premier voyage de Cook sous le titre : A Journal of a Voyage to the South Seas, in his Majesty’s Ship, the Endeavour. Faithfully transcribed from the papers of the late Sydney Parkinson… London, printed for S. Parkinson, 1773 (Voir Banks I, p. 56-61).
7 Cook I, p. ccxliii.
8 David Garrick (1717-1779), acteur et dramaturge britannique, était l’une des plus importantes figures du théâtre britannique au xviiie siècle. Elizabeth Montagu (1718-1800) était une femme de lettres et un membre influent de la société des bas-bleus. George Lyttleton (1709-1773) était un mécène et un homme d’état britannique. Il fut notamment chancelier de l’Échiquier en 1755.
9 John Lawrence Abbott, p. 144.
10 Une note manuscrite de Fanny Burney indique par exemple que : « C’est le Docteur Burney qui a recommandé le Docteur Hawkesworth à Lord Sandwich et qui a renvoyé ce dernier à Garrick pour avoir confirmation des qualités d’écrivain ingénieux et d’homme admirable qui avaient été données du Docteur Hawkesworth », cité dans Helen Wallis, « Publication of Cook’s Journals : some new Sources and Assessments » Pacific Studies 1, 2 (Spring 1778), p. 164.
11 Ibid, p. 148-149.
12 (London, W. Strahan and T. Cadell, 1773). Nous utilisons ici la seconde édition de cet ouvrage.
13 J. L. Abbott, op. cit., p. 160.
14 Lady Mary Coke, Letters and Journals, J. A. Home, ed, Edinburgh, 1889-1896, III, p. 435. Cité dans Neil Rennie, op. cit., p. 94.
15 J. Boswell, The Life of Samuel Johnson, op. cit., p. 476-477.
16 Horace Walpole, Correspondence, W. S. Lewis, ed., New Haven, Yale university Press, 1955, vol. 28, p. 86. Cité dans J. L. Abbott, op. cit., p. 154.
17 Ibid., p. 155.
18 Cook I, p. ccli.
19 J. L. Abbott, op. cit., p. 160.
20 H. Wallis, op. cit., p. 167.
21 J. L. Abbott, op. cit., p. 160-161.
22 Lettre du 3 juillet 1773. Citée dans Neil Rennie, op. cit., p. 101.
23 Voir par exemple An Epistle from Obarea, Queen of Otaheite, to Joseph Banks, Esq. Translated by T.Q.Z. Professor of the Otaheite Language in Dublin, and of all the Languages of the Undiscovered Islands in the South Sea, (London, September 20 1773), ou encore An Epistle from Mr Banks, Voyager, Monster-Hunter and Amoroso, to Obarea, Queen of Otaheite, transfused by A.B.C. Esq., Second Professor of the Otaheite and of every other unknown Tongue, (London, December 20, 1773).
24 N. Rennie, op. cit., p. 101.
25 Hawkesworth, vol. I, General Introduction, p. xxi.
26 J. L. Abbott, op. cit., p. 166.
27 Samuel Johnson, À Journey to the Western Islands of Scotland (1775), James Boswell, The Journal of a Tour to the Hebrides (1786). Edited, with an introduction and notes, by P. Levi, Penguin Classics, London, Penguin Books, 1984, p. 331.
28 London, J. Nourse, 1773.
29 À travers Hawkesworth, c’est bien sûr à son rival Cook et aux Lords de l’Amirauté que Dalrymple s’en prend.
30 Hawkesworth, vol. I, Preface to the Second Edition, pages non-numérotées. Il s’agit de la seule réponse publique qu’Hawkesworth fit aux nombreuses critiques dont son ouvrage fut l’objet.
31 Mr Dalrymple‘s Observations on Dr. Hawkesworth‘s Preface to the Second Edition. London, September 18, 1773. Hawkesworth mourut le 17 novembre 1773.
32 J. L. Abbott, op. cit., p. 158.
33 Life, p. 457.
34 Hawkesworth, vol. I, General Introduction, p. vi.
35 Cook II, p. 661-663.
36 P. Carteret, Note on the publication of his voyage, 1774 ?, Alexander Turnbull Library, MS-Papers-00797.
37 P. Edwards, The Story of the Voyage, op. cit., p. 88.
38 Cook II, p. 661.
39 Le dîner eut lieu le 2 avril 1776. Charles Ryskamp and Frederick A. Pottle, eds., op. cit., p. 308-309.
40 Cet aspect du texte d’Hawkesworth est développé dans notre sous-partie suivante intitulée « la réécriture des journaux ».
41 Hawkesworth, vol. I, Preface to the Second Edition. Pages non-numérotées.
42 Nous empruntons cette expression à Tobias Smollett, qui commente ainsi son travail d’éditeur dans la préface de A Compendium of Authentic and Entertaining Voyages (7 volumes, 1756) : « Nous avons non seulement ôté le superflu, mais nous nous sommes efforcés de polir le style, de renforcer les liens entre les divers incidents et d’animer le récit, à chaque fois que cela semblait faire défaut » (G. M. Kahrl, Tobias Smollett, Traveler-Novelist, New York, Octagon Books, Inc., 1968, p. 84).
43 Il s’agit ici d’une tradition bien établie chez les éditeurs de récits de voyage maritime de ne pas inclure un trop grand nombre d’éléments techniques liés à la navigation, qui n’auraient comme conséquence que de lasser le lecteur. C’est ce dont se plaint par exemple Louis-Antoine de Bougainville dans son Voyage autour du Monde : « […] outre l’affectation des auteurs de ces extraits à retrancher tout ce qui peut n’être qu’utile à la navigation, s’il leur échappe quelque détail qui y ait trait, dont l’ignorance des termes de l’art dont un marin est obligé de se servir leur fait prendre, pour des mots vicieux, des expressions nécessaires et consacrées, qu’ils remplacent par des absurdités. Tout leur but est de faire un ouvrage agréable aux femmelettes des deux sexes, et leur travail aboutit à composer un livre ennuyeux à tout le monde, et qui n’est utile à personne » (L.-A. De Bougainville, op. cit., p. 209).
44 Hawkesworth, vol. I, General Introduction, p. vi-vii.
45 Hawkesworth, vol. II, p. 13.
46 Hawkesworth semble avoir ici suivi l’orthographe utilisée par Joseph Banks dans son journal. « Tubourai Tamaide » est appelé « Toobouratomita » par Cook et « Tootahah », successivement « Tootaha » et « Toutaha ». Voir par exemple Banks I, p. 266, et Cook I, p. 82-115, passim.
47 Cook I, p. 81. Entrée du 17 avril 1769.
48 Hawkesworth, vol. II, p. 93.
49 Certaines des informations communiquées par Hawkesworth, tels que les qualificatifs de « sober » et « diligent » pour évoquer Alexander Buchan, sont puisées directement dans le journal de Banks, sur lequel nous reviendrons ultérieurement. Pour le compte rendu de la mort de Buchan par Joseph Banks, voir Banks I, p. 257-258.
50 The Adventurer, volume the first, London, Printed for J. Parsons, No 21 Paternoster Row, 1793, p. 15-19. Les 140 articles de The Adventurer furent publiés en quatre volumes. Le premier volume, qui nous intéresse ici, contient les 35 premiers articles. Le deuxième volume contient les articles 36 à 70 ; le troisième volume, les articles 71 à 105 ; et le quatrième volume, les articles 106 à 140.
51 The Adventurer, volume the first, op. cit., p. 15.
52 Ibid.
53 Ibid.
54 Hawkesworth, vol. II, p. vii.
55 Dans The Idler, Samuel Johnson met lui aussi ce paramètre en avant : « Quiconque voyage pour divertir les autres devrait garder à l’esprit que l’object principal de ses remarques doit être la vie humaine » (Samuel Johnson, The Idler, No 97, Saturday, Fevruary 23, 1760, in Arthur Murphy, Esq., ed., The Works of Samuel Johnson, LL.D., with an Essay on his Life and Genius, London : Printed by Luke Hansard & sons for J. Nichols & son, 1810, p. 398).
56 Cook I, p. 88. Entrée du 2 mai 1769.
57 Hawkesworth, vol. II, p. 114.
58 « L’endroit n’était à coup sûr pas très agréable, car la puanteur y était intolérable » (Cook I, p. 83. Entrée du 21 avril 1769).
59 Banks I, p. 261.
60 Hawkesworth, vol. II, p. 96-97.
61 Cook I, p. 93-94. Entrée du 14 mai 1769.
62 Hawkesworth, vol. II, p. 127-128. La description du comportement des Tahitiens lors du service religieux se trouve dans le journal de Joseph Banks, qui par ailleurs n’évoque aucunement la scène suivante. Voir Banks I, p. 277.
63 Cook I, p. 127.
64 Hawkesworth, vol. II, p. 206-207.
65 N. Rennie, op. cit., p. 96.
66 « La chaste Diane et ses Nymphes ne peuvent pas avoir montré de plus grandes marques de confusion et de détresse à la vue d’Acteon, que ces femmes en témoignèrent à notre approche » (Hawkesworth, vol. II, p. 454).
67 Hawkesworth, vol. II, p. 128. Comme nous l’avons déjà souligné, c’est toutefois Bougainville qui le premier fait cette association. Dans son Voyage autour du Monde, une jeune Tahitienne à bord de la Boudeuse, « laissa tomber négligemment une pagne qui la couvrait et parut aux yeux de tous, telle que Vénus se fit voir au berger phrygien. Elle en avait la forme céleste ». Un peu plus loin dans sa description de l’île, ce sont les hommes qui sont comparés à des dieux grecs (« pour peindre Hercule et Mars, on ne trouverait nulle part d’aussi beaux modèles ») (L.-A. De Bougainville, op. cit., p. 227 et p. 252).
68 Hawkesworth, vol. II, p. 147.
69 Hawkesworth, vol. II, p. 120.
70 Hawkesworth, vol. I, General Introduction, p. iv.
71 Dans le numéro 20 de The Adventurer, publié le samedi 20 janvier 1753, Hawkesworth avait déjà abordé la question du choix d’une narration à la première personne du singulier. S’apprêtant à livrer au lecteur une histoire orientale dont il doutait de l’origine, il avait écrit : « Celle-ci fut probablement relatée à la première personne afin de lui donner une plus grande dignité et plus d’influence » (The Adventurer, volume the first, op. cit., p. 105).
72 Ibid., p. iv-v.
73 « Elles ne sont en effet pas très nombreuses, et lorsqu’elles apparaissent, elles sont courtes et rapides, car rien n’aurait été plus absurde que d’interrompre un récit intéressant ou la description d’un lieu nouveau, par des hypothèses ou des dissertations » (Ibid., p. v).
74 Hawkesworth, vol. II, p. 128.
75 Ibid., p. 145.
76 Ibid., p. 144.
77 Ibid., p. 314-315.
78 Ibid., p. 136.
79 Cook I, p. 101. Entrée du 14 juin 1769.
80 Hawkesworth, vol. II, p. 149.
81 « Il a été composé d’après les journaux tenus par les commandants des différents vaisseaux […] et en ce qui concerne le voyage de l’Endeavour, d’après d’autres papiers tout aussi authentiques, dont j’ai reconnu l’aide précieuse dans l’introduction du récit consacré à ce voyage » (Hawkesworth, vol. I, General introduction, p. iv).
82 Hawkesworth, vol. II, p. xiii.
83 Ibid., p. xiii-xiv.
84 Ibid. p. xiv.
85 Ibid., p. xi.
86 Banks I, p. 312-313.
87 Ibid., p. 199.
88 Hawkesworth, vol. II, p. 30. L’ajout de l’expression « je pense » contribue bien évidemment à modérer un peu plus le propos de Joseph Banks.
89 P. O’ Brian, Joseph Banks, a Life. Chicago, The University of Chicago Press, 1987, p. 65-66.
90 Cook I, p. 93. J. C. Beaglehole interprète cette scène comme une cérémonie de fertilisation dans laquelle cette Tahitienne, représentante des femmes de sa communauté, se met à la disposition du jeune et fringant Joseph Banks (Ibid., n. 2).
91 Banks I, p. 275.
92 Hawkesworth, vol. II, p. 125.
93 Banks I, p. 276.
94 Hawkesworth, vol. II, p. 125.
95 Banks I, p. 276 ; Hawkesworth, vol. II, p. 125.
96 Cook I, p. 45. Entrée du 16 janvier 1769.
97 Ibid., p. 399.
98 Hawkesworth, vol. II, p. 59.
99 Banks II, p. 130.
100 Hawkesworth, vol. II, p. 105.
101 Ibid., p. 103-104. C’est moi qui souligne. L’épisode, qui a lieu le 28 avril 1769, est absent du journal de Cook.
102 Banks I, p. 267.
103 Hawkesworth, vol. II, p. 207.
104 « Les chefs, quelle que soit leur importance, et les autres habitants sont fermement convaincus que s’ils arrivent à mettre la main sur quelque objet que ce soit, celui-ci devient immédiatement leur propriété » (Banks I, p. 263).
105 Hawkesworth, vol. II, p. 100.
106 Ibid., p. 129. C’est moi qui souligne.
107 Ibid., p. 170.
108 Ibid., p. 102.
109 Ibid.
110 « On peut observer ici que ces gens ont une connaissance du Bien et du Mal, dictée par la simple conscience naturelle » (Ibid., p. 101).
111 Ibid., p. 240.
112 « Ils font preuve d’une intelligence et d’une influence qui feraient honneur aux gouvernements les plus réguliers et les plus policés » (Hawkesworth, vol. II, p. 88). Banks décrit quant à lui : « un système politique au moins égal à tous ceux que l’on a pu trouver dans les pays civilisés » (Banks I, p. 256).
113 « Aucune princesse en Europe n’aurait pu se comporter avec plus de grâce » (Hawkesworth, vol. II, p. 263).
114 Banks I, p. 324.
115 J. L. Abbott, op. cit., p. 174.
116 Dans son introduction, Hawkesworth lui-même utilise le terme de « narration » pour parler de son texte. Voir par exemple Hawkesworth, vol. II, p. xi. Philip Edwards décrit quant à lui le travail de John Hawkesworth comme une « ré-création » (P. Edwards, The Story of the Voyage, op. cit., p. 89).
117 L’expression est de P. Edwards (Ibid.).
118 The Adventurer, volume the first, op. cit., p. 15-16.
119 « Lorsqu’un honnête dévot de l’Église Romaine apprend que les Indiens du bord du Gange sont persuadés qu’ils s’assurent le bonheur d’une vie future en mourant avec la queue d’une vache dans la main, il rit de leur extravagance et de leur superstition. Et si on racontait à ces mêmes Indiens qu’il y a des gens en Europe qui imaginent pouvoir se procurer les mêmes avantages en mourant avec les sandales d’un Franciscain aux pieds, ils riraient à leur tour » (Hawkesworth, vol. II, p. 145).
120 « Il faut remarquer qu’Elien et Apollonios de Rhodes attribuent une coutume semblable aux anciens habitants de la Colchide, contrée située près du Royaume de Pont en Asie, et qu’on appelle aujourd’hui la Mingrélie » (Hawkesworth, vol. II, p. 143).
121 Ibid., p. 275.
122 Ibid., p. 237.
123 Cook I, p. 79-80 ; Banks I, p. 256-257.
124 Hawkesworth, vol. II, p. 91.
125 « Personne ne put dire s’il y eut d’autres blessés ou d’autres victimes » (Banks I, p. 257). Cook ne dit rien sur le sujet.
126 Cook I, p. 80 ; Hawkesworth, vol. II, p. 92.
127 Cook I, p. 80.
128 Banks I, p. 257.
129 Cook I, p. 116. Entrée du 11 juillet 1769.
130 « On voit par là, que quels que soient les inconvénients liés à la capture des chefs, je n’aurais pu recouvré mes hommes autrement » (Hawkesworth, vol. II, p. 179).
131 Ibid.
132 Hawkesworth, vol. I, General introduction, p. xix. C’est moi qui souligne.
133 W. H. Pearson, op. cit., p. 66.
134 Hawkesworth, vol. II, p. 290. C’est moi qui souligne.
135 « J’ai bien conscience que la plupart des gens qui n’ont jamais vécu de telles expériences censureront ma conduite à bord du navire » (Cook I, p. 171).
136 Ibid., p. 171.
137 J. L. Abbott, op. cit., p. 185.
138 Georg Forster résume la réception de l’ouvrage de la manière suivante : « La relation des voyages du Capitaine Cook autour du monde fut lu avec avidité par l’ensemble des nations européennes, mais connut une censure, voire un mépris universels » (Cook I, p. ccxliii).
139 J. L. Abbott, op. cit., p. 187-196.
140 Cook I, p. ccliii.
141 Ibid.
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