Du journal de bord à la relation publiée : parcours d’un texte
p. 229-230
Texte intégral
Qu’a vu M. Cook ? Apparemment pas ce dont parle son ouvrage1.
1 À l’exception peut-être du journal de sa deuxième expédition, Cook ne publia aucun de ses récits de voyage. L’énorme travail de composition et de réécriture, les divers remaniements et ajustements auxquels il procéda depuis les premières observations consignées dans ses carnets de bord restèrent longtemps inconnus du grand public qui n’eut accès aux écrits du capitaine dans leur intégralité que dans la seconde moitié du xxe siècle. Les contemporains de Cook virent cependant leur curiosité satisfaite par la publication de récits officiels sous l’égide de l’Amirauté, dont la rédaction fut confiée à John Hawkesworth pour le premier voyage et John Douglas pour les voyages suivants. On peut s’étonner aujourd’hui que la publication officielle d’un récit de voyage ait pu être confiée à une personne qui n’avait pas pris part au voyage et qui ne pouvait donc pas véritablement transmettre au lecteur les impressions nées d’une telle aventure, mais la pratique n’était pas inhabituelle alors de faire corriger, voire réécrire les journaux de voyage des navigateurs par des hommes de lettres confirmés et reconnus, capables de transformer de simples notes de marins en un texte acceptable pour le lectorat de l’époque.
2 Le récit du troisième voyage de Cook ne pose dans ce domaine aucun problème particulier : la disparition de Cook au cours de l’expédition nécessita de fait l’intervention d’une personne extérieure, John Douglas, chanoine de Windsor, qui était déjà connu de l’Amirauté et du public pour avoir participé à la rédaction du récit du deuxième voyage. Sur les trois volumes qui constituent cet ouvrage, seuls les deux premiers sont de la main de Douglas, la rédaction du troisième ayant été confiée à James King, capitaine du Discovery, qui prend la plume après le décès de Cook jusqu’au retour de l’expédition en Angleterre. Comme nous l’avons indiqué plus haut, le récit du deuxième voyage est le seul qui puisse être, dans une certaine mesure, attribué à Cook puisque le rôle de Douglas se borna officiellement à corriger et mettre en bonne forme les écrits de Cook, sous l’œil vigilant de ce dernier. C’est donc le fruit d’une collaboration étroite entre les deux hommes qui fut livré aux lecteurs dès 1777. Le récit fut d’ailleurs publié sous le nom de Cook, mais il reste cependant à évaluer la part de travail personnel fourni par Douglas dans cet ouvrage, ainsi que les proportions dans lesquelles l’esprit du texte d’origine est modifié sous l’action du chanoine de Windsor. Le cas du récit du premier voyage de Cook relève quant à lui tout à fait de l’approche que nous évoquions plus haut. Si la mission du capitaine avait été de conduire l’expédition dans le Pacifique, le récit officiel de cette expédition incombait à un autre, plus habitué de l’exercice et jugé plus apte à contenter le lectorat de l’époque. L’importance de l’enjeu qui sous-tendait l’expédition proscrivait que l’on ne veille scrupuleusement à maîtriser complètement la diffusion des informations diverses rapportées par le navigateur. De plus, la rivalité franco-anglaise qui prévalait alors en matière d’exploration du Pacifique, ainsi que le retour de Bougainville en France et la publication de son récit de voyage dès 1771, imposèrent à l’Amirauté de ne pas perdre de temps pour affirmer la suprématie anglaise dans cette région du globe, par le biais notamment de la publication d’un compte rendu officiel des voyages effectués à l’époque par les Anglais. Ainsi, l’ouvrage souhaité par l’Amirauté ne concerne pas uniquement le voyage de Cook, mais également ceux de John Byron, Samuel Wallis et Philip Carteret, prédécesseurs directs de Cook dans le Pacifique. C’est donc la rédaction d’une compilation des toutes récentes aventures anglaises dans les Mers du Sud que se vit confié John Hawkesworth, et pour laquelle il dut déployer une harmonie de ton et de style et parler d’une seule et même voix en continu, afin de ne rien enlever à l’homogénéité que l’Amirauté souhaitait donner de l’entreprise britannique dans le Pacifique face aux prétentions françaises. Ceci interdisait de fait de donner la plume à chacun des capitaines impliqués tour à tour dans l’aventure. Les journaux seraient publiés ensemble par un seul auteur qui pourrait ainsi renforcer les liens entre tous ces récits. Dans le cas précis de Cook, il faut ajouter que celui-ci n’aurait pu alors se consacrer à une telle entreprise, si tant est que l’on la lui confie, tout occupé qu’il était depuis septembre 1771 à l’organisation de l’expédition qui devait quitter l’Angleterre quelques mois plus tard.
3 Ce sont ces différents récits et les conditions de leur arrivée sur la scène littéraire que nous allons examiner maintenant.
Notes de bas de page
1 I. S. MacLaren, « Exploration/Travel Literature and the Evolution of the Author » International Journal of Canadian Studies/Revue internationale d’études canadiennes 5 (Spring/Printemps 1992), p. 44.
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