Stratégies narratives
p. 183-214
Texte intégral
1On sait combien les récits de voyage ont très souvent été envisagés dans leur seule dimension documentaire, même lorsqu’ils étaient la production d’auteurs de fiction par ailleurs confirmés. Peu d’attention a été apportée à leur organisation interne et aux procédés mis en œuvre pour transmettre au lecteur l’expérience vécue lors du voyage. Pourtant, l’hypothèse avancée par Jean Viviès, selon laquelle « le récit de fiction et le récit de voyage ne sont pas des catégories marquées mais des polarités qui laissent apparaître un continuum1 », établit un lien fort entre les deux types de récit et sous-entend un faisceau de traits communs qui nous autorisent, dans une certaine mesure, à aborder le texte de James Cook comme un texte au fonctionnement littéraire, dans lequel vont se manifester, à des degrés divers, un certain nombre de paramètres que la critique réserve habituellement aux récits de fiction2.
Récits de voyage et régime narratif
2Le premier, et le plus facilement identifiable, de ces paramètres est celui de la sélection des éléments de réel que le texte présente à son lecteur.
Sélection et simplification
3Le monde auquel le voyageur est confronté est un monde foisonnant et infini, que le caractère fini du langage est incapable de saisir dans son intégralité. Dès lors, la nécessité s’impose de faire des choix. On assiste donc dans la mise en mots du réel à un processus de sélection et de simplification qui permet au narrateur de rendre son discours attrayant, ou tout simplement possible. Car le constat est évident : la profusion de détails fait courir au texte le risque de devenir ennuyeux, exaspérant, voire illisible si l’on pousse la démarche jusqu’à un désir d’exhaustivité, que l’on sait pourtant illusoire. Dès lors, il n’y a d’autres possibilités que de procéder par choix et d’opérer une sélection et une simplification des éléments de réel que l’on souhaite transmettre au lecteur. Cette opération s’effectue tout d’abord au niveau de l’organisation générale du texte. Les entrées en mer sont par exemple dans l’ensemble beaucoup plus courtes et beaucoup moins denses que les entrées à terre. On constate la même opération au niveau plus restreint des entrées quotidiennes, qui sont, selon les cas, plus ou moins développées, et qui offrent parfois un degré zéro de sélection, comme dans un énoncé du type : « Rien de remarquable ne s’est produit aujourd’hui3 » à la date du 13 septembre 1773, dans lequel il faut bien admettre que le terme « remarquable » est purement subjectif et ne saurait, sous quelle condition que ce soit, correspondre à une analyse objective des événements de la journée. Un narrateur différent aurait sans doute trouvé certaines choses à mentionner pour cette même date. Car il faut bien avoir à l’esprit que l’importance que revêt un événement n’a rien d’absolu et est totalement dépendante de la personne qui émet ce jugement. Ce qui apparaît comme important aux yeux de tel narrateur particulier ne le sera pas forcément aux yeux de tel autre. De cet écart de jugement proviennent les différences de contenu au sein d’une même entrée selon le narrateur qui relate les événements de la journée, et les éclairages différents apportés à un même événement. Dans cette opération de sélection, il convient également de distinguer ce qui relève d’un acte intentionnel, lors duquel le narrateur choisit de mettre l’accent sur tel ou tel aspect de son expérience du réel, ou de ne pas mentionner certains détails, de ce qui apparaît comme un geste involontaire, pour lequel l’exercice de construction du discours a posteriori se fait sur la base de souvenirs que le temps passant tend à estomper, ou tout du moins, à transformer et modeler, pour n’en retenir que ce qui correspond au récit. Cet aspect involontaire est cependant peu effectif dans les journaux de Cook, car l’écriture du journal est quasi concomitante du voyage. Très peu de temps en effet, sépare le voyage de son récit, et si, un travail ultérieur d’agencement du texte a bien lieu, celui-ci s’appuie sur une base déjà bien développée, constituée par les nombreuses notes prises sur place. La sélection de ce qui est rapporté dans les journaux de Cook, s’effectue donc essentiellement sur la base d’un acte volontaire qui consiste à ne retenir dans ce que le réel a à offrir que ce qui apparaît comme digne de figurer dans le texte4. Cook semble avoir d’ailleurs été immédiatement sensible à cette notion de sélection, puisque dès les premières pages du journal de son premier voyage, il déclare avoir choisi de ne pas y inclure le détail des transactions quotidiennes concernant le gréement du navire, car celles-ci, déjà présentes dans le carnet de bord, « ne contiennent rien que d’ordinaire5 ». La notion de sélection intervient le plus souvent entre deux états du texte et trahit par là même un désir d’obtenir la version la plus acceptable, avec toutes les réserves d’usage concernant le sens qu’il faut donner à ce mot, de l’événement qui est rapporté. Le compte rendu de l’affaire Orton lors du premier voyage illustre clairement ici cette tendance. On se souviendra que dans la version remise à l’Amirauté, et que l’on pourrait donc considérer comme définitive au regard du cadre dans lequel le texte de Cook est produit, nulle mention n’est faite de cet incident, alors que la nature même des faits aurait laissé penser le contraire, à savoir que les noms des personnes impliquées seraient transmis à l’Amirauté qui aurait pris toutes sanctions jugées nécessaires. Dès lors, il ne reste que deux hypothèses qui puissent rendre compte de la disparition de cet incident dans le texte. La première consiste à voir dans cet acte un souci de ne pas accuser de marins injustement (il faut garder à l’esprit ici que Cook n’eut jamais de certitudes quant aux coupables) ; la seconde, à envisager la décision de Cook de taire l’affaire comme une volonté de ne pas apparaître comme un officier à l’autorité si fragile que l’on s’autorise, à bord de son navire et sur la personne de son secrétaire particulier, à agir de la sorte, dans ce qui, selon les termes mêmes de Cook représente « la plus grande insulte que l’on puisse faire à mon autorité sur ce navire6 ». Dans un cas comme dans l’autre (et les deux hypothèses ne s’excluent pas nécessairement), la sélection des événements rapportés, ou, pour être plus exact, la non sélection de ces événements, apparaît comme un choix délibéré du narrateur de ne pas mentionner de détails qui pourraient le desservir, lui, ou une partie de son équipage. C’est tout un aspect du voyage qui disparaît ainsi de la relation qui en est fait.
4Les opérations de sélection des événements à consigner dans le journal du voyage ne sauraient, à elles seules, être les indicateurs d’une quelconque littérarité du texte. Toute production de texte est en effet le produit d’un choix dans la masse infinie des informations que le réel présente aux yeux du narrateur, même lorsque ces textes n’ont a priori rien de littéraire. Cependant, l’acte de sélection important auquel se livre Cook dans ses journaux dénote un souci constant d’élaboration qui invite à interroger le texte sur la présence éventuelle d’autres procédés de fictionnalisation. En nous appuyant sur les catégories retenues par Gérard Genette dans Fiction et diction pour établir un parallèle entre récits factuels et récits fictionnels, nous allons examiner le fonctionnement du texte de Cook suivant les catégories d’ordre, de vitesse, de fréquence, de mode et de voix7.
Ordre chronologique
5Dans les journaux de Cook, l’ordre chronologique du récit ne semble a priori pas poser de problèmes. La forme même du texte, qui permet de retracer l’expérience du voyage au moment même où le voyageur la vit, oblige narrateur et lecteur à suivre pas à pas le déroulement de l’expédition, dans une apparence générale d’immédiateté où temps de l’écriture et temps de l’histoire cheminent côte à côte dans un souci d’ordre chronologique qui ne saurait être interprété comme un indice de fictionnalité, bien que le respect rigoureux de ce paramètre ait parfois été envisagé dans ce sens8. Si le journal du troisième voyage présente une chronologie moins serrée que les journaux précédents, on y décèle tout de même le souci constant de ne pas perdre le fil temporel, ce qui amène Cook à insérer divers repères chronologiques en marge du texte, ou dans le corps même du récit, comme par exemple, lorsque l’expédition séjourne à Huahine en octobre 1777 : « Le lendemain de notre arrivée, le treize, les principaux habitants de l’île nous rendirent visite9 ». Il arrive parfois qu’un rappel de la chronologie s’impose, notamment lorsque le narrateur reprend son récit après avoir marqué une pause descriptive, ou après avoir longuement disserté sur un sujet d’intérêt plus général que le simple déroulement des événements de la journée. Ainsi, après avoir longuement décrit les Indiens Nootka du nord-ouest canadien, Cook poursuit par les mots suivants : « Nous prîmes la mer le soir du 26, comme nous l’avons déjà mentionné10 », qui renvoient de fait à la dernière entrée datée du texte et ont pour but de signaler au lecteur que le récit du voyage reprend.
6Cet ordre chronologique est cependant perturbé par le recours à un certain nombre d’analepses et de prolepses, qui substituent à la linéarité temporelle du récit, une progression plus chaotique faite de bonds en avant et de retours en arrière, qui interrompent de fait le déroulé du compte rendu journalier. Çà et là, on trouve dans le texte des annonces proleptiques du type « il s’avéra ensuite que », « nous trouvâmes par la suite que », « comme nous allons bientôt le voir », etc., qui projettent la lecture dans un après (même si cet après arrive rapidement), et dont l’effet est de maintenir l’attention du lecteur, en lui annonçant en substance ce qui sera dévoilé et développé plus tard. Ainsi, un énoncé du type « Nous verrons ailleurs que cette opinion avait été formée trop rapidement » (il s’agit d’un premier jugement sur le chef tahitien Otou, qualifié tout d’abord d’« homme sans grand talent, selon toute apparence11 »), indique clairement un souci de maintenir le lecteur en haleine jusqu’à la livraison de l’événement qui renversera la première opinion formulée. De même, la mention de la découverte par les Français d’une nouvelle île dans l’océan Antarctique, dont Cook apprend la nouvelle lors d’un séjour au Cap en octobre et novembre 1772, se conclut par : « Cependant, ce n’était pas le cas, comme nous l’allons voir d’ici peu12 », annonce proleptique dont l’effet est de déplacer l’attente du lecteur, qui n’est plus concentrée sur la découverte de cette île, mais sur la manière par laquelle Cook va démontrer qu’elle n’existe pas. Quel que soit le type de prolepses que présente le texte, celles-ci concourent toutes à entretenir le suspense et à accrocher fermement le lecteur au récit.
7Les renvois analeptiques sont plus rares. Non pas que le narrateur n’ait jamais besoin de revenir compléter ce qui a été écrit précédemment, (on a vu que c’était là un des principes mêmes de la revisite d’un lieu), mais la possibilité offerte par le découpage du récit en entrées quotidiennes de laisser le texte en suspens pour passer à la date suivante, avant d’y revenir et de le compléter lorsque l’information manquante est disponible, limite dans une certaine mesure le recours à l’analepse, qui apparaît le plus souvent par le biais d’une mise en retrait du narrateur qui délègue sa plume à une tierce personne qui vient rendre compte de certains événements auquel Cook, pour une raison ou une autre, n’a pas pu assister. C’est le cas lors de l’escale à l’île de Pâques, sur laquelle le capitaine affaibli par la maladie ne peut se rendre, et dont le compte rendu est confié à Richard Pickersgill, lieutenant du Resolution13. L’entrée du 16 mars 1774 contient ce rapport qui relate les événements de la veille.
8Un autre exemple mérite ici d’être mentionné plus en détail. Au second voyage, lorsque le Resolution rejoint l’Adventure en Nouvelle-Zélande, après que les navires ont été séparés pendant quelques mois, Cook retranscrit dans son journal, la partie du journal du capitaine Furneaux couvrant la période comprise entre le 8 février 1773 (date de la séparation des navires) et le 18 mai de la même année, date des retrouvailles. Le lecteur se voit donc soumis à un retour en arrière de plusieurs mois, afin de prendre connaissance de ce qui est arrivé à l’Adventure pendant que le Resolution faisait sa route de son côté, jusqu’au moment où les deux équipages sont à nouveau réunis. Le 18 mai, le temps de l’histoire ayant rejoint le temps du récit, Cook reprend la plume et poursuit son journal.
Vitesse et fréquence
9L’impossibilité de faire coïncider complètement vitesse de l’écriture et vitesse de l’histoire oblige le narrateur à recourir à des processus d’accélération et de ralentissement de son récit. Ainsi, l’alternance de séquences narratives et de séquences descriptives fonctionne comme un facteur de ralentissement (c’est le cas des longues entrées consacrées aux séjours à terre), voire comme un facteur de suspension du récit lors des descriptions de fin d’escale, qui obligent à une pause narrative qui accompagne la pause effectuée dans le voyage. À l’inverse, le texte présente également des phases d’accélération qui offrent la possibilité de franchir en quelques instants de lecture des tranches de temps considérables et donnent au récit un dynamisme que les longues descriptions tendent à atténuer. Le régime d’accélération ou de ralentissement du récit est façonné principalement par l’importance que le narrateur accorde aux événements qu’il relate. La description des lieux qu’il visite et les rencontres qui y sont effectuées semblent à ce titre présenter bien plus d’intérêt aux yeux de Cook que le quotidien à bord du navire qui occupe un espace textuel réduit. La question de la vitesse du récit se présente donc sous la forme d’un schéma binaire qui offre une condensation du temps lors des traversées en mer et une dilatation lors des escales à terre. Poussé à l’extrême, ce schéma transforme le compte rendu du voyage en bonds successifs d’île en île qui visent à éliminer du texte les longues traversées en mer qui occupent pourtant une grande partie du voyage. Cook ne franchit jamais cette limite, même si les entrées maritimes occupent un espace textuel succinct en comparaison du compte rendu des séjours à terre. Le texte du troisième voyage présente en ce domaine une série d’exemples intéressants sur lesquels il convient de s’arrêter un instant.
10On a déjà mentionné la souplesse chronologique qui caractérise ce récit. Le découpage en entrées quotidiennes y est moins strictement suivi qu’aux deux premiers voyages, et le texte se présente donc sous la forme de longs paragraphes qui couvrent une période de temps importante, structurée par divers repères chronologiques insérés çà et là au détour d’une phrase. Cette organisation lâche est particulièrement propice aux phénomènes d’accélération du récit. Ainsi, la traversée entre Christmas Island et l’île de Kauai dans l’archipel hawaïen en début d’année 1778 n’occupe-t-elle que quelques lignes du journal alors qu’elle concerne une période qui s’étale du 2 au 18 janvier. En quittant Hawaï, on observe une nouvelle accélération du récit, entre le 12 février et le 1er mars, soit environ trois semaines de navigation auxquelles Cook ne consacre ici aussi qu’un court paragraphe, alors que le carnet de bord et les journaux d’autres membres d’équipage signalent certains événements que l’on pourrait aisément qualifier de « digne d’intérêt » et qui, à ce titre, auraient eu leur place dans le journal de Cook. C’est le cas, par exemple, des nombreuses réparations à bord, de l’observation d’une aurore boréale, ou encore de la chute du matelot Thomas Goodman, événements ignorés par Cook mais présents dans le carnet de bord et les journaux annexes14. Ce qui semble importer aux yeux de Cook ici, c’est d’(en) arriver rapidement à l’étape suivante, la côte nord-ouest du continent américain, qui sera, à partir du mois de mars 1778 l’objet d’un ralentissement du récit. La répartition au sein du texte entre condensation et dilatation du temps ne saurait toutefois obéir trop strictement au découpage que nous avons proposé en première instance. Ainsi, le phénomène d’accélération peut également se produire pendant un séjour à terre. Lors de l’escale à Huahine en octobre 1777, par exemple, une période de quinze jours environ est évoquée en quelques lignes seulement : « Tout se déroula sans le moindre incident entre nous jusqu’au soir du 22, lorsque l’un des naturels trouva le moyen de pénétrer dans l’observatoire de Mr. Bailey et emporta un sextant sans être vu15 ».
11Quelques jours plus tard, sur l’île d’Ulieta, où l’expédition débarque le 3 novembre 1777 : « Rien de remarquable ne se produisit jusqu’à la nuit du 12 au 13, lorsque John Harrison, fusilier marin de garde devant l’observatoire, déserta et emporta avec lui son mousquet et son équipement16 ».
12Ces deux exemples mettent en avant l’une des caractéristiques majeures liées au phénomène d’accélération. Si le peu d’importance que le narrateur semble accorder ici aux événements quotidiens du séjour à terre, (c’est bien ce que l’on voit ici avec un énoncé du type « Rien de remarquable ne se produisit ») permet de rendre compte de la forte condensation des entrées en quelques lignes, à l’inverse, le ralentissement soudain du récit ainsi que la reprise détaillée du cours des événements s’explique par le surgissement d’un élément imprévu, vol d’un sextant dans le premier cas, désertion d’un membre de l’expédition dans l’autre, qui vient donc perturber le séjour à terre et oblige le récit à ralentir son rythme et à se pencher plus en détail sur ce qui se passe, afin d’en relater le déroulement de la manière la plus précise qu’il soit. Il faut noter ici que l’incident par le biais duquel le récit reprend un rythme plus lent n’est pas toujours aussi problématique que la désertion d’un membre d’équipage ou le vol de matériel. Ainsi, lors du premier séjour de Cook à Tahiti, c’est l’arrivée parmi les membres d’équipage de l’Endeavour, de Purea, « appelée Reine de l’île par l’équipage du Dolphin » qui déclenche le changement de rythme et décale le compte rendu des événements quotidiens vers les relations entre les officiers anglais et ce personnage nouvellement entré en scène17. Parfois, c’est un simple changement de météo qui relance à la fois le navire et le récit. Ainsi du 13 au 21 mars 1778, le Resolution et le Discovery sont immobilisés au large de la côte nord-ouest américaine par des vents contraires : « Le vent continua à l’ouest et au nord-ouest. Tempêtes, vents modérés et périodes de calme se succédèrent jusqu’au matin du 21, lorsqu’une brise se leva au sud-ouest et nous apporta un temps clair. Je gouvernai au nord-est afin de tomber sur la terre que nous avions visitée précédemment18 ».
13La vitesse du récit est également fonction de la fréquence avec laquelle la séquence des événements est mentionnée. Le recours aux énoncés itératifs, qui permettent de faire état en une seule occurrence d’un événement qui se répète, et dont la mention, occurrence après occurrence, serait un facteur de ralentissement, fonctionne ici comme moyen d’accélération. Il faut noter toutefois que la structure générale du récit en entrées quotidiennes limite le recours à ce type de procédé itératif. Le texte de Cook présente cependant quelques exemples que l’on peut rattacher à cette pratique, notamment dans le récit du troisième voyage, dont la structure plus souple est à nouveau propice à ce type de phénomène. Ainsi, pour évoquer les opérations d’hygiène à bord des navires, Cook signale que : « Celles-ci furent constamment appliquées à bord du Resolution du Discovery19 ». Ici, l’utilisation de l’adverbe « constamment » donne à la pratique un aspect habituel qui offre la possibilité d’englober en une seule mention, l’ensemble des occurrences de l’événement, plutôt que d’évoquer cet événement à chaque fois que celui-ci se produit. De la même manière, l’observation répétée d’insectes marins translucides en Atlantique, apparaît regroupée sous une seule entrée : « la nuit, il nous arrivait fréquemment de voir ces animaux maritimes translucides que j’ai mentionnés dans mon premier voyage20 », dans laquelle « fréquemment » remplit la même fonction que l’adverbe « constamment » utilisé dans la citation précédente. En offrant la possibilité de ralentir ou d’accélérer le récit, le traitement de la fréquence participe, tout comme le paramètre de la vitesse, à l’économie générale du texte.
Mode et voix
14D’un point de vue du mode narratif, le texte de Cook se présente comme un récit à focalisation interne centrée sur le personnage Cook, seul personnage dont la subjectivité est accessible au lecteur. Les autres personnages, qu’il s’agisse des membres de l’expédition ou des indigènes rencontrés dans le Pacifique, ne sont appréhendés que d’un point de vue externe qui se consacre essentiellement à leurs faits et gestes, décrits de l’extérieur, sans qu’aucune intrusion dans leurs pensées n’ait lieu. Si le narrateur ne s’interdit nullement de recourir parfois à une interprétation psychologique des actions des différents personnages, celle-ci est tempérée en grande partie par une modalisation poussée (avec l’utilisation des auxiliaires modaux de probabilité tels que « should » et « might », de verbes comme « sembler » ou « paraître », ou encore de locutions adverbiales comme « sans doute » ou « probablement ») qui permet d’aborder prudemment les événements rapportés, ainsi que par la présence à bord de Tupia au premier voyage, Œdiddy au deuxième, et Omai au troisième, qui se font parfois les relais de ce que peuvent penser les indigènes du Pacifique, et fonctionnent ainsi comme source d’authentification des informations communiquées. Dans de très rares cas, la formulation de Cook peut laisser penser qu’il a réussi à se glisser dans l’esprit d’un autre personnage, (ainsi, lorsqu’il mentionne les croyances des Tahitiens au premier voyage, il écrit : « Les naturels de ce pays croient cependant en l’existence d’un Dieu suprême21 »), mais il s’agit essentiellement d’informations provenant de sources que Cook ne prendrait pas soin ou aurait oublié de citer.
15La voix narrative, elle, est celle d’un narrateur homodiégétique, partie intégrante d’un récit dont il n’est pourtant pas le héros. L’adéquation auteur – narrateur – personnage, et le fait que le récit se donne pour authentique, ne sauraient ici conférer au texte de Cook une quelconque dimension autobiographique, tant le personnage Cook demeure à la périphérie du récit qui est entièrement consacré au monde que l’expédition parcourt, et ce en vertu de sa nature même de journal de voyage d’un officier de la Royal Navy. Si Cook en est le personnage le plus important, ce n’est de lui que les journaux parlent. Il n’y fait aucune confession, et passe sous silence toute allusion à sa personne, en dehors de son statut de commandant de l’expédition. Si le lecteur a accès à ses pensées, ce n’est qu’en ce que celles-ci sont centrées sur les découvertes et les rencontres faites dans le Pacifique, et sur les réflexions qui en découlent. Le cadre officiel dans lequel ce texte est produit, proscrit de fait de parler de soi : là n’est pas le sujet22.
16À quelques endroits, le texte a recours à une narration du second degré, où Cook délègue la fonction de narrateur au profit d’une tierce personne, dont il retranscrit les propos. Ce niveau métadiégétique n’est présent que lorsque Cook lui-même est dans l’incapacité de rendre compte des événements (parce qu’il n’y a pas assisté par exemple, ou parce qu’il n’est pas descendu à terre à ce moment-là et ne peut donc décrire ce qui s’y est passé), et est en parfait accord avec le contrat empirique qui caractérise le texte, et qui veut que le narrateur ne mentionne en son nom que ce dont il a été témoin. Le parti pris d’objectivité et d’authenticité qui caractérise les journaux de James Cook n’empêche donc pas la présence au sein de l’organisation interne de ce texte factuel d’un certain nombre de procédés habituellement attribués aux textes de fiction. Ainsi, comme le souligne Gérard Genette dans Fiction et diction, ce constat permet d’atténuer « l’hypothèse d’une différence a priori de régime narratif entre fiction et non-fiction23 », les deux catégories étant bâties à l’aide des mêmes ingrédients, sans que l’on observe de différences majeures de l’une à l’autre. Mais ceci se limite-t-il à la structure narrative du récit ? Qu’en est-il de son contenu thématique ?
Un roman sans intrigue ?
17Henry Fielding a défini le récit de voyage comme un roman dépourvu d’intrigue24. L’absence d’un système général de liens de causalité permettant de rendre compte de la progression de l’expédition, qui ne trouve dès lors aucune justification en dehors du respect de l’itinéraire établi avant le départ ou des aléas du voyage qui forcent le navire à accoster à tel ou tel endroit, explique en grande partie cet avis. Ainsi, là où le roman se construit sur une série de liens de cause à effet à partir d’une intrigue initiale, le récit de voyage n’est balisé que par les repères spatio-temporels de chaque entrée. De même, la fin du récit de voyage ne saurait être considérée, de prime abord, comme un quelconque dénouement, et ne peut s’envisager autrement que comme le retour au point de départ de l’expédition, signalant ainsi que voyage et récit touchent tous deux à leur fin.
18Il convient pourtant d’essayer de voir un peu plus loin. Dans un premier temps, si le schéma général du texte de Cook ne saurait s’apparenter à une intrigue du type de celles que l’on trouve dans les textes de fiction, au-delà du fait que la structure début-milieu-fin et l’expérience acquise par le personnage à son retour y sont également présentes, on y trouve une structure épisodique qui n’est pas sans rappeler les récits picaresques. À chaque escale, une aventure différente pourrait-on écrire en forçant un peu le trait25. Plus concrètement, certains passages du texte de Cook témoignent d’une véritable mise en intrigue des éléments relatés à l’occasion de la traversée des océans ou lors des escales que le navire y effectue. Vol d’un quadrant à Tahiti26, Tahitiens rôdant mystérieusement autour du campement anglais la nuit et surpris en train d’en escalader la palissade27, Indiens Nootka observant les membres de l’expédition dans un silence inhabituel et inquiétant28, constituent quelques-unes des intrigues que le récit offre au lecteur. Celles-ci ne sont cependant pas toujours développées et restent souvent à l’état d’amorce, dont l’effet est de maintenir l’intérêt du lecteur en éveil et de l’engager à poursuivre son activité de lecture. Des phrases telles que « Je soupçonnai alors que quelque chose se tramait29 », à propos du comportement des indigènes d’Eromanga dans les Nouvelles-Hébrides, ou « En somme, tout nous portait à croire qu’ils avaient l’intention de nous attaquer sitôt que nous serions à terre30 », au moment de débarquer sur l’île de Tanna, jouent par exemple ce rôle. Dans les deux cas, le suspense créé n’est pas entretenu longtemps au-delà de cette simple mention initiale et ne donne lieu à aucun développement ultérieur. Mais il n’en est pas toujours ainsi et certaines de ces intrigues se voient accorder un traitement textuel considérable. C’est le cas par exemple des événements produits autour du vol d’une chèvre à Moorea lors du troisième voyage. À la date du 6 octobre 1777, au moment où l’expédition s’apprête à quitter cette île, Cook note dans son journal :
[…] un incident se produisit qui nous causa quelques tracas : des naturels emportèrent l’une des chèvres que nous avions mises à paître à terre sous la garde de deux hommes. La perte de cette chèvre n’aurait pas eu grande importance si ce n’était mon intention d’implanter ces animaux dans les îles environnantes. Il était donc nécessaire de la récupérer31.
Cook semble ici conscient du caractère a priori banal et sans importance de la disparition de cette chèvre, et la justification qu’il donne pour retarder le départ du navire cache mal l’affront que le capitaine pense subir de la part des indigènes et qui le force à agir avec tous les moyens dont il dispose pour récupérer l’animal et le voleur. De fait, l’affaire prend une tournure considérable et s’étale sur plusieurs jours, jusqu’au 10 octobre, connaissant maints prolongements et rebondissements jusqu’à ce que coupable et butin soient enfin retrouvés et que l’expédition puisse reprendre sa route. Durant toute cette période, l’intrigue initiale déclenchée par le vol de la chèvre occupe l’essentiel des entrées du journal. Rien d’autre ne semble se passer, ou du moins intéresser le narrateur, jusqu’à ce que celui-ci livre sa conclusion de l’affaire sous forme de regrets : « Et c’est ainsi que prit fin cette malheureuse affaire, autant regrettée par les indigènes que par nous-mêmes32 ». Le lendemain, 11 octobre, les relations entre les deux camps s’étant parfaitement rétablies, les navires appareillent pour Huahine, vers d’autres aventures33.
19Bien que les entrées en mer semblent a priori moins propices à la mise en place et au développement d’intrigues du type de celles déclenchées par la rencontre avec l’Autre, la lecture du texte de Cook montre qu’à bord du navire, les relations entre membres d’équipage sont parfois l’occasion d’événements dignes de figurer au nombre de ces « occurrences remarquables » que le récit contient. On se souvient par exemple de l’affaire Orton au premier voyage, qui s’étala sur plusieurs semaines et dont le coupable ne put jamais être véritablement identifié34. Cependant, c’est plutôt dans la confrontation aux éléments que se situe l’origine du suspense créé parfois à l’occasion d’une mer démontée ou d’un récif imprévu. C’est l’effet produit par exemple à l’arrivée du Resolution à Huahine en mai 1774, alors que « la mer se brisait à une hauteur prodigieuse et avec une violence terrifiante35 ». Le lecteur est placé dans une situation d’incertitude quant au bon déroulement des manœuvres qui permettront à l’équipage de descendre à terre. Ici cependant, l’effet créé n’est pas développé : les navires parviennent à accoster sans trop de souci, et le suspense n’aura été finalement que de courte durée. Mais il arrive ici aussi que le narrateur installe son récit dans une tension progressive qu’il entretient jusqu’à son dénouement, et qui dénote un véritable souci de dramatisation des événements relatés, comme en témoigne l’un des passages les plus captivants que contient le journal du premier voyage : la remontée de la côte est de l’Australie et la traversée de la Grande Barrière de Corail. De juin à août 1770, l’Endeavour se trouve en effet prisonnier des récifs et, ne parvenant pas à mouiller, manque plusieurs fois de s’échouer et de sombrer. Le récit de ces longues semaines d’angoisse met très naturellement l’accent sur le danger et la fin toute proche qui guettent les membres de l’expédition. À la date du 16 août par exemple :
Un peu après quatre heures, le mugissement de la houle se fit entendre sans doute possible, et au jour l’immense écume des lames n’était que trop visible, à moins d’un mille de nous, le vaisseau étant porté vers elle par les vagues avec une étonnante rapidité. Nous n’avions à ce moment pas un souffle de vent, et la profondeur de l’eau était insondable, de sorte qu’il n’y avait aucune possibilité de jeter l’ancre. Dans cette détresse, nous n’avions d’autre recours que la Providence, et l’aide médiocre que les chaloupes pouvaient nous fournir […] la même eau qui battait les côtés du navire brisait à une hauteur prodigieuse au moment où elle montait, de sorte qu’entre nous et la destruction il n’y avait qu’une épouvantable vallée d’eau, de la largeur de la base d’une vague, et on ne trouvait pas le fond avec cent vingt brasses. À ce moment, la pinasse étant remise en état, je la fis mettre en mer et l’envoyai en avant pour nous touer ; malgré quoi nous n’avions guère d’espoir de sauver ni notre bâtiment ni nos vies, car nous étions à dix bonnes lieues de la terre la plus proche, et les chaloupes ne pouvaient suffire à nous porter tous36.
La situation désespérée dans laquelle semble être le navire (fort courant, impossibilité d’ancrer, absence de vent, etc.) est soulignée par l’utilisation d’un vocabulaire précis (« détresse », « prodigieuse », « destruction, « épouvantable ») qui transmet l’imminence du naufrage. Cook s’arrête d’ailleurs quelques instants sur la nature de ce danger pour préciser :
Tous les dangers auxquels nous avions échappé étaient peu de chose en comparaison de celui auquel nous étions exposés, d’être jetés contre ce banc, sur lequel le navire devait fatalement être brisé et voler en éclat en une minute. On ne sait pour ainsi dire pas en Europe ce qu’est un banc tel que celui dont il s’agit : c’est une muraille de rochers de corail qui s’élève presque perpendiculairement de l’océan insondable37.
Souligner le caractère exceptionnel du danger auquel les marins de l’Endeavour sont confrontés revient ici à mettre en avant le comportement exemplaire de ces derniers, car « dans cette situation vraiment terrible, pas un seul des hommes ne cessa de faire tout son possible, et cela avec autant de calme que si aucun danger ne nous avait menacés38 ». Cependant, jusqu’au dernier moment, l’issue demeure incertaine. En dépit de l’arrivée fortuite d’une brise qui facilite les manœuvres du navire à travers les récifs, le danger demeure très présent, ainsi que le dénote une fois de plus l’emploi de formules telles que : « nous étions toujours pris entre les mâchoires de la destruction39 ». Peu de temps après, un passage est découvert et l’Endeavour jette l’ancre dans une crique abritée.
20L’épisode tout entier est construit autour du suspense créé par l’incertitude d’une navigation dangereuse où le naufrage, et donc la mort probable, demeurent des éléments permanents que le texte s’emploie à rappeler régulièrement au lecteur. Le vocabulaire utilisé tend à installer immédiatement le lecteur dans une atmosphère de risque sans cesse grandissant. Il faut noter cependant qu’au moment où Cook rédige ces entrées, le navire est en sûreté. L’importance du danger, tel que celui-ci se présente dans le récit, nécessitait la présence permanente du capitaine au poste de commandement, ce qui ne lui laissa sans doute que peu de temps pour tenir à jour son journal et rédiger sur le moment les longues entrées qui caractérisent l’épisode. Dès lors, ce qui est donné à lire apparaît bien comme une reconstruction dans laquelle la dramatisation de l’événement procède d’un choix délibéré de bâtir le texte sur une tension dramatique extrême. Le problème évoqué ici est celui du recul qu’a l’auteur sur les événements qu’il consigne, confronté au besoin d’immédiateté que requiert le compte rendu d’un tel épisode. La lecture des entrées concernées montre que, dans une certaine mesure, Cook avait conscience de ce double point de vue qui mêle observation spontanée et connaissance ultérieure et complète de l’événement, dont la narration ne peut s’envisager qu’après que la tempête soit passée et que tout danger ait été éloigné. La nature même du journal qu’il tenait exigeait que Cook consigne ses observations de la manière la plus directe qu’il soit. Tout travail ultérieur de révision du texte procède donc d’une stratégie narrative délibérée, où la mise en intrigue des événements vécus et le suspense qui y est associé apparaissent comme une dynamique fondamentale du récit.
21Au troisième voyage, ce travail de mise en intrigue se fera encore plus évident. Ainsi, la nuit du 18 au 19 décembre 1778, au large des côtes hawaïennes, est évoquée en termes qui préparent déjà le lecteur au danger à venir : « la nuit était sombre, sous le tonnerre, les éclairs et la pluie40 ». Quelques heures plus tard lorsque le soleil se lève, l’équipage prend toute la mesure du danger encouru :
[…] une houle terrifiante se brisait sur le rivage, distant d’une demi-lieue à peine. À l’évidence, nous avions été en grand danger, et nous n’en étions toujours pas protégés. Le vent tourna plus à l’est, et pendant quelques instants nous restâmes à bonne distance de la côte. Notre situation devint alarmante lorsque l’une des cordes de la grand’ voile céda, ce qui eut pour effet que la voile elle-même se déchira. Deux voiles de perroquet connurent le même sort, bien qu’elles n’aient pas été autant usées. Nous réussîmes cependant à accrocher les autres aux vergues et nous laissâmes la terre à l’arrière41.
Si le cadre du récit est donné d’emblée par la mention de la nuit lourde de potentiel dramatique (qui n’est pas sans rappeler la première scène de Macbeth), le vocabulaire employé (« houle terrifiante », « grand danger », etc.) ainsi que la construction en crescendo à partir du constat d’un danger évité jusqu’alors mais encore bien présent et de surcroît augmenté (« Notre situation devint alarmante ») du fait des avaries subies par le navire, signalent à nouveau la volonté de Cook d’inscrire ce passage dans un registre de suspense grandissant, preuve de l’important travail de composition effectué par Cook sur son texte. De manière paradoxale, Cook, en arrivant au Cap en mars 1771, dénoncera cette tentation de la dramatisation et s’en prendra à ces auteurs qui, non contents de ne retenir du voyage que ce que le navire a pu endurer, en rajoutent toujours plus. De cette tentation, nous l’avons vu, Cook lui-même n’est pas exempt, même si ce qui semble poser problème à ses yeux est moins le fait de dramatiser les dangers vécus, que d’en mentionner certains qui n’eurent jamais lieu42.
22Ainsi, si chacun des journaux de Cook n’est mû par aucune intrigue générale qui serait poursuivie jusqu’à son dénouement, force est de constater la présence d’intrigues mineures disséminées ça et là dans le corps du texte, plus ou moins développées, plus ou moins bâties sur une tension dramatique contrôlée, mais qui viennent toutes animer le compte rendu quotidien du déroulement de l’expédition, illustrant par là-même le fait que bien que les journaux se veulent témoignages directs de l’expérience viatique, ils sont avant tout le fruit d’un long travail de composition et de réécriture, proche, finalement, de celui auquel se livrent les auteurs de fiction. Car comme l’écrit Percy G. Adams : « Il n’y a que dans les romances les plus imaginatives que le héros fait face à des cannibales en Nouvelle-Zélande ou revient d’un périple infernal sur la grande barrière de Corail comme l’a fait Cook […] C’est sans aucun doute l’archétype du voyageur réel […] qui est le protagoniste légitime des romances43 ».
Narrateur et destinataires
23L’identité du narrateur des journaux de Cook ne pose apparemment pas de problèmes. James Cook écrit à la première personne, en sa qualité d’officier de la Royal Navy, et sa signature apparaît à plusieurs endroits du texte, en fin de récit par exemple, ou au bas des lettres ou des messages qui sont inclus dans le texte. Mis à part le cas particulier où Cook retranscrit mot pour mot certains rapports de ses officiers, le récit n’est jamais délégué à une tierce personne, pas plus qu’il n’est délégué à un narrateur imaginaire, nommé ou non, témoin oculaire des événements décrits ou simple confident du capitaine qui lui aurait confié le soin de mettre par écrit l’histoire relatée. Contrairement à bon nombre de récits de voyage du xviiie siècle, aucun problème d’authenticité du narrateur ne se pose à la lecture des journaux de Cook. Il aurait d’ailleurs pu difficilement en être autrement quand on considère la nature première de ce texte. Journal de bord d’une expédition organisée par l’Amirauté, le récit revêt un caractère officiel qui ne souffre a priori aucun écart du modèle imposé par les commanditaires. Pourtant, selon une distinction méthodologique bien établie, Cook auteur, Cook narrateur et Cook personnage ne sauraient être totalement confondus, et l’image du capitaine que dévoile le texte est parfois en contradiction avec ce que d’autres membres des expéditions écrivent dans leurs journaux respectifs ou avec ce que Cook lui-même laisse apparaître dans certaines de ses lettres. Nous avons déjà signalé plus haut combien la modestie dont il fait preuve, par exemple, quant aux avancées historiques que constituent ses découvertes dans le Pacifique au retour de la première expédition, souffre de la comparaison avec ce qu’il écrit par ailleurs dans ses lettres à son ancien employeur et ami John Walker. De la même manière, certains événements, certaines décisions, certaines attitudes, se voient présentés sous un jour différent dans les journaux de ses compagnons de voyage que ce qu’ils sont dans les journaux de Cook. Le recrutement du Tahitien Tupia à bord de l’Endeavour, par exemple, offre ici une illustration intéressante de cet écart. Cook, à l’entrée du 13 juillet 1769, signale simplement qu’il a rejoint l’équipage44. Pour Joseph Banks, il en est autrement : « Le capitaine refuse d’en assumer la responsabilité à bord […] J’ai donc décidé de le prendre à ma charge45 ». À aucun moment, Cook ne fait part de ses réticences, désireux sans doute d’éviter toute erreur de jugement sur un passager dont la présence s’avère rapidement capitale pour le bon déroulement de l’expédition.
24Autrement significatives sont les références à la santé du capitaine. Tout au long des expéditions, la maladie vient frapper l’équipage de plein fouet. On se souvient du terrible bilan de la crise de malaria qui atteint l’équipage à Batavia lors du premier voyage : sept décès sur place et un grand nombre de malades dont la plupart mourront dans les semaines qui suivent. Cook en sort miraculeusement indemne. Or, Joseph Banks une fois de plus, et Sydney Parkinson, artiste-peintre de l’expédition, montrent dans leurs journaux respectifs que Cook à cette époque n’est pas épargné et est contraint à plusieurs reprises de garder la cabine, incapable de conduire l’expédition. De cette incapacité temporaire, le journal du premier voyage ne conserve aucune trace. Et lorsque Cook est parfois contraint de mentionner son état de santé (c’est le cas par exemple lorsqu’il est soigné par le chirurgien du Resolution James Patten qui garde un registre officiel des soins qu’il prodigue), il en atténue considérablement le bilan. Ainsi, alors qu’aux abords de l’île de Pâques, Cook avoue qu’il souffre d’« une colique biliaire si violente qu’elle m’oblige à rester alité46 », pour Johann Reinhold Forster l’analyse est bien plus inquiétante : « son cas était désespéré », écrit-il de manière laconique47. De la même manière, certaines erreurs de jugement de Cook sont passées sous silence, comme, par exemple, son refus de faire étudier par Forster un poisson qui s’avère par la suite vénéneux et intoxique une partie des officiers, ou encore le compte rendu de relations parfois tendues entre le commandant et son équipage.
25Notre propos n’est pas ici de juger cette pratique, ni de dresser la liste exhaustive des écarts entre l’homme et le personnage que dévoilent les journaux, mais bien de montrer qu’il y a là la construction volontaire d’un narrateur-personnage qui se présente constamment sous son jour le plus favorable, celui d’un homme robuste au jugement sûr et à l’autorité incontestable, à la fois admiré et craint de ses hommes. Dans les journaux annexes, c’est un autre homme qui se présente à nos yeux de lecteur. Tout récit sert son auteur. Dans le cas de Cook, il est clair que ce dernier avait fort à gagner auprès de l’Amirauté en offrant aux commanditaires de l’expédition, l’image de l’officier parfait48.
26La question du narrateur appelle celle du destinataire. Dans le cas des journaux de Cook, les Lords de l’Amirauté sont bien évidemment les premiers récepteurs du texte, mais il apparait pourtant assez clairement que Cook rédigea ses journaux pour un auditoire plus large que les simples commanditaires du texte. Ainsi, ses réflexions sur le degré de civilisation de tel ou tel peuple rencontré, ou ses témoignages sur les coutumes et la religion pratiquées dans les Mers du Sud dépassent largement le cadre du simple compte rendu d’un voyage motivé par des impératifs politico-commerciaux, pour basculer dans le débat d’idées qui animait les écrits des penseurs de l’époque. Dans ce cas précis, le texte de Cook prend les allures d’un dialogue avec un hors-texte, dans lequel les théories existantes et véhiculées par les penseurs européens sont mesurées à l’aune de l’expérience viatique. De la même manière, géographes, scientifiques et botanistes se voient directement concernés par les aspects du texte qui touchent aux caractéristiques des lieux visités, aux diverses expériences menées lors de l’expédition, ou à la description d’espèces végétales et animales jusque-là inconnues. De temps à autre, le lecteur est interpellé, sans que ne soit explicitement précisé à quel type de lecteur le récit s’adresse à ce moment précis. Dans une phrase comme : « Depuis que nous avons quitté la pointe de Java, j’ai consigné peu de remarques qui puissent être utiles au navigateur ou à toute autre personne qui tomberait sur ce journal49 », l’expression « toute autre personne » est suffisamment vague pour pouvoir renvoyer à tout type de lecteur en dehors du navigateur, caractérisé indépendamment. Que le récit de Cook ne vise pas uniquement les Lords de l’Amirauté apparaît parfois au détour du texte, de manière quasi-anonyme. Ainsi, la définition du calendrier nautique et la justification de son emploi par rapport au calendrier civil, ou encore la définition des « jours de Banyan » au second voyage50, indiquent clairement que Cook avait à l’esprit un autre lectorat que les Lords de l’Amirauté qui n’avaient pas besoin, eux, de telles précisions.
27Si l’adresse au lecteur ne permet pas toujours d’identifier le destinataire visé par le texte, c’est le contenu même qui nous en informe : botanistes, scientifiques, géographes, philosophes, navigateurs, mais aussi simples lecteurs avides de récits d’aventure. Cette dernière catégorie semble bien être la plus recherchée. Philip Edwards a estimé à environ deux mille le nombre de récits de voyages maritimes publiés en Angleterre au cours du xviiie siècle51, une production qui dépasse largement celle de la fiction pour la même période. L’engouement du public pour les récits de voyage, particulièrement lorsque ceux-ci se déroulent dans cette lointaine inconnue qu’est la Mer du Sud, est confirmé, comme nous l’avons indiqué dans notre introduction, par les lettrés du siècle des Lumières eux-mêmes52. Le fort attrait du public pour les récits de voyage nous semble constituer un paramètre important dans l’étude des journaux de Cook en ce sens qu’il a pu avoir une incidence directe sur la rédaction du texte et les révisions que l’auteur y apporta. Si le texte du premier voyage semble en partie échapper à cette considération (Cook n’avait alors sans doute pas à l’esprit d’écrire autre chose qu’un simple journal de bord à destination exclusive de ses supérieurs), la lecture des journaux suivants révèle la prise de conscience d’un auditoire plus large dont les attentes interviennent en quelque sorte sur la rédaction du récit.
28Aux différents discours appelés par la multiplicité des destinataires implicites des journaux s’ajoute donc un niveau supplémentaire qui voit le texte de Cook prendre position par rapport à une attente du public en matière de récit de voyage. À la lumière de ce que nous venons d’écrire, les journaux de Cook apparaissent véritablement comme le lieu d’un dialogue entre plusieurs discours qui s’inscrivent en marge du modèle officiel imposé par la Royal Society et l’Amirauté.
Un texte polyphonique
29La notion même de dialogue évoque immédiatement à l’esprit le nom de Mikhaïl Bakhtine. Selon le concept de dialogisme développé par le théoricien russe, tout texte, qu’il soit littéraire ou non, est le produit d’un dialogue entre plusieurs discours qui s’entrecroisent, se questionnent et se répondent. De cette confrontation naît le sens, qui ne saurait donc être figé en un endroit précis que l’analyse littéraire se chargerait de débusquer. Dans le domaine des récits de voyage, cette théorie s’avère bien précieuse pour rendre compte d’un type de textes que la critique littéraire peine à codifier complètement, et dont la nature plurielle (y sont en effet associés de nombreux genres et discours) peut être par là-même clairement reconnue53. La souplesse de la théorie bakhtinienne permet justement, de par son ouverture, d’appréhender le récit de voyage sous ses différentes facettes. Ainsi, les aspects documentaires des journaux de Cook se présentent comme autant de discours différents régis par des codes qui leur sont propres et le langage qui en assure la transmission varie d’un aspect à l’autre. Au langage technique et précis des informations d’ordre maritime et scientifique s’oppose par exemple le vocabulaire et la syntaxe plus relevés qui caractérisent les remarques plus personnelles de Cook sur les habitants des lieux qu’il visite. Cette mosaïque de discours à l’intérieur du récit transforme le narrateur unique des journaux de Cook en une entité protéiforme, tour à tour navigateur, scientifique, géographe, explorateur, aventurier, ethnologue ou philosophe, et qui conserve à chaque fois une certaine disparité de ton, sans souci particulier d’harmonisation. À cette mosaïque de discours, s’ajoute un dialogue avec un hors-texte, dont la manifestation la plus marquante reste sans doute les contributions de Cook au débat sur le mythe du Bon Sauvage, où les positions de l’auteur ne se comprennent véritablement qu’en relation avec ce que le discours des Lumières véhicule sur ce thème à la même époque. À titre d’illustration, nous pouvons examiner rapidement la question du discours impérialiste qui sous-tend le texte de Cook.
30S’il ne fut directement à l’origine d’aucune implantation de type colonial dans le Pacifique, Cook peut être néanmoins considéré, de par les découvertes qu’il effectua dans cette partie du monde et grâce aux accomplissements de certains de ses officiers dans ce domaine à la fin du xviiie siècle, comme l’un des pères fondateurs de l’empire britannique54. La lecture des journaux offre pourtant de prime abord une vision des indigènes que l’on qualifierait volontiers d’humaniste, avec pour corollaire, la dénonciation des prétendus bienfaits de la civilisation. Dans un passage célèbre que nous avons déjà évoqué, Cook prend à ce sujet une position claire, qui semble ne souffrir a priori aucune contestation. Rappelons ce qu’il écrit après avoir commenté l’attitude des Maoris néo-zélandais en matière de mœurs :
Telles sont les conséquences du commerce avec les Européens, et ce qui est encore plus honteux pour les Chrétiens civilisés que nous sommes, est que nous déréglons leurs mœurs, déjà trop disposées au vice, et nous introduisons parmi eux des besoins et peut-être des maladies qu’ils ne connaissaient pas auparavant, et dont le seul effet est de perturber cette heureuse tranquillité dont ont joui leurs ancêtres et eux-mêmes jusqu’à présent. Si quiconque nie le fondement de ce que j’avance, qu’il me dise ce que les Naturels du continent américain tout entier ont gagné de leur rencontre avec les Européens55.
Ces quelques lignes donnent l’image d’un homme conscient et soucieux des dégâts occasionnés par le contact entre la civilisation européenne et les sociétés indigènes rencontrées, dans le Pacifique, mais également sur le continent américain. Nous avons vu ailleurs, dans sa description des Aborigènes australiens par exemple, qu’il vouait une certaine admiration à ces sociétés qui vivaient à l’abri des inégalités de condition, dans une tranquillité d’esprit que leur permettait une nature bienveillante. À ces exemples peut également s’ajouter l’amitié sincère que semble éprouver Cook pour certains Tahitiens et Maoris qu’il retrouve d’un séjour à l’autre. Mais à y regarder de plus près, un autre discours fait bientôt surface, qui vient remettre notre première analyse en question. Ainsi, l’amitié que nous venons d’évoquer n’est pas extensible à l’ensemble des indigènes. Les châtiments corporels, l’emprisonnement, ou la confiscation, voire la destruction, des biens constituent des recours permanents dans le traitement des relations avec les indigènes. Si Cook recommande aux membres de son équipage de ne pas faire une utilisation trop fréquente des armes à feu, c’est moins par sentiment humaniste que parce qu’un usage trop systématique les rendrait inopérantes face à des indigènes qui en connaitraient bientôt les faiblesses, et sauraient plus facilement s’en accommoder56. De même, on décèle aisément un certain paternalisme chez Cook et un ton condescendant lorsqu’il mentionne ses hôtes tahitiens ou maoris. La lecture des journaux donne rarement le sentiment d’une égalité totale entre Anglais et Indigènes, et si elle revêt une coloration humaniste, la description que fait Cook des lieux qu’il visite porte toujours en elle la trace d’une amélioration possible par l’entremise de l’action de colons anglais qui s’y seraient installés. Une anecdote mentionnée dans le texte du troisième voyage nous semble contenir en substance la position de Cook sur le sujet. En novembre 1777, le journal enregistre la désertion à Ulieta du jeune enseigne de vaisseau Alexander Mouat, fils d’un officier de la Royal Navy qui avait navigué avec le Commodore Byron en 1764. Quelques jours plus tard, le déserteur est retrouvé et ramené à bord. Cook conclut alors : « Ainsi se termina cette affaire qui me causa plus de soucis et de vexation que n’en méritaient les gens impliqués, et que je n’aurais pas menée à son terme, si ce n’était pour la raison que j’ai déjà mentionnée et pour éviter que le fils d’un camarade officier ne fût perdu pour le monde civilisé57 ».
31On comprend aisément la nécessité de récupérer absolument tout homme manquant à l’appel. Une désertion impunie n’aurait pour effet que de stimuler d’autres vocations dans ce domaine, ce qui mettrait la bonne poursuite de l’expédition en péril. Mais la présence de l’expression « perdu pour le monde civilisé » fait apparaître une dimension supplémentaire. En effet, tout attrayante que puisse être aux yeux de Cook la vie sur l’une des îles du Pacifique, cette vie ne saurait correspondre au fils d’un officier de la Royal Navy, appelé sans doute lui-aussi un jour à commander un des navires de la flotte anglaise. Comme le souligne Tzvetan Todorov dans Les Morales de l’histoire, le « monde civilisé » n’est jamais pluriel aux xviiie et xixe siècle, car de monde civilisé, il ne peut en exister qu’un, celui de l’homme blanc. Tout ce qui s’en différencie ne saurait véritablement être considéré comme civilisé58. Il faut préciser toutefois que Cook ne semble pas avoir toujours été du même avis. On se souvient par exemple que la tentative de désertion du canonnier John Marra à Tahiti au second voyage avait été accueillie avec compréhension59. Sans préjuger d’un éventuel changement d’opinion entre deux voyages, nous pouvons émettre l’hypothèse ici de l’interaction sociale de deux discours, l’un qui développe une image positive de la vie dans le Pacifique, qui conviendrait dès lors à tout Européen, l’autre, sans doute plus officiel, qui place les sociétés du Pacifique en dessous de la civilisation européenne, et dont un fils de bonne famille ne saurait s’accommoder. C’est cette même opposition que l’on retrouve dans le traitement, tantôt paternaliste, tantôt amical, que propose Cook des indigènes qu’il rencontre.
32La mise en scène dans le texte de Cook d’une grande variété de voix qui entrent en communication entre elles et avec le hors-texte, se retrouve également dans le dialogue qu’entretient Cook, via son journal, avec ses prédécesseurs directs dans le Pacifique, au premier rang duquel se trouve Samuel Wallis, dont il possédait le journal et les cartes à bord de son navire. Si l’image même de Tahiti précède sa découverte dans la seconde moitié du xviiie siècle, et que l’idée d’une île tropicale lointaine, vestige d’un monde d’avant la Chute, monde d’abondance exempt des contraintes imposées à l’homme par la culture judéo-chrétienne, font partie de l’imaginaire européen bien avant l’arrivée de Wallis dans l’archipel de la Société, il est incontestable que c’est d’abord à partir de cet événement que se construit le discours de Cook.
33Enfin, c’est dans le dialogue qu’il entretient avec les attentes du public que le journal de Cook prend toute sa dimension. Nous avons déjà évoqué le fait que la popularité de ce type de textes au xviiie siècle était un paramètre que l’on pouvait difficilement écarter dans l’analyse du texte de Cook. La dramatisation de certains épisodes du voyage, tels que les conflits avec les indigènes ou la lutte courageuse de l’équipage avec un élément marin déchaîné participe bien évidemment de ce dialogue. De tels récits se nourrissent du même type de récits rencontrés dans la fiction, elle-même inspirée des relations de voyage authentiques. Cannibales, tempêtes, naufrages, mais aussi cadre exotique et indigènes aux mœurs libérées, nous retrouvons rassemblés ici les ingrédients des fictions de voyage dont étaient friands les lecteurs du siècle des Lumières, dans la lignée des aventures de Robinson Crusoe, du Capitaine Singleton ou de Lemuel Gulliver pour ne citer que quelques-uns des plus célèbres héros du genre. Le discours réaliste des journaux, qui se veut reflet du réel rencontré dans les Mers du Sud, cache la tentation toujours présente d’un discours plus littéraire qui vient affleurer à la surface du texte et l’attire vers le domaine de la fiction.
34À travers le dialogisme de Bakhtine, le sens se fait donc affaire d’échanges entre plusieurs types de discours au sein d’un même texte, mais aussi d’échanges avec un hors-texte contemporain ou passé. Dès lors, le texte de Cook semble ne se présenter plus que comme l’entrelacs des divers discours qui le composent et qui gravitent les uns autour des autres. La matière du récit devient en définitive la mise en relation de l’expérience viatique avec d’autres discours déjà véhiculés, et plus concrètement avec d’autres textes déjà écrits. La question de l’intertextualité se retrouve alors au centre des journaux de Cook.
La question de l’intertextualité
35On note dans les journaux de Cook une absence quasi-totale de références classiques ou bibliques. À peine trouve-t-on mention de l’épisode de Lot et de sa femme changée en statue de sel, si courante qu’elle ne saurait être considérée comme un véritable hypotexte60. Quant aux quelques renvois à des textes classiques que les journaux contiennent, ceux-ci sont généralement à mettre au compte de Joseph Banks et des autres lettrés qui accompagnent les expéditions et qui sont jusqu’au dernier instant une source d’inspiration considérable. Car, si les textes du passé ne semblent pas avoir eu une influence prépondérante sur l’écriture de Cook, il en va tout autrement des récits de ses prédécesseurs directs dans le Pacifique par exemple, ou, de manière plus marquante, des journaux de ses compagnons de voyage dans lesquels il puisa en de nombreuses occasions la matière première de son récit. Joseph Banks au premier voyage, William Wales au second ou encore William Anderson au troisième, sont ainsi des sources importantes qui vont fournir à Cook descriptions, sujets de réflexion, allusions et tournures littéraires, et par là-même participer à sa formation d’auteur. L’intertextualité dans les journaux de Cook est donc moins verticale, résurgence de textes du passé, qu’horizontale, présence effective de textes contemporains du journal.
Une intertextualité horizontale
36La présence de textes des membres de l’expédition au sein du texte de Cook se manifeste d’abord visuellement. C’est le cas par exemple de la retranscription verbatim du journal du capitaine Tobias Furneaux couvrant la période durant laquelle les navires Resolution et Adventure sont séparés (8 février-18 mai 1773). L’intertexte y est parfaitement annoncé, authentifié et assumé, Cook ne cherchant pas à faire sien un texte qu’il prend soin par ailleurs de commenter et critiquer. Çà et là, on note la présence de passages directement puisés dans les journaux de certains des membres d’équipage, et annoncés comme tel : les écrits de William Wales ou Richard Pickersgill au deuxième voyage, de John Gore, William Anderson, William Bligh ou James King au troisième se retrouvent ainsi incorporés au texte de Cook. Mais la présence intertextuelle sait aussi se faire plus discrète et s’intégrer au texte qui l’accueille en dissimulant sa provenance. Le récit du premier voyage offre dans ce domaine un exemple intéressant, celui du journal de Joseph Banks.
37La mise en regard des journaux de Cook et de Banks met en avant de nombreux passages identiques d’un texte à l’autre, tout particulièrement à l’occasion de l’escale tahitienne pour laquelle le journal du botaniste fut une véritable mine pour Cook qui y puisa tout ce qui concernait la faune, la flore, ou encore les coutumes des Tahitiens. La comparaison des passages respectifs sur les habitations tahitiennes est particulièrement parlante. Banks écrit par exemple :
Les maisons ou plutôt les huttes de ce peuple prennent admirablement en compte la chaleur continue du climat. Elles ne sont pas regroupées en villages ou en villes mais se trouvent séparées les une des autres, en fonction de la taille du domaine de leur propriétaire. Elles sont toutes bâties dans les bois on ne coupe que le nombre d’arbres nécessaire pour empêcher que l’eau qui coule des branches ne pourrisse le chaume qui couvre le toit, si bien qu’en sortant de la maison on se retrouve immédiatement sous l’ombrage le plus agréable que l’on puisse imaginer. Aucune contrée ne peut se vanter de posséder de plus belles promenades : les plaines sont couvertes de bocages de fruit à pain et de noix de coco, sans broussailles, et entrecoupés de toutes parts de sentiers qui vont d’une maison à l’autre. Le pays tout entier est un ombrage et rien n’est plus délicieux dans un climat où le soleil est si fort. Les maisons n’ont point de murs et l’air, rafraichi par l’ombre des arbres, y circule librement, de quelque direction qu’il puisse souffler61.
La même rubrique donne chez Cook :
Les maisons ou plutôt les huttes de ce peuple prennent admirablement en compte la chaleur continue du climat. Elles ne sont pas regroupées en villages ou en villes mais sont construites dans les bois, séparées les une des autres. Elles n’ont pas de murs, si bien que l’air, rafraichi par l’ombre des arbres, y circule librement, quelque soit la direction dans laquelle il souffle. Aucune contrée ne peut se vanter de posséder de plus belles promenades : les plaines sont couvertes de bocages de fruit à pain et de noix de coco, sans broussailles, et entrecoupés de toutes parts de sentiers qui vont d’une maison à l’autre. Rien n’est plus délicieux dans un climat où le soleil est si fort62.
On serait tenté ici qualifier l’emprunt de Cook à Banks de plagiat, tant la ressemblance est grande entre les deux extraits. D’autres rubriques telles que la nourriture ou l’art du tatouage présentent elles aussi de frappantes similitudes63. Dans ces passages particuliers, Cook semble, à peu de choses près, avoir simplement copié le texte de Banks, même si l’ordre des rubriques n’est pas toujours le même, et si certains détails que fournit Banks sont remplacés par d’autres, plus personnels64.
38L’utilisation que fait Cook du texte de Banks sait aussi se faire plus subtile. À travers ses emprunts, Cook prend soin de ne jamais sortir de son personnage d’officier de la Royal Navy, peu familier des références culturelles et savantes d’un homme tel que Joseph Banks. Entendons par là qu’il sait qu’il n’aurait pu tromper les Lords de l’Amirauté bien longtemps quant à l’authenticité de ses descriptions, et qu’il n’emprunte finalement à Banks ce que lui-même aurait pu produire. Les allusions littéraires ou classiques sont ainsi généralement laissées de côté. Lorsque Banks cite un vers de Virgile, mentionne le Comus de Milton, ou encore lorsqu’il évoque Homère en référence à une troupe de musiciens ambulants, Cook se repose sur des références plus populaires, telle que la célèbre marionnette anglaise Punch, à laquelle est comparée une statuette en osier du dieu Mahuwe65. De la même manière lors du deuxième voyage, Cook choisira de ne pas utiliser la citation de La Nuit des Rois que contient le journal de Wales, ni la référence biblique dite de l’obole de la veuve, que ce même Wales emploie pour évoquer la générosité des habitants de l’île de Pâques66. À une seule occasion conserve-t-il les allusions classiques à Homère, Aristote, et plus proche de lui, Pope, que contient le texte de William Wales au sujet des habitants de l’île de Tanna, mais ce n’est pas sans avoir précisé en introduction à la citation : « Je ne peux terminer cette description de leurs armes sans inclure un passage entier du Journal de Mr. Wales. Continuellement à terre parmi les indigènes, ce gentleman eut de meilleures occasions de voir ce qu’ils étaient capables d’accomplir qu’aucun de nous. Ce passage est le suivant67 ».
39Cook signale ainsi qu’il reprend mot pour mot ce qui est produit par Wales, évocations classiques comprises. Ailleurs, lorsque la référence classique est inévitable, elle n’est ni développée ni explicitée chez Cook. Au premier voyage, on trouve par exemple parmi les Tahitiens que rencontrent les membres de l’expédition, un certain nombre de personnages importants, auxquels sont donnés des noms de héros grecs, mythologiques ou réels. Au gré des pages du journal, on voit ainsi apparaître les noms célèbres de Lycurgue ou d’Hercule, jusqu’à ce que leurs noms tahitiens soient connus. Le journal de Banks nous livre quelques détails sur l’origine de ces choix. On y apprend ainsi que l’un des Tahitiens est appelé Lycurgue à cause du sens extrême de la justice qu’il dispense auprès de ses sujets, et que la grande taille d’un autre le fait surnommer Hercule68. Dans les deux cas, Cook s’approprie la dénomination mais n’en justifie nullement le choix auprès des lecteurs69.
40Dans le domaine plus savant des descriptions de la faune de la flore, Cook prend également soin d’éviter les dénominations latines que Banks, en bon disciple de Linné, donne aux espèces observées, et préfère leur découvrir, comme nous l’avons vu plus haut, des similitudes ou des différences avec les espèces anglaises ou plus largement européennes qui lui sont familières. Certaines distinctions introduites par Banks sont ainsi absentes du texte de Cook, car seule une maitrise suffisante dans le domaine du naturalisme aurait pu les y faire apparaître. Dans certaines occasions pourtant, l’œil inculte de Cook sait se faire plus pertinent que celui du savant Banks. Les nuées d’oiseaux que l’équipage de l’Endeavour aperçoit dans le ciel entre Tahiti et la Nouvelle-Zélande et estimées à plusieurs millions par Banks sont ramenées au chiffres sans doute plus réaliste de quelques centaines par Cook70. Le travail consciencieux qu’opère Cook sur le texte de Banks n’empêche pas cependant que quelques erreurs puissent se glisser çà et là dans le texte. Ainsi, dans la liste des productions naturelles de l’île, peut-on découvrir parmi les bananes et les noix de coco, « un fruit connu sous le nom de Eug melloa et réputé délicieux71 », que Cook pense être un nom indigène, mais qui s’avère être en fait une lecture incorrecte de Banks qui écrit, lui, « Eug mallacc », abréviation latine de Eugenia malaccensis, la pomme de Java72.
41Si l’influence de Banks sur Cook est manifeste pour la description de Tahiti, elle semble bien se faire plus discrète pour les deux autres grandes étapes du premier voyage : la Nouvelle-Zélande et la côte australienne. On en trouve cependant un certain nombre d’échos, comme lorsque Cook conclut, de manière surprenante, au bonheur de vivre et à la tranquillité d’esprit des Aborigènes qui ne connaissent pas les méfaits de la vie civilisée, idée que l’on trouve également chez Banks, bien que formulée différemment73. Ailleurs, ce sont, disséminées dans le texte, des formules au caractère littéraire marqué qui permettent de lire Banks à travers Cook et de retrouver l’origine de ces tournures et autres effets de style qui dénotent quelque peu avec le ton général de l’écriture de Cook. L’expression déjà mentionnée plus haut des « mâchoires de la destruction », pour évoquer la situation critique dans laquelle se trouve l’Endeavour sur la Grande Barrière de Corail, en est l’une des illustrations les plus marquantes au premier voyage, mais la pratique se répète également lors du récit des voyages suivants, comme en témoigne la présence d’une expression comme « les ravages du temps qui dévore tout », que Cook emprunte à William Wales à l’occasion de la description de l’île de Pâques lors du second voyage74.
« Nearly in his own words », ou le texte recomposé75
42La présence du texte de ses contemporains dans le journal de Cook ne se fait pas sans un travail de recomposition du texte de départ. Cet exercice est parfois clairement reconnu par l’auteur qui livre ses sources et offre ainsi au lecteur la possibilité de retracer l’origine des mots qu’il emploie. Cook reconnait par exemple tenir la relation du séjour du Resolution à l’île de Pâques, de Richard Pickersgill et de William Wales, deux des membres de l’équipage dont il tient le jugement pour sûr. Ces quelques mots qui concluent le récit de Cook pour l’occasion invitent à mettre en regard les récits de Pickersgill et de Wales d’un côté et le texte de Cook de l’autre, afin de mesurer les différentes transformations apportées par Cook à ses sources avant leur intégration au journal : passage de la première à la troisième personne de narration, élimination des guillemets qui encadraient à l’origine la parole de l’auteur, sélection de l’information tantôt chez l’un tantôt chez l’autre, Cook fait ainsi sien le texte de ses collaborateurs, que seule la mention précédemment citée permet de désigner comme les véritables auteurs de ce passage. Dès le premier voyage, cette pratique se superpose à celle, déjà évoquée, qui consiste à reprendre mot pour mot ce que d’autres avaient écrit. Cook ne se contente pas toujours en effet, de copier verbatim le journal de Joseph Banks. Il en modifie certains aspects, enlève certains détails, en ajoute d’autres, augmente ou diminue l’effet désiré, l’incorpore à son récit, le fait sien. Les passages où sont évoqués les dangers de la traversée de la Grande Barrière de Corail sont, dans ce domaine, particulièrement parlants. Dans la nuit du 15 au 16 août 1770, le navire se trouve entraîné à grande vitesse vers un énorme récif qu’il arrive finalement à éviter comme par miracle. Banks évoque l’incident en ces termes : « Tous les dangers auxquels nous avions échappé n’étaient que peu de choses comparés à l’idée d’être projetés sur ce récif, si tel devait être notre sort. On ne connaît pas de tels récifs en Europe ou ailleurs au monde. Il n’y a que dans ces mers-ci que l’on en trouve76 ».
43Le lendemain, c’est l’océan démonté qu’il décrit : « la même lame qui battait le flanc du navire s’éleva et se brisa à une hauteur prodigieuse, de sorte qu’entre elle et nous, il n’y avait qu’une épouvantable vallée, de la largeur d’une vague77 ». Cook mentionne ces événements dans des termes similaires, mais procède à quelques modifications qui en accentuent l’impact. Ainsi, dans le premier passage cité, il substitue à l’expression « si tel devait être notre sort », ces mots bien plus évocateurs de l’imminence du danger : « sur lequel le navire se briserait en mille morceaux en un instant78 ». Dans le second extrait, il rajoute le terme « destruction », et investit le passage d’une force dramatique plus importante. Enfin, là où Banks décrète l’absence de tels récifs ailleurs au monde que dans la mer où le navire se trouve, Cook se contente, plus modeste et plus soucieux de rester dans les limites de son statut de navigateur, de signaler simplement qu’il n’en existe pas de tels en Europe, sans évoquer les autres parties du globe. Aux second et troisième voyages, la pratique se généralise de sorte que chaque passage emprunté est retravaillé avant son incorporation au texte de Cook. Les ajustements auxquels procède celui-ci ont pour effet de mettre en avant sa propre version des faits, son analyse de la situation, tout en prenant appui sur un texte préexistant, afin d’en renforcer l’impact sur le lecteur. Lorsque Wales déclare, par exemple, que les Tahitiennes sont « disposées à accorder leurs faveurs à quiconque est prêt à payer79 », Cook corrige en « tout homme qui y mettra le prix80 ». Là où Wales dresse la liste des ports anglais, repaires de la prostitution, Cook ne donne pas de détails, mais rajoute Covent Garden. De la même manière, Cook ne mentionne pas les maladies contractées au contact des prostituées, mais introduit dans son analyse une distinction de classe, importante à ce sujet, que ne contient pas le texte de Wales, de même qu’il apporte une information supplémentaire sur la question en signalant que les visites de ces Tahitiennes ne se limitent pas au navire, mais ont lieu également dans le campement des Anglais à terre. Plus que de simplement se démarquer du texte de Wales par quelques ajouts personnels, c’est un texte entièrement nouveau que Cook produit.
44La question de l’intertexte en appelle une autre, qui concerne le rôle et l’intérêt de la présence d’autres textes dans le texte de Cook, et dont la première cause semble bien être de combler un déficit informationnel que Cook va chercher chez ses compagnons de voyage. C’est dans les textes de Banks, Wales ou Anderson, pour ne citer que les plus importants de ses collaborateurs, qu’il trouve les descriptions des lieux ou des personnes qu’il n’a pu voir lui-même, et des scènes auxquelles il n’a pu assister, ainsi que les comptes rendus des visites qu’il n’a pu effectuer. Mais l’utilisation de ces textes se présente également comme un moyen d’orner le discours, et révèle un désir chez l’auteur de produire un texte agréable à lire et d’être d’un point de vue stylistique à la hauteur de ce qu’exige son statut d’officier de la Royal Navy. Cette dimension nous semble tout particulièrement intéressante car elle signale un souci de composition qui dépasse largement le cadre du simple rapport de mission et dévoile un certain désir d’écriture que confirment par ailleurs les évolutions que connait le texte de Cook entre le journal du premier voyage et celui du troisième. Enfin, loin d’être érigé en référence absolue, cet intertexte, surtout lorsqu’il est composé des textes de ses prédécesseurs dans le Pacifique, se voit sans cesse remis en question et évalué par l’expérience viatique. C’est cette confrontation entre la bibliothèque et le réel que nous allons examiner maintenant.
« Clear up former mistakes » : la bibliothèque et la carte à l’épreuve du réel81
45La présence effective dans le journal de Cook des textes de certains des membres de l’expédition se double d’une réflexion sur ce que ses prédécesseurs dans le Pacifique ont pu écrire sur cette partie du globe. L’expérience de terrain vient mesurer la pertinence du texte, en confirme ou en corrige éventuellement l’appréciation. Le texte de Cook devient ainsi le lieu d’une confrontation entre un ensemble de discours préexistants et le réel observé lors du voyage. Son discours se construit alors en regard des discours qui le précèdent. Un jugement est porté sur le degré de conformité du texte au vécu, du lu au vu. La bibliothèque ainsi évaluée est prononcée conforme ou non conforme à ce que livre l’expérience du terrain. Si, par exemple, l’île de Timor semble avoir été correctement décrite par William Dampier82, il en va tout autrement du Cap de Bonne-Espérance :
Le cap de Bonne-Espérance a été si souvent décrit et est si bien connu des Européens qu’il semble superflu d’en donner une description supplémentaire. Cependant, je ne peux m’empêcher d’observer que la plupart des auteurs, et tout particulièrement l’auteur du Voyage de Mr. Byron, en ont fait un tableau très supérieur à ce que l’endroit mérite, de sorte que l’étranger qui y arrive est à la fois surpris et déçu, car aucune des terres que nous avons vues au cours de ce voyage ne présente d’aspect plus aride que celle-ci, en apparence comme en réalité83.
Que la description d’un lieu déjà connu des Européens revienne in fine à remettre en question ce qui en a déjà été écrit semble bien avoir été assez rapidement perçu par Cook. À Batavia par exemple, il confie que « quiconque donne une description fidèle de l’endroit se doit de contredire en bien des points ce que les auteurs que j’ai eu l’occasion de consulter ont écrit sur le sujet84 ». S’il arrive que Cook souligne la conformité de la bibliothèque avec ce que le voyage dévoile85, ce sont plus souvent une dénonciation et une rectification des énoncés incorrects qui se produisent, comme pour la description de l’île de Sainte-Hélène publiée par John Hawkesworth en 1773, dans laquelle Cook découvre de nombreuses erreurs, lorsqu’il y débarque en mai 1775 : « Je suis convaincu qu’en bien des domaines, cette île n’a pas été correctement représentée. Il n’est pas étonnant que la description qui en a été faite dans la relation de mon premier voyage ait offensé les principaux habitants86 ».
46De la même manière, les cartes établies par le passé sont soumises à une évaluation présente. Ici aussi, le moindre détail est vérifié avant d’être approuvé ou remis en question. Évoquant la position du Cap Horn, Cook écrit par exemple :
C’est le Vice-Amiral Chapenham […] qui découvrit le premier que le Cap Horn était composé de plusieurs îles, mais la description qu’il fait de ces parages est très courte et imparfaite, et celle de Schouten et Le Maire est pire encore. Il n’est donc pas étonnant que les cartes publiées jusqu’ici contiennent des erreurs, non seulement dans le gisement des terres, mais également dans la latitude et la longitude des lieux qui y sont mentionnés87.
Au troisième voyage, c’est un Cook excédé par la piètre qualité des cartes et des récits qu’il a sous les yeux, qui s’exclame à propos de l’édition anglaise de la relation de voyage de Vitus Bering sur la côte de l’Alaska : « […] la relation de ce voyage est si abrégée et la carte qui l’accompagne est d’une si grande inexactitude, qu’il est très difficile d’après l’une ou l’autre, ou en comparant l’une et l’autre, de trouver aucun des endroits que ce navigateur a vus ou auxquels il a touché88 ».
47Quelques mois plus tard au même endroit, c’est la carte publiée par Jacob von Stählin qui est sévèrement critiquée :
[…] Qu’est-ce qui a bien pu le pousser à publier une carte aussi erronée ? Une carte dans laquelle de nombreuses îles sont mélangées, dans un désordre régulier, sans aucun égard pour la vérité, et qu’il ose pourtant appeler une petite carte très exacte ? Une carte à laquelle le plus illettré de ses marins illettrés aurait rougi à l’idée d’associer son nom89.
Le manque de précision des cartes et des descriptions qu’offre la bibliothèque viendrait-elle d’un manque de rigueur de leurs auteurs ? C’est ce que semble croire Cook qui dénonce par exemple l’utilisation large du mot « port » pour désigner tout lieu d’ancrage et qui devient ainsi source d’erreur dans l’appréciation du lieu où le navire croit pouvoir mouiller paisiblement : « Le terme « port » est très vague, tout comme de nombreux autres termes que l’on utilise en géographie », écrit-il en août 177490. Déjà, lors de son premier voyage, il s’en était pris aux éditeurs qui ne prenaient pas soin de vérifier l’authenticité de leurs sources :
Par le passé, les navigateurs ont manqué des moyens que nous avons à l’heure actuelle de tenir un journal de bord avec exactitude. Ce ne sont donc pas ceux-ci qu’il faut blâmer pour les erreurs que contiennent les cartes, mais plutôt les compilateurs et les éditeurs qui offrent au monde les esquisses grossières des navigateurs et les présentent comme des relevés exacts sans préciser de quelle autorité ils agissent ainsi91.
Mais les navigateurs eux-mêmes ne semblent pas devoir être épargnés. Selon Cook en effet, nombreux sont ceux, capables de dresser correctement la carte du lieu qu’il visite, qui ne respectent pas les règles les plus élémentaires de l’activité :
J’en ai connus qui représentent la ligne d’une côte qu’ils n’ont jamais vue et indiquent des sondages qu’ils n’ont jamais effectués, et qui sont ensuite si satisfaits de leur œuvre qu’ils vous la livre pour argent comptant sous le titre de Plan et Vue Générale, etc. Ceci finit par avoir de fâcheuses conséquences et ne manque pas de jeter le discrédit sur l’ensemble de ce qu’ils peuvent faire92.
De là, la nécessité de vérifier sur le terrain ce que livres et cartes donnent à lire, car comme le conclut Cook : « On ne peut vraiment dire que l’on possède une bonne carte marine que lorsqu’on l’a soi-même testée93 ». Si nombre de prédécesseurs de Cook sont évoqués et commentés dans les différents journaux du capitaine, aucun n’est soumis à une analyse aussi scrupuleuse que Louis-Antoine de Bougainville et son voyage dans le Pacifique entre 1766 et 1769, analyse inscrite dans le cadre plus large des rivalités franco-britanniques pour la suprématie dans les Mers du Sud, dont elle est en quelques sortes l’illustration. Les critiques formulées par Cook à l’encontre de Bougainville concernent en premier lieu, ses compétences de navigateur94. Cook déplore notamment l’absence dans le texte du navigateur français de repères nautiques, et se plaint de ne pouvoir s’appuyer, dans sa progression à travers l’océan, que sur des indications incertaines : « Quoi qu’il en soit, quelle excuse peut bien avoir M. de Bougainville de n’indiquer la situation d’aucun des lieux qu’il a découverts lors de la traversée de ces mers ? C’est là quelque chose qu’il semble avoir soigneusement évité, pour des raisons qu’il est seul à connaître95 ».
48Il faut cependant garder à l’esprit que le texte que Cook utilise est la version publiée du journal de Bougainville, destinée à un lectorat non initié et qu’une grande partie de ce que l’abbé Galiani nomma le « patois marin » en a été supprimé96. Cook verra lui aussi cette pratique lui être appliquée lors de la publication officielle de chacun de ses journaux de voyage, pour laquelle tout ce qui relève du jargon professionnel des marins est considérablement réduit dans le corps du texte, sans doute pour ne pas lasser un public non averti.
49C’est sur la question de Tahiti que la critique de Bougainville prend toute sa dimension. À cette occasion, Cook s’emploie à vérifier avec minutie ce qu’écrit le Français, invitant le lecteur à parcourir les pages de l’ouvrage pour vérifier le bien-fondé de ce qu’il avance. C’est le cas, par exemple, des sacrifices humains, que Cook n’avait pas évoqués lors de son premier séjour à Tahiti. De retour sur l’île en septembre 1772, il écrit :
Comme M. de Bougainville a mentionné dans son Voyage autour du Monde certaines coutumes que je n’avais point remarquées, et étant donné que l’existence de ces coutumes me semblait incertaine, j’en fis l’objet de mes investigations. Page 268, il mentionne ainsi la présence de sacrifices humains. Afin de m’assurer de la véracité de cette pratique, j’allai un jour dans un marai de Matavai, accompagné du capitaine Furneaux, ainsi qu’à mon habitude, d’un fusilier marin qui avait déjà été du voyage précédent et qui avait une connaissance satisfaisante de leur langage97.
Après avoir enquêté sur la question, Cook ne peut que se rendre à l’évidence : la pratique des sacrifices humains existe bien lieu dans l’île. Bougainville semble donc avoir raison. Mais il poursuit :
Il a cependant tort lorsqu’il déclare que le bois que l’on fait brûler pour les gens de distinction n’est pas de la même espèce que celui que l’on utilise chez les gens du commun, que seul leurs rois ont le droit de planter devant leur habitation cet arbre que l’on appelle saule pleureur ou encore saule de Babylone (Arbre du Grand Seigneur), et que les serviteurs des Grands ont des pagnes qui leur servent de livrée et qu’ils portent plus ou moins haut en fonction du rang de leur maître98.
Le passage d’un thème au potentiel émotionnel important à une série de sujets à l’impact beaucoup moins grand, souligne la tendance de Cook à mettre en évidence les moindres erreurs d’analyse de la société tahitienne chez Bougainville. Contraint d’admettre la justesse des propos de son rival sur l’existence de la pratique des sacrifices humains à Tahiti, Cook se montre en revanche intraitable sur les autres questions abordées par le Français, telles que la polygamie, le deuil ou encore la notion de propriété. Ainsi là où Bougainville avait conclu à une mise en commun des biens sur l’île99, Cook répond :
M. Bougainville se trompe grandement lorsqu’il déclare p. 252, que les gens de Tahiti cueillent les fruits sur le premier arbre qu’ils rencontrent ou en prennent dans la maison où ils entrent, etc. Je doute qu’il y ait un seul arbre fruitier dans l’île toute entière qui ne soit la propriété de quelqu’un100.
Cook en vient parfois à se contredire. Ainsi, lorsqu’il corrige l’affirmation de Bougainville selon laquelle le peuple tahitien « jouit des trésors que la nature verse à pleines mains sur lui101 », et qu’il souligne au contraire que de nombreux produits de la terre ne sont obtenus qu’après force travail, il oublie qu’il avait sur cette question été beaucoup plus enthousiaste lors de son premier voyage, soulignant avec emphase la nature bienveillante qui régnait sur l’île et qui veillait à ce que ses habitants ne manquent de rien102. Les nombreuses critiques que formule Cook ne sauraient cependant résumer à elles seules l’attention que porte Cook à son rival. Une véritable admiration se laisse également parfois deviner. À plusieurs reprises dans son journal, Cook se libère en effet de tout grief personnel envers le Français et déclare même que son ouvrage constitue le récit le plus utile et le plus divertissant publié à ce jour. S’il s’est permis quelques remarques, ce n’est finalement qu’au nom d’une vérité qui l’oblige à vérifier le moindre détail : « Seul l’amour de la vérité me force à mentionner ces choses et je n’ai pas à l’esprit d’exposer les défauts de l’ouvrage de M. Bougainville. Je pense au contraire, qu’il s’agit du récit de voyage dans les Mers du sud le plus utile et le plus divertissant que l’on ait publié à ce jour103 ».
50En définitive, les erreurs commises par Bougainville dans son analyse de la société tahitienne ne sauraient être imputables à ses qualités d’observateur, mais au peu de temps passé sur cette île, bien insuffisant à prendre toute la mesure de cette terre nouvelle : « Ce ne sont pas les seules erreurs que commet M. Bougainville dans son compte rendu des coutumes de ce peuple. Mais je ne vois pas comment il aurait pu en être autrement : un séjour de dix jours n’était pas suffisant pour mener à bien une telle tâche104 ».
51L’exemple du traitement du texte de Bougainville dans le second journal de Cook illustre dans une certaine mesure le fait que le recours à la bibliothèque ne saurait uniquement se présenter comme un moyen de combler le vide qui sépare les mots des choses. Car il ne s’agit plus ici d’aller puiser dans un texte déjà écrit la matière de son propre récit, mais au contraire, de mesurer la pertinence de ce texte-référence lorsqu’on le confronte à l’expérience du réel dévoilé jour après jour. Le voyage vient ainsi mettre à mal l’autorité textuelle qui le précède. Mais, ce faisant, il devient à son tour texte qui est évalué par les voyageurs qui lui succèdent. À l’instar de tout récit de voyage, les journaux de Cook se présentent ainsi comme un maillon qui s’insère dans un ensemble plus grand de textes qui le précèdent et le suivent et qui se voit réactivé à chaque nouvelle lecture.
Quel référent ?
52La forte présence d’un intertexte dans le récit de Cook nous amène à reconsidérer la question du référent. Nous étions partis de l’idée que le texte de Cook mettait essentiellement en avant sa forte valeur documentaire et informative, qui faisait du monde exotique que l’expédition découvre au fur et à mesure que le voyage se déroule, le réceptacle des efforts de l’auteur en matière d’écriture, et l’intérêt majeur du texte, son principal attrait. La disparition apparente d’un référent extérieur au texte au profit des textes divers que Cook s’emploie à commenter conduit à une conclusion différente qui place au centre du récit, non plus ce réel découvert dans le Pacifique et dont le journal livrerait la photographie en mots, mais un ensemble de textes qui s’entrecroisent et se questionnent les uns les autres. Dès lors, le texte de Cook s’ouvre moins sur le monde que sur d’autres textes. Chambre d’échos au sein de laquelle résonnent distinctement plusieurs autres discours, le discours de Cook transforme le voyage dans le Pacifique en un voyage dans la bibliothèque. La question de l’intertextualité prend ainsi le pas sur celle de la référence, et substitue le lu au vu. Mais peut-on en déduire pour autant la disparition effective de la référence à un extérieur ? N’y a-t-il de référence qu’à d’autres textes ? La critique a parfois soutenu cette idée. Ainsi, dans Le Démon de la théorie, Antoine Compagnon souligne que : « […] ce n’est jamais le réel lui-même qui est décrit ou vu, même quand c’est le Nouveau Monde, mais toujours déjà un texte fait de clichés et de stéréotypes105 […] ». Cependant, nous ne nous avançons guère en déclarant que Cook lui-même, aurait été surpris d’apprendre que son texte traitait moins des îles du Pacifique que de ce qui avait pu être déjà écrit à leur sujet. Car en dépit de la présence d’autres textes dans le récit de Cook, le contenu informatif reste prépondérant. Sans expédition dans le Pacifique, sans îles découvertes et peuples rencontrés, point de texte. Sans référence extérieure, point de récit, car, comme l’écrit à son tour Paul Ricœur : « il faut que quelque chose soit, pour que quelque chose soit dit106 ».
53Dès lors le texte de Cook semble s’organiser entre les deux pôles que constituent la référence extratextuelle et l’intertextualité, naviguant sans cesse de l’un à l’autre, sans qu’aucune de ces deux bornes ne puisse à elle-seule revendiquer l’orientation générale du texte. C’est dans la confrontation entre monde et bibliothèque que le texte de Cook prend tout son sens.
Notes de bas de page
1 J. Viviès, op. cit., p. 44.
2 Cette hypothèse rejoint celle de John Searle, citée par Gérard Genette : « Il n’y a pas de propriété syntaxique ou sémantique qui permette d’identifier un texte comme œuvre de fiction » (G. Genette, Fiction et diction. Paris, Seuil, 2004, p. 143).
3 Cook II, p. 225. Cook passe notamment sous silence ici une importante dispute avec Johann Reinhold Forster qui se termine par l’exclusion du scientifique allemand de la grande cabine. Voir P. Edwards, ed., The Journals of Captain Cook, op. cit., p. 297.
4 C’est bien là le sens de l’adjectif « remarkable » utilisé par Cook dans le titre du journal de son premier voyage (Remarkable occurrences on board His Majestys Bark Endeavour, River Thames). L’abandon, à partir du second voyage d’un tel titre, pour le terme plus neutre de « Journal » indique peut-être une prise en compte du caractère hautement subjectif de ce qui est digne d’être consigné.
5 « Les faits du jour, pendant notre relâche, tant ici qu’à Deptford, figurant dans le journal de bord, et, comme ces notes ne contiennent rien que d’ordinaire, on n’a pas jugé utile de les transcrire dans la présente relation » (Cook I, p. 1).
6 Cook I, p. 324. Entrée du 23 mai 1770.
7 Gérard Genette, op. cit., p. 144-163.
8 C’est la position notamment de Barbara Herrnstein Smith que cite Gérard Genette : « […] dans la mesure où un ordre parfaitement chronologique pourrait être observé, ce ne serait vraisemblablement que dans des textes extrêmement concertés, “artistiques” et “littéraires” » (Gérard Genette, op. cit., p. 145).
9 Cook III, p. 233. C’est moi qui souligne.
10 Ibid., p. 333. Entrée du 26 avril 1778. Au début de cette entrée, Cook annonce que les navires sont prêts à prendre la mer. Des conditions météorologiques défavorables forcent toutefois les Britanniques à retarder ce départ. Cook profite en quelques sortes de ce délai inattendu pour mettre à jour son journal et décrire les Indiens Nootka. (Ibid, . p. 307-308).
11 Cook II, p. 213, n. 3. Entrée du 1er septembre 1773.
12 Ibid., p. 49. Entrée du 30 octobre 1772.
13 Cook II, p. 340-342. Entrée du 16 mars 1774. Le rapport de Pickersgill apparaît sous deux formes dans le texte de Cook. Dans une première version, Cook se contente de livrer mot pour mot le compte rendu de son lieutenant. Dans une seconde version, qui suggère une élaboration textuelle plus poussée, ce même compte rendu est intégré au texte de Cook. J’y reviens.
14 Cook III, p. 288.
15 Ibid., p. 236.
16 Ibid., p. 243.
17 Cook I, p. 84.
18 Cook III, p. 293.
19 Ibid., p. 14. C’est moi qui souligne.
20 Ibid., p. 16. C’est moi qui souligne.
21 Cook I, p. 286. C’est moi qui souligne.
22 Ainsi aucune mention, même lointaine, n’est faite de sa famille, même lors des périodes douloureuses qui ont suivi la perte d’un enfant. De la même manière, le contexte politique national et international dans lequel les journaux de Cook sont inscrits (affaire John Wilkes, révolte des colonies américaines, etc.), n’est que très rarement évoqué.
23 G. Genette, op. cit., p. 166.
24 Cité dans J. Viviès, op. cit., p. 95.
25 Là semble bien s’arrêter le parallèle. Ni le statut de picaro, ni le thème de l’errance, ne peuvent correspondre au personnage de Cook ou à ses pérégrinations dans le Pacifique.
26 Cook I, p. 87. Entrée du 2 mai 1769.
27 Ibid., p. 93. Entrée du 13 mai 1769.
28 Cook III, p. 301. Entrée du 15 avril 1778.
29 Cook II, p. 478. Entrée du 1er août 1774.
30 Ibid., p. 485. Entrée du 6 août 1774.
31 Cook III, p. 228.
32 Ibid., p. 232.
33 « Nous étions redevenus amis et les indigènes montèrent à bord du navire pour nous vendre des fruits et d’autres vivres, tout aussi confiants qu’auparavant » (Ibid.).
34 D’abord soupçonné, le matelot James Mario Matra fut mis aux fers le 23 mai 1770, puis libéré trois semaines plus tard, faute de preuves. Quelques mois plus tard à Batavia, la désertion de l’enseigne de vaisseau Patrick Saunders après que Cook a offert une récompense pour tous renseignements concernant cette affaire, semble le placer au premier rang des suspects, sans que l’on puisse avoir toutefois de certitude à ce sujet. Voir P. Edwards, ed., The Journals of Captain Cook, op. cit., p. 132.
35 Cook II, p. 419. Entrée du 23 mai 1774.
36 Cook I, p. 377-378. Entrée du 16 août 1770.
37 Ibid., p. 378.
38 Ibid.
39 Ibid. p. 379.
40 Cook III, p. 481. Entrée du 19 décembre 1778.
41 Ibid.
42 « […] dans ces récits de voyage, les auteurs sont rarement satisfaits des dangers et des épreuves rencontrées et en rajoutent de nouveaux qui n’ont d’existence que dans leur imagination […] comme si le seul mérite du voyage ne consistait que dans ces moments de difficulté extrême, ou si l’esprit n’était pas suffisamment angoissé par les dangers réels auxquels il faut faire face. C’est ainsi que dans l’avenir, on considèrera ces récits comme douteux au plus haut degré » (Cook I, p. 460-461. Entrée du 20 mars 1771).
43 P. G. Adams, Travel Literature and the Evolution of the Novel. Lexington, the University Press of Kentucky, 1983, p. 160.
44 « […] chaque jour, des naturels offraient de partir avec nous, et comme ils pouvaient nous être utiles pour nos futures découvertes, nous décidâmes d’en emmener un nommé Tupia, qui était chef et prêtre » (Cook I, p. 117. Entrée du 13 juillet 1769).
45 Banks I, p. 312. Selon Banks, la raison des réticences de Cook tiendrait dans le fait que le gouvernement n’aurait pas accepté de supporter les dépenses occasionnées par la présence d’un passager supplémentaire. (Ibid.)
46 Philip Edwards, éd., the Journals of Captain Cook, op. cit., p. 335.
47 Cook II, p. 334, n. 1.
48 Il va sans dire que le portrait de Cook qui est dressé dans ces journaux est également le produit d’une construction littéraire qui ne saurait être tenue pour totalement objective.
49 Cook I, p. 457. Entrée du 15 mars 1771.
50 « Jours de la semaine où l’on ne sert pas de viande à bord des navires, à savoir : le lundi, le mercredi et le vendredi » (Cook II, p. 15).
51 P. Edwards, The Journals of Captain Cook, op. cit., p. 2.
52 Voir à ce propos N. Rennie, op. cit., p. 58-59.
53 Voir à ce sujet J. Viviès, op. cit., p. 160.
54 Deux noms viennent immédiatement à l’esprit sur cette question : ceux de William Bligh et de George Vancouver, tous deux membres de la troisième expédition de Cook.
55 Cook II, p. 175. Entrée du 3 juin 1773.
56 Cook I, p. 101. Entrée du 14 juin 1769.
57 Cook III, p. 251. Entrée du 29 novembre 1777.
58 T. Todorov, Les Morales de l’histoire, op. cit., p. 8.
59 Cook II, p. 404, n. 2. Entrée du 14 mai 1774.
60 Cook III, p. 152. Entrée du 9 juillet 1777.
61 Banks I, p. 339-340.
62 Cook I, p. 128.
63 Voir notamment pour la nourriture Cook I, p. 321 et Banks I, p. 341, et pour la pratique du tatouage, Cook I, p. 125 et Banks I, p. 335.
64 Signalons toutefois que la pratique était réciproque. Les deux hommes s’estimaient suffisamment pour se prêter leurs journaux respectifs. Banks trouva d’ailleurs chez Cook un certain nombre d’informations géographiques et techniques qu’il n’avait pu développer en première instance.
65 Cook I, p. 112. Entrée du 28 juin 1769.
66 Wales adapte légèrement les mots de Viola dans la quatrième scène du deuxième acte de La Nuit des Rois et écrit « On eût dit la résignation, assis sur un tombeau et souriant à sa peine » pour évoquer le manque de réaction du peintre William Hodges qui venait de se faire dérober son chapeau par un indigène. La référence à l’obole de la veuve, mentionnée dans Marc 12 : 41-44, est la suivante : « Au dernier jour, lorsque l’on se souviendra des deux piécettes de la veuve, que l’hospitalité des pauvres habitants de l’île de Pâques ne soit pas oubliée ! » (Cook II, p. 824).
67 Cook II, p. 507. Entrée du 20 août 1774. Il faut rappeler ici que dans une première version de son texte, Cook avait simplement copié Wales verbatim, sans indiquer la provenance de ce passage particulier. La précision ultérieure de sa source correspond sans doute à un désir de justifier la présence, incongrue chez Cook, des références classiques que le dit passage contient.
68 Banks I, p. 258. Joseph Banks utilise aussi les noms d’Ajax et d’Épicure pour désigner deux autres chefs tahitiens mais ces noms ne sont pas repris par Cook.
69 Cook I, p. 78. Entrée du 14 avril 1769.
70 Banks II, p. 389. Cook I, p. 161.
71 Cook I, p. 120.
72 Banks I, p. 343.
73 Banks II, p. 131.
74 Cook II, p. 358. Entrée du 17 mars 1774.
75 Nous empruntons cette expression à Cook, qui l’utilise pour qualifier sa retranscription du compte rendu que lui livre William Anderson de l’île de Kerguelen où le navire fait escale en décembre 1776 (Cook III, p. 43-48).
76 Banks II, p. 105. Entrée du 15 août 1770.
77 Ibid., p. 106. Entrée du 16 août 1770.
78 Cook I, p. 378. Entrée du 16 août 1770.
79 Cook II, p. 796.
80 Ibid., p. 238.
81 L’expression est, ici aussi, empruntée à Cook qui l’utilise à propos de Tahiti lors de son troisième voyage. Voir Cook III, p. 253.
82 Cook I, p. 417. Entrée du 16 septembre 1770.
83 Ibid., p. 463-464. Entrée du 15 avril 1771.
84 Ibid., p. 442. Entrée du 26 décembre 1770.
85 C’est le verdict que Cook livre par exemple à propos de la description des îles Marquises par Alexander Dalrymple, qu’il estime « n’être imparfaite qu’en ce qui concerne la position géographique de l’île » (Cook II, p. 371).
86 Cook II, p. 661. Le point le plus problématique de cette description concerne les conditions de vie que réservent les habitants de Sainte-Hélène à leurs esclaves, élément que Cook se voit contraint de rectifier : « Je dois dire qu’il n’y a peut-être aucun autre établissement européen au monde où les esclaves sont mieux traités et mieux nourris qu’en ce lieu. Aucun de ceux, nombreux, à qui nous posâmes la question, ne formula la moindre plainte à ce sujet » (Ibid., p. 662).
87 Cook I, p. 52-53. Entrée du 25 janvier 1769.
88 Cook III, p. 358. Entrée du 24 mai 1778.
89 Ibid, p. 456. Entrée du 20 octobre 1778.
90 Cook II, p. 517. Entrée du 27 août 1774.
91 Cook I, p. 413. Entrée du 7 septembre 1770.
92 Ibid.
93 Ibid.
94 On se souviendra ici que Bougainville n’était pas marin de formation et qu’il ne fut nommé capitaine de vaisseau qu’en 1763, à l’âge de 34 ans, à l’occasion de la campagne aux Malouines.
95 Cook II, p. 195. Entrée du 12 août 1773.
96 L’expression « patois marin » est contenue dans une lettre de l’abbé Galiani à Mme d’Épinay. Voir S. Faessel, Visions des îles : Tahiti et l’imaginaire européen : du mythe à son exploitation littéraire, xviii-xxe siècle, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 19. Cook utilise la traduction anglaise du texte de Bougainville effectuée par Johann Reinhold Forster et publiée à Londres en 1772 : À Voyage round the World… Translated from the French by John Reinold Forster, London, 1772.
97 Cook II, p. 233. Entrée du 17 septembre 1773.
98 Ibid., p. 234.
99 « Chacun cueille les fruits sur le premier arbre qu’il rencontre, en prend dans la maison où il entre. Il paraîtrait que pour les choses absolument nécessaires à la vie, il n’y a point de propriété et que tout est à tous » (L.-A. de Bougainville, op. cit., p. 255).
100 Cook II, p. 270. Entrée du 7 octobre 1773.
101 L.-A. de Bougainville, op. cit., p. 235.
102 Cook I, p. 121.
103 Cook II, p. 235. Entrée du 17 septembre 1773.
104 Ibid.
105 A. Compagnon, Le Démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, Seuil, 1991, p. 156.
106 P. Ricœur, La Métaphore vive, Paris, Seuil, 1975, p. 386.
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