Dire le Monde
p. 163-181
Texte intégral
1En dépit des nombreux navigateurs qui le précèdent dans le Pacifique, c’est un monde en grande partie inconnu que Cook sillonne à partir de 1768. Si comme le souligne Todorov, les Européens dans leur environnement immédiat et dans leur propre histoire, ont « une case vide où ils peuvent placer les populations nouvellement découvertes, sans que cela bouleverse leur image du monde1 », l’éloignement, tant géographique que culturel, de l’univers que côtoie Cook dans le Pacifique, en transforme rapidement la description en un défi difficile à relever.
L’indicible référent
2Dès son premier voyage, ce que Cook découvre avant tout, ce sont les limites de sa propre langue qui s’avère inadéquate à rendre compte de cette nouveauté qu’elle n’avait jusqu’alors pas véritablement envisagée. Si comme le fait Nathalie Zimpfer, on peut effectivement voir dans l’émerveillement muet de Cook devant l’inquiétante majesté des icebergs de l’Antarctique, les traces d’une convention du récit de voyage qui permet d’inscrire indirectement son discours dans l’esthétique du sublime2, il n’en est pas de même de tout ce qui est donné à décrire au capitaine. Tout silence du texte ne saurait en effet être ramené à une convention littéraire, quelle qu’elle soit. Parler de la flore de la côte australienne semble par exemple simplement impossible au narrateur, hors de sa portée, et c’est bien évidemment aux naturalistes officiels de l’expédition, Joseph Banks et Carl Solander, que Cook s’en remet3. Ici, ce sont les capacités mêmes du capitaine qui freinent la description, mais l’impossibilité réside le plus souvent dans la langue elle-même, inadéquate à se saisir de l’objet qu’elle se propose de transmettre. Les retrouvailles d’Omai et de sa sœur au troisième voyage sont ainsi « bien mieux conçues que décrites4 ». Véritable lieu commun du récit de voyage, l’expression est récurrente dans le texte de Cook et souligne la difficulté à mettre en mots les impressions du narrateur à la vue de telle ou telle scène, ainsi que l’impossibilité de communiquer cette impression au lecteur. Dès lors, ce n’est que de manière approximative que la description peut apparaître, la langue tournant autour de son objet, s’en approchant considérablement sans toutefois pouvoir le saisir complètement. À cette occasion, c’est la figure de la prétérition qui s’avère la plus utile pour évoquer l’objet que la langue se propose de capturer, le narrateur déclarant son incapacité à en parler tout en s’essayant à le décrire. La séparation de Cook et d’Œdiddy, jeune Tahitien que le Resolution dépose chez lui après quelques mois de voyage en compagnie des Anglais, est évoquée de la manière suivante : « Les mots me manquent pour décrire l’angoisse qui étreignit le cœur de ce jeune homme, quand il s’éloigna de nous. Il leva les yeux vers le navire, fondit en larmes et s’effondra dans le canot5 ». Tout en décrétant l’impossibilité de la description, l’écriture s’y essaie de manière prudente et lointaine.
3Face à ce réel qui ne semble s’approcher qu’avec précaution, deux premières solutions se présentent à l’écriture. La première consiste à se tourner vers ce qui a déjà été écrit. Car, comme le souligne Christine Montalbetti, ce monde exotique, que l’écriture ne parvient pas à saisir totalement, a comme caractéristique paradoxale d’avoir été décrit précédemment6. C’est donc un texte déjà là qui vient se glisser entre le monde et le dire pour prendre en charge la mission, à l’origine confiée à l’écriture, de mettre en mots le réel. Ce texte déjà écrit, en prenant le relais de l’écriture, se présente donc comme une première tentative de pallier l’indicible auquel celle-ci est confrontée. Le renvoi à cet énoncé préalable se fait la plupart du temps par la mention du nom d’un auteur ou d’un ouvrage7. William Dampier pour l’île de Timor, (« Dampier, qui a décrit longuement et, pour autant que je sache, de manière très précise, l’île de Timor, écrit que8 […] ») ou Lord Anson pour la description de l’otarie (« dont la tête était exactement comme celle du mâle décrit par Lord Anson9 »), en sont deux des exemples les plus connus. Mais c’est le plus souvent à des ouvrages spécialisés que le lecteur est renvoyé, tels que ceux de Joseph Pernety, Pierre Sonnerat, Thomas Pennant, ou encore David Crantz10. Ainsi, les pingouins que Cook découvre sur l’île de Kerguelen ont-ils été déjà signalés par Sonnerat11, et les morses de la côte nord-ouest américaine ont été décrits par Pennant12. Dans ces deux cas, le renvoi très précis à un texte antérieur, puisque y sont mentionnés numéros de pages et illustrations, offre au texte de Cook la possibilité de s’affranchir de la description des animaux rencontrés. Cette caractéristique se vérifie également lors de renvois internes aux journaux de Cook. De retour dans l’archipel des Tonga lors de son troisième voyage, le capitaine évoque par exemple les techniques de fabrication du tissu, très similaires à celles qu’utilisent les Tahitiens, et indique au lecteur qu’il pourra en trouver un compte rendu détaillé dans la relation de son premier voyage publiée par John Hawkesworth en 177313. De la même manière, c’est la lecture du récit de son second voyage qu’il recommande pour la description des pirogues et la manière avec laquelle on les pilote au même endroit14.
4L’utilisation des textes antérieurs ne se fait cependant pas toujours sans quelques petits accommodements. Le récit de William Dampier, auquel Cook fait référence à plusieurs reprises lors de sa remontée de la côte est australienne, concerne un voyage qui eut lieu sur la côte ouest de cette même île. De manière plus significative, le texte de David Crantz, que Cook convoque pour décrire les Indiens de la côte nord-ouest canadienne, concerne essentiellement les habitants du Groenland, ce qui n’empêche pas Cook de conclure à une adéquation parfaite entre Indiens des deux bords du continent et de renvoyer implicitement le lecteur au texte de Crantz pour obtenir une description des armes et du matériel de pêche des Indiens de Prince William Sound en Alaska : « Tout ceci est très précisément décrit par Crantz. Je n’ai rien trouvé chez ce peuple qu’il n’ait mentionné. Il ne mentionne rien non plus que je n’aie retrouvé chez ces Indiens15 ».
5En déléguant la charge de décrire le réel à un texte antérieur qui aurait la particularité d’avoir déjà accompli cette mission, l’écriture évite les écueils liés à la délicate entreprise de mettre le monde en texte. La production d’un énoncé devient ainsi inutile, puisque le narrateur a à sa disposition un énoncé déjà établi auquel il lui suffit de renvoyer le lecteur. Cependant, ce principe de résolution de l’indicible par ellipse ne saurait être totalement satisfaisant. Car par ce biais, le réel n’est jamais donné à lire, seul le lieu où la description de ce réel se trouve est indiqué, et la constitution de l’énoncé référentiel est différée. Il faut cependant signaler que le recours aux textes déjà existants pour dire le monde n’est pas fréquent chez Cook, en vertu du caractère inédit de la plupart des lieux qu’il visite. Les textes disponibles évoquant précisément les endroits que Cook arpente sont donc rares et c’est souvent à l’aide des accommodements que nous avons déjà signalés que le renvoi à la bibliothèque peut se faire.
6La deuxième solution qui se présente aux yeux du narrateur pour faire face à l’indicible du monde consiste à se tourner cette fois-ci vers la représentation picturale. Car si le réel est indicible, ce sont peut-être les outils qui sont inadéquats, et le pinceau et les couleurs du peintre se présentent alors comme un recours possible.
7Véritable topos du récit de voyage (on se souviendra ici de Bougainville et du pinceau de Boucher), la peinture vient d’abord en soutien de l’écriture, en complément des mots du narrateur. Pour mentionner les glaces arctiques, les dessins de John Webber tombent à point nommé : « Pour illustrer mes propos, je joins un croquis qui représente l’un de ces blocs de glace16 ». Mais ce n’est pas là sa fonction la plus importante, car le plus souvent, le pinceau remplace la plume et la peinture se substitue au texte même. À propos d’une chute d’eau en Nouvelle-Zélande, Cook écrit : « Mr Hodges en fit sur le champ un croquis et en effectua ensuite une peinture à l’huile qui offre en un coup d’œil une description bien meilleure que ce que j’aurais pu donner17 ». On voit apparaître ici un élément capital de la supériorité apparente de la peinture sur l’écriture. Car cette dernière ne saurait livrer le monde dans sa totalité immédiate. Là où l’écriture déroule le réel mot après mot, la peinture en offre un panorama saisissable en un simple coup d’œil. Cette caractéristique, qui permet une perception immédiate et intégrale de l’objet, se retrouve par exemple dans la description de Dusky Bay en Nouvelle-Zélande : « M. Hodges en a représenté très précisément les entrées nord et sud, ainsi que certaines autres parties et a peint la face de cette contrée avec tant de jugement que ses croquis en donneront immédiatement une vue plus juste que ce qu’on pourra exprimer par des mots18 ».
8Notons également que la peinture, loin de ne suppléer qu’aux faiblesses de la description de Cook, se présente comme le remède à toute description quelle qu’elle soit. Ici, ce ne sont plus les capacités du narrateur qui font défaut, mais les capacités de l’écriture elle-même, que la représentation picturale vient soutenir et remplacer. Lorsque Cook se lance dans une longue description technique des pirogues hawaïennes, c’est encore vers le dessin qu’il renvoie le lecteur, comme pour s’excuser du manque de clarté et de précision de son propos :
En général, elles mesurent environ vingt-quatre pieds de long et le fond est, pour la plupart d’entre elles, formé d’une seule pièce, d’un pouce ou un pouce et demi d’épaisseur qui se termine en pointe à chaque extrémité. Les bords sont composés de trois planches d’un pouce d’épaisseur chacune et consciencieusement ajustées et fixées les unes aux autres. L’avant et l’arrière des pirogues sont surélevés et chacune de ces extrémités est taillée en pointe, à la manière d’une cale de bois, mais s’aplanit de manière abrupte de sorte que les planches latérales se rejoignent de chaque côté sur plus d’un pied de longueur. Mais, le croquis montrera tout ceci mieux que les mots19.
Cependant, la palette du peintre ne saurait toujours constituer un palliatif idéal à l’indicible du monde. Le spectacle qui s’offre aux yeux de Cook est parfois si étrange que rien ne semble en mesures de se saisir de cet objet et de le transmettre au lecteur, en dépit des efforts respectifs de chacun. Ainsi, pour évoquer les danses tonguiennes : « Les croquis que M. Webber a effectués de ces représentations donneront un bon aperçu de leur nature, mais ni plume ni pinceau ne sauraient décrire les nombreux mouvements qu’ils font avec aisance et de manière gracieuse, comme je l’ai précisé, et ce parfois jusqu’à l’extrême20 ».
9Si le recours au pinceau se présente parfois comme un moyen pratique de pallier les limites de l’écriture, il ne saurait donc être opérant à chaque occasion et, comme pour le renvoi à la bibliothèque, ce sont d’autres stratégies que le texte élabore pour compenser les difficultés liées à l’indicible du monde.
Stratégies de compensation
Le livre comme monde, le monde comme livre
10La métaphore qui consiste à combler le fossé qui sépare le texte du réel en déclarant que les deux entités, le livre et le monde, sont interchangeables n’est pas nouvelle. Elle est même l’un des motifs récurrents du récit de voyage, que l’on trouve déjà, comme le souligne Jean Viviès, chez Montaigne, qui souhaite dans ses Essais que le monde soit « le livre de [son] escholier », bien avant que Jorge Luis Borges n’en fasse le thème de sa nouvelle « La bibliothèque de Babel21 ». Par le biais de cette métaphore, le monde devient livre que l’on déchiffre et le livre est à son tour un monde que l’on arpente. L’écriture et son référent s’en trouvent de ce fait réunifiés. Du côté du texte, chaque digression se veut détour, chaque description une pause dans le parcours, chaque transition signale le passage d’un lieu à un autre, chaque mouvement proleptique ou analeptique, autant de bonds en avant et de retours en arrière. L’écriture et le voyage manipulent les mêmes termes du déplacement : retourner, suivre, quitter, ou encore continuer et revenir. Le déplacement de sens produit par la métaphore correspond au déplacement physique du voyage. Par ce biais, l’écriture rejoint son objet et la similitude de leur fonctionnement respectif en est soulignée. Ecrire et lire, les deux opérations sont voyage, et le voyage lui-même devient un acte de lecture du monde, qui s’ouvre devant le voyageur comme un livre et qui se donne à lire comme un texte.
11Dans les journaux de Cook, c’est principalement à la fin d’une séquence descriptive ou d’une digression de l’auteur, qui fonctionnent toutes deux comme autant de pauses narratives, que l’on croise la métaphore spatiale. Lorsque le compte rendu quotidien du voyage reprend son cours, il est nécessaire d’y raccrocher le lecteur et Cook se fait alors guide. Au début du second voyage par exemple, le narrateur énumère longuement le matériel scientifique embarqué à bord du Resolution, puis reprend : « je retourne maintenant aux navires que j’ai laissés au S.O. le lundi 1322 ». Plus loin, les questions concernant la découverte d’une terre nouvelle par les Français près du cercle antarctique restent sans réponse, et le narrateur poursuit : « Je laisse pour l’instant ce sujet de côté et suis le capitaine Furneaux jusqu’à la Terre de Van Diemen, sur la route de laquelle il n’a, apparemment, rien rencontré de remarquable23 ». Ainsi accompagné, le lecteur suit le déroulement de l’expédition sans risquer de se perdre : « Avant de poursuivre notre route à l’ouest avec le navire, il est nécessaire de retourner à Annamocka24 ». La disjonction caractérisant le rapport de l’écriture au voyage se voit ainsi éliminée le temps de la métaphore, utilisée également dans des énoncés à caractère proverbial (« La raison d’être d’un voyage maritime est de s’arrêter sur tout ce qui peut être utile à la postérité25 ») dans lesquels parcours et discours se rejoignent par la polysémie du terme employé, grâce auquel l’accent est porté à la fois sur ce qu’un voyageur doit voir et ce qu’il doit rapporter, sur ce qu’il ne doit manquer ni de voir, ni de consigner dans son journal. La métaphore du déplacement se déploie également lors de l’acte de lecture. Suivant une image traditionnelle, durant cette activité, le lecteur parcourt un passage, saute ou survole un chapitre, revient en arrière, progresse dans son activité. La métaphore se décline ainsi naturellement, à en devenir quasiment invisible tant elle est usuelle. Le cadre spécifique dans lequel sont inscrits les journaux de Cook en offre, lui, une variante maritime, dans laquelle la lecture devient un véritable périple, dont le lecteur est le passager privilégié qui suit pas à pas les méandres de l’exploration du Pacifique, en prenant soin d’éviter les tempêtes et les naufrages de l’analyse textuelle. Comme l’écrit John Cawte Beaglehole, dans l’étude des journaux de Cook : « on trouve des récifs et des profondeurs trompeuses, ainsi qu’une certaine quantité de brouillard26 ».
12Mais à son tour le monde devient aussi livre qu’il faut déchiffrer, comme en témoignent par exemple les nombreuses tentatives d’interprétation des signes que le ciel ou l’océan livrent à l’œil du marin27, ou encore ces empreintes de pas aborigènes sur une plage d’Australie qui ne sont pas sans rappeler l’un des épisodes les plus marquants de Robinson Crusoe : « Jusqu’ici nous n’avions découvert aucun signe d’habitants, mais dès que nous fûmes à terre, nous aperçûmes des traces de pas récentes sur le sable, puis, un peu plus loin, un petit abris, ou une hutte, où séchaient des noix de coco. Nous sûmes ainsi que les Indiens n’étaient pas éloignés28 ».
13La lecture du paysage à partir des indices qui sont offerts à la vue se transforme parfois en exercice de rivalité entre certains des membres de l’équipage qui analysent, chacun à leur manière, ce qu’ils ont sous les yeux. Ainsi, dans la dispute qui oppose pendant quelques jours Cook et Johann Reinhold Forster sur la nature de ces « objets érigés » que l’on aperçoit depuis le large sur les côtes de l’Île aux Pins, c’est Cook qui s’impose en y devinant immédiatement d’immenses arbres, alors que Forster les interprète comme d’imposants piliers de pierre, avant de se rendre à l’évidence29.
14À l’occasion, c’est tout un paysage qu’il faut reconstruire à partir des traces que le temps a laissées. Suivant une démarche proche de la synecdoque, ces traces permettent au voyageur de remonter jusqu’à la cause qui en a produit l’effet visible. C’est par exemple à partir des dégâts qu’il constate dans le paysage hawaïen que Cook peut conclure à l’existence d’un volcan sur cette île :
Nous ne manquions ni de fruits ni de racines, et c’était heureux, car les indigènes n’en apportèrent guère. Leur pays ne semble pas en effet capable d’en produire de grandes quantités, ayant été détruit par un volcan, car bien que nous n’ayons rien vu de tel sur l’île, les dégâts que celui-ci a occasionnés sont, eux, bien visibles à l’œil nu30.
Mais c’est aussi à une lecture plus concrète du paysage que le voyageur doit se prêter. Car l’espace que Cook arpente s’offre également à lire de façon littérale par le biais des inscriptions diverses que le voyageur découvre çà et là sur les côtes qu’il visite et qui témoignent du passage d’autres navires que le sien. Dans la course que se livrent les nations européennes pour asseoir leur domination dans le Pacifique, il est en effet de première importance de marquer le lieu que l’on découvre, de lui imposer la trace indélébile de sa présence afin de s’en préserver la possession. L’occasion se prête donc parfois de corriger le texte imprimé sur le lieu de la découverte. Ainsi, à Tahiti lors de son troisième voyage, la découverte d’une croix indiquant la présence d’un navire espagnol ne laisse pas Cook sans réaction : « À quelques mètres de là se dressait une croix sur laquelle on pouvait lire : Christus Vincit Carolus III imperat 1774. De l’autre côté, je fis graver l’inscription suivante : Georgius tertius Rex Annis 1767, 69, 73, 74 & 7731 ».
15Le monde devient ainsi une page sur laquelle on appose sa marque, afin que personne ne puisse se méprendre sur la paternité de la découverte. Cook prendra soin à chacune de ses arrivées dans un endroit jusqu’alors inconnu d’y laisser la trace de son passage, jusqu’au fronton de la maison qu’Omai se fait bâtir sur l’île de Huahine :
Avant de quitter l’île, je fis graver les mots suivants sur l’une des parois de la maison :
Georgius tertius Rex 2 Novembris 1777
Naves Resolution Jac. Cook Pr
Discovery Car. Clerke Pr32
Mais l’inscription physique sur le lieu fonctionne aussi parfois comme message à visée interne à l’expédition, tout particulièrement au second voyage, lorsque le Resolution de Cook et l’Adventure de Tobias Furneaux sont séparés par une tempête en octobre 1773 :
Avant de partir, j’écrivis un billet où je marquai la date de notre arrivée ici, le jour de notre départ, la route que je me proposais de tenir, et quelques autres instructions que je jugeai nécessaires en cas que le capitaine Furneaux vint relâcher à cet endroit. Je mis ce billet dans une bouteille que j’enterrai au pied d’un arbre dans le jardin qui est au fond de l’anse, de manière qu’il pût être trouvé facilement par quelque Européen que ce soit qui viendrait ici33.
Le message enfermé dans la bouteille n’a d’autre but ici que de permettre aux deux navires d’être à nouveau réunis, et ne saurait, comme pour les exemples précédents se poser comme attestation de la présence anglaise sur le lieu, même si l’existence même du message, en dehors de son contenu propre, remplit aussi cette fonction. Si Cook ne dit rien de la manière par laquelle il espère que Furneaux trouvera la bouteille, le capitaine de l’Adventure livre plus de détails dans son propre journal, à la date du 1er décembre 1773 : « Au pied d’un grand arbre situé au point d’eau nous découvrîmes cette inscription : “Regardez en dessous”. Nous creusâmes et trouvâmes le billet suivant enfermé dans une bouteille34 ». Creuser pour trouver le message : il faut peu ici pour y voir l’image de tout le travail que requiert l’interprétation textuelle.
16La métaphore qui transforme le monde en livre que l’on déchiffre met en avant l’importance du regard. On comprend dès lors le primat accordé à l’œil sur l’oreille, à la vue sur l’ouï-dire, ainsi que la prudence du langage de Cook lorsqu’il rapporte au lecteur quelque chose dont lui-même n’a pas été le témoin direct. Le contrat empirique qui sous-tend la relation entre narrateur et lecteur impose en effet que le narrateur ne livre que ce qu’il a lui-même pu observer. En d’autres termes, ce qu’il transmet au lecteur est ce qui lui a été donné de voir personnellement à tel endroit, à tel moment35. La récurrence dans le texte d’expressions comme « on nous a dit que », « nous avons appris que », ou encore « on m’informe que », souligne cette prédominance du visuel dictée par le contrat empirique, et signale par là-même le caractère incertain et potentiellement douteux de ce qui est simplement rapporté par ouï-dire. Le principe de l’observation directe comme garant de la vérité est ainsi ce qui pousse Cook à assister à un repas cannibale et lui permet d’affirmer l’existence de cette pratique en Nouvelle-Zélande que beaucoup contestent encore en Europe, faute d’en avoir eu la preuve visuelle :
On ne peut plus douter que les Néo-Zélandais ne soient des cannibales. Tout ce que j’en ai rapporté dans mon premier voyage, bien qu’en grande partie fondé sur des circonstances réellement observées, fut, à ce que j’ai compris, mis en doute par beaucoup de gens. On m’a souvent demandé si je les avais réellement vus manger de la chair humaine. Cette question suffit à me convaincre qu’ils ne croyaient rien de ce que je leur racontais, ou qu’ils s’étaient formé une opinion très différente sur le sujet36.
On mesure aisément toute l’importance de ce « si je les avais réellement vus » qui place la source de l’information dans l’expérience personnelle du narrateur. C’est ce même principe qui dicte l’attitude de Cook lorsque le chef tahitien Otou l’informe de la tenue d’une cérémonie de sacrifice : « j’y vis une bonne occasion d’être le témoin de cette coutume barbare et peu commune, et offris à Otou de l’accompagner, ce qu’il accepta sur le champ37 ». Sans cette présence effective du narrateur sur les lieux de l’observation, aucun crédit ne peut être accordé aux propos rapportés. Ainsi, lorsqu’on lui parle de pratiques cannibales à Tahiti, il lui semble important de préciser : « nous avons de grande raisons de penser qu’il y eut un temps où ils étaient cannibales, mais je n’insisterai pas sur le sujet, et me contenterai de n’aborder que ce dont nous avons la preuve formelle38 ». La difficulté de comprendre et de rendre compte de ce monde qui se dévoile aux yeux du voyageur dans le Pacifique, tout particulièrement lorsque l’information arrive de manière indirecte, semble bien avoir été parfaitement perçue par Cook lors de la description de l’archipel des Tonga :
On pourrait s’attendre, après avoir passé deux ou trois mois dans ces îles, à ce que je sois capable de donner un compte rendu précis des coutumes et de l’art de vivre des habitants, d’autant plus que nous avions à bord une personne qui comprenait leur langage et le nôtre. Mais à moins que l’objet de nos interrogations ne soit devant nous, nous avons trouvé difficile d’en avoir une connaissance fiable, sans commettre un nombre incalculable d’erreurs39.
Si la seule observation directe ne permet pas toujours une compréhension totale du monde que l’on se donne pour mission de décrire, (car la nature même de ce que l’on observe peut constituer un sérieux obstacle), elle demeure toutefois la condition sine qua non d’une transmission authentique de l’information, et la base d’une interprétation sûre du réel. Se fonder sur des faits concrets, et laisser de côté les on-dit, c’est bien ce que Cook semble préconiser lorsqu’il évoque l’existence du continent austral au second voyage :
Il y avait de fortes présomptions qu’il n’en existât aucun, mais ce point est trop important pour s’en tenir à des suppositions. Il fallait que la question fût tranchée par des faits, et on ne pouvait établir ceux-ci qu’en explorant les zones inconnues de cet océan, tâche à laquelle nous allions consacrer la fin de notre voyage40.
Lorsque le pré requis de l’observation empirique est absent, toute interprétation ne peut donc que demeurer au niveau d’une hypothèse, en attente de vérification. Cook confirme ou corrige ainsi les diverses théories et préjugés de son époque sur des sujets aussi variés que l’attitude licencieuse des femmes à Tahiti, la nature et l’origine des icebergs ou encore, comme dans la citation ci-dessus, l’existence du continent austral. D’autres métaphores sont également mises en œuvre afin de rapprocher l’écriture de son référent. La description s’y comporte comme le réel qu’elle tente d’appréhender, épouse la forme du voyage, en subit les vicissitudes. Ainsi, dans la description des manœuvres du navire lors des tempêtes, ou quand le danger d’un naufrage se concrétise, l’aspect confus de l’écriture rejoint la confusion qui règne à bord. Le rythme rapide des phrases suit la précipitation des événements décrits41. À l’opposé, c’est un texte laconique fait d’entrées très courtes et essentiellement techniques, qui couvre les longues périodes de calme entre deux escales, où rien ne semble venir perturber le lent cheminement de l’expédition à travers l’océan. L’événementiel y est doublement absent : du voyage et du récit. Plus marquant encore, l’aspect décharné du texte qui égrène peu à peu la liste des victimes de la malaria lors du premier voyage, entre le départ de l’île de Java et l’arrivée au Cap de Bonne-Espérance. À vaisseau fantôme, journal fantôme, et, ce n’est qu’en rejoignant le port d’Afrique du Sud que l’équipage pourra se reposer et le journal reprendre forme42.
Le tableau du réel
17La métaphore spatiale qui permet de réunir un instant écriture et référent se double parfois d’une métaphore picturale par laquelle le moyen et l’objet sont envisagés tous deux sous un nouvel angle : celui de la palette. Le réel se voit alors investi d’une dimension plastique et l’activité d’écriture recoupe l’activité du peintre. Comme pour la métaphore spatiale, un même champ lexical est utilisé de part et d’autre, jouant sur la polysémie de termes comme « view », « draw », ou encore « picture ». Si dans un premier temps, le renvoi au pinceau du peintre ne faisait que souligner l’écart entre l’écriture et son objet, en venant se substituer à une langue incapable de se saisir du monde, l’emploi de la métaphore picturale permet ici à l’écriture de reproduire un objet qui se donne déjà comme un tableau, qui est déjà constitué comme œuvre esthétique. Il ne s’agit plus de décrire, mais simplement de copier. Cet acte de reproduction se trouve parfois littéralement représenté dans le texte avec, ça et là, au détour d’une phrase, la présence de schémas ayant pour but premier d’illustrer le propos du narrateur. Ici, le renvoi n’est pas extratextuel puisque les schémas sont parties intégrantes du récit, comme en témoignent les symboles de la lune et du soleil qui accompagnent fréquemment les données astronomiques des entrées du journal, ou encore les formes stylisées d’un arc ou d’un bijou utilisés dans les Nouvelles-Hébrides et dont la représentation graphique dans le texte vient se substituer entièrement à la description43. Par le truchement de la métaphore le réel devient donc dicible et lisible. Le fossé qui séparait l’écriture du monde se trouve comblé le temps du déplacement métaphorique. Lorsque le monde que l’écriture tente de transcrire s’offre tel un texte, lorsqu’il se donne déjà comme tableau, c’est la possibilité du geste référentiel qui se trouve réactivée. Pourtant le recours aux différents types de métaphores que nous avons évoqués ne saurait résoudre complètement le problème de la disjonction entre moyen et objet. Car la métaphore ne saurait fonctionner en permanence, ni couvrir la totalité du texte. La réunion des moyens et de l’objet, de l’écriture et du monde, ne s’opère en définitive que dans les quelques moments épars où la métaphore prend corps, et dans sa majeure partie, le texte continue à se dissocier de l’objet qu’il tente de consigner. Pour pallier cette hétérogénéité, c’est vers de nouveaux procédés que l’écriture doit se tourner.
Les emprunts lexicaux
18La difficulté la plus immédiatement perceptible de l’impuissance de l’écriture à se saisir de son objet réside dans la disproportion entre la quantité limitée de lexique à disposition du narrateur et la manifestation infinie du réel qui se déploie lors du voyage. La finitude du lexique devient rapidement un obstacle à l’accomplissement de la tâche de description qui est assignée à l’écriture. Dès lors, pour pouvoir remplir sa mission, le narrateur est contraint de procéder à une augmentation de son vocabulaire. Dans les journaux de Cook, cette augmentation se fait essentiellement par l’emprunt de mots indigènes que l’auteur incorpore à son récit, et qui permettent jusqu’à un certain point de rendre compte de cet objet exotique et imprévu qu’est le monde du Pacifique. Car l’impossibilité apparente de la langue à reproduire un réel qu’elle n’a pas prévu n’a rien d’absolu. En effet, ce qui n’a pas encore été désigné dans une langue, en vertu de son caractère allogène à l’espace qu’elle se propose de consigner, l’a peut-être déjà été dans une autre, autochtone celle-ci. Ainsi, au gré du texte il est fréquent de rencontrer des mots tahitiens et maoris tels que « morai », « Hippa », « Heiva », ou encore « Matte », et « Taio » pour ne citer que les plus fréquents. L’incorporation de ces mots étrangers n’est toutefois pas sans poser de problème, car loin de combler le fossé qui sépare les mots des choses, la pratique ne fait que déplacer le problème à l’intérieur du langage. En devenant possible, la dénomination à l’aide de l’emprunt substitue à l’hétérogénéité du dire et du monde, une hétérogénéité interne à l’énoncé. L’inconnu passe du monde au texte et met en œuvre une nouvelle difficulté, touchant cette fois à la lisibilité du terme emprunté. Le lecteur doit alors se livrer à un véritable exercice de décodage, facilité le plus souvent par une explicitation du narrateur. Ainsi, les premières occurrences de ces mots sont généralement accompagnées de leur traduction anglaise : « mories, ou lieux de culte », « Hippa, ou village fortifié », « Heiva, ou divertissement public », etc. Parfois, c’est une phrase entière qui apparaît dans le texte : « Aussitôt arrivés à un jet de pierres du navire, ils s’arrêtaient habituellement et se mettaient à crier : Haromai harenta a patou ago, c’est-à-dire « Venez ici, venez à terre près de nous et nous vous tuerons avec nos patous-patous44 ».
19La fréquence élevée avec laquelle le narrateur utilise ce corpus de mots indigènes explique que ceux-ci ne soient pas systématiquement explicités après leur première occurrence. La plupart du temps, le mot étranger apparaît donc tel quel dans le texte, naturellement incorporé au récit des événements qui sont mentionnés, et portant parfois, comble de son assimilation, les marques de la conjugaison anglaise. Lors de son second voyage, alors qu’il s’apprête à rendre visite à un chef tahitien prénommé Otou, Cook écrit par exemple : « On me dit qu’il était matou45 ». Quelques mois plus tard, lorsque l’expédition se sépare d’Œdiddy, c’est à nouveau vers le lexique tahitien que Cook se tourne : « Alors qu’il quittait le navire, il voulut que je lui tattooe quelques parou46 ». Verbes, noms, ou encore adjectifs, les mots importés depuis les langues du Pacifique occupent l’ensemble des positions existantes dans la langue qui les accueille. On assiste ainsi à la création de véritables néologismes, qui, s’ils ne sont pas bâtis par composition ou dérivation du lexique anglais, ne se comportent pas moins comme de véritables lexèmes de cette langue. Certains de ces mots allogènes, tels que « tattoo » ou « tabou » ont été depuis complètement intégrés à la langue anglaise47. Le recours à l’emprunt indigène présente deux avantages clairement identifiables. Il participe tout d’abord de l’effet de réel, pour reprendre une expression consacrée, en donnant au texte une certaine dose de couleur locale. À l’instar des différents objets que les membres d’équipage rapportent de leur voyage, il fonctionne comme souvenir du séjour dans le Pacifique. Il atteste en quelque sorte l’authenticité de l’expérience vécue et relatée. Mais il contribue également à l’économie textuelle en évitant à l’écriture de répéter la description approximative et défaillante du réel que le narrateur découvre. Explicité ou traduit lors de sa première occurrence, il peut par la suite être remployé dans le texte comme n’importe quel mot de la langue anglaise, dans des énoncés de plus en plus complexes. Mais pour ce faire, il requiert une attitude active du lecteur qui doit exercer sa mémoire et se souvenir du sens du terme employé, ou retrouver ce sens par le biais du contexte. C’est peut-être là l’une des fonctions des nombreuses listes comparatives de vocabulaire que les journaux de Cook proposent, que d’aider le lecteur dans cette tâche de maîtrise du lexique indigène. Si ces listes ont pour but de préparer le lecteur à une éventuelle rencontre physique avec les indigènes, ou de fournir aux linguistes le matériel d’une étude des différentes langues parlées dans le Pacifique, elles offrent également la possibilité d’aborder le récit du voyage en toute sérénité en lui permettant d’intégrer à son tour les emprunts indigènes à sa propre langue.
Le recours au familier
20Lorsque la langue ne parvient pas à saisir dans sa totalité le référent exotique qu’il lui est donné de décrire, elle en est réduit parfois à en proposer un équivalent qu’elle puise dans le domaine des réalités familières que le narrateur partage avec son lecteur. Le recours à ce savoir partagé qui permet de rendre le monde dicible et lisible se fait par le biais d’une comparaison explicite entre l’objet inconnu rencontré lors du voyage et un objet connu, qui est présenté comme similaire. Aucune des catégories du réel n’est épargnée : faune, flore, spécificités géographiques des lieux visités, particularités physiques des indigènes qui y vivent, tenues vestimentaires, coutumes, etc., tout ce que le voyageur découvre lors de son séjour semble rappeler, ne serait-ce que de manière lointaine, un ou plusieurs éléments du monde dont le voyageur et le lecteur sont issus. Forme, taille, couleur, sont les paramètres qui reviennent le plus souvent dans cet exercice de comparaison. Ainsi, les habitations hawaïennes ressemblent à des épis de maïs oblongs48, et celles de l’île de Pâques, à des coques de bateau renversées49. Les coiffes des femmes de cette île rappellent les bonnets écossais50. Tel oiseau rencontré en Nouvelle-Zélande est décrit comme « un oiseau noir, de la taille d’une corneille51 », tel fruit tahitien a la forme d’un ananas52, et la viande de chien que l’on sert à l’équipage de l’Endeavour dans les îles de la Société a le goût de la viande d’agneau que l’on trouve en Angleterre53. Le texte multiplie ainsi les comparaisons à l’envi. Le degré de comparaison n’est cependant pas identique à chaque occurrence. La part d’inconnu que recèle l’objet que l’on mentionne joue ici un rôle prépondérant. Si pour parler des maquereaux aperçus dans la Baie des Îles en Nouvelle-Zélande, le narrateur n’éprouve nul autre besoin que de souligner leur ressemblance aux poissons de la même espèce que l’on trouve dans les eaux anglaises54, il en va différemment lorsque le caractère totalement inédit de ce que l’on a sous les yeux ne peut être englobé en un renvoi unique. Ce sont alors plusieurs éléments déjà connus du lecteur que le narrateur se voit contraint de convoquer pour essayer d’approcher une description fidèle du réel. Le cas du kangourou dont nous avons par ailleurs déjà parlé, est à ce titre riche d’enseignement. De la couleur d’une souris, il a la tête et les oreilles d’un lièvre et l’allure générale d’une gerboise. À l’instar du caméléopard des auteurs de l’Antiquité, l’animal inédit qui se présente aux yeux de Cook s’apparente fort à un assemblage disparate d’éléments divers, et serait digne de figurer dans un bestiaire fantastique.
21Le renvoi au connu appelle la question de la référence. Car la notion même de connu est relative et ne saurait être envisagée comme un paramètre fixe. Ce qui est connu pour tel lecteur ne l’est pas forcément pour tel autre55. Si le référent auquel le texte a le plus fréquemment recours est tout d’abord l’Angleterre, et dans une moindre mesure le continent nord-américain où Cook a séjourné plusieurs années, la connaissance accrue du Pacifique au fur et à mesure des expéditions entraîne un glissement de la référence vers Tahiti et, de manière moins fréquente, la Nouvelle-Zélande, qui s’imposent peu à peu comme les lieux principaux à l’aune desquels la nouveauté va être examinée. Comme l’écrit Rod Edmond, Tahiti devient « la référence centrale pour l’océan tout entier et ses habitants, l’étalon-or auprès duquel les autres cultures du Pacifique sont mesurées56 ». Tonga, les Marquises, les Nouvelles-Hébrides, la Nouvelle-Calédonie ou l’archipel hawaïen pour ne citer que quelques-unes des îles visitées aux second et troisième voyages se voient explicitement jugées sur la base des connaissances que le narrateur a pu acquérir sur Tahiti. Ainsi à Hawaï : « sont produites toutes les espèces de fruits et de racines que l’on trouve à Tahiti […] les animaux domestiques sont les cochons, les chiens et la volaille, tous de la même espèce que ceux de Tahiti57 ». Le même constat s’applique à l’archipel des Tonga : ignames, noix de coco, cannes à sucre, plantains, ou encore arbres à pain, on peut s’y procurer « en général tout ce que l’on trouve à Tahiti58 ».
22Il serait vain de dresser ici la liste des comparaisons que Cook établit entre les lieux qu’il visite et ceux qu’il choisit comme référence. Il faut cependant souligner que ce processus de comparaison n’aboutit pas systématiquement à un jugement de conformité. À Nomuka par exemple (l’une des îles de l’archipel des Tonga), Cook évoque le traitement accordé aux femmes indigènes lors de la prise des repas et conclut : « À la différence de ce que l’on observe à Tahiti, on n’a pas ôté ici le privilège aux femmes de manger en compagnie des hommes59 ». Par le biais de la comparaison, ce sont les différences autant que les similitudes qui sont révélées.
23Le recours au familier a pour avantage de permettre la visualisation de l’objet inconnu dont on veut rendre compte. Par le renvoi à un objet similaire qui fait partie de la sphère de connaissance du lecteur, le narrateur s’économise le vain et laborieux travail de la description, et offre au lecteur un accès à l’objet exotique qui n’est donc plus à décrire, car on lui substitue un objet familier qu’il suffit de nommer pour que le lecteur puisse se le représenter. Cette représentation ne saurait cependant être totalement convaincante et ce n’est, une fois de plus, que par approximation que le dire se fait l’écho du monde60. Le caractère approximatif de la comparaison est particulièrement flagrant lorsque ce sont des notions ou des concepts intrinsèquement occidentaux que le texte plaque sur la réalité océanienne dont il a la charge. Les termes de Premier ministre par exemple, d’Amiral de la Flotte, d’officier des douanes ou encore de Régent, pour désigner les fonctions de certains indigènes, ne sauraient en tout point correspondre aux réalités des sociétés auxquelles appartiennent ces personnes, pas plus que le nom de Cantorbéry attribué à celui qui semble être le principal chef religieux tonguien ne peut recouvrir l’ensemble des caractéristiques du plus haut dignitaire de l’Église anglicane61. Lorsqu’il utilise des catégories abstraites comme les concepts de paradis et d’enfer pour décrire les croyances néo-zélandaises en matière de vie après la mort, Cook est contraint d’expliciter son choix :
[…] On nous a dit que l’esprit de celui qui tombe entre des mains ennemies et est dévoré, va en Enfer, c’est-à-dire, descend vers une région où brûle un feu éternel, mais que l’esprit de celui dont le corps est récupéré va au Paradis, c’est-à-dire monte vers le domaine où habitent les Dieux. Il en est de même de celui qui meurt de mort naturelle62.
Les deux notions employées ici ne peuvent correspondre à l’évidence que de manière très imprécise et lointaine au système de croyances maories. Mais là n’est pas leur fonction principale. Il s’agit plutôt, par l’utilisation de ces deux termes connus du lecteur, de permettre à celui-ci de se faire une représentation (même faussée) de ce système. Le recours aux catégories de paradis et d’enfer, tout en étant réducteur et approximatif, semble rendre ainsi possible la mise en mots du réel. Mais en même temps, et de manière paradoxale, les précisions apportées à la suite des deux termes, loin d’offrir un accès plus direct aux croyances maories, ne font en définitive qu’accentuer le caractère arbitraire de la comparaison qui est effectuée, soulignant ainsi le caractère profondément subjectif du regard posé sur l’objet que l’on se propose d’évoquer. Car Cook, comme tous les autres voyageurs, ne voyage jamais seul. Il emporte avec lui ses préjugés et ses catégories mentales préétablies, qui viennent, d’une certaine manière, modéliser le réel qui se dévoile peu à peu sous ses yeux. C’est finalement l’impossible articulation de la langue du narrateur et du monde exotique qu’il a pour projet de décrire qui se trouve mise en scène. Ce fossé qui sépare le dire du monde, et au-delà, le caractère arbitraire de toute description, se font encore plus visibles dans l’acte de désignation des lieux visités pendant l’expédition.
Nommer le monde
24La prise de possession de tout territoire nouvellement découvert s’accompagne d’une désignation officielle du lieu. À plusieurs reprises, Cook affiche sa volonté d’employer le nom indigène du lieu lorsque celui-ci est disponible, et de fait certaines des îles découvertes lors du voyage sont répertoriées dans les journaux sous leur appellation indigène. C’est le cas notamment pour les Îles de la Société, les Nouvelles-Hébrides, l’archipel des Tonga ou les îles hawaïennes. Force est de constater cependant que dans la plupart des cas, les points de chute du navire se voient nommés dans la langue du découvreur : l’anglais. Aucune véritable logique ne semble présider à l’attribution des noms de lieux, mais on peut cependant y décerner plusieurs catégories.
25La désignation permet tout d’abord à Cook de rendre un hommage appuyé aux grands personnages du royaume. Plusieurs lieux portent ainsi le nom des membres de la famille royale : « Queen Charlotte Sound » en Nouvelle-Zélande, par exemple, ou « Prince William Sound » en Alaska, « Cape George » et « Cape Charlotte » en Géorgie du Sud, « York Cape », « Cape Gloucester » et « Cumberland Island » sur la côte australienne, ainsi nommés en hommage aux frères du roi George III63, pour ne citer que les plus connus. Plus bas dans l’échelle de la société, ce sont les Lords de l’Amirauté et les grands politiciens du royaume, ainsi que les officiers les plus gradés de la Royal Navy et les personnalités de la Royal Society, qui sont également honorés. La liste est longue, mais on peut y voir apparaître certains noms plusieurs fois, notamment ceux de Sandwich et Palliser, personnalités dont le pouvoir et l’influence furent prépondérants dans la carrière de Cook64. Cette distribution d’honneurs touche également des personnages plus humbles tels que le révérend John Douglas, par exemple, ami de Cook qui publia les récits des deuxième et troisième voyages, ou encore le docteur Richard Kayes, administrateur du British Museum. Enfin, ce sont aussi les membres de l’équipage qui sont parfois mis à l’honneur, soit du fait de leur grade (« Pickersgill Island », par exemple, ou « Coopers Isle65 »), soit parce qu’il sont les premiers à voir la terre depuis le pont du navire, comme l’illustre le cas de « Young Nick’s Head », ainsi nommé en l’honneur du Nicholas Young, mousse à bord de l’Endeavour qui fut le premier à apercevoir la côte néo-zélandaise66. Le nombre pourtant considérable de personnalités dont les noms et titres viennent remplir la carte du Pacifique, ne saurait cependant épuiser la quantité d’îles et de lieux à nommer. D’autres procédés de nomination sont mis en œuvre, qui, au-delà du rôle qui leur est assigné, mettent en lumière le caractère arbitraire de toute désignation. Ainsi, les péripéties du voyage sont autant d’occasions d’attribuer au lieu la marque du passage de l’expédition. « Cape Kidnappers » en Nouvelle-Zélande, souvenir de la tentative d’enlèvement d’un jeune Maori embarqué à bord de l’Endeavour par d’autres Maoris d’une tribu ennemie, illustre ce principe67, mais aussi : « Cape Turnagain », où le navire fit demi-tour, « Cape Farewell », d’où il quitta la Nouvelle-Zélande, « Cape Tribulation » sur la côte australienne, « car c’est ici que commencèrent nos ennuis68 ». « Cape Foul Weather » sur la côte ouest américaine, « Savage island » (Niue), ainsi désigné du fait du comportement agressif des indigènes ou encore le nom donné à l’archipel des Tonga : « […] les îles de l’Amitié, en raison de l’amitié durable qui semble prévaloir parmi les habitants, et de la courtoisie qu’ils montent à l’égard des étrangers69 ». La dimension temporelle est elle aussi soulignée. Les noms de « Christmas Sound » en Terre de Feu, ou « New Years Harbour » au large de Staten Island ne requièrent aucune explication supplémentaire et se suffisent à eux-mêmes70. La présence de ces noms sur la carte fonctionne ainsi comme anticipation du voyage. Lire la carte et les noms de lieux qui y sont inscrits, c’est déjà établir un premier contact avec le récit du voyage. C’est déjà parcourir des yeux l’espace que le navire sillonne dans le Pacifique. Les noms y fonctionnent alors comme autant de repères et de balises à la fois temporels et événementiels.
26Mais le voyage ne saurait se réduire à une série d’événements marquants dont le souvenir serait conservé par la dénomination. C’est alors que l’on voit surgir à nouveau la référence au connu. Certains parallèles sont ainsi parfois explicitement établis entre l’endroit où le navire accoste et un endroit en apparence similaire qui se trouve, lui, en Angleterre. L’île de Portland par exemple découverte au large de la côte néo-zélandaise lors du premier voyage, qui doit son nom « du fait de sa très grande ressemblance avec l’île de Portland dans la Manche71 », ou encore cette rivière, toujours en Nouvelle-Zélande, simplement nommée Tamise « car elle a quelque ressemblance avec la rivière anglaise du même nom72 ». Plus fréquemment, ce sont certaines particularités géographiques du lieu qui motivent l’appellation. Bien souvent, le nom parle de lui-même et semble s’être imposé naturellement au narrateur : « White Island », « Green Island », « Round island », « Mount Dromedary », « Mount Camel », « Facile Harbour » ou encore « Island of Desolation », pour ne citer que quelques-uns des plus parlants73. Nul besoin de longues explications ici pour justifier de tels choix. Leur force évocatrice suffit à s’en faire une première représentation. Mais il n’en est pas toujours ainsi et le lecteur doit quelquefois faire preuve d’imagination pour imaginer le lieu à partir des mots par lesquels il est désigné : « the Hen & Chickens » au large de la Nouvelle-Zélande par exemple74, ou encore cet autre groupe d’îles rapprochées les unes des autres que Cook nomme « the Mayor » et « the Court of Aldermen75 ». Dans de rares cas enfin, la représentation à partir du nom est rendue délicate du fait de l’écart culturel et temporel qui sépare le texte de son lectorat actuel. L’exemple de ces îlots que Cook appelle « Poor Knights » (« Pauvres Chevaliers ») est à ce titre exemplaire76. Aucun détail sur le choix de cette appellation n’apparait dans le texte, sans doute parce que ce nom était transparent aux yeux des lecteurs du xviiie siècle. John Cawte Beaglehole, dans son édition du premier voyage de Cook, en propose une explication qu’il qualifie lui-même d’hasardeuse :
Il existait, dans certaines parties d’Europe et notamment en Angleterre, un plat traditionnellement connu sous le nom de Pauvres Chevaliers. Dans certaines de ses versions, ce plat se composait de quignons de pain imbibés d’œuf et frits. Les îlots que Cook vit ce jour-là ne sont rien d’autres que de gros rochers bruns et argileux, semblables à des quignons de pain, et semblant flotter sur une mer d’huile (et il n’y avait qu’une brise délicate à ce moment), comme sur une assiette77.
Au-delà des raisons qui poussent James Cook à choisir le nom des lieux qu’il visite, il reste que ce nom ne peut qu’évoquer de manière très fragmentaire et approximative la réalité qu’il est supposé englober. Ainsi, si les termes « white », « green » ou « round » correspondent sans doute à la couleur générale ou à la forme des îles qu’ils désignent, ils ne sauraient en aucun cas contenir toutes les caractéristiques du lieu, pas plus que l’île de Portland dans le Pacifique ne peut correspondre en tout point à son équivalente anglaise78. Le recours au familier, si pratique qu’il soit pour permettre au lecteur de bâtir sa propre représentation de l’objet que l’écriture lui transmet, ne peut combler, une fois de plus, l’hétérogénéité du dire et du monde.
27Les différentes stratégies que l’écriture met en œuvre pour compenser son impuissance à se saisir du réel ne font en définitive qu’attirer l’attention sur cette déficience. Qu’il s’agisse d’un renvoi à des textes préalables, à des représentations picturales, ou que l’on considère l’augmentation du lexique par emprunt ou le recours à un univers familier du lecteur, ce sont moins les caractéristiques du réel que les faiblesses de l’écriture qui sont mises en texte. Dans une certaine mesure, l’incapacité de l’écriture référentielle à rendre compte du réel dans sa totalité illustre cette « grande utopie d’un langage parfaitement transparent où les choses elles-mêmes seraient nommées sans brouillage » dont parle Michel Foucault dans les Mots et les choses79. La question qui se pose en filigrane est bien de savoir comment on peut faire voir au lecteur ce que l’on a soi-même vu. Ou, en d’autres termes, comment ce que l’on a vu et que l’on transmet par un discours devient-il à son tour visible aux yeux d’un autre, dès lors que ce que l’on transmet n’est jamais la chose elle- même, mais des mots. Ce que le narrateur des journaux de James Cook donne à voir, c’est toute la difficulté que l’on éprouve à mettre le réel en mots, qui ne s’opère en définitive que par le biais de nombreux détours que la langue est contrainte d’opérer pour cerner son objet. Devant la quasi incapacité à accomplir cette mission, c’est la possibilité même du discours référentiel qui se trouve compromise. Mais peut-on s’arrêter à ce constat ? Le texte peut-il être réduit à cet impossible discours transparent sur le monde ? Le label de récit authentique attribué à chacun des journaux de Cook sous-entend que ces textes offrent à lire une représentation objective de la réalité, mais l’impossibilité de cette représentation objective amène à son tour la question de la fictionalité de toute représentation ainsi que celle des stratégies narratives mises en œuvre dans le compte rendu de l’expérience viatique.
Notes de bas de page
1 T. Todorov, Les Morales de l’histoire, op. cit., p. 123. Todorov s’oppose ici à Claude Lévi-Strauss, pour qui au moment des grandes découvertes, « une humanité qui se croyait complète et parachevée reçut tout à coup, comme une contre-révélation, l’annonce qu’elle n’était pas seule, qu’elle formait une pièce d’un vaste ensemble […] » (C. Lévi-Strauss, Tristes Tropiques. Paris, Plon, 1955, réédition Pocket, 1984, p. 387).
2 N. Zimpfer, op. cit., p. 101. Cook écrit au sujet des icebergs : « L’ensemble forme une vue que seul le crayon d’un peintre habile peut saisir » (Cook II, p. 98. Entrée du 24 février 1773). On aura noté également le qualificatif « habile » associé à peintre. N’importe quel peintre ne saurait en effet être capable de saisir le caractère sublime des icebergs.
3 Cook I, p. 393. Entrée du 23 août 1770.
4 Cook III, p. 187. Entrée du 13 août 1777.
5 Cook II, p. 428. Entrée du 4 juin 1774.
6 « […] le réel, indicible, a aussi la particularité d’avoir été déjà dit » (C. Montalbetti, op. cit., p. 53).
7 Plus rarement, la référence au texte antérieur s’effectue par le biais d’une citation de ce texte. Nous traitons ce cas particulier dans la sous-partie intitulée « La question de l’intertextualité ».
8 Cook I, p. 417. Entrée du 16 septembre 1770.
9 Ibid., p. 234. Entrée du 15 janvier 1770.
10 J. Pernety, Journal historique du voyage fait aux îles Malouines et au détroit de Magellan. Berlin, 1769, Paris, 1770. Traduction anglaise de 1771 ; P. Sonnerat, Voyage à la Nouvelle-Guinée. Paris, 1776 ; T. Pennant, Synopsis of Quadrupeds. London, 1771 ; D. Crantz, The History of Greenland. London, 1767.
11 « Monsieur Sonnerat, pages 181 et 182, planches 113 et 115, de son Voyage à la Nouvelle Guinée, donne un aperçu et une description très précis de ces animaux et de celui que nous avons mentionné précédemment » (Cook III, p. 45. Entrée du 30 décembre 1776).
12 « Monsieur Pennant a donné une très bonne description de cet animal, p. 335 de son ouvrage, sous le nom de Walrus Arcticus » (Ibid., p. 420).
13 « […] la fabrication en est très minutieusement décrite dans l’ouvrage de M. Hawkesworth, vol. 2, page 210 » (Cook III, p. 171. Entrée du 16 juillet 1777).
14 Ibid., p. 173.
15 Ibid., p. 350-351. Entrée du 15 mai 1778.
16 Ibid., p. 425. Entrée du 27 août 1778.
17 Cook II, p. 119. Entrée du 12 avril 1773.
18 Ibid., p. 133. Entrée du 11 mai 1773. C’est moi qui souligne.
19 Cook III, p. 282. Entrée du 2 février 1778. C’est moi qui souligne. Dans certains cas, le renvoi au pinceau est immédiat et le narrateur ne perd pas de temps à s’essayer à la description. Ainsi, pour les pirogues de Manua, dans les îles Cook, le texte indique simplement : « Voir le croquis » (Ibid., p. 90. Entrée du 6 avril 1777).
20 Ibid., p. 131. Entrée du 17 juin 1777. C’est moi qui souligne.
21 J. Viviès, op. cit., p. 42. Montaigne, « De l’institution des enfants », Les Essais, op. cit., p. 205. J. L. Borges, « La Bibliothèque de Babel », Fictions. Traduit de l’espagnol par P. Verderoye, Ibarra et R. Caillois. Nouvelle édition augmentée. Paris, Gallimard, (1957, 1965) 1983, p. 71-81.
22 Cook II, p. 17. Entrée du 13 juillet 1772. C’est moi qui souligne.
23 Ibid., p. 161. Entrée du 19 mai 1773. C’est moi qui souligne.
24 Ibid., p. 448. Entrée du 1er juillet 1774. C’est moi qui souligne.
25 Ibid., p. 138. Entrée du 11 mai 1773. C’est moi qui souligne.
26 Cook I, p. cxciv.
27 Ainsi par exemple : « la présence de phoques, de pingouins, ou de quelque oiseau océanique que ce soit, n’est le signe indubitable de la proximité d’une côte » (Cook II, p. 642. Entrée du 21 février 1775).
28 Cook I, p. 408. Entrée du 3 septembre 1770.
29 Cook II, p. 550-554. Entrées du 21 au 27 septembre 1774.
30 Cook III, p. 486-487. Entrée du 5 janvier 1779.
31 Ibid., p. 188. Entrée du 14 août 1777.
32 Ibid., p. 240. Entrée du 2 novembre 1777.
33 Cook II, p. 297. Entrée du 25 novembre 1773.
34 Ibid.
35 Ce contrat empirique n’est toutefois pas toujours respecté à la règle. J’y reviens.
36 Cook II, p. 294. Entrée du 23 novembre 1774.
37 Cook III, p. 199. Entrée du 1er septembre 1777. Cook a la même réaction lorsqu’on lui permet d’assister quelques jours plus tard à une parade militaire : « j’y vis l’occasion d’en apprendre un peu plus sur leur manière de combattre » (Ibid., p. 212. Entrée du 21 septembre 1777).
38 Ibid., p. 204. Entrée du 2 septembre 1777.
39 Ibid., p. 166. Entrée du 17 juillet 1777. C’est moi qui souligne.
40 Cook II, p. 189. Entrée du 2 août 1773. « Il fallait que la question fût tranchée par des faits », la formule n’est pas sans rappeler celle de Bougainville : « la géographie est une science de faits » (L.-A. De Bougainville, op. cit., p. 219).
41 Voir notamment l’échouement de l’Endeavour sur un récif de la Grande Barrière de Corail en juin 1770 (Cook I, p. 344. Entrée du 11 juin 1770).
42 Cook I, p. 446-452. Entrées du 17 janvier au 28 février 1771. À la date du 31 janvier, Cook rend compte de la situation de la manière suivante : « Preuve de la situation calamiteuse où nous nous trouvons à présent, nous avons un nombre à peine suffisant d’hommes valides qui puissent s’occuper des voiles et des malades. La plupart de ces derniers sont si atteints que nous avons perdu tout espoir de les voir guérir » (Ibid., p. 448).
43 Cook II, p. 466-467. Entrée du 23 juillet 1774.
44 Cook I, p. 281. Entrée du 31 mars 1770.
45 « mataou’d » dans le texte de Cook (Cook II, p. 206. Entrée du 26 août 1773).
46 Ibid., p. 426. Entrée du 1er juin 1774.
47 En dehors de ces néologismes d’emprunts, on ne trouve dans les journaux de Cook aucun néologisme formel basé sur le lexique anglais.
48 Cook III, p. 283.
49 Cook II, p. 352.
50 Ibid., p. 355.
51 Cook I, p. 197. Entrée du 11 novembre 1769.
52 Ibid., p. 121.
53 Ibid., p. 122.
54 Ibid., p. 219. Entrée du 5 décembre 1769.
55 Cette remarque se vérifie de manière encore plus évidente lorsque l’on envisage les générations successives de lecteurs du xviiie siècle à nos jours.
56 Rod Edmond, « The Pacific/Tahiti : queen of the South Sea isles », The Cambridge Companion to Travel Writing, op. cit., p. 140. Bien que la Nouvelle-Zélande ait été à l’époque des voyages de Cook aussi connue et visitée que Tahiti, elle ne parvint pas à véritablement s’imposer comme référence. Le cannibalisme prévalant dans l’île fut à cet égard sans doute un obstacle majeur.
57 Cook III, p. 278. Entrée du 2 février 1778.
58 Ibid., p. 161. Entrée du 17 juillet 1777.
59 Ibid., p. 101. Entrée du 8 mai 1777.
60 Il arrive que cette approximation soit soulignée par le texte, comme par exemple lorsque Cook livre au lecteur la recette d’un gigot de chien, préparé dans « un four, car c’est bien ainsi qu’il faut l’appeler » (Cook I, p. 103. Entrée du 20 juin 1769).
61 « […] il semblait être le chef de l’église et nous l’appelâmes Cantorbéry » (Cook II, p. 274. Entrée du 7 octobre 1773). Le terme « église » participe également ici de cette approximation de la désignation. Dans la même veine, Thomas Edgar, premier maître du Discovery signale « un autre chef important, du nom de Kapi, qui tient le peuple en bon ordre par de fréquentes harangues, et que, de ce fait, l’équipage a baptisé Lord North » (Cook III, p. 99, n. 4. Entrée du 2 mai 1777).
62 Cook III, p. 71. Entrée du 25 février 1777. C’est moi qui souligne.
63 Il s’agit de Edward, duc d’York, William, duc de Gloucester et Henry, duc de Cumberland.
64 Citons par exemple pour la Nouvelle-Zélande : « Cape Saunders », « Hawke’s Bay », « Mount Egmont », « Cape Colville », « Cape Grafton », « Cape Stephens », « Point Jackson », ou encore « Cape Palliser ».
65 Richard Pickersgill était premier maître à bord de l’Endeavour, puis au deuxième voyage, lieutenant sur le Resolution. Richard Cooper, était également lieutenant à bord du Resolution lors du deuxième voyage.
66 Cook I, p. 173. Entrée du 11 octobre 1769.
67 Ibid. p. 178. Entrée du 15 octobre 1769.
68 Ibid., p. 343. Entrée du 10 juin 1770.
69 Cook II, p. 449. Entrée du 1er juillet 1774.
70 Certains de ces noms ont perdu aujourd’hui la transparence qu’ils pouvaient avoir au xviiie siècle. C’est le cas par exemple de « Cape Perpetua », ainsi nommé en l’honneur de Sainte Perpétue, martyre du iiie siècle célébrée le 7 mars, date à laquelle ce cap fut découvert par Cook (Cook III, p. 290. Entrée du 11 mars 1778), ou encore de « Cross Sound », qui fait référence à la découverte par Sainte Hélène (mère de l’empereur Constantin) le 3 mai 326, de la croix sur laquelle fut crucifié le Christ (Cook III, p. 337. Entrée du 3 mai 1778).
71 Cook I, p. 174. Entrée du 13 octobre 1769.
72 Ibid., p. 207. Entrée du 21 novembre 1769.
73 La subjectivité de la dénomination se manifeste également lorsque l’on compare les différents noms donnés à un même lieu par les navigateurs qui s’y sont rendus successivement. L’atoll de Vahitahi, par exemple, est nommé Lagoon Island par Cook et les Quatre Facardins par Bougainville, du nom d’un conte d’Alexandre Hamilton publié en 1720. Bow Island est de la même manière appelée Île de la Harpe.
74 Ibid., p. 211. Entrée du 25 novembre 1769. « the Hen & Chickens » : « la Poule et les Poussins ».
75 Ibid., p. 191-192. Entrée du 3 novembre 1769. « the Mayor » : « le Maire », « the Court of Aldermen » : « la Cour des Aldermen ». Joseph Banks explique ce choix dans son journal : « […] nous avons nommé ces îles ainsi en hommage à cette louable institution, et nous nous sommes amusés quelques instants à leur trouver des ressemblances avec l’un ou l’autre de ces respectables citoyens, en raison de leur corpulence, petit et trapu pour certains, grand et maigre pour d’autres » (Banks I, p. 424. Entrée du 3 novembre 1769).
76 Cook I, p. 211. Entrée du 25 novembre 1769.
77 Ibid., n. 4.
78 Cette remarque se vérifie de manière encore plus évidente lorsque le nom n’a aucun lien avec le lieu, comme lorsqu’il s’agit de rendre hommage à une personnalité du royaume ou de laisser sur la carte le souvenir du passage de l’expédition.
79 Michel Foucault, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines Paris, Gallimard, 1966, p. 133.
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