Un documentaire ethnologique
p. 113-133
Texte intégral
1La multiplication des expéditions dans la Mer du Sud à partir de 1763 replace la rencontre avec l’Autre au centre des récits de voyages que l’on rapporte de cette région du globe. Ainsi que le formule le président de Brosses dans son Histoire des navigations aux Terres australes, l’exploration du Pacifique ne peut que révéler la présence « de peuples différents entre eux, et certainement très dissemblables à nous, pour la figure, les mœurs, les usages, les idées, le culte religieux1 ». Comme les Indiens d’Amérique deux siècles plus tôt, les insulaires du Pacifique deviennent donc objet d’étude et participent de ce fait au débat sur la nature humaine qui anime le siècle des Lumières.
2Les expéditions de Cook n’échappent pas à la règle. La description des peuples du Pacifique fait partie intégrante de la mission qui est confiée au capitaine par l’Amirauté. Pour chacun de ses voyages, il s’agit en effet d’observer et de noter dans le détail « le génie, le caractère, les dispositions et le nombre des naturels2 ». Comme pour les descriptions géographiques, la Royal Society fournit à l’occasion du premier voyage un ensemble de consignes à suivre que Cook reprendra en substance pour chacun des peuples qu’il décrira3. Ces consignes visent à répertorier les caractéristiques physiques et les coutumes des indigènes rencontrés, mais également des données plus abstraites comme leurs croyances religieuses ou l’organisation de leur société. Ici aussi, on observe de considérables différences dans le traitement que réserve Cook à ces questions dans son journal. Ces différences tiennent essentiellement à la quantité et la qualité des informations qu’il a pu recueillir, selon que l’escale ait permis de véritablement côtoyer les indigènes et donc d’observer leur mode de vie, ou que ceux-ci n’aient été aperçus que de temps à autres. Dans bien des cas, Cook ne pourra en effet qu’admettre son ignorance et s’en tenir au peu qu’il aura pu voir ou qu’on lui aura rapporté. Mais quelle que soit l’importance qu’il accorde dans son journal aux peuples qu’il rencontre, ses remarques revêtent toutes une valeur ethnographique de grande importance.
La collecte des données ethnographiques
3Chez Cook, comme chez les voyageurs qui le précèdent dans cette partie du globe et dans le Nouveau Monde, il n’y a pas de visée ethnologique au sens de science établie, comme ce sera le cas au xixe siècle. Si la démarche est bien de recueillir le plus d’informations possibles sur les insulaires du Pacifique, celle-ci s’inscrit dans une perspective plus globale, en marge des péripéties du voyage et greffée aux nombreuses autres remarques que le texte présente dans des domaines aussi variés que la navigation, la géographie, la science ou la botanique. Les informations sont recueillies au gré des entrées journalières, souvent sans ordre spécifique ni méthode, et si le départ de l’escale est l’occasion de livrer une description synthétique du lieu et de ses habitants, l’enquête ethnologique demeure fondue dans le récit, comme un élément parmi d’autres, et il faut bien souvent parcourir de nombreuses pages pour faire la somme de ce qui est écrit sur le sujet. Cette caractéristique des récits de voyage, qui n’enlève rien à la qualité des observations effectuées, fut d’ailleurs soulignée en 1770 par Cornelius de Pauw dans ses Recherches philosophiques sur les Américains : « On est dans le cas d’un botaniste qui, pour trouver une plante dont il veut connaître les caractères, est quelquefois contraint de parcourir des forêts, des landes, des rochers, des précipices, et d’herboriser dans toute une province avant que d’être satisfait4 ».
4La collecte de ces données s’inscrit dans une démarche empirique et est de fait soumise à un principe fondamental : celui de l’observation directe des faits que l’on rapporte et de leur vérification. Cook ne manquera pas d’ailleurs de préciser sa position lorsqu’il n’est pas témoin de ce qu’il décrit5. Parmi ces observations, les caractéristiques physiques sont bien sûr les plus faciles à répertorier. Nul besoin de pénétrer dans l’intimité de la vie des indigènes pour les décrire. Les voir, ne serait-ce que du pont du navire suffit à en transmettre l’image. Cette image ne saurait toutefois être toujours fiable. La couleur de peau des Aborigènes d’Australie, aperçus pour la première fois le 22 avril 1770, demeure par exemple quelques temps incertaine : « Ils paraissaient très foncés ou noirs, mais je ne sais si c’était là leur véritable couleur ou des vêtements qu’ils portaient », note-il dans son journal6. En quittant la Nouvelle-Hollande et après en avoir pu examiner les habitants, Cook sera en mesure de préciser que leur physique est loin d’être désagréable : minces et de taille moyenne, se tenant parfaitement droit, ils ont les cheveux noirs et les portent courts, leur peau a la couleur de la suie et ils ont la voix douce7.
5Au fil des entrées, on voit se dessiner ainsi un panorama des différents peuples du Pacifique et de leurs caractéristiques physiques, dont il serait vain ici de dresser la liste exhaustive. Il est cependant intéressant d’en souligner certaines des constantes et de voir l’analyse qui en est proposée. À l’une des extrémités de ce panorama, on trouve les indigènes de la Terre de Feu, ces Pêcherais que Bougainville avait pu observer lui aussi, en janvier 1768. De pauvres créatures, laides et affamées, dont l’aspect et l’odeur suffisent à couper l’appétit. La conclusion de Cook à leur encontre ne laisse aucun doute : « En bref, les Pêcherais sont sans doute la nation la plus misérable que nous ayons vue. Condamnés à vivre dans un des endroits les plus hostiles au monde, ils n’ont même pas l’intelligence de se procurer ce qui est nécessaire pour y rendre la vie supportable8 ».
6Cette position peu enviable leur est disputée par les indigènes de Malekula dans les Nouvelles-Hébrides, nation d’aspect simiesque, aux cheveux laineux, presque aussi noire que les Africains, sans en avoir toutefois la délicatesse des traits, en somme : « les êtres les plus laids et les moins bien proportionnés que j’aie vus jusqu’à présent. Ils semblent appartenir à une nation absolument différente de toutes celles que nous avons rencontrées dans cette mer9 ». À l’autre extrémité du prisme, il n’y a guère que les habitants des îles Marquises qui combinent les plus grandes qualités physiques et arrivent presque au niveau des Européens : « En général, les habitants de ces îles sont sans exception la plus belle race de cette mer. Par la régularité de leur taille et de leurs traits, ils surpassent probablement toutes les autres nations10 ». Entre ces deux bornes se déploient les autres peuples du Pacifique. Si les Tahitiens sont grands, robustes et se lavent plusieurs fois par jour, la forte odeur que dégage le monoï dont ils se couvrent le corps et la fâcheuse habitude qu’ils ont de manger leurs poux, empêchent de les classer trop favorablement11. Les Maoris de Nouvelle-Zélande, eux aussi grands et robustes, courageux et « exempts de perfidie12 », ont pourtant l’air de fous quand ils dansent, « animés de contorsions étranges tout en produisant des sons hideux13 », et seul le timbre de la voix permet de différencier hommes et femmes : « La voix des femmes est d’une douceur remarquable, et c’est par là qu’on les distingue principalement des hommes14 ». Les indigènes des îles Tonga occupent, quant à eux, une position médiane :
En ce qui concerne leur personne physique, je ne les trouve ni laids ni beaux. Aucun d’eux n’est aussi clair de peau, aussi grand ou aussi bien bâti que les habitants de Tahiti ou des îles voisines. D’un autre côté, on n’en trouve aucun aussi foncé, petit ou mal bâti que certains des naturels de ces mêmes îles. Il n’y a pas non plus de grandes disproportions entre les hommes et les femmes15.
Moins directement observables, les coutumes et les croyances des insulaires du Pacifique sont l’objet d’une interrogation permanente qui souligne avec force la subjectivité de l’entreprise empirique. La récurrence d’expressions comme « semblent » ou « paraissent », que l’on a déjà vu dans la description des côtes, signale ici aussi que les faits qui sont relatés ne sauraient être toujours pris pour argent comptant. Dans certains cas, Cook est forcé d’admettre sa totale incompréhension de ce qu’il observe. C’est le cas par exemple à Tahiti lors du premier voyage où rien ne permet d’expliquer la séparation entre hommes et femmes lors des repas :
Il est difficile d’expliquer cette coutume surprenante chez un peuple qui par ailleurs aime passionnément la société et surtout celle des femmes. Nous les questionnâmes souvent à ce sujet, mais nous n’apprîmes rien d’autre que s’ils mangent seuls, c’est parce que c’est convenable. Ils témoignèrent également la plus grande répugnance à l’idée que des hommes et des femmes puissent manger ensembles, et des mêmes mets16.
Rien ne peut non plus rendre compte de la pratique des sacrifices humains, où là encore, les questions que l’on pose aux habitants de l’île restent sans réponse. Lors de son troisième voyage et après quelques séjours dans cette île, la seule certitude à laquelle Cook parvient est que les sacrifices humains n’y sont pas rares17. Ailleurs, on trouve des interrogations similaires. En Nouvelle-Zélande, les scarifications que portent les Maoris sur les bras et la poitrine ne trouvent pas d’explication définitive18, pas plus que le refus absolu des habitants de Tasmanie de manger le poisson que leur offrent les Anglais : « Soit le poisson est en abondance, soit ils ne s’en nourrissent pas, car ils rejetèrent celui que nous leur offrîmes. Je pense que la première hypothèse est la plus probable19 ». Au fil du texte, les exemples sont nombreux qui témoignent de la difficulté à donner une image rationnelle et cohérente de cette réalité exotique qui se dévoile dans les journaux de Cook. Parmi tous ces éléments, les questions touchant au fait religieux et au système de gouvernement sont sans doute celles qui se dérobent le plus à toute analyse définitive. Sur l’île de Tanna dans les Nouvelles-Hébrides, Cook admet volontiers son ignorance : « Nous ne savons rien de leur religion, et très peu de leur gouvernement. Il semble qu’il y ait des chefs parmi eux, c’est en tout cas par ce titre que certains d’entre eux nous ont été désignés, mais ceux-ci, comme je l’ai fait remarquer précédemment, ne paraissent pas avoir beaucoup d’autorité sur les autres20 ».
7Dans l’archipel des Tonga, c’est un capitaine presque gêné qui avoue : « Nous connaissons si peu leur religion que j’ose à peine en parler21 », tout comme pour les Indiens de l’Alaska ou les habitants de Tahiti, dont le système de croyances reste opaque en dépit des efforts de Cook22. Faute de preuve empirique ou d’explication fiable, il est parfois nécessaire de se rabattre sur ce qui paraît logique, car dicté par la raison. Ainsi, en Nouvelle-Zélande :
Pour ce qui est de la religion, je crois que ces peuples s’en inquiètent fort peu. Cependant, ils croient à un Dieu suprême qu’ils appellent Taouné, ainsi qu’à un certain nombre de divinités subalternes, mais nous n’avons pu savoir avec certitudes s’ils rendaient un culte ou adressaient des prières à l’un ou aux autres. Il semble naturel de supposer qu’ils le font, et la raison me porte à le croire. Cependant, je n’ai jamais vu parmi eux la moindre action ou le moindre objet qui pût servir à le prouver23.
Mais si le fait religieux paraît impossible à appréhender, cela ne tient-il pas simplement dans la nature même de la religion ? C’est peut-être ce que Cook a voulu dire lors de son premier voyage en écrivant que : « les mystères de la plupart des religions sont obscurs et difficilement compréhensibles, même pour ceux qui les professent24 ». Au premier rang des raisons qui rendent ces données difficiles à recueillir et interpréter, se trouve le peu de temps passé sur place. Nous avons vu les précautions que prend Cook en préambule de sa description de la Nouvelle-Zélande25. De la même manière, les trois jours passés à Eua (Middleburg) dans l’archipel des Tonga ne sauraient permettre une connaissance fiable de l’île et de ses habitants26, et sur la côte australienne, c’est l’absence de réels contacts avec les Aborigènes qui empêche d’en savoir plus27. Lorsque la rencontre a lieu et que l’observation est possible, c’est bien souvent l’incapacité mutuelle à se comprendre qui freine, voire empêche l’acquisition de connaissances, et qui se trouve à l’origine des accrochages entre indigènes et marins anglais. Cook n’hésite pas à questionner les Tahitiens au sujet des sacrifices humains, mais : « L’homme auprès de qui j’avais fait cette enquête fit des efforts auxquels d’autres s’associèrent pour nous expliquer cette coutume dans son ensemble ; mais nous n’étions pas assez maîtres de sa langue pour le bien comprendre28 ». De la même manière, les rites funéraires pratiqués dans l’archipel des Tonga restent inaccessibles, les tentatives d’explication d’un côté, et d’interprétation de l’autre, ne parvenant pas à s’accorder : « je ne suis pas certain qu’il comprît mes questions. Pour ma part, je ne compris aucune des réponses qu’il me fît29 ». Si la présence d’insulaires à bord des navires facilite parfois le contact avec l’Autre, et permet une meilleure appréhension de ses coutumes, l’exercice ne saurait être systématiquement concluant. Ainsi, Tupia se fait parfaitement comprendre des Maoris, mais pas des Aborigènes, et Œdiddy ne peut communiquer avec les habitants de l’île de Pâques. Quand à Omai, si Cook rend hommage à sa bonne disposition générale, il regrette la superficialité de ses connaissances et son piètre sens de l’observation30.
8On comprend dès lors toute l’attention portée dans les journaux aux différentes langues parlées dans le Pacifique. Dès son premier voyage, Cook s’attache à établir des correspondances lexicales entre les peuples qu’il rencontre et dresse un certain nombre de parallèles entre des indigènes pourtant éparpillés dans cet immense océan. Il y découvre par exemple un lien explicite entre les langues tahitienne et maorie, qui ne varient, selon lui, qu’à de rares occasions31. Entre les deux îles néo-zélandaises, il existe des différences de prononciation, mais « pas plus que ce que nous trouvons entre les différentes régions d’Angleterre32 ». Les habitants de l’île de Pâques parlent un langage proche des îles situées plus à l’ouest (îles de la Société, Marquises et Tuamotu), et les Néo-calédoniens font entendre un mélange de néo-zélandais, de tonguien et de dialecte des Nouvelles-Hébrides. Quant aux tribus indiennes d’Alaska, elles possèdent quelques affinités linguistiques avec les Esquimaux du Groenland. Ces différentes remarques sont par ailleurs appuyées par la présence d’un lexique comparatif dont Cook tend à souligner tout de même l’aspect incertain, car lié à la difficulté de transcrire phonétiquement ce qui est entendu : « Rappelons de ne pas trop s’appuyer sur la liste suivante […] car j’ai souvent remarqué que deux personnes ou plus peuvent répertorier et écrire les mêmes mots de manière très différentes33 ».
9On assiste ici à un glissement vers une perspective plus analytique que le simple recueil d’informations mentionné jusqu’à présent, qui participe d’un mouvement plus général ou la réflexion prend le pas sur l’observation. La collecte des données ethnographiques est ainsi pour Cook l’occasion de se livrer à une interprétation de certaines des caractéristiques physiques qu’il note ça et là au gré de ses rencontres. Nous avons vu plus haut par exemple, comment il attribuait la petite taille des Tahitiennes de la classe inférieure à de précoces ébats amoureux34. La couleur de peau de ces mêmes Tahitiennes est elle aussi sujet à l’analyse. Pour Cook, c’est l’exposition prolongée au soleil des gens forcés de travailler en extérieur qui est la cause première de leur aspect. Ce même élément, auquel s’ajoute l’absence de vêtements, est également observé chez les Hawaïens ou chez les indigènes de Coral Island dans l’archipel des Tuamotu. Si dans ce cas précis, l’interprétation se présente comme plausible, si ce n’est probable, ce n’est pas le cas à chaque fois. Que penser en effet du nez plat des Tahitiens que Cook attribue à un écrasement volontaire à la naissance35, ou des jambes arquées des Indiens Nootka, résultat d’une station assise prolongée36 ?
10Ce mouvement de l’enquête de terrain vers l’interprétation prend toute sa dimension lorsque l’on touche aux coutumes et croyances des Océaniens. Même si Cook est conscient du danger d’une conclusion trop hâtive, (car « les actions de quelques individus ne sauraient être érigées en coutume de toute une nation37 »), les analyses qu’il propose témoignent de la tentative de proposer une vision cohérente du monde que l’on découvre dans le Pacifique. Les parallèles que Cook parvient à établir les différents indigènes qu’il rencontre l’amènent rapidement à la conclusion qu’il s’agit en fait d’un seul et même peuple qui aurait réussi l’exploit de coloniser cette vaste étendue d’eau. Ainsi, chez les Maoris : « Leur conception de la création du monde et du genre humain, etc., est la même que celle des habitants des Mers du Sud. Il est vrai que beaucoup de leurs idées et coutumes sont identiques38 ». Quant aux indigènes de l’île de Pâques, « Pour la couleur, les habits et la langue, ils ont une telle ressemblance avec les peuples des îles plus occidentales que personne ne peut douter de leur communauté d’origine39 ». Avec la découverte des îles Hawaï en février 1778, le constat est renouvelé et se transforme en interrogation :
Comment expliquer que cette race se soit répandue sur tant d’îles séparées les une des autres, dans toutes les parties de ce vaste océan ? Nous la trouvons de la Nouvelle-Zélande au sud jusqu’aux îles Sandwich au nord, et de l’île de Pâques aux Nouvelles-Hébrides, c’est à dire sur une étendue de 60° de latitude, soit douze cent lieues du nord au sud. Et sur 83° de longitude, soit seize cent soixante lieues de l’est à l’ouest. Nous ignorons jusqu’où ce peuple a pu porter ses colonies, mais nous pouvons assurément conclure qu’il s’est également implanté à l’ouest des Hébrides40.
Dès sa première expédition, Cook avance une hypothèse susceptible d’expliquer la présence d’un même peuple dans les différentes îles de l’archipel de la Société, peuple qui se serait déplacé d’île en île à bord de pirogues, avec pour seuls repères, le soleil et les étoiles. Par déduction logique, il en conclut que le phénomène a pu se répéter et s’étendre plus à l’ouest :
Si les habitants de l’île d’Ulieta se sont rendus dans des îles situés à deux ou trois cent milles à l’ouest, il est fort probable que les habitants de ces îles aient voyagé eux-aussi vers d’autres îles encore plus à l’ouest. Ainsi est-il possible de trouver la trace de ce peuple d’île en île jusqu’aux Indes Orientales41.
En avril 1777, la rencontre de quatre compatriotes d’Omai installés dans les îles Cook après qu’une tempête les a éloignés d’Ulieta, leur île d’origine, vient confirmer l’hypothèse de départ et permet de conclure : « Ceci nous éclaire sur la manière avec laquelle les îles de cette mer ont été peuplées, tout particulièrement celles qui sont isolées du continent et des autres îles42 ». L’origine géographique exacte de ce peuple demeure un mystère que même le temps n’arrivera peut-être pas à résoudre. Cependant : « Il ne faut certainement pas la chercher au sud ou à l’est, car il ne me paraît pas admissible qu’ils soient venus d’Amérique43 ».
11La collecte des données ethnographiques n’exclut donc pas une certaine réflexion sur la nature des indigènes objets de la description. La démarche de Cook s’inscrit dans une perspective herméneutique et témoigne ainsi d’une tentative de donner sens à une réalité exotique qui se dévoile au fur et à mesure que l’expédition progresse et que de nouveaux territoires sont découverts. Cependant, Cook ne jette pas ici les bases d’une science générale de l’homme qui supposerait que le recueil des informations à partir duquel on travaille soit achevé. Dans ses trois voyages, il reste au niveau des enquêtes de terrain et n’est jamais dans la position d’un observateur complètement détaché, ayant fait abstraction de sa propre culture, de ses habitudes ou de ses préjugés, à la manière des ethnographes modernes. Rappelons qu’il n’existe alors aucune discipline établie d’anthropologie, ni autorités réelles dont on viendrait disputer les théories scientifiques44. C’est le matériau recueilli par Cook lors de ses trois expéditions qui ouvrira en partie le champ d’investigation des ethnologues des siècles suivants45.
Primitivisme et mythe du Bon Sauvage
12Les observations de Cook sur les indigènes du Pacifique s’inscrivent dans le cadre plus large du primitivisme et participent au débat sur le mythe du Bon Sauvage, qui constitue l’un des thèmes fondamentaux de la pensée des Lumières. Né avec les grandes découvertes du xvie siècle46, théorisé par Montaigne dans son essai « Des cannibales », ce mythe est repris par Rousseau dans la seconde moitié du xviiie siècle. Se définissant comme symbole de la doctrine de la Loi Naturelle, il met en avant l’idée que la bonté naturelle de l’homme dans l’état de nature est supérieure à la bonté artificielle de l’homme civilisé47. Selon Rousseau, l’homme dans l’état de nature est nécessairement heureux, puisque les notions de propriété, de bien et de mal, les sentiments d’amour ou de jalousie, apanages de l’homme civilisé, ne sont pas encore venus le corrompre. Même si cet état est généralement considéré comme une construction purement théorique48, il encourageait alors les penseurs à voir dans les sociétés primitives des territoires nouvellement découverts, des peuples proches de cet état de nature, dont ils seraient sortis depuis peu. Dès lors, c’est dans le lointain que l’on va chercher les vestiges encore visibles d’une société parfaite, où l’homme aurait échappé aux méfaits de la civilisation. Au xviiie siècle, le mythe est en manque de confirmation empirique, et si les Indiens d’Amérique ont pu un temps concrétiser les espoirs des philosophes, ils ont par la suite déçu, et c’est tout naturellement que l’imagination des Lumières s’empare du Pacifique, région du globe suffisamment méconnue alors pour pouvoir encore abriter une civilisation de l’âge d’or et qui avait déjà nourri l’imaginaire européen au xvie siècle avec la découverte des îles Salomon par Mendaña. À partir de 1767, la découverte de Tahiti par Samuel Wallis vient tout particulièrement cristalliser les aspirations des penseurs en ce domaine.
Tahiti : patrie du Bon Sauvage ?
13Si Wallis découvre Tahiti, c’est Louis-Antoine de Bougainville qui en rapporte le mythe lorsqu’il visite l’île à son tour en avril 1768. C’est en effet au crédit des Français que l’on se doit de mettre l’apparition du mythe tahitien, dont l’acte de naissance à proprement parler est la lettre de Philibert Commerson, naturaliste en titre de l’Étoile, navire accompagnant La Boudeuse de Bougainville, publiée dans le Mercure de France en novembre 1769. Ce texte présente tous les ingrédients de ce que Diderot nommera « la fable d’Otaïti49 », et plus particulièrement l’émerveillement de l’auteur devant la beauté du lieu et de ses habitants, vus à la lumière du bon sauvage originel. On peut y lire notamment :
[…] je puis vous dire que c’est le seul coin de la terre où habitent des hommes sans vices, sans préjugés, sans besoin, sans dissensions. Nés sous le plus beau ciel, nourris des fruits d’une terre féconde sans culture, régis par des pères de famille plutôt que par des rois, ils ne connaissent d’autre dieu que l’Amour. Tous les jours lui sont consacrés, toute l’île est son temple, toutes les femmes en sont les autels, tous les hommes les sacrificateurs50.
Dans son journal de voyage, Bougainville ne tarit pas non plus d’éloges sur cette île qu’il nomme la Nouvelle-Cythère. « Nous avons fait un repas de l’Âge d’Or, écrit-il, avec des gens qui en sont encore à ce siècle fortuné ». Les paysages qui s’offre à sa vue lui évoque le Paradis (« Je me croyais transporté dans le jardin d’Eden »), et partout semble régner « l’hospitalité, le repos, une joie douce et toutes les apparences du bonheur51 ». Mais c’est au moment du départ que l’émerveillement atteint son paroxysme :
Je ne saurois quitter cette île fortunée sans renouveler ici les éloges que j’en ai déjà faits. La nature l’a placée dans le plus beau climat de l’univers, embellie des plus riants aspects, enrichie de tous ses dons, couverte d’habitants beaux, grands, forts. Elle même leur a dicté des lois, ils les suivent en paix et forment peut-être la plus heureuse société qui existe sur ce globe. Législateurs et philosophes, venez voir ici tout établi ce que votre imagination n’a pu même rêver52.
Le ton dithyrambique des extraits susmentionnés témoigne de l’impact de Tahiti sur les premiers voyageurs qui s’y rendirent53. Qu’en est-il de James Cook ?
14Son premier contact avec l’île est placé sous le signe de la déception, tant l’écart est grand entre, d’une part, les attentes créées par la lecture du journal de Wallis et par les discussions à bord avec les vétérans du voyage du Dolphin, et d’autre part, la réalité constatée sur le terrain. Comme l’écrit Cook : « pas le moindre cochon ou le moindre oiseau n’étaient visibles. Une découverte bien peu agréable aux yeux de gens à qui la relation du Dolphin avait fait espérer une abondance de biens sur cette île54 ». Très rapidement pourtant, Tahiti va dévoiler ses nombreux charmes à un James Cook conquis par la douceur de vivre qu’il observe autour de lui. Dans cette innocence édénique où l’indolence est reine55, la nature s’est montrée particulièrement généreuse :
La terre produit presque spontanément, ou avec très peu de travail, tous ces fruits et plantes. En ce qui concerne la nourriture, on peut presque dire que ces peuples ont échappé à la malédiction encourue par nos pères, car on peut difficilement dire qu’ils gagnent leur pain à la sueur de leur front. La nature bienveillante les a pourvus à profusion non seulement du nécessaire, mais également du superflu56.
Image d’un monde d’avant la Chute, Tahiti l’est aussi dans son traitement du rapport amoureux entre hommes et femmes qui, comme l’écrit Commerson, est érigé en un culte dont la caractéristique la plus visible est sans doute l’absence totale d’inhibition. Chacun s’exprime librement et sans aucune retenue sur le sujet et c’est bien volontiers que les hommes offrent leurs épouses et leurs filles aux étrangers tout juste débarqués, « et trouvent bien étrange qu’on les refuse57 ». Le péché de chair semble donc inconnu dans l’île. Dès leur plus jeune âge, les jeunes filles sont initiées aux rites de Vénus par le biais de la très indécente Timorodee qu’elles dansent en groupe « de manière très indécente, et ce depuis leur plus tendre enfance58 ». Le 14 mai 1769, la scène à laquelle les Anglais assistent vient parachever le tableau et finir de convaincre les derniers sceptiques :
La journée se termina par une étrange cérémonie à l’entrée du fort, où un jeune homme de plus de 6 pieds de haut coucha en public avec une jeune fille de 10 ou 12 ans, devant plusieurs de nos hommes et un grand nombre de naturels […] Quelques femmes étaient présentes, dont Obarea et plusieurs représentantes de la classe supérieure. Elles ne montraient aucun signe de désapprobation et dictaient même à la jeune fille ce qu’elle avait à faire, bien que celle-ci, si jeune qu’elle fût, ne semblait pas avoir besoin de conseils59.
La spontanéité et l’amabilité des Tahitiens, l’accueil chaleureux qu’ils font aux marins anglais, la générosité de la nature à leur égard, l’absence de pudeur dans leurs relations amoureuses, tous ces éléments contribuent à donner de Tahiti une vision paradisiaque et à faire de ses habitants les Bons Sauvages que l’Europe des Lumières attendait. Les Tahitiens ne sauraient cependant être pétris que de qualités. La société dans laquelle ils vivent se révèle rapidement aussi hiérarchisée que la société européenne, avec à sa tête, une petite classe dirigeante, propriétaire exclusive de la terre, et au bas de l’échelle sociale, une majorité d’indigènes, serviteurs des nantis. La funeste distinction du mien et du tien, pour reprendre les mots de Diderot, est d’ailleurs fortement soulignée par Cook lors de son second voyage : « Je doute qu’il y ait un seul arbre fruitier sur l’île qui ne soit pas la propriété de quelque individu60 ». Le rêve d’une société égalitaire, au cœur du mythe du Bon Sauvage, ne résiste pas longtemps à l’examen de la réalité rencontrée sur le terrain. Par ailleurs, les Tahitiens s’avèrent également d’incorrigibles voleurs, et leur dextérité dans ce domaine « ferait honte au pickpocket le plus réputé d’Europe61 ». C’est d’ailleurs cette « propension naturelle au vol62 » qui explique en grande partie les accrochages entre Anglais et indigènes. Cook, Solander, Banks, et la plupart des membres de l’expédition feront les frais de cette particularité tahitienne. Plus problématique, l’existence de pratiques infanticides parmi les membres de la secte Arioi, qui se présentent comme le prix à payer pour les libertés amoureuses dont ceux-ci jouissent : « Ces habitants ont décidé de jouir d’une liberté totale en amour sans se préoccuper des conséquences de leurs actes. Ils cohabitent de manière totalement libre et les enfants qui ont la malchance de naître de ces unions, sont étouffés au moment même où ils viennent au monde63 ».
15Cette pratique inhumaine sera d’ailleurs selon Cook difficile à faire admettre en Europe, tant elle est contraire aux principes mêmes de la nature humaine64. Enfin, l’existence de sacrifices humains, dont Cook assiste à l’une des cérémonies lors de son troisième voyage, vient séparer un peu plus le Tahitien du Bon Sauvage théorique65. Ainsi, comme l’écrit Suzy Halimi, « Les témoignages ainsi venus de Polynésie donnent des armes aux défenseurs comme aux adversaires les plus acharnés du bon sauvage66 ». Si les uns voient volontiers dans l’innocence édénique qui caractérise les Tahitiens, l’image tant rêvée d’une société idyllique dans laquelle indolence et liberté sexuelle rythment le quotidien, les autres refusent d’idéaliser des indigènes dont le style de vie encourage le vice et tolère l’infanticide et les sacrifices humains.
Primitivisme dur et primitivisme doux
16La question du Bon Sauvage ne saurait toutefois être circonscrite à la seule île de Tahiti. Ailleurs dans le Pacifique, les indigènes que Cook rencontre sont également examinés à la lumière du mythe primitiviste, que l’on voit se décliner en deux tendances : d’une part, le primitivisme doux, qui, sur un mode épicurien, met l’accent sur une vie de douceur, sans labeur, sous un climat tempéré et dans une nature généreuse qui pourvoit largement aux besoins des êtres qu’elle abrite, et d’autre part, le primitivisme dur qui, à la manière des Stoïques, souligne le bonheur de ceux qui savent se contenter du peu que la nature leur offre, une grotte comme abri, des peaux d’animaux pour seuls vêtements, des racines comme unique nourriture, sans être encombrés du confort apporté par le progrès dû aux arts et aux sciences. C’est cette vision qui semble par exemple caractériser les Aborigènes, que Cook compare dans un premier temps à des bêtes sauvages nomades, vivant au jour le jour. Mais au moment de quitter l’Australie, il écrit à leur sujet :
D’après ce que j’ai dit des Naturels de la Nouvelle-Hollande, on pourrait penser que ce peuple est le plus misérable qui soit. Mais en réalité ils sont bien plus heureux que nous Européens, étant totalement ignorants non seulement du superflu, mais également des commodités tant recherchées en Europe. Ils sont heureux de ne pas en connaître l’usage. Ils vivent dans une tranquillité qui n’est aucunement troublée par l’inégalité des conditions. De leur propre aveu, la terre et la mer leur fournissent toutes les choses nécessaires à la vie et ils ne convoitent pas de maisons magnifiques pourvues de nombreux visiteurs. Ils vivent dans un climat beau et chaud, et profitent d’un air sain, de sorte qu’ils n’éprouvent pas le besoin de porter des vêtements. Ils semblent d’ailleurs en être pleinement conscients, car ceux à qui nous en donnions, les abandonnaient négligemment dans les bois ou sur la plage, comme s’il s’agissait d’une chose qui n’avait aucune utilité. En bref, ils ne semblaient attacher de prix à rien de ce que nous leur donnions, et ne voulurent se séparer de rien de ce qu’ils possédaient contre quelque article que ce soit que nous pouvions leur offrir en échange. Ceci est la preuve, à mon avis, qu’ils se considèrent comme pourvus de tout ce qui est nécessaire dans la vie et qu’ils n’ont rien de ce qui est superflu67.
Dépourvus du superflu, mais également de ce qu’un Européen jugerait nécessaire, ils ne semblent pourtant pas intéressés par ce que les marins anglais ont à offrir et semblent, selon Cook, parfaitement heureux de leur situation. L’adhésion apparente de Cook au primitivisme dur ne saurait toutefois être absolue. S’il semble admiratif de la frugalité de la vie des Aborigènes, il ne l’est guère, comme nous l’avons vu, de celle des Pêcherais de la Terre de Feu, qui comptent au nombre des êtres les plus misérables que l’on puisse rencontrer68. Ailleurs en Polynésie, c’est la vision épicurienne du primitivisme qui semble dominer, à l’instar du tableau que peint Cook de la vie à Tahiti. À Tonga, par exemple, chaque habitant semble jouir à plein du nécessaire fourni par une nature bienveillante, même s’il faut bien admettre que le haut degré de culture que l’on peut observer dans l’île est le fruit d’un labeur immense. Mais c’est des fruits de ce labeur que chaque habitant semble bénéficier à présent :
Le nécessaire ne manqué à personne. La joie et la satisfaction sont peintes sur tous les visages. Comment pourrait-il en être autrement ? Chaque individu, quel que soit son rang, jouit d’une liberté certaine et profite des bienfaits de la vie, dans un climat où la chaleur et le froid extrêmes sont inconnus69.
Néanmoins, la société tonguienne reste elle aussi fortement hiérarchisée, et la terre n’appartient qu’à la classe supérieure :
Je pense également que sur toutes ces îles, et tout particulièrement à Tongatabou, la terre est propriété privée, et qu’il y a parmi eux, comme à Tahiti, des serviteurs ou des esclaves qui n’y ont pas droit. Il serait absurde en effet de croire que tout appartient à tous dans une contrée aussi bien cultivée. L’intérêt est le grand ressort qui anime la main du travailleur. Peu d’hommes prendraient la peine de cultiver cette terre, s’ils n’espéraient pas jouir des fruits de leur labeur. Si tout était en commun, le travailleur serait dans une position moins confortable que le paresseux70.
La vision primitiviste se heurte ici à un obstacle de taille. Le caractère proverbial de la dernière phrase de cet extrait montre bien que, selon Cook, c’est la nature humaine dans son ensemble, et ce, quel que soit l’endroit où on l’observe, qui vient freiner l’accomplissement d’une société égalitaire idyllique. Pour autant, Cook ne rejette pas cette doctrine complètement et cède même à l’une de ses caractéristiques principales qui veut que les Européens viennent corrompre les indigènes en débarquant chez eux. Ainsi, les marins n’ont pas toujours, à ses yeux, un comportement adéquat envers les indigènes qui les accueillent. À Tanna dans les Nouvelles-Hébrides, Cook ne peut s’empêcher de commenter :
Ainsi avons-nous trouvé ces peuples polis et bien disposés lorsque la jalousie ne les pousse pas à adopter l’attitude opposée ; ce que l’on ne saurait leur reprocher lorsque l’on considère la manière avec laquelle ils doivent nous regarder. Il leur est impossible de connaître nos véritables intentions. Nous entrons dans leurs ports sans qu’ils osent s’y opposer. Nous essayons de débarquer pacifiquement et nous nous félicitons lorsque nous y arrivons. Mais lorsque ce n’est pas le cas, nous débarquons tout de même et nous maintenons sur leur terre par la supériorité de nos armes à feu. Quelle autre image peuvent-ils avoir de nous que celle d’envahisseurs ? Seuls le temps et la connaissance mutuelle que nous aurons les uns des autres les convaincront qu’ils se trompent à notre sujet71.
Ici, c’est moins la venue des Européens dans l’île que leur attitude sur place que Cook fustige, tout persuadé qu’il paraît du caractère positif de la rencontre entre l’Europe et le Pacifique. C’est en effet le comportement supérieur des Européens qui empêche les indigènes de percevoir le véritable dessein qui motive la visite, et seul le temps passé sur place aidera à une meilleure compréhension. Le bien-fondé de la présence anglaise n’est quant à lui pas remis en question. Cependant, le ton paternaliste qui se dessine derrière cet extrait et selon lequel la société insulaire aura tout à gagner au contact de la civilisation européenne n’est pas toujours manifeste. En juin 1773 par exemple, constatant que les mœurs des Maoris ne se sont guère améliorées depuis son précédent séjour en Nouvelle-Zélande, Cook s’en prendra violemment à l’attitude générale des Européens envers les divers peuples qu’ils ont rencontrés et côtoyés depuis la découverte du Nouveau Monde :
Telles sont les conséquences du commerce avec les Européens, et ce qui est encore plus honteux pour les Chrétiens civilisés que nous sommes, est que nous déréglons leurs mœurs, déjà trop disposées au vice, et nous introduisons parmi eux des besoins et peut-être des maladies qu’ils ne connaissaient pas auparavant, et dont le seul effet est de perturber cette heureuse tranquillité dont ont joui leurs ancêtres et eux-mêmes jusqu’à présent. Si quiconque nie le fondement de ce que j’avance, qu’il me dise ce que les Naturels du continent américain tout entier ont gagné de leur rencontre avec les Européens72.
Le regard que pose Cook sur les sociétés du Pacifique révèle ainsi parfois une critique à peine voilée de l’entreprise civilisatrice européenne. On ne saurait pour autant en conclure à l’inverse qu’il donne à voir la vision d’un monde sauvage valorisé dans son ensemble. Certaines sociétés rencontrées sont certes dépeintes de manière très positive, mais même les peuples les plus proches de l’idée du Bon Sauvage ne sont pas non plus à l’abri de tout reproche, et il y a souvent loin de la théorie élaborée par les Penseurs à la réalité rencontrée sur place73. Parmi les aspects les plus à même d’éloigner les Polynésiens du concept tout théorique de l’homme naturel, la question du cannibalisme occupe une place de première importance.
Le cannibalisme en question
17Au moment où Cook voyage dans le Pacifique, ce n’est certes pas la première fois que des pratiques cannibales sont observées. Mentionné et décrit dès l’Antiquité par des auteurs comme Strabon, Pline ou Hérodote, le cannibalisme devient à l’époque des grandes découvertes, et notamment avec les journaux de Marco Polo et de Christophe Colomb, un élément incontournable du récit d’exploration et de surcroît, ne semble épargner aucun coin du monde, puisqu’on en trouve encore des traces au xviiie siècle en Europe, principalement lors de grandes périodes de famine. Dans son Dictionnaire Philosophique, Voltaire souligne d’ailleurs le caractère universel de l’anthropophagie :
Comment des hommes séparés les uns des autres par de si grandes distances ont-ils pu se réunir dans une si horrible coutume ? Faut-il alors croire qu’elle n’est pas absolument aussi opposée à la nature humaine qu’elle le paraît74 ?
Mais, si familier qu’il puisse être, le cannibalisme ne perd pourtant rien de son caractère à la fois fascinant et révulsif, qui en fait l’une des hantises des marins et des explorateurs, et qui le place également comme sujet de débat à une époque des Lumières mettant volontiers en avant le mythe du Bon Sauvage et l’existence possible, par-delà les mers, d’une société idéale dans ces régions encore inconnues du globe que les voyageurs vont s’efforcer de découvrir et de faire découvrir. Notre propos ici n’est pas de remettre en question l’existence de pratiques cannibales chez tel ou tel peuple du Pacifique mais de présenter les réactions de James Cook et de ses compagnons de voyage au contact du cannibalisme dans les Mers du Sud et tout particulièrement en Nouvelle-Zélande, où la pratique fut observée avec le plus de détails75, ainsi que les analyses qui sont produites et les éventuelles justifications que ces voyageurs apportent dans leurs journaux au franchissement de cette limite de la tolérance humaine que constitue l’anthropophagie76.
18Avant l’arrivée en Nouvelle-Zélande en octobre 1769, soit plus d’un an après le départ de la première expédition de James Cook, le cannibalisme ne semble pas être au centre des préoccupations des membres de l’équipage. Les différents journaux de bord ne signalent nullement l’existence possible d’une telle pratique, ni les dangers contre lesquels il conviendrait de se prémunir dans les mers du Sud. Absent du voyage, le cannibalisme l’est aussi du texte et ce qui transparaît en premier lieu est plutôt l’idée des voluptés tahitiennes dont on se rapproche jour après jour. C’est le 10 octobre 1769, alors que l’expédition se trouve sur la côte orientale de la Nouvelle-Zélande, qu’apparaît la première mention du cannibalisme. Cook, désirant débarquer trois jeunes Maoris qu’il avait pris quelques jours plus tôt à bord de l’Endeavour, signale de manière très laconique que ceux-ci n’ont aucune envie de quitter le navire, par peur d’être capturés et dévorés par leurs ennemis77. Dans cette première évocation, aucune émotion particulière ne se fait sentir en relation avec le sort qui semble attendre les trois jeunes gens. Le journal poursuit ses entrées quotidiennes sans que le cannibalisme ne soit l’objet d’une investigation particulière. Le 12 octobre, la question resurgit : Cook souligne à cette date que pour attirer un groupe de Maoris à bord du navire, il est nécessaire de leur préciser que les marins anglais ne sont pas anthropophages, d’où il déduit, avec prudence toutefois, que cette pratique est largement répandue dans l’île78. La neutralité émotionnelle dont Cook fait preuve à l’égard du cannibalisme lors des premières apparitions de ce thème, va s’affirmer au fil du texte et lorsque, en janvier 1770, un groupe de Maoris se livrera à une démonstration sans équivoque de son goût pour la chair humaine, Cook ne montrera pas non plus d’émotion et se contentera de décrire la scène de manière objective79. Cette distance émotionnelle devient rapidement une constante. Car ce qui semble importer d’abord, c’est la livraison objective des faits observés, sans en commenter nécessairement la portée ou l’impact que ceux-ci ont pu avoir sur sa personne. L’objectif premier est bien ici de confirmer l’existence d’une coutume que beaucoup nient encore en Europe. Dans ses journaux de voyage, Cook veillera à insister sur l’existence de cette pratique.
19Parmi les autres membres d’équipage, les réactions sont variées. Si Joseph Banks, le botaniste de l’expédition, est simplement satisfait de trouver une preuve irréfutable du cannibalisme80, d’autres montrent une émotion bien plus perceptible, à l’instar de Richard Pickersgill, second maître à bord de l’Endeavour, qui y voit « l’illustration d’une cruauté barbare81 ». Lors du troisième voyage, le chirurgien William Anderson n’aura pas de mots assez durs pour qualifier cette coutume : « Comportement féroce, cruel et horrible, qui déshonore la nature humaine, et qui consiste à découper le corps de leurs ennemis avant même qu’ils soient tout à fait morts, et après les avoir faits cuire, en dévorer la chair, non pas à contrecœur, mais avec une satisfaction toute particulière82 ».
20L’impassibilité de Cook atteint son apogée avec l’affaire de Grass Cove lors du second voyage. En décembre 1773, dix marins de l’Adventure, navire consort du Resolution, se rendent dans une crique du nom de Grass Cove en Nouvelle-Zélande pour y chercher du bois et des vivres. Le capitaine de l’Adventure ne les voyant pas revenir le soir même, envoie une chaloupe à leur recherche. On imagine aisément la réaction des marins découvrant les restes de leurs compagnons éparpillés sur la plage. James Burney, second lieutenant à bord du navire, ne cache pas son émotion : « […] nous ne trouvâmes pas le canot, mais à sa place, un si saisissant spectacle de carnage et de barbarie qu’on ne pourra jamais y songer ou en parler sans horreur […] nous restâmes presque pétrifiés sur place83 ». La scène qui se dévoile à ses yeux paraît en effet bien insoutenable : « La tête, le cœur, les poumons de plusieurs de nos hommes gisaient sur la plage, et à une petite distance des chiens dévoraient leurs entrailles84 ». Passée l’émotion provoquée par cette découverte macabre, les membres de l’équipage tentent de comprendre ce qui s’est passé. Pour William Bayley, astronome de l’expédition, les marins concernés ont d’abord été victimes de leur manque de précautions : « M. Rowe [l’une des victimes] avait côtoyé les Indiens d’Amérique pendant des années, ayant vécu sur ce continent une grande partie de sa vie, et accordait aux sauvages une confiance trop grande, car, s’il s’en était méfié, il aurait pu sauver sa vie et celle de son équipage85 ». James Burney pousse l’analyse plus loin :
Je ne crois pas qu’il y ait eu préméditation de la part de ces sauvages […] Il est probable que ce fut le résultat d’une querelle ; ou bien l’occasion leur parut si belle qu’elle les tenta, car nos hommes étaient très imprudents et se croyaient trop en sécurité. Ce qui encouragea aussi les Néo-Zélandais, c’est qu’ils avaient remarqué qu’un fusil n’est pas infaillible, qu’il peut manquer son but, et qu’une fois déchargé, il faut le recharger avant de pouvoir s’en servir, ce qui donne du temps dont ils avaient appris à profiter86.
Apprenant les détails de l’affaire quelque temps plus tard, Cook refusera de condamner les Maoris sans avoir en sa possession tous les éléments. Ce qu’il consigne dans son journal à cette occasion est par ailleurs fort intéressant : « Je ne dirai rien de cette triste affaire, avant d’en savoir plus. Je ferai toutefois remarquer à la décharge des Néo-Zélandais que je les ai toujours trouvé courageux, et d’une nature bienveillante et avenante. Mais c’est un peuple qui ne saurait supporter la moindre insulte sans réagir, s’il en a l’occasion87 ».
21Le commentaire est bien surprenant chez cet officier de la Royal Navy qui accuse presque ses hommes, d’avoir par leur comportement déclenché la colère et la vengeance des Maoris. Conscient de la force de tels propos et de leur impact potentiel, Cook, dans une version remaniée de son texte, leur substituera ces mots beaucoup plus neutres : « Je ferai simplement remarquer à la décharge de ces gens, que je ne les ai pas trouvés plus mauvais que d’autres hommes88 ». De retour à Grass Cove en février 1777, il finira par éloigner toute idée de vengeance contre les indigènes : « Quant à cette affaire, je décidai de ne plus y penser, car les faits étaient anciens et je n’y avais pas assisté89 ». Cet avis ne fait pas l’unanimité parmi l’équipage. Certains gardent en effet de la rancœur à l’encontre des Maoris, regrettant que l’absence de réaction des Anglais les ait totalement déconsidérés aux yeux des indigènes. Selon James Burney :
Il semblait évident que nombre d’entre eux nous méprisaient, et selon moi, principalement parce que nous n’avions pas vengé les victimes de Grass Cove, ce qui est contraire à leurs principes […] Ils n’avaient pas peur de nous. Pour preuve, l’un d’eux n’eut aucun scrupule à reconnaître qu’il avait assisté au massacre des hommes de l’Adventure et au repas qui s’ensuivit90.
Cook se contentera pour l’occasion de réitérer son amitié aux Maoris et proférera de vagues menaces en cas de récidives des cannibales91. La nature officielle de la mission et le statut de Cook expliquent en grande partie l’impassibilité qu’il montre à l’égard de la question cannibale. Toute subjectivité ne saurait en effet avoir de place dans le rapport officiel qu’il rédige à l’attention de l’Amirauté. Soumis à des instructions précises, Cook ne peut y écrire ce qu’il veut et laisser libre cours à ses émotions. Il n’en reste pas moins homme, et son texte, à de rares moments certes, laisse parfois transparaître une sensibilité perceptible à l’égard de cette question. Ainsi lorsqu’en novembre 1773, on lui rapporte qu’un Maori vient de manger un morceau de chair humaine, Cook se montre d’abord révolté92, mais la raison reprenant le dessus, et mesurant l’opportunité rare qui lui est offerte d’assister à un repas cannibale, il poursuit :
[…] mais lorsque je considérai qu’afficher ma désapprobation ne servirait à rien et que j’avais très envie d’être le témoin oculaire d’un fait dont beaucoup doutent encore, je cachai mon indignation et ordonnai qu’un morceau de chair soit cuit et apporté sur le gaillard d’arrière, où l’un de ces cannibales le mangea avec bon appétit devant l’ensemble des membres d’équipage, ce qui eut pour effet d’en faire vomir quelques uns93.
Passées les premières réactions, vient le temps de l’analyse. Dans un premier temps, Cook n’a pas de théorie particulière à avancer. Soulignant la difficulté à comprendre les raisons qui poussent les Maoris à manger de la chair humaine, il se contente de confirmer l’existence de cette coutume. Pour Joseph Banks, le cannibalisme des Maoris s’explique probablement par « le principe de revanche94 », ce qui a pour avantage de fournir un éclairage sur son caractère persistant : le clan des victimes se vengeant à son tour, dans un mouvement d’alternance qui perpétue la coutume. Pour autant, Banks ne peut se résoudre à voir là la seule raison de cette pratique. La soif de vengeance, écrit-il, peut pousser les hommes à des comportements extrêmes, mais la nature même a fait en sorte que toute créature vivante, à l’exception des insectes et des poissons, répugne à l’idée de se nourrir de son semblable. Seule une absolue nécessité, « lorsque le dard de la faim surpasse les préceptes de la nature95 », permet parfois d’expliquer un tel penchant, que l’on observe même alors parmi les habitants des nations les plus civilisées. Le comportement des Maoris ne serait donc que la conséquence d’une pénurie permanente de nourriture, idée immédiatement réfutée par Banks, car elle ne correspond en rien à ce qu’il a pu observer en Nouvelle-Zélande. William Wales, astronome du second voyage, arrive à la même conclusion : « Ce n’est pas dû au manque de viande animale. Chaque jour nous prenions suffisamment de poisson pour eux et nous. Ils possèdent également de nombreux et beaux chiens, qu’ils nous vendaient pour une bagatelle. Ils ne manquent pas non plus de volailles, qu’ils peuvent facilement tuer s’ils le souhaitent96 ».
22Dès lors, si le manque de nourriture ne saurait être un argument valable, comment peut s’expliquer la persistance du cannibalisme ? Pour ce même Wales, aucun doute n’est possible : c’est le goût prononcé des Maoris pour la chair humaine97, conclusion à laquelle arrivent la plupart des marins de l’expédition. Selon William Anderson par exemple, « Ils ne le font qu’à cause du délicieux repas que cela occasionne98 ». Dans certains cas, des marins sont directement témoins de l’avidité avec laquelle les Maoris se nourrissent de la chair d’autres hommes. Charles Clerke, officier du Resolution, décrit le plaisir que semble prendre l’un d’entre eux à cette occasion, dans des termes qui ne souffrent aucun doute : « il ne se contenta pas de manger simplement le morceau de viande, il le dévora voracement, et se lécha les doigts une demi- douzaine de fois avec ravissement99 ». Cook ne peut lui aussi que constater cet état de fait. S’interrogeant lors de son second voyage sur les raisons d’être d’une telle pratique, il conclut à son tour que « il n’est que trop évident qu’ils apprécient grandement ce genre de nourriture100 ». Dans ce constat alarmant se cache tout de même un espoir, celui qu’avec le temps, la société maorie parviendra à éliminer cette coutume. Mais la tâche sera rude :
Ce n’est pas chose facile de détacher une nation de ses anciennes coutumes, si sauvages et inhumaines soient-elles, en particulier si cette nation n’a pas de principes religieux, comme je crois que c’est le cas chez les Néo-Zélandais, ni de système stable de gouvernement, En s’unissant, ils auraient moins d’ennemis et pourraient policer leurs esprits sauvages. À ce moment, et pas avant, il en résulterait que cette coutume tomberait dans l’oubli101.
Dans le traitement de la question cannibale, comme de toute autre question qui concerne les indigènes, Cook ne verse pas dans l’excès mais offre un jugement modéré des pratiques et coutumes qu’il observe. À aucun moment, il ne vante le bonheur infini de la vie que mène le sauvage, et sait à chaque instant ce que cette vie peut avoir de difficile et d’hasardeux, tout comme il sait combien le sauvage peut parfois être moins bon que cruel. Mais à aucun moment il n’exclut les avantages que cette vie peut présenter. Lorsque John Marra, canonnier à bord du Resolution, tentera de déserter pour finir ses jours à Tahiti, il se montrera très compréhensif et commentera son geste de la manière suivante :
En considérant la situation de cet homme dans la vie, je ne le trouvais plus si coupable, ni la résolution qu’il avait prise de rester si extraordinaire qu’elle parût à première vue. Il était irlandais de naissance et avait navigué au service de la Hollande. Je l’avais pris à Batavia au retour de mon précédent voyage, et il ne m’avait pas quitté depuis. Je n’avais jamais entendu dire qu’il eût des parents ou des amis pour le retenir dans le reste du monde. Toutes les nations étaient pareilles pour lui. Où donc un tel homme aurait-il pu être plus heureux que dans l’une de ces îles ? Où sous un des meilleurs climats du monde, il pourrait non seulement trouver en abondance le nécessaire, mais également jouir du superflu et des facilités qu’y offre la vie ? S’il m’avait demandé mon consentement à temps, je ne sais s’il ne l’eût obtenu102.
Si la question du Bon Sauvage demeure en arrière-plan des remarques que Cook formule à l’encontre des indigènes du Pacifique, il faut noter qu’il ne s’agit en aucun cas pour lui d’épouser sans conditions une théorie alors en vogue qui voyait dans les régions lointaines et méconnues le lieu de sociétés idylliques, mais bien d’y apporter sa contribution sur les bases d’une observation empirique, objective et mesurée qui ne saurait être dictée par des préjugés purement théoriques. Signalons enfin que la double image du Sauvage, noble ou barbare, avait été en partie résolue par la dialectique des Lumières qui considérait que l’état de nature n’existait déjà plus, si tant est qu’il ait un jour existé. Les indigènes du Pacifique, déjà entrés dans les premières phases de la civilisation, en étaient déjà au début de leur décadence. L’ambiguïté qui les caractérise et que souligne Cook dans le portrait qu’il en dresse, ne renvoie finalement qu’à une nature humaine partagée entre le Bien et le Mal, capable du pire comme du meilleur.
Notes de bas de page
1 Charles de Brosses, op. cit., vol. I, livre I, p 16.
2 Voir : Cook I, p. cclxxxii-cclxxxiii, Cook II, p. clxviii et Cook III, p. ccxxiii.
3 Ces consignes sont en partie héritées du schéma établi par les manuels de voyage du xviie siècle, dont celui écrit par Robert Essex, Philip Sydney et William Davison, que signale N. Zimpfer : Profitable Instructions : Describing what Speciall Observations are to be Taken by Travellers in All Nations, publié à Londres en 1633. Voir N. Zimpfer, « Domestication de l’Autre et création de soi : The Voyage of the Resolution and Adventure, 1772-1775, by Captain James Cook », F. Regard, dir., De Drake à Chatwin. Rhétoriques de la découverte, Lyon : ENS Éditions, 2007, p. 89.
4 Cité dans M. Duchet, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 1995, p. 14.
5 C’est le cas notamment de la description de la secte des Ariois à Tahiti rapportée par William Monkhouse, chirurgien de l’Endeavour. Voir Cook I, p. 128.
6 Ibid., p. 301. J. Banks souligne au même moment cette incertitude en la reliant à l’impact qu’ont pu avoir les lectures préliminaires sur la question des Aborigènes : « […] complètement noirs. La lecture de la relation de Dampier avait eu tant d’influence sur nous que nous pensions voir leur couleur alors que nous étions incapables de dire s’il s’agissait vraiment d’êtres humains » (Banks II, p. 50. Entrée du 22 avril 1770).
7 Ibid., p. 395. Entrée du 23 août 1770.
8 Cook II, p. 600. Entrée du 27 décembre 1774. Bougainville écrit à leur sujet : « Ces sauvages sont petits, vilains, et d’une puanteur insupportable » (Louis-Antoine de Bougainville, op. cit., p. 191).
9 Ibid., p. 462-466. Entrées des 22 et 23 juillet 1774.
10 Ibid., p. 374. Entrée du 12 avril 1774.
11 « Ce sont des gens très propres, aussi bien sur leur personne que dans leur nourriture. Ils se lavent toujours les mains et la bouche tout de suite avant et après les repas, et se lavent ou se baignent dans de l’eau claire trois fois par jour, matin, midi et soir. La seule chose qui rende leur voisinage désagréable, c’est l’huile avec laquelle ils oignent leur tête et qu’ils appellent monoï. C’est de l’huile de coco dans laquelle ils font infuser quelques herbes ou fleurs aromatiques. Cette huile est habituellement très rance, et ceux qui s’en servent répandent une odeur peu agréable. Ils ont une autre habitude désagréable aux yeux des Européens, qui est de manger leur poux, vermine dont ils sont généralement couverts » (Cook I, p. 124).
12 Ibid., p. 281. Entrée du 31 mars 1770.
13 Ibid., p. 285.
14 Ibid., p. 280.
15 Cook II, p. 267. Entrée du 7 octobre 1773.
16 Cook I, p. 123.
17 Cook III, p. 204. Entrée du 2 septembre 1777.
18 Cook I, p. 286. Entrée du 31 mars 1770.
19 Cook III, p. 54. Entrée du 29 janvier 1777. Les deux hypothèses sont fausses. Le poisson était en fait nourriture taboue chez les indigènes de la Terre de Van Diemen.
20 Cook II, p. 507. Entrée du 20 août 1774. Dans une première version du texte, Cook écrit « il est certain que », qu’il remplace ici par un « il semble » plus prudent. Les chefs de l’île de Tanna avaient en fait le pouvoir de vie et de mort sur le reste de la population.
21 Ibid., p. 274. Entrée du 7 octobre 1773.
22 Cook III, p. 467.
23 Cook I, p. 286. Entrée du 31 mars 1770. Le nom « Taouné » (« Tawney ») est rajouté par Richard Orton, secrétaire de Cook à bord de l’Endeavour, et n’apparait pas initialement dans le manuscrit.
24 Ibid., p. 84. Entrée du 21 avril 1769.
25 Ibid., p. 273. Entrée du 31 mars 1770.
26 Cook II, p. 274. Entrée du 7 octobre 1773.
27 « Nous ne connaissons cependant presque rien de leurs habitudes, n’ayant pu former aucun lien avec eux » (Cook I, p. 312. Entrée du 6 mai 1770).
28 Cook II, p. 234. Entrée du 17 septembre 1773.
29 Ibid., p. 251. Entrée du 4 octobre 1773. Dans sa biographie du docteur Johnson, James Boswell souligne lui aussi la difficulté, voire l’impossibilité à communiquer avec les indigènes du Pacifique, et donc, la qualité toute relative des informations que l’on soutire de ces rencontres : « je déclarai qu’assurément une grande partie de ce que nous relatent les voyageurs des Mers du Sud n’est que conjecture, car ils ne maîtrisent pas suffisamment la langue de ces contrées pour comprendre tout ce qu’ils racontent. Il est clair que les objets directement placés sous l’observation des sens peuvent être connus, mais tout ce qui relève de la pensée, tout ce qui est abstrait, la politique, les mœurs ou la religion, ne peut être que deviné. Le docteur Johnson fut de mon avis » (J. Boswell, The Life of Samuel Johnson, op. cit., p. 634-635).
30 « Il avait un certain don de pénétration, mais manquait de l’application et de la persévérance qui lui eussent permis de l’exercer ; de sorte que sa connaissance des choses était très superficielle et, à bien des égards, imparfaite » (Cook III, p. 241. Entrée du 2 novembre 1777).
31 Cook I, p. 286-287. Entrée du 31 mars 1770.
32 Ibid., p. 288.
33 Cook III, p. 468. Entrée du 23 octobre 1778.
34 Cook I, p. 123.
35 Cook II, p. 420. Entrée du 27 mai 1774.
36 Cook III, p. 311. Entrée du 26 avril 1777.
37 Cook II, p. 375. Entrée du 12 avril 1774. Lors de son troisième voyage, Cook formule la même remarque de manière plus critique. Relevant que des peuples aussi éloignés les uns des autres que les Brésiliens, les Tahitiens, les Aborigènes australiens, les habitants du Groenland et du Kamtchatka, et d’autres encore, utilisent la même méthode pour faire du feu, il écrit : « […] certaines personnes prétendument savantes ont avancé que cette coutume était la preuve même que telles ou telles nations avaient la même origine, mais la similitude accidentelle de quelques habitudes ou pratiques ne saurait prouver que deux nations distinctes partagent une communauté d’origine, ou, à l’inverse, qu’une absence d’affinités prouve le contraire » (Cook III, p. 462. Entrée du 19 octobre 1778).
38 Cook I, p. 286. Entrée du 31 mars 1770.
39 Cook II, p. 354. Entrée du 17 mars 1774.
40 Cook III, p. 279. Entrée du 2 février 1778. Au second voyage, lors d’une escale à l’île de Pâques, Cook formule la même idée : « Il est extraordinaire que la même race se soit répandue sur toutes les îles de ce vaste ocean, de la Nouvelle-Zélande à cette île, car cela comprend presque un quart du globe. Beaucoup d’entre eux n’ont d’autre connaissance les uns des autres que ce qui s’est transmis des traditions anciennes au cours des temps ; on peut dire qu’ils sont devenus des nations distinctes, chacune ayant adopté quelque coutume ou habitude particulière. Néanmoins, un observateur attentif ne tardera pas à remarquer les affinités qu’elles ont entre elles » (Cook II, p. 355. Entrée du 17 mars 1774).
41 Cook I, p. 154. Dans les années 1720, Joseph-François Lafitau avait émis la même hypothèse au sujet du peuplement du continent américain : « L’Océan qui l’environne entièrement ou presque entièrement est semé d’îles, tant dans la mer du Nord, que dans celle du Sud. On pourrait y avoir passé d’île en île, ou par le malheur des naufrages, ou par un effet du pur hasard » (Joseph-François Lafitau (1724), Mœurs des sauvages américains comparées au mœurs des premiers temps, Paris, Librairie François Maspero, 1983, p. 40-41).
42 Cook III, p. 87. Entrée du 3 avril 1777.
43 Cook I, p. 288. Entrée du 31 mars 1770.
44 Voir à ce sujet H. Liebersohn, The Traveler’s World. Europe to the Pacific. Cambridge, Massachusetts, and London, England, Harvard university Press, 2006.
45 On peut souligner néanmoins que James Cook fut le premier à délimiter le triangle polynésien qui s’étend de la Nouvelle-zélande au sud jusqu’à Hawaï au nord et l’île de Pâques à l’est, et à percevoir les différences physiques entre Polynésiens et Mélanésiens dans la zone frontière qui sépare ces deux régions du Pacifique que sont les Nouvelles-Hébrides. Voir notamment Cook II, p. 503-504. Entrée du 20 août 1774
46 En 1503, dans une lettre adressée au prince Laurent de Médicis, Amerigo Vespucci décrit par exemple les Indiens qu’il rencontre sur la côte américaine au sud de l’équateur en ces termes : « Ils n’ont de vêtements ni de laine, ni de lin, ni de coton, car ils n’en ont pas besoin ; et il n’y a chez eux aucun patrimoine, tous les biens sont communs à tous. Ils vivent sans roi ni gouverneur, et chacun est à lui-même son propre maître. Ils ont autant d’épouses qu’il leur plaît, et le fils vit avec la mère, le frère avec la sœur, le cousin avec la cousine, et chaque homme avec la première femme venue. Ils rompent leurs mariages aussi souvent qu’ils veulent, et n’observent à cet égard aucune loi. Ils n’ont ni temples, ni religion, et ne sont pas idolâtres. Que puis-je dire de plus ? » Cité dans Jean-Jo Scemla, op. cit., p. xxv. Sur l’apparition du Bon Sauvage au xvie siècle, voir J.-P. Duviols, L’Amérique espagnole vue et rêvée. Les livres de voyages de Christophe Colomb à Bougainville. Paris, Éditions Promodis, 1985, p. 89-99.
47 La thèse de Rousseau sur le Bon Sauvage est contenue dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, publié en 1755.
48 Rousseau lui-même, met en avant le fait que l’état de nature est « un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être point existé, qui probablement n’existera jamais » (J.-J. Rousseau [1755], Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Paris : Garnier-Flammarion, 1971, p. 151).
49 Denis Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, op. cit., p. 546. À travers l’emploi du terme « fable », se pose évidemment la question de la réalité ethnologique des descriptions de Tahiti. La critique du mythe apparaît donc au moment où celui-ci se construit.
50 Cité dans J.-J. Scemla, op. cit., p. 1108. Le titre de ce texte est : Lettre de M. Commerson, docteur en médecine, et médecin botaniste du Roi à l’Île-de-France, le 25 février 1769. Sur la découverte de la Nouvele Île de Cythère ou Taïti. L’extrait cité ici fait partie d’une portion de ce texte isolée et généralement désignée en abrégé par : Post-scriptum sur l’Île de la Nouvelle-Cythère ou Tayti.
51 É. Taillemite, Bougainville et ses compagnons autour du monde, 1766-1769, Tome 1. Paris, Imprimerie nationale Éditions, 1977, p. 316.
52 Ibid., p. 326-327.
53 Le séjour de l’expédition Wallis à Tahiti en juin 1767, dûment relaté par George Robertson, premier maître à bord du Dolphin, ne donna pas lieu à un engouement aussi marqué que celui de Bougainville ou de Commerson. Si la découverte de l’île est porteuse d’un immense espoir, les relations tendues entre marins anglais et indigènes en ternissent considérablement l’image et ne produisent aucune vision édénique de l’endroit, bien que la beauté des paysages et les charmes des Tahitiennes soient mentionnés. Voir G. Robertson, The Discovery of Tahiti, a Journal of the Second Voyage of H.M.S. Dolphin round the World. London, ed. A. H. Carrington, 1948, p. 135-229.
54 Cook I, p. 76. Entrée du 13 avril 1769.
55 « Après les repas, pendant la chaleur du jour, ils dorment souvent, en particulier les gens d’âge moyen. Ceux-ci, lorsqu’ils appartiennent à la classe supérieure de la société, passent le plus clair de leur temps à manger et dormir » (Ibid., p. 126).
56 Ibid., p. 121.
57 Ibid., p. 128.
58 Ibid., p. 127. J. C. Beaglehole souligne que le nom de cette danse viendrait du tahitien ti moro-iti (ou te ai moro iti) qui signifie copulation.
59 Ibid., p. 93-94. Entrée du 14 mai 1769.
60 Cook II, p. 235. Entrée du 17 septembre 1773.
61 Cook I, p. 124.
62 Ibid., p. 117. Entrée du 17 juillet 1769.
63 Ibid., p. 128.
64 « J’avoue ne pas m’attendre à être cru. » (Ibid.)
65 Dans son Voyage autour du monde, publié en 1771, Bougainville apporte lui aussi une nuance importante au portrait idyllique qu’il avait brossé de Tahiti dans son journal de bord. Ainsi, il conclut son chapitre sur ces mots : « J’ai dit plus haut que les habitants de Taiti nous avaient paru vivre dans un bonheur digne d’envie. Nous les avions cru presque égaux entre eux, ou du moins jouissant d’une liberté qui n’était soumise qu’aux lois établies pour le bonheur de tous. Je me trompais. La distinction des rangs est fort marquée à Taiti, et la disproportion cruelle. Les rois et les grands ont droit de vie et de mort sur leurs esclaves et valets ; je serais même tenté de croire qu’ils ont aussi ce droit barbare sur les gens du peuple » (L.-A. de Bougainville, op. cit., p. 267).
66 S. Halimi, « Les voyages de James Cook en Polynésie et leur impact sur l’idéologie anglaise au xviiie siècle », Trema 9 (1984), p. 97.
67 Cook I, p. 399. Entrée du 23 août 1770.
68 Cook II, p. 600. Entrée du 27 décembre 1774.
69 Ibid., p. 272-273. Entrée du 7 octobre 1773.
70 Ibid., p. 270. Il n’y avait en fait pas d’esclaves à proprement parler à Tonga, même si les prisonniers de guerre avaient un statut proche de l’esclavage.
71 Ibid., p. 493. Entrée du 14 août 1773.
72 Ibid., p. 175. Entrée du 3 juin 1773.
73 Cet écart entre théorie et réalité fut souligné de manière tonitruante par La Pérouse en 1787, qui proclama à l’occasion de la mort de Fleuriot de Langle, capitaine de l’Astrolabe et de onze autres membres d’équipage sur une plage de Samoa : « Je suis mille fois plus en colère contre les philosophes qui vantent [les sauvages] que contre les sauvages eux-mêmes ». Voir J. Dunmore, « L’imaginaire et le réel : le mythe du Bon Sauvage de Bougainville à Marion du Fresne », L’importance de l’exploration maritime au siècle des Lumières. Paris, CNRS, 1982, p. 164.
74 Voltaire, article « anthropophages », Dictionnaire Philosophique (1764). Paris, Éditions Garnier Frères, 1961, p. 447.
75 La question du cannibalisme ne saurait cependant se limiter à la Nouvelle-Zélande. Ailleurs dans le Pacifique, notamment dans les Nouvelles-Hébrides (Cook II, p. 489), dans les îles Cook (Cook III, p. 85), à Fidji (Ibid., p. 163) ou chez les Indiens Nootka de la côte ouest américaine (Ibid., p. 297), cette coutume est l’objet de questionnements ponctuels. En ce qui concerne les Tahitiens, Cook arrivera également à la conclusion qu’ils avaient probablement été cannibales par le passé (Ibid., p. 204).
76 Sur l’existence de pratiques cannibales parmi les peuples du Pacifique, nous renvoyons le lecteur au débat passionné qui oppose depuis quelques années les anthropologues Gananath Obeysekere et Marshall Sahlins qui avancent, le premier, que le cannibalisme des Mers du Sud est une construction langagière des Occidentaux dont le but est de justifier le colonialisme, même s’il ne nie pas l’occurrence de pratiques anthropophages à certains endroits, et le second que la pratique est suffisamment appuyée de témoignages visuels pour qu’on puisse la considérer comme ayant véritablement existé. Voir notamment G. Obeyesekere, Cannibal Talk. The Man-Eating Myth and Human Sacrifice in the South Seas. Berkeley and Los Angeles, University of California Press, 2005, et M. Sahlins, How ‘Natives’ Think : about Captain Cook, for Example. Chicago & London, University of Chicago Press, 1995.
77 « Ils ne voulaient pas nous quitter, arguant qu’ils tomberaient entre les mains de leurs ennemis qui les tueraient et les mangeraient » (Cook I, p. 171. Entrée du 10 octobre 1769).
78 Ibid., p. 174. Entrée du 12 octobre 1769.
79 Ibid., p. 237. Entrée du 17 janvier 1770.
80 « […] nous étions satisfaits d’avoir une preuve si forte de l’existence de cette coutume dont la nature humaine a trop horreur pour lui donner facilement crédit » (Banks I, p. 455).
81 Cook I, p. 236, n. 1.
82 Cook IV, p. 814-815.
83 B. Hooper, ed., With Captain James Cook in the Antarctic and Pacific. The Private Journal of James Burney, Second Lieutenant of the Adventure on Cook’s Second Voyage 1772-1773. Canberra, National Library of Australia, 1975, p. 97. James Burney (1750-1821) était le fils du musicologue Charles Burney et le frère de l’écrivain Fanny Burney.
84 M. Dugard, op. cit., p. 187.
85 Cook. II, p. 752.
86 Beverley Hooper, ed., op. cit., p. 99.
87 Cook II, p. 653. Entrée du 20 mars 1775.
88 Ibid.
89 Cook III, p. 69. Entrée du 25 février 1777.
90 Ibid., p. 66 n. 1.
91 « J’avais toujours été leur ami, il en serait encore ainsi, sauf s’ils me donnaient l’occasion de changer d’avis […] s’ils essayaient de recommencer, ils pourraient être sûrs de sentir bientôt tout le poids de mon ressentiment » (Ibid., p. 69).
92 « Je fus frappé d’horreur et remplis d’indignation à l’encontre de ces cannibales » (Cook II, p. 293. Entrée du 23 novembre 1773).
93 Ibid.
94 Banks II, p. 12.
95 Ibid., p. 19-20.
96 Cook II, p. 819.
97 « Il en découle que c’est par choix qu’ils agissent de la sorte, et parce qu’ils aiment ce genre de nourriture » (Ibid).
98 Cook IV, p. 815.
99 Ibid, p. 293, n. 1.
100 Cook II, p. 295 n. 2. Entrée du 23 novembre 1773. À propos des îles Fidji, il réitérera son refus de l’argument nutritif avec force : « Puisque je suis amené à parler à nouveau des cannibales, je demande à ceux qui soutiennent que c’est le défaut de nourriture qui incite d’abord les hommes à manger de la chair humaine ce qui peut porter les Fidjiens à conserver cette habitude au sein de l’abondance ? » (Cook III, p. 164. Entrée du juillet 1777).
101 Cook II, p. 294.
102 Cook II, p. 403-404. Entrée du 14 mai 1774. Il s’agit de John Marra.
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