Langage et syntaxe
p. 69-70
Texte intégral
1Ce qui frappe le lecteur de prime abord, c’est l’extrême liberté que Cook semble prendre avec l’orthographe. Certes, ceci est parfaitement compréhensible pour les noms de lieux ou de personnes rencontrés dans le Pacifique, et le texte de Cook n’est pas le seul à hésiter dans ce domaine. Les journaux des membres d’équipage les plus lettrés, tels Joseph Banks ou Carl von Solander au premier voyage, William Wales ou Johann Reinhold Forster au second, William Anderson au troisième, n’échappent pas à certaines contradictions que l’on retrouve dans les journaux de Cook. Le système phonétique polynésien fut sans doute délicat à reproduire, et il n’est pas surprenant qu’un même nom soit épelé de manières différentes dans un même texte. Plus étonnantes en revanche, sont les variations orthographiques des mots anglais. On sait qu’au xviiie siècle, l’orthographe n’était pas encore fixée comme elle l’est aujourd’hui. Chez nombre d’auteurs réputés, on peut trouver des cas d’orthographes différentes d’une œuvre à l’autre. Cook n’échappe pas à la règle et ses journaux présentent eux-aussi les finales en « ick » de « publick », « traffick » ou « musick », ou encore l’orthographe de « show », sous la forme « shew », ou celle de « perswuading » pour « persuading ».
2Si ces particularités orthographiques ne sont pas anormales pour une œuvre du xviiie siècle, il n’en va pas de même pour une grande partie des mots que Cook emploie. On trouve par exemple des « e » à la place des « i » comme dans « enimy », « sence », « emmidiatly » ou encore « discrition ». Les paires « ie » sont systématiquement transformées en « ei » : « received », « peice », « feild » ; « than » apparaît souvent à la place de « then » et vice-versa, « not » au lieu de « notwithstanding ». Ces spécificités orthographiques concernent également la grammaire : l’apostrophe n’apparaît quasiment jamais avant le « s » dans les contractions de « is », et les finales en « ed » sont tour à tour écrites « ’d » (« employ’d » par exemple), « e’d » (« eclipse’d »), ou simplement « d » (« discoverd »).
3La ponctuation est quant à elle limitée la plupart du temps au tiret (faisant fonction de point) et au point (qui a lui fonction de virgule), mais il arrive à Cook d’utiliser des virgules et des points-virgules, ou de se passer totalement de ponctuation pendant tout un paragraphe, ce qui en rend la lecture parfois difficile. Si on constate une amélioration de l’orthographe et de la ponctuation entre le texte du premier voyage et celui du troisième, le langage de Cook reste de manière générale celui d’un homme peu instruit qui bien souvent écrit comme il prononce. Sa prose, simple et directe, est celle qu’on attend d’un homme de la mer, fut-il officier de la Royal Navy1. Les mots semblent avoir à ses yeux une utilisation concrète, précise et claire. Beaglehole souligne d’ailleurs cette caractéristique de l’écriture chez Cook : « Son seul objectif semble avoir été de relater les événements en bon marin, de la manière la plus brève possible2 ». Mais, simplicité du style ne signifie pas nécessairement manque de qualités, et le langage utilisé par Cook dans ses journaux semble en fait relever de celui-là même que la Royal Society avait préconisé dès les années 1660 en matière de récits de voyage : « Une manière d’écrire naturelle, nue et directe […] qui, autant que faire se peut, exprime toutes choses avec une simplicité mathématique, et qui privilégie au langage des érudits et des gens d’esprit, celui des artisans, des hommes de la campagne et des marchants3 ».
4Soulignons enfin que cette simplicité apparente de style n’empêcha pas Cook, comme nous l’avons déjà signalé, de livrer ça et là dans ses journaux certaines réflexions d’importance sur des sujets qui dépassaient largement le cadre du simple journal de bord qu’il était en train d’écrire. Jour après jour, ligne après ligne, la prose hésitante du début devint peu à peu plus sûre et plus confiante, prit de l’ampleur dans les thèmes abordés et comme l’écrit J. C. Beaglehole : « On peut dire qu’il quitta l’Angleterre bon navigateur, mathématicien capable et topographe de premier ordre, et qu’en y retournant il était devenu un grand commandant, un grand découvreur et un homme animé d’un sentiment élevé concernant l’étendue de la pensée humaine4 ».
Notes de bas de page
1 P. Edwards parle à son sujet de « marin illettré » (Philip Edwards, ed., The Journals of Captain Cook, op. cit., p. x-xi).
2 Cook I, p. cxciii-cxciv.
3 J. I. Cope & H. W. Jones, eds., History of the Royal Society by Thomas Sprat, St. Louis, Mo, Washington University Press, (1959) 1966, p. 113. On se souviendra également ici que Montaigne dans son célèbre essai « Des Cannibales » avait déjà mis en avant sa préférence, en matière de récits de voyages, pour un « homme simple et grossier, qui est une condition propre à rendre véritable tesmoignage » (Michel de Montaigne (1580), Essais, Livre Premier, Chapitre xxxi, Paris, Garnier-Flammarion, 1969, p. 253).
4 Cook I, p. cxiii.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Tiempo e historia en el teatro del Siglo de Oro
Actas selectas del XVI Congreso Internacional
Isabelle Rouane Soupault et Philippe Meunier (dir.)
2015
Écritures dans les Amériques au féminin
Un regard transnational
Dante Barrientos-Tecun et Anne Reynes-Delobel (dir.)
2017
Poésie de l’Ailleurs
Mille ans d’expression de l’Ailleurs dans les cultures romanes
Estrella Massip i Graupera et Yannick Gouchan (dir.)
2014
Transmission and Transgression
Cultural challenges in early modern England
Sophie Chiari et Hélène Palma (dir.)
2014
Théâtres français et vietnamien
Un siècle d’échanges (1900-2008)
Corinne Flicker et Nguyen Phuong Ngoc (dir.)
2014
Les journaux de voyage de James Cook dans le Pacifique
Du parcours au discours
Jean-Stéphane Massiani
2015