Structure des journaux
p. 65-67
Texte intégral
1On peut dégager dans un premier temps un schéma général dans l’organisation interne des journaux. Ceux-ci se présentent globalement sous la forme d’entrées quasi quotidiennes, jusqu’au retour de l’expédition1. Le journal du premier voyage débute ainsi le 27 mai 1768, bien avant le départ de l’Endeavour le 26 août de cette même année. Les trois mois qui séparent le début du journal du début de l’expédition sont condensés en une dizaine d’entrées seulement, dans lesquelles Cook ne consigne que les détails techniques ayant trait aux préparatifs du voyage : gréement du navire, chargement des provisions et recrutement de l’équipage. À partir du 26 août, date du départ de l’expédition, les entrées se font quotidiennes. Le même schéma se répète pour le journal du second voyage avec cette fois-ci, en ouverture du texte, le compte rendu détaillé de l’affaire Banks et le refus de ce dernier d’embarquer sur le Resolution puisqu’on ne lui accorde pas de modifier le navire pour permettre d’accueillir son équipe de scientifiques et d’artistes2. Au troisième voyage, la présence d’Omai, que l’on ramène chez lui dans le Pacifique, est également l’occasion pour Cook de mentionner l’état d’esprit de celui-ci et la générosité de la nation qui l’a accueilli :
Lundi 24. Je quittai Londres à six heures du matin accompagné d’Omai. Nous arrivâmes à Chatham entre dix et onze heures, et après avoir dîné avec le commissaire Proby, celui-ci donna très obligeamment l’ordre à son yacht de nous conduire à Sheerness où mon canot nous attendait pour nous mener à bord.
Je remarquai qu’Omai quitta Londres avec un mélange de regret et de joie. Lorsque nous parlions de l’Angleterre et de tous ceux qui l’avaient honoré de leur protection et de leur amitié, il semblait déprimé et retenait difficilement ses larmes. Mais dès que la conversation tournait sur son île natale, ses yeux brillaient de joie. Son attitude à cette occasion semblait tout-à-fait naturelle. Il était très sensible aux bons traitements dont il avait été l’objet en Angleterre, et avait conçu la plus haute idée du pays et de ses habitants. Mais la perspective de retourner chez lui, chargé de biens qui seraient considérés comme de véritables trésors, prit le pas sur toute autre considération et il paraissait très heureux d’être à bord du navire3.
Passés les mois de préparation de l’expédition et les quelques pages qui y sont consacrées, les entrées se font donc quotidiennes, mais il faut cependant opérer une distinction entre les notes prises en mer et celles rédigées à terre lors des différentes escales effectuées par l’expédition. En mer, ce sont d’abord les informations techniques ayant trait au déplacement du navire qui sont consignées : position en termes de longitude et de latitude, distance parcourue, météorologie, force des vents, direction des courants, ainsi que les différentes manœuvres effectuées, etc., au fur et à mesure que l’expédition progresse vers, puis dans le Pacifique. Ces informations apparaissent en tête d’entrée, souvent dans un style télégraphique qui s’apparente facilement à un langage pour initiés, comme en témoigne par exemple l’entrée du 2 septembre 1768, peu de temps après le départ de la première expédition : « Vendredi 2. Vents O.N, ouest, S.O., O.S.O. Cap S.O. Distce 64 M. Latd 43° 53’. Longd à l’ouest de Greenwich 9° 26’. O. Position à midi Lizd NNE D. 130 Lieues4 ». Au second voyage, ce type de formulation technique aura tendance à s’étoffer et se transformer en énoncé lisible par tout un chacun, avant de disparaître en partie du journal du troisième voyage, dans lequel les informations concernant la position du navire et les conditions de navigation deviennent des repères discrets au sein d’un texte qui présente de moins en moins les caractéristiques habituelles d’un journal de bord.
2Les entrées rédigées en mer concernent également tout ce qui relève de la vie à bord du navire, qu’il s’agisse de la gestion des provisions, de la préparation des repas, de l’entretien du navire, des réparations diverses effectuées à bord, des punitions infligées aux marins coupables de manquement à leur devoir, ou encore les cérémonies célébrant le passage de la ligne d’équateur. Lors du premier voyage par exemple, on peut lire les mots suivants :
Nos observations ne nous permettaient plus de douter que nous eussions passé au sud de la ligne, et à cette occasion la cérémonie en usage parmi toutes les nations ne fût pas omise. Tous ceux qui ne pouvaient prouver, à l’aide d’une carte marine, qu’ils avaient déjà passé la ligne précédemment devaient payer une bouteille de rhum ou être plongés dans la mer. Les personnes concernées furent de loin les plus nombreuses, et comme plusieurs de nos hommes choisirent le baptême de la ligne et que le temps y était favorable, cette cérémonie fut imposée à vingt ou trente d’entre eux, pour le plus grand divertissement des autres5.
Les entrées concernant les escales ou la visite des îles du Pacifique se présentent différemment. Elles sont tout d’abord exprimées selon un calendrier civil, alors que c’est le calendrier nautique qui est utilisé pour les entrées en mer6. Mais elles sont aussi plus longues et plus denses7. Les données techniques concernant la navigation ont disparu et seules, des considérations rapides sur la météo subsistent, en général en début d’entrée. Ce qui est mentionné dans les entrées terrestres est également d’une autre nature. Y sont privilégiées plus particulièrement les différentes rencontres avec les indigènes, ainsi que la mention de leurs caractéristiques et de leurs coutumes, mais aussi des lieux, de la faune et de la flore. Leur organisation interne n’en est pas moins semblable à celle des entrées maritimes : la gestion quotidienne des provisions (eau, bois, nourriture diverse, etc.) et du comportement des marins est ici aussi ce qui anime le récit.
3Deux types d’observations viennent quelque peu bouleverser le compte rendu linéaire des événements, en mer comme à terre. D’une part, Cook délaisse parfois le récit quotidien de la progression de l’expédition, pour se lancer dans des remarques plus générales, produits de sa réflexion ou de discussions avec d’autres membres de l’équipage, qui touchent des thèmes aussi divers que l’hypothèse de l’existence du continent austral ou du passage du nord-ouest, la nature des icebergs, ou le degré de civilisation des indigènes du Pacifique. D’autre part, lors des escales, le texte offre une description détaillée des lieux visités et des indigènes rencontrés, dans laquelle sont reprises et développées les remarques faites au gré des entrées. Ces descriptions sont généralement placées en fin de visite et sont suivies, dans le texte, du départ du navire et de la reprise des entrées quotidiennes.
4Ces deux types d’écart du récit purement chronologique surimposent à la dichotomie mer/terre dont nous parlions plus haut, un autre découpage du texte entre narratif et descriptif, c’est à dire entre dynamique et statique. Dans les descriptions des endroits qu’il visite et des gens qu’il y rencontre, comme dans les passages du texte où Cook nous livre ses réflexions personnelles sur tel ou tel sujet, le lecteur prend du recul, fait une pause si l’on veut, et réfléchit avec Cook à ce qui est évoqué, avant de replonger dans le quotidien de l’expédition. Notons enfin, que les journaux du capitaine Cook offrent en plus du texte tout un appareil documentaire sur le voyage, composé de cartes maritimes ou côtières, mais également de croquis représentant les lieux visités, leur faune, leur flore et les indigènes qui y vivent, ainsi qu’une série de glossaires des différentes langues parlées dans le Pacifique.
Notes de bas de page
1 Nous fondons notre étude sur les versions des journaux publiées par J. C. Beaglehole entre 1955 et 1967, et laissons volontairement de côté les autres versions de ces mêmes journaux que nous n’utiliserons que lorsque cela apporte des éléments à notre argumentation.
2 Cook II, p. 4-8. Le journal du second voyage débute le 28 novembre 1771 et s’achève le 29 juillet 1775.
3 Cook III, p. 5. Entrée du 24 juin 1775. Le journal de ce troisième voyage s’étale du 10 février 1776, date à laquelle Cook reçut le commandement du Resolution jusqu’au 17 janvier 1779. Aucune entrée n’existe au-delà de cette date.
4 Cook I, p. 5. Entrée du 2 septembre 1768.
5 Ibid., p. 16. Entrée du 26 octobre 1768.
6 Le calendrier nautique, utilisé dans les journaux de voyages maritimes britanniques jusqu’en 1805, commence douze heures avant le calendrier civil. La journée exprimée en calendrier nautique va donc du midi au lendemain midi. Ainsi le p.m. de Cook précède son a.m. et un événement daté par exemple du 12 octobre à 11 h s’est déroulé, selon le calendrier civil, le 11 octobre à 23 h.
7 Cette affirmation n’a rien d’absolu. Cook sait parfois être très laconique dans ses observations, comme à Raiatea, le 13 septembre 1773, où il écrit que « Rien de remarquable ne s’est produit » (Cook II, p. 225), oubliant de mentionner une dispute avec Johann Reinhold Forster au cours de laquelle le scientifique allemand est exclu de la grande cabine. Voir P. E., ed., The Journals of Captain Cook, London, Penguin Books, 1999, p. 297.
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