Du mythe à l’homme
p. 31-45
Texte intégral
1Le capitaine Cook fait partie de ces personnages historiques qui se passent aisément de prénom1. À l’instar d’un Nelson ou d’un Darwin, la seule mention du nom Cook, patronyme pourtant fort répandu en Angleterre, suffit généralement à faire naître à l’esprit l’image de celui qui est célébré comme le plus grand navigateur de tous les temps.
2Cette notoriété, Cook en jouit déjà de son vivant, comme en témoignent les nombreux éloges qu’il reçoit de ses supérieurs avant même qu’il ne s’illustre dans les trois expéditions qui achèveront de faire sa gloire. Dès les années 1760, la réputation de Cook n’est plus à faire. Celle-ci grandit considérablement avec les découvertes qu’il effectue dans le Pacifique à partir de 1769, même si ce sont les botanistes Joseph Banks et Carl Solander qui, dans un premier temps, récoltent les fruits de la célébrité au retour de la première expédition en 1771. Sa mort prématurée et dans des circonstances tragiques sur la plage de Kealakekua Bay à Hawaï le 14 février 1779 le transforme en martyr et le propulse au rang de héros national et de mythe.
Le mythe
3Notre propos ici n’est pas d’étudier le mythe Cook dans le détail, mais simplement d’en souligner quelques-unes des manifestations et des caractéristiques.
4Bernard Smith a montré comment ce mythe s’établit en une dizaine d’années suite à la mort de Cook2. À l’origine du phénomène, il y a ses compagnons de voyage. Du simple matelot à l’officier, du soldat au scientifique, tous vont chérir la mémoire de leur capitaine et vont par leurs éloges contribuer à l’édification du mythe, gommant çà et là ses côtés les moins favorables et soulignant en contrepartie ses qualités les plus marquantes. Le lieutenant de vaisseau James King qui l’accompagne lors du troisième voyage en parle comme d’un être supérieur, et David Samwell, chirurgien à bord du Discovery, souligne, dès 1786, combien l’Angleterre, et au-delà l’Europe tout entière, ont été unanimes à applaudir les vertus et les mérites de Cook3.
5Dans le cercle plus officiel de l’Amirauté, on ne manque pas non plus d’admiration pour Cook, comme en témoignent le monument érigé à la demande de Sir Hugh Palliser à Vache Park dans le Buckinghamshire, ou encore celui de l’église Saint Andrew the Great à Cambridge, où reposent son épouse et ses enfants, qui célèbre « l’un des navigateurs les plus célébrés dont notre époque, ou les époques précédentes puissent se vanter ».
Panégyriques et arts visuels
6Au-delà des témoignages laudatifs de ses contemporains, qu’ils aient été ses compagnons de voyage ou des membres éminents de la société anglaise, et plus largement européenne, du xviiie siècle, le processus de mythification dont James Cook fut l’objet, est principalement l’œuvre d’artistes, poètes, écrivains, peintres, dont l’imagination créatrice fut séduite et motivée par la vie et les voyages du capitaine. Entre les mains de ces artistes, Cook devint en quelques années l’incarnation d’un nouveau type de héros, précurseur de l’expansion européenne dans le Pacifique.
7Dans les années 1780, la naissance du mythe Cook se manifeste dans un certain nombre de panégyriques publiés en Angleterre et sur le continent4. La lecture de ces œuvres fait apparaître un ensemble de paramètres communs, tel que l’absence de référence aux compagnons de Cook par exemple. Lui seul est généralement présent dans le texte, et Pierre-Louis Paris, l’un des panégyristes, s’excuse presque d’avoir à mentionner Joseph Banks. La convention du genre impose en effet que seul le héros loué soit mentionné. Le traitement des événements évoqués est également différent de celui que l’on trouve dans les journaux de bord, dans lesquels c’est la collecte d’informations qui prévaut. Dans le panégyrique, les événements sont choisis de manière à illustrer les vertus que l’on souligne chez le héros, quitte à bousculer la chronologie exacte du voyage. Le but en est l’édification du lecteur. Le héros qui apparaît ainsi est un mélange d’ancien et de récent. L’utilisation récurrente des topoï classiques et bibliques l’établit comme l’héritier des héros du passé : Tahiti est aussi envoûtante que la grotte de Circé, mais, tel Ulysse, il est le seul à résister aux tentations des séductrices et à guider ses compagnons de Charybde en Scylla, au travers de la Grande Barrière de Corail sur la côte australienne. Comme le Christ, il est d’origine humble, mais surpasse les sages et délivre aux peuples du Pacifique un message nouveau, celui de la civilisation. Il s’identifie aisément à l’humanité tout entière, traite chaque homme comme son frère, et réprimande sévèrement ceux qui ne se comportent pas correctement avec les indigènes5. La santé et le bien-être de ses hommes sont des préoccupations constantes. Comme l’écrit Pierre-Louis Paris : « La vie d’un homme seroit à ses yeux, plus précieuse que la connoissance d’un continent6 ».
8Mais, James Cook est également un héros moderne, le héraut d’une nouvelle ère basée sur le commerce et la technologie, qui prône l’exportation des arts agricoles européens vers les contrées nouvellement découvertes, mais qui dans ce processus, exclut la poudre des canons :
Toi sur-tout, brave Cook, qui, cher à tous les cœurs,
Unis par les regrets la France et l’Angleterre,
Toi qui, dans ces climats où le bruit du tonnerre
Nous annonçait jadis, Triptolème nouveau,
Apportait le coursier, la brebis, le taureau,
Le soc cultivateur, les arts de ta patrie,
Et des brigands d’Europe expiois la furie ;
Ta voile en arrivant leur annonçait la paix,
Et ta voile en partant, leur laissait des bienfaits7.
C’est un self-made man qui a su progresser dans la société et accomplir des choses merveilleuses à force de travail et d’application, et qui transmet maintenant les valeurs qui ont fait de lui ce qu’il est. Grâce à Cook, c’est tout le programme des Lumières qui arrive dans les coins les plus reculés de la planète. Pas un rocher qui ne soit épargné, pas une plage du Pacifique qui ne reçoive les bienfaits de l’Europe, pas une île qui n’ait la promesse d’un nouveau type de commerce, qui n’apportera ni misère, ni destruction aux peuplades indigènes comme ce fut le cas par le passé, et dans lequel toutes les nations du monde vont pouvoir s’épanouir. « La route ouverte par Cook n’est-elle pas d’ailleurs celle de la bienfaisance et du génie ? » questionne Pierre-Édouard Lémontey8. Cook est un homme de paix qui, comme le souligne Michelangiolo Gianetti, contraste avec les héros du passé, Alexandre, Scipion, mais aussi Pizzaro ou Cortès, tous des militaires conquérants, dont les expéditions furent fondées sur le massacre et la rapine. Dans le texte de Jacques Delille, la guerre elle-même renonce à ses funestes projets et oublie ses ravages à la vue des navires de Cook9. Pour Lémontey : « Les voyages de Cook sont la marche d’un Dieu qui sème l’immortalité10 ».
9Autre élément à souligner ici : la dimension universelle du personnage. Celui-ci n’appartient pas à la nation britannique, il ne travaille pas pour la gloire unique de celle-ci, mais pour l’humanité tout entière. Le Cook britannique laisse la place au Cook universel. Chez Delille, cette dimension est utilisée contre les Anglais, et l’auteur se demande pourquoi les sujets de George III n’ont pas tous l’humanisme ou les qualités de ce héros. Dans les panégyriques des années 1780, les qualités de patience, de tolérance, de persévérance, de mesure, d’équité, placent James Cook en tête du nouvel ordre industriel qui se dessine.
10En dehors des textes de cette période, les arts visuels jouèrent également un rôle prépondérant dans le processus de mythification. Tout comme les carnets de bord ou les journaux de voyage, les dessins exécutés pendant les expéditions sont une source importante de documentation. Et même lorsque les ébauches furent retravaillées, une fois le voyage terminé, les modifications esthétiques apportées ne vinrent généralement pas contrarier la rhétorique visuelle naturaliste qui visait à établir une vision vraie de la géographie, de la lumière, des personnages ou du temps. Le problème qui se pose ici est donc d’arriver à concilier compte rendu objectif d’une scène et mythification du héros de cette scène, les deux approches étant naturellement opposées. La mythification par le biais de l’iconographie offre une vision intemporelle du héros, qui se veut transhistorique. À ce titre, le moment qui précède la mort, dans le cas de Cook comme dans le cas de tous les héros martyrs, est celui qui se prête le mieux au jeu de la glorification.
11Les tableaux qui traitent de la mort de Cook à Kealakekua Bay, publiés dans les années 1780, montrent deux tendances : un style simple et direct qui vise à rendre compte de manière objective de la mort du capitaine en martyr, et un style grandiloquent et lyrique qui transforme l’événement en allégorie. Les premiers tableaux illustrent fidèlement la disparition de Cook, telle qu’elle est rapportée par James King dans le récit officiel du troisième voyage. C’est le cas par exemple de The Death of Cook, par John Webber, artiste qui participa à l’expédition et qui, mais rien jusqu’à présent ne l’a prouvé, a peut-être assisté à l’échauffourée de Kealakekua Bay. Son tableau, représentant Cook entouré d’une foule d’indigènes et tendant la main vers la barque où se trouvent quelques marins de son navire au moment où il se fait poignarder, a généralement été interprété comme une mise en scène de la description que donne King de l’événement. L’ambiguïté du geste de Cook a suffi pour l’ériger en martyr, mourant au moment même où il demande à ses hommes de ne pas tirer sur ses amis hawaïens11. Dans la même veine, le tableau de John Clevely, intitulé View of Owhyhee one of the Sandwich Islands et probablement exécuté d’après une esquisse de son frère James, charpentier à bord du Resolution, offre un geste similaire de la part du capitaine Cook, qui est de surcroît entouré d’un halo de fumée blanche. Ces deux tableaux, de Webber et Clevely, ont fourni le matériel des innombrables reproductions de la mort de Cook, dans les ouvrages qui lui ont été consacrés.
12Les artistes qui choisirent de mettre en avant un moment moins crucial que celui évoqué précédemment, furent moins reproduits et exploités. Citons par exemple George Carter qui dans Death of Captain Cook, montre Cook face à ses assaillants, dans une posture peu avantageuse où il ne semble pas dominer son adversaire. De la même manière, The Death of Captain James Cook, F.R.S., at Owhyhee in MDCCLXXIX, de D. P. Dodd, se focalise sur l’instant qui suit l’affrontement. Cook y est représenté mort, étendu face contre terre, et tiré hors de l’eau par ses assaillants. Dans ces deux cas, l’image de Cook qui est offerte à la vue du public n’est pas compatible avec celle du héros se sacrifiant pour sa patrie. Dans un style plus néo-classique, l’œuvre de John Zoffany, The Death of Cook, présente elle aussi la scène de Kealakekua Bay, mais l’investit d’intemporalité. Cook y est dépeint dans la position d’un gladiateur agonisant, face à un adversaire qui s’apparente au discobole. Chez les deux hommes, on trouve une même dignité dans la pose. Sur le visage de Cook, seule une expression figée de souffrance, tel un masque de tragédie antique. Comme l’écrit Bernard Smith : « La tragédie se voit ainsi élevée au rang d’idéalité intemporelle12 . »
13La dimension intemporelle que Zoffany propose dans son traitement de la mort de Cook se retrouve également dans le second type de représentations du capitaine exécutées à cette époque : les apothéoses. Cette tradition qui consiste à transformer les héros en dieux trouve son origine dans la Grèce antique et fut remise au goût du jour au xviie siècle, en Italie notamment. Les artistes des Lumières utilisèrent le genre pour assurer une gloire séculière aux grands hommes du siècle.
14Ainsi, le peintre allemand Johann Ramberg, disciple de Reynolds et Bartolozzi, choisit Cook comme thème du frontispice qu’il exécute pour l’ouvrage du révérend Thomas Banke, New System of Geography13. Cook y apparaît debout sur un rocher qui est en train de se transformer en nuage. Juste au-dessus de lui, dans le ciel, un ange annonce sa venue, un autre lui pose une couronne de lauriers sur la tête, pendant que Neptune, sur le rocher, semble le présenter à la muse Clio qui a commencé à prendre sous la dictée la liste de ses exploits, assurant ainsi leur postérité. À droite, en arrière-plan, les navires de Cook sont déjà repartis vers les mers du Sud, et au premier plan, sur la gauche, Britannia reçoit les hommages et les présents des quatre continents africain, américain, asiatique et européen, représentés selon la tradition, par quatre jeunes femmes richement vêtues. Dans le même esprit, l’œuvre de Philip James de Loutherbourg, Apotheosis of Captain Cook, publiée en 1794, présente le héros en pleine ascension vers le ciel, assis sur un nuage, son sextant à la main, en compagnie de la Renommée qui proclame son arrivée, et recueilli dans les bras de Britannia, présente elle aussi sur le nuage. Le geste de Cook, qui semble repousser délicatement la venue de la Renommée, vient ajouter les qualités de modestie et d’humilité au personnage. Au bas de la gravure, une représentation de la scène de l’affrontement entre Anglais et Hawaïens à Kealakekua Bay ancre l’apothéose de Cook dans son époque, et rappelle concrètement les événements qui ont conduit à la disparition du capitaine.
15La dimension historique n’est cependant pas toujours présente. Elle disparaît par exemple avec Thames, or the Triumph of Navigation, de James Barry, dernier d’une série de six tableaux intitulée The Progress of Human Culture et effectuée entre 1777 et 1783 en vue de l’ornement de la grande salle de la Royal Society for the Encouragement of Arts, Manufactures and Commerce, qui dépeint les différentes étapes du développement de l’homme depuis Orpheus Reclaiming Mankind from a Savage State, jusqu’à cet hommage rendu à la navigation qui a permis à la Grande-Bretagne d’étendre son commerce aux quatre coins du globe et d’asseoir ainsi sa domination sur les autres peuples. On y voit Cook nageant dans la Tamise, au milieu des tritons et des néréides, en compagnie des plus illustres marins de la nation britannique : Sebastian Cabot, Francis Drake ou Walter Raleigh.
Un mythe en question
16Le statut de mythe dont Cook bénéficie assez rapidement après sa disparition ne saurait totalement cacher certaines faiblesses. Largement fondé sur un procédé de sélection et d’amplification des vertus et des actes qui ont fait la gloire de Cook, il ne résiste pas, comme tous les mythes pourrait-on dire, à l’examen détaillé des éléments qui le composent. Les critiques à l’encontre du statut de Cook sont d’ailleurs contemporaines de sa mythification, et prennent leur source dans la pensée même des Lumières, qui place les droits naturels des hommes au-dessus de la propagation du commerce et des progrès de la civilisation. Dès 1772, le Supplément au Voyage de Bougainville de Denis Diderot questionne fortement les bienfaits dont ont pu bénéficier les peuples du Pacifique de leur rencontre avec les Européens14. De son côté, Georg Forster, l’un des scientifiques du second voyage, conclut également que
Si le savoir de quelques individus ne peut être acquis qu’au prix du bonheur de nations tout entières, il eut été mieux pour les découvreurs et pour leurs découvertes que les Mers du Sud ne soient pas portées à la connaissance de l’Europe et de ses habitants impatients15.
Mais loin de ne s’attaquer qu’à ce que Cook représente, la critique touche également l’homme dans ses qualités et ses accomplissements, à commencer par ses découvertes, qui, selon certains historiens ne sont pas aussi nombreuses que ce que l’histoire a pu retenir16. Ainsi, la découverte de Tahiti est à mettre au crédit de Samuel Wallis, et Bougainville y séjourna un an avant Cook. La Nouvelle-Zélande avait déjà été approchée par Tasman en 1642, et les Hollandais connaissaient une grande partie des côtes australiennes au moment où Cook y débarque en avril 177017.
17Les qualités d’humanisme, de patience, de persévérance, de ténacité, d’humilité, qui ont fait la légende de Cook sont également contrariées par l’examen des journaux de bord. Cet homme affable, modéré et profondément humain, tel qu’il est généralement décrit par ses contemporains, offre parfois un autre visage, fait d’injustice et de cruauté. Les lourdes punitions qu’inflige le capitaine à ses hommes d’équipage ou aux indigènes, lors du troisième voyage par exemple, ne manquent pas de provoquer la réaction de ses compagnons, pourtant habitués aux traitements sévères des officiers de la Royal Navy. George Gilbert, matelot à bord du Resolution, livre cette remarque sur son capitaine, après que celui-ci a puni très sévèrement des indigènes tonguiens coupables de larcins :
Ce vice, très fréquent ici, fut puni par le capitaine Cook d’une manière qui ne saurait seoir à un Européen ; c’est à dire en découpant les oreilles des coupables, en leur tirant dessus au petit plomb ou à balles, alors qu’ils nageaient ou pagayaient vers le rivage, et en permettant que les hommes d’équipage qui les poursuivaient, les battent à coup de rames ou les harponnent avec la gaffe18 […]
La fatigue et la maladie finirent sans doute par rendre irascible celui dont on a retenu principalement les qualités de patience et d’humanisme19, mais les témoignages des accès de colère de Cook et les exemples du traitement cruel qu’il inflige parfois à ses marins ne manquent pas non plus pour les voyages précédents. Ainsi, lors du second voyage, à propos de la sévère punition donnée à un marin coupable de s’être battu avec un autre marin, John Elliott, enseigne de vaisseau à bord du Resolution, écrit le 2 janvier 1774, qu’à cette occasion, Cook « avait perdu le sens de la justice et de l’humanité20 ».
18Le même constat d’un écart entre mythe et réalité vaut pour la persévérance et la ténacité que la grande histoire a bien voulu retenir au sujet de Cook. Si pour James Trevenen, « tout idée de procrastination, tout manque de résolution lui étaient étrangers ; l’action était sa vie, et le repos, une sorte de mort21 », on ne peut que regretter, par exemple, qu’il n’ait pas décidé de clarifier la position exacte de la Tasmanie par rapport à l’Australie, à un moment où il avait l’occasion de le faire, et qu’il ne s’en tienne qu’à ce que Tobias Furneaux, capitaine de l’Adventure lors du second voyage, lui avait rapporté au sujet de cette île22. Un peu plus tard, en juillet 1777, alors que l’expédition se trouve dans l’archipel des Tonga, George Gilbert s’interroge aussi sur la décision de Cook de ne pas aller explorer les îles Fidji, pourtant toutes proches23. De la même manière, l’humilité et la modestie mises en avant dans le mythe Cook laissent parfois la place à une certaine autosatisfaction de la part du capitaine. Ainsi, dans une lettre à John Walker, datée du 13 août 1771, soit quelques jours seulement après que l’Endeavour est arrivé en Angleterre, Cook écrit, non sans un certain sentiment de supériorité : « J’ai exploré une portion plus grande de la Mer du Sud qu’aucun de mes prédécesseurs tant et si bien qu’il ne reste que peu à faire pour que l’on ait une connaissance approfondie de cette région du globe24 ».
19L’autosatisfaction que l’on décèle ici, transparaît également parfois dans le journal qu’il rédige : « Moi, que l’ambition pousse non seulement à aller plus loin que mes prédécesseurs, mais aussi loin qu’il est selon moi possible à l’homme d’aller25 ».
20Le projet n’est pas ici de remettre en question les avancées considérables que ses trois expéditions dans le Pacifique ont apportées à la connaissance de cette région du monde, mais il a semblé nécessaire de mettre en perspective l’image dont jouit le capitaine depuis plus de deux cent ans et une réalité parfois moins idéale26. Car au départ du mythe, il y a l’homme, avec toutes ses qualités et dans tous ses accomplissements certes, mais aussi avec ses erreurs, ses doutes, ses craintes et ses moments de découragement. Le mythe Cook s’est en partie développé du fait de l’opacité du personnage. Car si l’on sait ce qu’a fait Cook, si l’on sait ce qu’il était, force est de constater que l’on ne sait pas grand-chose de qui il était. Comme le souligne l’un de ses biographes : « la vie privée de Cook, ainsi que ses pensées intérieures sont comme enfermées dans l’un de ces vieux livres à fermoir de cuivre, dont il aurait jeté la clé27 ». Avec Cook, l’individu s’efface derrière le statut, James laisse la place au capitaine. Seuls les faits et gestes du navigateur et de l’explorateur semblent avoir intéressé les biographes. Comme l’écrivit Andrew Kippis dès 1788 :
Un récit de la vie et des accomplissements du capitaine Cook se doit de consister principalement dans l’histoire de ses voyages et de ses découvertes, ainsi que des obstacles et des dangers qu’il eut a affronter. Les détails de sa vie privée, quel que soit le soin qu’on ait pris à les recueillir, ne sont comparables ni en nombre ni en importance, à son action publique, qui porte véritablement sa marque et dévoile au grand jour son âme et toute la force de son caractère. C’est donc vers celle-ci que l’attention du biographe doit être dirigée28.
Sur les cinq cent trente pages environ de la première biographie consacrée à Cook, onze seulement concernent les quarante premières années de sa vie, de son enfance à son premier voyage dans l’hémisphère sud. Les biographes qui ont succédé à Kippis ont tous suivi le même schéma, et même si un certain intérêt pour la jeunesse et les années de formation de Cook dans la marine marchande ou dans la Royal Navy, s’est développé à partir du xxe siècle, force est de constater que ce sont les trois expéditions dans le Pacifique qui intéressent généralement les éditeurs et les auteurs. On ne peut dès lors que regretter l’opportunité rare manquée par Kippis, contemporain de Cook, de ne pas avoir récolté plus d’informations personnelles sur l’homme.
L’homme : données biographiques
Enfance et jeunes années
21C’est à Marton-in-Cleveland, petit village du Yorkshire, que James Cook, second enfant de James et Grace Cook, voit le jour le 28 octobre 1728. Son père avait quitté son Écosse natale quelques années plus tôt, pour venir travailler comme journalier dans une ferme de cette région où il s’était marié avec Grace Pace, une jeune femme de Stainton-in-Cleveland. D’abord installé à Morton, où un premier fils, prénommé John était né, le couple déménagea quelques kilomètres plus à l’ouest, pour vivre dans le village qui vit la naissance de son second fils. Enfant, James Cook reçoit une éducation rudimentaire, lecture et écriture, donnée par une certaine Mrs Walker, dont l’époux dirige Marton Grange, la ferme où est employé James père. En 1736, la famille Cook déménage pour Great Ayton où le père devient contremaître d’Ayryholme Farm, propriété de Thomas Skottowe. À Great Ayton, sous la direction du maître d’école Mr Pullen, James fils poursuit son éducation : arithmétique, catéchisme, ainsi que renforcement des bases de lecture et d’écriture qu’il avait acquises précédemment. En 1745, à l’âge de dix-sept ans, il est placé chez Mr William Sanderson, épicier-mercier à Staithes, petit port de pêche sur la côte du Yorkshire. C’est probablement à ce moment que Cook développe un fort attrait pour la mer, qui le pousse quelques mois plus tard à se rendre à Whitby, ville à l’activité portuaire importante, afin d’entrer comme apprenti au service de John Walker, armateur et transporteur de charbon.
La marine marchande
22Les biographes de Cook soulignent généralement l’influence positive qu’a eu Walker sur la formation du jeune homme. Ce Quaker doux et bienveillant dut rapidement remarquer ses qualités car il ne tarda pas à l’envoyer en mer. Pendant près d’une dizaine d’années, Cook va faire son apprentissage de marin sur cette mer dangereuse, véritable nursery of seamen selon une formule établie29. C’est le long de la côte est de l’Angleterre, une côte difficile à suivre, mal balisée, mal éclairée par un nombre insuffisant de phares, dont les cartes à l’époque sont rudimentaires et peu fiables, une côte aux récifs nombreux et à la marée délicate à appréhender, que James Cook va peu à peu acquérir les qualités de navigateur qui feront sa gloire plus tard. Il y apprend le maniement d’un navire en pleine mer, en toutes conditions, mais aussi aux abords des côtes et à l’entrée des estuaires et des ports. Il se familiarise également avec le type de navire qu’il utilisera dans ses expéditions pacifiques : le cat, navire employé essentiellement dans le transport de charbon, décrit par Auguste Jal dans son Glossaire nautique comme ayant une poupe étroite, les hanches larges et un haut accastillage30. L’Endeavour, le Resolution, l’Adventure et le Discovery, qui accompagneront Cook dans ses expéditions quelques années plus tard, feront tous partie de cette catégorie de bateaux que Cook apprend à connaître à cette période. Hormis le fait qu’entre chaque voyage qui le transporte le long de la côte anglaise, il loge chez John Walker où il est encouragé à étudier tout ce qui a trait à la navigation, peu d’informations personnelles sont disponibles sur Cook à cette période. Les livres de bord des navires sur lesquels il a travaillé permettent néanmoins de suivre fidèlement son parcours professionnel.
23Ainsi son premier voyage a lieu à bord du Freelove entre le 26 février et le 22 avril 1747. Les allers-retours entre Whitby et Londres s’enchaînent avec de temps en temps une affectation sur un nouveau navire. En juin 1748, Cook passe ainsi sur le Three Brothers. Il va y rester près de dix-huit mois, et y acquérir une expérience considérable, alternant transport de charbon vers Londres et transport de troupes entre les Flandres, Dublin et Liverpool. Puis c’est le tour du Mary, avant de réintégrer le Three Brothers. Le 20 avril 1750, ayant fini son apprentissage, Cook est embauché comme matelot et, en décembre 1752, il est nommé second maître à bord du Friendship. En quelques années, il est incontestable qu’il a beaucoup appris, et à vingt-sept ans, il connait bien son métier. Il en a une connaissance de terrain plus que livresque, pratique plus que théorique, bien qu’il ait sans doute eu accès à certains traités de navigation, tel que le Practical Navigator de John Seller, publié pour la première fois en 1669, et régulièrement réédité pendant près de soixante-dix ans31. C’est dans ce genre de traités qu’il a pu notamment puiser quelques connaissances élémentaires d’astronomie et de géométrie. En outre, il a pu acquérir pendant toutes ces années une pratique certaine des instruments de navigation les plus courants. Cependant, il ne faudrait pas voir en James Cook une exception. Nombreux sont à l’époque les marins capables de naviguer comme il le fait, certains avec beaucoup plus d’expérience qu’il n’en a à ce moment-là. Mais ce jeune homme de vingt-sept ans dut sans doute gagner la confiance de son employeur, John Walker, car celui-ci lui proposa, en 1755, le commandement de l’un de ses bateaux que Cook connaissait bien : le Friendship. Cook déclina l’offre, quitta la marine marchande et s’engagea dans la Royal Navy le 17 juin de cette même année.
La Royal Navy
24Les raisons exactes de ce geste restent à ce jour inconnues. Certains historiens ont cru y voir l’expression d’un sentiment patriotique à un moment où l’Angleterre s’apprête à entrer en guerre avec la France32. D’autres ont avancé que la décision de s’engager dans la Royal Navy avait été un stratagème pour éviter d’être enrôlé de force par les recruteurs des press gangs33. Une ambition démesurée de réussir dans la vie a été également proposée34, ainsi qu’un fort désir de voir le monde, désir motivé par la lecture des récits de voyages des circumnavigateurs des siècles précédents, ou encore le fait que Cook avait toujours rêvé d’une carrière dans la Royal Navy35, véritable promotion sociale pour ce fils de journalier. Mais quelles qu’aient pu être les raisons de Cook, il demeure qu’il s’agit d’une décision plutôt inhabituelle au regard des conditions de travail qu’offraient l’un et l’autre de ces corps de marine. Le manque de confort, le système de punitions très sévère, l’engagement militaire en temps de guerre, et donc la perspective de périr en mer lors d’affrontements avec l’adversaire, le fait de vivre et de travailler avec des matelots souvent très peu qualifiés, victimes pour beaucoup des raids du redouté press gang, tout cela n’a pas d’équivalent dans la marine marchande36. L’idée de faire fortune est elle aussi contrariée lorsqu’on songe que Cook, en tant que capitaine d’un navire de la marine marchande, aurait gagné sa vie de manière bien plus confortable que dans la Royal Navy qu’il ne pouvait intégrer qu’en tant que matelot breveté de seconde classe (able-bodied seaman). Quant à l’argument romantique qui veut que Cook ait eu à ce moment-là envie de voyager et de voir le monde, la marine marchande aurait pu tout aussi bien lui offrir ce genre de vie dans le commerce avec les colonies américaines ou l’Asie.
25Sitôt engagé, le matelot Cook est affecté à bord de l’Eagle, sous les ordres du capitaine de vaisseau Joseph Hamar et un mois plus tard, il est nommé second maître (master’s mate). En ce début de conflit, l’Angleterre tient à bloquer les voies de communication entre la France et ses colonies nord-américaines. Dans cette optique, l’Eagle sillonne la zone située entre les îles Sorlingues au sud-ouest de l’Angleterre, les côtes irlandaise et française, afin d’y capturer les bateaux français qui s’y trouvent. Le 1er octobre le capitaine Hamar est relevé de ses fonctions et remplacé par Sir Hugh Palliser, dont la rencontre avec Cook va s’avérer capitale pour l’avenir de ce dernier. Durant les quelques mois qu’ils passeront ensemble, les deux hommes vont nouer une amitié solide, et Cook obtiendra rapidement d’importantes responsabilités sous les ordres de Palliser. Le 15 novembre, Cook connaît son baptême du feu contre l’Espérance. D’importantes réparations effectuées sur le navire occupent l’hiver 1755-1756 et ce n’est finalement qu’au printemps 1757 que l’Eagle reprend du service avec la capture du Duc d’Aquitaine, navire de ligne français, le 30 mai de cette année. Sur recommandation de Palliser, Cook passe son examen et devient premier maître (master), le 29 juin 1757. Débarqué de l’Eagle, il rejoint le Solebay, frégate de 24 canons, commandée par le capitaine Robert Craig37. Le 18 octobre, un nouveau mandat l’affecte sur le Pembroke, auprès du capitaine John Simcoe qui aura lui-aussi une influence prépondérante sur la carrière de Cook.
26Jusqu’à l’hiver 1757, le conflit qui oppose Français et Anglais piétine. Mais la fatigue et la pénurie de vivres que l’on voit approcher à grands pas obligent les colonies françaises d’Amérique du Nord à protéger et renforcer les lignes de communication avec la Mère Patrie, ce que les Anglais vont s’employer à détruire. Les positions françaises au Canada sont alors protégées par les deux grandes places fortes que sont Québec et Louisbourg. La prise de ces deux villes rendrait les Anglais maîtres de la région. À cet effet, une flotte est expédiée à Halifax en Nouvelle-Écosse, sous les ordres de l’amiral Edward Boscawen. Le Pembroke en fait partie, et quitte Plymouth le 22 février 1758 avec sept autres navires. La première traversée de l’Atlantique qu’effectue James Cook s’avère longue et pénible. L’homme y découvre le scorbut et en mesure les ravages : vingt-six hommes d’équipage périssent de ce fléau à bord de son navire. En arrivant à Halifax, les matelots sont si affaiblis par la maladie que le Pembroke ne peut prendre part à l’assaut de Louisbourg, dirigé par l’amiral Boscawen et ses cent cinquante-sept vaisseaux qui quittent Halifax le 28 mai. Le 26 juillet, Louisbourg capitule. Les semaines qui suivent voient la rencontre de James Cook avec Samuel Holland qui deviendra plus tard topographe officiel de la province du Canada, sous la direction de John Simcoe, le fils du capitaine du Pembroke, qui en sera, lui, le gouverneur. Au contact de Holland, Cook va s’initier et se familiariser peu à peu à l’utilisation des instruments de mesure et à la technique des relevés topographiques et hydrographiques. Très rapidement la maîtrise qu’il en acquiert lui permet de dresser la carte de la baie de Gaspé, qui sera publiée en 175938. Durant l’hiver 1758-1759, le Pembroke est stationné à Halifax, comme une grande partie de la flotte anglaise. La saison est alors trop avancée pour lancer l’assaut contre Québec, protégée des attaques britanniques par la rigueur de l’hiver. Cook profite du peu d’activités navales proposées pour étudier et se perfectionner dans les disciplines indispensables à la navigation que sont alors les mathématiques et l’astronomie, ainsi que la topographie et l’hydrographie. De cette période datent aussi probablement les premières Instructions nautiques qu’on lui connaisse, ensemble de recommandations permettant notamment de naviguer en toute sécurité aux abords des ports et des estuaires39. La collaboration avec Holland se poursuit et les deux hommes vont à cette époque établir la carte du Saint-Laurent, qui jouera un rôle important dans le conflit franco-anglais puisqu’elle permettra aux navires anglais de remonter le fleuve à l’été 1759 et de prendre la ville de Québec qui capitule le 18 septembre. Après la chute de Québec, Cook est transféré sur le Northumberland, commandé par Alexander, Lord Colville dont la présence sera elle aussi capitale pour l’avancement de Cook. L’hiver 1759-1760 voit à nouveau Cook cantonné à Halifax, plongé dans ses études. Pendant ce temps, à Londres est publié : A New Chart of the River St Laurence, from the Island of Anticosti to the Falls of Richelieu ; with all the Islands, Rocks, Shoals and Soundings… Taken by Order of Charles Saunders, Esq., Vice-Admiral of the Blue, and Commander in Chief of His Majesty’s Ships in the Expedition against Quebec in 175940, qui regroupe les contributions de Cook, Holland et Simcoe. Cette carte fut par la suite incorporée au North American Pilot, publié en 1775, qui servit à l’orientation de générations entières de marins dans cette région. Le 7 septembre 1760, c’est Montréal qui capitule, sous la pression du général Amherst qui traverse le lac Ontario avec ses troupes et assiège la ville. De fait, le Canada passe à l’Angleterre et le conflit cesse dans cette zone, pour ne se poursuivre plus que dans les Antilles, en Inde, ainsi que dans les eaux méditerranéennes. S’ensuit une période de calme que Cook met à profit pour se concentrer sur ses études et ses relevés topographiques. Seule la prise de Saint-Jean, capitale de Terre-Neuve par les Français en juin 1762, vient quelques temps troubler cette relative tranquillité. Mais la ville est rapidement reprise et le calme revenu, les navires britanniques quittent peu à peu le Canada. Le 7 octobre 1762, c’est le tour du Northumberland, et à la fin du même mois, Cook est de retour en Angleterre, non sans s’être vu confier auparavant les relevés topographiques et hydrographiques de la région de Terre-Neuve, de la Nouvelle-Écosse et de l’île du Cap Breton. Le 21 décembre 1762, James Cook épouse Elizabeth Batts, jeune femme de 21 ans, originaire de Barking dans l’Essex. Des semaines qui ont précédé ce mariage (rencontre, cour, etc.), on ne sait rien, et on ne peut qu’imaginer que leur première rencontre eut lieu à Shadwell, où il logeait, alors qu’elle rendait visite à sa mère qui habitait la même paroisse. Le couple habite ensemble jusqu’en avril 1763, date à laquelle James Cook repart pour l’Amérique du Nord.
Terre-Neuve
27Le 10 février 1763, le Traité de Paris met fin à la guerre. Les Anglais en sortent vainqueurs et obtiennent un énorme territoire en Amérique du Nord dont il faut alors établir des cartes fiables. C’est donc en qualité d’hydrographe que Cook est renvoyé à Terre-Neuve. Sa première mission est consacrée à Saint-Pierre-et-Miquelon, qu’en vertu du Traité de Paris, les Anglais doivent rendre aux Français avant le 10 juin, non sans en avoir établi la carte très précise. Du retard dans le travail d’hydrographie repousse le départ des Anglais et ce n’est finalement que le 31 juillet que les deux îles sont remises aux Français. Cette première saison est également marquée par l’acquisition par Thomas Graces, gouverneur de Terre-Neuve, d’une goélette rebaptisée le Grenville en hommage au premier ministre de l’époque41, et qui est confiée à Cook. Avec la mauvaise saison, le travail d’hydrographie devient rapidement impossible. Cook est renvoyé en Angleterre fin novembre, où il apprend la naissance de son premier enfant, un garçon baptisé James, né quelques semaines plus tôt, le 13 octobre. La famille Cook en profite pour s’installer dans la paroisse de Stepney, et y achète une maison à Mile End Old Town. Durant l’hiver 1763-1764, Cook met les cartes établies l’été précédent au propre. À son retour à Terre-Neuve au printemps suivant, il apprend qu’à l’instigation de Sir Hugh Palliser, il a été mandaté pour commander le Grenville.
28Ainsi s’établit un rythme qui va durer plusieurs années. Le caractère saisonnier du travail d’hydrographie impose que l’on ne s’y consacre qu’à la belle saison, entre juin et octobre, la rigueur de l’hiver au Canada empêchant la précision des relevés et rendant donc inutile la présence de Cook sur place en dehors de cette période. Pendant cinq années, Cook passe donc les étés à Terre-Neuve et établit les cartes des parties sud et ouest de l’île, qu’il met en bonne et due forme lors des hivers passés à Londres. Cette routine est ponctuée ça et là d’événements particuliers, parfois heureux, comme par exemple, l’arrivée de deux enfants supplémentaires dans son couple42, ou l’observation d’une éclipse de soleil en août 176643, parfois plus tragiques, comme l’explosion d’un baril de poudre qui manquera de le tuer et lui laissera durant toute sa vie une cicatrice sur la main droite44. En 1766, toujours avec l’appui de Palliser, Cook obtient l’autorisation de publier les cartes45. Quatre cartes, assorties pour trois d’entre elles de sailing directions, sont ainsi mises sur le marché entre 1766 et 176846. Entre 1769 et 1779, elles sont également reprises par l’éditeur Thomas Jefferys dans A Collection of Charts of the Coasts of Newfoundland and Labradore, qui inclut les travaux d’autres éminents hydrographes de l’époque tels Michael Lane et Joseph Gilbert47. L’hiver 1767-1768 se déroule comme les précédents. Cook met ses cartes au propre et rien alors ne semble indiquer qu’il ait eu vent de projets différents pour la saison suivante. Dans une lettre à l’Amirauté, datée du 9 avril 1768, il demande qu’on affecte un chirurgien assistant à bord du Grenville48, ce qui lui est accordé, prouvant ainsi qu’à cette date au moins, les supérieurs de Cook n’ont pas non plus envisagé de l’employer différemment. Mais depuis quelques mois, l’Amirauté et la Royal Society cherchent à organiser une expédition scientifique dans les Mers du Sud, afin d’aller y observer le passage de Vénus devant le disque du soleil, prévu pour le 3 juin 1769. Fin avril, Cook est choisi pour accomplir la mission, et le 25 mai 1768, il est promu lieutenant de vaisseau. On lui confie alors le commandement de l’Endeavour, acheté deux mois plus tôt par l’Amirauté.
29Le 26 août, l’expédition quitte Plymouth pour l’hémisphère sud.
Notes de bas de page
1 Voir à ce sujet R. A. Skelton, Captain James Cook after Two Hundred Years, London, The trustees of the British Museum, 1969.
2 B. Smith, « Cook’s Posthumous Reputation » in R. Fisher & H. Johnston, Captain James Cook and His Times, London, Croom Helm Ltd, 1979, p. 159-185.
3 R. A. Skelton, op. cit., p. 9.
4 Voir notamment l’étude qu’a fait Bernard Smith de ces œuvres (B. Smith, op. cit., p. 161-168). Les panégyriques concernés sont : A. Seward, Elegy on Captain Cook, London, 1780. J. Delille, Les Jardins, ou l’Art d’embellir les Paysages, Paris, 1782. Michelangiolo Gianetti, Elogio del Capitano Giacomo Cook letto da M. Gianetti nella publica adunanza della reale Academia Fiorentina, Firenze, 1785. P.-É. Lémontey, Éloge de Jacques Cook avec des notes : discours qui a remporté le prix d’éloquence au jugement de l’Académie de Marseille, le 25 août 1789, Paris, 1792. P.-L. Paris, Éloge de Cook, Riom, 1790.
5 B. Smith, op. cit., p. 167.
6 P.-L. Paris, op. cit., p. 62.
7 J. Delille, op. cit., p. 83. L’éloge de Cook par Delille concerne une courte portion seulement de son poème sur les jardins (p. 83-84).
8 Dans Œuvres de P.-É. Lémontey, de l’Académie Française. Édition revue et préparée par l’auteur, t. III, Paris, A. Sautelet et co. Éditeurs, 1829, p. 199-200.
9 J. Delille, op. cit., p. 84.
10 P.-É. Lémontey, op. cit., p. 171.
11 L’ambiguïté du geste tient dans le fait que Cook pourrait tout aussi bien demander de l’aide à ses compagnons.
12 B. Smith, op. cit., p. 174.
13 T. Banke, New System of Geography, London, 1787.
14 D. Diderot, Supplément au Voyage de Bougainville (1773), dans Contes et Romans, éd. M. Delon, Paris, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 2004, p. 541-581. Le même questionnement est formulé par Cook dans le journal de son second voyage. Voir Cook II, p. 175, entrée du 3 juin 1773.
15 Cité dans B. Smith, op. cit., p. 183.
16 Voir à ce sujet J. Robertson, op. cit., p. 68-71.
17 Certaines cartes de l’hémisphère sud, établies entre 1530 et 1570 à Dieppe, présentent une île de taille considérable à l’endroit où se trouve l’Australie. L’existence de ces cartes, sans doute d’origine portugaise, tend à prouver que les Portugais avaient connaissance de la côte orientale australienne plus de deux siècles avant Cook. La Grande Barrière de Corail y est notamment appelée Coste Dangereuse. Il existe en outre des similitudes étonnantes entre les noms français qui apparaissent sur ces cartes et les noms que Cook donna aux mêmes endroits. Ainsi Botany Bay est appelée Coste des Herbages, et Bay of Isles, Baie de beaucoup d’îsles. Selon J. Robertson, ceci serait la preuve que James Cook avait ces cartes à bord de son navire lorsqu’il toucha la côte australienne. Voir J. Robertson, op. cit., p. 55-56.
18 C. Holmes, ed., Captain Cook’s Final Voyage : The Journal of Midshipman George Gilbert, London, Caliban Books, 1982, pp . 33-34.
19 Cook semble avoir souffert d’une infection intestinale, sans doute contractée lors de son second voyage entre 1772 et 1775, et qui prit des proportions considérables lors du troisième voyage. Voir à ce sujet : Sir James Watt, « Medical Aspects and Consequences of Cook’s Voyages », dans R. Fisher & H. Johnston, op. cit., p. 154-157.
20 C. Holmes, ed., Captain Cook’s Second Voyage : The Journal of Lieutenants Elliott and Pickersgill, London, Caliban Books, 1984, p. 43. Les deux marins concernés sont Charles Loggie et James Maxwell, tous deux enseignes de vaisseau.
21 Cook III, p. 426, n. 6.
22 Cook écrit à ce sujet : « J’ai mentionné quelque part dans ce journal mon souhait d’aller visiter la Terre de Van Diemen afin de vérifier si celle-ci faisait partie ou non de la Nouvelle-Hollande, mais puisque le capitaine Furneaux a dans une grande mesure clarifié ce point, j’ai abandonné toute idée de m’y rendre […] » (Cook II, p. 165. Entrée du 19 mai 1773). Lors du troisième voyage, Cook revient sur cette question : « Je n’ai pas besoin de préciser que c’est la pointe sud de la Nouvelle-Hollande, qui est l’une des îles les plus grandes du monde, si ce n’est un continent » (Cook III, p. 56).
23 « Il est quelque peu surprenant que le capitaine Cook ne soit pas allé à leur recherche, comme il est généralement de son habitude. Je ne peux en dire la raison, car il est certain que nous en avions le temps lorsque nous étions à Tongatabou » (Ibid., p. 163).
24 Life, p. 276.
25 Cook II, p. 322. Entrée du 30 janvier 1774.
26 Il faut ainsi répéter qu’en termes de découverte pure, au sens fondamental du mot, rien, ou presque, n’est à mettre au crédit de Cook, ou des navigateurs qui l’ont précédé. Au moment où les Européens font connaissance avec le Pacifique, cette région du monde est peuplée depuis des centaines d’années. Comme l’écrit l’historien J. H Parry à propos de Christophe Colomb, Cook « ne découvrit pas de nouveau monde. Il établit le contact entre deux mondes, l’un et l’autre déjà anciens » (J. H. Parry, The Spanish Seaborne Empire, London, Hutchinson, 1966, p. 65).
27 A. MacLean, op. cit., p. 8.
28 A. Kippis, op. cit., vol. I, Preface, p. vii.
29 Ibid., p. 8.
30 A. Jal, Glossaire nautique. Répertoire polyglotte des termes de marine anciens et modernes, Paris, Firmin Didot Frères, 1848, p. 437.
31 Life, p. 12.
32 Voir notamment : T. & C. Stamp, James Cook, Maritime Scientist, Whitby, Caedmon of Whitby Press, 1978, p. 20 ; Alistair MacLean, op. cit. p. 16-17 ; et Sir Archibald Grenfell Price, éd., The Explorations of Captain James Cook in the Pacific, as told by Selections of his own Journals, 1768-1779, New York, Dover Publications Inc., 1971, p. 10.
33 Pour cet argument, voir E. Rhys, éd., The Voyages of Captain Cook, Ware, Wordsworth Editions Limited, 1999, p. 4, et Alistair MacLean, op. cit., p. 17.
34 Voir J.-J. Scemla, Le Voyage en Polynésie, anthologie des voyageurs occidentaux de Cook à Ségalen, Paris, Robert Laffont, Collection Bouquins, 1994, p. 1140, Sir Archibald Grenfell Price, op. cit., p. 10, ou encore M. Dugard, Farther than any Man. The Rise and Fall of Captain James Cook, New York, Pocket Books, 2001, p. 31.
35 Voir R. Hough, op. cit., p. 10.
36 Il faut préciser ici qu’en tant qu’officier de la marine marchande, Cook n’aurait eu que peu de chances d’être recruté de force par le press gang. Ce système de recrutement, en vigueur essentiellement en temps de guerre où les besoins en hommes sont alors multipliés par cinq au xviiie siècle, connut une première amélioration à la fin du siècle, suite aux grandes mutineries de 1797. Il faudra cependant attendre la fin de la guerre de Crimée en 1856, pour que le press gang disparaisse et soit remplacé en 1859 par un corps de réserve navale. Voir L. Hilaire-Pérez, op. cit., p. 165-166.
37 Sir Hugh Palliser intervint en faveur de Cook auprès de l’Amirauté, suite à une lettre de William Osbaldestone, Member of Parliament pour Scarborough, qu’il reçut au printemps 1757. Cette lettre, envoyée à la demande de John Walker, l’ancien patron de James Cook, proposait que Cook soit nommé commissioned officer, officier de commission, ce que Palliser, alors simple capitaine de vaisseau à l’influence limitée, ne pouvait obtenir. Cook ne remplissait pas les conditions requises pour ce grade. Il put par contre lui obtenir de devenir warrant officer, officier mandaté. Voir Life, p. 25.
38 To the Right Honorable the Master and Wardens of the Trinity House of Deptford Strond This Draught of the Bay of Gaspee in the Gulf of St Laurence taken in 1758 is humbly presented by… James Cook, London, 1759. Voir Life, p. 725.
39 Ces premières Instructions nautiques concernent le port de Louisbourg et sont conservées à la Hougton Library de Harvard. Voir Life, p. 39.
40 Ibid., p. 51.
41 George Grenville (1712-1770) fut notamment Lord de l’Amirauté entre 1744 et 1747, puis premier Lord de l’Amirauté en 1762, avant d’être nommé premier ministre entre 1763 et 1765. Grenville est à l’origine des Revenue Act et Stamp Act de 1764 et 1765 qui attisèrent grandement le mécontentement des colons américains et contribuèrent à les entraîner vers la Guerre d’Indépendance des années 1770 et 1780.
42 Il s’agit de Nathaniel, né en décembre 1764 et Elizabeth, née courant 1767.
43 La description que Cook en fait sera publiée, à l’initiative de l’astronome John Bevis, dans les Philosophical Transactions de la Royal Society en 1767 : « An Observation of an Eclipse of the Sun at the Island of New-found-land, August 5, 1766, by Mr. James Cook… Communicated by J. Bevis », Royal Society, Philosophical Transactions LVIII (1767), p. 215-216. Voir également G. S. Ritchie, « Captain Cook’s Influence on Hydrographic Survey », Pacific Studies 1, 2 (Spring 1978), p. 86.
44 L’accident eut lieu le 6 août 1764. Cette cicatrice permit l’identification du corps de James Cook à sa mort le 14 février 1779.
45 À la différence de la France qui possède un Dépôt des Cartes et Plans de la Marine qui centralise toute les cartes maritimes depuis 1720, l’Angleterre n’a alors aucun service général d’hydrographie. Les cartes disponibles sont donc des publications individuelles, soumises à l’approbation de l’Amirauté et publiées à compte d’auteur, l’Amirauté ne publiant rien elle-même. Le premier service centralisé de ce type ne sera créé qu’en 1795. Voir Life, p. 85. C’est notamment à l’aide des cartes jointes à la relation officielle du premier voyage de Cook, publiée en 1773, que les mutins du Bounty furent capables de rejoindre l’île de Pitcairn en 1790. Voir H. Wallis, « Publication of Cook’s Journals : some new Sources and Assessments », Pacific Studies 1, 2 (Spring 1978), p. 167.
46 Ces quatre cartes sont :
– A Chart of the Straights of Bellisle with part of the coast of Newfoundland and Labradore, London, 1766.
– A Chart, of Part of the South Coast, of Newfoundland, including the Islands of St Peters and Miquelon, London, 1766.
– A Chart of Part of the South Coast of Newfoundland, including the Islands of St Peters and Miquelon with the Southern Entrance to the Gulf of St Laurence, London, 1767.
– A Chart of the West Coast of Newfoundland, London, 1768.
47 Thomas Jefferys publiera également la même année les sailing directions de Cook dans The Newfoundland Pilot.
48 Life, p. 97.
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