Introduction
p. 7-10
Texte intégral
1Les communistes à Marseille à l’apogée de la Guerre froide (1949-1954). Quelle place cette étude peut-elle prendre dans les débats actuellement en cours ? Au Livre noir du communisme a répondu Le siècle des communismes. Dans l’introduction du premier de ces deux ouvrages, Stéphane Courtois insiste sur l’importance de tenir compte du fait que « les crimes » représentent une question « à la fois centrale et globale » du système mis en place par les régimes qui se réclamèrent de cette idéologie1. Les auteurs du Siècle des communismes préfèrent parler de « réalité multiple et controversée » d’un phénomène qui serait « pluriel »2. Parallèlement à ces deux ouvrages, de nombreuses publications se proposent de faire émerger « les effets des pratiques locales »3 sur l’évolution du PCF. Or, si la banlieue « rouge » de Paris demeure un important champ de recherche, une étude similaire sur Marseille n’a pas encore été abordée malgré la richesse d’un tel sujet.
2Déjà actif dans les années vingt au travers de la lutte contre la guerre coloniale menée au Maroc, le PCF ne prend réellement son essor qu’à l’issue de la reconquête du port sur les sabianistes qui gangrenaient jusqu’alors le syndicat des dockers4. La période qui suit la Libération se révèle exceptionnelle pour le Parti. La fédération des Bouches-du-Rhône qui ne regroupait que 5 000 membres avant 1939 en compte entre 14 000 et 17 000 en février 19455. Lors des législatives d’octobre 1945, la liste communiste obtient 41 % des suffrages exprimés dans la première circonscription des Bouches-du-Rhône. En décembre 1946, Jean Cristofol est élu maire de Marseille. Une partie de ces succès électoraux provient de la bonne tenue des titres de la presse communiste. En décembre 1944, La Marseillaise est diffusée quotidiennement à plus de 180 000 exemplaires, l’hebdomadaire Rouge-Midi à 45 000.
3La puissance du Parti se trouve renforcée par le développement des mouvements de masse qui forment une nébuleuse autour de lui. En février 1945, l’union départementale CGT compte 165 000 adhérents6. Les communistes marseillais participent de plus à la gestion des entreprises qui sont réquisitionnées à partir de septembre 1944 même si cette expérience est loin de récolter une franche approbation de la part de leur direction nationale7. Cette emprise sur le monde ouvrier, mais aussi les insuffisances particulièrement criantes du ravitaillement dans le Midi de la France et la décision de la nouvelle municipalité RPF issue des élections d’octobre 1947 d’augmenter le prix du carnet de tramway, explique le rôle particulier joué par Marseille lors des grèves qui paralysent la France durant les deux derniers mois de l’année.
4Confiné dans une opposition qui apparaît maintenant durable, le Parti réagit de plus en plus en s’appuyant sur la CGT. Le 19 novembre 1948, à son retour de Paris, Victor Gagnaire explique aux membres du conseil du syndicat des dockers que, par « nécessité politique et dans le cadre de la tactique des grèves tournantes », les dockers doivent rejoindre les mineurs et les marins, respectivement en lutte depuis le 4 et le 29 octobre, avant de recevoir le renfort des métallos, des travailleurs du bâtiment et peut être même celui de certaines branches de fonctionnaires8. Georges Brunero prédit que le moment approche où il faudra porter « le coup de masse de la grève générale, suivie de l’insurrection nationale »9. Malgré l’adoption du principe d’un débrayage illimité, le mouvement escompté ne se concrétise pas. Successivement le 29 novembre et le 9 décembre, la Fédération CGT du sous-sol et l’union départementale des Bouches-du-Rhône demandent aux mineurs et aux marins de reprendre le travail. Cet échec entraîne d’importantes répercussions. Les effectifs du Parti dans le département passent de 30 241 membres à la fin de l’année 1947 à 27 724 en décembre 194810. La composition de la direction fédérale connaît d’importants bouleversements. Les cadres élus cette année-là sont-ils jugés plus adaptés aux conditions politiques de ces années froides qui s’annoncent ?
5Découlant comme pour toute enquête prosopographique, « d’une réflexion théorique et d’hypothèses »11 préalables, les éléments de réponse à cette interrogation ont été tirés de l’étude des biographies des cadres de la fédération et des mouvements de masse, les seules pour lesquelles des renseignements aussi indispensables que les dates de naissance et d’adhésion, le niveau scolaire, les écoles fréquentées, le cheminement au sein de la hiérarchie du PCF ont pu être collectés.
6Militants par excellence, ces cadres eurent la lourde responsabilité de mener à bien les actions initiées, entre 1949 et 1954, par leur direction nationale. La seconde partie de cette recherche s’efforcera de déterminer si les engagements des communistes marseillais se limitèrent à une stricte exécution des directives émanant de Paris. La réponse à cette interrogation sera conduite à partir de l’analyse des quatre types d’actions majeures retenus : grèves, manifestations, votes en faveur de la paix et participation aux campagnes électorales. Le contexte respectif de chacun des engagements, les grands thèmes de propagande utilisés, les succès et les échecs enregistrés seront successivement pris en compte. Ces éléments seront ensuite croisés pour permettre d’apporter une réponse à l’interrogation préalablement formulée.
7Les communistes marseillais formèrent-ils cette « subsociété minoritaire, originale et séparée, dont l’homogénéité se renforce de la possession d’un code »12 ? La troisième partie de cette recherche se penchera tout d’abord sur l’encadrement spatial et temporel mis en place pour faciliter les tentatives d’implantation des éléments constitutifs d’une telle contre-société. L’image que le Parti construisait de lui-même, la volonté d’ancrer les luttes actuelles dans un passé recomposé, la vision d’une ville placée au cœur d’un conflit opposant les deux camps définis par Jdanov seront ensuite examinées dans le cadre de l’analyse des convictions qui furent inculquées aux militants. L’étude des différentes manifestations de sociabilité puis l’examen des formes artistiques et culturelles fourniront les éléments de réponse à la question sur l’éventuelle existence d’une contre-société communiste à Marseille.
Notes de bas de page
1 Stéphane Courtois, Nicolas Werth, Jean-Louis Panne, Andrzej Packowski, Karel Bartisek, Jean-Louis Margolin, Le Livre noir du communisme. Crimes, terreur, répression. Paris, Robert Laffont, 1997, p. 13.
2 Michel Dreyfus, Bruno Groppo, Claudio Ingelform, Roland Lew, Claude Pennetier, Bernard Pudal, Serge Wolikow, Le siècle des communismes. Paris, Les éditions de l’Atelier. 2001, p. 19.
3 Jacques Girault (dir.), Des communistes en France (années 1920-années 1960) Paris, publications de la Sorbonne. 2002, 523 pages.
4 Après avoir été l’un des animateurs du PCF, Simon Sabiani se retrouve au Parti populaire français. Il évoluera vers la collaboration et mourra en exil.
5 Robert Mencherini et P. Oppetit (Philippe Buton et Jean-Marie GUILLON dir.), Les pouvoirs en France à la Libération. Belin, 1994, 590 pages.
6 Chiffres cités par Robert Mencherini et P. Oppetit, op. cit.
7 Robert Mencherini, La Libération et les entreprises sous gestion ouvrière, Marseille, 1944-1948. L’Harmattan, p. 17.
8 Victor Gagnaire est le secrétaire général du syndicat CGT des ports et docks de Marseille. Arch. dép., dossier 148 W 382, note des RG du 20 novembre 1948.
9 Georges Brunero est responsable du syndicat des transports et membre du secrétariat de l’ud-CGT. Ibidem.
10 Arch. dép., dossier 148 W 290, synthèse établie en décembre 1948.
11 Claude Pennetier, in Thomas Bouchet et Jean Vigreux, (Serge Wolikow dir.), Écrire des vies, biographie et mouvement ouvrier (19e et 20e siècles), Cahiers de l’IHC, Dijon, 1994, p. 39.
12 Annie Kriegel, Communismes au miroir français. NRF, éditions Gallimard. Collection Bibliothèque des Histoires. Paris, 1974, p. 99.
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