Conclusion
p. 213-217
Texte intégral
1Ce travail s'était fixé pour ambition d'avancer dans la connaissance de l'expression poétique chez l'enfant. Les poèmes du corpus ont été analysés du point de vue formel, sémantique et évolutif. Dans la première partie de ce travail, on s'est attaché à décrire le corpus en mettant en relief les traits poétiques les plus importants qui le caractérisent. On s'est intéressé aussi bien aux structures locales qu'aux structures globales des poèmes afin d'étudier la forme du langage poétique de l'enfant.
2On ne s'est pas limité uniquement à décrire et analyser un ou deux traits poétiques, mais au contraire, on a étendu la curiosité sur tous les niveaux de la langue et repéré les traits pertinents de chaque niveau. Cela nous a permis de dégager les procédés que l'enfant de 4 à 12 ans emploie pour orner son langage poétique.
3Il nous a également semblé important d'étudier ce que l'enfant dit dans ses poèmes, pas uniquement comment il le dit. C'est pour cela que les thèmes qui préoccupent l'enfant ont été mis en scène.
4Dans la deuxième partie de ce travail, on a rassemblé et classé, d'une façon systématique, les résultats obtenus, et étudié l'évolution de la pratique poétique chez l'enfant de 4 à 12 ans. On a voulu voir s'il y a des traits poétiques qui caractérisent surtout l'art verbal du petit et qui diminuent ou disparaissent avec l'âge, et vice versa, s'il y a des procédés qui n'existent pas encore chez le petit, mais qui commencent à apparaître dans les productions de l'enfant plus âgé. Les résultats obtenus ont été mis en rapport avec les stades du développement psychologique et intellectuel de l'enfant établis par Jean Piaget.
5Les observations que nous avons faites à partir des poèmes de notre corpus, nous incitent à croire que les procédés suivants caractérisent la poésie chez l'enfant :
6En ce qui concerne le niveau sonore, on a constaté qu'aussi bien les récurrences codées que les récurrences libres ornent la plus grande partie des productions de l'enfant. Les traits poétiques portant sur le nombre de mots dans la phrase (figures de construction par effacement), les traits poétiques portant sur l'expression de l'idée (les modalités du discours et les actes de langage), ainsi que les manipulations morphosyntaxiques et les parallélismes sont des procédés poétiques qui affectent la couche morphosyntaxique des poèmes. Et il ne faut pas oublier l'importance des figures d'élocution (répétitions de mots) et le refrain, qui apparaissent très fréquemment dans les productions du corpus.
7Les traits poétiques portant sur la signification (métaphore, personnification, comparaison), ainsi que les mots inventés caractérisent le lexique et le niveau sémantique des poèmes.
8Nous avons été amenée à classer les poèmes en trois groupes principaux d'après les critères sémantiques : poèmes non-narratifs, poèmes narratifs avec une construction par enchaînement linéaire et poèmes narratifs avec une construction par enchaînement non-linéaire.
9On a vu qu'il y a autant de poèmes où le principe du réel domine que de poèmes où le réel et l'imaginaire se confondent. On a vu également qu'un certain nombre de thèmes sont favorisés par les enfants : les animaux, la nature, la vie quotidienne, la nourriture, la scatologie, les thèmes à dominante affective, ceux favorisant l'évasion et l'imagination, ainsi que ceux à dominante morale, sociale et politique.
10Il nous est apparu clairement qu'il y a des différences entre la pratique poétique de l'enfant de moins de 7-8 ans et celle de l'enfant plus âgé. Nous avons pu saisir les grandes tendances de l'évolution de la pratique poétique chez l'enfant. On a pu constater que la poésie orale, et la plupart du temps collective, de l'enfant de moins de 7 ans, se caractérise par les traits suivants : les récurrences sonores codées et libres sont très nombreuses, mais souvent mal organisées. Elles apparaissent surtout dans les poèmes comportant des mots sauvages et des délires sonores. Le sens est facilement sacrifié par le son.
11Les répétitions et manipulations morphosyntaxiques sont extrêmement fréquentes. Les mots et expressions significatifs ont tendance à perdre leur sens au fur et à mesure que les répétitions croissent et deviennent chaotiques. Et n'oublions pas de mentionner l'importance des mots inventés.
12Le réel tend à se transformer en imaginaire dans ces poèmes qui décrivent souvent un univers "anormal" d'une façon ordinaire et qui mettent en scène surtout des animaux, des événements de la vie quotidienne et des thèmes à dominante affective. La nourriture et les thèmes scatologiques y trouvent également leur place.
13Les poèmes non-narratifs et les poèmes narratifs non-linéaires voisinent avec les poèmes narratifs linéaires chez ce petit qui constate, mais qui ne commente pas les événements qu'il semble jeter un peu par hasard en scène. Tout paraît évident dans ce chaos léger, amusant et contradictoire.
14La poésie écrite et individuelle de l'enfant de plus de 7-8 ans commence à se caractériser par des traits poétiques de plus en plus réglés qui remplissent des fonctions plus précises. Les récurrences sonores codées et libres sont toujours très nombreuses, mais elles commencent à être bien organisées et elles ne se trouvent plus en désaccord avec le sens des poèmes.
15Plusieurs traits poétiques propres à l'enfant plus jeune sont sacrifiés par des traits nouveaux qui apparaissent. Le nombre des répétitions et manipulations morphosyntaxiques, si chères à l'enfant jeune, ainsi que le nombre des mots inventés, diminuent considérablement. L'interrogation, l'exclamation et l'ordre commencent à gagner du terrain sur la simple déclaration. Les louanges, les prières, les questions et les plaintes, ainsi que la métaphore, la comparaison et l'antithèse, si rares ou inexistantes chez le petit, se mettent à apparaître de plus en plus souvent.
16Le principe du réel prime sur le principe de l'imaginaire. Les poèmes non-narratifs cèdent leur place aux poèmes narratifs linéaires et non-linéaires de plus en plus construits à tous les niveaux du langage. Et il convient de noter le nombre croissant des poèmes qui commencent à s'organiser en strophes.
17C'est surtout la nature, les animaux et les thèmes à dominante morale, politique et sociale qui préoccupent l'enfant de l'école primaire qui est de plus en plus sérieux face à la poésie. Il se met à commenter les événements et les personnages mis en scène. Il s'implique, invite à réfléchir et donne son propre point de vue. Il est de plus en plus conscient des effets esthétiques de sa poésie.
18Nos observations sur les procédés poétiques qui respectent les mêmes tendances importantes à tous les niveaux du langage, ainsi qu'au niveau de la construction du poème, nous incitent à croire qu'il existe deux pôles opposés dans la création poétique chez l'enfant : le pôle libre et le pôle codé. Le premier pôle est celui du jeu, de l'incohérence, de l'insouciance. Le deuxième pôle est celui du sérieux, de la cohérence, des règles, de la linéarité, des contraintes. Tous les procédés poétiques que nous avons mis en évidence s'inscrivent entre ces deux pôles.
19Il nous est apparu très clairement que l'enfant petit de moins de 7 ans a tendance à se pencher vers le premier pôle, l'enfant plus grand vers le second. Avec l'âge, on assiste donc au passage du non-sérieux vers le sérieux, de l'incohérence vers la cohérence et les règles, de l'instabilité vers la stabilité et ainsi de suite. La poésie du petit est spontanée, éphémère et assez égocentrique. Celle du grand est plus socialisée, plus volontaire et vise à être d'une valeur plus durable.
20La poésie du petit avec son côté "gratuit" et gai est le lieu de jeux et d'exercices. Elle remplit avant tout une fonction ludique. La poésie du grand, qui imite les attitudes adultes et qui commence à être le lieu de réflexions et d'analyses, remplit plutôt une fonction de communication.
21Selon la perspective de Piaget, le développement est en un sens un passage perpétuel d'un état de moindre équilibre à un état d'équilibre supérieur. En ce qui concerne l'intelligence, il est facile d'opposer l'instabilité et l'incohérence relatives des idées enfantines à la systématisation de la raison d'adulte. Dans le domaine de la vie affective, on a souvent noté que l'équilibre des sentiments augmente avec l'âge. Et les rapports sociaux, enfin, obéissent à la même stabilisation graduelle.
22L'âge moyen de 7 ans, qui coïncide avec le début de la scolarité, marque un tournant décisif dans le développement mental de l'enfant. La seconde partie de l'enfance (de 2 à 7 ans) correspond au stade de l'intelligence intuitive, des sentiments interindividuels spontanés et des rapports sociaux de soumission à l'adulte. L'enfant est encore un être assez égocentrique, il n'éprouve pas le besoin de communiquer, de partager.
23L'enfance entre 7 et 11-12 ans correspond au stade des opérations intellectuelles concrètes (début de la logique), et des sentiments moraux et sociaux de coopération. Avec l'apparition d'activités laborieuses et organisées, le langage égocentrique disparaît. L'enfant commence à avoir envie de communiquer avec autrui. Après 12 ans, l'enfant entre dans le stade qui est celui des opérations intellectuelles abstraites, de la formation de la personnalité et de l'insertion affective et intellectuelle dans la société des adultes.
24Il convient de remarquer que la nature orale et collective, tout comme la nature écrite et individuelle des poèmes créés, peuvent favoriser un certain nombre de procédés poétiques. Il faut donc rester sceptique quand on déclare que certains traits, comme par exemple, les répétitions morphosyntaxiques font partie des caractéristiques spécifiques de la poésie de l'enfant jeune.
25Rappelons que notre attention a été attirée par les productions poétiques de l'enfant de CE1 et CE2. Dans celles-ci on a rencontré très peu de répétitions sonores et de répétitions de mots par rapport aux poèmes de l'enfant plus jeune dont la poésie est orale, ainsi que par rapport à l'enfant plus âgé qui maîtrise déjà l'écriture.
26L'enfant de CE1 et CE2 apprend à écrire, il fait beaucoup d'efforts pour bien constituer ses phrases et n'a pas le temps de se concentrer sur des jeux ou règles plus élaborés. On ose croire que, si sa poésie était orale, elle serait ornée par beaucoup plus de récurrences sonores et de répétitions. Signalons aussi que la nature écrite de la poésie chez l'enfant plus âgé favorise peut-être, par exemple, la construction globale du poème. Si ses poèmes étaient créés oralement, ils seraient probablement moins construits.
27Nos observations nous prouvent que la poésie naît de la rencontre entre l'organisation linguistique et une organisation rythmique et métrique. Le poème est le résultat d'une construction : il répète les mêmes sons, les mêmes mots et les mêmes phrases ou structures de phrase. Il emploie des images et recherche souvent l'étrangeté. Les phénomènes locaux sans signification participent à l'organisation sémantique d'ensemble des poèmes. Même si l'enfant ne connaît pas les règles, conventions et compromis qui définissent les formes des vers, sa poésie et celle de l'adulte ont beaucoup de traits en commun.
28Cette étude permet par voie de conséquence, une réflexion pédagogique sur les types de textes à proposer aux enfants, et sur la façon de les entraîner à la pratique de la poésie. Il faudrait essayer d'inciter les enfants à créer ou aimer des poèmes en leur proposant des exemples qui les attirent aussi bien du point de vue de la forme que du point de vue du contenu. Et il ne faudrait pas leur proposer des textes comportant des traits qui dépassent leurs capacités intellectuelles et qu'ils n'arrivent pas à comprendre.
29Avant 6-7 ans, l'approche de la poésie, au lieu de mettre l'accent sur les images et sur le sens des poèmes, devrait souligner les sonorités et les répétitions morphosyntaxiques. A ce stade, l'enfant est très sensible à l'aspect formel du langage. A partir de 7-8 ans, durant la période des opérations concrètes, la dimension de l'image pourrait commencer à être développée. Les capacités intellectuelles de l'enfant permettent la compréhension d'un certain nombre de métaphores, comparaisons et antithèses.
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