6. Le secret de la confession à l’époque moderne
p. 95-107
Texte intégral
1Des procès impliquant des ecclésiastiques, dans des affaires de ont attiré l’attention du sur pédophilie par exemple, public le statut du secret dans l’Église, et plus particulièrement du secret de la confession. Le principe de celui-ci est clair et simple : un prêtre, quelle que soit la situation dans laquelle le met un aveu, reçu pendant une “confession sacramentelle”, de la part d’un pécheur, voire d’un criminel, et quelle que soit la nature de cet aveu, ne peut en aucune circonstance répéter ou même laisser deviner le contenu ou l’importance de cet aveu. Cette exigence, sans exception possible, a coûté la vie à saint Jean Népomucène, confesseur de Jeanne de Hongrie, assassiné par l’empereur Wenceslas en 1380 parce qu’il refusait avec constance de révéler ce que lui avait confié l’épouse du souverain1. Une telle force du secret nourrit l’imaginaire dramatique, non seulement des journalistes mais également des artistes2.
2Le secret de la confession concerne avant tout les ministres du sacrement de pénitence, c’est pourquoi nos sources reposent essentiellement sur des Manuels de confession. Recueils et Dictionnaires de cas de conscience des XVIIe et XVIIIe siècles. Comme il relève aussi de la discipline ecclésiastique, on trouvera d’intéressantes informations dans les Rituels et dans le Code de droit canonique. Enfin, un théologien au moins, Lenglet du Fresnoy, a consacré un traité entier à cette seule question3.
Du secret en général
3Abordant le secret en général, le Rituel de Toulon en distingue4 trois types, dont le viol est, de toute façon, un péché mortel contre le 8e commandement interdisant le faux témoignage, le mensonge, la calomnie, etc. Le premier est dit naturel parce qu’il relève de la “loi de nature défendant de nuire à son prochain”. Le second est dit conventionnel ; exprès ou tacite, il oblige au silence certaines professions : avocats, médecins, sages-femmes, ou tout simplement l’ami ou le parent à qui on s’est confié. Enfin, le secret spirituel désigne explicitement le “sceau” de la confession.
4La différence fondamentale entre ces trois types de secret porte précisément sur ce que, dans certaines circonstances graves et pour une “cause juste et légitime”, le secret simple et le secret “professionnel” peuvent être enfreints. Ce serait le cas si la conservation du secret était en contradiction avec une loi importante, si elle entraînait un préjudice notable à la société ou à un particulier (y compris à celui qui s’est confié)5, ou encore si le dépositaire du secret risquait la torture ou une perte considérable touchant sa vie, son honneur, ses biens, sauf si (contrairement à la raison précédente) le bien public exigeait de le garder, comme dans le cas d’un secret militaire qu’on ne doit pas découvrir à l’ennemi.
5Le secret de la confession, lui, ne peut jamais être levé : il a un caractère sacré. Il a été solennellement rappelé par le quatrième concile du Latran (1215). La 14e session du concile de Trente, tenue le 25 novembre 1551 et consacrée au sacrement de pénitence, n’a pas cru indispensable d’en rappeler la nécessité6. Preuve, sans doute, qu’elle était, depuis totalement intériorisée dans la conscience des membres de l’Église. L’unique mention de “secret”, faite au chapitre V de l’Exposition, définit seulement la manière de se confesser en privé, “au prêtre seul”, sans témoins, même si ce prêtre est lui-même en état de péché mortel (canon 10), pourvu qu’il ait une juridiction légale. Notons, pour ne pas y revenir, que le même chapitre précise que la confession publique n’est pas interdite quand un dessein volontaire d’humiliation et d’édification anime le pénitent7. Disparue en Orient dès le IVe siècle, en Occident au VIIIe, elle était soumise à l’autorisation de l’évêque ou du pénitencier8. Au milieu du XVIIIe siècle, Collet la trouvait encore “possible” pour un péché public : le pécheur devrait d’ailleurs se l’imposer de lui-même.
Pourquoi le sceau de la confession est-il inviolable ?
6La question qui se pose immédiatement est de savoir pourquoi le contenu de la confession ne peut être révélé ? Bonal insiste sur le fait que le respect du secret est à la fois de “droit divin”, coexistant à l’établissement-même du sacrement de pénitence, et de “droit ecclésiastique”, réaffirmé par le concile Latran IV9.
7La première et la principale des raisons « ça a été l’intention du Sauveur en l’institution de ce sacrement qu’il eut rendu odieux, s’il n’eut pas attaché cette obligation (du secret) »10. Cette explication, que l’on retrouve chez la plupart des auteurs11, corrobore en passant la remarque de Jean Delumeau quand il souligne la réticence des fidèles à se confesser12, malaise reconnu expressément par Gibert parlant de la confession comme d’un « joug pesant à bien des gens »13. Le dégoût ressenti relève de deux ordres. D’une part, la honte qu’éprouvent les pénitents à dévoiler des actes dont ils n’ont pas lieu d’être fiers ; alors même que les confesseurs sont là pour les aider à avouer avec douceur – selon le conseil qui leur est donné : « être lion en chaire mais agneau dans le confessionnal » – et pour valoriser cette honte en lui donnant valeur d’expiation. D’autre part, la crainte, plus complexe, que ce que le confesseur aura appris puisse lui servir, surtout s’il est d’esprit “réformateur”, ou quelle que soit son intention, à s’immiscer dans les affaires des autres.
Messieurs du séminaire (d’Aix-en-Provence) sont accusés de mettre des prêtres aux paroisses à leur poste et à eux affidés, afin de savoir par le moyen de la confession, tout ce qui se passait dans chaque paroisse en général et en particulier14.
8Semblable accusation, appliquée à la gestion des familles, sera faite par Michelet contre les Jésuites confessant filles et femmes15.
9Deuxième raison : si le secret n’était pas gardé, ou mal gardé, ou même si des fidèles pouvaient croire qu’il ne l’est pas, cela provoquerait un véritable scandale et les pénitents pourraient perdre confiance à la fois dans l’institution pénitentielle et dans le prêtre qu’ils sont appelés à rencontrer. C’est l’opinion de Genet, auteur de la Morale de Grenoble, et celle du Rituel de Toulon16. C’est pourquoi un confesseur ne doit jamais parler, même d’une façon générale, même sans citer de nom, de ce qu’il a entendu en confession devant des laïcs : ceux-ci pourraient le soupçonner de ne pas garder le secret. Il ne doit pas, non plus, railler la simplicité ou les impertinences d’un pénitent17. Un certain abbé Gosselin, cité par Mme de Caylus († en 1729)18, est en tort absolu. Confesseur de Mme de Coulanges, qui était « d’une figure et d’un esprit agréable, d’une conversation remplie de traits vifs et brillants », il déclara, après une confession générale qu’elle lui avait faite : « chaque péché de cette dame est une épigramme ». Indiscrétion et jugement de valeur, c’était déjà trop en dire. Dans le cas de péchés véniels, la révélation ne porterait sans doute pas grand tort au pénitent, mais beaucoup au sacrement en aliénant la confiance des fidèles, déplore Pontas19.
10Enfin, si le secret est d’abord destiné à garantir la liberté du pénitent, il protège aussi celle du confesseur. Jacques de Sainte-Beuve nie qu’un confesseur doive exposer ce qui s’est dit entre son pénitent et lui. Par exemple, assigné en justice, qu’elle soit séculière ou ecclésiastique, pour avoir refusé une absolution, il ne peut rapporter la confession, même si son pénitent l’y autorisait en la circonstance. « Il doit rappeler qu’il fait son devoir en conscience selon ses lumières dont il ne doit rendre compte qu’à Dieu seul ». En soumettant sa conduite au jugement des hommes, il n’aurait plus toute sa liberté pour s’acquitter de sa mission20. Sur un tel cas, des docteurs de Sorbonne, parmi lesquels figure le même Sainte-Beuve, précise : « la crainte d’être appelé en justice lui serait une occasion d’abuser de la puissance des clefs en donnant l’absolution à un indigne ou en n’imposant pas des satisfactions salutaires et convenables »21.
Gravité de l’infraction
11D’après saint Thomas d’Aquin, découvrir un péché entendu en confession est un vrai sacrilège, que ce soit directement par un récit, ou indirectement par allusion. La gravité de ce point doit renforcer, chez le confesseur, la grande prudence qui lui est toujours recommandée pour ne pas trahir le pénitent. À une femme impure, par exemple, il doit imposer des pénitences que les maris ne puissent découvrir22.
12Le clerc qui se rend coupable d’indiscrétion grave et volontaire est rudement châtié : déposition et pénitence perpétuelle dans un monastère. Ponctuellement, la justice laïque a pu s’en mêler bien que les théologiens aient jugé ce “crime” du seul ressort de la justice ecclésiastique23. La première s’est montrée parfois plus rigoureuse que celle-ci. La question a été posée de savoir si la gravité de la faute en faisait un cas royal. Or, d’après Lenglet du Fresnoy24, aucune ordonnance criminelle ou édit royal n’a explicitement appelé une telle affaire devant une juridiction royale. C’est plutôt la sensibilité des juges qui les a amenés à trancher de telles affaires.
13Un cas assez exemplaire a été jugé par le Parlement de Toulouse, en 1579. Un cabaretier avait tué un étranger et l’avait enterré dans sa cave, à l’insu de tous. Puis poussé par le remords, il s’était confessé à un prêtre. Appâté par la prime offerte par la famille de la victime pour retrouver l’assassin, le confesseur dénonça le cabaretier. Celui-ci, soumis à la question, avoua son crime, mais soutint que son confesseur était le seul à savoir.
Le Parlement, plein de sentiment de religion et indigné de la voie injuste qui avait servi à tourmenter ce criminel, ne voulut pas le condamner sans autres preuves que la délation... (et) pour mettre à couvert la sûreté du sacrement si nécessaire, (il) condamna le prêtre à être pendu (et son cadavre brûlé)25.
14En 1705, c’est le Parlement de Tournai qui, pour une affaire de confession révélée, condamne un prêtre d’Orchies aux galères26. La sévérité des peines montre que, dans l’esprit de ces juges, il s’agissait assurément d’un sacrilège.
Comment garder le secret ?
15Ce secret ne peut donc être enfreint pour aucune cause, la plus sacrée soit-elle : ni pour le bien de l’Église, ni pour le salut du prochain, ni pour le bien de l’État, ni pour éviter la mort, ni même pour empêcher la profanation d’un sacrement...27
16Aucune puissance humaine, qu’elle soit laïque ou ecclésiastique, ne peut commander à un prêtre de le violer, même en matière criminelle. Un supérieur ne le peut pas28. Un juge pécherait gravement s’il voulait contraindre un confesseur à le faire29. Menacé de mort ou d’excommunication, le confesseur peut – en conscience – nier qu’il sache quoi que ce soit d’un crime qu’on lui a confessé. C’est une occasion où la restriction mentale est pleinement justifiée. En effet, ce que le prêtre « sait par la confession sacramentelle, il ne le sait pas en tant qu’homme, mais comme Dieu, dont les secrets n’entrent pas dans le commerce des hommes »30. « L’effet du sacrement de pénitence est de cacher le péché aux yeux du Dieu vivant »31 ; mieux, Dieu Lui-même l’a créé pour “couvrir” le péché32. Ainsi l’homme-confesseur ne peut dire ce qu’il ne saurait savoir. C’est pour cela que le Parlement de Toulouse n’a pas retenu le témoignage du prêtre contre le cabaretier assassin.
17Il n’a pas davantage le droit d’indiquer s’il a donné l’absolution ou non ; il doit répondre qu’« il a fait ce qu’il devait ». Quelques fois, cette obligation du secret peut entraîner des conflits de devoirs. Ainsi, un supérieur de séminaire ne peut refuser une attestation de présence à un candidat aux ordres, dont il sait par la confession, et par elle seule, qu’il est un libertin33. Dans des circonstances semblables, un visiteur ne peut priver un abbé de sa supériorité34, ni un curé refuser l’absolution au complice d’un péché de fornication qu’il a appris par l’autre intéressé, ni révéler un empêchement dirimant à un mariage, qui devrait normalement interdire l’union.
18Des conjonctures techniques particulières peuvent se présenter. Soit un confesseur affronté à un cas de conscience difficile à trancher et qui a besoin des conseils d’un moraliste plus qualifié que lui. Il doit prendre la précaution de ne rien dévoiler qui puisse découvrir l’identité du pécheur, ni « les circonstances du temps, du lieu, du sexe, de l’âge »35. Il doit donc s’adresser de préférence à quelqu’un qui soit extérieur à une communauté ou à un lieu trop étroit. Il ne doit pas, par exemple, quitter son confessionnal, pour aller consulter un confrère proche, alors que son pénitent est encore présent.
19On pourrait pourtant parler, à l’occasion, de conditions du secret “à topographie variable”. Un prédicateur, qui aurait appris en confession que certains péchés sont récurrents dans le lieu où il réside, peut-il y faire allusion dans un sermon pour essayer de corriger les pécheurs ? S’il se trouve dans une grande ville, c’est possible, car la conservation de l’anonymat de ses informateurs posera peu de difficulté. En revanche, dans un petit village, ou un lieu limité, comme un couvent, il doit s’en garder car les suppositions iraient vite bon train et la désignation du pécheur serait presque assurée36.
20Sont à prendre en compte également la manière dont sont utilisés les renseignements recueillis dans la confession. Un prêtre, apprenant de X qu’il va être dévalisé par Y, ne viole pas le secret s’il ferme sa fenêtre par où devait entrer le voleur, parce qu’il n’a rien révélé, et en particulier aucun nom. Le cas se complique si c’est son propre domestique qui a confessé des larcins : il ne pourrait pas fermer le placard qu’il laissait habituellement ouvert, car il fournirait la preuve qu’il utilise ce qu’il a appris en confession37. Un beau cas de conscience à suspens : et s’il a appris que le calice, avec lequel il est en train de célébrer, a été empoisonné ?...
21Il est bien entendu que le secret n’est absolu que lors d’une confession sacramentelle. En dehors de ce cadre, une confidence, même faite “sous le sceau de la confession”, pourrait être utilisé avec des précautions identiques à celles qui sont exigées pour un secret “professionnel”. C’est le sacrement qui est en cause, non le ministère du prêtre, puisqu’un laïc qui entendrait par aventure des aveux faits durant une confession serait tenu au secret avec la même rigueur, ce qui serait, entre autres, le cas d’un interprète.
22La discrétion est de règle également dans les relations avec le pénitent, le confesseur ne peut lui parler de ses péchés en dehors du “tribunal”, hormis sur de très graves sujets regardant la gloire de Dieu ou le bien spirituel de l’intéressé, et encore avec sa permission. Deux prêtres confessant une même personne, ou les religieuses d’une même communauté, ne peuvent s’en entretenir, même pour prendre conseil38. Que le pénitent reste lui-même discret ; la charité qu’il se doit ne lui permet pas de dire les avis qu’il a reçus de son confesseur, dont certains pourraient nuire à la réputation de celui-ci, mais surtout permettraient de deviner ses péchés39. Ce n’est parfois qu’une question de bon sens : ainsi, une femme qui avouerait son adultère à son mari risquerait de briser définitivement – et si elle est prête à s’amender inutilement – son ménage.
Le secret peut être levé par le pénitent
23Normalement, un pénitent ne doit citer aucune autre personne dans sa confession, et surtout pas ses éventuels complices. Si cela arrivait, le confesseur pourrait lui demander la permission de leur parler pour leur salut. Il lui faudrait néanmoins beaucoup de prudence, et le respect strict de trois conditions : – 1. que cette permission soit expresse ; – 2. qu’elle ait été réellement et librement consentie et non pas sous le chantage à l’absolution ; – 3. que la cause en soit juste et légitime, et jamais au désavantage du pénitent40. Par ailleurs, le confesseur peut découvrir ce nom sans le chercher explicitement, par le seul jeu de questions sur les “circonstances” du péché : si c’est un parent, s’il est lié au voeu de chasteté, s’il habite dans sa maison, si c’est sa servante,...41
24Une occasion grave de demander cette permission se présente lorsqu’une pénitente dénonce un confesseur précédent comme l’ayant sollicitée au péché d’impureté pendant la confession. Le confesseur actuel, après s’être assuré avec soin qu’il ne s’agit pas d’une calomnie, peut et même doit42 inviter sa pénitente à se plaindre directement à l’évêque ; ou, si la pénitente était craintive ou honteuse, solliciter l’autorisation de faire lui-même cette démarche contre ce péché “abominable”43. Dans tous les cas, Gibert invite à la prudence, le Rituel de Toulon à “prudence et charité”44.
Le crime de lèse-majesté constitue-t-il un cas à part ?
25Des casuistes ont dit qu’il y aurait une exception à la rigueur du secret quant au crime de lèse-majesté. Lenglet du Fresnoy oppose un refus catégorique à cette prétention, on ne peut pas plus dénoncer le régicide potentiel qu’on ne pourrait le faire pour un hérétique45 ou un sacrilège.
Plus le crime est énorme, plus le silence du confesseur doit être impénétrable. La doctrine de France, si favorable à la puissance souveraine et si respectueuse pour la sacrée personne de nos rois, a toujours été convaincue qu’elle ne pouvait aller en cela contre la loi inviolable du secret, que l’Église a reçue de Dieu même46.
26Certains théologiens acceptent qu’on signale le péril, non le criminel, ce qui permettrait d’avertir le roi de veiller à sa sécurité. Si on autorisait la dénonciation, quel homme ayant ce projet criminel, mais frappé de remords, oserait se présenter à un confesseur qui ne pourrait donc chercher à l’en dissuader ?
27A.-J. Rancé a examiné un passage de l’historien Jacques-Auguste de Thou (1553-1617) à propos du procès de Jean de Poitiers (le père de Diane), seigneur de Saint-Vallier, compromis dans la conspiration du connétable de Bourbon, et dont certains historiens pensaient qu’il avait été trahi par son confesseur47. En fait, il semble que Saint-Vallier, par peur de la torture, a autorisé son confesseur à répéter ce qu’il lui avait avoué, et qu’en outre, deux complices de moindre importance avaient, indépendamment de lui, déjà dénoncé la conspiration au lieutenant du roi en Normandie. Michelet, peu suspect de complaisance envers le clergé, admet cette conclusion dans son Histoire de France.
Le secret de la confession et les femmes
28Pour terminer sur un mode mineur, on peut évoquer que la nécessité du secret a été un argument pour empêcher des femmes « sélectionnées » pour leurs qualités, non pas d’entendre les confessions sacramentelles, de toutes façons réservées aux personnes ordonnées, mais à préparer leurs semblables à faire de bonnes confessions, cette pédagogie économisant ainsi le temps du prêtre. Le canoniste Gibert rapporte une expérience intéressante, qui avait eu lieu dans un diocèse qu’il ne nomme pas : une mission confiée à des femmes pour en aider d’autres à préparer leur confession. Cela aurait libérer du temps pour le curé qui pouvait « l’employer plus utilement ». En même temps, le procédé répondait au désir de “décence”, qui voulait éviter aux prêtres de se mêler des péchés sexuels des femmes. On avait pris des précautions puisque les aides choisies étaient « avancées en âge, dévotes et prudentes »48. Or le théologien conteste la légitimité de cette pratique, non en raison d’une incapacité intellectuelle des femmes requises, qui auraient pu parler de façon simple à des personnes “grossières”, mais parce que l’audition d’aveux portant souvent sur des péchés de la chair risquait de les induire sinon à l’impureté, dont leur âge était censé les protéger, du moins à une certaine complaisance, voire au péché de curiosité. Surtout, il doutait que ces femmes puissent garder longtemps le secret. Or une telle expérience n’est peut-être pas un apax, puisque les Dames de la Charité de l’Hôtel-Dieu, étaient chargées de préparer à la confession des femmes malades49. Il serait intéressant de connaître d’autres cas où des clercs auraient fait confiance à des femmes dans une pratique pré-sacramentelle.
Et aujourd’hui ?
29Pratiquement, les principaux points touchant au secret de la confession, soulevés pour les XVIIe et XVIIIe siècles, ont été confirmés par la dernière édition du Code de droit canonique50, qui réaffirme son caractère absolu, « pour quelque cause que ce soit ». En particulier, il rappelle que « celui qui est constitué en autorité ne peut en aucune manière utiliser pour le gouvernement extérieur, la connaissance du péché acquise en confession, à quelque moment qu’il l’ait entendu » (canon 984, § 2). Un confesseur ne peut d’ailleurs pas témoigner dans une affaire où son pénitent [quand pénitent il y a] est impliqué (canon 1550, § 2). Un procès récent rappelle que cette situation peut se présenter.
30Mgr Pican, évêque de Bayeux, a été poursuivi par la justice pour non-dénonciation d’actes pédophiles51 de l’abbé Bissey, lequel fut condamné à dix-huit ans de réclusion en octobre 2000 pour ce fait. Sans se référer à l’ensemble du dossier, et en s’en tenant aux seuls termes de sa déclaration du 7 septembre 2001, postérieure à sa condamnation et destinée à “apaiser les consciences”, il regrette que le jugement rendu contre lui « comporte une restriction du champ de secret professionnel » qu’autorise l’article 378 du Code pénal. Cela signifie, en tout cas, que les confidences reçues de l’abbé Bissey n’induisaient qu’un secret “conventionnel”, qui pouvait être rompu pour une “juste cause”.
Bibliographie
Sources utilisées
Bonal Raymond (Dr en théologie), De la Théologie morale, 6e éd. : Lyon, D. Gayet, 2 vols, 1677. Original et assez indépendant.
Borromée, saint Charles (cardinal, archevêque de Milan), Instructions... aux confesseurs de sa ville et de son diocèse..., nouv. éd., Paris, Josse, 1736. Le “modèle” des évêques pour les clercs français de la seconde moitié du XVIIe s.
Code de droit canonique (sous Jean-Paul II), Rome, Librairie éditrice vaticane, 1983.
Collet Pierre (lazariste), Abrégé du Dictionnaire des cas de conscience de M. Pontas, Paris, Libraires associés, 2 vols, 1764. Édition pratique d’un grand dictionnaire in f° du XVIIe s., préféré à l’original pour ses compléments du XVIIIe, qui sont parfois des variantes divergentes.
Genet François (par ordre de Mgr Le Camus, évêque de Grenoble), Théologie morale ou résolution des cas de conscience selon l’Écriture sainte, les canons, et les saints Pères, nouv. éd. Rouen, Vve Ch. Ferrand, 8 vols, 1739. Janséniste.
Gibert (Dr en théologie, canoniste), Consultations canoniques sur le sacrement de pénitence, t. III “contenant ce qui appartient à la Confession”, Paris, Mariette, 1725.
Habert Louis (Dr en Sorbonne), Pratique du sacrement de pénitence... [= “Pratique de Verdun”], rééd. : Paris, B. Alix, 1729. Jansénissime.
Joly de Choin Louis-André (évêque de Toulon), Instructions sur le rituel, Lyon, 3 tomes, Frères Périsse, 1780. L’un des rituels les plus riches et les plus complets.
Juénin Gaspar (oratorien), Théorie et pratique des sacrements, des censures, des monitoires et des irrégularités,... t. II “contenant le sacrement de pénitence”, Paris, Roulland, 1713.
Lenglet du Fresnoy Nicolas (licencié en théologie), Traité historique et dogmatique du Secret inviolable de la confession (1708), 2e éd. : Paris, J. Musier, 1715. Somme de tous les aspects du sujet.
Liguori, saint Alphonse de, (rédemptoriste), Instruction pratique pour les confesseurs (1780), trad, franç. : Œuvres complètes, t. XXIV, Paris, Mellier, 1842. Le rénovateur de la théologie morale grâce à un probabilisme modéré.
Marne Jean-Baptiste de (prêtre), Le martyr du secret de la confession ou la vie de saint Jean Népomucène, Paris, H.-L. et J. Guérin, 1741. Hagiographique.
Morénas, Dictionnaire portatif des cas de conscience, nouv. éd. : Lyon, Bruyset, 2 vols, 1759. Évite les longues digressions des in-folio de Pontas, Lamet et Fromageau.
Résolution de plusieurs cas importants pour la morale et la discipline ecclésiastique, par un grand nombre de théologiens de la Faculté de Paris, Loyon, Libr. de la Compagnie, 1667. Trente signataires, sur des cas de conscience très techniques.
Sainte-beuve Jacques, Résolutions de plusieurs cas de conscience..., Paris, G. Desprez, 3 vols, 1695-1715. Vraies consultations d’un des théologiens moralistes les plus respectés.
Saint Thomas D’aquin (o.p.), Somme théologique, Supplément : “La Pénitence”, Paris, Cerf-Deslée, 1954. La référence absolue des théologiens de l’époque moderne.
Tolet François (cardinal sj), L’instruction des prêtres (Rome, 1618), trad, franç. : Lyon A. Pillehotte, 1628. Bon compendium de ce qu’un prêtre doit savoir au début du XVIIe siècle.
Vauge Gilles (oratorien), Le directeur des âmes pénitentes..., Paris, nouv. éd., F. Babuty, 1726. Janséniste.
Vittrant Jean-Benoît (sj), Théologie morale. Bref exposé à l’usage des membres du clergé et spécialement des confesseurs, Paris, Beauchesne, 15e éd., 1944. Compendium didactique, très pratique, qui a rencontré un grand succès.
Notes de bas de page
1 J.-B. Marne, 1741.
NB : Pour alléger les notes, les références aux sources ne seront indiquées que par le nom de l’auteur. Pour les détails bibliographiques : se référer à l’annexe sur “Les sources utilisées”, à la fin de cette étude.
2 Bonne illustration, par exemple, dans le film d’A. Hitchcock, La loi du silence (=I confess), 1952.
3 N. Lenglet du Fresnoy, 1708.
4 T. III. p. 172-174.
5 F. Morénas, t. II, art. “Secret”, p. 381-385.
6 Ni dans les neuf chapitres de l’Exposition de la doctrine, ni dans les quinze canons.
7 Sur la chronologie de la pénitence publique, voir B. Poschmann, La pénitence et l’onction des malades, Paris, éd. du Cerf, “Histoire des dogmes”, t. IV : Les sacrements, fasc. 3, 1966, en particulier p. 84. Et P. Collet, t.1. col. 289.
8 G. Juenin, t. II, p. 163.
9 R. Bonal, t. II, p. 430.
10 Ibid.
11 Entre autres : R. Bonal, t. II, p. 430 ; L. Habert, p. 222 ; Rituel de Toulon, t. I. p. 389.
12 J. Delumeau, L’aveu et le pardon. Les difficultés de la confession XIIIe-XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1990, p. 21-23. Bonne mise au point sur les problèmes posés par la pratique de la confession.
13 Gibert, p. 148.
14 A. D. des Bouches-du-Rhône (dépôt d’Aix), I G 1354, pièce 6, p. 1 V° et 2 R°.
15 Cf. Des Jésuites, cours au Collège de France, en collaboration avec Edgard Quinet, 1843.
16 Fr. Genet, t. IV, p. 313 ; Rituel de Toulon, t.1, p. 392.
17 G. Juénin, p. 177.
18 Marquise de Caylus, Souvenirs, dans Michaud et Poujoulat, Nouvelle collection des mémoires relatifs à l’Histoire de France, Paris, Didot et Cie, t. XXXII, 1866, p. 492.
19 Collet-pontas, t. I, cas XX, col. 289.
20 J. Sainte-Beuve, t. III, cas 134, p. 504-505.
21 Résolutions de plusieurs cas de conscience importants..., cas 23, p. 107.
22 G. Vauges, p. 383.
23 Collet-pontas, t. 1. col. 283-284.
24 N. Lenglet du Fresnoy, p. 316-318.
25 Rapporté par N. Lenglet du Fresnoy, p. 124-125.
26 Ibid., p. 316.
27 G. Juénin, p. 165.
28 Liguori, t. XXIV, p. 302.
29 F. Morénas, t. II, cas 1, p. 382.
30 L. Habert, p. 220.
31 Fr. Genet, p. 312.
32 Saint Thomas, p. 208.
33 Le canon 985 du Code de droit canonique de 1983 recommande aux maîtres des novices, aux recteurs de séminaires ou d’une institution d’éducation, de ne pas confesser leurs élèves, sauf cas particuliers, sûrement pour conserver leur liberté de jugement.
34 Collet-Pontas, t.1, cas XII et XIII, col. 287.
35 G. Vauges, p. 314.
36 F. Morénas, t. II, cas 13, p. 385.
37 G. Juénin, p. 174, et F. Morénas, t. II, cas 12, p. 384.
38 a) Collet-Pontas, t. 1. cas IX, col. 286, ou b) Rituel de Toulon, t. I, p. 391.
39 G. Juénin, p. 163.
40 G. Juénin, p. 175.
41 Liguori, t. XXVI, p. 391.
42 Rituel de Toulon, t.1, p. 396.
43 Imposée par une bulle de Grégoire XV (1621-1623).
44 Gibert, consultation VI, p. 135-157 : Rituel de Toulon, t. I. p. 396.
45 Fr. Tolet, p. 450.
46 N. Lenglet du Fresnoy, p. 148.
47 A. J. Rancé (prof. de théologie morale à la Faculté d’Aix), “Le secret de la confession : examen d’un passage de l’historien de Thou”, Paris, 1884, dans Revue sextienne, Aix, Makaire-Marseille, J. Chauffard, p. 5-12. Sur la proposition : le crime de lèse-majesté supprime-t-il l’obligation du secret ?, p. 7-12.
48 Gibert, Consultations canoniques..., XXXVe Consultation, p. 462-476.
49 Voir A. Bugelli, « Des hommes qui ressuscitent des morts ». La confession générale dans l’œuvre de saint Vincent de Paul, thèse présentée à Fribourg (Suisse), juillet 1996, p. 139-144.
50 Sous Jean-Paul II, 1983, canons 982-985. C’était, bien sûr, exact avec le Codex juris canonici de 1917, Cf. J.-B. Vittrant, § 839-845.
51 L’article 434.3 du code pénal donne obligation de dénonciation à tout responsable d’institution, publique ou privée, d’actes pédophiles, de quelque nature qu’ils soient, sur des mineurs de 15 ans.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les sans-culottes marseillais
Le mouvement sectionnaire du jacobinisme au fédéralisme 1791-1793
Michel Vovelle
2009
Le don et le contre-don
Usages et ambiguités d'un paradigme anthropologique aux époques médiévale et moderne
Lucien Faggion et Laure Verdon (dir.)
2010
Identités juives et chrétiennes
France méridionale XIVe-XIXe siècle
Gabriel Audisio, Régis Bertrand, Madeleine Ferrières et al. (dir.)
2003
Des hommes à l'origine de l’Europe
Biographies des membres de la Haute Autorité de la CECA
Mauve Carbonell
2008