Annexe I
LE CEFUP (Centre d’Études Féminines de l’Université de Provence)
p. 281-290
Texte intégral
Introduction : Pourquoi cette plaquette ?
1Voilà quatre ans que nous travaillons ensemble et deux ans que le CEFUP existe1. L’étape de la mise en place nous semble aujourd’hui terminée et nous avons pensé qu’il est temps de faire connaître le CEFUP dans les universités et hors des universités, dans notre région et au-delà.
2Au vu de nos conceptions, de nos difficultés, de nos résultats et de nos perspectives, peut-être que d’autres initiatives féminines de ce genre seront encouragées. Nous souhaitons que la multiplicité des efforts permette une coordination active avec des groupements comme le nôtre ou des chercheuses isolées.
Première Partie : La Genèse
I. Nos Motivations
- Créer à l’Université de Provence un lieu de réflexion sur les problèmes féminins. Les étudiantes y sont en effet majoritaires. Quant aux enseignantes leur nombre diminue au fur et à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie.
- Créer un lien entre l’Université et le monde extérieur, permettant aux femmes de réfléchir ensemble sur leur situation dans la société passée et présente.
- Essayer de montrer que les problèmes féminins ne peuvent être abordés qu’en éliminant les cloisonnements habituels au savoir. Et donc mener sur ce point une expérience réellement pluridisciplinaire.
- Pour certaines, fonder leur militantisme sur des bases théoriques, et pour d’autres lui donner un aboutissement concret.
II. L’Équipe
3Notre équipe, pluridisciplinaire dès le début, a été recrutée aussi bien parmi des enseignantes que parmi des praticiennes extérieures à la faculté. Elle s’est constituée progressivement à partir de l’initiative d’Yvonne Knibiehler, puis autour d’elle et de Sylvia Ostrowetsky.
4Elle a ressemblé : Yvonne Knibiehler, Marcel Bernos, Éliane Richard (Histoire), Sylvia Ostrowetsky, Françoise Colin (Sociologie), Anne Léoni (Lettres), Christiane Souriau (Civilisations comparées), Christiane Ollivier, Marie-Thérèse Botterman, Françoise Lebel (Psychanalyse et Psychologie), Claude Dubreuil, Françoise Rouannet (Gynécologie), Marie-Claire Calmette (Droit).
III. Les Premières Actions
a) Formation continue
5En novembre 1973 ont débuté à la Faculté des lettres d’Aix des cours généraux adressés à des femmes extérieures à l’Université sans exigence de diplômes. Ces cours généraux sur la Condition Féminine ont aussitôt attiré un public nombreux (plus d’une centaine de personnes). Les séances se déroulaient le vendredi après-midi de 14 heures à 17 heures, tous les 15 jours. Elles étaient animées collectivement et partagées entre exposés et débats. Les premiers thèmes abordés ont été Féminismes et sociétés, la presse féminine…
6En novembre 1974 et selon le même principe, ces cours généraux ont été donnés également à Marseille (Faculté Saint Charles) en alternance avec ceux qui étaient assurés à Aix.
7À partir de là des stages ont été organisés chaque année en vue d’une préformation ou d’une réinsertion des femmes dans une vie pleinement active :
- stage d’information juridique
- stage de formation à la vie publique (activités civiques et politiques)
- stage de formation à la pratique du planning familial
- stage de formation de sous-bibliothécaire
- stage d’expression écrite et orale.
8Puis, plus tard :
- stage d’initiation à l’urbanisme
- stage d’initiation à l’économie
- stage Connaissance de soi
- stage Communication inter-personnelle
- stage d’initiation à l’expression orale par méthode audio-visuelle.
b) UV de DEUG
9L’analyse critique des cours généraux de Formation Continue nous a entraînés à ouvrir un enseignement plus particulièrement destiné à un public étudiant. Dès novembre 1974, l’Unité de Valeur du DEUG nommée Condition Féminine a réuni 200 étudiants de première et de deuxième année, issus de toutes les UER et même d’autres universités. Elle a porté sur le thème Féminisme et Sociétés. Dès lors cette UV a pu être choisie en option et comptabilisée dans un DEUG au titre du tiers libre. Les étudiants, particulièrement intéressés par ces cours ont signé très tôt une pétition demandant à l’université un dédoublement des horaires – qui n’a pas encore été obtenu à ce jour.
c) Activités de recherche
10L’année 1974-75 a vu se réunir assez régulièrement des chercheuses et des chercheurs, dans une sorte de mise en commun des questions et des voies de réponses possibles. Aucun thème n’a été retenu sinon une méditation sur le féminin.
11Par ailleurs, l’équipe d’enseignantes et les femmes constituant le public de la Formation Continue a essayé d’élaborer un recensement sur les activités bénévoles de la région.
12À partir du printemps 1975, les activités de recherche ont été centrées sur la préparation d’un colloque sur le thème Femmes et Sciences Humaines.
d) Participation de membres de l’équipe à des interventions à l’extérieur
13Des interventions diverses ont eu lieu à la demande de différents publics qui se sont adressés à l’Université pour une étude approfondie sur les problèmes féminins ; par exemple :
- animation au colloque sur Les femmes, le 24 mai 1975 à la Sainte Baume
- participation à des émissions de FR3 Marseille
- conférences à Aix et à Marseille dans le cadre de l’exposition Images de la Recherche organisée par le CNRS.
- actions diverses auprès des cadres en formation de la sécurité sociale à la Foire de Marseille, auprès de l’UFCS, auprès des assistances sociales d’Avignon, intervention au centre culturel d’Aubagne…
e) Colloque de juin 1975 sur Les femmes et les Sciences Humaines
14À l’initiative d’Yvonne Knibiehler et sous le patronage de l’Université de Provence, ce colloque a été organisé à la Baume Sainte-Marie, dans les environs d’Aix.
15Plus de 150 personnes représentant diverses universités françaises (Toulouse, Nantes, Dijon, Nancy, Amiens, Lille, Paris VII, Paris VIII, Paris IX, Paris X) et étrangères (Argentine, Algérie, Canada, Égypte, Italie, Maroc, Tunisie), ont participé à 4 demi-journées de réflexion.
16La séance d’ouverture a été animée par Michèle Bordeaux (Droit), Sylvia Ostrowetsky (Sociologie), Michèle Perrot (Histoire), Béatrice Slama (Littérature). Le travail s’est organisé en commissions, d’abord par disciplines, puis par thèmes ; Le travail et la pratique professionnelle. Egalité et spécificité, La famille, La sexualité, La parole féminine, La politique. La séance plénière a donné lieu à un débat extrêmement animé à partir des rapports des différentes commissions.
IV. Financement
17Toutes les actions ont débuté bénévolement. Puis, ayant fait la preuve de leur efficacité et du succès rencontré auprès du public, les fondatrices de l’équipe ont réussi à obtenir des subventions du Conseil Régional en vue d’assurer la poursuite de la Formation Continue (Convention A).
18Par ailleurs l’Université a accepté de financer une partie du colloque de juin 1975. Mais la politique gouvernementale de priorité pour la formation des femmes n’a duré qu’un an (l’année de la femme). Les subventions ont donc rapidement diminué puis ont été supprimées. En revanche, à partir de 1975, l’Université a accepté de financer l’UV de DEUG, d’abord rattachée à l’UER d’histoire, ensuite à celle de sociologie.
19Dès la rentrée d’octobre 1975, cette reconnaissante de fait par l’université a fait prendre conscience à l’équipe de la nécessité ou non de s’institutionnaliser. Une discussion permanente s’est ouverte alors sur les objectifs du groupe, sur ses motivations, mettant en évidence des oppositions internes. Celles-ci n’ont cependant pas empêché que pendant l’année 75-76, les activités engagées en DEUG et en Formation Continue sur le thème du Féminin se poursuivent. Une nouvelle équipe s’est alors soudée autour de la revendication de statuts universitaires et d’une reconnaissance effective du groupe sous le nom de Centre d’Études Féminines de l’Université de Provence (CEFUP).
Deuxième Partie : Centre d’Études féminines de l’Université de Provence
I. Les Statuts
20La rédaction des statuts et d’un règlement intérieur posait un double problème :
- le problème interne de la répartition des responsabilités au sein du groupe
- le problème externe de l’adaptation de notre spécificité aux formulations classiques des statuts universitaires.
21Le premier a été traité de la façon la plus démocratique en établissant une gestion collective que coordonne une secrétaire générale élue pour trois ans.
22Le deuxième a été résolu par l’acception officielle de l’article 2 par le Conseil de l’Université : Les responsabilités seront assumées par les femmes. Mais l’article 4 précise que le CEFUP est largement ouvert aux enseignants, chercheurs et spécialistes des deux sexes. Le texte définitif des statuts a été établi à la suite de remaniements successifs sur la demande des membres de l’équipe et du Conseil de l’Université. Ils ont été adoptés par le Conseil Scientifique, puis par le Conseil de l’Université, en mai 1976.
23Ainsi est né le C.É.F.U.P., pour promouvoir la recherche et coordonner l’enseignement en Sciences Humaines dans tous les secteurs qui concernent les femmes et la condition féminine, plus particulièrement en pays latins et méditerranéens (art. I). Toutes ses activités doivent être largement pluridisciplinaires.
II. La Nouvelle Équipe
24Une autre équipe s’est constituée alors progressivement, plusieurs départs volontaires ayant eu lieu dans les années 75-76 et de nouvelles personnes ayant manifesté leur désir de s’intégrer au CEFUP.
25À un noyau constitué de certaines anciennes :
- Marie-Thérèse Botterman (Psychanalyste), Françoise Colin (Sociologie), Éliane Richard (Histoire), Christine Souriau (Civilisations comparées : Maghreb et Libye) et d’un ancien :
- Marcel Bernos (Histoire), sont venu(e)s s’adjoindre :
- Colette Accabat (Économie), François Athané (Économie), Daniel Armogathe (Historien de la littérature féministe), Danièle Baronnet-Fruges (Avocate), Danièle Bleitrach (Sociologie), Françoise Chazelas (Ethnologie), Françoise Cessot (Économie), Michèle Flouret (Civilisations comparées : Cuba), Martine de Gaudemar (Philosophie), Patrick Hutchinson (Littérature), Mildred Mortimer (littérature américaine), Agnès Pitrou (Sociologie), Anne Rosier (Psychologie), Frédérique Saldes (Psychanalyse), Françoise Soublin (Linguistique), Raquel Thiercelin (Civilisations comparées : Mexique), Monique Virbel (Éinguistique), l’équipe de Gynécologie sociale et d’Orthogénie de l’hôpital de la Conception : Dominique Benmoura, Jocelyne Champion.
26En outre, il a toujours été fait appel à des intervenant(e)s extérieures en raison de leur spécialité.
27La participation de chacune et de chacun s’est organisée en fonction des besoins (Formation Continue, UV de DEUG, recherche, administration, contacts avec l’extérieur), et périodiquement certain(e)s d’entre nous ont contribué, en tant qu’enseignant(e)s au CEFUP à intervenir à l’extérieur dans des stages et des colloques ou pour animer des réunions.
28Depuis décembre 1975, la responsabilité générale du CEFUP a incombé à Christiane Souriau (Chargée de Recherche au CNRS-CRESM).
III. Situation Financière
29La situation financière du CEFUP est limpide : ce centre universitaire relève entièrement du secteur public pour ses sources de financement. Sous la tutelle de l’Université de Provence, il dispose d’un numéro de compte particulier dans le budget.
30a) L’enseignement de DEUG dépend de l’UER de Sociologie, gérant des fonds spécialement attribués. À noter que les intervenantes se partagent la rétribution d’une heure et demie annuelle bien que la plupart participent à la totalité des interventions : c’est une forme de militantisme.
31b) La Formation Continue des femmes extérieures à l’Université n’est plus prise en compte par les instances régionales ; jusqu’à présent notre public a dû payer les cours généraux et les stages, que nous organisons pourtant dans les conditions imposées par les statuts de la Formation Continue : ceci a restreint notre audience en excluant les femmes matériellement défavorisées, c’est-à-dire celles qui ont précisément le plus légitimement besoin d’un recyclage.
32Nos coûts sont toujours calculés au plus juste, par exemple, en 1977-78, une heure de cours généraux a coûté à l’auditrice 5,38 francs.
33Pour les stages, nous sommes obligées de réduire le nombre d’heures pour que les prix demeurent accessibles à la plupart des femmes. Or ceci nous empêche d’atteindre le seuil des 45 heures indispensables pour que nos stages soient pris en charge au titre du 1 % patronal. Mais finalement, grâce au travail de François Athané et d’Anne Rosier, les comptes du CEFUP sont sains et positifs ; nous ne devons rien à personne. Néanmoins nous estimons que notre action n’atteindra sa pleine efficacité que lorsque nous aurons obtenu la gratuité totale de cette formation.
34c) Quant aux groupes de recherche, ils ne pourront fonctionner normalement qu’avec un soutien financier et d’éventuelles vacations. Sinon, comment assurer les échanges, la documentation, les publications, la circulation des idées nécessaires à la poursuite de nos travaux ? Les indispensables frais de secrétariat ont été jusqu’à présent supportés en totalité et individuellement par quelques-unes. C’est aussi du militantisme mais l’Université de Provence en tire profit.
IV. Activités
a) Formation Continue
35En 1976-77 nous avons acquis la certitude que le type de stage que nous organisons répond à une demande du public féminin. Trois stages ont fonctionné :
- stage Initiation à la vie économique
- stage Connaissance de soi
- stage Initiation à l’expression orale.
36En revanche, les cours généraux n’ont pu être assurés, cette année-là faute de publicité adéquate. Nous en avons conclu à la nécessité impérieuse de trouver, en plus des moyens habituels, des relais parmi les femmes elles-mêmes pour toucher notre public particulier. Les associations féminines régionales qui se sont intéressées à nos formations nous y ont beaucoup aidé, tant pour nous faire connaître que pour envoyer leurs adhérentes à nos stages et nos cours.
37Aussi en 1977-78, nos cours généraux ont-ils pu reprendre avec un auditoire de plus de 80 personnes, preuve que notre formule propre d’enseignement général répond à un réel besoin. Cependant nous avons observé dans le public de toutes nos formations une nette contradiction entre un désir d’approfondir les connaissances et une réticence à s’engager plus avant dans une démarche personnelle.
38Thème des cours en 1977-78 : Femmes et éducations.
39Trois stages ont également fonctionné cette année-là :
- stage Connaissance de soi
- stage Communication interpersonnelle
- stage Initiation à l’expression orale.
40L’équipe s’est trouvée contrainte par des impératifs d’horaires et d’effectifs (refus du dédoublement des cours), de proposer deux filières fonctionnant alternativement mais avec un thème unique des cours : Femme et Savoir.
41Année 1976-77 : première filière. Quatre disciplines ont été représentées : sociologie-ethnologie, histoire, civilisations comparées (Maghreb, Cuba, Mexique) et pour la première fois, économie.
42Il y avait toujours plus de 150 inscrits dont un groupe d’une vingtaine d’étudiantes américaines. La pluridisciplinarité n’ayant pas favorisé la coordination pédagogique, l’année suivante un effort particulier a été fait en ce sens.
43Année 1977-78 : deuxième filière. L’équipe concernée s’est soudée à partir d’un début de recherche sur le féminisme et la psychanalyse. Son but était moins d’apporter un savoir que de favoriser chez les étudiantes et les étudiants une réflexion active et critique sur les problèmes du Savoir, essentiels pour qui vient à l’Université apprendre. La méthode pédagogique adoptée fut la suivante : des groupes d’étudiants réfléchissaient séparément sur un problème, puis le produit de leur réflexion circulait entre les groupes au cours de séances ouvertes. Les enseignants, tous présents à chaque cours, se répartissaient dans les groupes. Les thèmes d’étude étaient proposés au début par l’un d’eux ; il exposait sa propre recherche ou commentait un document. D’autres thèmes se dégageaient de la demande même des étudiants. Des textes distribués chaque fois, apportaient aux étudiants un autre point de vue ou des informations complémentaires. Les discussions en groupes se terminaient à chaque cours par une évaluation écrite d’un étudiant de chaque groupe.
44Les thèmes suivants furent abordés successivement au cours de l’année :
- Où se loge la ségrégation dans l’enseignement dispensé aux deux sexes ?
- Le féminisme actuel fonctionne-t-il comme un nouveau savoir sur les femmes ? (notamment sur leur parole et sur leur écriture)
- Le problème des origines : les sociétés matri-centres et leurs mythes. La notion de matriarcat et l’utilisation qui en fut faite par les marxistes et les ethnologues au début du XXe siècle.
- Les savoirs médicaux et les femmes. Problèmes de contraception. Le refoulé de l’accouchement.
- L’anatomie c’est le destin a dit Freud. Pourquoi ? Qu’en dire ? Le désir comme savoir.
- Féminisme et socialisme de 1879 à 1914. Les débats entre les groupes marxistes et les féministes de l’époque. Les figures de ce féminisme.
- Huguette Bouchardeau, militante politique et féministe, directrice du Centre Lyonnais d’Études Féminines, auteur du livre Pas d’Histoire, les femmes, a fait une conférence-débat sur Les femmes et la compétence politique.
45Cette UV a compté 210 inscrits ; donc dans la pratique, le travail en groupe a été délicat à mener à bien, avec souvent 150 étudiants dans un seul amphi ! Malgré cela les travaux libres des étudiants furent souvent très riches et très personnels.
46L’équipe enseignante était composée de :
47Daniel Armogathe (historien de la littérature féministe), Jocelyne Champion et Dominique Benmoura (gynécologues dans l’équipe d’orthogénie de l’hôpital de la Conception), Françoise Colin (sociologue), Martine de Gaudemar (philosophe), Patrick Hutchinson (littéraire), Mildred Mortimer (littéraire), Frédérique Saldes (psychanalyste), Françoise Soublin (linguistique).
b) La recherche
48Dans la conception même de sa création, le CEFUP a eu vocation, à côté de ses tâches d’enseignement, de formation et de documentation, à la recherche scientifique. Projet soutenu par le constat que jusqu’à présent la femme était relativement absente de la recherche, à la fois comme agent et comme centre d’intérêt.
49Des ambiguïtés très nettes sont apparues, telle la relation de la recherche au militantisme éventuel de certaines. Si la plupart des membres de l’équipe étaient habituées professionnellement à un travail de type scientifique, leur pluridisciplinarité et la diversité de leurs motivations assuraient des ouvertures et la prise en compte de la multiplicité des problèmes.
50À la rentrée 1975, au cours d’une soirée de débats à laquelle participaient 25 personnes, l’équipe a retenu un programme pour deux ans centré sur Femmes et Savoirs. Dans un premier temps, un sous-thème s’est dégagé : la femme et son corps. Six séminaires pluridisciplinaires se sont tenus dans l’année ; des débats extrêmement nourris ont donné lieu à des comptes-rendus sur une approche médicale et psychanalytique de la nudité (animée par Claude Dubreuil, gynécologue), une réflexion historique et linguistique sur ce thème (Éliane Richard, Marcel Bernos, Françoise Soublin), quelques interrogations épistémologiques (Françoise Colin), et enfin, au cours des deux derniers séminaires, une réflexion sur Femmes, désir et pouvoir. Ce travail a permis de mettre en relief quelques points communs : prise de conscience de l’imposition du modèle masculin et du fait que la recherche implique pour les femmes un investissement plus total, une contribution plus personnelle, par la prise en compte du désir dans leur problématique.
511976-77 : après ce difficile déblaiement fait en commun, le groupe de recherche a décidé de laisser s’opérer des regroupements par spécialités et affinités et de cerner davantage la relation des femmes au savoir. En fait, les divers groupes n’ont pas fonctionné avec la même régularité.
521977-78 : deux groupes ont travaillé en coordonnant davantage leur recherche avec leur enseignement (DEUG et Formation Continue).
53Premier groupe : l’équipe qui a assuré le DEUG cette année-là (voir plus haut) a pu, au rythme d’un après-midi de travail par semaine, trouver les points d’accord suivants :
- refuser dans le féminisme la description et l’insistance sur la souffrance des femmes et leur aliénation éternelle ; analyser ce qui manifeste depuis toujours leur force et leur intégration aux rapports sociaux, dont seule l’histoire a dénié l’importance.
- s’interroger sur la vulgarisation et l’imposition permanente, dans le féminisme actuel, des concepts de la psychanalyse, en ce qu’ils assurent la permanence et la division des sexes selon l’anatomie, alors que la définition du féminin reste un sujet de discussion entre les membres du groupe.
54Dans un travail en préparation, Martine de Gaudemar pose d’autres questions à partir d’auteurs lus et critiqués dans le groupe au cours de deux années (S. Leclaire, É. Luccioni, C. Chawaf, J. Hyvrard, H. Cixous).
55De son côté, Patrick Hutchinson achève un long article sur le rapport des femmes aux discours du savoir, intitulé : « Autre savoir des femmes ? De l’assujettissement symbolique des femmes ». (À partir du récit d’une vie antérieure, de l’initiation féminine dans le culte de Dionysos, et des Trobaïritz, femmes troubadours d’oc).
56Deuxième groupe : civilisations comparées
57Les civilisations comparées constituent un domaine très fécond de réflexions, de recherches et de synthèses sur la condition des femmes, bien qu’il soit difficile de les mettre en œuvre ; non seulement à cause de la complexité du sujet mais aussi parce que certaines altérités sont indûment posées par définition pour n’en citer qu’une : l’opposition entre sociétés stratifiées et sociétés non stratifiées.
58C’est à partir d’une participation aux enseignements du CEFUP en DEUG et en Formation continue — d’abord à propos des femmes du Maghreb (Christiane Souriau), puis aussi de celles du Mexique (Raquel Thiercelin), enfin de celles de Cuba (Michèle Flouret) — qu’un petit groupe de recherche aixois a commencé une réflexion prometteuse.
59Elle a déjà attiré d’autres femmes travaillant par exemple sur l’Égypte (Ghislaine Alleaume) et le Hoggar (Françoise Chazelas). Elle s’étendrait aux États-Unis, à l’Algérie, à la Mauritanie, au Maroc, à la Tunisie, à l’Italie et à bien d’autres sociétés si nous avions la possibilité matérielle d’inviter des chercheuses de l’extérieur.
60Quoi qu’il en soit, ce groupe a déjà produit les communications et articles suivants :
- Christiane Souriau et Raquel Thiercelin : « La condition des femmes dans la tradition, la modernité, la révolution ; étude comparative du Mexique et du Maghreb » mars 1976, dactylographié. Cette communication a été préparée pour le 30e Congrès International des Sciences Humaines en Asie et en Afrique du Nord à Mexico (août 1976). Bien qu’elle ait été acceptée par le bureau du congrès, nous n’avons pas pu nous rendre à Mexico, faute de subventions pour le voyage : en revanche elle a pu être présentée et discutée au Colloque sur les sociétés et les cultures précapitalistes, à l’Université de Paris VII à Vincennes (décembre 1976) et est en cours de publication dans les actes du Colloque.
- Michèle Flouret : « Féminisme et Révolution : la Cubaine, communiste femme ou femme communiste ? » (décembre 1977, dactylographié).
- Raquel Thiercelin : « Les femmes espagnoles et la politique », publié dans la Revue française d’Études Politiques Méditerranéennes (RFEPM), n° 24, décembre 1976, repris dans Femmes et politique autour de la Méditerranée, ouvrage collectif de femmes, L’Harmattan, Paris, 1980, p. 11-24.
- Éliane Richard : « Femmes et politique dans la France méditerranéenne », publié également dans RFEPM, n° 25, 1er trimestre 1977, repris dans Femmes et politique autour de la Méditerranée, ouvrage collectif de femmes, L’Harmattan, Paris, 1980. p. 25-38.
- Christiane Souriau : « Femmes libyennes et politique », RFEPM n° 27, 3e trimestre 1977, repris dans Femmes et politique autour de la Méditerranée, ouvrage collectif de femmes, L’Harmattan, Paris, 1980, p. 191-218.
61Ces trois derniers articles font partie d’un essai collectif de 16 contributions sur un triple thème : Femmes/Politique/Méditerranée, que Christiane Souriau, responsable de la rubrique Femmes, a proposé à cette revue comme hypothèse de travail, et dont elle a assuré la mise en œuvre. Ce genre de questions s’intégrera tout naturellement dans le thème Femme et pouvoir retenu pour 1978-1980.
V. Perspectives d’Avenir
62Deux ans après avoir été institué par le Conseil Scientifique et le Conseil de l’Université de Provence, le CEFUP achève une première étape de mise en place. Tout en conservant ses orientations, il projette un développement de ses diverses activités.
63Dès 1978-79, l’UV de DEUG sera dédoublée. Les deux filières fonctionneront parallèlement au cours de l’année.
64De même, en Formation Continue, on envisage un dédoublement des filières pour permettre un approfondissement des différentes disciplines et l’ouverture à un public socialement plus diversifié. Les stages aussi sont appelés à être étoffés et multipliés. Considérant que le type de réflexion générale et la préformation que le CEFUP assure sont une condition préalable et indispensable à toute réinsertion dans une vie pleinement active, nous pensons pouvoir les destiner à toutes les femmes, quels que soient leur niveau scolaire et le diplôme de Formation Continue qu’elles viennent chercher à l’Université de Provence.
65Ainsi nous avons été amenés en mai-juin 1978, à nous intéresser au suivi pédagogique d’une expérience de préparation des femmes adultes au BEPC, actuellement en cours à l’Université de Provence, et à étudier pour l’année prochaine les possibilités d’une collaboration avec l’équipe des formateurs.
66Quant à la recherche que le CEFUP aura à prendre en charge sur Les besoins des femmes en formation dans notre région, elle réalisera notre vœu de lier notre travail et nos compétences d’universitaires à une clarification des demandes spécifiquement féminines dans notre société en pleine crise économique.
67À moyen ou long terme, le CEFUP pourrait favoriser au sein de l’Université de Provence, pour les étudiant(e)s et les universitaires qui le désirent, la constitution d’une filière complète et pluridisciplinaire d’enseignement et de recherche sur la condition féminine.
68Sur un autre plan, le CEFUP est prêt à collaborer avec d’autres universités pour faire circuler l’information sur les recherches féminines en cours. Dès la rentrée 1978, le CEFUP envisage de collaborer à un bulletin de liaison qui mentionnerait toutes les études concernant les femmes entreprises par les différentes universités. Ce projet est une initiative commune de Daniel Armogathe (pour le CEFUP) et d’Huguette Bouchardeau (pour le CLEF ou Centre Lyonnais d’Études Féminines). Le bulletin présenterait les Centres, les expériences pédagogiques en cours, les thèmes de recherche et les publications. L’équipe Pénélope (Centre parisien de recherche en anthropologie et histoire) qui a un projet analogue est favorable à un travail en commun.
69Ainsi semble-t-il possible de faire converger dans la diversité et avec la garantie de l’Université de Provence, une série d’efforts féminins qui tiendront compte des besoins d’un nombre croissant de femmes et accueilleront leurs efforts.
70Le thème conducteur retenu pour toutes les activités du CEFUP pendant les années 1978-80, est Femmes et Pouvoirs.
VI. Conclusions
71Plus de quatre ans de fonctionnement ont permis au CEFUP de dégager un certain nombre de principes qui président à son activité et à sa réflexion ; ils mettent en évidence sa spécificité, la diversité de ses activités et ses orientations idéologiques.
a) Spécificité
- -Il est un Centre Universitaire : c’est à partir de l’Université de Provence qu’il s’ouvre à toutes les Femmes en mouvement mais surtout à celles de la Provence et du monde méditerranéen.
- Il est un Centre d’Études Féminines : il aborde les problèmes des femmes du point de vue des femmes.
- Il est pluridisciplinaire : sa vocation est de diversifier les concepts, les méthodes et les pratiques.
- Il a une structure souple : pas de hiérarchie, interchangeabilité de fonctions, possibilité de s’adapter à la diversité du projet social des femmes en fonction de leurs besoins, de leurs charges, de leurs désirs, de leurs actes.
b) Diversité des activités
72Ce n’est pas seulement la transmission des savoirs et sa sanction par des diplômes qui nous importent, quelles que soient les activités qu’il prend en charge ou auxquelles il participe, le CEFUP tient essentiellement à instaurer une « dimension critique ». C’est dans cette optique que le CEFUP assure un enseignement au niveau du DEUG, qu’il organise la recherche, la Formation Continue et les liaisons avec l’extérieur.
73Pour préserver cette dimension critique, il nous semble essentiel de chercher à établir une réciprocité dans nos relations avec les femmes extérieures à l’Université. Elles viennent chez nous chercher un savoir, et une préformation. Nous nous rendons auprès d’associations, de groupes ou de femmes en mouvement pour engager avec elles des actions communes dans la ville ou la région. Nous cherchons au cours de toutes ces rencontres à multiplier les échanges d’idées et à développer un enrichissement mutuel.
74Il nous semble également essentiel de mettre à l’épreuve l’idée de la valeur d’une recherche féministe.
c) Orientations idéologiques
75Au CEFUP, il n’est pas indifférent qu’on soit homme ou femme, les femmes comme les hommes qui y rentrent acceptent ses options. Statutairement, les responsabilités y sont prises par des femmes.
76Nous refusons tout ce qui vise à cantonner la femme dans des normes ou des lignes de conduite prédéterminées et nous favorisons au contraire tout ce qui peut l’amener à se considérer comme un sujet.
77Le CEFUP est indépendant de tout parti, il s’adresse à toutes les femmes quelles que soient leurs options et il tient compte des différences individuelles. Sa détermination politique se prend en fonction du féminisme tel qu’il est défini dans tout ce qui précède. L’accord se fait à partir du travail en commun et des luttes, notamment à propos de l’égalité juridique dans le monde du travail et de toutes les questions mettant en jeu la liberté et la dignité des femmes.
78Le CEFUP entend promouvoir toutes les initiatives favorisant l’expression spécifique des femmes et une remise en cause radicale des situations et des opinions établies.
Notes de bas de page
1 Texte de présentation du CEFUP non daté, probablement rédigé en 1978.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les sans-culottes marseillais
Le mouvement sectionnaire du jacobinisme au fédéralisme 1791-1793
Michel Vovelle
2009
Le don et le contre-don
Usages et ambiguités d'un paradigme anthropologique aux époques médiévale et moderne
Lucien Faggion et Laure Verdon (dir.)
2010
Identités juives et chrétiennes
France méridionale XIVe-XIXe siècle
Gabriel Audisio, Régis Bertrand, Madeleine Ferrières et al. (dir.)
2003
Des hommes à l'origine de l’Europe
Biographies des membres de la Haute Autorité de la CECA
Mauve Carbonell
2008