Brève présentation des collections

1Les collections d’anthropologie biologique du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) sont conservées sur le site du musée de l’Homme. La constitution de cet ensemble résulte d’un long cheminement lié à l’histoire des collections et à l’évolution de la discipline. On retrouve des mentions de son origine dès 1635 avec la création du cabinet de curiosité attaché à la chaire d’anatomie et de chirurgie du Jardin du Roi¹. Elle avait pour but l’étude de la chirurgie². Mais la majeure partie des collections a été acquise au xix^e et début du xx^e siècle. Les collections d’anthropologie comportent environ 30 000 pièces ou lots, principalement des restes humains et des moulages. Les restes humains sont représentés par des crânes (environ 18 000), des squelettes (plus de 1 000 dont environ 360 squelettes montés), des préparations anatomiques (230), des restes momifiés (environ 200 pièces, fragments ou lots). Les datations associées à cet ensemble s’étendent de la préhistoire à l’époque contemporaine, représentée notamment par des collections issues d’une très large répartition géographique, mais également par des collections ostéologiques d’âge et sexe connus, telles les collections Olivier ou Portal. La collection de moulages est représentée par des bustes ou des masques d’origine ethnographique (environ 1 200) ou phrénologiques (environ 600). Un large nombre de moulages d’ossements modernes ou fossiles, ainsi que de diverses régions anatomiques complètent cette collection. Toutes ces pièces conservées au musée de l’Homme sont en majorité des collections publiques affectées au Muséum mais elles peuvent également être issues de dépôts tels que celui de la Société d’anthropologie de Paris (SAP) fondée en 1859 par Paul Broca³.

Les collections, les catalogues et les pièces pathologiques

2Parmi ces collections d’anthropologie biologique, on dénombre au moins 2 000 pièces osseuses pathologiques⁴. Leur nombre permet d’illustrer des pathologies rares et divers cadres nosologiques (acromégalie, rachitisme, leontiasis ossea, fracture, trépanations, déformations intentionnelles, etc.) parmi lesquels figurent les tréponématoses. Toutefois, plusieurs diagnostics ont été effectués en parallèle de l’acquisition des pièces, sans que certains n’ait été réévalués à ce jour, tandis que d’autres ont été effectués à postériori. La constitution de cette collection est liée à un intérêt particulier pour les pathologies osseuses des différents directeurs qui se sont succédés⁵.

3Les pièces, parmi les éléments pathologiques, sont enregistrées dans deux types de catalogues. Le premier registre comprend un inventaire avec numéro de pièce (ou lot). Ce registre, qui fait suite à la création de la chaire d’anthropologie en 1855, a été initié en 1857. Le second fonctionne par date d’entrée en collection. La première entrée a été enregistrée en 1864.

4Cependant la présence de certaines de ces pièces au MNHN peut être antérieure à la seconde moitié du xix^e siècle, notamment celles provenant de l’ancien fonds de l’anatomie comparée.

5Enfin le contenu dans ces registres a été, dans un premier temps, la base d’un fichier manuel, qui a été ensuite retranscrit en une base de données de gestion de collection dès la fin des années 1980⁶. Aussi pour chacune des pièces anthropologiques peuvent figurer également des informations supplémentaires, telles que les données de contexte pathologique, qui ont pu être accumulées au cours des diverses études et consultations depuis leur acquisition.

6Cette base de données fut donc notre outil de recherche des pièces dites « syphilitiques » des collections anthropologiques du musée de l’Homme⁷. Certaines d’entre elles figuraient directement avec cette mention dans le corpus des pièces pathologiques. Outre les catalogues, des publications parfois très anciennes ont été une autre source d’information pathologique pour certaines pièces.

Quelle présence de la syphilis dans les collections

7Le travail de recherche des pièces a été réalisé en croisant l’ensemble des informations issues du registre d’inventaire, du catalogue d’entrées et de la base de données de gestion des collections. Ainsi on retrouve dans la base de données soixante enregistrements répondant aux requêtes. Deux autres pièces (deux crânes) diagnostiquées récemment viennent étoffer ce corpus⁸. La répartition du type d’ossements diagnostiqués et de leur provenance est reportée dans les tableaux 1 et 2.

8Majoritairement, le crâne est l’élément le plus concerné par la maladie (figures 1 et 2) tandis que la présence des os longs (comme le tibia), pourtant très fréquemment touchés par la syphilis, semble anecdotique (figure 3).

9Mais cette recherche soulève différents problèmes. S’il existe des lésions crâniennes typiques des tréponématoses, il reste difficile d’établir un diagnostic de certitude sur la seule base du crâne et à plus forte raison s’il est fragmentaire.

10À l’issue de la recherche dans la base de données, il apparaît difficile, voire impossible, de connaître l’origine de ce diagnostic, d’autant plus que le terme « syphilis » est générique et peut correspondre à des formes endémiques non renseignées dans les catalogues. La provenance géographique des crânes est un paramètre qui ne fut pas nécessairement pris en compte lors de l’éventuel établissement du diagnostic, notamment dans le cas des premières étapes de la création de l’inventaire du xix^e siècle.

Fig. 1

11Avec ces précautions liées au contexte décrit (ou pas) dans les catalogues, nous avons donc considéré ce nombre de 62 pièces pathologiques « syphilitiques » comme étant préliminaire et minimal. En effet, toute une série de questionnements entoure ce premier décompte tels que « comment », « quand », « où » et « par qui » a été fait ce diagnostic.

12Ceci pose la question de la traçabilité des diagnostics et de la véracité des informations associées ; notamment celle d’anciennes pièces pathologiques conservées dans des structures muséales non spécifiquement dédiés à l’anatomie pathologique ou à l’histoire de la médecine⁹.

Fig. 2

Fig. 3

Traçabilité de l’information et du diagnostic

13Un total de 22 pièces est associé à un diagnostic de syphilis initial car établi à l’origine, lors de l’inscription au registre d’inventaire (figure 4).

Fig. 4 

14La mention de la maladie figure directement sur la pièce et/ou l’étiquette et/ou dans le registre. Toutefois, cela ne veut pas forcément dire que ce sont des observations diagnostiques contemporaines de la pièce.

15Deux pièces labélisées comme « syphilitiques » issues de l’ancien fonds d’anatomie comparée en sont la parfaite illustration. Il s’agit de deux tibias de la collection Daubenton qui ont été décrits en 1749 dans Histoire naturelle, générale et particulière, avec la description du cabinet du Roy de Buffon, en tant qu’« exostose sur un tibia de la jambe droite ». Le transfert de cette collection de l’anatomie comparée en anthropologie a été enregistré en 1884 (figure 5). Mais leur numéro d’inventaire dans les collections d’anthropologie n’a été attribué qu’à la fin des années 1960 et c’est à cette occasion que le diagnostic de syphilis a probablement été effectué.

Fig. 5

16Celui-ci est parfois également reporté directement sur certaines pièces. Ces diagnostics effectués (ou pour le moins suspectés) dès l’inscription au registre sont particulièrement importants dans le cas de pièces du squelette appendiculaire dont les lésions sont parfois plus difficiles à interpréter.

17Dans le même cadre de diagnostic effectué initialement, nous pouvons ajouter deux crânes issus de la collection Broca (un provenant de la Société d’anthropologie de Paris et l’autre de l’École d’anthropologie) qui ont été décrits dans les bulletins et mémoires de la Société d’anthropologie de Paris comme potentiellement syphilitiques¹⁰.

18Même si la maladie semble être une entité profondément ancrée dans la vie quotidienne au xix^e et au début du xx^e siècle, la manière dont ont été effectués ces diagnostics originaux demeure inconnue. Sont-ils effectués lors d’une autopsie ou proviennent-ils d’une sélection préalable ? Auquel cas les lésions ont pu être évaluées directement. De même les diagnostics également peuvent être en lien avec un suivi hospitalier, ou encore celui d’un asile ou d’une institution charitable. Dans ce cas la maladie était reconnue chez le souffrant. Les archives sont peu fournies et d’ailleurs nous n’avons qu’un seul cas enregistré en tant que « mort de syphilis ». Enfin ces diagnostics établis à l’origine ont pu être aussi réalisés directement sur les fragments osseux, donc à posteriori sur os secs, comme par exemple sur les pièces issues de fouilles. Au cours de nos recherches, 7 pièces osseuses sont mentionnées (via un diagnostic direct mais ancien) comme « syphilitiques » et sont censées être datées de la période « néolithique » ! En conséquence de quoi, deux possibilités existent : soit il s’agit de pièces appartenant effectivement à cette période avec un diagnostic erroné, soit ce sont des pièces véritablement syphilitiques mais dont la datation a été mal évaluée lors de leur enregistrement dans le catalogue. Il existe d’ailleurs dans la littérature décrivant certaines pièces conservées au musée de l’Homme des minutes de la Société d’anthropologie de Paris qui relatent des débats houleux autour de la présence d’une syphilis préhistorique¹¹. Plus récemment des paléopathologistes ont régulièrement souligné le besoin de révision et de réactualisation des données anthropologiques de divers sites néolithiques. Concernant certains ensembles néolithiques, Pierre Thillaud souligne même plus radicalement « l’absolue nécessité de ne point tenir compte pour définitive la diagnose pathologique des périodes antérieures des périodes antérieures avant 1970¹² ».

19Enfin, pour les 38 autres cas, le diagnostic a été effectué bien après l’intégration de la pièce dans les inventaires et inscrit à postériori. 10 pièces portaient seulement une mention, directement sur la pièce ou le catalogue original, soit relative à l’état général (« pathologique » ou « PATH ») soit concentrée sur la lésion (« nécrose »). Pour les 28 autres, leur description initiale ne comprenait aucune évocation d’une pathologie quelconque. De plus, l’origine de l’information n’est pas toujours renseignée. En effet, pour seulement 12 de ces 38 pièces diagnostiquées « syphilitiques » à postériori, l’information a été communiquée en interne après consultation des collections par des chercheurs. De la même manière, le diagnostic a été révisé et orienté vers un autre cadre nosologique pour 11 pièces sur les 62 pièces désignées comme syphilitiques au cours de ce travail. Pour les autres, le chercheur ayant procédé à ces observations diagnostiques enregistrées demeure inconnu. L’absence de cette information peut donc entraîner une réserve sur la fiabilité des diagnostics.

Conclusion

20La présence de la syphilis vénérienne mais aussi des autres tréponématoses dans les collections reste à renseigner davantage. En effet, la présence de la maladie est quasiment anecdotique au sein de la collection pathologique (environ 50 pièces sur un total de 2 000, soit 2,5 %). Il conviendra donc de couvrir davantage le champ pathologique par l’intermédiaire de nouvelles requêtes de recherche dans les registres. Notamment celle se référant aux autres tréponématoses endémiques et à leur lésion tels que « bejel », « pian », « goundou », « pinta », « carate » ou gangosa ».

21Des opérations de « réévaluation diagnostique » pourraient être envisagée. Par ailleurs chaque consultation des pièces par des spécialistes participerait à ce renouvellement du diagnostic. Reste qu’il est toujours difficile d’étayer un diagnostic sur la base exclusive du crâne ou d’une pièce isolée, mais après examen des lésions d’autres hypothèses sont envisageables. Ainsi d’autres pièces potentiellement syphilitiques apparaîtront dans les collections tandis que pour d’autres le diagnostic sera réorienté. Par ailleurs, cette enquête « paléopathologique » au sein des catalogues montre aussi l’intérêt des données « secondaires » dans les bases de données qui permettent de trier ou d’exclure les pièces et par conséquent d’optimiser les demandes de consultations des crânes de la collection.