Anatomopathologie de la syphilis acquise
p. 26-32
Résumés
La syphilis est une maladie infectieuse sexuellement transmissible actuellement en forte recrudescence. Trois formes neuropathologiques sont décrites : la forme méningo-vasculaire, la forme parenchymateuse et la forme mixte. Ce travail est une illustration des cas que l’anatomopathologiste est amené à observer. Quelques signes histologiques, même s’ils ne sont pas spécifiques, permettent en effet d’évoquer le diagnostic sur la coloration standard (hématéine éosine safran). Il est important de souligner le grand polymorphisme de ces lésions, variant selon le stade évolutif et/ou la forme clinique. Ces stades évolutifs sont illustrés à partir de quatre cas d’origine multicentrique (Marseille, Toulon, Paris). Le diagnostic de certitude est obtenu grâce aux techniques complémentaires. La coloration spéciale du Warthin Starry est utilisée en routine en cas de suspicion diagnostique de syphilis. Elle est peu coûteuse mais parfois peut être à l’origine de faux négatifs. L’immunomarquage anti-Treponema pallidium présente une plus grande spécificité dans les cas de syphilis primaire et secondaire mais est coûteuse.
The incidence of syphilis – a sexually transmitted infectious disease – has highly increased lately. Three neuropathological forms have been observed: the meningo-vascular form, the parenchymal form and the mixed form. This work is the result of the cases that a pathologist may identify. Some histological signs, even if they are not specific, certainly leads to the recognition of the diagnosis relating to the standard staining (hematin eosin saffron). It is important to underline the large polymorphism of these lesions, which may depend on the evolutionary stage and/or the clinical form. These evolutionary stages are provided through four cases of multicentric origin (Marseille, Toulon and Paris) and a reliable diagnosis is established through complementary techniques. Although the special staining of Warthin Starry – routinely used in cases of suspected syphilis – is rather inexpensive, it may sometimes result in a false negative, while anti-Treponema pallidium immunostaining has greater specificity in primary and secondary syphilis but is quite expensive.
Texte intégral
Introduction
1La syphilis est une maladie infectieuse sexuellement transmissible actuellement en forte recrudescence : en 2014, plus de mille cas de syphilis ont été déclarés à l’institut de veille sanitaire1, cas essentiellement masculins. Le diagnostic de syphilis, en France, est réalisé dans 25 % des cas au stade primaire, 37 % des cas au stade secondaire et 38 % des cas au stade de latentes précoces2. La syphilis est connue pour être en clinique « une grande simulatrice3 ». Le diagnostic est dans la grande majorité des cas fait par la clinique et les sérologies. Le tréponème ne se cultivant pas in vitro, le diagnostic de syphilis ne peut se faire que par la mise en évidence du tréponème lui-même au microscope (à fond noir ou optique) ou indirectement par la mise en évidence de la réponse spécifique anticorps TPHA-VDRL pour Treponema pallidum Hemagglutinations Assay-Venereal Disease Research Laboratory4. Il n’est pas rare que le diagnostic soit évoqué sur la biopsie cutanée, car la présentation clinique est souvent trompeuse5.
2L’atteinte du système nerveux central peut se produire des années ou des décennies après l’infection primaire6. L’épidémiologie de la neurosyphilis n’est pas bien définie en raison de la rareté des données démographiques. Trois formes neuropathologiques sont décrites : la forme méningo-vasculaire, la forme parenchymateuse et la forme mixte7.
3L’objectif de ce travail est d’illustrer les différents stades évolutifs anatomopathologiques de la syphilis au travers de quatre cas.
Matériels et méthodes
4Il s’agit d’une étude descriptive regroupant trois laboratoires d’anatomie et cytologie pathologique au sein du centre hospitalo-universitaire de la Timone, de l’hôpital d’Instruction des Armées Sainte-Anne et de l’institut Pasteur.
5L’anatomopathologie est la discipline médicale qui permet la reconnaissance des anomalies des cellules et des tissus d’un organisme, appelées lésions, pour effectuer le diagnostic des maladies, porter un pronostic et, plus généralement, en comprendre les causes et les mécanismes. Elle s’appuie sur un examen macroscopique (à l’œil nu) et sur un examen microscopique optique, avec étude sur coloration standard à l’hématéine éosine safran, auxquels s’ajoutent d’autres examens complémentaires associant des colorations spéciales, l’immunohistochimie, l’hybridation in situ, etc.
6La biopsie est le prélèvement d’un fragment de tissu effectué sur un être vivant. Il peut être réalisé au bistouri, à l’aiguille, à la griffe ou à l’emporte-pièce (punch). C’est dans ce contexte que les cas de syphilis primaire et secondaire ont été réalisés sur des biopsies cutanées fixées au formaldéhyde.
7Une autopsie est l’examen anatomo-pathologique d’un cadavre. L’autopsie scientifique (ou médico-scientifique), demandée par des médecins ou par la famille du patient décédé, vise à reconnaître la ou les causes de la mort, à étudier les effets des traitements, à effectuer des recherches scientifiques, ou à répondre à l’ensemble de ces trois buts. C’est dans ces contextes que les cas de syphilis tertiaire ont été diagnostiqués.
Résultats
Cas de syphilis primaire
8Il s’agissait d’un homme de 24 ans, tabagique, sans autre antécédent, présentant une lésion de la lèvre (figure 1). Il n’avait pas de fièvre ni d’altération de l’état général.
Cas de syphilis secondaire
9Il s’agissait d’un homme de 65 ans, sans antécédent notable, présentant une éruption cutanée érythémateuse avec notamment une atteinte palmaire (figure 4). Il ne présentait pas de fièvre mais une altération de l’état général. Une suspicion de lymphome cutané a été évoquée et une biopsie cutanée a été réalisée afin de typer la lésion.
10L’examen microscopique a montré un infiltrat plasmocytaire dermique d’intensité modérée (figure 5). La coloration du Warthin Starry était en revanche négative. Le diagnostic de syphilis secondaire a été confirmé par la positivité de l’immunomarquage anti-tréponème (figure 6).
Cas de syphilis tertiaire
11Il s’agissait de deux patients présentant une neurosyphilis connue et ayant accepté la réalisation d’une autopsie scientifique à leur mort.
12Le second cas présentait une artérite de Heubner. Il s’agit d’une inflammation des artères du polygone de Willis avec des images d’endartérite oblitérante secondaire à une méningite basale chronique plasmocytaire (figure 8).
Discussion
13Il existe des caractéristiques histologiques communes aux trois formes8, à savoir un infiltrat inflammatoire dense plasmocytaire périvasculaire ou diffus souvent associé à une endartérite proliférante (turgescence endothéliale, prolifération endothéliale et fibrose intimale).
14Des caractéristiques microscopiques communes ont également été décrites pour les formes de syphilis primaire et secondaire avec notamment la présence de granulomes non caséeux, une vacuolisation de la membrane basale, une acanthose, une spongiose et une exocytose lymphocytaire intra‑épidermique.
15En revanche on note la présence de certaines particularités entre ces deux stades :
- pour la syphilis primaire, la présence d’une ulcération du revêtement de surface et, pour les ganglions de drainage, un aspect souvent hyperplasiques avec une fibrose capsulaire et péricapsulaire, une hyperplasie folliculaire, une plasmocytose et une endartérite ;
- pour la syphilis secondaire, l’infiltrat plasmocytaire est souvent moins dense et plus trompeur.
16La syphilis tertiaire peut atteindre tous les organes. On distingue essentiellement deux mécanismes physiopathologiques, avec :
- des lésions d’endartérite oblitérante au niveau de la micro-circulation entraînant des lésions ischémiques d’amont (ex : aortite syphilitique, ischémie myocardique, artérite de Heubner, etc.) ;
- une gomme syphilitique, masse pseudo-tumorale, isolée ou multiple de taille variable pouvant atteindre tous les organes, riche en plasmocytes.
17Le diagnostic de certitude est obtenu grâce aux techniques complémentaires. La coloration spéciale du Warthin Starry est utilisée en routine en cas de suspicion diagnostique de syphilis. Elle est peu coûteuse mais parfois peut être à l’origine de faux négatifs9. La coloration de Warthin Starry est une coloration basée sur le nitrate d’argent utilisée pour la visualisation des bactéries non mises en évidence par la coloration Gram et qui ont la capacité d’absorber l’argent (argyrophiles), comme les spirochètes (Leptospira, Borrelia, Treponema) mais également pour la détection de bacilles (Bartonella henselae, Campylobacter, Legionnella)10. L’immunomarquage anti-Treponema pallidium présente une plus grande spécificité dans les cas de syphilis primaire et secondaire mais est également plus coûteuse.
Conclusion
18Quelques signes histologiques, même s’ils ne sont pas spécifiques, permettent d’évoquer le diagnostic sur la coloration standard (hématéine éosine safran). Il est important de souligner qu’il existe un grand polymorphisme de ces lésions, variant selon le stade évolutif et/ou la forme clinique. Le diagnostic de certitude en microscopie sera porté grâce aux examens complémentaires par une coloration spéciale au Warthin Starry ou un immunomarquage anti-tréponème qui permettent alors de redresser le diagnostic. D’autant plus qu’un diagnostic rapide est important, car ce sont des lésions très contagieuses et guérissant grâce à un traitement antibiotique adapté précoce.
Notes de bas de page
1 N. Ndeikoundam Ngangro et al., « Bacterial sexually transmitted infections in France: recent trends and characteristics in 2015 », Bulletin épidemiologique hebdomadaire, n° 2 (41‑42), 2016, p. 738-744.
2 Ibid.
3 H. Naoufal et M. Boui, « Secondary syphilis: the great pretender », Pan African Medical Journal, n° 15, 2013, p. 52.
4 « Item 95 – Maladies sexuellement transmissibles : syphilis primaire et secondaire », Annales de dermatologie et de vénéréologie, n° 139-11S, 2012, p. 62-68, (https://www.em-consulte.com/article/769268), consulté le 29 janvier 2019).
5 V. Vasiliu et al., « Histological features of cutaneous secondary syphilitic lesions: a report of two cases », Annales de pathologie, no 24 (2), 2004, p. 192-207.
6 S. Ahsan, J. Burrascano, « Neurosyphilis: An Unresolved Case of Meningitis », Case Reports in Infectious Disease, 2015, p. 634259.
7 F. Gray et al., Escourolle and Poirier’s Manual of Basic Neuropathology, Oxford, Oxford University Press, 2013.
8 G. Martín-Ezquerra et al., « Treponema pallidum distribution patterns in mucocutaneous lesions of primary and secondary syphilis: an immunohistochemical and ultrastructural study », Human Pathology, no 40 (5), 2009, p. 624-630.
9 MP. Hoang et al., « Secondary syphilis: a histologic and immunohistochemical evaluation », Journal of Cutaneous Pathology, n° 31 (9), 2004, p. 595-599 ; H. Müller, K. Eisendle, W. Bräuninger, H. Kutzner, L. Cerroni et B. Zelger, « Comparative analysis of immunohistochemistry, polymerase chain reaction and focus-floating microscopy for the detection of Treponema pallidum in mucocutaneous lesions of primary, secondary and tertiary syphilis », The British Journal of Dermatology, n° 165 (1), 2011, p. 50-60.
10 H. Müller et al., art. cit.
Auteurs
Service de médecine légale, AP-HM, CHU Timone, Aix Marseille Université, Marseille ; UMR 7268 ADES Anthropologie bio-culturelle, droit, éthique et santé, Aix Marseille Université / CNRS / EFS - Marseille, France
Département d’anatomie et cytologie pathologiques, Hôpital Militaire de Sainte-Anne, Toulon, France
Service de dermatologie, CHU Nord, APHM, Aix Marseille Université, Marseille, France
Institut Pasteur, AP-HP, Paris, France
Département d’anatomie et cytologie pathologiques, CHU Nord, Aix Marseille Université, Marseille, France
Département d’anatomie et cytologie pathologiques, CHU Timone, APHM, Aix Marseille Université, Marseille, France
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