Introduction
p. 5-8
Résumés
Avec près de 1749 cas en 2016 en France, la syphilis fait à nouveau parler d’elle. La situation sanitaire actuelle n’est cependant en rien comparable à celle du milieu du xixe siècle ni même à celle de 1922, lorsque, comme le rapporte Virginie De Luca, « la commission de prophylaxie des maladies vénériennes estim[ait] son coût à 140 000 vies » (mortinatalité, avortements pathologiques, décès d’enfants ou d’adultes) et évaluait à 1 adulte sur 10 la prévalence de la maladie. Pourtant, aujourd’hui comme hier, le défi proposé par le « mal de Naples » à la société et à ses médecins demeure. Par sa nature même la syphilis effraye et fascine. Maladie honteuse contractée dans l’intimité de l’alcôve, elle interpelle notre civilisation notamment sur ses mœurs, sur sa capacité d’innovation médicale et thérapeutique, sur sa capacité à mettre en œuvre une politique de santé publique ou à assumer une police sanitaire efficiente. Ces interrogations sont anciennes. Venue du fond des âges, plus que toute autre maladie contagieuse peut-être, la syphilis (associée aux autres pathologies vénériennes) incarne les tensions d’un monde qui se connecte à partir du xvie siècleavec une phase d’accélération au xixe siècle. L’idée centrale de ce volume est de proposer une convergence des réflexions entre historiens, anthropologues et médecins en concentrant notre attention sur le « choc » de la rencontre entre le tréponème pâle et les sociétés frappées.
With almost 1749 cases diagnosed in France in 2016, syphilis has not disappeared yet. Still, the current sanitary conditions are not comparable at all with those of the mid-19th century, and not even to those of 1922 when, as reported by Virginie De Luca, “the commission on prevention of venereal diseases estimated they cost 140.000 lives” (stillbirths, abortions due to pathologies, infant or adult deaths) and caused a ratio of 1 sick adult out of 10. And yet, the “scourge of Naples” is still challenging society and medicine. The very nature of syphilis both frightens and fascinates. A shameful disease contracted in the intimacy of the bedroom, it has been questioning our societies for many centuries now, notably their morals, their capacity to medically and therapeutically innovate, as well as their arrangements for the enforcement of a public health policy or their will to assume an efficient healthcare policy. Although those questions are not recent, they remain deeply rooted in our relationship to the disease and to the bodies, which can be severely bruised in the third stage of its evolution. Coming from ancient times, syphilis (along with other venereal diseases), maybe more than any other contagious disease, embodies the tensions of a world that started globalising from the 16th century on, with a pace quickening in the 19th century. The main topic of this volume is to propose a convergence between thoughts emanating from historians, anthropologists and doctors with a focus on the “shock” caused by the encounter of the pale Treponema with societies.
Texte intégral
1Avec près de 1 749 cas diagnostiqués en 2016 en France, la syphilis n’a pas cessé de faire parler d’elle1. En constante progression après des décennies de sommeil – faisant suite à la généralisation du traitement par antibiothérapie – le tréponème pâle ressort de sa boîte et profite du relâchement observé dans les pratiques de prévention des MST/IST. À l’échelle locale, la maladie peut même prendre un caractère épidémique (comme à Brive-la-Gaillarde où 44 cas ont été diagnostiqués pour la seule année 2015). La situation sanitaire actuelle n’est cependant en rien comparable à celle du milieu du xixe siècle, ni à celle de 1922 lorsque, comme le rapporte Virginie De Luca, « la commission de prophylaxie des maladies vénériennes estim[ait] son coût à 140 000 vies » (mortinatalité, avortements pathologiques, décès d’enfants ou d’adultes) et à un adulte sur dix la prévalence de la maladie. Cependant le défi proposé par le « mal de Naples » à la société et à ses médecins demeure. Par sa nature même la syphilis effraye et fascine. Maladie honteuse contractée dans l’intimité de l’alcôve, elle interpelle les sociétés depuis maintenant plusieurs siècles, notamment sur leurs mœurs, sur leur capacité d’innovation médicale et thérapeutique, tout autant que sur leurs dispositions à mettre en œuvre une politique de santé publique ou à assumer une police sanitaire efficiente. Si ces interrogations sont anciennes, elles demeurent fortement ancrées dans notre rapport à la maladie et aux représentations de ces corps puissamment meurtris au stade tertiaire de son évolution.
2Venue du fond des âges, plus que toute autre maladie contagieuse peut-être, la syphilis (associée aux autres pathologies vénériennes) incarne les tensions d’un monde qui se « mondialise » à partir du xvie siècle avec une phase d’accélération au xixe siècle. Si l’on suit Alain Corbin dans la description qu’il donne de « l’image composite du péril vénérien, spectre inédit, dont les traits originaux […] ne s’effaceront pas avant les années médianes du xxe siècle », alors s’impose à notre étude une épidémie lente dont Peter Baldwin saisit la dynamique entre « prostitution et promiscuité » et met en lumière les « velléités de régulation » qui tentent de se superposer aux dynamiques de circulations. Sous la tutelle de ces deux références d’historiens, l’idée centrale de cette publication est de proposer une convergence des réflexions entre historiens, anthropologues et médecins en concentrant notre attention sur le « choc » de la rencontre entre le tréponème pâle et les sociétés concernées.
3Le choix épistémologique du colloque dont sont issus ces actes est de proposer des regards et des approches croisés. Des analyses conjointes d’archives historiques et biologiques montrent le besoin de modèles de diffusion et d’expression de la syphilis à la dimension d’une ville comme à plus petite échelle. Les trop rares référentiels paléopathologiques et archéothanatologiques des périodes modernes et contemporaines, notamment pour les rivages méditerranéens, ne permettent ni d’appréhender ni d’étayer le contexte sociologique et anthropologique entourant les malades et les morts de la « petite vérole ». Il semble que le débat paléopathologique et historique des origines de la syphilis est resté, durablement et logiquement, une interrogation centrale. Bien au-delà et en deçà de la question de son origine, les contributions proposent des lectures extensives du rapport entre syphilis et sociétés. Elles s’inscrivent à l’intersection de disciplines diverses (médecine, épidémiologie et santé publique, histoire, géographie, anthropologie funéraire et sociale, sociologie, droit, éthique) autour d’un même objet de recherche.
4Ces actes s’ouvrent par des communications concernant les enjeux médicaux très contemporains (partie 1). Puis vient le moment des mises en perspective diachroniques et des représentations sociales et culturelles de la maladie (partie 2). Ensuite la grande simulatrice est étudiée à partir des archives du sol, qui rendent compte de l’état sanitaire des populations du passé (partie 3). Ces travaux sont complétés par différentes approches historiennes et muséographiques. Ces interventions sont axées sur des problématiques liées au diagnostic, à l’épidémiologie de la syphilis, aux modalités de prévention et à la mise en œuvre de politiques de santé publique, ou encore sur les solutions thérapeutiques disponibles (partie 4). Dans un dernier temps, dépassant les contextes paléopathologiques, archéothanatologiques et historiques, il s’agit de voir en quoi la syphilis met finalement à l’épreuve, au-delà des malades et des soignants, la dignité humaine et la responsabilité médicale (partie 5).
5Les éditeurs du présent volume souhaitent remercier pour leur soutien la faculté de Médecine d’Aix Marseille Université et l’UMR ADES 7268 ainsi que l’Institut politique d’Aix-en-Provence. Le colloque dont le présent ouvrage est l'achèvement a par ailleurs bénéficié du soutien du professeur Liat Kozma de l’université Hébraïque de Jérusalem, principale investigatrice du projet MID EAST MED A Regional History of Medicine in the Middle East et lauréate de l’European Research Council. Nous tenons également à remercier Olivier Sasso pour sa contribution à la traduction et à la relecture des abstracts en anglais ainsi que Stéphanie Croizard pour la relecture et la correction du manuscrit.
Notes de bas de page
1 N. Ndeikoundam Ngangro et al., « Bacterial sexually transmitted infections in France: recent trends and patients’ characteristics in 2016 », Eurosurveillance, n° 24 (5), 2019 (https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.2807/1560-7917.ES.2019.24.5.1800038).
Auteurs
UMR 7064 Mesopolhis – Sciences Po Aix – Aix Marseille Université, Aix-en-Provence, France
UMR 7268 ADES Anthropologie bio-culturelle, droit, éthique et santé - Aix Marseille Université / CNRS / EFS - Marseille, France
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