Pratiques et espaces funéraires en Corse durant l’Antiquité tardive
L’exemple du site de Sant’Appianu de Sagone (Vico, Corse-du-sud)
p. 369-380
Résumés
Depuis une quinzaine d’années, les travaux archéologiques menés sur le site de Sant’Appianu de Sagone (Vico, Corse-du-Sud) ont permis la mise au jour d’une agglomération littorale de la fin de l’Antiquité, au sein de laquelle se développe au ve s. un établissement religieux, élevé au rang de siège épiscopal au vie siècle. Des zones funéraires, utilisées entre les ive et vie siècles, sont associées à ces établissements. Leur continuité d’occupation durant l’Antiquité tardive permet ainsi de documenter les pratiques funéraires et les transformations opérées au cours cette période dans l’organisation des ensembles funéraires.
Over the last 15 years, archaeological work on the site of Sant'Appianu de Sagone (Vico, Corse-du-Sud) has revealed a coastal settlement from Late Antiquity, where a religious establishment developed in the 5th century, being elevated to the rank of bishopric in the 6th century. Funerary zones, used between the 4th and 6th centuries, are found at these settlements. The continuity of use of these zones during Late Antiquity makes it possible to document funerary practices and the transformations that took place during this period in the organization of burial complexes.
Entrées d’index
Mots-clés : Corse, Antiquité tardive, agglomération littorale, nécropole, pratiques funéraires, christianisation
Keywords : Corsica, Late Antiquity, coastal settlement, necropolises, funerary practices, Christianization
Texte intégral
Introduction
1Les connaissances sur les sociétés tardo-antiques de Corse et leurs pratiques funéraires ont pendant longtemps été anecdotiques et abordées de manière annexe à l’étude des édifices de culte, globalisées dans la recherche des cadres de la christianisation de l’île. Cette période commence désormais à être mieux documentée grâce à la multiplication des opérations de fouilles à la fois en contexte d’archéologie programmée et préventive. C’est notamment le cas du site de Sagone (Vico, Corse-du-Sud), sur le littoral sud-ouest de l’île, où l’importance de l’activité archéologique depuis une quinzaine d’années permet aujourd’hui de mieux appréhender l’histoire et l’évolution de cet établissement littoral. Les structures funéraires, utilisées entre le ive et le vie siècle, constituent l’un des plus riches corpus pour cette période en Corse. En outre, les occupations associées à ces nécropoles sont bien caractérisées, et permettent donc de percevoir l’articulation des différents espaces entre les vivants et les morts.
2C’est pourquoi dans le cadre de ce colloque, nous proposons d’aborder le cas de la Corse à travers l’exemple des zones funéraires tardo-antiques du site de Sagone. Ce riche dossier offre, en effet, l’opportunité d’appréhender l’évolution des pratiques funéraires et les dynamiques populationnelles au cours de cette période marquée par des transformations profondes.
1. L’établissement littoral de Sagone
3Le site antique et médiéval de Sant’Appianu de Sagone est situé sur la côte sud-ouest de la Corse, à 30 km au nord d’Ajaccio, au débouché de la vallée encaissée du fleuve Sagone (fig. 1). L’établissement occupe les pentes de deux légers reliefs d’où il domine une plaine littorale d’environ 2 km², partiellement occupée durant l’Antiquité par une lagune. À une cinquantaine de mètres au pied des bâtiments antiques, cette étendue d’eau saumâtre communiquait avec la mer par une passe qui coupait un long cordon dunaire et ouvrait sur une grande baie, apte à abriter des navires à fort tirant d’eau1 (fig. 1).
4L’occupation antique se développe à la fois sur la colline nord et sur le versant nord-oriental du relief opposé, au sud2. Les deux secteurs, distants de quelques dizaines de mètres, sont séparés par un petit cours d’eau intermittent (fig. 2).
5Cet établissement a fait l’objet de nombreux travaux archéologiques depuis les années 19603, mais c’est surtout au cours de la dernière décennie que la connaissance du site a progressé de manière déterminante, principalement grâce à un programme de recherches programmées4 ainsi qu’à une fouille préventive5.
6En l’état actuel des connaissances, la première occupation clairement attestée se développe durant la seconde moitié du iie et le iiie s. ap. J.-C.6. La charnière des iiie et ive siècles marque ensuite une intensification très significative de l’occupation du site (Duperron, Istria 2022). Au nord, un édifice construit au mortier de chaux présente un plan presque carré d’environ 595 m² avec probablement une galerie à portique en façade. Il est caractérisé par une forte axialité organisée autour d’une cour centrale distribuant une série de pièces sur les deux côtés opposés, ainsi qu’une salle de plus grandes dimensions qui se distingue également par un décor de marbre et d’enduit peint, permettant de l’interpréter comme un espace de réception d’un certain luxe.
7La partie sud de l’établissement, localisée à proximité immédiate du littoral, est quand-à-elle occupée, sur au moins 2000 m², par des bâtiments disposés de manière très dense, laissant ainsi peu de place aux espaces de circulation extérieurs7. On peut proposer une fonction domestique pour la plupart de ces pièces, grâce aux objets abandonnés sur les sols lors de leur destruction. Seul l’un des bâtiments, situé à l’extrémité nord de ce secteur, se distingue par des dimensions nettement plus importantes et des aménagements internes qui permettent de l'identifier comme une installation de production viticole. Enfin, il convient de souligner la découverte dans cette partie de l’agglomération de plusieurs autres objets étroitement liés aux transactions commerciales ainsi que l’abondance des monnaies, tandis que les céramiques attestent la parfaite intégration de l’établissement dans les grands réseaux d’échanges. Certains espaces – en particulier ceux situés au plus près du littoral – étaient donc vraisemblablement dévolus aux activités commerciales (bureaux ? boutiques ? entrepôts ?). De fait, l’analyse des données matérielles indique que le commerce est nettement prépondérant parmi les activités économiques documentées par la fouille (Duperron, Istria 2022).
8En contrebas de ces bâtiments, le rivage de la lagune semble avoir été également aménagé, comme le suggère la présence dans ce secteur d’un édifice thermal, malheureusement très mal connu. En prenant en compte cette zone non fouillée située en bordure de la lagune antique, l’emprise totale des espaces bâtis au ive s. pourrait approcher un hectare.
9L’élément le plus marquant de cette agglomération tardo-antique est sa position à proximité du rivage et son association avec un abri naturel. Les données issues des fouilles récentes montrent clairement que les travaux de grande ampleur réalisés vers 300 ap. J.-C. confèrent alors au site la forme d’un habitat groupé. Celui-ci présente un certain nombre de spécificités qui l’éloignent d’un modèle proprement urbain8 ainsi qu’un caractère nettement bipolaire, les secteurs nord et sud différant très significativement malgré leur proximité et leur contemporanéité. Le premier est occupé par un édifice d’un certain standing, à la fois isolé et bien exposé, interprété comme une structure destinée à accueillir des voyageurs9. Le quartier méridional, au contraire, est constitué de nombreux bâtiments indépendants, de petites dimensions et d’aspect nettement plus « rustique ». Ils semblent correspondre d’une part à des logements, probablement pour une population de condition assez modeste, et d’autre part des espaces dévolus aux activités économiques et, en particulier, aux échanges commerciaux. Sagone serait donc, entre les années 300 et les premières décennies du ve siècle, une agglomération portuaire comportant un lieu d’accueil et de service, des espaces dédiés aux transactions commerciales, et des lieux de vie pour le personnel nécessaire au fonctionnement de l’établissement10.
10Au cours du deuxième quart du ve s., l’ensemble du quartier méridional est détruit par un incendie. À la suite de cette destruction violente, cette partie du site n’est pas réinvestie11. En revanche, l’occupation se poursuit dans la partie nord du site, où une basilique chrétienne12 est érigée durant la première moitié du ve s., vraisemblablement vers 410-430 (Istria 2021). Elle sera par la suite élevée au rang de cathédrale dans le courant du vie siècle13. L’établissement se transforme ainsi progressivement, à partir du ve s., en un centre religieux.
11Cette petite agglomération des ive et ve s. est naturellement dotée de sa nécropole. Celle-ci s’étend sur près de 1,5 ha à l’ouest du site, sur les deux versants et en bordure immédiate des secteurs bâtis (fig. 2).
2. La nécropole : organisation et évolution du paysage
12Dans le cadre de la fouille programmée de 2008-2017 et de la fouille préventive de 2016, 59 tombes datées entre le iiie et le vie siècle ont été fouillées. À ces dernières, s’ajoutent les 36 sépultures identifiées lors d’une opération de sauvetage urgent en 199914, soit un total de 95 structures funéraires de la période tardo-antique connues à ce jour sur l’ensemble du site de Sant’Appianu de Sagone15. Cependant, l’extension maximale des zones funéraires n’a pas été atteinte.
13La zone funéraire d’A Sulana est située au sud-ouest du site et s’étend sur une vaste surface d’environ 7000 m2. Lors de l’opération de fouille préventive en 2016, elle a été explorée sur une emprise de 650 m2, correspondant à la partie orientale de la nécropole, identifiée en 1999. Elle se développe en périphérie immédiate de l’agglomération littorale, située à quelques dizaines de mètres en contrebas. L’utilisation de cette nécropole pourrait avoir débuté dès le iiie s., mais elle concerne principalement les ive et ve s. Aucun indice n’indique une poursuite de l’activité funéraire après le ve siècle16.
14Un ensemble de 38 sépultures a été mis au jour, réparti sur deux secteurs, séparés par une dizaine de mètres totalement dépourvus de structures, et distincts tant par leur position topographique que par l’orientation des tombes à l’intérieur de chacun d’entre eux (fig. 3). Les sépultures sont toutes installées dans le substrat granitique et apparaissent à une faible profondeur par rapport au sol actuel, en raison d’une forte érosion naturelle. L’état de conservation des structures est globalement bon avec, cependant, un arasement important de leur partie supérieure. Les tombes s’organisent de manière lâche, sans schéma directeur, si ce n’est en fonction de la topographie naturelle. Dans les deux secteurs, les structures sont assez proches les unes des autres, mais très peu de recoupements et de superpositions ont été observés, ce qui suggère un marquage des tombes en surface et une gestion rigoureuse de l’espace funéraire17. Le secteur sud, situé sur un replat, regroupe 17 sépultures, orientées majoritairement nord/sud18. Le secteur nord, situé sur le versant en limite orientale de la parcelle, est composé de 21 sépultures, organisées perpendiculairement par rapport à l’axe de la pente, avec une orientation parallèle aux courbes de niveau, selon un axe ouest/est19 (fig. 3). La différence d’orientation des structures entre les deux secteurs s’explique en premier lieu par la topographie naturelle. Elle pourrait également témoigner d’une évolution chronologique, avec une orientation sud/nord plus ancienne, comme cela a été mis en évidence en Gaule méridionale (Raynaud 2006 : 150), mais qui reste difficilement démontrable en l’absence de critères plus déterminants20.
15L’ensemble funéraire situé sur le versant nord – Sant’Appianu – semble avoir été utilisé sur un laps de temps relativement court, probablement contemporain de l’édification de la basilique et du mausolée, construits durant la première moitié du ve siècle21 (Istria 2021, 2022). Une vingtaine de tombes ont été identifiées (21), formant trois petits groupes distincts (fig. 4). L’étendue maximale n’est pas connue, mais les tombes sont globalement regroupées autour de l’édifice de culte et du mausolée (fig. 5), sans se recouper ou se superposer, témoignant de l’attraction qu’ont exercé ces deux édifices.
16Dans chaque secteur, les tombes sont proches les unes des autres et forment de petits ensembles, de moins de 10 tombes, distants les uns des autres de quelques mètres et répartis de manière assez lâche sur l’ensemble de la zone. Comme pour les tombes du versant sud, les structures sont creusées dans le substrat, ce qui a considérablement impacté la conservation osseuse. L’orientation des structures funéraires respecte celle de l’édifice de culte et du mausolée (nord/ouest-sud/est), mis à part un petit groupe de sept tombes, orienté nord/est-sud/ouest, correspondant toutes à des sépultures de sujets immatures. Aucune contrainte spatiale ne peut expliquer cette divergence dans l’orientation des tombes, ce qui pourrait ainsi signifier leur antériorité, sans que l’on puisse toutefois préciser cette hypothèse par des éléments de datation22. En effet, la chronologie de cette occupation funéraire apparaît très courte, couvrant essentiellement le Ve siècle et une partie du siècle suivant23.
17Ces deux ensembles se succèdent dans le temps, marquant ainsi un déplacement de la nécropole en lien avec les profondes transformations de l’agglomération au cours de la première moitié du ve siècle, avec notamment la construction dans le secteur nord d’un édifice de culte. Pour autant, les deux zones funéraires ont pu continuer d’être utilisées concomitamment, au moins durant un court laps de temps. En effet, un éventuel décalage chronologique entre l’abandon des zones d’habitat et celui de la nécropole reste impossible à mettre en évidence, en raison de la rareté et de l’imprécision de nos éléments de datation. Bien que l’extension maximale des zones funéraires ne soit pas connue, il apparaît que la densité de ces occupations funéraires est assez faible, notamment pour celle circonscrite autour de l’édifice de culte. Dès lors, ces petits noyaux funéraires, dont nous verrons qu’ils ne se distinguent pas ou peu dans les pratiques funéraires, pourraient-ils correspondre à des populations différenciées ?
3. Les pratiques funéraires
18Les pratiques funéraires sont globalement homogènes durant toute la période d’occupation. Les architectures funéraires sont représentées par deux types principaux : les tombes en amphore et les tombes sous tuiles, dont l’utilisation semble coexister (fig. 6). Les tombes en bâtière sont plus profondément installées dans le substrat, tandis que les tombes en amphore affleuraient bien souvent au sol. On retrouve les deux types dans des proportions équivalentes24. Si la plupart des restes osseux ne sont pas conservés, les dimensions des contenants permettent toutefois de restituer des inhumations de sujets adultes et immatures (Corbara 2022). En effet, deux types de configuration dans l’aménagement des tombes en amphores témoignent d’une adaptation des contenants à la taille des sujets. On retrouve le type classique où l’inhumation est pratiquée dans une amphore complète sciée au niveau de l’épaulement (fig. 7a), ainsi que plusieurs contenants formés par un assemblage de deux moitiés d’amphores déposées à même la fosse et emboîtées l’une à l’autre de manière à former un réceptacle de plus grande dimension. La jonction entre les deux panses d’amphores est parfois aménagée, tel que dans le cas de la tombe SP 75 (Sant’Appianu), où une tegula disposée à plat séparait les deux panses (fig. 7b). Les couvertures des contenants sont constituées par des panses d’amphores, également jointives, lesquelles sont parfois intercalées par des cols d’amphore disposés au-dessus (fig. 8).
19Les tombes sous tuiles sont majoritairement représentées par les tombes en bâtières, présentant des dimensions diverses, variant en fonction du gabarit des sujets inhumés. Plus exceptionnellement, on retrouve des coffrages de tuiles, dont les structures se distinguent par un agencement des tuiles de couverture à plat ou par le revêtement des parois avec des éléments architecturaux disposés verticalement ou sur plusieurs assises (fig. 9). Un seul cas de coffre en bois cloué étroit de forme rectangulaire a été mis en évidence, lequel était calé par plusieurs pierres sur les longs côtés et recouvert par une couverture en bâtière (fig. 10). Parfois, la présence d’un dispositif en matière périssable est envisagée, bien souvent par la présence de quelques blocs de calage, mais les éléments restent insuffisants pour l’attester. Les principaux matériaux utilisés sont donc des terres cuites. Ainsi, les amphores témoignent des importations reçues sur l’île à cette période et de leur recyclage en contexte funéraire, tandis que les tuiles ont pu être à la fois aisément récupérées dans les bâtiments alentours, mais certaines ont pu aussi être produites localement pour un usage spécifiquement funéraire, comme en témoignent des timbres présents sur certaines tuiles et que l’on ne retrouve pas sur les tuiles de toitures25. En effet, plusieurs d’entre elles présentent des traces digitées en forme de demi-cercles ou de croix ou encore des estampilles26 (fig. 11).
20Cette typologie des architectures funéraires est identique à celle reconnue dans d’autres ensembles funéraires tardo-antiques en Corse27(Corbara 2022), tels que celui de l’Espace Alban à Ajaccio28., celui de Quattrina à Propriano29, ou plus récemment celui découvert à Ile Rousse30, où l’on retrouve cette quasi-exclusivité des tombes sous tuiles et en amphore. Cependant, elle apparaît nettement moins diversifiée que celle que l’on peut observer dans les nécropoles contemporaines dans d’autres régions du bassin méditerranéen nord-occidental (Blaizot et al. 2009).
21Les modes d’inhumation ont dans très peu de cas pu être appréhendés en raison de la très mauvaise conservation des restes osseux, dissous par l’acidité liée à la proximité du substrat granitique. Les quelques cas conservant des vestiges osseux correspondaient tous à des dépôts individuels, à la fois d’adultes et de sujets immatures. Il reste toutefois impossible d’appréhender de manière plus précise les modes de dépôts ou le recrutement funéraire31.
22Les dépôts d’accompagnement sont très rares, et dans la grande majorité des cas absents, phénomène également observé dans les ensembles funéraires contemporains de l’île. On recense ainsi seulement trois tombes associées à un dépôt de mobilier, correspondant soit à des monnaies (fig. 12a), soit à des éléments de parure (fig. 12b). Aucun reste osseux n’était conservé dans la tombe SP 2009 ; cependant, la nature et les dimensions des éléments de parure mis au jour (un collier court de 56 perles en pâte de verre, un pendentif en alliage cuivreux en forme de phallus, 3 bagues), suggèrent qu’ils étaient associés à l’inhumation d’un enfant32. Par ailleurs, l'une des tombes fouillée lors du diagnostic a livré une paire de boucles d’oreilles en or (Llopis 2016 : 78-79).
23Si à partir du iiie siècle, on observe de manière générale partout en Méditerranée occidentale une raréfaction des dépôts de mobilier dans les tombes, leur absence quasi-totale en Corse reste cependant assez singulière, au regard de ce qui est observé en Gaule du sud, où ils sont encore bien présents jusque vers le milieu du ve s. (Raynaud 2006 : 151).
24Enfin, on retrouve des indices de rites en lien avec la commémoration des défunts aux abords ou dans plusieurs tombes. Ainsi, les cols d’amphores reposant au sommet des couvertures de quatre tombes en amphore ont certainement constitué des dispositifs à libation (fig. 8). Ce type d’aménagement a également été observé sur le site de Quattrina (Propriano ; Chapon et al. 2012 : 153), mais aussi à Tarragone33 et dans le sud de la Gaule à Toulon, où les cols reposaient au sommet d’une bâtière de tuiles (Raynaud 2006 : 145). Un autre type de dispositif a été observé dans la couverture en béton de tuileau d’une tombe, au niveau de l’extrémité ouest, soit exactement à la verticale de la tête du défunt, et était matérialisé par deux fragments d’amphore formant un orifice quadrangulaire d’environ 5,5 cm de côté (fig. 13). Enfin, on retrouve plus rarement des dépôts d’offrandes alimentaires, un seul cas étant attesté34, en association avec deux monnaies (cf. fig. 12a).
Conclusion
25Les connaissances récemment acquises sur l’établissement littoral de Sagone permettent aujourd’hui de le considérer comme l’un des sites tardo-antiques les mieux documentés de l’île. La proximité des zones funéraires mises au jour et leur probable continuité dans le temps permettent d’appréhender la problématique de la transformation des pratiques funéraires durant cette période charnière. En effet, au début du ve siècle, la nature de l’établissement se modifie, avec notamment la construction d’un édifice de culte, marquant ainsi la christianisation du paysage. Pour autant, nous avons vu que ces transformations ne se répercutent pas directement dans les pratiques funéraires qui sont globalement homogènes dans les deux ensembles (typologie, rites, etc.) et s’inscrivent pleinement dans la continuité des traditions antiques, conformément à ce qui est observé dans d’autres nécropoles de Corse et plus largement du monde méditerranéen. On observe toutefois un certain nombre de différences, notamment dans l’organisation et la répartition des sépultures, sans doute en lien avec l’évolution du statut du site au cours de la première moitié du ve siècle. Celui-ci passe alors d’une agglomération à vocation principalement commerciale à un pôle religieux, regroupant une population moins importante que précédemment, mais qui constitue néanmoins un centre de pouvoir majeur à l’échelle régionale, comme en témoignera son élévation au rang de siège d’évêché dans la seconde moitié du vie siècle.
Bibliographie
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10.3406/galia.2006.3293 :Notes de bas de page
1 Ghilardi et al. 2016, p.55-58.
2 D’une altitude moyenne de 10 m, ces terrasses constituent une zone de contact entre la plaine alluviale et le massif granitique du Rizali qui culmine à 345 m d’altitude.
3 Pour l’historique des recherches, voir en dernier lieu Istria 2014 et Duperron, Istria 2022.
4 Ces fouilles se sont déroulées entre 2008 et 2017 sous la direction de D. Istria.
5 Cette opération, prescrite par le Service Régional de l'Archéologie de Corse, a été réalisée en 2016 par une équipe de la société ArkeMine SARL sous la direction de G. Duperron.
6 Les vestiges appartenant à cette première phase sont peu nombreux et leur interprétation demeure incertaine.
7 Ces constructions, dont l’homogénéité architecturale est remarquable, présentent toutes un plan quadrangulaire. Leurs surfaces sont variables mais généralement assez faibles, la majorité des pièces n’occupant qu’une dizaine de m². Elles sont toutes équipées de sols en terre et de toitures constituées de tegulae et d’imbrex. Elles se distinguent de l’édifice du secteur nord par l’absence complète d’utilisation du mortier de chaux et de tout élément de décor. La plupart des espaces semble correspondre à une unité indépendante et rien ne permet d’identifier une hiérarchisation entre les différents bâtiments.
8 On ne décèle ainsi ni trame viaire, ni monuments publics, ni rempart.
9 Cf. Duperron, Istria 2022.
10 On y pratique également des activités productives et artisanales, peut-être secondaires, mais permettant de répondre aux besoins des personnes fréquentant ce lieu : le vin produit sur place était probablement destiné, au moins en partie, à être proposé aux hôtes, tandis que la présence d’une installation métallurgique (forge) pouvait permettre, outre la fabrication et l’entretien des outils dont avait besoin la petite communauté locale, de réaliser des réparations en cas d’avaries sur les navires.
11 Une seule pièce est brièvement réoccupée au cours de la seconde moitié du ve s. De plus, quelques indices extrêmement ténus peuvent témoigner d’une fréquentation, certainement liée à la récupération de matériaux, jusqu’au vie s., mais aucun nouvel aménagement ne prend place à cette époque dans l’emprise étudiée.
12 Cet édifice de culte est constitué d’une nef unique de 7,70 m de largeur et de moins de 20 m de longueur (conservation incomplète), terminée à l’est par une abside de plan semi-circulaire à l’intérieur, de 5 m d’ouverture et 3,20 m de profondeur, et à trois pans à l’extérieur (Istria 2021).
13 Comme l’attestent deux lettres du pape Grégoire le Grand datées de 591, dans lesquelles le toponyme Saone / Sagone apparaît pour la première fois dans notre documentation (Gregorii I papae registrum epistolarum, lib.I, ep.76 et 79, août 591). À ce moment, le chœur de l’édifice de culte est réaménagé, un baptistère et plusieurs salles annexes sont construits à proximité (Istria 2021).
14 Ce sauvetage urgent mené en 1999, lors du creusement d’une tranchée pour le raccordement électrique d’une habitation, à l’ouest de l’emprise appréhendée en 2016, a permis l’observation en coupe dans la tranchée de 12 structures funéraires (en bâtière et amphore). La réalisation d’un relevé topographique a permis d’identifier 24 autres structures sur la parcelle (Marchesi 2000 : 7).
15 Des découvertes récentes ont, par ailleurs, permis d’établir que des tombes ont été installées sur le versant nord avant la transformation de l’établissement en pôle religieux, prolongeant ainsi la zone funéraire implantée sur la butte sud. Il convient donc de s’interroger sur une possible continuité entre les deux ensembles identifiés et donc l’existence d’une seule et même zone funéraire. Ces données étant encore en cours d’étude, elles ne sont pas incluses dans cet article.
16 La rareté des éléments de datation absolus, qui se limitent pour l’essentiel à la typologie des amphores réutilisées à des fins funéraires, empêche cependant toute précision de la chronologie et de l’évolution de l’occupation de cette nécropole.
17 On recense dans chaque secteur un seul cas de superposition ou recoupement des structures : au sud, SP 2002 et SP 2003 et au nord SP 2027 et SP 20263.
18 Quatre tombes sont orientées ouest/est (SP 2003, SP 2008, SP 2016, SP 2017).
19 Seules deux structures présentent une orientation légèrement désaxée, nord-ouest/sud-est (SP 2024) et sud-ouest/ nord-est (SP 2043).
20 Les seuls éléments permettant d’expliciter un probable développement de la nécropole du sud vers le nord, sont, d’une part, la datation de l’amphore constituant la tombe SP 2109, située dans le secteur sud, qui est datée, d’après sa typologie, du iiie siècle, ce qui en fait l’individu le plus ancien de l’ensemble de la zone funéraire. D’autre part, les orientations divergentes de l’unique cas de superposition (SP 2002/ SP 2003) dans la zone sud, indique une orientation nord/sud antérieure à celle ouest/est. Cependant, l’absence d’éléments de datation absolus en raison de la mauvaise conservation des restes osseux ainsi que la rareté du mobilier associé, limitent considérablement la démonstration, d’autant que les pratiques funéraires entre les deux secteurs sont sensiblement homogènes.
21 La construction du mausolée est datée du deuxième tiers du ve siècle (430-460) grâce à une datation radiocarbone d’un charbon contenu dans le mortier de chaux d’un mur, corrélée au mobilier céramique comblant la pièce. De la même manière, la construction de l’église a été datée du premier tiers du ve siècle (Istria 2021, 2022).
22 On notera toutefois que ce groupe de tombe est recouvert par une série de pièces, datées par le mobilier céramique de la deuxième moitié du ve siècle ; elles sont donc antérieures à cette période.
23 La datation des sépultures repose essentiellement sur les relations stratigraphiques qu’elles entretiennent avec les édifices alentours (église et mausolée), tous deux édifiés au cours de la première moitié du ve siècle. En effet, la mauvaise conservation des restes osseux et la rareté du mobilier associé ne permettent pas de mieux préciser la datation des structures funéraires. Seule une datation radiocarbone a pu être réalisée sur une des tombes situées à proximité du mausolée, laquelle a été datée entre les années 420 et 570, avec comme date la plus probable 540, ce qui concorde avec la mise en place du dépotoir dans le mausolée à la fin du vie siècle. Par ailleurs, la typologie des tombes, les amphores, ainsi que les rares monnaies découvertes dans deux sépultures, confortent une datation des tombes aux ve-vie siècles.
24 Sur les 59 tombes fouillées, tous secteurs confondus et sur l’ensemble de la période considérée (fin iiie-vie siècle), on comptabilise 26 tombes en amphore et 31 tombes sous tuiles.
25 Un four (de tuilier ?) a été identifié sur le versant nord, mais non fouillé (Inédit, fouille D. Istria 2012).
26 Des motifs comparables ont été reconnus sur des tuiles issues de plusieurs autres nécropoles tardo-antiques corses (Quattrina - Propriano, Espace Alban - Ajaccio, Mariana - Lucciana, etc.).
27 Pour un état des lieux complet des architectures funéraires retrouvées en Corse durant l’Antiquité tardive et le Moyen Age cf. Corbara 2016.
28 Fouille Inrap cf. Istria et al. 2008
29 Fouille Inrap cf. Chapon et al. 2012.
30 Site de Place Paoli-Villa Zanardi fouillé en 2020 par l'Inrap, sous la direction de J.-J. Grizeaud.
31 Dans le cadre de cet article, les rares informations recueillies sur le profil biologique des inhumés ne seront pas abordées, car elles sont insuffisantes pour caractériser le recrutement funéraire.
32 Ce type de collier en perles de verre bleues est régulièrement retrouvé en contexte funéraire. Les pendants phalliques, auxquels on attribue une valeur prophylactique, sont souvent associés à des tombes d’enfants. De plus, les dimensions d’une des bagues confirme cette hypothèse (Duperron et al. 2019 : 248).
33 Lopez Vilar J., Les Basiliques paleocritianes del suburbi occidental de Tarraco: el temple sep-tentrionali el complex martirial de Sant Fructuós, volum 2, Tarragona 2006 (Sèrie documenta; 4), p. 137.
34 Précisons que la fréquence de ce type de dépôt a pu être plus importante et nous apparaît quasi absente en raison de l’acidité du sol qui dissout la matière osseuse. Dans les niveaux des zones bâties, les restes fauniques sont également très peu représentés.
Auteurs
Aix Marseille Univ, CNRS, LA3M, UMR 7298, Aix-en-Provence, France
Service d’archéologie préventive de Sète agglopôle méditerranée, Villeveyrac, France
CNRS, Université Paul-Valéry Montpellier 3, ASM, UMR 5140, Ministère de la Culture, Montpellier, France
CNRS, Aix-Marseille Univ, LA3M, UMR 7298, Aix-en-Provence, France
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