Les sociétés alpines de l’Antiquité tardive face à la mort en montagne : au cœur de la civitas d’Eturamina, le site de Saint-Pierre 2 à Thorame-Basse (Alpes-de-Haute-Provence, 04)
p. 353-367
Résumés
Au cœur de la vallée du Haut-Verdon (Alpes-de-Haute-Provence, 04), la civitas d’Eturamina s’étendait, au cours de l’Antiquité tardive, entre les communes de Thorame-Basse et de Thorame-Haute. Un premier programme de prospection a conduit à la découverte d’un site inédit localisé sur le Plateau de Saint-Pierre, à une altitude de plus de 1300 m. Depuis 2019, les opérations archéologiques ont ainsi révélé une occupation complexe, mêlant structures bâties et des espaces funéraires du Haut-Empire et de l’Antiquité tardive. La phase finale du site, par ailleurs la mieux documentée, correspond à l’occupation funéraire datée entre le ve et le début du viie siècle, rassemblant une trentaine de sépultures. Les défunts sont inhumés dans des dispositifs variables, associés parfois à des enveloppes souples. Les éléments découverts au sein des tombes restituent ainsi des inhumations habillées. Au-delà de ces considérations strictement funéraires, le site contribue à l’acquisition, pour la première fois, de données concernant les pratiques funéraires des populations de l’Antiquité tardive dans un espace de montagne.
In the heart of the upper Verdon valley (Alpes-de-Haute-Provence, 04), the Late Antiquity civitas of Eturamina extended between the modern villages of Thorame-Haute and Thorame-Basse. An interdisciplinary and diachronic research programme has led to the discovery of a new site located on the Saint-Pierre plateau, at an altitude of more than 1,300 m. Since 2019, archaeological operations have revealed protohistoric and ancient built structures and have led to the discovery of a funerary space from the High Empire and a second one dating from Late Antiquity. The final phase of the site, which is the best-documented period, corresponds to the Late Antique funerary zone, represented by about 30 burials dated between the end of the 4th century and the beginning of the 7th century (dated by 14C). The deceased are inhumed in various funerary receptables or, sometimes, in soft wrappings. The elements discovered suggest clothed burials, with ornamental items. Beyond these strictly funerary considerations, this site has enabled the acquisition, for the first time, of data concerning the funerary practices of Late Antiquity populations in a mountainous area.
Entrées d’index
Mots-clés : archéothanatologie, Alpes françaises, pratique funéraire, archéologie rurale, inhumation, archéologie funéraire
Keywords : archaeothanatology, French Alps, burial practices, mountain archaeology, inhumation
Note de l’éditeur
Cet article a été rédigé avec la collaboration de Élise Henrion (Service d'archéologie départemental de Riez, Riez, France).
Remerciements
Nous tenons à adresser nos remerciements aux membres de l’Association Culture et Patrimoine et la Mairie de Thorame-Basse ainsi qu’au service régional d’Archéologie de PACA (R. Chastagnaret) pour leur soutien et intérêt.
Texte intégral
Introduction
1Au cœur de la haute vallée du Verdon, la civitas d’Eturamina s’étendait entre les communes actuelles de Thorame-Haute et de Thorame-Basse, dans la vallée de l’Issole (Alpes-de-Haute-Provence, France). Le nom de cette localité, mentionnée comme chef-lieu de diocèse en l’an 442 dans les actes du concile de Vaison, disparaît pourtant rapidement des textes, révélant l’existence d’un évêché n’ayant connu qu’une durée de vie éphémère, au cours du ve siècle. Dans le cadre du PCR « Senez et son territoire aux périodes historiques. Structuration et évolution des pôles de pouvoir et des lieux de culte épiscopaux dans l’ancien diocèse de Senez, entre Antiquité et Moyen-âge », sous la direction de M. Dupuis puis de V. Buccio (Service départemental d’archéologie 04), un programme de recherche interdisciplinaire et diachronique est lancé sur le territoire de Thorame (coord. F. Mocci et D. Isoardi ; Mocci, Isoardi 2020). Il conduit à la découverte du site sur le plateau de Saint-Pierre, à plus de 1300 m d’altitude, où trois campagnes archéologiques programmées ont mis en évidence une occupation complexe et millénaire : structures bâties datées de l’âge du Bronze au Haut-Empire et deux espaces funéraires antiques dont un rattaché à l’Antiquité tardive (Lattard et al. 2021). Cette ultime phase, également la mieux documentée, correspond à la zone funéraire, représentée par une vingtaine de sépultures dont la datation est comprise entre la fin du ive siècle et le début du viie siècle (14C et mobilier archéologique). Elles sont aménagées dans les ruines partiellement démantelées de bâtiments du Haut-Empire. Si un ancien pôle de peuplement est clairement avéré, il reste difficile de saisir les paramètres impliquant une éventuelle stratégie mémorielle des vestiges antérieurs dans l’implantation des tombes tardives. Les corps des défunts sont protégés par des dispositifs variables. Les éléments découverts témoignent d’inhumations habillées, mais aussi du port d’objets de parure (bracelets, boucles d’oreille et colliers). Au-delà de ces considérations strictement funéraires, l’apport majeur de ce site réside dans l’acquisition de données concernant les populations de l’Antiquité tardive d’un espace montagnard.
1. Contexte géographique archéologique et historique
1.1. Contexte archéologique
2Situées en plein cœur de la vallée du Haut-Verdon dans les Alpes du Sud, les actuelles communes de Thorame-Haute et de Thorame-Basse occupent une vaste plaine fertile, de part et d’autre du Verdon, dans la partie basse du Val d’Allos (fig. 1). Le plateau Saint-Pierre, qui fait l’objet des investigations archéologiques, domine la vallée de l’Issole, affluent du Verdon, encadrée de chaînes montagneuses (alt. 1400-2500 m). Il s’étend sur une superficie approximative de 14 ha et présente une succession de terrasses ponctuées de restanques de pierres sèches et de pierriers (fig. 2) Ce plateau est accessible depuis un col (1270 m), où se situent les vestiges d’une construction dissimulée aujourd’hui sous un tertre, ceinturé par une levée de terre, de laquelle émerge l'arase de murs (Saint-Pierre 1). Les données cartographiques anciennes ont permis d’identifier les ruines d’une chapelle Saint-Pierre dont la date d’édification demeure inconnue, malgré de premières recherches en archives1. Autour, des restes osseux humains erratiques laissent envisager l’implantation d’un espace funéraire à proximité, sans précision chronologique.
3À 250 m environ en amont du col, le site de Saint-Pierre 2 est implanté sur une terrasse intermédiaire présentant un léger pendage nord-sud, en bordure d’un important clapier (500 m²). Les études géomorphologiques ont livré les premières données retraçant la morphogenèse de ce paysage. Le plateau visible aujourd’hui résulte du comblement d’un ancien paléovallon, mis en culture depuis le siècle dernier et actuellement pâturé.
1.2. Contexte historique
4À l’échelle micro-régionale, les données concernant la période protohistorique sont rares et/ou peu précises. Si de grands historiens de l’Antiquité ont décrit les Alpes, la retranscription d’événements historiques majeurs n’est que d’une faible portée sur la connaissance des populations alpines. Les données antérieures à la conquête augustéenne se dessinent à travers le programme d’organisation des Provinces mis en œuvre par Auguste. Cette vallée, région naturelle sise entre Issole et Verdon, pourrait potentiellement avoir été dotée d’un axe de communication et aurait constitué le territoire des Eguiturii, mentionnés sur le Trophée des Alpes à La Turbie qui célèbre la soumission de ces peuplades en 14 av. n.è. (Barruol 1999 : 381). Dans l’Antiquité, la vallée est à la frontière de la Praefectura des Alpes-Maritimes et des Alpes Cottiennes, avant d’être intégrée pleinement à la Provincia Alpium Maritimarum dans la seconde moitié du ier siècle de n.è. Le territoire fait ainsi partie de celui de Salinae (Castellane), l’une des civitates constituant la Province (Morabito 2010a). Au cours de l’Antiquité tardive, la Province connaît de nouveaux bouleversements administratifs et territoriaux avec l’intégration des civitates au Diocèse de Viennoise dans le cadre de la réforme de Dioclétien (Morabito 2010a : 44). Au début du ve siècle, l’émergence d’une nouvelle capitale (Eburodunum/Embrun) marque, là encore, les réformes et refontes territoriales affectant sans cesse ce secteur. C’est justement dans ce contexte qu’est relevée la première mention de cette localité. La civitas d’Eturamina apparaît, en l’an 442, dans les actes du concile de Vaison et désigne plus explicitement un évêché auquel est associée la mention de son évêque, Severius, dont le nom est également cité en 439 et 450. S. Morabito émet l’hypothèse que c’est au même moment que la localité est élevée au rang de civitas, s’appuyant sur la présence d’une population nombreuse et l’existence antérieure d’un probable pagus dont les sources n’ont pas conservé la mémoire (Morabito 2010b : 120). La disparition tout aussi rapide de la mention d’Eturamina témoigne de l’existence finalement très éphémère de cet évêché. Tout comme son voisin, celui de Salinae occupant la moyenne vallée du Verdon, ces deux évêchés auraient été absorbés par le nouveau siège de Sanitium/Senez dont l’émergence est attestée à partir du concile d’Agde en 506. Une hypothèse corroborée par l’intégration de leurs territoires respectifs dans ce diocèse au cours de la période médiévale (Dupuis, Buccio, Dedonder 2016 : 16).
2. Contexte d’intervention : le site de Saint-Pierre 2
2.1. De la découverte du site…
5Les premières découvertes sur ce plateau remontent en réalité aux années 1950 : des restes osseux humains sont recueillis lors de labours par les habitants, sur les terrasses en amont à l’est du Col, sans localisation précise et sans mention de mobilier archéologique. En 2007, des labours mettent de nouveau au jour des tombes. Les photographies prises et transmises par les inventeurs présentent deux inhumations de sujets adultes, dont l’un est déposé dans un coffrage partiellement constitué de tegulae (SP 1) tandis que le second est allongé sur le dos sans la présence d'un aménagement en matériau pérenne (SP 2). Par la suite, des prospections pédestres conduites par J. Emeric (Emeric 2011) puis F. Mocci et D. Isoardi (Mocci, Isoardi 2020) ont signalé de rares tessons antiques et médiévaux ainsi que des fragments de tuiles dans le pierrier, en bordure de parcelle.
2.2. … à la mise en œuvre d’une opération archéologique
6Cette documentation a motivé une première campagne de fouille qui s’est tenue en 2019 avant le lancement d’une opération archéologique programmée triennale (2020-2022 ; Lattard et al. 2021). Les vallées alpines n’offrent, à l’heure actuelle, que peu de données funéraires faute de programme de recherche et du faible nombre de prescriptions archéologiques dans ces secteurs peu soumis à la pression des aménagements du territoire. La découverte de tombes marque ainsi l’opportunité de documenter les pratiques funéraires en contexte alpin. L’analyse des sépultures, soit de l’ensemble du dispositif, ne peut désormais s’affranchir d’une approche interdisciplinaire en adoptant une démarche archéothanatologique (Boulestin, Duday 2005 ; Zemour 2016). Cette dernière vise l’étude de l’espace sépulcral dans son ensemble, en abordant son étendue, sa gestion et son organisation. Sont également pris en compte les vestiges les plus fugaces, c’est-à-dire les structures disséminées au sein de la zone sépulcrale pouvant témoigner des gestes commémoratifs, mais aussi des superstructures en matériaux périssables liées au signalement des tombes. L’approche intègre enfin la restitution des séquences des funérailles, marquant différents « temps funéraires » dont il n’est pas possible de se passer pour la compréhension des pratiques elles-mêmes (Peirera 2013). Désormais dotée d’outils performants, l’approche archéothanatologique s’appuie sur les données de l’Anthropologie biologique par l’analyse des restes osseux humains, en attribuant une identité biologique au défunt (âge au décès, sexe, état sanitaire). Elle s’associe aux informations archéologiques tels que les restes matériels (ensemble de dépôts associés, éléments constitutifs de la tombe, etc.) et les modalités d’implantation de la sépulture (stratigraphie, topographie, etc.). Ces paramètres étudiés rendent parfois possibles la restitution des pratiques funéraires et la détermination d’une influence des facteurs socioculturels sur le traitement des défunts. L’analyse finale vise alors à contribuer à une meilleure connaissance des populations alpines, par l’approche de l’ensemble des aspects sociaux et culturels à travers le cadre très particulier de la Mort.
3. Le site Saint-Pierre 2 : une occupation millénaire
7Si l’étude présentée ici se focalise sur l’ultime phase du site, les données archéologiques ont livré le témoignage d’une occupation établie sur la longue durée, ponctuée de périodes d’abandon. Une fréquentation du plateau est documentée dès l’âge du Bronze ancien2, mais le premier vestige identifié correspond à une structure domestique datée de la transition âge du Bronze/début du Premier âge du Fer. Au cours des derniers siècles av. n.è., les constructions en terre crue ou volontairement rubéfiée laissent peu à peu place aux premiers murs érigés en pierre. Cette occupation se développe sur le versant oriental d’un vallon qui s’est progressivement comblé jusqu’à la création d’un véritable plateau au début de l’Antiquité tardive.
8Pour les périodes les plus hautes, l’absence de dégagement planimétrique et les importants phénomènes érosifs ne permettent pas de caractériser, à ce jour, plus précisément les formes d’occupation.
3.1. Les vestiges antérieurs datés du Haut-Empire
9L’espace funéraire prend place dans les ruines d’une occupation antérieure, encore mal définie, datée du Haut-Empire. Sur un remblai d’origine naturelle, ayant probablement été nivelé par les populations afin de servir de surface de circulation, sont édifiés deux bâtiments (B1 et B2). Du premier, ne subsistent que deux murs formant un angle droit (nord-ouest), conservés uniquement en fondation. À proximité, est implantée une structure secondaire à crémation (SP 5) caractérisée par un dépôt de résidu en fosse, au sein duquel ont été collectés les os brûlés d’un sujet adulte. L’analyse anthracologique de la SP 5 (C. Cenzon-Salvayre) a permis de documenter un mode d’approvisionnement en bois, non répertorié dans les franges méridionales, où les essences sont choisies à proximité de l’ensemble funéraire, dans un étage montagnard. Ce résidu livre également des fragments d’un pot globulaire en céramique commune kaolinitique du Verdon, une production locale attestée à partir du 2e tiers ou du milieu du iie siècle jusqu’au milieu du ive siècle (Pellegrino et al. 2012). La présence de nombreux éléments brûlés formant des amalgames informes de verre de couleur bleu vert témoigne du dépôt probable de balsamaires. Cette pratique, sans conteste romaine, est généralement datée des ier - iiie siècles dans les contextes régionaux et suprarégionaux.
10Situé à 10 m à l’est de B1, le second bâtiment (B2) présente un meilleur état de conservation. Couvrant une superficie d’environ 6,70 m², seuls subsistent les murs de fondation ouest, nord et est ; le mur et l’extrémité sud sont détruits. Dans l’espace interne se distingue un niveau de mortier formant l’assise d’un sol dont ne sont conservées que la partie interne et la base, érodées par des creusements et ravines intervenus lors de son abandon.
11Pour l’heure, la nature précise de cette phase du Haut-Empire demeure mal définie. La présence d’une structure de crémation, proche de ces deux édifices (enclos ?), plaide en faveur d’une occupation funéraire qui n’a pu encore être pleinement démontrée. L’absence de fragments de tuiles laisse penser, en outre, que ces constructions n’étaient pas couvertes. Enfin, la faible quantité de céramique recueillie semble écarter une occupation de type domestique.
3.2. Implantation et chronologie de la zone funéraire au cours de l’Antiquité tardive
12Le secteur est réinvesti à l’Antiquité tardive après une phase d’abandon et de destruction du site au cours du iiie siècle. L’élévation des bâtiments érigés au Haut-Empire, en position dominante dans le paysage, n’était sans doute plus ou peu visible d’après les recouvrements sédimentaires observés (volontairement démantelée à la suite de leur abandon ?). C’est dans les vestiges de cet état antérieur qu’ont été implantées les sépultures (fig. 3).
13Ainsi, un total de 35 tombes à inhumation a été décompté depuis le début des opérations, dont 27 ont fait l’objet d’une fouille exhaustive. Sept autres contextes, identifiés en surface, confirment une extension de la zone funéraire vers l’est.
14La chronologie de l’occupation funéraire est établie entre la toute fin du ive siècle et le début du viie siècle, d’après les données fournies par le mobilier et la datation radiocarbone de quatre sépultures3.
15Le phasage intrinsèque du site reste toutefois délicat à établir. Les inhumations apparaissent directement sous les niveaux superficiels de recouvrement du site à l’époque moderne et contemporaine. Les liens stratigraphiques entre les tombes ne peuvent être précisément définis, plusieurs recoupements ont été identifiés (SP 29/SP 30 et SP 1/SP 12). Dans le premier cas, l’origine accidentelle ne fait aucun doute, avec le déplacement du crâne du jeune défunt, par la suite, récupéré et placé en dépôt secondaire dans la fosse de la SP 29, à proximité de sa position originelle. Dans le second cas, il semblerait que la proximité topographique ait été spécifiquement recherchée et laisse envisager un regroupement d’ordre familial (SP 1/SP 12). Certaines superpositions de sépultures ont été identifiées (SP 8/SP 24 ; SP 15/SP 17 et SP 38/SP 39). Nous les distinguons ici des recoupements, car ces superpositions n’ont pas affecté l’intégrité du défunt antérieur (SP 24 ; SP 17 ; SP 39). Toutefois, nous ne pouvons conclure sur une action volontaire pour l’inhumation de deux individus à proximité l’un de l’autre, ou bien d’une erreur au moment du creusement de la fosse, ayant pour résultat l’empiétement partiel d’une tombe sur une autre qui n’était alors plus visible et/ou signalée dans le paysage.
4. Les pratiques funéraires
16Avant de développer plus spécifiquement un état de la recherche sur les pratiques funéraires, il convient de signaler un biais ayant pu affecter l’analyse du site, l’absence des niveaux de circulation de l’Antiquité tardive. Situés à l’origine au sommet d’une couche résultant d’un important phénomène de colluvionnement intervenant probablement à la fin du iie siècle, ces sols ont été détruits par des processus érosifs, toujours en activité à l’heure actuelle, et par les travaux agricoles modernes et contemporains. Le fond des fosses, dont les contours ne sont pas perceptibles, apparaît, par endroit, à une profondeur de seulement 0,15 m de la surface, indiquant l’absence d’une grande épaisseur de recouvrement. Cette absence de niveau de sol freine l’analyse taphonomique des dispositifs funéraires. Elle prive également de toute trace d’aménagements supérieurs des fosses et de signalisation, ainsi que des dépôts associés aux éventuelles commémorations.
4.1. La population inhumée : identité biologique des défunts
17L’échantillon des tombes fouillées est représenté par 26 sépultures primaires individuelles et un contexte livrant les restes très incomplets de cinq individus (deux immatures et trois sujets adultes) ayant sans doute fait l’objet d’un pillage (SP 21) et non intégré à cette réflexion (tabl. 1).
18Les 26 sujets soumis à l’étude sont répartis en 16 adultes et 10 sujets immatures. Il convient de signaler toutefois que les squelettes présentent un mauvais état général de conservation tant d’un point de vue qualitatif, que quantitatif. L’étude de l’état sanitaire de la population exhumée n’a pas été envisagée et semble compromise, freinant ainsi l’observation des éventuelles lésions osseuses : les squelettes ne sont parfois conservés qu’à travers les diaphyses d’os longs, les lyses osseuses ayant conduit à la désagrégation des articulations ou des os spongieux les plus petits et fins, entraînant la disparition de certaines régions anatomiques (absence du rachis et des côtes pour les SP 27 ou SP 35 pour exemple). S’ajoute également une érosion sévère et généralisée de la corticale des os.
4.1.1. Les sujets adultes
19L’âge au décès des individus adultes, dont l’estimation est basée sur deux méthodes adaptées à la conservation de la série (Schmitt 2005 ; Owing-Webb, Suchey 1985), est déterminé pour 11 d’entre eux. Pour cinq autres, les méthodes n’ont pas été mises en œuvre faute de conservation des os coxaux (SP 2, SP 4, SP 14, SP 22 et SP 35). La diagnose sexuelle (Bruzek 2002, 2017) a été réalisée pour 10 individus dont les os coxaux présentaient une conservation suffisante. L’échantillon est donc composé de sept femmes (SP 3, SP 4, SP 6, SP 24, SP 27, SP 29 et SP 34) et seulement trois hommes (SP 1, SP 7 et SP 10). Avant d’évoquer tout déséquilibre dans cette répartition, il convient de rappeler que cinq individus demeurent non observables et pourraient donc pallier ce déséquilibre.
4.1.2. Les sujets immatures
20L’échantillon des sujets immatures relève exclusivement des catégories d’âge inférieures à 10 ans. Les intervalles d’âge au décès demeurent larges et imprécis pour certains individus, dont l’estimation est essentiellement basée sur l’éruption dentaire, couplée dans certains cas à un âge diaphysaire lorsque la conservation osseuse le permettait (Moorrees et al. 1963a et b ; Facchini, Veschi 2004 ; Alqahtani et al. 2010). Au-delà, les sujets pré-adolescents ou bien adolescents ne sont pas présents dans notre échantillon. Simple constat, nous nous garderons de conclure sur cette sous-représentation, étant donné la fouille encore partielle de la zone funéraire.
4.2. Les dispositifs
21Si la conservation des tombes rend difficile la restitution des dispositifs funéraires initiaux, de nombreuses remarques peuvent tout de même être apportées.
22Lorsque certains contours ont pu être identifiés, les plans des fosses destinées aux sujets adultes sont généralement oblongs ou quadrangulaires. Elles présentent une orientation variable, sans doute dictée, en partie, par la présence des bâtiments B1 et B2 encore partiellement perceptibles dans le paysage (SP 27, SP 21 ou SP 9 ; tabl. 1).
23Sur les 26 défunts en position primaire, l’orientation des corps ne semble pas suivre de règle : 11 des sujets ont la tête au nord, contre deux au sud, neuf ont la tête à l’est et quatre à l’ouest. Il n’est pas possible de restituer la position initiale des corps présents dans la SP 21. Concernant la position des corps, les adultes sont quasi-exclusivement inhumés sur le dos, membres inférieurs en extension, à l’exception de la sépulture SP 25, où le défunt est placé sur le côté droit, jambes fléchies. La position des membres supérieurs est variable bien qu’ils soient très fréquemment repliés sur le thorax, plus rarement en extension le long du corps. De même pour les enfants, un seul des dix individus a fait l’objet d’une inhumation sur le côté, jambes repliées (SP 13). Cette position pourrait être liée à l’emmaillotage du jeune défunt (un périnatal).
24Pour les sujets adultes, comme pour les sujets immatures, les tombes sont exclusivement des sépultures primaires individuelles avec des décompositions initiales préférentiellement effectuées en espace vide. Malgré le nombre de contextes dont le dispositif initial n’est pas restituable, mais excluant la présence de matériaux pérennes (10 tombes : SP 4, SP 6, SP 8, SP 14, SP 23, SP 25, SP 26, SP 33, SP 34 et SP 35) et trois demeurant non observables (SP 9, SP 13 et SP 32), l’analyse des dispositifs révèle une grande variabilité de leur configuration initiale (fig. 4). Huit sépultures ont en effet recours aux tegulae pour la formation de coffrages, dont les formes initiales sont imprécises compte tenu de leur mauvais état de conservation. Dans trois cas, la tuile a été employée de manière exclusive formant soit une bâtière, comme dans le cas de la SP 7, soit des coffrages parallélépipédiques (SP 10 et 21). Pour d’autres, si la tuile est présente, la configuration initiale du coffrage ne peut être restituée. Ainsi, de la tombe SP 3, n’est conservé que le fond constitué de trois tegulae déposées à plat pour accueillir le défunt. La sépulture SP 24 pourrait avoir reçu une couverture de tegulae comme en témoigne l'un des fragments encore en place à proximité du crâne du défunt. Dans d’autres cas, la tuile est associée à un autre matériau, comme le bois, afin de former un coffrage (SP 1). Cette association est également envisagée pour la tombe du jeune enfant SP 12, qui reçoit une tuile à plat sur le fond de fosse ainsi qu’une seconde en tant que couverture.
25Un seul dispositif présente un agencement original sur le site : il s’agit d’un coffrage réalisé à partir de petits blocs et moellons de module trié, ménageant ainsi une cuve pour le dépôt de la défunte (SP 27). Cet aménagement devait probablement recevoir une couverture en matériaux périssables (bois) ou pérennes (tegulae). Aucune dalle ayant pu servir de couverture n’a été mise en évidence dans le secteur.
26Les autres dispositifs supposent l’emploi d’éléments en matériaux périssables. Le creusement particulièrement irrégulier dans un niveau d’éboulis pour la SP 29, associé à de nombreux indices de décomposition en espace vide initial, nous permet d’envisager la mise en œuvre d’une fosse à couverture en bois. Un aménagement similaire est envisagé pour les sépultures SP 28, SP 30 et SP 38.
27Enfin, trois d’entre elles semblent avoir reçu un coffre ou coffrage de bois partiellement cloué comme l’indique la présence de quelques clous de part et d’autre du squelette (SP 6, SP 8 et SP 22).
4.3. La question des enveloppes souples : linceuls et/ou inhumations habillées ?
28Lorsque la conservation des restes osseux était suffisante pour l’observation détaillée de la taphonomie, les données révèlent que la majorité des corps des défunts étaient protégés par une enveloppe souple. En outre, l’existence d’un linceul n’exclut pas, pour autant, le port de vêtements.
29Pour une part, bien qu’aucun élément en tissu ou épingle n’ait été identifié, la présence d’un linceul enveloppant le corps est attestée dans cinq tombes adultes d’après les indices taphonomiques : constriction de certaines parties régions anatomiques, contraintes à distance des parois, verticalisation des clavicules, surélévation des épaules, maintien d’os en équilibre instable, resserrement des membres inférieurs et position des pieds dite en danseuse pour la SP 29, etc. Pour deux des très jeunes sujets immatures, les enveloppes souples pourraient témoigner d’un emmaillotage (SP 13 et sans doute SP 9).
30D’autre part, l’identification des défunts vêtus, que l’historiographie désigne sous le terme d’inhumations habillées, repose souvent sur la présence d’un mobilier spécifique (boucle de ceinture, etc.). Sur le site de Saint-Pierre 2, une seule fibule a été recueillie dans le comblement de la SP 24, incomplète mais dans un état de préservation remarquable. D’autres indices proviennent des clous de chaussure découverts au niveau des pieds des défunts dans quatre tombes dédiées à des sujets adultes. L’exemple le plus remarquable, du fait de sa préservation, est la SP 10, où un amas de clous a été mis au jour sous la voûte plantaire de chaque pied (une soixantaine pour chacune des chaussures forment un total de 131 éléments ; fig. 5). Leur position permet de restituer la forme générale de la semelle et de confirmer le port de chaussures au moment de l’inhumation des corps. La sépulture SP 27 livre également quatre clous de chaussures, de même que la SP 7 (six éléments).
31Enfin, pour certaines tombes, si la présence d’une enveloppe souple est perceptible, il reste impossible de trancher entre un linceul ou bien des vêtements (SP 7, SP 34, SP 35 et SP 38). Malheureusement, pour un grand nombre d’individus, les données taphonomiques sont insuffisantes ou non observables pour établir un tel diagnostic.
4.4. Les éléments de parure
32Les objets de parure ont été mis au jour dans six tombes de sujets adultes (SP 3, SP 10, SP 21, SP24, SP 27 et SP 29), mais également dans quatre autres sépultures destinées à des sujets immatures (SP 9, SP 12, SP 26 et SP 30). À ce lot s’ajoutent deux bracelets en alliage cuivreux provenant du contexte perturbé SP 21 ; leurs dimensions permettent de les attribuer à des sujets adultes. Mis à part quelques éléments en verre et en ambre, ces objets sont pour l’essentiel en alliage cuivreux.
4.4.1. Les sujets adultes
33Bien que n’étant pas systématiques, les objets de parure sont relativement nombreux dans les tombes adultes féminines. Les bracelets, avec trois occurrences, sont les éléments les plus fréquemment portés par les défunts au moment de leur inhumation. On en recense deux exemplaires en alliage cuivreux mis au jour en position secondaire au sein de la SP 21, ainsi qu’un situé à l’avant-bras droit de la défunte de la SP 29. Cette dernière portait une bague dans le même alliage, ainsi qu’un second bracelet mêlant six perles en ambre de forme cylindrique ou de rondelle, et cinq perles en verre polyédriques ou sphériques. Parmi les bijoux, plusieurs boucles d’oreille ont été également découvertes : la SP 3 livre, au niveau du crâne, une boiucle d'oreille en alliage cuivreux et un chaton en verre bleu dont la position initiale demeure indéterminée (sépulture pillée à l’aide d’un détecteur de métaux). Deux autres bracelets ont été mis en évidence dans le comblement de la SP 27.
4.4.2. Les sujets immatures
34Les jeunes enfants sont parés par les mêmes catégories de bijoux que les adultes (bracelets ou colliers), mais la présence d’amulettes ou de pendentifs dotés d’une fonction sans doute apotropaïque confère un certain particularisme aux dépôts qu’ils sont les seuls à recevoir. Les objets de parure sont quasi-exclusivement mis au jour auprès des sujets les plus jeunes, à l’exception d’une boucle d’oreille provenant de la SP 30, où l’âge au décès de l’enfant est estimé entre 8 et 10 ans (cf. supra). La tombe SP 9 livre l’ensemble le plus remarquable avec un collier de perles en verre et en pierre. À proximité immédiate, dans un niveau remanié par les labours, se trouvait un pendentif présentant un décor stylisé (symbole féminin ?) inséré dans un coquillage. Si la pièce ressemble à une attache de situle, le remploi possible en amulette semble ici expliquer sa position au sein de la tombe. Autour du cou de ce très jeune immature se trouvait également un collier de trois perles en verre et en pierre ainsi qu’un médaillon figuré en verre de teinte miel, circulaire et doté d’une bélière. Il comporte un visage de face, coiffé du bonnet phrygien auquel est accolé à sa droite, un oiseau de profil tenant, peut-être dans ses serres un serpent. Cette représentation est fréquemment associée au dieu thraco-phrygien Attis ou Sabazios. Cet objet, originaire du Proche-Orient, appartient à une série bien documentée en Occident et au Proche-Orient et a notamment été observé sur quatre autres sites en France où il est alors interprété comme souvenir de pèlerinage (Foy 2010 : 307). La SP 12 livre au niveau du crâne un petit pendentif (amulette ?) réalisé dans une canine supérieure droite de cerf (Cervus elaphus) perforée au centre de la racine. La dent est non abrasée, sa racine presque fermée renvoie à un animal d’environ 3 ans au décès. Les dimensions enregistrées se démarquent de celles des biches pour intégrer la variation observée chez les populations de cerfs d’Europe occidentale à l’Holocène (D’Errico, Vanhaeren 2002).
35Deux bracelets en alliage cuivreux ont été dégagés autour des bras des jeunes défunts des SP 9 et 26. Dans cette dernière tombe, le bracelet, finement ouvragé, était orné d’une tête de serpent. Dans la même sépulture, un collier composé de seize perles en verre de forme polyédrique, conique ou tubulaire mis au jour de part et d’autre des fragments de calotte crânienne en amont de l’humérus. De la tombe SP 30 provient une boucle d’oreille découverte sur le fond de fosse à l’emplacement initial du crâne. Déformée, elle a été réalisée par enroulement d’un fil à laquelle est attaché un pendant mobile tenant une perle cylindrique en verre vert, surmontée d’une perle biconique en verre bleu outremer.
4.5. Les dépôts de mobilier
36Les dépôts d’accompagnement sont relativement rares sur le site de Saint-Pierre 2. Si l’état de conservation des structures peut avoir impacté cette représentation générale, il ne peut à lui seul expliquer cette rareté. Trois sépultures destinées à des sujets adultes contiennent des objets, toujours placés au niveau des pieds du défunt. Les rares données régionales contemporaines témoignent également du faible nombre de dépôts. Sur le site du CEA, à Cadarache, 19 % des tombes sont dotées d’un mobilier funéraire (Pouyé et al. 1994 : 63), tandis qu'à la Baisse Sainte-Anne à Valensole, un seul contexte livre deux vases (Richier et al. 2009 : 74). Ils sont en revanche plus nombreux et diversifiés à Saint-Martin à La Brillanne (Boiron 1993). Sur d’autres sites issus du même contexte micro-régional, comme celui de l’Abadie à Saint-Etienne-les-Orgues, les dépôts de mobilier sont rares : seules deux tombes font l’objet d’un dépôt monétaire (Dupuis et al. 2013).
4.5.1. Les dépôts de vases
37La SP 10 livre un gobelet ovoïde complet en verre de teinte olive à bord coupé et fond étroit, forme très fréquente dans les contextes du ve siècle (forme 13 sans décor ; Foy 1995). Ce dernier, bien que fragmenté et basculé sur le côté contre le pied du défunt, est toutefois complet. Les SP 10 et 29 ont chacune livré un pot à cuire au profil trapu en céramique non tournée (fig. 6). Aucun parallèle régional satisfaisant n’a été trouvé pour ces deux vases, dont la mise en œuvre et le matériau incitent à y voir des objets issus d’une fabrication locale, peut-être réalisée à l’échelle domestique.
4.5.2. Les dépôts luminaires
38Alors que les lampes à huile en céramique se raréfient dans les sépultures de l’Antiquité tardive conjointement à la disparition des ateliers régionaux, les objets en métal les remplacent un temps (Manniez 2005 : 229). Dans les tombes, les lampes participent aux rites d’inversion propres aux pratiques funéraires du Haut-Empire (Scheid 1984). Le maintien du dépôt de ces objets à la fin de l’Antiquité s’observe essentiellement dans le monde méditerranéen. Sur le site de Saint-Pierre 2, le luminaire est illustré par deux réservoirs ovoïdes concaves en fer mis au jour au niveau des jambes ou des pieds des adultes (SP 22 et 29). La sépulture SP 22 livre également une longue tige de fer épointée avec une « soie » prise dans du bois et déposée aux pieds du défunt adulte (âge et sexe indéterminés ; fig. 7). Une association identique a été exhumée dans une tombe féminine du site de la Baisse de Sainte-Anne. La tige y est interprétée comme une pointe de lance (Richier et al. 2009 : 79). On envisage plutôt de la rapprocher d’un système de suspension mobile fonctionnant avec la lampe. En Languedoc oriental et en Provence, des lampes à huile en fer, à coupelle peu profonde et à manche recourbé, ont été retrouvées dans des contextes funéraires des ive et ve siècles, souvent auprès des membres inférieurs des défunts (Manniez 2005). À l’échelle micro-régionale, un probable exemplaire a pu être dégagé à Lurs, dans la nécropole des Clavelles (Boiron 1993), ainsi qu’un autre dans une seule des tombes de Valensole (Richier et al. 2009 : 95).
4.5.3. Les dépôts monétaires
39La question des dépôts monétaires ne peut être abordée que de manière indirecte. Trois monnaies datées entre les années 330 et 380 ont été mises au jour sur le site. L’une d’entre elles provient d’un contexte funéraire perturbé (SP 21) et laisse envisager un dépôt initial auprès de l’un des défunts. Il est plausible, d’après leur datation, que deux exemplaires recueillis dans les remblais superficiels, soient issues de contextes arasés. La documentation régionale fournit d’autres attestations, notamment deux tombes à Valensole (Richier et al. 2009 : 53) et Saint-Etienne-les-Orgues (Dupuis et al. 2013), une seule à Cadarache (Pouyé et al. 1994 : 63).
4.5.4. Un dépôt d’os animal
40La tombe SP 10 livre le dépôt d’os en connexion de cochon (Sus scrofa domesticus). Il s’agit plus précisément de l’association d’os au niveau du tarse, de latéralité droite (extrémité distale de tibia, talus complet et calcanéus non soudé). Le tibia pourrait avoir été tranché, mais la fracture se situe au niveau du centre d’épiphysation distal, zone de faiblesse de l’os (soudure peu de temps avant la mort de l’animal). La partie distale du calcanéus semble également avoir été tranchée ou arrachée. L’âge au décès de l’animal est estimé entre 24-30 mois.
41Il demeure difficile de restituer la signification d’un tel dépôt. La partie déposée au sein de la sépulture peut correspondre à l’évocation d’un dépôt alimentaire sans que cette partie ne soit usuellement consommée. La mise à mort de l’animal est-elle le résultat d’une forme de sacrifice réalisée pour le défunt par la communauté ? Cela n’exclut pas une consommation par la suite de la bête abattue, associant ici dans la même tombe, un gobelet à boire ainsi qu’un vase dont le contenu initial demeure inconnu4.
5. Le site de Saint-Pierre 2 dans son environnement alpin
5.1. Les défunts inhumés
42Ces premières données inédites d’un site de montagne interrogent sur l’identité socioculturelle de cette population. Avant toute chose, il convient de rappeler que les individus étudiés ne correspondent qu’à un échantillon de la population d’origine inhumée à Saint-Pierre. Le recrutement funéraire subit ainsi de nombreux biais imputables à l’érosion générale du site, mais également au mauvais état de conservation de la collection ostéologique. Toutefois, dans l’emprise fouillée, l’implantation des sépultures est relativement dense et intégrerait toutes les catégories d’âge à l’exception des adolescents, dont l’absence peut être inhérente à l'exploration encore partielle de la zone. La composition de cet échantillon laisse envisager un espace funéraire fréquenté par une petite communauté, de type villageoise, sans doute établie sur le plateau, à proximité. Il est complexe de caractériser les individus au-delà de la seule identité biologique. Cependant, la mise au jour d’un tel site à Saint-Pierre 2 questionne inévitablement son lien avec l’existence de l’évêché, tant sa chronologie coïncide avec celle de la mention historique de l’évêché éphémère. En l’état des données, il reste difficile de préciser si cette occupation funéraire en milieu rural est liée à l’une des premières communautés chrétiennes.
43En effet, les pratiques font écho à celles identifiées dans les contextes régionaux : les dispositifs mis en œuvre sont variables et les dépôts de mobilier d’accompagnement sont relativement rares. Seuls les objets relevant de la sphère personnelle sont bien illustrés. Ils témoignent également de certains phénomènes de diffusion révélant des connexions socio-économiques entre les zones alpines et les vallées. Ces dépôts interrogent quant à leur présence et leur sens au sein de ces sépultures tardives. Héritiers des pratiques funéraires du Haut-Empire, il demeure toutefois difficile de leur associer les mêmes croyances et ils sont sans doute le signe d’une forme de piété populaire locale.
5.2. Le site et son environnement
44L’ensemble des données recueillies à ce jour illustre un espace funéraire en zone de montagne ayant fonctionné, entre le ive et le début du viie siècle. Il est encore trop tôt pour évoquer une stratégie mémorielle dans la réimplantation d’un lieu funéraire sur un site déjà occupé au cours du Haut-Empire, mais ce schéma de réoccupation est documenté dans la vallée de la Durance, où les sépultures à inhumation tardives de Saint-Martin (La Brillanne, 04) sont implantées à proximité d’un pôle funéraire antérieur caractérisé par la pratique exclusive de la crémation (Boiron 1993). L’abandon du site sépulcral tardif de Saint-Pierre 2 renseigne une translation de la zone funéraire en un autre lieu : soit en direction de la bordure orientale du plateau où des tombes sont signalées anciennement par les habitants, soit en un autre point du plateau ou de la vallée. Rappelons que des restes osseux ont été collectés autour du site de Saint-Pierre 1, mentionné comme Chapelle Saint-Pierre. Se pourrait-il qu’en ce point se soit développé un espace funéraire plus tardif autour d’une première église ayant donné le nom au plateau ? Son existence traduirait ainsi la persistance d’un pôle de peuplement au cours de l’époque médiévale. Sur le territoire, un autre site funéraire est documenté pour l’Antiquité tardive : des tombes sous tuiles dégagées, en 1935, contre le mur nord de l’église paroissiale de Thorame-Haute livrant au moins dans un cas un dépôt de vase en céramique (Bérard, Provost 2021).
45Cette période charnière livre deux schémas dans les pôles funéraires. Certains sont étroitement liés, depuis le ve siècle, aux premiers édifices de culte chrétien, modèle qui prévaudra de manière quasi exclusive ensuite pour l'époque médiévale. C’est le cas de l’exemple géographique le plus proche, celui de la cathédrale de Senez, fondée, comme Notre-Dame-du-Bourg à Digne, sur des constructions funéraires monumentales du ive siècle. Celles-ci sont implantées sur les vestiges d’un habitat du Haut-Empire et donnent naissance par la suite à des édifices de culte paléochrétiens. Les tombes qui y ont été dégagées sont dénuées de tout mobilier d’accompagnement, bien que les objets de parure ou de costume soient ponctuellement notés, et recourent à des types standardisés comme les coffres de tegulae (bâtières notamment). Toutefois, si cette forme d’occupation a pu être envisagée pour de nombreux espaces funéraires de l’Antiquité tardive implantés en milieu rural (Salagon, Callas, La Gayole), la documentation archéologique semble démontrer qu’elle n’est pas encore la règle dans cette période de transition. En effet, les découvertes archéologiques réalisées récemment révèlent une seconde configuration pour les nécropoles de l’Antiquité tardive : celle d’espaces funéraires étendus, organisés en rangées, parfois installés dans les vestiges des occupations antérieures du Haut-Empire. Et surtout, a priori, caractérisés par l’absence d’édifices de culte, du moins dans les secteurs soumis aux prescriptions de fouille. Saint-Pierre 2 illustre ce type d’aire relativement étendue, comme le laisseraient entendre les découvertes anciennes en bordure du plateau. D’autres sites régionaux de la même période présentent de nombreux points communs bien que leur développement topographique reste difficile à appréhender faute d’élément datant dans toutes les sépultures (Saint-Etienne-les-Orgues, Cadarache ou bien encore à Valensole ; respectivement Dupuis et al. 2013, 2014 ; Pouyé et al. 1994 ; Richier et al. 2009).
Conclusion et perspectives
46La mise au jour de ces vestiges, relativement inédits en milieu montagnard dans les Alpes méridionales, associée à une réflexion plus large sur la caractérisation des populations alpines et de leurs pratiques funéraires, les circulations transalpines et les interactions culturelles, l’emprise de l’Homme sur le milieu naturel proche, révèle tout le potentiel des sites de montagne dans un secteur fortement méconnu. Le plateau Saint-Pierre témoigne d’une occupation millénaire due à sa position favorable tant à l’établissement d’un habitat groupé qu’à l’exploitation d’un terroir. Les défunts des communautés installées à proximité ont ainsi été intégrés à cet espace par la mise en place de zones sépulcrales a priori indépendantes de l’habitat. Le site de Saint-Pierre 2 constitue, en outre, le premier témoignage direct de l’occupation de la civitas éphémère d’Eturamina. S’il permet de saisir l’un des pôles de peuplement de la vallée, les découvertes encore très sporadiques réalisées sur le territoire, indiquent toutefois qu’il n’a pas été le seul. C’est ainsi toute la représentation même de la civitas de l’Antiquité tardive, sa fonction et son organisation en milieu de montagne, qu’il est désormais possible d’appréhender.
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Notes de bas de page
1 Recherches conduites par F. Varitille (LaMop, Sorbonne Université, Paris) et A. Bresson (Association Culture et Patrimoine de Thorame-Basse) en parallèle des opérations de terrain.
2 Identifié en coupe uniquement : résidus de combustion avec faune et une céramique non tournée (foyer ?) datés entre 1889-1686 cal. BC (95,4 %; Poz-132499 3465 ± 35 BP ; taxon : Laburnum).
3 SP 1 : 392-438 cal. AD (95.4%; Beta-542878 ; 1610 ±30 BP); SP 2 : 256-538 cal. AD (95.4%; Poz-131715 ; 1645 ± 30 BP); SP 6 : 410-542 cal. AD (95.4%; Poz-131711 ; 1585 ± 30 BP); et SP 13 : 410-542 cal. AD (95.4%; Poz-131714 ; 1615 ± 30). Sept autres datations sont en cours.
4 Analyse de contenu prévue en 2022 en collaboration avec le laboratoire de l’Université de York.
Auteurs
Aix Marseille Université, CNRS, CCJ, UMR 7299, Aix-en-Provence, France
Direction Archéologie et Muséum de la Ville d’Aix-en-Provence, Aix-en-Provence, France
Aix Marseille Université, CNRS, CCJ, UMR 7299, Aix-en-Provence, France
Lambesc, France
Aix Marseille Université, CNRS, CCJ, UMR 7299, Aix-en-Provence, France
Service d'archéologie départemental de Riez, Riez, France
Aix Marseille Université, CNRS, LAMPEA, UMR 7269, Aix-en-Provence, France
Aix Marseille Université, CNRS, CCJ, UMR 7299, Aix-en-Provence, France
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