La mise en réseau industriel du littoral provençal dans la première moitié du XIXe siècle
p. 87-102
Texte intégral
1La notion de mise en réseau fait aujourd’hui communément penser aux connexions informatiques qui permettent aux entreprises et à leurs produits d’évoluer dans un contexte économique mondial. D’abord apparu aux États-Unis, le phénomène s’est ensuite peu à peu diffusé au reste du monde d’une façon irrégulière, incomplète, et de nombreux espaces en sont encore exclus. Toute proportion gardée, une dynamique identique, du moins dans son principe, s’est produite avec l’essor de l’industrie. Les foyers économiques les plus avancés ont initié les premiers échanges industriels vers la fin du XVIIIe siècle, la plupart s’y sont intégrés dans le courant des deux siècles suivants, tandis que d’autres n’y participent toujours pas. En d’autres termes, il y a eu une mise en réseau industriel progressive et partielle des espaces de la même manière que nous assistons aujourd’hui à leur mise en réseau informatique. Comment se situe la Provence dans ce schéma général ? Dans quelles circonstances a-t-elle été amenée à développer ses premiers échanges industriels, à partir de quelles productions, avec quelle élite économique et quelle diffusion spatiale ? À travers ces différentes interrogations nous tenterons de démontrer le rôle pionnier joué en la matière par les industriels marseillais de la soude, des entrepreneurs qui, dès la première moitié du XIXe siècle, ont mis en œuvre des stratégies de développement englobant une bonne partie du littoral provençal sans pour autant réussir à provoquer un éveil industriel général de la région.
L’émergence de l’industrie chimique marseillaise
2Avant d’être d’importants producteurs de carbonate de soude, ou de « soude artificielle » comme l’on disait alors, les Marseillais ont été de gros importateurs de soude d’origine végétale. Nous sommes donc dans un cas de figure assez classique où l’industrie se développe en s’appuyant sur des marchés préexistants et relativement importants à l’échelle régionale.
Le marché de la soude
3Obtenue par la calcination de différentes espèces de plantes salées poussant dans les zones marécageuses du littoral méditerranéen (barilles, salicornes etc.), la soude d’origine végétale est principalement employée comme alcali dans la fabrication du savon de Marseille. Il faut environ 50 % d’huile d’olive, 30 % de soude et 20 % de chaux pour fabriquer 100 kg de savon. Dès la fin du XVIIIe siècle, Marseille domine le commerce méditerranéen des soudes. Chaque année, plus d’une cinquantaine de maisons de commerce participent à ces échanges et une dizaine d’entre elles contrôlent le marché1. Si des cargaisons de soude végétale arrivent parfois de Sicile ou du Levant, la plupart proviennent du littoral espagnol. C’est là, dans les fangas de l’Ebre, à Tortosa, dans la lagune d’Albufera, les marais de l’embouchure de la Segura ou dans les marismas du Guadalquivir que sont produites les meilleures qualités. Avant la Révolution, Marseille reçoit entre 13 000 et 15 000 tonnes de soude végétale par an pour alimenter la quarantaine de savonneries implantées autour du port2.
4La publication, en 1791, du brevet de Nicolas Leblanc, ne bouleverse pas immédiatement l’organisation générale de ce marché ce qui, de prime abord, peut paraître surprenant. Nicolas Leblanc est parvenu a produire du carbonate de soude en décomposant du sel marin avec de l’acide sulfurique ; cet acide est lui-même obtenu en faisant brûler un mélange de soufre et de salpêtre dans des fours spéciaux adossés à des chambres de plomb où s’opère la condensation des gaz. Les savonniers marseillais auraient dû être intéressés par l’industrialisation de ce procédé pour au moins deux raisons : d’une part, parce que cela leur aurait permis de ne plus dépendre de la soude végétale importée d’Espagne ; d’autre part, parce que toutes les matières premières nécessaires à sa mise en œuvre sont déjà présentes à Marseille et dans ses environs. De nombreux salins sont en effet exploités sur le littoral provençal, le soufre brut est régulièrement importé de Sicile pour les besoins des poudreries et des blanchisseries locales, et la fabrication de l’acide sulfurique par la technique des chambres de plomb est une activité bien connue à Marseille depuis les années 1786-1789 grâce aux essais réalisés par les frères Janvier3.
5Le procédé Leblanc a, il est vrai, deux inconvénients majeurs qui gênent son industrialisation et justifient, en fin de compte, les réticences des savonniers. Il produit, tout d’abord, de grandes quantités de vapeurs chargées d’acides qui sont encore difficiles à valoriser du point de vue industriel et que l’on rejette dans l’atmosphère au détriment de la santé des ouvriers, des populations et des cultures environnantes. C’est surtout un procédé qui n’est pas encore rentable. Ses importants besoins en soufre et en plomb laminé, deux matières premières onéreuses, font que le prix de revient de la soude Leblanc est toujours plus élevé que celui de la soude d’origine végétale importée d’Espagne. La fluidité et le dynamisme du marché méditerranéen des soudes végétales bloquent, en somme, l’industrialisation du procédé Leblanc. On perçoit bien, cependant, que la situation peut rapidement évoluer car tout, depuis les connaissances scientifiques jusqu’aux différents réseaux commerciaux et techniques, est déjà en place pour que l’industrie de la soude prenne le relais. Il suffirait, pour libérer ce potentiel industriel, que les approvisionnements en soude végétale soient durablement perturbés.
L’intervention de l’État
6Le « coup de pouce » des circonstances se produit sous le Premier Empire, au moment de la guerre d’Espagne. Les échanges avec la péninsule sont brusquement interrompus au printemps 1808 lorsque la Grande Armée de Napoléon 1er franchit les Pyrénées pour tenter d’écraser la rébellion de ceux qui s’opposent à l’arrivée de son frère, Joseph Bonaparte, sur le trône des Bourbon. Cette situation, difficile pour les grands centres de production de savon tels que Paris, Rouen ou Marseille, est au contraire une formidable aubaine pour les entrepreneurs qui essayaient vainement de rentabiliser le procédé Leblanc et dont les ambitions industrielles étaient contrariées par l’abondance et le coût modéré des soudes végétales importées d’Espagne. Dès 1808, les entrepreneurs parisiens Payen, Marc, Costel & Cie, Chaptal, Darcet fils, Anfrye, Joseph Gautier, Barrera ou les frères Pluvinet, se lancent dans la production à grande échelle de l’acide sulfurique et de la soude Leblanc pour approvisionner les savonneries de la capitale4. Ils font rapidement fortune : « M. Chaptal que j’ai vu hier (...), me parlait de MM. Gautier et Barrera qui fabriquent depuis plus d’un an et qui ont gagné plusieurs millions (...) La soude naturelle se vend 160 et la soude artificielle 80. Dieu veuille que les prix ne changent pas »5. Rouen n’est pas en retrait. Grâce à l’expérience qu’ils ont acquise dans la production de l’acide sulfurique, des entrepreneurs comme Pierre Pelletan, Haag, Lefrançois, Holker, Le Berthe ou Michel Dubuc se mettent aussi à produire du carbonate de soude6.
7Dans le Midi, c’est l’entrepreneur Jean-Baptiste Michel, déjà présent dans le raffinage du soufre, qui amorce le mouvement : en juin 1809, il ouvre une usine de soude au Sud de Marseille pouvant produire jusqu’à 500 tonnes par an. Deux mois plus tard, Charles Vasse, passant du professorat de mathématiques à l’industrie, construit à Istres, à proximité du salin de Rassuen, une usine d’une capacité de 600 tonnes par an. Il lui adjoint une fabrique d’acide sulfurique équipée de deux chambres de plomb. En ce même mois d’août 1809, Jean-Baptiste Chaptal et Amédée Berthollet, fils des deux grands chimistes français, installent au Plan d’Aren, entre Fos et Istres, une usine intégrée qui sera bientôt une des plus imposantes du département ; en septembre 1809, une nouvelle usine est ouverte par les frères Bonardel, à Marseille cette fois, pour approvisionner leur fabrique de savon7 ; dans le même temps, Charles Kestner, ancien professeur de chimie à Strasbourg et industriel confirmé, construit au quartier du Rouet une fabrique d’acide sulfurique équipée de 15 chambres de plomb, puis rachète une usine de soude fondée à Aix-en-Provence peu de temps auparavant8.
8Soucieux de favoriser le développement d’une branche industrielle innovante qui permet à la France d’être moins dépendante des marchés étrangers – la France est alors confrontée aux exigences et aux conséquences de la politique du blocus continental-, Napoléon1er prend alors deux décrets : le 13 octobre 1809, il exempte de toutes taxes le sel destiné aux raffineries de soude ; le 11 juillet 1810, il interdit l’entrée en France des soudes végétales étrangères. La nouvelle industrie est désormais protégée par l’État, une protection qui sera maintenue par les régimes politiques suivants jusqu’à la signature du traité franco-anglais de 1860. Comme on pouvait s’y attendre, les répercussions des deux décrets napoléoniens sont spectaculaires. Entre octobre 1809 et décembre 1810, une vingtaine d’entrepreneurs s’engagent dans la production d’acide sulfurique et de carbonate de soude9 ; fin 1810-début 1811, une dizaine d’autres entrent en scène pour construire de nouvelles usines ou reprendre celles qui sont en difficulté10. En quelques mois seulement, au prix d’un investissement global estimé à 4 millions de francs, deux nouvelles branches industrielles s’imposent dans Marseille et sa région11.
9Toutes ces initiatives ne débouchent pas sur autant de succès économiques. Après l’euphorie des années 1809-1811, les dernières années de l’Empire sont marquées par une grave récession qui provoque un véritable ressac industriel12. À Marseille, l’industrie de la soude est notamment victime des difficultés qui affectent la savonnerie, son unique débouché. Quelques savonniers diminuent leur production, d’autres ferment temporairement leur établissement en attendant le retour d’une conjoncture plus favorable et certains font faillite13. Entre 1810 et 1813, les effectifs de la savonnerie marseillaise chutent ainsi de 885 à 175 ouvriers14. Le déclin de la production savonnière, dont la réalité ne peut être sérieusement contestée15, a des répercussions immédiates et brutales sur l’industrie de la soude. Entre 1810 et 1811, le prix de vente du carbonate de soude passe de 132 à 53 francs les 100 kg, pour baisser encore à 29 francs en 1813, et à 26 francs en 181416 ! De nombreux entrepreneurs n’y résistent pas : en 1811, Michel Dubuc, Jacques Ricaud, Guillaume Flottard et les frères Pluvinet vendent leurs raffineries17 ; la même année, les frères Kestner, emportés par la faillite du savonnier Guy Ferrandi qui leur doit près de 100 000 francs, sont à leur tour ruinés et leur usine d’acide sulfurique est vendue 103 000 francs aux enchères publiques18 ; en 1813, les frères Gabriel et François Monier bradent à 3 000 francs une usine de soude qu’ils avaient racheté 40 000 francs à Guillaume Flottard deux ans auparavant19. Les sociétés qui parviennent à résister le font au prix de sacrifices financiers importants, comme en témoigne la correspondance échangée entre Jean-Antoine Chaptal et son fils Jean-Baptiste en 1811-1812 : « Le temps viendra où de grands établissements comme les tiens conduits avec intelligence et économie devront nécessairement prospérer. Fa crise actuelle déterminera la chute de tous ceux qui ne sont pas garanti ni par la fortune, ni par les lumières. » Et un peu plus tard, « Je suis navré de voir que votre usine ne vous donne pas les profits que vous êtes en droit d’espérer ; mais quelle est l’activité commerciale qui donne des profits aujourd’hui ? Ceux qui subsistent puisent dans leur propre fortune »20. Au total, sur la trentaine d’entreprises construites ou projetées entre 1809 et 1811, moins d’une dizaine sont encore en activité en 181421. Le soufflé industriel initial est retombé, mais l’industrie de la soude ne disparaît pas. Une fois la paix revenue, et toujours protégée par l’État, la branche maintiendra son activité en fonctionnant avec un effectif moyen d’une vingtaine d’entreprises jusqu’au milieu du XIXe siècle.
Entreprises et entrepreneurs
10Qui sont les entrepreneurs qui osent ainsi s’engager dans une activité aussi nouvelle que l’industrie de la soude ? De quels milieux géographiques et professionnels proviennent-ils et quels types d’entreprises fondent-ils ? Les origines géographiques de cette élite industrielle sont très variables. On trouve des Allemands, des Anglais, des Valenciennois, des Rouennais, des Strasbourgeois, des Lyonnais, des Parisiens et des Marseillais. L’industrie marseillaise de la soude est un creuset où les capitaux de l’Europe du Nord viennent se joindre et se mêler à ceux de l’Europe du Sud. Les Marseillais et les Parisiens sont toutefois les plus nombreux. Sur les 145 noms de gérants et de commanditaires répertoriés pour les années 1809-1844, liste non exhaustive mais néanmoins significative, ces derniers représentent respectivement 51 % et 32 % de l’effectif considéré. Les origines professionnelles de ces entrepreneurs sont aussi très diverses. L’industrie de la soude attire des producteur de sel, des négociants, des courtiers, des concessionnaires de mines de lignite, des rentiers, des professeurs, des médecins, des constructeurs de machines à vapeur, des militaires... Trois professions sont cependant plus souvent représentées que les autres. Celle, tout d’abord, des industriels de la chimie. Elle rassemble des entrepreneurs déjà spécialisés dans l’industrie chimique dans d’autres régions ou des Marseillais qui travaillaient jusque-là dans le raffinage du soufre. L’autre groupe est celui des savonniers. La plupart sont marseillais et se lancent dans la production de soude pour subvenir aux besoins de leur savonnerie. Reste, enfin, les banquiers. Ils sont souvent parisiens et investissent de préférence dans les grandes unités de production.
11Ces entrepreneurs, dont les mises de fonds varient considérablement, constituent différents types d’entreprises. Globalement, trois catégories peuvent être distinguées. Au sommet de l’échelle, on trouve en permanence deux ou trois unités de production intégrées présentes à tous les stades de la filière : elles possèdent leur propre salin, produisent du sel, de l’acide sulfurique et du carbonate de soude. Elles emploient généralement plus d’une centaine d’ouvriers logés dans le périmètre de l’usine. C’est dans ces sociétés que les investissements sont les plus importants : entre 300 000 et 500 000 francs dans les années 1809-1811, puis bien au-dessus de 500 000 francs au cours des décennies suivantes. Dans la première moitié du XIXe siècle, le record des investissements sera constamment détenu par la Compagnie des salines et produits chimiques du Plan d’Aren de Jean-Baptiste Chaptal : 500 000 francs en 1809, 1,2 million en 1819 et 2,4 millions de francs en 1824. Ce sera aussi la première entreprise du département à se constituer sous forme de société anonyme (1819). À l’échelon inférieur, on trouve une quinzaine d’usines spécialisées dans la production d’acide sulfurique et de carbonate de soude. Elles s’approvisionnent en sel dans les salins du littoral et emploient une cinquantaine de personnes, parfois moins. Leur capital social varie de 30 000 à 500 000 francs suivant les entreprises. Cet écart s’explique principalement par le nombre de chambres de plomb utilisées, chaque unité valant approximativement entre 25 000 et 35 000 francs. Au bas de l’échelle enfin, il y a les sociétés qui produisent uniquement de l’acide sulfurique ou du carbonate de soude. Elles ne sont jamais très nombreuses, moins de cinq usines, et sont surtout présentes au début de notre période. Au total, l’industrie de la soude apparaît comme une branche assez étoffée mais relativement hétérogène.
Portée et limites d’une industrialisation
12Toutes ces initiatives industrielles ont de profondes répercussions. Elles contribuent, tout d’abord, à poser les premiers jalons d’un réseau industriel régional, que ce soit du point de vue de l’occupation et de l’organisation de l’espace ou de celui de la diffusion des dernières nouveautés techniques.
L’émergence d’un réseau industriel
13L’impact de cette industrie chimique se caractérise avant tout par la multiplicité et la dispersion des lieux choisis par les entrepreneurs pour implanter leurs usines. Si les premières unités de production fondées dans les années 1809-1811 se situent principalement entre Fos et Marseille, sur une distance d’environ 40 km, elles s’implantent ensuite assez rapidement en dehors de ce foyer initial. Dès le début des années 1830, les industriels de la soude sont présents sur une bonne partie du littoral provençal, depuis la rade de Fos jusqu’à celle de Saint-Raphaël, dans le Var, avec des sites aussi inattendus que les îles des Embiez, de Porquerolles et de Port-Cros. La mer joue en Provence un rôle identique à celui des fleuves dans certaines vallées industrielles de l’intérieur des terres et apparaît comme l’élément fondamental de la continuité spatiale. Ces usines, désormais réparties sur une zone de près de 200 km, introduisent dans des campagnes isolées des activités et des bâtiments industriels similaires qui créent une logique d’ensemble, un destin économique commun et solidaire. Ce sont les premiers jalons de l’arc industriel marseillais, un arc qui allait être densifié et étendu lors la fondation des grands chantiers de construction et de réparation de navires à vapeur à Marseille (1835), La Ciotat (1835), La Seyne-sur-Mer (1845) et Gênes (1846)22.
14Ce littoral de la soude, les industriels marseillais ont d’ailleurs bien failli réussir à l’étendre à d’autres rivages méditerranéens. En 1838, les entrepreneurs Aimée Taix et François-Augustin Porry obtiennent en effet l’appui du roi de Naples Ferdinand II pour implanter des usines en Sicile, principal site d’extraction du soufre nécessaire à la fabrication de l’acide sulfurique. Deux établissements sont prévus dans la localité de Girgenti : une raffinerie de soufre bénéficiant du titre de « raffinerie royale », et une usine pouvant produire de l’acide sulfurique et du carbonate de soude23. Ce projet industriel, qui représente un investissement d’environ 180 000 francs, est conçu comme véritable opération de délocalisation industrielle. Non seulement le matériel est fabriqué à Marseille, mais les ouvriers spécialisés chargés de surveiller le bon déroulement des opérations de production proviennent tous de l’usine de François-Augustin Porry24. À elle seule, l’usine de soufre de Girgenti sera en mesure d’exporter 1 600 tonnes de soufre raffiné par an, soit 80 % du total de la production des raffineries marseillaises de l’époque ! Même si ces usines ne fonctionneront correctement qu’une dizaine d’années, elles n’en demeurent pas moins un témoignage intéressant du dynamisme et de l’ouverture d’esprit des entrepreneurs de l’époque dans leur façon de percevoir et d’instrumentaliser l’espace méditerranéen.
15L’impact des soudières Leblanc est aussi perceptible du point de vue technologique. Les chambres de plomb, où l’on fabrique l’acide sulfurique nécessaire à la décomposition du sel marin, se multiplient et deviennent, par leur coût, leur dangerosité et leur rôle vital dans le processus de production, le bâtiment emblématique de cette industrie chimique naissante. On en compte 51 en 1819 et près de 80 en 183025. L’intérieur de ces chambres étant entièrement recouvert de feuilles de plomb laminé qui nécessitent d’être fréquemment changées, cela stimule l’activité du laminage. Sous l’Empire et la Restauration, les usines de soude de la région s’approvisionnent en Avignon auprès de la Compagnie des fonderies du Vaucluse, une société anonyme de 2,4 millions de francs contrôlée par le banquier Beer-Léon Fould26. Travaillant jusque-là principalement pour la Marine, l’entreprise profite pleinement de ce nouveau débouché. D’une centaine d’ouvriers en 1807, ses effectifs passent à plus de 180 personnes en 1810, au plus fort du mouvement de création des soudières Leblanc. Pour faire face à « la consommation considérable de plomb des fabriques de soude factice », la Compagnie des fonderies du Vaucluse décide même, en 1812, de s’équiper d’un second laminoir de plomb considéré comme « le plus grand qui existe actuellement en France »27. Les usines de soude contribuent aussi à vulgariser l’usage de la vapeur. Certaines d’entre elles utilisent des « pompes à feu » pour organiser la circulation des eaux dans leur salin, faciliter la condensation de l’acide sulfurique dans les chambres de plomb ou tout simplement pour assurer leur approvisionnement en eau. Ce premier contact avec la haute technologie de l’époque est important car il permet aux entrepreneurs locaux de se familiariser avec les problèmes complexes liés à l’approvisionnement, au fonctionnement et aux réparations des chaudières vapeur, une activité assez mal connue jusque-là.
16Nuançons tout de suite le propos : ces avancées techniques importantes ne doivent quand même pas faire illusion au point de laisser croire à une sorte d’éveil général de l’espace régional aux hautes technologies de l’époque et à l’industrie. En effet, si les chambres de plomb se multiplient, leur usage était déjà connu à Marseille depuis la fin des années 1780 et on ne peut donc pas à proprement parler d’une nouveauté. De la même manière, si la demande en plomb laminé augmente, elle ne progresse pas au point de permettre l’ouverture d’un atelier de laminage à Marseille où se concentre pourtant le plus grand nombre d’usines chimiques. Les tentatives faites en 1820 par Cavallier et Charles Duterreault échoueront et il faudra attendre le début des années 1830 pour qu’un autre industriel, Fouilloux aîné, se lance avec succès dans ce type d’activité28. Les mêmes réserves peuvent être formulées à propos du rôle joué par les soudières Leblanc dans la diffusion de la vapeur. Si certaines d’entre elles utilisent des « pompes à feu », la demande sur ce type de biens d’équipement ne permet quand même pas l’ouverture et le fonctionnement régulier d’un atelier de construction mécanique. L’échec du projet du constructeur marseillais Elzéar Degrand qui, en 1819, tente vainement d’amorcer la production en série de plusieurs centaines de « pompes à feu » est, de ce point de vue, très révélatrice des limites du marché local29. En outre, les industriels de la soude ne se montrent pas particulièrement précoces pour investir dans l’achat de machines à vapeur rotative type Watt. Exception faite de l’usine de Jean-Baptiste Chaptal30, ce n’est que dans le courant des années 1830-1840, en même temps que beaucoup d’autres branches locales, que les usines de soude commenceront à s’équiper en machines à vapeur type Watt pour procéder au broyage des matières premières nécessaires à leur activité (calcaire, sel, sulfate etc.). Et, là encore, il s’agit d’une demande limitée. En 1844, seulement 22 % des soudières des Bouches-du-Rhône sont équipées de machines à vapeur, contre 71 % pour les raffineries de sucre et 90 % pour les huileries de graines oléagineuses. Ce ne sont donc pas les usines de soude qui fournissent l’essentiel des commandes aux ateliers de construction mécanique fondés à Marseille dans les années 1830 par Jean-Baptiste Falguière, Louis Benet ou Philip Taylor.
Vers de nouvelles pratiques sociales patronales
17La structuration de l’espace régional par l’industrie de la soude doit aussi être appréciée du point de vue social. Installées dans des zones rurales isolées, regroupant parfois plus d’une centaine d’ouvriers, les usines de soude génèrent des flux de population et introduisent des méthodes de gestion de la main-d’œuvre qui organisent la vie des ouvriers bien au-delà du strict domaine de la production. L’établissement du Plan d’Aren, construit par Jean-Baptiste Chaptal et Amédée Berthollet, en est une bonne illustration. Fondé en 1809 avec un effectif d’une centaine d’ouvriers, il en compte plus de 200 en 1830, « logés avec leur famille, pour la majeure partie », dans « d’immenses bâtiments »31. Le personnel d’encadrement est aussi hébergé par l’usine. De quels types de logements s’agit-il ? L’entrée principale de l’usine est encadrée par deux maisons à étage : celle destinée au domicile du gérant et aux bureaux de la Société et celle réservée au logement des contremaîtres et des employés. À l’intérieur, des logements de plain-pied adossés à l’enceinte de l’établissement sont occupés par les familles ouvrières et les ouvriers célibataires. C’est une sorte de petit village industriel dont le bâti reflète déjà la hiérarchie sociale de l’usine. Les logements réservés aux ouvriers appellent plusieurs commentaires. S’agit-il de casernes ? Si l’on s’en tient au seul critère architectural, la réponse est plutôt négative. Ces longues barres rectangulaires de plain-pied sont nettement plus modestes et rudimentaires que les casernes à étages construites au Creusot dans la première moitié du XIXe siècle et ressemblent davantage à des logements d’ouvriers agricoles. En revanche, sur le principe, elles répondent aux mêmes objectifs de stabilisation, de contrôle et de formation d’une main-d’œuvre d’origine rurale encore peu habituée à se conformer aux exigences de ponctualité, de régularité et d’assiduité du travail en usine.
18Cet exemple n’est pas isolé. D’autres industriels de la soude ont, au cours de la même période, adopté des principes similaires : à Rassuen, non loin d’Istres, la plupart des 70 ouvriers employés par la soudière en 1819 sont hébergés à l’intérieur de l’usine dans des dortoirs construits non loin des chambres de plomb et des ateliers de fabrication du carbonate de soude32 ; dans leur usine de Septèmes, les industriels Rigaud, Crémieu & Delpuget logent leurs ouvriers dans deux bâtiments en rez-de-chaussée de 8,40 mètres sur 3,25 mètres33 ; au vallon de Lun, quartier de Mazargues, l’entreprise Daniel frères & Cie a construit « dans la cour de la fabrique » une maison à étage de 14 chambrées et « quatre petits cabanons » pour héberger ses ouvriers34 ; aux Goudes, petit port au Sud de Marseille, Pierre et Félix Rivalz logent plus de 130 ouvriers dans des chambrées situées à proximité de leur usine ; sur l’île de Port-Cros, où l’entrepreneur marseillais Jean-François Gazzino gère une soudière depuis 1818, le directeur vit dans une grande bâtisse à étage et les ouvriers logent dans un bâtiment de plain-pied de 5,25 mètres sur 26 mètres, ainsi que dans plusieurs cabanes de 33 mètres de long sur 7 mètres de large « construite en bois et en maçonnerie »35 ; aux Embiez, la société Durand fils & Cie a aménagé différents « appartements » pour sa vingtaine d’ouvriers36 ; sur celle de Porquerolles, où les industriels Rigaud, Crémieu & Delpuget sont installés depuis 1827, le directeur, le gérant et le contremaître disposent chacun d’une maison à étage, tandis que les familles des 150 ouvriers de la soudière sont logées dans différentes « maisons d’habitation »37 ; à Saint-Raphaël, toujours sur le littoral varois, Bernard Revertegat a fait construire un « corps de bâtisse d’un seul étage servant de logement pour le maître et les ouvriers » juste à côté de son usine de soude38. En milieu rural, l’hébergement des ouvriers dans le périmètre des usines est donc un phénomène fréquent, car indispensable à la bonne marche des entreprises.
19Si des ouvriers et des familles ouvrières sont logés toute l’année à proximité des usines, on peut supposer l’existence d’un minimum d’organisation sociale, ne serait-ce que pour assurer leur approvisionnement en nourriture, en vêtements, pour faire face aux problèmes de santé, aux accidents du travail, ou encore pour occuper les enfants... En ce qui concerne la nourriture, les usines possèdent souvent leur propre jardin potager et leur verger. Elles peuvent aussi s’adresser, comme l’établissement des frères Mallez à Septèmes, aux fermes environnantes. Il arrive encore qu’elles engagent du personnel spécialisé. En 1837 la Compagnie des salines et produits chimiques du Plan d’Aren de Chaptal autorise un boulanger à construire, « à ses frais », un four à pain dans l’usine39 ; sur l’île de Port-Cros, l’usine possède dès sa fondation un four à pain et dispose d’une exploitation agricole spécialement créée pour assurer la nourriture des ouvriers40 ; à Porquerolles, les industriels Rigaud, Crémieu & Delpuget ont préféré créer une « cantine ». Construite aux frais de l’usine, équipée d’une boulangerie, d’une cave, d’une cuisine et de différents magasins destinés au stockage et à la vente du vin, de la viande, des légumes ou des vêtements, elle est gérée par un commerçant à qui les industriels ont accordé certains privilèges : « Les acquéreurs déclarent qu’ils imposent aux ouvriers de leur fabrique l’obligation de s’approvisionner exclusivement à la cantine et aux magasins du sieur Michel et ils s’obligent à congédier ceux qui y contreviendraient mais à condition, toutefois, que le sieur Michel ou ceux qui auraient pour lui la manutention et l’exploitation de la dite cantine, la tiendront convenablement approvisionnée et fourniront aux dits ouvriers des objets de bonne qualité à un prix n’excédant pas celui des mêmes objets vendus dans les boutiques de détail à Toulon et à Hyères, augmenté des frais de transport (...). Il est encore entendu que les acquéreurs et les exploitants de la fabrique, ainsi que les commis et les agents, ne seront pas soumis à s’approvisionner à la cantine et pourront se faire venir du continent tous les objets dont ils auront besoin (...). Les acquéreurs déclarent s’interdire sur leur terrain l’établissement de toute autre cantine, boutique et magasin et tout établissement d’auberge, de moulin à farine, de boutique ou débit de pain, de vin, de viande, de légumes, de comestibles et d’effets d’habillement. »41.
20Clientèle ouvrière captive, monopole des ventes, contrôle des prix et des produits achetés par les familles ouvrières, liberté de choix réservée au personnel d’encadrement... Nous ne sommes qu’en 1827 et cependant les principes énoncés dans ce contrat font déjà penser à ceux des économats qui seront une des pièces maîtresses des politiques paternalistes de la seconde moitié du XIXe siècle. Qu’il s’agisse du logement ou des autres aspects de la vie sociale, nous sommes bien là en présence de quelques-uns des principes de base du fonctionnement des futures cités ouvrières, d’un véritable effort pour organiser de façon rationnelle, rentable et à peu près semblable, des espaces économiques collectifs.
21Plusieurs enseignements peuvent être tirés de l’analyse de cet essor industriel. D’un point de vue local, tout d’abord, il apparaît que les industriels de la soude ont joué un rôle clé et pionnier dans la mise en place des premiers fondements d’un réseau industriel régional. Ce littoral de la soude sera plus ou moins étendu suivant les périodes, mais ses fondements ne seront pas véritablement remis en cause avant le dernier tiers du XIXe siècle. Pour autant, il apparaît tout aussi nettement que cette première élite industrielle n’a pas réussi à provoquer un éveil industriel général de ce même espace. Ce rayonnement partiel s’explique avant tout par la position de cette activité au sein de l’économie locale. Loin d’être une branche autonome, motrice, c’est une production totalement dépendante du niveau de prospérité de la savonnerie marseillaise, son principal débouché. Or, dans la première moitié du XIXe siècle, la savonnerie marseillaise est confrontée à des difficultés structurelles liées aux rigidités de son procédé de fabrication qui limitent sa croissance et, par contrecoup, celle des usines de soude42. Tant que la savonnerie n’aura pas résolu ses problèmes structurels, et elle n’y parviendra pas avant les années 1840, la croissance et les effets structurants des usines de soude dans l’espace régional demeureront limités.
22D’un point de vue plus général, ensuite, on constate que contrairement à ce qui s’est produit dans les ports de la façade atlantique tels que Bordeaux, Nantes et Le Havre, où la disparition du grand commerce océanique pendant les guerres de la Révolution et du Premier Empire s’est traduite par un processus de « désindustrialisation » et de « pastoralisation »43 des économies régionales, la fermeture des échanges maritimes trans-méditerranéens et la destruction de l’ancien équilibre économique ont ici été relayées par le développement d’activités de production nouvelles, à caractère industriel, qui ont à leur tour dynamisé d’autres activités locales comme la récolte du sel marin, l’extraction du lignite, le laminage du plomb, le raffinage du soufre ou la fabrication du savon. Loin d’être la cause d’un quelconque blocage des activités de transformation, le protectionnisme du Premier Empire, relayé ensuite par celui de la Restauration et de la monarchie de Juillet, a donc permis à la Provence de franchir un premier palier sur la voie de l’industrialisation.
23Le phénomène est d’autant plus important qu’il ne s’agit pas, comme dans l’industrie du coton, la sidérurgie ou la construction mécanique, d’une industrialisation transplantée et fondée sur des techniques de production importées de Grande-Bretagne. Avec les dizaines de soudières construites à Rouen, Paris et en Provence au cours de la première moitié du XIXe siècle, la France prend une incontestable avance sur tous les autres pays occidentaux, et notamment sur la Grande-Bretagne qui, n’ayant jamais été coupée de ses approvisionnements en soude végétale, n’industrialisera pas le procédé Leblanc avant la fin des années 182044. Le décalage technologique joue, une fois n’est pas coutume, en faveur de la France. À une réserve près : si l’industrie française de la soude se constitue sous la protection de l’État, celle de la Grande-Bretagne se formera à l’épreuve du marché et cette différence s’avérera fondamentale lorsque à la suite du traité de 1860 les deux industries se retrouveront face à face en situation de libre concurrence. Les conditions du développement industriel d’une branche sont parfois plus déterminantes pour son avenir que la précocité de son industrialisation.
Notes de bas de page
1 Jean-Baptiste Gautier, Pierre Maystre, Samatan frères, Solier & Cie, Hubaud & Delineau, Jean-Esprit Sauvan, Granier frères, Blanchard neveux & fils, Badaraque père & fils, Dugone & Agnel, Roux frères (N. Bardiot, Du sale au propre. Marseille et la soude au siècle des Lumières, Paris, ADHE, 2001).
2 Avec 236 chaudières à feu nu, la savonnerie marseillaise produit alors 22 500 tonnes de savon par an dont une partie est exportée en Europe et dans les colonies (C. Bonnet, « Les Bouches-du-Rhône sous le Consulat et l’Empire : évolution économique et vie politique », Paris I, Thèse de doctorat, 1986, t. I, p. 257-258).
3 X. Daumalin, Du sel au pétrole. L’industrie chimique de Marseille-Berre au XIXe siècle, Marseille, Paul Tacussel, 2003, p. 24-26 et « La formation du complexe chimique de Marseille-Berre l’étang (1808-1810) », Marseille, n° 190, 2000, p. 12-31.
4 L. Bergeron, L’Épisode napoléonien, Paris, Éd. du Seuil, 1972, t. I, p. 203-205 ; J.-G. Smith, The Origins and early development of the heavy chemical industry in France, Oxford, Clarendon Press, 1979, p. 261-264.
5 Témoignage de Philippe Girard, cf. X. Daumalin, O. Raveux, Philippe de Girard ou l’invention de l’Europe industrielle (1775-1845), Avignon, ASPPIV, 1999, p. 41.
6 J. G. Smith, The Origins..., op. cit., p. 267-280.
7 Archives départementales des Bouches-du-Rhône (désormais ADBdR), 14 M 10/3.
8 ADBdR, 533 U 826 ; Id., 381 E 315.
9 François Augustin Porry, Jérôme Party, Pluvinet frères & Cie, Jean et Jules Baux, Louis Toussaint & Cie, Jean-François Vangaver (ou Haslaver), Michel Gautier (frère de l’industriel parisien Joseph Gautier), Jacques Ricaud, Jean-Baptiste Vidal, Antoine Girard, Roubaud frères, Biaise Rougier, Blondeau & Lieutaud, Michel Dubuc et Guillaume Flottard fils.
10 André et Philippe Mallez, Camille Girard, Joseph Mitre Brezet, Joachim Jullien, Médier & Cie, Allégre, Jean-Baptiste Olive, Legrand & Cie, Charpentier, les frères Marini et Rigaud, Gabriel Monnier, Gazzino, Armand & Deschamps...
11 Arch. Chambre de Commerce de Marseille (désormais ACCM), MP 372114, mémoire des raffineurs de soude factice, 1814.
12 L. Bergeron, Banquiers, négociants et manufacturiers parisiens du Directoire à l’Empire, Paris, Mouton, 1978, p. 294.
13 Ferrandy et Meraon en 1810 et 1812.
14 C. Bonnet, « Les Bouches-du-Rhône... », op. cit., t.I, p. 271-272.
15 Voir, à ce sujet, les doutes émis par F. Spannel, « Les éléments de la fortune des grands notables marseillais au début du XIXe siècle », Provence historique, t. VII, fasc. 28, avril-juin 1957, p. 95-130.
16 16 Arch. Mun. Aix-en-Provence, F 2/4.
17 ADBdR, 380 E 373 ; id., 357 E 275 ; Feuilles d’affiches..., 1811-1812.
18 ADBdR, 533 U 826.
19 ADBdR, 381 E 315 ; Feuilles d’affiches..., 1813.
20 A. De Peyre, « Lettres de Jean-Antoine Chaptal à son fils (1808-1816) », Revue du Gévaudan, des Causses et des Cévennes, n° 5, p. 68-73.
21 Jean-Baptiste Michel, Gautier, Rabinel & Cie, Bérard & Cie (ex-Pluvinet frères & Cie), Jean-Baptiste Chaptal fils, les frères Mallez, Jean-Baptiste Vidal, les frères Rigaud (ex-Michel Dubuc) et Blaise Rougier.
22 X. Daumalin, M. Courdurié, Vapeur et Révolution industrielle à Marseille (1831-1857), Marseille, CCIMP, 1997 ; O. Raveux, Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe siècle, Paris, CNRS éd., 1998 ; X. Daumalin, O. Raveux, « Marseille (1831-1865) : une Révolution industrielle entre Europe du Nord et Méditerranée », Annales HES, 2001, n° 1, p. 153-176.
23 Ce projet s’inscrit en réalité dans une opération plus vaste qui comporte plusieurs aspects. Il y a, à la base, la volonté du roi Ferdinand II d’essayer de réguler le marché du soufre afin d’éviter les fréquentes baisses des cours qui ruinent les exploitants de mines siciliennes. Dans ce but, il accorde à Taix, Aycard & Cie, une société de 5,1 millions de francs soutenue par le banquier Jacques Laffitte et quelques actionnaires marseillais, le monopole du commerce des soufres de Sicile. Le volet industriel de l’affaire répond à d’autres préoccupations : désir de valoriser la production de ses gisements en faisant transformer le soufre sur place plutôt que de le laisser raffiner à Marseille ; souhait de ne plus dépendre des usines marseillaises pour alimenter ses poudrières en soufre raffiné ; volonté d’engager son pays dans l’industrie de la soude pour satisfaire la demande potentielle des savonneries du Nord de l’Italie.
24 R. Giuffrida, Investimenti di capitale straniero in Sicilia (1556-1855), Palermo, 1991, p. 68-93 ; O. Cancila, Storia dell’industria in Sicilia, Roma, 1995, p. 28-31.
25 ADBdR, 6 M 27 ; H. de Villeneuve, Statistique du département des Bouches-du-Rhône, Marseille, t. IV, 1834, p. 783.
26 J.-P. Locci, Fonderies et fondeurs. Histoire des établissements métallurgiques en Vaucluse aux XIXe et XXe siècles, Avignon, ASPPIV, 1988, p. 21-89 ; G. Chastagnaret, « Marsella en la economia internacional del plomo », Revista de Historia industrial, 1992, n° 1, p. 11-38 ; A.-F. Garçon, « Les Métaux non ferreux en France aux XVIIIe et XIXe siècles (ruptures, blocages, évolutions au sein des systèmes techniques) », Paris, Thèse de doctorat, 1995, vol. II, p. 422-430.
27 AD Vaucluse, 6 M 427.
28 O. Raveux, Marseille, ville des métaux..., op. cit., p. 61-64.
29 X. Daumalin, H. Tachoire, « Un couple d’innovateurs marseillais et la Société d’encouragement pour l’industrie nationale : les époux Degrand-Gurgey », Actes du colloque organisé pour le bicentenaire de la SEIN les 8-9 novembre 2001, Paris, à paraître.
30 Au début des années 1820, Jean-Baptiste Chaptal a équipé son usine de deux machines à vapeur fixes (une de 12 et l’autre de 8 chevaux) pour actionner différents moulins « à trituration » (Rapport de MM Castellet, Evrard et Sault dans la cause de la Compagnie anonyme du Plan d’Aren, Aix, 1828).
31 AD de l’Hérault, 94 J 136.
32 ADBdR, 6 M 27.
33 Le Sémaphore de Marseille, 8 oct. 1837.
34 ADBdR, 380 E 559.
35 Le Sémaphore de Marseille, 4 nov. 1836.
36 Le Sémaphore de Marseille, 11 sept. 1833.
37 Le Sémaphore de Marseille, 1er nov. 1843.
38 Le Sémaphore de Marseille, 29 oct. 1839.
39 AD de l’Hérault, 94 J 136.
40 AD du Var, 9 M 15/31.
41 ADBdR, 356 E I 233.
42 X. Daumalin, « Demande, offre et croissance dans l’industrie marseillaise de la soude (1808-1913) », Actes du colloque Artisans, industrie. Nouvelles révolutions du Moyen Âge à nos jours des 7-8-9 juin 2001, Paris, à paraître.
43 F. Crouzet, « Wars, Blockade and Economic Change in Europe, 1792-1815 », Journal of Economic History, décembre 1966, p. 567-588 ; L. Bergeron, « Problèmes économiques de la France napoléonienne », Revue d’histoire moderne et contemporaine, juillet-septembre 1970, p. 469-505.
44 T. C. Barker, R. Dickinson, D. W. F. Hardie, « The Origins of the Synthetic Alkali Industry in Britain », Economica, XXIII, 1956, p. 158-171 ; D. Landes, L’Europe technicienne ou le Prométhée libéré, Paris, Gallimard, 1975, p. 153-162.
Auteur
UMR TELEMME, Université de Provence-CNRS
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