Orléans (Loiret), lycée Saint-Euverte. Évolution et transformation d’un quartier domestique et artisanal du Haut-Empire vers une nécropole au cours de la première moitié du IIIe s.
p. 255-266
Résumés
Une fouille archéologique préventive réalisée en 2017 dans l’enceinte du lycée Saint-Euverte, à Orléans (Loiret, France), a permis l’étude d’une occupation urbaine domestique et artisanale du Haut-Empire, remplacée à partir du iiie s. par une zone funéraire perdurant pendant toute la fin de l’Antiquité et le Moyen Âge. Ce changement dans l’occupation de l’espace s’est déroulé très rapidement, à la suite de la destruction du quartier du Haut-Empire par incendie. La nécropole est constituée exclusivement d’inhumations, présentant des caractéristiques similaires entre le iiie et le xie s. L’utilisation de sarcophages à partir du ve s. confirme le caractère ad sanctos et chrétien de cet espace funéraire, à proximité de l’oratoire comportant le tombeau de l’évêque Euverte situé à l’emplacement de l’église actuelle.
The preventive archaeological excavation carried out in 2017 at the lycée Saint-Euverte in Orléans (Loiret, France) enabled the study of a Roman urban domestic and craft production site, which was replaced by a funeral area from the 3rd century AD and throughout the Late Antiquity period and the Middle Ages. This change of land use was quite rapid, following the destruction of the High Empire area by fire. The necropolis was exclusively used for burials presenting similar characteristics between the 3rd and 9th centuries AD. The use of sarcophagi from the 5th century AD confirms the ad sanctos and christian character of the funeral area, particularly near the oratory with the tomb of the bishop Euverte located at the very position of the currently existing church.
Entrées d’index
Mots-clés : Orléans, Haut-Empire, Antiquité tardive, architecture domestique, christianisation, espace funéraire
Keywords : Orleans, High Empire, Late Antiquity, household architecture, christianisation, funeral area
Texte intégral
1. Contexte et présentation de l’opération
1La fouille archéologique « bâtiment F » du 28 rue de l’Ételon / lycée Saint-Euverte à Orléans a été conduite par le Pôle d’Archéologie de la Ville d’Orléans entre mars et juin 2017, avec une équipe composée en moyenne de cinq archéologues1. Le lycée Saint-Euverte est localisé dans l’angle nord-est de la ville intra-muros d’Orléans, à un des angles de l’enceinte urbaine moderne et à environ 500 m au nord du cours actuel de la Loire (fig. 1).
2Cette fouille faisait suite à un diagnostic réalisé par le Pôle d’Archéologie durant l’été 2016 (Courtois, Ladam 2016). Au sein de l’emprise du lycée, l’opération archéologique se situe à l’emplacement de deux anciens bâtiments en front de boulevard, détruits juste avant le diagnostic. Le projet d’aménagement correspondait à la construction d’un nouveau bâtiment destiné à accueillir des salles de classe, un amphithéâtre en sous-sol, un internat, etc. La zone de fouille est distante de moins de 10 m de l’église désacralisée de Saint-Euverte, dont l’état actuel pourrait dater des xiie- xiiie s.
3Deux zones de fouilles ont été ouvertes, correspondant aux emprises des deux parties excavées du futur bâtiment. Ces deux zones reprennent l’emplacement des sous-sols des anciens bâtiments, ce qui explique qu’elles aient déjà subi un décaissement assez important lors de la construction de ces bâtiments au cours du xxe s., impactant ainsi l’état de conservation des vestiges et a fortiori celui des sépultures.
2. Contexte archéologique
4Le secteur de Saint-Euverte et, plus globalement, le quart nord-est de l’intra-muros d’Orléans, a fait l’objet de nombreuses interventions archéologiques depuis plus de 30 ans (fig. 1).
5Dans l’enceinte du lycée, deux précédentes fouilles réalisées en 1989 et 1996 ont mis au jour une partie du quartier antique, avec deux rues à angle droit et quelques parcelles possédant des bâtiments sur cave (Petit 1989 ; Joyeux et al. 1997). Plusieurs inhumations datées du ive s. attestent de l’évolution de la zone en espace funéraire après l’abandon de l’habitat.
6Plus à l’ouest, lors du diagnostic de la rue Saint-Euverte en 2015 (Courtois et al. 2021), deux sondages profonds sur des surfaces très réduites avaient permis d’identifier des niveaux de sol intérieurs antiques confirmant l’urbanisation de cette zone, recoupés par une série d’inhumations datées par 14C entre le ve et le viie s.
7Des découvertes similaires avaient déjà été effectuées au xixe s., d’abord lors de la construction d’une filature de coton en 1805 qui avaient permis d’observer une série de maçonneries antiques correspondant sans doute à un entrepôt (Jollois 1836 : pl. 22), puis en 1864 lors de fouilles réalisées au nord de l’église (Du Faur de Pibrac 1864), avec la mise au jour d’une rue nord-sud ainsi que de nombreuses sépultures (une incinération et des inhumations dont certaines en cercueil).
8La tradition veut que l’emplacement de l’église Saint-Euverte corresponde à un oratoire Sainte-Marie-du-Mont, construit au ive s. au cœur d’une nécropole préexistante. Euverte, évêque de la ville à cette période, y aurait été inhumé dans un caveau dont des traces pourraient subsister dans une crypte située à proximité de la croisée du transept (Joyeux 2002a). De nombreux sarcophages ont été mis au jour dans ou autour de l’église, confirmant l’attrait du pôle cultuel et funéraire durant la fin de l’Antiquité et le haut Moyen Âge.
2.1. Quartier domestique et commercial du Haut-Empire
9Sur la fouille du bâtiment F du lycée Saint-Euverte, les traces d’occupation antérieures au ier s. de notre ère sont presque inexistantes. Durant la première moitié de ce siècle, le quartier semble alors peu densément occupé. Il faut attendre la seconde moitié du ier s. de notre ère et le début du iie s., pour que l’espace commence à se densifier avec l’installation d’une fosse d’extraction et un bâtiment semi-excavé de type cellier ou structure de stockage. Ce n’est qu’à partir du milieu du iie s. que l’urbanisation du quartier prend de plus en plus d’importance.
2.1.1. Densification de l’habitat à partir du milieu du iie s.
10Au sud de l’emprise de fouille, sans doute vers le milieu du iie s., une cave maçonnée quadrangulaire est aménagée, avec une pièce principale d’environ 16 m² de surface utile et un accès qui s’effectue par un escalier au sud (fig. 2). Cette cave possède notamment de très nombreux creusements disposés le long des murs, matérialisant sans doute l’emplacement de vases de stockage2. Au cours des premières décennies du iiie s., le bâtiment subit une importante destruction, possiblement un incendie, qui a entraîné sa ruine partielle. Le comblement d’abandon de la cave a livré un mobilier plutôt exceptionnel, reflétant le caractère domestique et commercial de ce quartier périphérique (fig. 3).
11À la même période que l’installation de la cave sud, un autre bâtiment sur cave est aménagé plus au nord, à cheval sur l’emprise d’une fosse d’extraction du iie s., alors comblée. Seule la partie orientale de cette cave a été dégagée puisqu’elle se poursuit au-delà des limites de fouille. Sa surface utile mise au jour représente environ 9,5 m². Il pourrait se situer le long d’une rue est-ouest, non observée en fouille en raison du dérasement des niveaux de sol antique mais dans une zone qui n’a livré presqu’aucun vestige durant toute l’époque romaine, matérialisant un espace laissé libre. Ce bâtiment sur cave sera finalement détruit par incendie au tout début du iiie s., sans doute dans la première décennie. Des traces d’incendie partiel sont en effet visibles, avec des traces de chauffe et de rubéfaction des parois de la cave. L’abandon de cette cave et son comblement au moyen de remblais de démolition et d’occupation interviendront très rapidement. L’étude céramique a démontré que son incendie et son abandon se situent durant le premier quart du iiie s.
2.1.2. Le quartier Saint-Euverte au Haut-Empire
12Les alentours de Saint-Euverte correspondent donc à l’époque romaine à un quartier de frange urbaine mêlant habitations, ateliers et entrepôts, sillonné par des rues parallèles au decumanus et au cardo et à proximité de voies sortantes (fig. 4). L’urbanisation du quartier semble débuter dès le ier s. de notre ère, avec de rares structures s’apparentant à de petits ateliers et surtout la mise en place du réseau viaire axé sur les rues principales de la ville du Haut-Empire. L’habitat se densifie progressivement entre la seconde moitié du ier s. et le début du iiie s., sous la forme de parcelles de taille variable bordant les rues. Le bâti se compose de petites maisons en matériaux périssables construites sur cave maçonnée, d’ateliers construit en bois et torchis et parfois semi-excavés. À cette période, les espaces funéraires sont situés plus à l’est le long de la voie vers Sens (actuelle rue du Faubourg Bourgogne ; Baratin 1976), ou possiblement plus au nord le long d’une grande place faisant office d’entrée de ville (Joyeux 2002b : 23). Le quartier est progressivement abandonné à partir du début du iiie s., certainement suite à un incendie, et rapidement remplacé par une nécropole.
2.2. Destruction du quartier et premières sépultures, la question de la chronologie
13Le mobilier céramique issu du comblement de la cave antique nord de la fouille du bâtiment F n’est pas le seul indice chronologique de la destruction du quartier et de l’abandon des bâtiments sur cave au tout début du iiie s. Plusieurs sépultures postérieures recoupent en effet les remblais de comblement de cette cave ou se situent à proximité immédiate (fig. 6). Ainsi, la sépulture d’un individu adulte fouillée lors du diagnostic offre deux fourchettes de datation 14C comprises entre les années 60-180 et 190-215. Située le long du mur oriental du bâtiment sur cave, il semble exclu que cette inhumation et l’occupation de la maison adjacente puissent être synchrones. La destruction et l’abandon du bâtiment interviennent donc nécessairement avant l’année 215, considération conforme aux datations issues de l’étude céramique.
2.3. Nécropole tardive et cimetière paléo-chrétien
14Sur l’ensemble de la zone fouillée, 68 sépultures ont été mises au jour (fig. 5). Malgré la date précoce d’apparition des premières tombes, il s’agit exclusivement d’inhumations. Elles sont toutes orientées est-ouest, avec la tête à l’ouest.
15Les sépultures sont essentiellement concentrées à l’extrémité nord de l’emprise fouillée, seules quatre d’entre elles sont situées dans les deux tiers sud. De manière générale, peu de recoupements ont été identifiés, rendant la datation relative délicate pour la majorité d’entre elles. Le phasage repose ainsi essentiellement sur la typologie des architectures funéraires et sur les datations 14C, ce qui explique certaines fourchettes chronologiques larges : ce sont ainsi une vingtaine de datations radiocarbone qui ont été effectuées, en plus des sept déjà réalisées lors du diagnostic.
16De manière générale, les tombes sont rarement conservées dans leur intégralité : un grand nombre est recoupé par les limites de l’emprise de fouille et par les structures modernes et contemporaines. Parmi ces dernières, les plus destructrices ont été sans aucun doute les sous-sols des bâtiments récemment détruits, qui expliquent en partie l’isolement des quatre sépultures méridionales (fig. 6). Il est très net qu’à leurs emplacements, seules les sépultures les plus profondes ont été conservées. La question de la répartition et de la densité des structures funéraires est donc difficile à aborder. Enfin, la mauvaise conservation des ossements a également été un frein lors de l’étude anthropologique.
2.3.1. Du début du iiie au début du ive s. : les premières sépultures
17Six sépultures ont été identifiées comme appartenant à la première phase d’inhumation, qui s’échelonne entre le iiie et le début du ive s. Elles sont localisées dans les deux tiers sud de la concentration de sépultures à venir. Deux d’entre elles sont creusées directement dans les comblements supérieurs de la cave antique nord, et la tombe F362 a même largement entamé le mur nord de celle-ci (fig. 6).
18La présence d’un axe de circulation nord-sud, localisé à une douzaine de mètres plus à l’est, constitue un élément de topographie important étant donné l’attrait exercé par la voirie sur les espaces funéraires à proximité des villes (Tranoy 2000). Dans ce sens, l’hypothèse d’une autre voie est-ouest située immédiatement au sud de la cave peut être mentionnée. Elle pourrait expliquer l’absence de sépultures et plus largement de structures excavées sur une large bande entre la cave et le cellier.
19Assez espacées les unes des autres, ces six sépultures sont réparties sans organisation visible et ne présentent ni regroupement ni recoupement entre elles. Leurs orientations identiques et l’absence de recoupement laissent présager une signalisation des tombes en surface. Elles contiennent chacune un individu décomposé en position primaire.
20Les architectures funéraires qui ont pu être restituées sont plutôt similaires : il s’agit de trois cercueils cloués et d’un contenant en bois qui pourrait être un cercueil ou un coffrage. Les individus inhumés sont cinq adultes (deux de sexe féminin et trois de sexe indéterminé) et un immature appartenant à la classe d’âge [1-4] ans.
2.3.2. De la fin du iiie s. à la première moitié du ve s. : densification de l’espace funéraire
21À partir de la fin du iiie s., l’occupation funéraire du site se densifie considérablement (fig. 7). Au moins 31 nouvelles sépultures s’installent dans un espace de moins de 75 m² et huit d’entre elles sont creusées dans les remblais de la cave antique. Les tombes de cette deuxième phase d’inhumation se caractérisent notamment par une grande continuité avec les pratiques funéraires de la phase précédente. Un grand nombre d’entre elles a d’ailleurs été phasé grâce aux datations radiocarbone car les données archéologiques seules ne permettaient pas de toutes les différencier des premières inhumations.
22Cette phase pourrait correspondre à l’édification de l’oratoire autour du tombeau d’Euverte, évêque d’Orléans mort aux alentours de 390 (Joyeux 2002a). Les sources écrites sont imprécises et peu fiables au sujet de ce bâtiment, mais sa présence pourrait expliquer l’attrait connu par ce secteur au cours du ve s. La voie supposée au sud de l’aire funéraire pourrait également avoir été un élément structurant de l’espace. En outre, comme à la période précédente, la présence d’une signalisation aérienne des sépultures est perceptible en raison du faible nombre de recoupements. De plus, les quelques recoupements observables n’impactent souvent qu’une petite partie du comblement de la fosse : seuls trois squelettes sont recoupés. Deux alignements nord-sud de sépultures sont décelables et appuient également cette hypothèse. Enfin, toutes les tombes considérées sont de type primaire et individuel.
23Pour 24 de ces sépultures, l’architecture funéraire a pu être restituée. Les cercueils cloués sont majoritaires : 14 cas ont été identifiés, dont un « mixte » composé d’un cercueil associé à un coffrage de pierres et de TCA. Dans neuf autres cas, la présence d’un contenant en bois est attestée mais il pourrait également s’agir de coffrages de bois montés in situ. La sépulture F338 se distingue par son coffrage incomplet inédit dans la région : cette bâtière est composée de deux tegulae posées sur la tête de l’individu et calées par deux blocs de calcaire d’assez gros module (fig. 8). Les observations taphonomiques permettent d’envisager la présence de planches de bois poursuivant la couverture sur le reste du corps.
24La population inhumée est composée de 20 adultes (deux masculins, huit féminins, 10 indéterminés) et 11 immatures répartis de façon relativement homogène dans toutes les classes d’âge de 0 à 19 ans.
2.3.4. ve et vie s. : fin de l'Antiquité
25La troisième période d’inhumation du site est représentée par une douzaine de sépultures datées des ve et vie s. (fig. 9). On distingue une rangée de sarcophages au nord-ouest et une rangée assez fragmentaire d’inhumations en contenants en bois au sud-est de ceux-ci. La concentration de sarcophages à l’extrémité nord de la zone pourrait indiquer un élément polarisant situé au-delà de l’emprise de fouille : cela pourrait tout-à-fait correspondre à l’oratoire dédié à Saint-Euverte qui prend de l’ampleur au cours du temps.
26La signalisation aérienne supposée des tombes des phases précédentes semble avoir en grande partie disparu : de nombreux recoupements ont été observés, même si peu concernent les individus eux-mêmes. Moins profondes, les nouvelles fosses n’ont souvent pas atteint les niveaux de dépôt de la deuxième période d’inhumation.
27Parmi les douze sépultures considérées, cinq sont des inhumations en sarcophages. Le seul observé dans sa totalité était composé de deux moitiés de cuve jointes au centre par du mortier. Le couvercle, initialement monolithique, était plat et ne montrait aucun décor. Trois autres sarcophages semblaient très similaires et le cinquième était trop incomplet. Au moins deux d’entre eux ont été occupés successivement par plusieurs défunts ; un autre ne contenait qu’un seul individu. La prédominance des cercueils cloués décline : ces derniers ne sont présents que dans trois tombes. Ceci est en adéquation avec une observation commune, à partir du ve s., à l’ensemble de la Gaule (Colardelle et al. 1996). Enfin, un des contenants en bois n’a pas pu être déterminé avec certitude. Il pourrait cependant s’agir d’un coffrage en bois monté in situ.
28Les individus inhumés sont cinq adultes (l’un de sexe féminin, les autres de sexe indéterminé) et sept immatures âgés de 1 à 19 ans. L’un d’entre eux, âgé de 5 à 9 ans, a été déposé dans un sarcophage de taille adulte et était entouré d’une partie des os du ou des précédents occupants.
2.3.5. À partir de la fin du vie s. : interruption des inhumations puis réoccupation médiévale
29De la fin du vie à la fin du viie s., aucune sépulture ne semble être installée dans l’emprise fouillée. Pendant cette période, des fosses à la fonction indéterminée sont creusées et recoupent les tombes des phases précédentes, y compris deux sarcophages dont les fonds, pourtant épais, sont transpercés. Ces fosses pourraient correspondre à des étapes de reconstruction ou d’agrandissement du bâtiment cultuel dédié à Saint-Euverte, dont on ne sait pas s’il s’agit encore d’un oratoire ou déjà d’une église. Tout au long de cette période, il est probable que les inhumations se poursuivent dans d’autres secteurs du cimetière, peut-être plus éloignés de cet édifice.
30Le secteur fouillé est à nouveau investi par des sépultures à partir de la fin du viie s., pour deux dernières phases d’inhumation qui courent jusqu’au xie s. Comme nous l’avons vu, ces phases sont très mal représentées car très impactées par les perturbations modernes du site.
Conclusion
31En conclusion, sur l’ensemble du secteur funéraire mis au jour lors des fouilles du lycée Saint-Euverte, l’homogénéité des vestiges est remarquable sur une période longue de huit siècles, du début du iiie s. à la fin du xie s.
32En premier lieu, on peut noter l’exclusivité absolue de l’inhumation au sud de l’église à une période pourtant précoce. En effet, généralement, le passage de la crémation majoritaire au monopole de l’inhumation est observé entre le milieu et la fin du iiie s. (Blaizot 2009). Au-delà des fenêtres de fouille bien identifiées de 1996 et 2017, il faut mentionner plusieurs urnes cinéraires mises au jour sur le site. Certaines de ces découvertes anciennes ne sont pas localisées avec précision et les céramiques n’ont pas fait l’objet d’études approfondies : leur datation exacte, notamment, reste sujette à caution. Aussi, ces vestiges pourraient aussi bien être antérieurs au iiie s., qu’avoir été installés peu ou prou au même moment que les premières inhumations fouillées. Quoiqu’il en soit, ils prouvent que l’aire funéraire du quartier Saint-Euverte n’a pas connu que la pratique de l’inhumation.
33Sur la fouille du bâtiment F en 2017, aucun os brûlé ou vestige de crémation ne permet d’évoquer l’hypothèse d’une coexistence de ces deux traitements du corps. Cependant, lorsqu’une telle coexistence a été mise en évidence, il semble que les secteurs « inhumations » et « crémations » soient relativement bien séparés dans l’espace. La nécropole de Saint-Marcel / Argentomagus (Indre), datée des iie-iiie s., en est un bon exemple : de manière générale, les adultes y sont préférentiellement brûlés et les enfants de moins de 1 an inhumés. Or, le site présente des zones plutôt consacrées à l’une ou à l’autre de ces pratiques mais rarement avec une exclusivité absolue (Durand 2013). En surface, aucun indice de sectorisation de l’espace n’a été identifié. Pour la nécropole de Saint-Euverte, faut-il envisager que le ou les secteurs consacrés aux crémations soient situés assez loin de l’emprise de la fouille, de telle sorte qu’aucun vestige de crémation n’ait été retrouvé sur le site malgré une coexistence des deux pratiques et une limite éventuellement perméable entre les secteurs dévolus à l’une ou à l’autre ?
34Sur la même base de réflexion, l’absence d’individus immatures de moins d’un an permet de suspecter un secteur dévolu aux inhumations des tout-petits en dehors des fenêtres d’observations archéologiques à notre disposition. À l’opposé du site de Saint-Marcel qui ne sectorise pas les dépôts en fonction de l’âge des défunts, ce type de répartition est néanmoins déjà connu au travers de sites comme celui des « Châteliers » à Suèvres (Loir-et-Cher ; Trébuchet et al. 2013).
35Par ailleurs, force est de constater que l’orientation des sépultures reste constante et ne permet pas de distinguer les différentes phases chronologiques. De la même façon, il faut noter le peu d’évolution dans les architectures des tombes : les contenants en bois sont largement majoritaires et le cercueil cloué prépondérant. Enfin, l’absence de mobilier funéraire et d’éléments de parure est un autre élément important à considérer. Si cette observation est assez courante sur les sites du Haut Moyen Âge en région Centre-Val-de-Loire3, elle l’est beaucoup moins pour ceux de l’Antiquité4.
36Comme de nombreuses contributions à cet ouvrage l’attestent, la réoccupation funéraire de zones antiques abandonnées est un phénomène régulièrement observé grâce à l’archéologie ces dernières années. Cependant, le site de Saint-Euverte présente deux particularités notables : d’une part, l’installation des tombes se fait très rapidement après l’abandon de l’habitat, sans doute en quelques années. D’autre part, l’espace funéraire perdure ensuite jusqu’au milieu du Moyen Âge, très probablement en raison de la présence de l’oratoire puis de l’église dédiés à Euverte.
37Afin d’étendre la réflexion, l’ensemble des données issues des différentes fouilles et des découvertes fortuites a été compilé, permettant de réaliser des cartes de l’utilisation funéraire du quartier Saint-Euverte, l’une du iiie au vie s. et l’autre du viie au xie s. (fig. 10). L’époque médiévale montre, comme c’est souvent le cas, une occupation extensive de l’espace, centrée autour du tombeau de Saint-Euverte, figuré par l’étoile rouge. Pour ce qui est de la charnière entre la fin de l’Antiquité et le début du haut Moyen Âge, les points d’observation ponctuels laissent un certain nombre de blancs entre les fenêtres explorées et ne permettent pas de définir la trame exacte de l’occupation funéraire. Aussi, si l’on peut présager que les voies de communication ont été des éléments polarisants pour l’installation de nouvelles tombes, il reste impossible de déterminer si l’occupation funéraire antique du quartier a été continue ou morcelée.
38Tous ces éléments nous amènent à la question de la christianisation de la population orléanaise lors des premiers siècles de notre ère. Ainsi, si nous pouvons tenir comme acquis que les tombes des ve-vie s. sont chrétiennes, qu’en est-il des sépultures antérieures présentant les mêmes caractéristiques ? Les pratiques funéraires similaires identifiées lors de la fouille peuvent-elles argumenter d’une homogénéisation des pratiques cultuelles ?
Bibliographie
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Cabezuelo, Baillieu 1989 Cabezuelo U., Baillieu M., La nécropole de Bruère-Allichamps (Cher) (ive-xviiIe s.), Cahiers d'archéologie et d'histoire du Berry, 98, p. 23‑36.
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Joyeux et al. 1997 Joyeux P., Blanchard P., Josset D., Orléans, Lycée Saint-Euverte, 28 rue de l’Etelon, Rapport de fouille archéologique, AFAN / SRA Centre.
Monnier, Mouquin 2018 Monnier J., Mouquin E., La villa romaine de Courtepin/Fin Dessus et sa cave, Cahiers d'Archéologie Fribourgeoise, 20, p. 28‑75.
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Petit 1989 Petit D., Orléans, Lycée Saint-Euverte : sauvetage urgent no 89/09, Rapport de sauvetage urgent.
Riquier, Salé 2006 Riquier S., Salé P., La nécropole du Haut-Empire de Tavant (Indre-et-Loire), in Ensembles Funéraires Gallo-Romains de la Région Centre I, Supplément à la Revue Archéologique du Centre de la France, p. 1‑108.
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Trébuchet et al. 2013 Trébuchet É., Bouillon J., Couvin F., Dalayeun M.-D., Nouvelles données sur les espaces funéraires antiques de Suèvres (Loir-et-Cher) : « Les Châteliers » et « Marais de la Prasle » (seconde moitié du iie-vie s. ap. J.-C.), in Ensembles Funéraires Gallo-Romains Loire Moyenne II, Revue Archéologique du Centre de la France, FERACF, Tours, p. 123-160.
Notes de bas de page
1 Pour une présentation plus complète des vestiges observés lors de cette opération, voir la fiche du site internet du Pôle d’Archéologie d’Orléans (https://archeologie.orleans-metropole.fr/carte-interactive?detail=5647), le rapport de fouille (Courtois, Ziegler 2020) ou un article synthétique (Courtois, Ziegler 2018).
2 Comme par exemple la cave de l’état 2 du bâtiment B du site de Courtepin/Fin Dessus en Suisse, canton de Fribourg (Monnier, Mouquin 2018 : fig. 10).
3 Les aires funéraires sans mobilier à la période mérovingienne semblent assez typiques de la moitié sud de la région Centre et du nord de l’Auvergne : parmi d’autres, on peut citer les exemples d’Aschères-le-Marché dans le Loiret (Pecqueur et al. 2008) ou des lieux-dits « Le Vieux Cimetière » et « Les Varnes » à Bruère-Allichamps dans le Cher (Cabezuelo, Baillieu 1989).
4 Des dépôts mobiliers ont été mis au jour dans une majorité de tombes de la nécropole du Hameau de Lazenay à Bourges, dans le Cher (Durand 2005 : 129) ou de celle de Tavant, en Indre-et-Loire (Riquier, Salé 2006 : 75-93).
Auteurs
Pôle d’Archéologie de la Ville d’Orléans, Orléans, France
CITERES-LAT, UMR 7324, Tours, France
Pôle d’Archéologie de la Ville d’Orléans, Orléans, France
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Peupler et habiter l’Italie et le monde romain
Stéphane Bourdin, Julien Dubouloz et Emmanuelle Rosso (dir.)
2014
Archéologie au présent
Les découvertes de l’archéologie préventive dans les médias
Catherine Dureuil-Bourachau
2015
Sarta Tecta
De l’entretien à la conservation des édifices. Antiquité, Moyen Âge, début de la période moderne
Charles Davoine, Maxime L’Héritier et Ambre Péron d’Harcourt (dir.)
2019
Gérer l’eau en Méditerranée au premier millénaire avant J.-C.
Sophie Bouffier, Oscar Belvedere et Stefano Vassalo (dir.)
2019
Le village de la Capelière en Camargue
Du début du ve siècle avant notre ère à l’Antiquité tardive
Corinne Landuré, Patrice Arcelin et Gilles Arnaud-Fasseta (dir.)
2019
Les métaux précieux en Méditerranée médiévale
Exploitations, transformations, circulations
Nicolas Minvielle Larousse, Marie-Christine Bailly-Maitre et Giovanna Bianchi (dir.)
2019
L’Homme et l’Animal au Maghreb, de la Préhistoire au Moyen Âge
Explorations d’une relation complexe
Véronique Blanc-Bijon, Jean-Pierre Bracco, Marie-Brigitte Carre et al. (dir.)
2021