L’aire funéraire rupestre de l’agglomération secondaire d’Ugium (Saint-Blaise, Saint-Mitre-les-Remparts, 13920, France), état des lieux de la recherche
p. 189-201
Résumés
Cet article est l’occasion de revenir sur un des plus grands ensembles de tombes rupestres du Sud de la France situé hors les murs du site de Saint-Blaise (Ugium de l’Antiquité tardive). Il s’agit de synthétiser les données issues des fouilles anciennes et de proposer une nouvelle étude statistique et topographique de cette aire funéraire réinvestie récemment. Nous élaborerons des pistes de réflexion concernant sa connexion avec l’habitat et son terroir mais aussi pour d’éventuels futurs travaux d’anthropo-biologie.
Discovered in the 19th century, the archaeological site of Saint-Blaise has generated much scientific interest. However, as early excavations systematically ignored the upper levels, Late Antiquity elements remained poorly studied until the 1980s. Despite our recent work, the set of rock-cut tombs established between the 5th and 7th centuries has never been thoroughly studied. Although an anthropobiological investigation is needed, an initial inventory and a topographic survey done in the forest of Castillon in August 2020 allow a specific reflection on the relationship between the town and the 430 rock-cut tombs.
Entrées d’index
Mots-clés : tombes rupestres, archives de fouilles, agglomération secondaire, statistique
Keywords : rock-cut tombs, excavation documents, secondary town, statistics
Texte intégral
Introduction
1Connu depuis le xixe siècle, le site archéologique de Saint-Blaise (commune de Saint-Mitre-les-Remparts, 13) a suscité le vif intérêt de la communauté des archéologues quelle que soit leur spécialité (Rolland 1951, 1956 ; Bouloumié 1984 ; Démians d’Archibaud et al. 1994). Dominant un espace géographique privilégié de la basse Provence, entre mer, étangs et steppe de la Crau, Saint-Blaise a été le siège d’occupations successives et discontinues entre le Néolithique et l’époque moderne. Ce sont surtout les spécialistes de la Protohistoire qui ont démontré l’importance de cet « oppidum du sel » dans les premiers contacts entre le monde méditerranéen et les populations celtiques du sud de la Gaule avant la fondation de Marseille, l’érigeant ainsi en capitale d’un vaste territoire jusqu’à son abandon à la fin du iie siècle av. n.è. (Chausserie-Laprée et al. 2019). Les recherches sur la réoccupation tardo-antique du site ont suscité moins d’intérêt de la part des premiers archéologues1, entre sa mise en évidence en 1924 (De Cabrens 1924) et la publication des sondages menés par Gabrielle Démians d’Archimbaud dans les années 1990 (Démians d’Archimbaud et al. 1994). Si, au cours de nos travaux nous avons pu aborder en profondeur les dynamiques d’occupation de ce chef-lieu secondaire et sa place dans le contexte méditerranéen de l’habitat perché (Valenciano 2015), il s’avère que l’aire funéraire associée n’a jamais fait l’objet d’une étude approfondie. Il s’agit pourtant du plus grand ensemble de sépultures rupestres reconnue à ce jour dans le Sud de la France. Elle s’inscrit également dans un contexte plus vaste de tombes rupestres disséminées dans la région de l’ouest de l’étang de Berre, entre les communes actuelles de Fos-sur-Mer et Istres (fig. 1).
2Une typologie des tombes rupestres de Saint-Blaise a bien été engagée dans les années 1970 et 1980 (Kérourio 1976, 1981), mais n’a pas vraiment donné suite à une étude de grande ampleur. Nous présentons ici les résultats d’un premier inventaire des structures visibles ainsi qu’une topographie de cette aire funéraire dressés à la suite d’un incendie qui a ravagé la forêt de Castillon en août 2020. Cette étude préliminaire à une éventuelle campagne de fouilles à vocation anthropo-biologique permet de s’interroger sur l’organisation de cet espace comportant au moins 430 tombes rupestres datées des ve-viie siècles de n.è.
1. Les principales phases de l’occupation d’Ugium
3Afin de résumer les principaux résultats de nos recherches (Valenciano 2015, 2021, à paraître), nous rappellerons ici synthétiquement les 9 principales phases d’occupation de Saint-Blaise tardo-antique (Ugium des textes médiévaux) telles que nous les avons revues sur la base du phasage proposé par Gabrielle Démians d’Archimbaud (fig. 2).
4Bien que des traces de fréquentation du plateau de Saint-Blaise soient visibles entre le ier siècle et le début du ve siècle de n.è., ce n’est qu’au cours de la seconde moitié de ce même siècle qu’un véritable habitat se réinstalle sur les ruines de l’oppidum, probablement encore visibles, suivant le mouvement général de retour sur les hauteurs, perceptible dans les régions méditerranéennes. Situé sur le territoire de la cité d’Arles, Saint-Blaise fait figure de chef-lieu secondaire administrant un terroir riche en ressources naturelles et bénéficiant du dynamisme du port de Fos et son ouverture à l’ensemble des flux d’échanges méditerranéens et rhodaniens. Difficile à caractériser en raison des travaux de terrassement ultérieurs, cette première phase de l’occupation tardo-antique pourrait adopter une trame lâche articulée à proximité d’une première église construite sur un promontoire de déblais surplombant la Ville Basse constitué des vestiges de la porte de l’oppidum hellénistique et du parement interne du rempart archaïque. Cette première église, aux dimensions relativement importantes (28 m x 11 m) ne concentre aucune tombe autour d’elle ni à l’intérieur de ses annexes.
5Le début du vie siècle est marqué par une phase d’expansion au cours de laquelle l'agglomération se dote d’une parure monumentale au service d’une trame d'occupation quasi-urbaine répartie sur les 5,5 ha de l’ancien oppidum. L’observation des différentes couches archéologiques a démontré que le plateau a subi de grands épisodes de terrassements ayant conduit au creusement d’immenses fosses-dépotoirs dont la plupart sont comblées de matériaux de construction et de rejets domestiques. Bien que les raisons d’un tel bouleversement demeurent obscures, il laisse place à de vastes structures telles qu’un impressionnant rempart de 450 m de long ainsi qu’une domus à probable vocation élitaire dite la « maison à abside ». Ceci est sans doute le reflet d’une nouvelle fonction du site et d’une aire d’influence qui serait à mettre en corrélation avec la domination franque de la Provence à partir des années 536-537.
6Le siècle suivant parait marqué par un déclin de la densité des habitats implantés sur le plateau. Ceux-ci pourraient désormais se concentrer sur la partie sommitale du site et n’en redescendre qu’à partir du xie siècle pour fonder le castrum médiéval de Castelveyre occupé jusqu’au xive siècle.
2. La « nécropole rupestre »2, une zone délaissée de la recherche à Saint-Blaise
2.1. Quelques observations « anthropo-biologiques »
7Entre 1938 et 1954, Henri Rolland et son équipe ont dégagé 132 tombes au total. Alors que les archives laissées par Henri Rolland fournissent de nombreux détails sur les vestiges et les niveaux archéologiques à l’intérieur du site, il est surprenant de constater le vide de la documentation concernant la fouille de cette aire funéraire3. Il est vrai que la plupart des tombes avaient été vidées anciennement que ce soit au cours du Moyen Âge, lors de l’époque moderne, ou plus anciennement. Seulement quelques-unes d’entre-elles ont été correctement décrites dans les notes manuscrites laissées par l’archéologue. Ces rares fiches de fouilles sont datées entre 1937 et 1950 et constituent les seules informations de première main dont on dispose encore actuellement en l’absence de nouvelles investigations (fig. 3). Ces précieuses minutes de terrain renseignent sur les modes de creusement de la cuve dans le substrat calcaire, le comblement éventuel de la structure après inhumation, la position des individus, le nombre d’inhumations reconnues dans un même creusement ainsi que sur le type de mobilier mis au jour. Nous transcrivons ici le contenu des fiches les plus significatives tel qu’il nous est parvenu :
Tombe 1
- 1 : cadavre trouvé en place, les pieds tournés vers le S.-E., la tête reposant dans une légère dépression circulaire ;
- 2 : à hauteur du bassin se trouvait une boucle de ceinturon en fer et à la même hauteur, mais sous le corps était placée une lame de couteau ou de petit poignard à soie, à côté se trouvait encore un fragment de la virole du fourreau avec son anneau ;
- 3 : sur le côté gauche du cadavre le fond d’un bol en céramique grise s’est peut-être fortuitement mélangé à la terre de remplissage.
8Le cadavre avait été inhumé habillé, avec son poignard à la ceinture, toutes matières autres que le métal se sont décomposées, l’arme et la boucle sont demeurées en place.
Tombe 2
9Elle ne contenait pas de mobilier mais de nombreux ossements :
- 1 : un squelette les pieds à l’Est ; le crâne déplacé gisait, très détérioré près du bras droit ramené sous le bassin, le maxillaire gauche reposant sur le cou ;
- 2 : près du bassin était placé le crâne d’un tout jeune enfant ;
- 3 : aux pieds, un crâne brachycéphale assez bien conservé, et fragments osseux divers : bassin, calcanéum… Deux fémurs étaient engagés sous les membres inférieurs du squelette, mais placés en sens contraire à ces derniers ;
- 4 : crâne très fragile situé dans l’angle du pied gauche.
Tombe 3 (mai 1939)
- 1 : la fosse a été creusée avec un instrument tranchant en métal, laissant des traces vives de 0,04 m de largeur ;
- 2 : contrairement aux tombes fouillées antérieurement à nos recherches et qui contiennent un mélange en désordre de pierres, d’ossements et de terre, celle-ci était remplie de terre fine et le squelette entier demeuré avec ses os en connexion ;
- 3 : le corps était allongé, les pieds au Sud-Est, les bras allongés contre les flancs ;
- 4 : aux pieds du cadavre se trouvaient quelques débris d’une boîte crânienne. À l’ouest, près de la tête du mort demeurée complète, on a recueilli la partie gauche d’un maxillaire ;
- 5 : pas de mobilier funéraire, si ce n’est un petit fragment de lame de fer, de 0,05 m, à section triangulaire, très corrodée, trouvée à la droite du cadavre, un peu au-dessous de la ceinture ;
- 6 : au côté droit de la tête, partant de la fosse vers l’extérieur a été ménagé une profonde rigole, destinée à assurer l’écoulement des eaux s’infiltrant dans la tombe. Cette rigole fait des coudes, l’un vers l’Est, l’autre vers le Sud, pour se perdre dans une coupure du front de carrière, ce qui démontre que celle-ci est antérieure au creusement du sarcophage.
Tombe 4
10Placée plus au Nord, le long de la route à ornières. Sarcophage bien orienté, les pieds à l’Est, malgré la déclivité contraire du rocher vers la route (Ouest). Squelette unique accompagné d’un débris de lame de fer et d’une petite boucle en bronze, avec ardillon d’un type connu à Estagel.
11Une autre fiche, datée du 29 juin 1948, fait état de cinq individus inhumés dans une même cuve. Les observations anatomiques réalisées sur les restes ostéologiques sont effectuées sur le terrain par un médecin, Dr Beaucaire4, traduisant l’intérêt d’Henri Rolland pour l’étude « anthropologique5 ». Bien que les descriptions soient modestes et aujourd’hui déconnectées de la pratique actuelle, il faut noter cet effort méthodologique rare à cette époque :
Tombe no 75
12Orientée Est-Ouest, les pieds à l’est. La tête sur un coussinet taillé à même le roc, comme le reste de la tombe et tenant toute la largeur de celle-ci. L= 1,75 m ; l= 0,54 m ; P= 0,45 m. On y remarque la présence de cinq sujets, discernés par leurs maxillaires inférieurs :
- 1 : un vieillard, édenté, caractérisé par l’amincissement de la partie antérieure du maxillaire et l’abrasion des dents. Au moins 60 ans ;
- 2 : un adulte, robuste, avec abrasion des molaires, les incisives en bon état ;
- 3 : peut-être une femme caractérisée par de petits condyles. On y remarque de très nombreuses caries ;
- 4 : sujet d’une quarantaine d’année, petit et musclé avec chevauchement des dents inférieures ;
- 5 : un enfant d’environ 7 ans caractérisé par l’inclusion dans le maxillaire inférieur de l’incisive définitive (latérale gauche). Il présente deux molaires définitives, la 3e molaire est encore incluse dans le maxillaire inférieur droit.
13Parmi les autres ossements : 7 cols de fémur ont été reconnus dont les 2 de l’enfant et ses 2 rotules. Des débris divers brisés (radius, tibia, péroné, phalanges). Le premier sujet semblait en place dans la tombe. Le cinquième (enfant) avait ses ossements, notamment le maxillaire inférieur aux pieds du premier sujet. Le reste était très bouleversé. Aucun mobilier funéraire. Peut-être sommes-nous en présence d’une tombe ayant servi de charnier.
14Ces faibles observations sont suivies par une vidange systématique des tombes et le regroupement indifférencié des restes ostéologiques à l’intérieur des vestiges de la petite église médiévale (xe-xie siècles) du secteur ecclésial B, découverte en 1938. Nous avons effectivement été surpris lors de la reprise des fouilles en 2013 d’une importante concentration d’ossements mélangés à un remblai contemporain comportant les restes de consommation de l’équipe des fouilleurs d’Henri Rolland (boites de sardines en conserve et tessons bouteilles de vin essentiellement) !
2.2. Le mobilier issu des tombes rupestres
15Dans les minutes de fouilles résumées ci-dessous, la présence de mobilier, essentiellement métallique, est mentionnée et cela représente bien souvent la seule indication dont on dispose sur la tombe (fig. 4). Cela représente 42 objets identifiés en contexte funéraire mais l’absence de repères topographiques au moment de la fouille rend impossible toute analyse statistique sur la répartition de ces objets déposés6. Notre étude restera donc une analyse stylistique générale des objets métalliques basée sur les travaux de Michel Colardelle (Colardelle 1983), Patrick Périn (Périn et al. 1985) et Françoise Stutz (Stutz 1996). Loin d’être le reflet d’un emploi systématique des « sépultures habillées », ce mobilier funéraire permet de redonner des jalons chronologiques pour l’occupation de ce cimetière et son intégration au sein d’aires d’influences stylistiques liées à l’habillement.
2.2.1. Les accessoires de vêtement
- Boucles massives
16Les boucles en bronze (ou base cuivre) à l’aspect massif no 923, 674, 925, 991, 992, 1017 et 10207 entrent dans la catégorie Périn 52 (et variantes) et constituent un ensemble cohérent caractéristique des productions de l’Europe Occidentale entre le vie et le viie siècle directement hérité du substrat romain (Colardelle 1983 : 118 ; Duchesne, Hernandez 2005 : 213). Présentes systématiquement dans les grands ensembles funéraires de l’époque, tel que le cimetière de Cadarache (Pouyé et al. 1994), elles permettent d’inscrire l’aire funéraire de Saint-Blaise/Ugium dans cet intervalle chronologique. Ce type de boucle auquel correspondent des ardillons à base scutiforme plus ou moins échancrés, est associé dans les études de référence aux sépultures masculines ou d’enfants. Ils ont sans doute été produits en même temps que des plaques-rivets également scutiformes dont deux exemplaires ont déjà été publiés par Henri Rolland (Rolland 1956 : fig. 172).
- Boucles carrées de petite dimension
17Ces boucles en bronze (no 994, 1031, 993) de très petites dimensions, initialement attribuées à des enfants, étaient sans doute destinées à fermer des lanières ou des bourses. À Cadarache, deux exemplaires comparables seraient caractéristiques du vie siècle (Pouyé et al. 1994 : 67 et 122, fig. 39-7).
- Autres types de boucles en bronze
181018 : (tombe 210). Cette petite boucle en bronze godronnée serait également un indice de liaison avec les régions septentrionales. Identifié par Françoise Stutz dans le cimetière de Beaucaire-sur-Baïse (Gers ; Stutz 1996 : 159), ce modèle semble contemporain ou légèrement postérieur aux boucles en bronze du type Périn 52 datées du vie siècle.
191028 : (tombe 223). Uniquement renseignée par l’inventaire d’Henri Rolland, cette boucle en bronze ovale est percée de 7 ocelles. Elle présente une forme légèrement trapézoïdale terminée par une protubérance arrondie. Il semblerait que cette pièce soit davantage destinée à la fixation des chaussures ou d’accessoires de buffleterie. Michel Colardelle place ce type de boucle dans le courant du vie siècle (Colardelle 1983 : 118).
- Boucles en fer
20997 : Boucle réniforme en fer à laquelle l’ardillon était encore associé. Mentionnée uniquement dans l’inventaire d’Henri Rolland, cette boucle appartient au groupe le plus ancien des garnitures de ceintures : à partir de la fin du ve siècle d’après Françoise Stutz (Stutz 1996 : 159 et 171, pl. 2- 1 et 2). Ce type de garniture apparaît également dans les sépultures féminines du sud-ouest de l’Allemagne à la toute fin du ve (Roth 1998).
21924, 1008, 1016 et 1036 sont des boucles en fer, souvent mal renseignées par les archives ou trop fragmentaires pour que le type soit formellement identifié.
- Garnitures de fer
22669 : (tombe 1). Garniture de ceinture en fer complète (boucle et contre-boucle) associée à un couteau également en fer (no 668). Mentionnée uniquement dans l’inventaire d’Henri Rolland, cette garniture de ceinture de forme trapézoïdale était décorée de bossettes ou de rivets. Le peu de renseignements dont nous disposons au sujet de cet objet ne nous permet pas d’en déduire une quelconque attribution stylistique.
23L’étude des accessoires liés à l’habillement est un moyen de prouver, pour la première fois, que l’aire funéraire de Saint-Blaise/Ugium s’inscrit non seulement dans la mouvance générale des habitudes vestimentaires de l’ensemble de la Gaule, résultant de l’évolution des modes romaines mais également dans un phénomène de perméabilité aux influences septentrionales et, dans une moindre mesure, aux coutumes aquitaines. Ce brassage des faciès culturels mis en évidence au travers des travaux de Françoise Stutz et Patrick Périn a prouvé les échanges commerciaux Nord/Sud et explique l’absence de style provençal propre.
2.2.2. Les éléments de parure
24Le mobilier relatif à la parure des défunts est assez peu représenté à Saint-Blaise8. Concernant les boucles d’oreille, nous n’avons comptabilisé que deux occurrences dans le registre d’inventaire (no 998 et 999). La première comporte un ergot à son sommet tandis que la seconde est caractérisée par une boucle réalisée grâce à la torsion du métal à base de cuivre. D’après Françoise Stutz, les boucles d’oreille seraient surtout l’apanage de la parure féminine du vie siècle (Stutz 1996 : 167). De même, seuls 3 bagues ou anneaux ont été inventoriés (no1002 en argent, 1011 en bronze et 1014 à décor de rouelles) et le caractère lacunaire des études concernant les bagues et les anneaux du haut Moyen Âge rend particulièrement difficile la datation de ces objets.
2.2.3. Couteaux et lames
25D’après Françoise Stutz (Stutz 1996), le dépôt d’armes ou de couteaux dans les tombes ne se développe qu’au cours du vie siècle pour être ensuite définitivement abandonné. À Saint-Blaise/Ugium, nous n’avons dénombré que 4 couteaux/poignards en fer (no 668, 996, 1035) et une petite lame en bronze (1010).
3. Typologie et topographie des tombes rupestres de Saint-Blaise
26Toutes les tombes tardo-antiques mises au jour à Saint-Blaise sont implantées extra muros, démontrant une longue survivance des pratiques funéraires romaines et une application stricte de la loi des Douze Tables reprise par le code Théodosien. Elles se répartissent en groupes plus ou moins serrés (loci) pour lesquelles il n’est pas encore possible d’établir les liens entre les individus inhumés.
27Si les observations bio-archéologiques sont encore très lacunaires, la morphologie de ces tombes rupestres est aujourd’hui bien connue. Une typologie a été engagée dans le cadre d’une maîtrise universitaire (Kérourio 1976, 1981) et reste d’actualité. Bien que d’ampleur limitée puisqu’aucune statistique ni plan général n’ont été dégagés de cette étude, celle-ci reste pertinente. Ainsi, les différents types de tombes reconnus sont les suivants : les tombes parallélépipédiques ou trapézoïdales sont simples ou dotées d’aménagements internes. Ces derniers prennent la forme soit d’un coussin occupant la largeur de la tombe sur 15 à 20 cm de large et jusqu’à 4 cm de haut soit d’une encoche céphaloïde réservée dans le coussin (fig. 5). Seule une tombe fouillée par Henri Rolland comporte « une petite pierre rectangulaire creusée d’une cupule pour y loger l’arrondi du cervelet » (Rolland 1951 : 169). Pour les tombes creusées dans un secteur à forte déclivité, des aménagements de drains extérieurs permettent l’évacuation des eaux de pluie.
28Les cuves étaient majoritairement fermées par une couverture constituée par des dalles calcaires agencées bout à bout. En revanche, les plus privilégiées étaient dotées d’un couvercle monolithe taillé en double pente et pourvu d’acrotères (fig. 6). Bien que cette typologie soit pertinente, elle s’est toutefois avérée limitée puisqu’aucune statistique ni plan général n’a été dégagé de cette étude.
29À la suite de nettoyages et d’une campagne de relevés réalisée en 2010, nous avons mené en 2015 une étude topographique et statistique de cet ensemble qui a pu être complétée suite à la campagne de prospection-inventaire qui a suivi l’incendie d’août 2020 (Valenciano 2021). Nous avons procédé à un comptage exhaustif des tombes visibles, décrit un large échantillon afin d’en proposer des résultats statistiques cohérents. Ainsi, la mise à nu du terrain favorise la localisation des tombes et la lecture du paysage relatif à cette aire funéraire permettant d’en cerner ses limites. En effet, la carte de répartition des tombes, en lien avec la topographie naturelle du plateau, suggère une délimitation nette de plusieurs aires funéraires, en fonction des zones de rupture de pente, sur une superficie totale de 14 ha (fig. 7).
30L’étude statistique des tombes rupestres a été établie à partir de plusieurs critères descriptifs (taille, orientation, forme et proximité de structures archéologiques). Nous avons surtout remarqué que, contrairement aux ensembles funéraires des ve-viie siècles de n.è. étudiés en contexte archéologique clos, l’aire funéraire de Saint-Blaise s’organise surtout le long des axes de communication matérialisés par les voies à ornières. De plus, il n’y a pas de concentration spécifique de tombes parallélépipédiques ou trapézoïdales, les deux formes étant uniformément dispersées.
31Nous avons distingué deux groupes de tombes selon leurs dimensions. Toutefois, en l’absence d’observation anthropologique, il est hasardeux de développer cette distinction en extrapolant les résultats vers une répartition paléo-démographique de la population inhumée.
32Le groupe 1 rassemble des sépultures comprises entre 40 et 120 cm de longueur. Il caractériserait une population de petite taille parmi laquelle on compterait de très jeunes enfants, les immatures et sans doute des individus de petite taille sans distinction possible en l’absence de restes osseux. Ce groupe représente 9,2 % des tombes pour une longueur moyenne de 85,11 cm.
33Le groupe 2 compte les sépultures comprises entre 123 et 196 cm de longueur et dénoterait majoritairement la présence d’adultes. Elles représentent 75,25 % des sépultures visibles pour une longueur moyenne de 177,91 cm. La forme des sépultures est majoritairement parallélépipédique (67 % des tombes enregistrées), 15 % d’entre elles sont trapézoïdales tandis que 18 % demeurent de forme indéterminée9. Les orientations est-ouest (25,7 %), nord-est/sud-ouest (22,6 %) et nord-sud (23,7 %) des cuves sont préférentiellement choisies tandis que les dispositions nord-ouest/sud-est (13,7 %) et nord-nord-est/sud-sud-ouest (5,15 %) sont plus rares. Nous comptons également 9,45 % de tombes pour lesquelles l’orientation n’a pas pu être déterminée 10.
34Contrairement à ce qui a toujours été décrit pour Saint-Blaise (Valenciano 2015 : 178), il est probable que cette aire funéraire ne soit pas exclusivement rupestre. En effet, lors de la campagne de prospection de 2020, nous avons pu mettre en évidence au sud-ouest de la zone, une concentration de tegulae sur un replat rocheux d’une superficie de 1500 m² culminant à 64,89 m NGF. L’une d’entre elles comporte une trace de gravure à la pointe fine d’un cercle au centre duquel est esquissé un tracé qui en déborde. Ce type de figuration pourrait évoquer celui d’un chrisme. Ces tuiles, reflèteraient la présence probable de tombes en bâtière rassemblées dans un secteur particulier : à proximité d’un creusement de 2 m × 2,40 m surplombant la source ouest du plateau. Notons également, dans le même secteur, la présence de restes architecturaux en mortier de chaux moulurés évoquant des éléments de décor (fig. 8). Si ces tombes en bâtière existent bel et bien, leur présence permet de revoir l’organisation de cet espace funéraire et complète la typologie des tombes de Saint-Blaise.
35À ce titre, au cours de la campagne de sauvetage urgent de 2018, une sépulture d’immature précédant ou accompagnant la mise en place de la voie de circulation tardo-antique a été mise au jour (Valenciano 2020 : 95). Cette sépulture à inhumation est installée dans une structure bâtie constituée de blocs en remploi issus de la muraille hellénistique, dont la fonction est indéterminée, et apparaît sous le niveau de la voie11. La petite fosse de plan ovale et à paroi verticale est recouverte d’une panse d’amphore de type LRA 1a dépourvue de forme (lèvre, anses et fond)12. Elle a été découpée et posée sur la partie supérieure du corps de l’individu en place (tête, cage thoracique et membres supérieurs) ainsi que les membres inférieurs. La partie basse de l’abdomen n’était pas recouverte. La tête de l’individu repose sur un coussin de pierre aménagé suite à la perturbation de la structure bâtie. Après une observation sommaire réalisée sur le terrain, qui demande confirmation par une étude plus poussée en laboratoire, la sépulture est une inhumation primaire individuelle renfermant les restes d’un individu en place déposé en décubitus dorsal, tête à l’ouest et pieds à l’est. Il appartiendrait à la classe des 1-4 ans. En tous cas, bien que l’analyse reste à réaliser, les observations taphonomiques menées sur le terrain révèlent une tombe à l’architecture pour l’instant inédite à Saint-Blaise. Il ne s’agit toutefois pas d’une sépulture typique de l’enchytrisme puisque seule la partie supérieure de la sépulture était recouverte par le fragment de panse de l’amphore, l’enfant n’étant pas glissé à l’intérieur. Celle-ci serait à dater largement entre le ve et la première moitié du vie siècle.
Conclusion
36Cette nouvelle étude fait le point sur un dossier ancien que constitue l’aire funéraire rupestre du plateau de Saint-Blaise. L’inventaire exhaustif ainsi que la topographie de la zone permettent de cerner avec davantage de précision la superficie de l’ensemble funéraire ainsi que la disposition des tombes suivant les ruptures de pente du terrain naturel. Il faudrait à présent mettre en place une véritable équipe pluridisciplinaire, conforme aux méthodes actuelles de l’archéo-anthropologie, afin de répondre aux questionnements liés à la datation des tombes mais aussi à l’état sanitaire de la population d’Ugium ou encore au lien éventuel entre les individus d’un même locus.
37La filiation de ces espaces funéraires particuliers commence à se faire jour sur le territoire avec notamment les séries de Port-de-Bouc (Marino 2018), Notre-Dame-de-la-Mer à Fos-sur-Mer et le cimetière organisé autour de la chapelle Saint-Blaise dont les premières tombes ont été datées du viiie siècle de n.è.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Bouloumié 1984 Bouloumié B., « Un oppidum gaulois à Saint-Blaise en Provence », Les dossiers d’histoire et archéologie, 84, juin 1984.
Chausserie-Laprée 2019 Chausserie-Laprée J., « Henri Rolland (1887-1970). Une figure de l’érudition provençale devenue un grand nom de l’archéologie française », Provence Historique, 266, p. 339-364.
Chausserie-Laprée et al. 2019 Chausserie-Laprée J., Duval S., Valenciano M., Saint-Blaise en Provence, capitale des Ségobriges, Archéologia, 581, 2019, p. 44-51.
Colardelle 1983 Colardelle M., Sépulture et traditions funéraires du Ve au XIIIe siècle ap. J.-C. dans les campagnes des Alpes françaises du nord, Société alpine de documentation et de recherche en archéologie historique, Grenoble, 1983.
De Cabrens 1924 De Cabrens R., « Un oppidum provençal à l’époque mérovingienne », Rhodania, 6e congrès, Avignon, 1924.
Demians d’Archimbaud 1994 Demians d’Archimbaud G., L’oppidum de Saint-Blaise (Bouches-du-Rhône) du Ve au VIIe siècles, Paris, Documents d’Archéologie Française, 45, 1994.
Duchesne, Hernandez 2005 Duchesne S., Hernandez J., Le cimetière du haut Moyen Âge d'Azille (Aude), in Delestre X., Périn P., Kazanski M. (Dir.), La Méditerranée et le monde mérovingien, Témoins archéologiques, Actes des XXIIIe Journées Internationales d’Archéologie Mérovingienne, Arles, 11-13 octobre 2002, Supplément 3 au Bulletin Archéologique de Provence, 3, 2005, Paris, Association Française d’Archéologie Mérovingienne, p. 207-217.
Kérourio 1976 Kérourio P., La tombe rupestre en Provence ou introduction à l’étude des tombes rupestres en Provence suivie d’un essai de typologie, Mémoire de Maîtrise, Université de Provence, 1976.
Kérourio 1981 Kérourio P., « Nouvelles considérations sur les nécropoles rupestres du plateau de Saint-Blaise », Bulletin Archéologique de Provence, 7, 1981, p. 12-36.
Marino 2018 Marino H., « Correctif. Entre Saint-Blaise et Fos, retour à la pointe Vella (Port-de-Bouc, Bouches-du-Rhône) », Documents d’Archéologie Méridionale, 41, 2018, p. 253-260.
Périn et al. 1985 Périn P. (Dir.), Velay P., Renou L., Collections mérovingiennes, Musée Carnavalet, Catalogues d’art et d’histoire du Musée Carnavalet, 11, Paris, 1985.
Pouye et al. 1994 Pouye B., Allouis M.-F., Bonifay M., et al., « Une nécropole de l'Antiquité tardive à Cadarache (Saint-Paul-Lès-Durance, Bouches-du-Rhône) », Archéologie Médiévale, 24, 1994, p. 50-135.
Rolland 1951 Rolland H., Fouilles de Saint-Blaise, Supplément Gallia, 3, 1951.
Rolland 1956 Rolland H., Fouilles de Saint-Blaise (1951-1956), Supplément Gallia, 7, 1956.
Stutz 1996 Stutz F., « Les objets mérovingiens de type septentrional dans la moitié sud de la Gaule », Aquitania, 16, 1996, p. 157-182.
10.3406/aquit.1996.1234 :Valenciano 2015 Valenciano M., Saint-Blaise/Ugium : de l’agglomération tardo-antique au castrum médiéval. Relectures et regard nouveau, thèse de doctorat sous les directions de Philippe Pergola et André Constant, Aix-Marseille Université, 2015.
Valenciano et al. 2020 Valenciano M., Chausserie-Laprée J., Kernin M., Fouille nécessitée par l’urgence absolue (Acte 2017-72), Chemin de Castillon, DFS, 2020.
Valenciano 2021 Valenciano M., Prospection-inventaire, forêt de Castillon, DFS, SRA PACA, 2021.
Valenciano à paraître Valenciano M., « Saint-Blaise, de l’agglomération tardo-antique au castrum médiéval : évolution d’un habitat de hauteur dans un contexte provençal », in Perchement et réalités fortifiées en Méditerranée et en Europe (Ve-Xe siècles), formes, rythmes, fonctions et acteurs. Congrès international d’histoire et d’archéologie à Roquebrune-sur-Argens, 19-25 octobre 2019, BAR, Oxford Archaeology.
10.2307/jj.2711709 :Notes de bas de page
1 Sauf les vestiges concernant les édifices religieux.
2 La dénomination de nécropole rupestre employée par Henri Rolland, reprise depuis, mériterait quelques nuances. Nous prendrons ici le parti de parler d’« aire funéraire » plutôt que de « nécropole » ou de « cimetière ». Employés souvent l’un pour l’autre, ces deux termes renvoient à des réalités différentes en rapport avec une appartenance religieuse. Il faut donc se montrer prudents sur l’appréciation des présences païenne ou chrétienne dans les espaces funéraires de la fin de l’Antiquité et nous emploierons cette nouvelle dénomination « d’aire funéraire ».
3 Si certaines fiches de terrain auraient pu être perdues au fil du temps, le cahier journalier d’Henri Rolland nous est parvenu intact. Dans celui-ci peu de mentions sont faites de la fouille des tombes rupestres.
4 Le Dr Beaucaire est le fondateur du musée d’Istres.
5 Nous avons noté à plusieurs reprises tout au long de la lecture des archives de fouilles, le caractère visionnaire de la pratique de l’archéologie par Henri Rolland. Il est, en effet, un des précurseurs de la fouille stratigraphique en aire ouverte en Provence. Il démontre ici son intérêt pour le croisement des disciplines (Chausserie-Laprée 2019).
6 Bien que les tombes soient numérotées dans les archives et les objets découverts associés à un numéro d’inventaire, aucun plan de l’aire funéraire n’a été dressé au même moment rendant impossible toute concordance entre le numéro des tombes et leur position sur le terrain.
7 Les numéros reportés dans cette étude sont les numéros d’inventaire attribués par Henri Rolland et ses assistants et consignés dans le registre d’inventaire. Afin de faciliter le retour aux collections nous n’avons pas créé de nouveaux numéros.
8 Il faut y voir ici la conséquence de vols et pillages répétés dans cette zone du site particulièrement sensible.
9 Cas de tombes perturbées par la présence d’un arbre, partiellement recouvertes de sédiments ou encore recoupées par une extraction de blocs postérieure.
10 L’orientation d’une tombe est dite indéterminée lorsqu’il n’est pas possible de distinguer l’orientation du creusement en raison d’altération du terrain ou de la présence trop importante de végétation ou de sédiment comblant la structure.
11 Une autre sépulture est mentionnée dans le même secteur en avril 1939. Il s’agit d’une tombe en fosse creusée dans le niveau d’effondrement de la muraille hellénistique. L’âge et le sexe de l’individu en place ne sont pas mentionnés. Il reste toutefois difficile d’établir un lien strict entre cette sépulture et celle trouvée récemment.
12 L’identification de cette amphore repose uniquement sur l’examen macroscopique de la pâte en l’absence d’éléments de forme.
Auteur
Aix Marseille Provence Métropole, pays de Martigues, Martigues, France
Aix Marseille Université, CNRS, LA3M, UMR 7298, Aix-en-Provence, France
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Peupler et habiter l’Italie et le monde romain
Stéphane Bourdin, Julien Dubouloz et Emmanuelle Rosso (dir.)
2014
Archéologie au présent
Les découvertes de l’archéologie préventive dans les médias
Catherine Dureuil-Bourachau
2015
Sarta Tecta
De l’entretien à la conservation des édifices. Antiquité, Moyen Âge, début de la période moderne
Charles Davoine, Maxime L’Héritier et Ambre Péron d’Harcourt (dir.)
2019
Gérer l’eau en Méditerranée au premier millénaire avant J.-C.
Sophie Bouffier, Oscar Belvedere et Stefano Vassalo (dir.)
2019
Le village de la Capelière en Camargue
Du début du ve siècle avant notre ère à l’Antiquité tardive
Corinne Landuré, Patrice Arcelin et Gilles Arnaud-Fasseta (dir.)
2019
Les métaux précieux en Méditerranée médiévale
Exploitations, transformations, circulations
Nicolas Minvielle Larousse, Marie-Christine Bailly-Maitre et Giovanna Bianchi (dir.)
2019
L’Homme et l’Animal au Maghreb, de la Préhistoire au Moyen Âge
Explorations d’une relation complexe
Véronique Blanc-Bijon, Jean-Pierre Bracco, Marie-Brigitte Carre et al. (dir.)
2021