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Nikaia et Cemenelum (Nice, Alpes-Maritimes) : deux cités voisines, deux espaces culturels différents ?

p. 85-96

Résumés

Les cités antiques de Nikaia/Nice et de Cemenelum/Cimiez, distantes d’environ deux km, font partie, durant la période romaine, de deux espaces administratifs distincts. Nikaia, fondation massaliète, reste dans le giron de sa métropole pendant une bonne partie de la période. Cemenelum, ancienne capitale de peuplade ligure, appartient, quant à elle, à la province des Alpes Maritimae dont elle est le chef-lieu. Les deux cités sont donc issues d’influences culturelles différentes susceptibles d’être retranscrites dans les pratiques funéraires. Ces différences entre les pratiques funéraires observées dans deux agglomérations très proches géographiquement plaident pour le maintien, à la période romaine, d’une certaine identité culturelle grecque à Nikaia. Un phénomène inverse semble se produire à Cemenelum où les sociétés vernaculaires semblent s’effacer au profit de la culture romaine.

The ancient cities of Nikaia and Cemenelum, about 2 km apart, were included in two distinct administrative areas during the Roman period. Nikaia, a massaliete foundation, remained in the bosom of its metropolis for a good part of the period. Cemenelum, ancient capital of a Ligurian people, belongs to the province of Alpes Maritimae, of which it is the chief town. The two cities are therefore the result of different cultural influences that can be transcribed in funeral practices. These differences between the funeral practices observed in two geographically very close agglomerations pleads for the maintenance, in the Roman period, of a certain Greek cultural identity in Nikaia. A reverse phenomenon seems to occur in Cemenelum where vernacular societies seem to have been erased in favor of Roman culture.

Entrées d’index

Mots-clés : pratiques funéraires, Antiquité, Antiquité tardive, substrat culturel, société romaine, société massaliète

Keywords : Burials practices, Antiquity, late Antiquity, cultural substrat, roman society, massaliete society


Texte intégral

1. Deux cités et des connaissances inégales

1Deux localités antiques, Cemenelum et Nikaia, séparées par deux kilomètres étaient implantées sur le territoire niçois entre les contreforts des Alpes méridionales et la mer Méditerranée (fig. 1). Cemenelum, d’origine indigène, est le chef-lieu de la province des Alpes maritimae. Localisé sur le plateau de Cimiez au nord-est de l’agglomération niçoise, ce centre urbain, dont l’intégralité du plan reste inconnue, se distingue par des espaces publics monumentaux tels que le quartier thermal et l’amphithéâtre. Ces édifices, ainsi qu’une partie du réseau viaire, sont encore aujourd’hui conservés et visibles. Ils sont mis en place à partir de la fin du ier s. ap. J.-C. et de nouveaux thermes seront construits au milieu du iiie s. ap. J.-C. Au cours de la seconde moitié du ive s. les thermes publics cessent de fonctionner. Cette rupture sera suivie par la transformation du quartier thermal au ve s. en un groupe épiscopal. Cinq grands ensembles funéraires regroupant vingt-sept sites archéologiques ont été recensés entre la fin du xixe s. et le début du xxie s. (fig. 2). L’ancienneté des découvertes, leur documentation partielle, la perte du mobilier ostéologique et céramique incitent à manier avec précaution ces informations. La nécropole nord, fouillée essentiellement entre la fin du xixe s. et les années 1970 (Mouchot 1976 ; Benoît 1977), marque la frontière septentrionale de la cité. Une cinquantaine de tombes datées entre le ier et le iiie s. ap. J.-C., sont réparties selon cinq sites (Sites 1 à 5, fig. 2). La nécropole dénommée Torre di Cimella est localisée au sud-ouest du centre urbain antique et définit sa limite méridionale. L’ensemble des quatre sites (Sites 6 à 9, fig. 2) totalise une trentaine de tombes fouillées entre 1966 et 1978 (Benoît 1967 ; Mouchot 1966, 1974, 1978) et datées entre le milieu du iie s. et le début du ve s. La zone funéraire des Roches Choisies rassemble une dizaine d’occurrences sépulcrales concentrées en périphérie sud-est de Cemenelum (Sites 10 à 13, fig. 2). Les données pour ce corpus reposent sur des découvertes effectuées entre 1882 et 1908 (Benoît 1977). Un diagnostic archéologique réalisé en 2012 (Grandieux 2012) a livré une inhumation datée entre la première moitié du iie s. et la première moitié du iiie s. ap. J.-C. Il s’agit de l’unique élément de chronologie fiable pour cette nécropole. Trois aires funéraires intra muros ont été fouillées entre 1954 et 1970 (Benoît 1977) révélant la présence au sud de l’amphithéâtre et au cœur des thermes, de vingt-sept tombes datées entre le ier et le ve s. ap. J.-C. (Sites 14 à 17, fig. 2). Enfin, plusieurs secteurs en marge du centre urbain, mis au jour entre 1867 et 1985 (Baréty 1908 ; Benoît 1977 ; Brun 1968 ; Mouchot 1980 ; Rigoir 1957), attestent de la présence de nécropoles suburbaines également bordant les axes de circulation au nord et au sud menant à la cité (Sites 18 à 27, fig. 2). Une trentaine de tombes datées entre le ier et le ve s. ap. J.-C. constituent ce corpus funéraire extra muros.

Fig. 1. Localisation de Cemenelum et Nikaia sur le territoire niçois.

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DAO : SANCA.

Fig. 2. Répartition des espaces funéraires de Cemenelum du ier au iiie s. ap. J.-C. (A) et du iiie au ve s. ap. J.-C. (B).

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DAO : SANCA.

2Nikaia, d’origine grecque, demeure une localité sujette de sa cité mère, Massalia, durant la majeure partie de la période romaine. Sa localisation exacte reste à ce jour inconnue mais la mise au jour récente de la nécropole hellénistique sur le piémont nord de la colline du Château, à l’est de l’agglomération niçoise, constitue le premier indice avéré de la présence grecque sur ce secteur. En effet, cette zone bordée à l’ouest par le lit du Paillon et à l’est par la plaine du Lympia, a fait l’objet d’interventions préventives réalisées entre 2014 et 2019 (Chevaux et al. 2020 ; Mercurin et al. 2015 et 2021) en préalable au vaste programme de restructuration du quartier (fig. 5). Les projets de construction de la ligne 2 du tramway et de reconfiguration de la caserne Filley ont permis aux archéologues de mener plusieurs opérations contiguës sur une surface cumulée de 4 000 m². Près de sept millénaires d’implantations humaines, du Néolithique à nos jours, ont ainsi été documentés sur ce micro-territoire niçois. Le Néolithique ancien et moyen, le Bronze final et le second âge du Fer ont été reconnus au travers de vestiges sporadiques. Une nécropole, dont il est possible de proposer le rattachement à la colonie massaliète de Nikaia, est implantée sur ce secteur aux iieier s. av. J.-C. Une nécropole romaine à inhumations, établie entre la première moitié du iie et le ve s. ap. J.-C.., lui succède. On notera que cet ensemble sépulcral romain avait été signalé dès la fin du xixe s. puis identifiée à nouveau dans les années 1970. Un axe viaire positionné à proximité d’un four de potier/tuilier et d’un petit établissement s’ajoute à cette occupation romaine. Enfin, à partir de l’époque médiévale et jusqu’au xviiie s., ce secteur constitue l’extrémité septentrionale de Nice intra muros et sera donc le théâtre de nombreux remaniements liés à l’évolution urbaine pendant près de huit siècles.

2. Les nécropoles de Cemenelum

3Si la localisation des espaces funéraires de Cemenelum ainsi que leurs mobiliers sont assez bien connus, les pratiques funéraires, au sens où nous l’entendons actuellement, sont moins bien perçues. Il est nécessaire de noter qu’il n’existe aucune mention de découvertes funéraires antérieures au ie s. av. J.-C. mise à part celle, en 1867, d’un ensemble de parures annulaires de l’âge du Bronze, vraisemblablement associé à une sépulture. L’ensemble de ces sépultures sont attribuées à l’occupation romaine et, pour le moment, aucune tombe vernaculaire n’a été mise au jour.

4Comme dans l’ensemble de la Gaule, les crémations sont majoritaires jusqu’au iiie s. ap. J.-C. et sont remplacées par les inhumations au tournant de ce siècle (fig. 2) ce qui rejoint les observations faites plus largement dans le centre et le sud-est de la Gaule (Blaizot et al. 2009, tabl. III). Les espaces funéraires se situent classiquement le long des voies principales menant à la cité. Bien que difficilement datables de façon formelle, les espaces funéraires paraissent intégrer l’agglomération de Cemenelum à partir du ive s. ap. J.-C. Des espaces funéraires extra muros ont également été observés à Saint-Pons, sur le chemin de la Galère ou encore au Piol de Cimiez. Se pourrait-il qu’ils soient le témoin de pôles d’attractions extérieurs à la cité tels que des basiliques funéraires comme c’est le cas dans d’autres villes antiques ? Pour le moment et en l’absence de découvertes archéologiques récentes, cette idée ne peut rester qu’à l’état d’hypothèse.

5Les crémations représentent environ un tiers de l’effectif général mais les deux tiers si l’on tient compte uniquement de la période comprise entre le ier et le iiie s. ap. J.-C. (fig. 3). Leur contexte de découverte semble plutôt éloigné de la cité antique. Le seul site dans le voisinage proche de cette dernière est celui de Torre di Cimella qui propose des datations radiocarbones assez tardives (entre la première moitié du ier s. ap. J.-C. et la fin du iiie ap. J.-C.) qui semblent en corrélation avec le mobilier associé aux sépultures. On peut également mentionner une crémation retrouvée à proximité de l’amphithéâtre datée du milieu du ier s. ap. J.-C. par son mobilier, dont la localisation, intra ou extra muros, pose question (Montaru 2011).

Fig. 3. Graphique représentant le rapport total entre crémations et inhumations toute période confondue et par grande phase d’occupation.

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Élaboration : SANCA.

6L’architecture utilisée pour les crémations secondaires est assez variable. Ainsi l’utilisation d’amphore, d’urne en plomb, en céramique ou réalisée avec des dalles, des caissons de tuiles ou bien la simple mise en terre dans une fosse recouverte d’une tuile a pu être mise en évidence. Le mobilier associé aux crémations est plutôt riche. Le site de Torre di Cimella est l’une des nécropoles à incinération dont les informations sont relativement fiables. Les dépôts qui y ont été mis au jour sont assez similaires. En moyenne, une à trois cruches, une lampe à huile parfois des coupes et des gobelets sont recensés auxquels sont adjoints des objets en verre (balsamaires ou fioles) ou des bijoux en métal ou en ivoire. Les autres sites mis au jour sont moins bien informés mais mentionnent régulièrement l’abondante adjonction d’objets d’accompagnement dans la tombe.

7A l’instar des crémations, les inhumations proposent des architectures funéraires variées qui se perpétuent à la période suivante : tombes en amphores, sous tuiles, coffrages ou encore en pleine terre (fig. 4). L’utilisation de tuiles dans les structures funéraires est prépondérante et représente 70 % de l’effectif total. En revanche la présence de sarcophages en plomb ou en pierre ou de coffre en pierres n’est mentionnée qu’à Cemenelum et n’a pas été observée à Nikaia On peut également noter que le mobilier d’accompagnement, pléthorique entre le ier et le iiie s. ap. J.-C., tend à se raréfier voire disparaître à partir du ive s. ap. J.-C. Toutefois la mention de monnaies et de lampes à huile reste régulière et ce quel que soit le « statut supposé » de la tombe comme c’est le cas pour une sépulture isolée, découverte en 2012, à l’architecture beaucoup plus fruste (une fosse recouverte de blocs calcaires) que celles mises au jour les deux siècles précédents. Compte tenu de l’ancienneté des découvertes et du peu de documentations et de restes osseux qui ont été conservés, il n’a pas été possible de faire une étude archéo-thanatologique et biologique dans les règles de l’art et par conséquent aucune comparaison n’a pu être faite avec les sépultures de Nikaia.

Fig. 4. Graphique représentant la proportion des inhumations à Cemenelum par typologie des architectures funéraires.

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Élaboration : SANCA.

8D’un point de vue général et malgré les informations très partielles qui nous sont parvenues, les observations réalisées sur les espaces funéraires de Cemenelum rejoignent les tendances observées dans d’autres nécropoles romaines.

3. La nécropole de Nikaia

9Un peu plus d’une trentaine de sépultures peuvent être rattachées à la nécropole romaine de Nikaia (fig. 5). Les données stratigraphiques, la datation systématique des individus par le radiocarbone, ainsi que la chronologie des rares mobiliers d’accompagnement révèlent une large occupation funéraire romaine entre la première moitié du iie s. av. J.-C. et le ve s. ap. J.-C. avec un pic maximum d’utilisation de cet espace (21 sépultures) entre le début du IIIe et la fin du ive s. ap. J.-C., période au cours de laquelle les pratiques funéraires se caractérisent par le recours exclusif à l’inhumation. La nécropole se développe selon un axe nord-est / sud-ouest. Les tombes suivent rigoureusement cette orientation, à quelques exceptions près. À l’est, deux fossés parallèles, installés dès la phase grecque, ceinturent la lisière orientale de l’espace funéraire et semblent perdurer jusqu’à la phase romaine. Aucune tombe n’a été retrouvée au-delà de cette limite. Au nord-est, un axe de circulation pourrait également être considéré comme un élément structurant l’espace. L’orientation des défunts semble normalisée puisqu’ils sont en majorité positionnés la tête vers le sud-ouest. On notera deux seuls cas divergents, le dépôt d’un fœtus orienté nord-ouest/sud-est, la tête au sud-est et un jeune immature avec la tête au nord-est.

Fig. 5. Localisation des sépultures de Nikaia découvertes lors des opérations préventives et identification par période chronologique.

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10Pour ce qui est des dispositifs architecturaux, l’utilisation de tuiles est fréquente puisqu’elle concerne près de trois quarts des occurrences recensées. La couverture de tegulae, disposées à plat sur leur face interne ou externe, constitue l’aménagement le plus représenté (fig. 6). Le coffrage de section triangulaire composé de tuiles en bâtière, clôturé au chevet et aux pieds par une tegula disposée de chant, est utilisé pour près d’un quart du corpus (fig. 7). Une minorité d’entre elles sont dotées en sus d’aménagements de pierres calcaires qui encadrent la structure. D’autres se distinguent par une mise en œuvre unique qui diffère du reste du corpus (coffrage de section quadrangulaire façonné de fragments de TCA, et surmonté ou non d’une couverture de tegulae à plat ; présence unique d’une tegula de chant aux pieds de l’individu et qui pourrait être le support d’une couverture en matériaux périssables ; contenant mixte mettant en œuvre des fragments de TCA associés à des éléments d’amphore : fig. 8). Outre l’utilisation de tuiles, le recours à une amphore en tant que réceptacle a été identifié à trois reprises (fig. 9). Enfin, les fosses en pleine terre où l’usage d’une couverture en matériaux périssables est suspecté sont plus anecdotiques.

Fig. 6. Sépulture avec couverture de tegulae disposées à plat sur leur face interne / Datation : iiie - ive s. ap. J.-C.

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Fig. 7. Sépulture avec couverture de tegulae disposées en bâtière et retaillées en tenons et mortaises, deux tuiles de chant aux pieds et à la tête pour clôturer le dispositif / Datation : iiie - ive s. ap. J.-C.

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Crédit : SANCA.

Fig. 8. Sépulture avec contenant mixte mettant en œuvre des fragments de TCA associés à des éléments d’amphore / Datation : ive - ve s. ap. J.-C.

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Fig. 9. Sépulture avec contenant en amphore / Datation : ive - ve s. ap. J.-C.

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11La position de dépôt a pu être déterminée pour 19 défunts où le décubitus dorsal semble de rigueur (fig. 10). Seuls le fœtus et le jeune immature sont placés sur le ventre et sur le côté droit en position fœtale (fig. 11). Les individus sont principalement déposés les membres inférieurs et supérieurs en extension, dans l’axe du corps avec certains cas, les mains disposées sur le bassin (fig. 12). Quatre individus se dissocient de l’ensemble par des positions plus anarchiques (flexion des coudes, asymétries…)

Fig. 10. Individu adulte féminin en décubitus dorsal, les membres supérieurs et inférieurs en extension / Datation : iiie - ive s. ap. J.-C.

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Crédit : SANCA.

Fig. 11. Individu immature en décubitus latéral droit en position fœtale, le bras droit replié, la main droite sous le crâne et la main gauche repose sous le coude droit. Les membres inférieurs sont en flexion / Datation : iiie - ive s. ap. J.-C.

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Crédit : SANCA.

Fig. 12. Individu adulte féminin en décubitus dorsal, les membres supérieurs légèrement fléchis, les mains au niveau de l’abdomen, les membres inférieurs en extension et avec entre les deux fémurs les restes d’un fœtus de 4 à 5 mois d’aménorrhée / Datation : iiie - ive s. ap. J.-C.

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Crédit : SANCA.

12La tenue du défunt est un point peu aisé à établir en l’absence de traces matérielles directes. Cependant, les contraintes subies par les os peuvent être liées à la présence de tout élément textile disparu (enveloppes souples et/ou vêtements). Les contentions osseuses de certains individus suggèrent la présence initiale de ces éléments et/ou agrémentés de chaussons (fig. 13). Pour ce qui est du recrutement funéraire, la population inhumée rassemble une majorité d’adultes matures au sex ratio équilibré entre les individus féminins et masculins. Notons par ailleurs, la présence d’individus indéterminés, faute de pièces discriminantes. Seul un adulte âgé a été identifié. Il faut également souligner la présence d’une jeune femme probablement enceinte lors de son décès car un fœtus a été retrouvé entre ses deux fémurs (expulsion post-mortem ou dépôt volontaire ?). Enfin, Les immatures ne représentent qu’un tiers de l’effectif avec une surreprésentation des classes d’âge 1-4 ans et 5-9 ans. Bien que l’échantillon soit très faible, il est envisageable d’imaginer un autre espace dévolu aux très jeunes immatures (0-1an) de manière à les séparer du lieu d’inhumation communautaire comme on peut le voir sur d’autres sites archéologiques datant de la même période (Blaizot et al. 2003). Enfin, il ne faut pas exclure les problèmes physico-chimiques et taphonomiques liés aux os de ces jeunes individus, ce qui peut également entraîner un biais dans leur représentation au sein de l’espace funéraire.

Fig. 13. Individu adulte masculin en décubitus dorsal, les membres supérieurs et inférieurs en extension et très contraints / Datation : iiie - ive s. ap. J.-C.

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Crédit : SANCA.

13Le mobilier d’accompagnement est remarquablement absent. Une seule tombe, en amphore, comporte le dépôt d’un balsamaire en céramique commune africaine de type Augst 73 associé à un immature (fig. 14). Il vient compléter le faible corpus dans les Alpes-Maritimes de ces vases à liquide (Marty, Capelli 2016). Ce type de forme apparaît à partir du dernier tiers du iiie s. ap. J.-C. et perdure jusqu’au début du ve s. ap. J.-C. Cette donnée typo-chronologique croisée avec la datation radiocarbone effectuée sur le défunt permet de resserrer l’ancrage chronologique entre 280 et 340 ap. J.-C.

Fig. 14. Balsamaire en céramique commune africaine de type Augst 73 déposé dans la tombe d’un immature.

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DAO et cliché : SANCA.

4. Discussion

14La reprise des données anciennes concernant les ensembles funéraires de Cemenelum et l’identification récente d’un espace funéraire lié à Nikaia offrent aujourd’hui l’opportunité de tenter une première approche comparative des pratiques funéraires en vigueur dans les deux agglomérations.

15Sur le plan chronologique, la synthèse des datations au radiocarbone disponibles pour chacun des ensembles funéraires livre des données similaires avec des occupations, qui à Nice comme à Cimiez, couvrent la quasi-totalité de la période romaine mais avec une faible représentation du ier s. (absent à Nice ?) et une fréquence maximum correspondant aux iiie-ive siècles (fig. 15). Une première différence apparaît cependant entre les deux agglomérations. À Nice, les défunts de la période romaine sont en effet inhumés dans un espace dont la vocation funéraire remonte au moins au iie s. av. J.-C. et à l’occupation grecque. Rien de tel à Cimiez, où les ensembles funéraires identifiés ne semblent pas succéder à des occupations antérieures. Nous ignorons d’ailleurs tout de la localisation des espaces funéraires liés à l’occupation ligure du site à l’âge du Fer.

Fig. 15. Phasage des nécropoles de Cemenelum et Nikaia en fonction des datations radiocarbones établi avec Chronomodel.

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Élaboration : SANCA.

16À cette première différence d’ordre chronologique s’ajoutent un certain nombre de distinctions sur le plan des pratiques funéraires. La première d’entre elles concerne le traitement du corps du défunt, la pratique du bi-ritualisme inhumation/crémation perdurant au moins jusqu’à la fin du iiie s. ap. J.-C. à Cemenelum, tandis qu’à Nikaia, passé la période hellénistique, l’inhumation semble être devenue exclusive. Une seconde distinction réside dans la nature des architectures funéraires. Si dans les deux agglomérations, les tombes à architecture de tuiles sont largement majoritaires, on note, à Cemenelum, un recours bien plus fréquent aux tombes à couverture de tuiles en bâtière ou à coffrage de TCA, la nécropole de Nikaia privilégiant pour sa part les tombes à couverture de tuiles disposées à plat (fig. 16). Ce constat est cependant à relativiser puisqu’il est tributaire de l’état de nos connaissances, et notamment du fait que nous ne connaissons pas l’extension précise de chacun des espaces funéraires ici considérés. De futures découvertes pourraient ainsi modifier sensiblement la part de chacun des types architecturaux représentés dans les deux agglomérations. Plus notable est l’absence presque totale de mobilier d’accompagnement dans les sépultures de Nikaia, avec un seul balsamaire en céramique dans une inhumation en amphore pour l’ensemble de l’espace funéraire. Cette sobriété, déjà mise en exergue pour la période hellénistique (Mercurin, Damotte 2019), mais qui semble, pour la période romaine, poussée à l’extrême, tranche ici nettement avec la situation observable à Cemenelum, où la présence de monnaies, de céramiques ou de lampes en terre cuite est fréquemment attestée dans les inhumations.

Fig. 16. Graphique représentant la fréquence des architectures funéraires et des modes de traitement du cadavre en fonction des deux cités.

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Élaboration : SANCA.

17Comment dès lors interpréter ces différences observables dans les pratiques funéraires de deux agglomérations antiques distantes d’à peine 2 km ? Les facteurs de continuité mis en évidence à Nikaia entre la période hellénistique et la période romaine semblent permettre d’évoquer ici le rôle du substrat culturel : massaliète à Nice, indigène à Cimiez. Les pratiques funéraires observables dans la première agglomération témoigneraient ainsi du maintien, jusqu’à la fin de l’Antiquité, d’une certaine identité culturelle grecque, tandis qu’à Cimiez, promue dès le ier s. ap. J.-C. capitale de province, l’adoption de pratiques conformes à celles documentées, en milieu indigène, en Gaule du Sud et en Italie nord-occidentale pourraient marquer une rupture. Pour autant, toutes ces différences ne sont pas nécessairement imputables aux seuls facteurs culturels. On ne peut en effet exclure qu’elles témoignent également de distinctions d’ordre socio-économique dans le recrutement funéraire. La poursuite des recherches sur les ensembles funéraires associés aux agglomérations voisines de Nikaia et de Cemenelum, tout comme une confrontation avec les données disponibles à Marseille1 et dans les anciennes colonies massaliètes (à commencer par Antibes / Antipolis), devraient permettre, à terme, d’apporter des éléments de compréhension sur ces questions, comme sur celle de la christianisation des populations des deux agglomérations. Sans entrer dans les détails de cette vaste problématique, on soulignera ici le fait qu’aucune sépulture ne peut actuellement être associée avec certitude aux cathédrales de Cimiez et de la colline du Château, alors même que la présence de chrétiens est attestée dans l’aire niçoise (au sens large) dès le ive s. ap. J.-C. (Duval 1986, p. 84).

Bibliographie

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Notes de bas de page

1 À Marseille, les nécropoles du Bas-Empire sont cependant encore peu connues (Moliner 2001 : 351-352).

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