La terminologie au service de la caractérisation des pratiques funéraires : le thésaurus Pactols
p. 23-29
Résumés
La réorganisation du thésaurus Pactols vise en particulier à mettre à jour les catégories et le lexique suivant les découvertes et méthodes récentes de l'archéologie. Des anthropologues et archéologues des pratiques funéraires et mortuaires ont conduit, entre 2019 et 2021, la révision des 140 concepts du domaine « Mort ». Deux démarches itératives ont été adoptées. L'une précise le sens du concept, son intitulé, sa définition, ses formes rejetées. L'autre repositionne le concept dans de nouvelles branches (constructions, mobiliers, pratiques funéraires) avec ses termes dépendants et associés. Au-delà de la mise à jour du thésaurus lui-même, cette révision a permis une discussion essentielle des notions relatives aux pratiques funéraires et à leur confrontation dans des échelles spatio-temporelles et des contextes archéologiques différents. Cet article présente, par des exemples choisis, comment la démarche adoptée contribue à une meilleure caractérisation des pratiques funéraires de l'Antiquité tardive.
The reorganisation of the Pactols thesaurus aims in particular to update the categories and lexicon according to recent archaeological findings and methods. Anthropologists and archaeologists of funerary and mortuary practices have conducted, between 2019 and 2021, the revision of the 140 concepts of the domain “Death”. Two iterative approaches have been adopted. One specifies the meaning of the concept, its title, its definition and its rejected forms. The other repositioned the concept in new branches (constructions, furniture, funerary practices) with its dependent and associated terms. Beyond the updating of the thesaurus itself, this revision has provided an essential discussion of the notions relating to funerary practices and their confrontation in different spatio-temporal scales and archaeological contexts. This article presents, through selected examples, how the approach adopted contributes to a better characterisation of funerary practices in Late Antiquity.
Entrées d’index
Mots-clés : pratique funéraire, Antiquité tardive, mot-clé, méthodologie, terminologie, thésaurus
Keywords : funerary practice, Late Antiquity, keyword, methodology, terminology, thesaurus
Texte intégral
1Les archéologues du fait funéraire, et plus largement de la mort, réfléchissent depuis longtemps à mettre des mots sur leur pratique disciplinaire. Autrefois cantonnée à l’analyse des vestiges matériels et de leurs implantations dans les espaces dédiés, cette archéologie s’est largement renouvelée, avec la participation des anthropologues et des biologistes. Leur analyse fine des vestiges humains a permis d’appréhender, non plus seulement les monuments et les tombes ou leur mobilier, mais aussi les étapes et les modalités du traitement des défunts. En parallèle, des questionnements ont émergé pour mettre des mots sur ces découvertes, accompagner les évolutions disciplinaires et tenter de partager un même vocabulaire. La bibliographie importante témoigne de ces questionnements et de propositions sans toutefois parvenir à revoir les habitudes lexicales. Pour l’Antiquité tardive, on retiendra en particulier les efforts de M. Colardelle (Colardelle 1986 ; Colardelle 1996) ou F. Blaizot (Blaizot 2008 ; Blaizot 2009) par exemple, à la suite des travaux du GDR 742 du CNRS « Méthodes d’études des sépultures par l’approche anthropologique » (Duday, Masset 1987).
2L’urgence se précise avec la nécessité de fournir à la communauté scientifique une grille de compréhension et de dénomination des objets et vestiges étudiés qui serait utilisée par tous afin de favoriser un dialogue scientifique basé sur un langage commun. Documentalistes et gestionnaires de bases de données doivent aussi s’outiller de terminologies validées et stables pour qualifier les ressources numériques. Parmi les instruments déployés initialement par les bibliothèques pour l’indexation des publications scientifiques et destinés à la recherche documentaire, le thésaurus, comme vocabulaire contrôlé hiérarchique, répond aujourd’hui à ces applications étendues. Référentiel terminologique d’un domaine de la connaissance, régi par des normes et des langages informatiques internationaux, il devient central pour enrichir des données qui ont vocation à être exposées en ligne sinon partagées.
3En France, la Fédération et Ressources sur l’Antiquité a élaboré un thésaurus pour l’archéologie et les sciences de l’Antiquité, nommé Pactols, adapté à ces nouveaux usages. Un programme de réorganisation récent a offert l’occasion de réviser son lexique. S'y sont associés une douzaine d’archéologues et d’anthropologues pour la mise à jour des concepts relatifs au domaine de la mort, profitant d'un espace d’échanges convergeant avec leurs propres réflexions. Cet article montre, à travers quatre exemples relatifs à l’Antiquité tardive, quelques-unes des difficultés méthodologiques affrontées pendant les deux ans qu’a duré ce travail. Elles étaient imposées par la structure du thésaurus et par des choix sémantiques à opérer sur les concepts concernés.
1. Pactols, thésaurus pour l’archéologie
4Le thésaurus Pactols est un réservoir de 60000 mots-clés ou concepts consacrés à l'archéologie et aux sciences de l'Antiquité, organisés en collections thématiques éponymes : Peuples et cultures, Anthroponymes, Chronologie, Toponymes, Œuvres, Lieux, Sujets. Créé dans les années 1985 pour permettre la recherche documentaire dans le Catalogue collectif de la Fédération et Ressources sur l'Antiquité (Frantiq, groupement de services du CNRS), Pactols est multilingue (sept langues, le français étant la langue préférentielle) et n'a cessé d'évoluer selon un processus de contrôle itératif, depuis la proposition d’un terme candidat jusqu'à sa validation en concept proprement dit, évalué par un collège de documentalistes et d'experts.
5Pactols est en accès ouvert sous licence libre, conforme aux normes ISO 25964 propres à la structure et à l'interopérabilité des thésaurus. Il bénéficie des fonctionnalités de gestion et d'échanges conférées par Opentheso, logiciel libre de gestion de thésaurus, et suit la description formelle du SKOS, Simple Knowledge Organisation System. Ainsi, les concepts sont décrits a minima par un intitulé unique, traduit en plusieurs langues avec des variantes possibles, des notes et une définition, des identifiants dont un stable, l’URI, Uniform Resource Location sous forme d'adresse web, qui autorise la citabilité du concept et l'interopérabilité du thésaurus (fig. 1).
6Les concepts sont liés dans un faisceau de relations sémantiques complexes. Au sein du thésaurus, la relation hiérarchique, directe ou transitive, inscrit les concepts dans des branches thématiques ; les relations d’associations, réciproques, associent les concepts de proximité sémantique mais éloignés dans l'arbre. Des facettes présentent aussi des ensembles virtuels qui facilitent la lecture des hiérarchies. De plus, par le biais d'alignements, chaque concept est mis en relation avec les items équivalents dans des réservoirs extérieurs, pour l'interconnexion avec des référentiels du web et avec des bases de données distantes.
7La richesse de la description normalisée des concepts et les contraintes liées à la structure sémantique du thésaurus constituent un cadre idéal pour gérer une terminologie évolutive comme l'archéologie en produit. Avec ses qualités d'interopérabilité, Pactols est devenu aujourd'hui un pivot terminologique utilisé au-delà de son usage bibliothéconomique initial, pour l'enrichissement des métadonnées thématiques des publications académiques, la documentation patrimoniale et les données de la recherche.
2. Programme de réorganisation
8Pour tenir les exigences d'une utilisation élargie et faciliter l'inscription de Pactols dans le web des données, un programme pluriannuel (2017-2022) s'est mis en place, soutenu par le consortium MASA, Mémoire des archéologues et des sites archéologiques (Nouvel 2017). Il vise à consolider la structure sémantique des relations entre les concepts et à réviser le lexique pour le mettre à jour des progrès de la discipline, dans le but de faciliter la lecture du thésaurus, tant par l'homme que par la machine.
9Répondant à l’appel de Frantiq, le groupe d'experts volontaires s'est réuni une douzaine de fois en deux ans pour examiner environ 150 concepts portant notamment sur les pratiques funéraires, les formes architecturales liées à la mort, les vestiges mobiliers et anthropo-biologiques. L’objectif partagé visait à redéfinir un vocabulaire disciplinaire pour favoriser la diffusion de bonnes pratiques terminologiques. Les contraintes organisationnelles du thésaurus ont constitué un environnement normalisé qui a cadré la réflexion scientifique pour s'interroger sur le sens des mots que chacun utilise couramment et sur leurs relations. L’étude de ces concepts a mis en évidence des ambiguïtés, des mésusages, des lacunes qui favorisaient la perduration de mauvaises pratiques et sous-tendaient une vision ethno-centrée s'accommodant mal d’un objectif scientifique. Les réponses, plurielles, ont pu conduire à renommer un concept si le libellé était jugé inapproprié, à enrichir les variantes du libellé, à déplacer le concept dans l'arbre, voire à créer de nouvelles branches thématiques1 et à réviser ses associations à d'autres concepts, à le déprécier pour en interdire l'usage et orienter le cas échéant vers un autre concept, ou à en créer de nouveaux pour pallier certaines lacunes.
10Nous avons retenu ici comme exemples quatre concepts qui s’adaptent à l’Antiquité tardive et qui sont représentatifs des questions épistémologiques soulevées.
3. Des sujets représentatifs
3.1. Sépulture
3.1.1. Discussion
11Le concept est fondamental et concerne toutes les époques. L'aborder semblait nécessaire ici, d’autant que le thésaurus l'avait choisi comme libellé préféré, avec « tombe » comme forme rejetée.
12La définition du terme sépulture encore utilisée en archéologie, même si elle a été discutée et que d’autres propositions ont été faites (Boulestin, Duday 2005 : 23 ; Boulestin 2012 : 37 ; Zemour 2016 : 23), est celle de J. Leclerc et J. Tarrête (Leclerc, Tarrête 1988) : « Lieu où ont été déposés les restes d’un ou plusieurs défunts, et où il subsiste suffisamment d’indices pour que l’archéologue puisse déceler dans ce dépôt la volonté d’accomplir un geste funéraire ». Pour que des restes humains enfouis soient considérés comme une sépulture, il faut donc pouvoir mettre en évidence un geste funéraire, c’est-à-dire une intentionnalité positive à l’égard du défunt. Sinon, on parlera simplement de dépôt mortuaire (qui peut correspondre à des cadavres abandonnés, jetés, perdus, enfouis accidentellement, etc.).
13On peut cependant discuter de la distinction entre sépulture et tombe. J. Leclerc et J. Tarrête ajoutent à leur définition que, par extension, le terme sépulture désigne également la « structure constituée à l’occasion de ce geste funéraire ». On peut toutefois distinguer la sépulture, qui désigne plus spécifiquement un lieu et les restes humains eux-mêmes, et la tombe, qui renvoie à un fait archéologique plus large, englobant à la fois la sépulture et les différents aménagements funéraires dans lesquels elle s’inscrit : réceptacle destiné à accueillir les restes du ou des défunts (qu’il s’agisse d’une fosse plus ou moins aménagée, d’une cuve de pierre, de terre cuite ou de plomb, d’un cercueil en bois, ou encore d’un vase en céramique par exemple) et d’éventuels aménagements de surface (monument, stèle, tube à libation faisant le lien avec le réceptacle, etc.).
14La sépulture peut ainsi s’inscrire dans différents types de tombes qui ne revêtent pas nécessairement la forme d’un enfouissement (par exemple, les sarcophages « hors sol » médiévaux ou les tombes-piliers en Asie mineure hellénistique, etc.).
15Ainsi, en termes dépendants de « sépulture » sont listés dans le thésaurus différentes formes de tombes, regroupées dans deux facettes par type de dépôt et par type de construction.
3.1.2. Définition dans Pactols
« Lieu où ont été déposés les restes d'un ou plusieurs défunts, et où il subsiste suffisamment d'indices pour que l'archéologue puisse déceler dans ce dépôt la volonté d'accomplir un geste funéraire ; de manière plus restrictive, structure constituée à l'occasion de ce geste funéraire. (Dict. de la Préhistoire 1988 : 1002-1003). La tombe est donc l'expression matérielle de la sépulture, c'est notamment par la tombe que l'archéologue parvient à mettre en évidence une sépulture ».
3.2. Ossuaire
3.2.1. Discussion
16L’ambivalence de l’emploi de ce terme provenait de l’absence de dialogue entre les chercheurs dont les périodes chronologiques d’étude ont longtemps été hermétiquement définies. En effet, dans la recherche actuelle, ce terme peut désigner un amas d’os brûlés, constituant la tombe d’un ou plusieurs défunts, ou des assemblages d’ossements non brûlés résultant de gestes pratiqués hors du temps funéraire.
17Pour la fin de la Préhistoire, le terme ossuaire était utilisé pour une sépulture architecturée ou non, livrant des amas d’ossements qui ne sont pas en connexion (par exemple Bailloud et al. 1965). En effet, jusque dans les années 1990 tout amas d’ossements était funéraire, la question ne se posait pas.
18Dans l’Antiquité, l’ossuaire, provenant du terme latin ossuarium, bien que peu usité dans les textes, désigne de manière très spécifique les réceptacles rassemblant les restes osseux brûlés collectés à l’issue de la crémation d’un corps et constituant la tombe du défunt d’un point de vue juridique (Livre XVIII sur l’Édit du prêteur Ulpien dans Gaurier 2017, t. III : 2180). Le recours à ce terme d’ossuaire dérive d’un choix opéré par les chercheurs pour l’emploi de la traduction littérale du terme latin afin de désigner les vestiges archéologiques dans ce contexte chrono-culturel précis. Cette démarche est née de la nécessité de la mise en œuvre d’un vocabulaire commun alliée à une tendance de la recherche, pour les périodes antiques, à employer le mot latin ou grec pour l’appliquer à une réalité archéologique qui lui aurait correspondu. C’est ainsi qu’en 2009, le terme ossuaire est proposé pour désigner tout assemblage d’os brûlés dissociés des résidus de bûcher et agencés sous la forme d'un amas compact, quel que soit le lieu et la nature du réceptacle, pérenne ou périssable (Blaizot 2009 : 175).
19L’acception du terme, dans d’autres contextes qui ne concernent pas les os brûlés, désigne un lieu où sont regroupés les restes osseux mêlés de plusieurs défunts (dépôt secondaire à inhumation), souvent remobilisés à l'issue du curage simultané ou successif de leurs sépultures, quelle que soit la configuration du lieu ou la période concernée, de la Préhistoire à l’époque moderne. Cette définition intègre toutefois une certaine forme d'organisation relevant de la gestion pragmatique de l'espace et/ou d'une certaine forme d'intentionnalité positive. Les catacombes de Paris ou les ossuaires de l'aître paroissial des Saint-Innocents dans la même ville, désignés communément sous le terme de charnier, en sont des exemples monumentaux, typiques de la période moderne. L’ossuaire peut revêtir, à d’autres périodes, des formes variables, comme par exemple, le regroupement d’ossements dans une fosse ou un contenant réutilisé ou dédié.
20C’est ainsi que le terme s’est trouvé doté d'une définition polysémique, désignant alors des faits très différents où la notion de rituel était formellement exclue de la définition, ne faisant pas partie du temps funéraire. Pour l’Antiquité tardive, à l’interface des deux périodes où les deux concepts sont différents, redéfinir le terme avec ses concepts sous-jacents s’est avérée nécessaire. La définition de Pactols par l’atelier Mort a ainsi fait la distinction entre deux formes, optant pour une démarche descriptive afin d’éluder les interprétations chrono-culturelles spécifiques. En effet, ces amas osseux / agencements osseux ou ossuaires échappent parfois à l'interprétation de l'archéologue faute d'indices ou de référentiels à disposition. C’est ainsi que le terme « ossuaire » a été conservé afin de définir les dépôts secondaires à inhumation tandis qu’un second concept « vase-ossuaire » a été ajouté, désignant les réceptacles mobiles pérennes ou périssables, contenant des amas osseux.
3.2.2. Définition dans Pactols
« Amas d’ossements humains plus ou moins organisé, résultant de la perturbation, de la réduction ou du curage de plusieurs sépultures. L’ossuaire est composé des restes osseux de plusieurs individus ; les os peuvent être sélectionnés ou non. Les os peuvent faire l’objet d’un agencement particulier ou non. L’ossuaire n’est pas une sépulture secondaire. Cette structure résultant de la gestion des ossements dans l’aire funéraire communautaire se rencontre surtout à partir de la fin de l’Antiquité tardive jusqu’à la période actuelle. Il peut revêtir des formes très diverses selon les contextes et les périodes, de la simple fosse à l’édifice construit, en passant par les galeries souterraines ou le dépôt de l’amas dans la sépulture concernée. À la période moderne, on rencontre le terme de « reliquaire communautaire » pour ce type de structure, qui peut alors être construit dans ou hors de l’église, ou à part dans le cimetière. Il est à noter que ce terme s’entend dans le cas d’inhumations, à l’exclusion des vases-ossuaires adoptés pour les dépôts secondaires de crémation, qui font l’objet d’une autre définition ».
3.3. Paléochrétien
3.3.1. Discussion
21Le terme renvoie aux premiers chrétiens, plus précisément à la période de christianisation (Colardelle 1986 : 289‑299). Ce qui pose (entre autres) problème est le fait que les étapes et les bornes de cette christianisation sont très fluctuantes en fonction de l'aire géoculturelle considérée. Pour ce qui relève de l'archéologie de la Gaule (Laurant 2014), les premiers temps chrétiens sont considérés de 177 (première mention d'une communauté à Lugdunum – ce qui est déjà tardif en regard des premières communautés chrétiennes d'Orient, puis d'Asie) à 529 (conversion forcée des païens par le pouvoir politique dominant). Mais cette conversion n'est absolument pas effective dans le reste de l'Europe, notamment dans l'est et au nord-est où la christianisation forcée reprend de plus belle durant la période carolingienne.
22Si le terme est donc problématique du point de vue historique, il est en revanche pertinent si l’on considère les arts. En effet, un art paléochrétien existe bel et bien pour une période comprise entre 200 et 500 environ, car défini par un style iconographique avec des thèmes et des motifs bien établis. Mais cet ensemble de codes ne peut en aucun cas être transposé à la typochronologie des tombes de l'Antiquité tardive, lesquelles sont protéiformes, mélanges de pratiques locales ou exogènes, individuelles ou normatives, qui ne présument en rien de l'appartenance des défunts à telle ou telle croyance.
3.3.2. Dans Pactols
23On le voit, le terme seul n’est pas pertinent pour les pratiques funéraires. Un adjectif n’étant pas recevable dans un thésaurus en tant que concept, il a donc été exclu en tant que tel de la branche Mort, mais reste présent dans d’autres branches de Pactols, associé aux inscriptions, à l’art ou à l’architecture.
3.4. Inhumation
3.4.1. Discussion
24Ce terme a dû faire l’objet d’une création dans le thésaurus, la notion d’inhumation semblant jusqu’alors perçue comme un fait par défaut, contrairement à « crémation », qui existait déjà. Cette absence relève d'une certaine forme d'ethnocentrisme, la norme funéraire d'Europe occidentale de tradition chrétienne, occultant toute autre forme de pratique et s’exonérant donc a priori de toute explication. Or, ce que nous apprend la définition d’inhumation constitue justement l’absence de consensus quant au sens qui lui est accordé, relativement aux traditions de recherches archéologiques, aux écoles thématiques et aux sources sémantiques. Ainsi, le CNRTL (CNRS-Atilf 2005, inhumation) y attache-t-il la notion de cérémonie qu'il lie au fait religieux chrétien, alors que le dictionnaire Le Robert souligne plutôt son étymologie lexicale (inhumare provenant de l’association in + humo) dans une définition mettant en exergue l’enterrement, voire l’ensevelissement. Dans son emploi archéo-anthropologique d’ailleurs, cette définition reste attachée à l’idée de sépulture « en pleine terre » telle qu’elle était enseignée il y a encore peu stricto sensu, bien qu’elle s’emploie désormais assez largement pour toute sépulture en sous-sol et espace vide confiné. Toutefois, les préhistoriens demeurent très réticents à son usage pour les sépultures dans des espaces ouverts (non-confinés) tels que grottes, hypogées ou dolmens, surtout si les structures s’élèvent hors du sol.
25Ainsi, malgré une fixation nécessairement utile, le débat demeure. Par ailleurs, il conviendra de s’interroger également à l’avenir sur l’opposition entre crémation et inhumation puisqu’on peut inhumer des restes brûlés.
3.4.2. Définition dans Pactols
« Action d’enterrer un corps, une partie de corps ou des ossements, quelle que soit l’action réalisée préalablement sur le cadavre le cas échéant (par exemple, crémation, décharnement, etc.). Par extension, ce terme est aussi utilisé pour les dépôts de corps, de parties de corps ou d’ossements non ensevelis mais installés dans des espaces clos tels que les grottes, caveaux, les dolmens, etc. Une inhumation peut être individuelle ou plurielle, primaire (la décomposition du corps s'est faite sur place) ou secondaire (la décomposition du corps s'est faite préalablement dans un autre lieu). Elle n’est pas systématiquement liée à une pratique funéraire. Bien que stricto sensu, on peut inhumer des os brûlés (inhumare= mettre en terre), dans la pratique, inhumation s'emploie rarement pour les restes brûlés ».
4. En guise de conclusion
26Ces exemples révèlent, sans grande surprise, que certaines notions sont toujours objets de débat. Fixer le sens et l’usage des concepts impose certains partis pris. La définition des concepts fondamentaux (inhumation, sépulture) doit pouvoir s’appliquer de façon diachronique à tous les espaces culturels. Celle des termes spécifiques est plus technique et tient compte du cadre géographique et temporel (ossuaire). Dans d’autres cas, c’est le libellé du concept qui doit corriger des raccourcis de langage impossibles à maintenir au sein d’un outil lexical normalisé, ainsi l’adjectif paléochrétien est rejeté au profit de paléochrétiens comme communauté des premiers chrétiens, art paléochrétien, architecture paléochrétienne etc.
27En même temps, le repositionnement des concepts dans l’arbre hiérarchique doit tenir compte des relations de dépendance au sein d’une même branche et des associations entre les items. La complexité de la tâche a obligé à penser de façon globale chaque thématique et par corollaire, à viser une définition qui s’articule avec celle des autres concepts.
28La vérification des traductions des concepts, laissée volontairement de côté pour la réorganisation, est la prochaine étape. Traduire des perceptions méthodologiques différentes selon les pays et les langues est inévitablement ardu mais représente un véritable enjeu, tant du point de vue scientifique que pour l’interopérabilité du thésaurus avec d’autres référentiels du web, Wikidata ou l'Art & Architecture Thesaurus du Getty par exemple. Les variantes au libellé préférentiel du concept, atout majeur pour l’exercice, apporteront souplesse et richesse linguistiques.
29La mise à jour du dossier thématique sur la Mort dans Pactols a permis de commencer à fixer un vocabulaire de référence. Surtout, elle a offert à un groupe volontaire, déjà investi dans la réflexion terminologique, un terrain d’échanges neutre et bienveillant. Participer est une première façon de s’approprier l’outil. L’utiliser comme ressource validée dans sa pratique scientifique ou comme support pour l’enseignement participe à la diffusion de bonnes pratiques terminologiques.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Selon le modèle conceptuel du BackBone Thesaurus de DARIAH choisi par Frantiq pour guider la réorganisation de Pactols.
Auteurs
CNRS, Aix Marseille Université, CCJ, UMR 7299, Aix-en-Provence, France
CNRS, Aix Marseille Université, CCJ, UMR 7299, Aix-en-Provence, France
Service d’archéologie de la municipalité de Lyon, Lyon, France
ArAr, UMR 5138, Lyon, France
Service d’archéologie du département d’Indre-et-Loire, Tours, France
CITERES LAT, UMR 7324, Tours, France
CNRS, Aix Marseille Université, EFS, ADES, UMR 7268, Marseille, France
CNRS, Aix Marseille Université, CCJ, UMR 7299, Aix-en-Provence, France
CNRS, Université Paul-Valéry Montpellier 3, Minist Culture, ASM, UMR 5140, Montpellier, France
CNRS, Aix Marseille Université, Minist Culture, LAMPEA, UMR 7269, Aix-en-Provence, France
INRAP, Nîmes, France
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Peupler et habiter l’Italie et le monde romain
Stéphane Bourdin, Julien Dubouloz et Emmanuelle Rosso (dir.)
2014
Archéologie au présent
Les découvertes de l’archéologie préventive dans les médias
Catherine Dureuil-Bourachau
2015
Sarta Tecta
De l’entretien à la conservation des édifices. Antiquité, Moyen Âge, début de la période moderne
Charles Davoine, Maxime L’Héritier et Ambre Péron d’Harcourt (dir.)
2019
Gérer l’eau en Méditerranée au premier millénaire avant J.-C.
Sophie Bouffier, Oscar Belvedere et Stefano Vassalo (dir.)
2019
Le village de la Capelière en Camargue
Du début du ve siècle avant notre ère à l’Antiquité tardive
Corinne Landuré, Patrice Arcelin et Gilles Arnaud-Fasseta (dir.)
2019
Les métaux précieux en Méditerranée médiévale
Exploitations, transformations, circulations
Nicolas Minvielle Larousse, Marie-Christine Bailly-Maitre et Giovanna Bianchi (dir.)
2019
L’Homme et l’Animal au Maghreb, de la Préhistoire au Moyen Âge
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Véronique Blanc-Bijon, Jean-Pierre Bracco, Marie-Brigitte Carre et al. (dir.)
2021