Avant-propos
p. 5-7
Texte intégral
1Le colloque international « Death and the Societies of Late Antiquity » s’est tenu du 3 au 5 novembre 2021 à la Maison Méditerranéenne des Sciences de L’homme (Aix-en-Provence, France). Cette manifestation a été organisée et soutenue par l’UMR 7268 ADES, l’UMR 7206 EA et l’UMR 7041 ArScAn. Cette rencontre a bénéficié de l’appui de nombreux partenaires scientifiques et financiers, que nous souhaitons de nouveau remercier : le programme ANR Transfunéraire, l’Institut d’Archéologie Méditerranéenne ARKAIA, le projet MorAnt, le Collège des écoles doctorales de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et la Maison Méditerranéenne des Sciences de l'Homme.
2Cette rencontre scientifique avait pour objectif de faire un bilan des études conduites sur le fait funéraire à l’époque tardo-antique et d’ouvrir des perspectives sur leurs évolutions possibles, après trois décennies de transformations considérables des méthodologies déployées sur le terrain et en laboratoire, menant notamment à la consolidation de l’approche archéothanatologique. Ces transformations ont en effet suscité un renouveau des questionnements sur les populations et les pratiques funéraires, notamment de l’Antiquité tardive. L’apparition de ce qui a été initialement désigné comme l’« Anthropologie de terrain » et le récent développement d’une démarche collaborative entre domaines et approches scientifiques diverses (archéothanatologie, biochimie et géochimie, génétique, histoire, épigraphie par exemple) ont été décisives pour le renouvellement des problématiques d’étude. Les recherches récentes et la multiplication des exemples archéologiques montrent une volonté de réexamen et de révision des données, tant anthropologiques qu’archéologiques et historiques. Elles accroissent nos connaissances sur le traitement des défunts, l’emplacement des aires funéraires ou encore la structure des sépultures et au final nous éclairent sur la place de la mort dans les sociétés anciennes ; tous ces éléments étant variables selon les régions et les cultures.
3Ces nouveaux travaux, désormais préférentiellement pluridisciplinaires, permettent donc de relancer la réflexion sur la manière dont les sociétés antiques envisageaient la mort et géraient leurs morts dans le contexte de changements multiples - sociaux, démographiques et culturels - survenus au sein de l’Empire et sur ses marges. L’Antiquité tardive se distingue en effet pour ses importantes évolutions politiques, économiques et religieuses. Cette période de changements sociétaux profonds voit d’abord coexister les institutions romaines et de nouvelles organisations sociales, notamment celles issues du christianisme naissant. Les sociétés de l’Antiquité tardive révèlent ainsi une mosaïque d’entités politiques, sociales et culturelles, tant au cœur des provinces de l’Empire que sur leurs régions limitrophes.
4Il s’agissait lors de cette rencontre scientifique de voir si cette pluralité de situations s’exprimait également dans les pratiques funéraires, de comprendre quels étaient les éléments permettant d’identifier et définir cette diversité et d’établir dans quelle mesure nous pouvions véritablement appréhender les structures culturelles et sociales des communautés anciennes et leurs potentielles transformations à partir des pratiques funéraires. Car au final, entre les premiers siècles de l’Empire Romain et la période tardive, quel degré de continuité ou de changement des dynamiques populationnelles et culturelles ces pratiques révèlent-elles ?
5Une réflexion spécifique portant sur le monde des morts, élaborée à grande échelle géographique et thématique et dans toute sa pluralité disciplinaire, s’impose ainsi désormais. Il paraît pour cela indispensable de s’extraire d’une vision romano-centrée, voire méditerranéo-centrée, et d’intégrer à la discussion les travaux portant sur les territoires et entités hors de l’Empire. Il semble également essentiel de sortir de l’écueil d’une vision uniquement focalisée sur l’apparition et le développement du christianisme. Ainsi l’on se doit de considérer dès le départ la pluralité des entités qui composent le monde tardif, car l’uniformité dans l’Empire n’existe pas. L’anthropologie et ses sciences corrélées sont désormais appelées à trouver dans ces discussions une place privilégiée, associées aux démarches archéologiques, historiques, environnementales et sociétales plus classiquement engagées.
6C’est à l’examen de ce vaste ensemble d'aspects qu’ont été consacrées les trois journées d’un colloque réalisé en mode hybride, fonctionnement devenu désormais courant et permettant au plus grand nombre, intervenants comme public, d’assister aux présentations et d’enrichir aussi la discussion scientifique. La richesse des débats a été alimentée par des contributions de qualité, que nous avons choisi de réunir dans cet ouvrage en les regroupant en quatre grands thèmes portant respectivement sur l’évolution des pratiques funéraires, la connaissance de l’identité sociale des personnes inhumées, la transformation des ensembles funéraires (organisation et topographie), et la question des différences entre les territoires du cœur aux marges de l’empire.
7Le volume est introduit par Alexandra Chavarria-Arnau qui mène une double réflexion à la fois sur la transformation topographique des espaces funéraires en zone urbaine, et sur les premières apparitions et manifestations de gestes funéraires dits chrétiens. Le texte aborde des points qui font toujours débat dans la communauté scientifique et à la discussion desquels participent plusieurs autres contributions de ce volume, tels que la présence ou l’absence de corrélation entre la condition sociale et l'emplacement des aires funéraires ou l’apparition des premières manifestations de l’appartenance à la communauté chrétienne dans les sépultures en zone urbaine.
8La première section de cet ouvrage s’attache à comprendre l’évolution des pratiques funéraires dans le temps, traduite notamment par la syntaxe des formules commémoratives sur les épitaphes qui montre une transformation, entre le ive et le viie siècle, de la perception de la mort par la communauté et de la place de l’individu au sein de celle-ci (voir Grose). Ces évolutions se traduisent aussi par l’expression de nouveaux gestes liés à la célébration des défunts : le caractère ostentatoire du statut social d’une famille se modifie progressivement, les grands monuments peuvent être abandonnés pour des structures plus modestes, moins visibles, mais riches en mobilier (voir Achard-Corompt et al.). Les six contributions de cette section, couvrant plusieurs aires géographiques (de la péninsule ibérique à la Gaule Belgique), explorent ainsi la manière dont les divers éléments constituant l’ensemble du système funéraire (épigraphies, dépouilles mortuaires, structures sépulcrales, mobilier funéraire, entre autres) rendent compte des transformations sur la longue durée, à partir du iiie siècle. Le constat final est celui d’une hétérogénéité de modèles de transformations, qui s’établissent de manière singulière et propre à chaque région ou chaque site.
9La seconde section thématique de ce volume collectif est dévolue à la question de l’identité sociale dans la mort. Les contextes funéraires offrent en effet un cadre privilégié pour observer la gestion et la représentation de l’appartenance aux différentes catégories d’âge, de genre, de classe ou de statut, au sein des sociétés concernées. Qu’elle soit attribuée par les vivants aux morts, ou qu’elle soit le reflet de la place conférée à l’individu dans la société, l’identité sociale correspond en effet à des valeurs culturelles partagées sur la définition desquelles il est désormais possible, et nécessaire, de revenir à la lumière des données récentes, notamment fournies par les six contributions rassemblées dans cette section. Le cas de Valencia (Espagne) témoigne par exemple d’une possible différence de traitement au sein d’une même communauté (voir Oteo-García et al.). Certaines tendances d'interprétation apparaissent désormais devoir être revues et nuancées : l’étude de Ahü-Delor et collaborateurs montre ainsi qu’un dépôt de mobilier peut représenter l’expression d’une valeur affective et non pas d’une identité sociale.
10Les évolutions se traduisent également par des transformations dans l’organisation et la topographie des ensembles funéraires. Sept études rassemblées au sein de la troisième partie de cet ouvrage rendent ainsi compte des changements advenus dans le choix de l’emplacement géographique et l’organisation interne des aires funéraires, l’évolution de leur implantation, de leurs limites, tout autant que dans la reconversion de structures antérieures en lieux de sépulture, qui sont autant de sources de questionnement sur la relation entre les vivants et les morts. Ainsi, une réflexion est amorcée par Helly et collaborateurs sur l’importance de l’affectation antérieure des parcelles pour permettre une transformation vers une occupation funéraire. La transformation du statut des parcelles des zones péri-urbaines se pose de manière générale, dans de nombreuses régions, comme le montrent les études de Bosc-Zanardo et collaborateurs, Cavé et collaborateurs, Courtois et Ziegler ou Valenciano. L’évolution des aires funéraires déjà implantées antérieurement est aussi discutée par Giuliani et collaborateurs et Braconi et collaborateurs. Les contributions rassemblées ici montrent que les transformations documentées revêtent des réalités et des modalités différentes selon les contextes géographiques et culturels.
11Huit contributions, rassemblées au sein d’une quatrième partie, allant des contrées au plus proche de Rome à des territoires extérieurs à l’Empire, permettent pour finir d’embrasser une vision élargie seule à même de rendre compte du caractère extrêmement contrasté du monde antique tardif en matière d’usages et de représentations funéraires. De Rome, avec l’occupation funéraire située sur la Via Ostiensis, où cohabitent les sépultures du Haut-Empire et celles de l’Antiquité tardive (voir Marcelli et al.), aux ensembles situés aux marges de l’Empire, comme la nécropole de Tell Keila, en Palestine, qui atteste une coexistence de sépultures chrétiennes et juives (voir Bletry et al.), ces contributions offrent la possibilité de comprendre de quelle façon et à quel point les pratiques funéraires varient dans les différents territoires sous influence de Rome. Le constat ainsi établi est celui d’une lente et graduelle évolution des comportements, sans changements brutaux, que l’on se situe au plus près du cœur de l’Empire ou à ses marges. Les gestes funéraires représentent à ce titre un ensemble de codes façonnés par les croyances, la culture, les moyens matériels disponibles, l’environnement mais aussi la progressive application des dispositions règlementaires et législatives telles que celles qui ont prévalu tout au long de la période romaine.
12Les contributions de cet ouvrage offrent ainsi la possibilité de mener la réflexion sur le monde des morts à grande échelle géographique et thématique. Cette réflexion se veut interdisciplinaire, favorisant l’accroissement de nos connaissances sur le traitement des défunts et leur place parmi les vivants. Ce volume a pour ambition de stimuler un débat scientifique et non d’y apporter un point final. Nous espérons que ces discussions fructueuses n’en sont qu’à leur début ; nous comptons les poursuivre avec des tables rondes directement issues de cette première rencontre, dans le cadre d’une recherche sur le long terme.
Auteurs
CNRS, Aix Marseille Université, EFS, ADES, UMR 7268, Marseille, France
Paris 1 Panthéon Sorbonne, ArScAn, UMR 7041, Paris, France
Muséum national d'histoire naturelle, EA, UMR 7206, Paris, France
CNRS, Aix Marseille Université, EFS, ADES, UMR 7268, Marseille, France
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