Chaînes du commerce dans l’Atlantique hispanique
Circuits, acteurs et institutions 1750-1850
p. 121-137
Texte intégral
1Traditionnellement, le commerce atlantique hispanique a été envisagé sous l’angle d’échanges strictement bilatéraux reliant, d’une part, les grands ports privilégiés espagnols disposant du monopole sur ce commerce en Europe (d’abord, Séville, puis Cadix) et, d’autre part, leurs homologues américains bénéficiant de la même situation de l’autre côté de l’Atlantique (Veracruz, Carthagène et Lima, via le relais de la foire de Portobelo). Ce fut là la perspective adoptée par Pierre Chaunu le premier, puis par ceux qui ont poursuivi son étude magistrale de la Carrera de Indias : Lutgardo García Fuentes, Antonio García-Baquero Gónzalez et John Fisher1. On retrouve d’ailleurs une même démarche dans l’étude du commerce colonial portugais faite par Frédéric Mauro ou encore dans les travaux que Paul Butel a consacrés aux relations entre Bordeaux et les Antilles, pour ne retenir que deux exemples parmi les nombreux que pourrait offrir l’historiographie du commerce transatlantique européen2. À partir de la fin des années 1970, cependant, certains auteurs avaient commencé à adopter une perspective un peu différente pour appréhender ces échanges. En 1981, Carlos Martinez Shaw publiait par exemple un ouvrage dédié au rôle que joua la Catalogne dans la Carrera de Indias, levant ainsi le voile sur une réalité que peu d’historiens acceptaient alors d’admettre ou d’envisager : bien avant les réformes de 1778, il y avait eu en Espagne, d’autres acteurs de la Carrera de Indias que les seuls ports privilégiés andalous3. Michel Morineau, pour sa part, appelait en 1985 les chercheurs à étudier « l’Europe américaine », expression qu’il employait pour désigner l’ensemble des provinces européennes, espagnoles ou étrangères, qui travaillaient et vivaient en symbiose avec la dynamique commerciale de l’Atlantique ibérique, qu’elles aient ou non bénéficié d’un statut privilégié4. Avant lui, la participation des Européens à la Carrera de Indias avait certes été déjà beaucoup étudiée, mais elle l’était principalement à travers la question de la pénétration des marchands étrangers installés à Séville ou à Cadix à l’intérieur du monopole espagnol – ce qui revenait finalement toujours à placer la focale sur les seuls échanges transatlantiques5. Les nombreux travaux suscités par l’étude des colonies étrangères de Cadix, qui ont été réalisés au début des années 2000, n’échappent pas réellement à ce biais analytique, puisqu’ils sont centrés sur l’étude des établissements européens installés en Andalousie et non sur celles de leurs prolongements en Europe6. En abordant frontalement la question des relations qu’entretenaient ces colonies marchandes étrangères, non pas seulement avec les Indes, mais aussi avec les régions dont elles étaient originaires ou avec lesquelles elles maintenaient des liens commerciaux étroits, ces différentes études contribuèrent cependant à poser les premiers jalons d’une véritable histoire connectée de la Carrera de Indias, qui se développa progressivement ensuite au cours de la décennie suivante7. Selon des logiques un peu différentes, les travaux consacrés au Pacifique hispanique, qui avaient été eux aussi jusqu’à présent presqu’exclusivement focalisés sur le « Galion de Manille » et les relations commerciales liant Acapulco et Manille, contribuèrent également de leur côté à renouveler les grilles analytiques utilisées en accordant une plus grande attention aux circuits commerciaux, qu’ils soient intra-américains ou extra-américains, légaux, tolérés ou interlopes, qui contribuaient à connecter les régions pacifiques de l’empire espagnol au reste du monde8.
2C’est résolument dans cette veine-là que s’inscrivent les recherches que nous menons actuellement sur les relations commerciales entre le Mexique et l’Europe, avec la volonté de repousser deux frontières qui ont contribué à restreindre l’appréhension et la compréhension que les historiens ont pu avoir de l’Atlantique hispanique : l’une géographique, l’autre chronologique. Le dépassement de la frontière géographique vise à prolonger l’étude des circuits du commerce transatlantique hispanique non seulement du côté de l’Europe, pour y inclure l’ensemble des provinces du vieux-continent intéressées à ces échanges (« L’Europe américaine » chère à Michel Morineau), mais aussi du côté américain, afin de réintégrer dans l’histoire de la Carrera de Indias les circuits du commerce dit de tierra adentro, qui reliaient les producteurs et les consommateurs américains aux flux de la dynamique coloniale espagnole9. L’autre frontière que nous nous proposons de franchir est chronologique et elle vise à replacer l’histoire de l’Atlantique hispanique dans une perspective longue, dépassant la traditionnelle césure de 1821 (année où furent proclamées les indépendances du Pérou et du Mexique, les deux principales provinces américaines de l’empire espagnol). L’adoption d’une telle perspective chronologique permet en effet de mieux cerner, au-delà des seuls rouages juridiques de l’exclusif colonial espagnol, quels étaient les fondements économiques, humains et institutionnels qui contribuaient à la dynamique commerciale dont fit preuve l’Atlantique hispanique aussi bien à l’époque coloniale que durant le siècle qui suivit l’effondrement de l’empire espagnol. Elle permet ainsi de mettre en évidence les circuits, les acteurs et les institutions qui structuraient et rendaient possibles les échanges au sein de cet espace commercial.
3Les résultats présentés ici ne sont que les premiers d’une enquête plus vaste, dont les conclusions se trouvent réunies dans un mémoire inédit en cours d’édition10. Nos premiers constats permettent de mieux comprendre le fonctionnement des circuits commerciaux qui reliaient les acteurs économiques européens à leurs homologues américains et de souligner ainsi le caractère éminemment heuristique que recèle une démarche analytique d’histoire connectée, fondée sur l’identification de « chaînes » et de « maillons » du commerce. Pour les exposer, nous recourrons aux deux approches qui ont généralement été mises en avant par les tenants de l’histoire connectée. La première, inspirée de ce que l’on appelle dorénavant la « micro-histoire globale », insiste plutôt sur la chaîne et s’efforce donc de saisir un circuit commercial dans sa globalité ; la seconde, en revanche, mobilise des données agrégées dans des cadres monographiques plus traditionnels et essaie de penser les connections entre les différents acteurs du système à une échelle macro11. Les deux approches arrivent cependant à des conclusions convergentes : la structuration du commerce international avant 1850 reposait sur des logiques relationnelles et institutionnelles extrêmement fortes qui délimitaient drastiquement la capacité d’agir des différents acteurs d’un point de vue sectoriel et géographique.
Une chaîne commerciale dans l’Atlantique hispanique
4Ne disposant pas d’une source unique permettant de reconstituer l’intégralité d’une chaîne commerciale – comme a pu le faire par exemple Francesca Trivellato dans sa belle étude Corail contre diamants12 –, nous avons fait le choix de reconstituer cette chaîne, à partir de données factuelles réelles mais dispersées, un peu à la manière adoptée par Alain Corbin pour reconstituer la vie de Louis-François Pinagot13. Si le circuit commercial que nous avons choisi de décrire n’a donc jamais existé sous cette forme, tous les éléments qu’il assemble sont vrais et parfaitement documentés par la littérature. Ce circuit est fondé sur l’exportation d’un produit dont la consommation était extrêmement courante dans l’Amérique hispanique – les toiles de lin de Bretagne, dites aussi « bretagnes » ou « bretañas » –, ainsi que sur celle des deux principaux produits qui étaient offerts par les consommateurs mexicains en paiement de ces textiles, à savoir le minerai d’argent et la cochenille – une substance d’origine animale, utilisée pour produire des teintures rouges. Par définition, de tels circuits commerciaux n’ont ni début, ni fin et ils intriquent de multiples ramifications dont il serait impossible de rendre compte systématiquement. Pour les nécessités de l’exposé, nous avons cependant choisi de débuter leur description à partir d’un point de départ (les campagnes bretonnes des années 1760) et de ne suivre qu’un seule des multiples fils qu’agrège l’intégralité de la chaîne proprement dite.
5Notre parcours commence donc dans les campagnes du pays de Saint-Brieuc, où des fileurs et des tisserands ruraux produisaient les célèbres toiles de lin, si appréciées dans l’Amérique espagnole – de même que l’étaient d’ailleurs leurs contrefaçons produites dans l’industrieuse province de Silésie où notre enquête aurait tout aussi bien pu débuter14. Une fois acquises par les négociants morlaisiens ou malouins, par l’intermédiaire des marchands de Quintin, Uzel et Loudeac qui étaient spécialisés dans la collecte et la répartition des commandes de toiles, les précieux tissus étaient chargés sur des navires arborant toujours le pavillon français et expédiés en droiture à Cadix, où une vingtaine d’embarcations ainsi affrétées devaient entrer chaque année dans le port15. Là, il était fréquent que les toiles soient transbordées en toute illégalité directement sur les navires s’apprêtant à appareiller pour les Indes. Plus vraisemblablement, cependant, les ballots de toiles étaient déchargés et présentés à la douane, non pas d’ailleurs parce que les marchands français auraient répugné à pratiquer la contrebande, mais plutôt pour des raisons commerciales : dans les bateaux, les toiles étaient exposées aux avaries, elles n’étaient pas ou mal assurées et il était plus difficile de les vendre aux acheteurs que depuis les magasins situés aux abords de la calle nueva, qui faisait office de bourse du commerce pour les négociants de Cadix. D’ailleurs, les droits que les toiles bretonnes acquittaient à la douane étaient relativement modiques en raison d’un vieil accord que les marchands français de la ville avaient négocié en 1698 avec les autorités (le convenio d’Eminente).
6Ceux qui, à Cadix, étaient chargés de réceptionner les toiles bretonnes étaient fréquemment aussi originaires de Saint-Malo et pouvaient s’appeler Magon, Quentin ou Verduc. Ils opéraient le plus souvent de concert avec leurs parents qui étaient demeurés au pays et qui étaient les commanditaires de leurs comptoirs ouverts en Andalousie, sans pour autant que ces derniers puissent être considérés à proprement parler comme des filiales des firmes familiales bretonnes dont ils émanaient. Ces dernières fournissaient certes les capitaux, via les fonds laissés en commandite, et elles constituaient des partenaires privilégiés. Mais les liens de dépendance qui avaient pu exister originellement avaient été vite dissipés dans le flot des affaires : aucune compagnie n’aurait pu être viable à Cadix si elle s’était contentée de vendre des toiles bretonnes, a fortiori remises par un fournisseur unique et, par ailleurs, aucune maison de négoce de Cadix, quelle que soit son origine, ne pouvait réellement exclure ces toiles des assortiments qu’elle proposait sur le marché. Les maisons malouines de Cadix fonctionnaient donc comme des acteurs de circuits internationaux beaucoup plus vastes, de même que les maisons lyonnaises, languedociennes ou béarnaises, avec lesquelles elles formaient la « nation française de Cadix », ou que les maisons hollandaises, allemandes ou génoises qui se livraient toutes, peu ou prou, au même genre de commerce – même si, naturellement, chacune maintenait des liens préférentiels avec la petite patrie d’où elle était originaire16.
7La fonction première de ces compagnies étrangères de Cadix était de vendre et d’expédier les marchandises reçues dans la Carrera de Indias, étant entendu qu’il leur était formellement interdit, par las leyes de Indias, de porter elles-mêmes ces marchandises de l’autre côté de l’Atlantique, d’armer des navires pour cette destination ou même de prendre des intérêts financiers dans ces expéditions. Formellement doit cependant s’entendre ici au sens premier du terme et, de fait, elles ne se privaient pas de recourir à ces différentes formes d’investissement chaque fois qu’une opportunité le justifiait. Au vrai, elles disposaient de trois possibilités pour placer leurs marchandises17. Elles pouvaient les confier à des commissionnaires espagnols qui se chargeraient ensuite de les transporter en Amérique, de les vendre et de leur en faire les retours, toujours pour leur compte. À priori, il s’agissait là de la solution la plus lucrative, mais aussi la plus risquée. Elles pouvaient au contraire choisir de les vendre directement à Cadix aux cargadores, ces négociants espagnols habilités auprès du Consulado de la ville pour pratiquer le commerce colonial. Dans cette hypothèse, c’étaient ces derniers qui étaient alors susceptibles d’empocher le plus gros des bénéfices, mais c’étaient aussi eux qui couraient l’essentiel des risques. Elles pouvaient enfin vendre à crédit leurs marchandises aux cargadores, en adoptant pour cela la formule du prêt à la grosse aventure qui permettait à l’emprunteur de ne rembourser que si l’issue maritime de l’expédition avait été heureuse. Risques et profits étaient alors partagés entre les deux parties. Notons que dans la première et la troisième solution, c’étaient les noms de prête-noms espagnols (testaferros) qui figuraient dans toutes les procédures officielles auxquelles devaient se soumettre les exportateurs, ce qui ajoutait une petite incertitude à ces opérations : en cas de contentieux, c’était le testaferro qui serait appelé à se produire en justice.
8En dépit de l’importance supposée ou réelle de ce recours à des prête-noms, il serait pourtant bien injuste de réduire le rôle des cargadores à cela, comme trop d’historiens – espagnols en premier lieu – se sont employés à le faire18. Armer des navires, obtenir toutes les autorisations requises pour leur navigation, y charger des marchandises (que ce soit pour son compte ou pour celui d’un commettant), les accompagner jusqu’à Veracruz et, de là, jusqu’à la foire de Jalapa, située à 80 kilomètres à l’intérieur des terres, procéder à leur vente, le cas échéant à crédit auprès de « bons débiteurs », acquérir avec le produit des ventes les denrées coloniales ou les métaux précieux constituant les retours et veiller sur ces derniers jusqu’à leur arrivée à Cadix – où ils pourraient enfin être remis à leurs propriétaires, aux créanciers qui avaient avancé les fonds ou tout simplement vendus sur le marché – c’est bien plus que de simplement contresigner des documents officiels. Et remplir ces différentes tâches méritait incontestablement une juste rémunération, ce qui explique finalement les importantes fortunes qu’accumulèrent les cargadores gaditans, tout au long du xviiie siècle, uniquement en exploitant le segment central de la Carrera de Indias et sans ne s’être jamais réellement aventurés ni en amont, sur les routes du commerce européen, ni en aval, dans le commerce de tierra adentro19.
9De fait, les flotistas (les représentants des cargadores qui s’embarquaient sur les flottes) ne se montraient guère au-delà de Jalapa où commençait une autre domination, celle des marchands du Consulado de Mexico. Lorsque les flottes avaient été trop généreusement chargées et que la débite en foire était trop laborieuse, il arrivait que les flotistas obtiennent parfois du roi, ou de son représentant en Nouvelle-Espagne, l’autorisation de « s’interner » avec leurs marchandises, afin de disposer de plus de temps pour les vendre. Mais, tout s’y opposait. Le Consulado de Mexico en premier lieu, qui veillait jalousement sur le respect de sa chasse gardée20. En outre, le monde qui s’ouvrait au-delà de la foire de Jalapa était de toute façon bien trop étranger aux négociants gaditans pour qu’ils puissent y faire efficacement des affaires. C’était un monde où il fallait connaître les arrieros, ces transporteurs qui guidaient d’immenses convois de mules sur les routes infestées de brigands de l’intérieur du Mexique ; il fallait connaître aussi la foule des détaillants, des marchands itinérants (viandantes), des boutiquiers tenant un magasin ou parfois une simple échoppe (cajón) dans un des marchés de Nouvelle-Espagne et, dans certaines provinces, il convenait même de bien connaître les agents de la Couronne (les alcaldes mayores), lesquels, du fait de la pratique des repartimientos, disposaient de véritables monopoles sur la distribution des marchandises européennes (dites « de Castilla » à l’intérieur du Mexique) auprès des populations indiennes placées sous leur juridiction21. À Mexico, enfin, il était indispensable de côtoyer les élites politiques et mercantiles du royaume qui, depuis les postes de pouvoir qu’elles occupaient (le palais vice-royal, l’Audience ou le Consulado) étaient toujours susceptibles de faciliter ou d’entraver les opérations commerciales.
10Pour toutes ces raisons, les gros marchands de Mexico, comme Francisco de Yraeta dont nous reparlerons plus en avant, étaient bien mieux armés pour prendre en charge ces opérations que les commerçants gaditans. Ce sont donc eux qui, pour se procurer les métaux précieux produits dans les mines du nord du Mexique ou la cochenille provenant de la région de Oaxaca, envoyaient dans ces provinces les textiles européens et les écoulaient auprès des « seigneurs des mines » de Zacatecas et Guanajuato, ou bien auprès des alcaldes mayores dans le sud22. Parfois, les circuits étaient plus complexes. À Oaxaca, par exemple, on se procurait aussi des couvertures de laines (mantas), qui étaient tissées localement et qui servaient à vêtir le petit monde des travailleurs de la mine, réputé pour sa relative aisance et sa prodigalité – une partie de la rémunération des mineurs se faisant en nature, au prorata du minerais extrait23. Une fois collectés et rapportés à Mexico par les arrieros, l’argent et la cochenille pouvaient être ensuite acheminés à Jalapa, où ils servaient de monnaie d’échange dans les transactions nouées avec les flotistas.
11Les flotistas se chargeaient de transporter ces denrées américaines à Cadix et de les remettre, une fois arrivés dans la ville, à leurs commettants andalous ou européens. Ces derniers bouclaient ensuite le circuit en assurant la distribution des produits américains, via leurs propres réseaux internationaux de correspondants, sur les différents marchés où étaient appréciés l’or, l’argent, la cochenille, l’indigo et le cacao provenant d’Amérique. En 1755, un navire suédois chargé par la maison Verduc, la Jeanne-Élisabeth, coula au large des côtes languedociennes alors qu’il voyageait entre Cadix et Marseille. Il transportait, aux côtés d’une importante cargaison de blé, un formidable trésor contenant près de 25 000 piastres ainsi que huit surons de cochenille et trois surons d’indigo24. Si le navire n’avait pas fait naufrage, ces précieuses marchandises américaines, qui étaient consignées à la maison Roux de Marseille, auraient poursuivi leur trajectoire : les piastres auraient probablement pris la direction des hôtels des monnaies de Lyon ou de Milan pour y être transformées en écus ou en thalers ; elles auraient aussi pu être expédiées dans un comptoir marseillais à Smyrne, ou encore être transportées dans la Régence d’Alger par la Compagnie Royale d’Afrique pour y être échangées contre du blé ; quant à la cochenille, il y a de fortes chances qu’elle ait été écoulée auprès des drapiers de Carcassonne où elle servait à teindre en rouge les belles étoffes produites localement et également recherchées sur les marchés levantins25. Pour les produits américains, Marseille n’était donc qu’une étape, tout comme l’avaient été auparavant Cadix, Jalapa ou Mexico.
12La chaîne commerciale décrite ici pourrait être déclinée sous de multiples formes en remplaçant par exemple les toiles de Bretagne par d’autres de Silésie, par des soieries lyonnaises ou des eaux-de-vie catalanes, en remplaçant Morlaix par Nîmes, Amiens, Hirscheberg ou Valence, et Marseille, par Hambourg, Gênes ou Londres. Les produits circulant et les acteurs à la manœuvre changeraient alors, mais non les logiques de fonctionnement des circuits. On pourrait également s’intéresser aux célèbres flux d’argent qui par l’intermédiaire de l’axe Acapulco-Manille ou toujours par Cadix – où les navires de toutes les grandes compagnies des Indes faisaient escale avant de gagner l’Asie – étaient dirigés vers le sous-continent indien et vers la Chine, où ils contribuaient à animer d’autres circuits commerciaux. Des piastres étaient également échangées en Afrique contre des captifs réduits en esclavage et déportés en Amérique pour y travailler dans les plantations de sucre et de café. Ce sont finalement tous les circuits de l’économie mondialisée du xviiie siècle qui se dévoileraient ainsi si l’on remontait une à une les différentes chaînes du commerce qui étaient connectées à la Carrera de Indias. Les résultats ne seraient en outre guère différents si l’on se plaçait cette fois-ci en 1850, à l’autre extrémité de la période envisagée. Certes les acteurs ne seraient définitivement plus les mêmes. Les toiles de Bretagne auraient alors laissé depuis longtemps le premier rôle à celles (en coton) de Manchester. Les soieries lyonnaises – qui représentaient alors encore le quart des exportations françaises vers le Mexique – et l’argent mexicain (qui assurait à lui seul 80% des exportations du pays, comme un siècle plus tôt) seraient en revanche encore de la partie26. Cadix se serait également effacé depuis longtemps déjà face aux nouveaux hubs du commerce mexicano-européens : Bordeaux, Liverpool, La Havane ou la Nouvelle-Orléans. En revanche, la place de Veracruz serait demeurée la première porte d’entrée atlantique du Mexique, en dépit de la concurrence croissante de Tampico et Campêche – et contrairement à Acapulco, son alter ego de la côte Pacifique, dont le port fut rapidement marginalisé par la montée en puissance de Mazatlan, Tepic et Guaymas. Le Consulado de Mexico et ses grandes familles auraient eux aussi rendu les armes depuis longtemps, remplacés par des grossistes anglais, français et allemands, installés à leurs risques et périls, mais sous la protection de leurs consuls, dans la vieille capitale régulièrement en proie aux émeutes populaires et aux pronunciamientos27. Les arrieros continueraient bien en revanche à monopoliser la totalité du transport intérieur du pays et, incontestablement, sans leur concours aucune des marchandises importées d’Europe n’aurait pu être conduite à San Juan de los Lagos, dans le nord du pays, où se tenait la grande foire qui desservait dorénavant les régions minières28. En définitive, de telles variations géographiques ou chronologiques n’aboutiraient qu’à souligner les invariants et les pesanteurs de ces circuits, plutôt que leurs différences ou leurs transformations. C’est donc à la compréhension de ces invariants qu’il faut maintenant s’intéresser, en adoptant pour cela, la seconde perspective offerte par l’histoire connectée : celle qui vise à étudier séparément, mais à penser globalement, chacun des maillons constitutifs de la chaîne commerciale envisagée.
Les trois maillons du commerce atlantique hispanique
13Lorsque l’on change d’échelle et que l’on étudie les circuits atlantiques dans leur globalité, on s’aperçoit que la chaîne du commerce qui unit l’Europe au Mexique se décompose en fait en trois maillons. Il apparaît en outre que les échanges à l’intérieur de chacun de ces trois segments sont presque exclusivement monopolisés par un groupe de marchands, qui est doté d’une identité juridique spécifique : les marchands andalous règnent en maître sur la Carrera de Indias proprement dite (à savoir le commerce qui se fait entre Cadix et Jalapa), les marchands européens assurent la quasi-totalité des relations commerciales unissant Cadix au reste de l’Europe et les marchands dits créoles se réservent, de leur côté, les liaisons commerciales reliant Jalapa aux marchés intérieurs du Mexique. Les études monographiques, bien qu’encore très insuffisantes, sont dorénavant suffisamment nombreuses pour permettre de décrire tout à la fois aussi bien le caractère systématique de ces monopoles que les logiques relationnelles et institutionnelles qui les déterminent.
14Pour délimiter les contours de l’espace commercial monopolisé par chacun des trois groupes considérés, la source la plus appropriée est la correspondance commerciale. Son analyse livre des conclusions extrêmement explicites : chaque négociant considéré n’entretient de relations commerciales quasiment qu’au sein de l’espace qui a été attribué, dans le fonctionnement de l’Atlantique hispanique, à la communauté politique à laquelle il appartient. Cela est par exemple particulièrement évident pour le cas du cargador Juan Vincente Marticorena, qui s’établit à son compte à Cadix en 1780, après avoir effectué un voyage en Amérique en qualité de flotista. Il y développe au cours des années suivantes une intense activité commerciale exclusivement tournée vers la Carrera de Indias. En effet, la totalité des correspondants avec lesquels il entretient une correspondance suivie réside dans les principales places qui structurent le commerce colonial espagnol. Dans la vice-royauté de Nouvelle-Espagne et dans les Caraïbes, il possède des correspondants à La Havane, Veracruz, Guatemala et Mexico ; en Amérique du sud, ses correspondants sont à Lima et à Buenos Aires ; et, enfin, il dispose d’une dizaine de correspondants répartis dans les principaux ports espagnols habilités pour participer au commerce avec les Indes (Saint-Sébastien, Bilbao, Malaga et Séville) et à Madrid29. Il n’entretient en revanche aucune relation épistolaire avec des négociants résidant en dehors de l’empire espagnol. Par ailleurs, nous remarquons que la quasi-totalité de ses correspondants sont soit des parents à lui, installés dans les ports américains, soit des négociants originaires comme lui des provinces basques de la péninsule Ibérique30. La configuration des réseaux des marchands dits créoles est très différente d’un point de vue géographique mais elle est tout à faire similaire dans ses logiques de fonctionnement31. L’exemple de Francisco Ignacio de Yraeta, dont nous avons pu traiter systématiquement plusieurs livres de correspondance, est de ce point de vue très significatif32. En 1791, à l’époque où son entreprise atteignit son plus grand rayonnement, les trois quarts de ses correspondants résidaient au sein même de la vice-royauté de Nouvelle-Espagne, répartis dans 42 localités différentes, et il leur destinait plus de 90 % de sa correspondance. Les seules exceptions notables à cette règle sont les quelques correspondants avec lesquels il entretenait des relations à Madrid, à Cadix, à Guayaquil ou à La Havane et dans les localités basques des régions dont il était originaire. Comme son confrère Marticorena de Cadix, il n’entretenait en outre que très peu de relation avec des individus qui n’étaient pas sujets de la couronne espagnole. Dans l’ensemble des dépouillements que nous avons effectués, nous n’avons par exemple retrouvé la trace que d’une seule correspondance maintenue avec une compagnie française de Cadix, la maison Chancel Dumas, à laquelle quelques courriers sont expédiés en 1767 au sujet d’une vieille affaire en cours de liquidation : l’envoi d’une pacotille qui lui avait été confiée plusieurs années auparavant – ce qui prouve d’ailleurs que lorsque de telles relations commerciales existaient, elles ont laissé des traces documentaires tangibles. Les structures des réseaux d’affaires des maisons françaises de Cadix ne diffèrent pas non plus foncièrement de celles des marchands andalous ou créoles. Ils sont également très limités géographiquement comme en témoignent les cas des compagnies Jugla Solier, Rivet ou Delaville qui, dans les années 1780, disposent de correspondants dans à peu près toutes les places européennes importantes, mais n’en ont en revanche jamais en Amérique ; en outre, leurs réseaux sont aussi surdéterminés par des identités politiques communes, puisque ces trois sociétés privilégiaient très largement leurs compatriotes parmi leurs correspondants – aussi bien dans les relations qu’elles entretenaient avec la France qu’avec l’Espagne ou le reste de l’Europe33.
15Toutes les autres monographies portant sur les acteurs de la Carrera de Indias aboutissent peu ou prou à des résultats similaires et, le plus souvent, les exceptions viennent confirmer la règle plus qu’elles ne l’infirment. La compagnie gaditane Iribarren y Schondalh parvint par exemple dans les années 1780 à déployer son activité commerciale aussi bien en Amérique que dans le nord de l’Europe, où elle se procurait directement les toiles de Silésie réexportées ensuite outre-Atlantique ; mais cette compagnie présente précisément un cas très particulier puisqu’elle rassemble un négociant espagnol (Iribarren) à un négociant d’origine germanique (Schondalh) – une association très rare sur la place34. De même, si la société espagnole Roque Aguado put développer des relations directes avec des exportateurs français, c’est uniquement parce qu’elle avait été désignée syndic dans la liquidation de la firme languedocienne Fornier frères et qu’à ce titre, elle avait donc eu l’occasion d’établir des correspondances suivies avec plusieurs des fournisseurs de cette dernière35. Les approches basées sur des données agrégées permettent également de monter en généralité et d’affirmer que les marchands étrangers de Cadix étaient quasiment absents de l’Atlantique hispanique alors que les Espagnols étaient tout aussi rares dans le commerce qui se faisait entre Cadix et le reste de l’Europe. C’est du moins ce que prouve de façon indiscutable l’étude que nous avons pu mener sur les protêts de lettres de change dressés à Cadix à la demande de négociants français en 179336 ou encore celle réalisée par Xabier Lamikiz à partir de la correspondance saisie par la marine britannique sur le navire espagnole la Perla, qui fut pris en 1779 alors qu’il naviguait entre Lima et Cadix37.
16En comparaison à la structure très cloisonnée et très homogène, d’un point de vue identitaire, qui caractérise les réseaux des marchands assurant le commerce à distance dans chacun des trois maillons de l’Atlantique hispanique, la structure des transactions qui étaient nouées dans les grandes places assurant le lien entre ces différents maillons (Cadix et Jalapa) apparaît au contraire beaucoup plus ouverte et interculturelle. Pour cette raison, ces transactions s’apparentent à ce que nous pourrions appeler des relations de « marché », pour les distinguer des relations de « réseau », qui sont pour leur part surdéterminées par des attributs culturels ou politiques communs aux différentes parties mises en relation. Les livres des courtiers gaditans, qui ont été conservés pour l’année 1796, permettent par exemple de souligner la structure très atomisée des transactions auxquelles se livraient les marchands français par leur intermédiaire, tout autant que leur caractère hétérogène d’un point de vue identitaire : chacun des négociants français étudiés entretient en effet des relations avec une quinzaine de partenaires différents, lesquels sont en outre presque toujours des négociants espagnols38. De la même manière, à Jalapa, les transactions se font entre, d’une part, les marchands créoles du Consulado de Mexico et, d’autre part, les flotistas qui sont les représentants des négociants immatriculés au Consulado de Cadix. Dans la chaîne commerciale qui unit les différents maillons du circuit structurant les échanges dans l’Atlantique hispanique, Cadix et Jalapa fonctionnent ainsi comme des sortes de « port of trade » polanyiens, des lieux dans lesquels les marchands peuvent commercer en toute confiance avec des « autres », dans un cadre institutionnel relativement protecteur et ouvert39.
17En définitive, ces différentes analyses des échanges noués au sein de l’Atlantique hispanique peuvent donc être schématisées de la façon suivante, qui permet de distinguer très clairement les trois maillons constitutifs de la chaîne du commerce de la Carrera de Indias ainsi que les deux nœuds qui permettaient de les lier entre eux (cf. figure 1).
18Bien que l’enquête ne soit pas encore achevée sur ce point, tout porte cependant à croire que la configuration était en outre très similaire au milieu du xixe siècle. Certes, le nouveau contexte institutionnel avait contribué à une très large redistribution des cartes et ni les acteurs, ni les places concernées n’étaient donc les mêmes qu’au siècle précédent. Mais, demeurent en revanche le principe d’un fonctionnement fondé sur des chaînes commerciales unissant, dans des quelques places dédiées, les maillons de réseaux marchands surdéterminés par une identité politique commune. Les luttes extrêmement âpres que menèrent les commerçants mexicains pour empêcher les étrangers de s’établir dans le commerce de détail à l’intérieur du pays ou encore les rivalités qui opposaient les chargeurs anglais, français et allemands de Liverpool, Bordeaux et Hambourg, prouvent cependant que la répartition des rôles entre les différents acteurs était sans cesse remise en cause et l’arbitrage des pouvoirs publics pour soutenir tel ou tel groupe constamment sollicité.
Conclusion: Logiques institutionnelles vs logiques relationnelles
19Une fois décrites les structures de ces chaînes commerciales qui organisaient les échanges dans l’Atlantique hispanique, il est possible de s’interroger en guise de conclusion sur les facteurs déterminant leur configuration singulière. Deux peuvent être plus précisément distingués : ceux qui relèvent de logiques institutionnelles et ceux qui relèvent de logiques relationnelles.
20Les logiques institutionnelles sont les mieux connues et les plus évidentes. La capacité d’agir des acteurs opérant dans l’Atlantique hispanique était en effet largement déterminée par leur statut juridique (lui-même déterminé par leur identité politique) et par le cadre institutionnel dans lequel ce statut les inscrivait. Il est ainsi bien connu que les leyes de Indias interdisaient aux étrangers de faire le commerce transatlantique. Ce qui l’est moins, c’est que ces mêmes leyes de Indias et la réglementation administrative afférente prohibaient également aux marchands créoles de faire du commerce pour des tiers dans la Carrera de Indias et aux cargadores de s’établir dans les provinces de la Nouvelle-Espagne pour y faire le commerce de tierra adentro. Évidemment, ces lois étaient régulièrement bafouées et contournées mais elles étaient également farouchement défendues par des institutions, les consulados, dont le rôle consistait précisément à préserver privilèges dont bénéficiaient leurs membres. Le procès que le Consulado de Cadix mena contre les jenízaros, ces fils de marchands étrangers nés en Espagne, qui participaient au commerce de la Carrera de Indias, illustre bien l’ampleur et l’enjeu de ces luttes : certes les cargadores perdirent finalement leur procès et après quinze années d’exclusion les jenízaros furent autorisés à revenir dans la Carrera, mais cela se fit à la condition qu’ils n’entretiendraient dorénavant plus aucun lien de commerce avec leurs parents étrangers – une condition qui fut globalement bien respectée40. Ainsi, la décision conforta le système plus qu’elle ne l’affaiblit : des étrangers pouvaient certes devenir cargadores, mais à condition qu’ils renoncent à leur statut d’étranger et à ses avantages. De même, les cargadores et les marchands créoles étaient souvent issus des mêmes régions basques, navarraises ou asturiennes, voire des mêmes familles. Mais ils s’opposaient virulemment entre eux chaque fois que les membres d’un groupe essayaient d’accéder aux privilèges de l’autre, sans avoir auparavant renoncer à leurs propres privilèges (par exemple, lorsque les flotistas sollicitaient l’autorisation de se rendre à Mexico pour y vendre eux-mêmes leurs cargaisons ou lorsque les créoles prétendaient pouvoir accepter les consignations de tiers dans la Carrera de Indias). Les identités jouaient donc un rôle décisif dans la définition de la capacité d’agir des acteurs marchands au sein de l’Atlantique espagnol, mais il s’agit bien d’identités politiques ou institutionnelles, et non
d’identités à proprement parler ethniques ou culturelles, puisque les frontières entre les différents groupes étaient poreuses et que les cas de transfuges étaient nombreux.
21Le commerce avec l’Europe n’était en revanche protégé par aucun monopole interdisant aux Espagnols de le pratiquer. On pourrait certes considérer que la protection consulaire dont bénéficiaient les étrangers de Cadix leur offrait un avantage comparatif sur leurs éventuels concurrents espagnols, mais cela ne semble pas avoir pu être déterminant. De la même manière, peu de choses pouvaient s’opposer formellement à ce que des cargadores entretiennent des relations épistolaires directement avec des marchands américains, même s’ils n’avaient pas le droit d’aller vendre pour leur compte leurs marchandises à l’intérieur du continent américain. Pourtant, de telles relations étaient extrêmement rares dans chacun de ces deux cas de figure et l’essentiel des relations commerciales au sein de l’Atlantique se faisaient au contraire en recourant à la stricte intermédiation des brokers résidant, de façon temporaire ou permanente, dans les deux ports of trade de la Carrera de Indias (Jalapa et Cadix). Dans ces deux cas, ce sont donc des facteurs relationnels, et non plus institutionnels, qui expliquent la structure monopolistique de l’organisation des échanges. On sait en effet que la pratique du commerce à distance supposait l’existence de relations dites de confiance entre les acteurs : les marchands confiaient leurs intérêts à des correspondants qu’ils connaissaient, avec lesquels ils étaient liés par des liens forts ou, du moins avec lesquels ils avaient déjà entretenu d’étroites relations commerciales (ou des relations commerciales répétées)41. De tels liens prospéraient assez naturellement sur des terreaux favorables comme la famille, l’interconnaissance ou la recommandation. Un contexte institutionnel suffisamment protecteur et unifié permettait aussi d’entrer en relation avec des individus que l’on ne connaissait pas préalablement, mais cela ne pouvait se faire que s’il existait un certain nombre de garanties juridiques et relationnelles : en Europe, on pouvait ainsi confier aisément le recouvrement d’une lettre de change à un « inconnu » car on savait qu’on pourrait le poursuivre ou ternir sa réputation s’il venait à se montrer défaillant. De tels mécanismes n’existaient pas en revanche pour les Européens qui risquaient leurs intérêts dans la Carrera de Indias ou en Amérique : ils n’avaient pas de proches sur les lieux pour les représenter en cas de litige, ils ne connaissaient pas les acteurs locaux ni n’en étaient connus, et ils ne pouvaient pas se pourvoir devant les juridictions commerciales en cas de contentieux. Les flotistas gaditans auraient certainement éprouvé des difficultés très similaires s’ils avaient essayé de vendre directement leurs marchandises auprès des boutiquiers du nord du Mexique, des alcades mayores de Oaxaca ou des viandantes parcourant de part en part le pays. Cette dernière remarque amène finalement à considérer que les logiques relationnelles et institutionnelles qui délimitaient l’agency des acteurs et segmentaient les circuits du négoce de l’époque, n’étaient pas foncièrement opposées ou strictement séparées, mais étaient au contraire fortement intriquées et complémentaires : c’est l’identité politique d’un marchand qui déterminait dans une large mesure les acteurs avec lesquels il pouvait se livrer à telle ou telle opération.
Notes de bas de page
1 Huguette et Pierre Chaunu, Séville et l’Atlantique (1504-1650), Paris, S.E.V.P.E.N., 1955-1960. Lutgardo García Fuentes, El comercio español con América : 1650-1700, Séville, Publicaciones de la Diputación provincial de Sevilla, 1980. Antonio García-Baquero Gónzalez, Cádiz y el Atlántico (1717-1778), Cadix, Diputación Provincial de Cádiz, 1988. John R., Fisher, Commercial Relations between Spanish and Spanish America in the Era of Free Trade, 1778-1796, Liverpool, University of Liverpool, 1985. Notons que pour les époques étudiées par Antonio García-Baquero Gónzalez et John Fisher, le nombre des ports impliqués dans la Carrera de Indias a fortement augmenté de part et d’autre de l’Atlantique, d’abord du fait de la création de compagnies privilégiées tout au long du xviiie siècle (qui opéraient depuis les ports de La Corogne, Saint-Sébastien et Barcelone, en Espagne, et depuis ceux de Caracas et La Havane, en Amérique), puis en raison des différentes mesures dites du comercio libre qui furent adoptées en 1765, 1778 et 1789 et qui conduisirent à l’habilitation d’un bien plus grand nombre de ports de part et d’autre de l’Atlantique.
2 Frédéric Mauro, Le Portugal et l’Atlantique au xviie siècle (1570-1670). Étude économique, Paris, S.E.V.P.E.N., 1960. Paul Butel, Les négociants bordelais, l’Europe et les Îles au xviiie siècle, Paris, Aubier, 1974. Remarquons qu’il s’agit également là du point de vue majoritairement adopté par les historiens qui ont prolongé de telles études pour le xixe siècle (voir par exemple
Jürgen Schneider, Frankreich und die Unabhängigkeit Spanisch-Amerikas, Zum französischen Handel mit den entstehenden Nationalstaaten (1810-1850), Stuttgart, Klett-Cotta, 1981).
3 Carlos Martínez Shaw, Cataluña en la Carrera de Indias (1680-1756), Barcelone, Editorial Crítica, 1981.
4 Michel Morineau, Incroyables gazettes et fabuleux métaux : les retours des trésors américains d’après les gazettes hollandaises : xvie-xviiie siècles, Londres-New York, Cambridge University Press, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1985, p. 653.
5 C’est par exemple l’optique adoptée par les historiens qui ont travaillé sur l’épopée du commerce français dans la mer du Sud (Erik Wilhelm Dahlgren, Les relations commerciales et maritimes entre la France et les côtes de l’Océan Pacifique (commencement du xviiie siècle), Paris, H. Champion, 1909, Carlos Malamud, Cádiz y Saint Malo en el comercio colonial peruano (1698-1725), Cadix, Diputación provincial de Cádiz, 1986, Michel Lespagnol, Messieurs de Saint-Malo. Une élite négociante au temps de Louis XIV, Rennes, PUR, 1997) ou encore par ceux qui se sont intéressés à l’exploitation du privilège dit de l’asiento par la South Sea Compagny après le traité d’Utrecht (Vera L. Brown, « The South Sea Company and Contraband Trade », Hispanic American History Review, 31/4, 1926, p. 662-678).
6 Ana Crespo Solana, Entre Cádiz y los Paises Bajos. Una comunidad mercantil en la ciudad de la ilustración, Cadix, Ayuntamiento de Cádiz, 2001. Klaus Weber, Deutsche Kaufleute im Atlantikhandel, 1680-1830: Unternehmen und Familien in Hamburg, Cádiz und Bordeaux, Munich, C.H. Beck, 2004. Catia Brilli, Genoese trade and migration in the Spanish Atlantic, 1700-1830, New York, Cambridge University Press, 2016. Arnaud Bartolomei, Les marchands français de Cadix et la crise de la Carrera de Indias (1778-1828), Madrid, Casa de Velázquez, 2017.
7 Olivier Le Gouic, Lyon et la mer au xviiie siècle : connexions atlantiques et commerce colonial, Rennes, PUR, 2011. Pour une synthèse sur le sujet, nous renvoyons au dossier suivant : Arnaud Bartolomei et Silvia Marzagalli, dir., « La Méditerranée dans les circulations atlantiques au xviiie siècle », Revue d’Histoire Maritime, no 13, 2011.
8 Carmen Yuste López, Emporios transpacíficos : comerciantes Mexicanos en Manila, 1710-1815, Mexico, Universidad Nacional Autónoma de México, 2007. Mariano Bonialian, El Pacífico Hispanoamericano. Política y comercio asiático en el imperio español, 1680-1784. La centralidad de lo marginal, Mexico, El Colegio de México, 2012.
9 Notons que, même en adjoignant à l’étude de la Carrera de Indias proprement dite ces deux vastes ensembles qui lui sont connectés en Amérique et en Europe, nous demeurerons loin de ce que pourrait produire une véritable étude globale de la Carrera de Indias, laquelle devrait être également attentive aux connexions africaines et asiatiques du commerce colonial espagnol.
10 Arnaud Bartolomei, « Après l’Empire. La disparition de la Carrera de Indias et la reconfiguration des échanges commerciaux entre le Mexique et l’Europe (vers 1750-vers 1840) », mémoire inédit d’habilitation à diriger des recherches, Université Toulouse-Jean Jaurès, 2022.
11 Sur ces méthodes analytiques, la référence centrale demeure à ce jour les travaux de Francesca Trivellato, Corail contre diamants. Réseaux marchands, diaspora sépharade et commerce lointain (de la Méditerranée à l’océan Indien, xviiie siècle), Paris, Éditions du Seuil, 2016 (2009). Sur les développements actuels de la « micro-histoire globale », on se référera au récent dossier des Annales et notamment à l’introduction des coordinateurs (Romain Bertrand, Guillaume Calafat, « La microhistoire globale : affaire(s) à suivre », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2018/1 (73e année), p. 1-18).
12 Francesca Trivellato, op. cit.
13 Alain Corbin, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot : sur les traces d’un inconnu, 1798-1876, Paris, Flammarion, 1998.
14 Jean Martin, Toiles de Bretagne. La manufacture de Quintin, Uzel et Loudéac, 1670-1830, Rennes, PUR, 1998.
15 Une statistique consulaire datant de 1785, époque à laquelle les exportations de toiles bretonnes avaient déjà beaucoup reculé, signale que six navires provenant de Saint-Malo et huit autres provenant de Morlaix transportèrent cette année-là pour plus de sept millions de livres tournois de toiles (Arnaud Bartolomei, Les marchands français de Cadix, op. cit., p. 315). En 1789, le port de Cadix accueillit six navires en provenance de Saint-Malo et cinq en provenance de Morlaix (Arnaud Bartolomei, « Cadix et la Méditerranée au xviiie siècle », Revue d’Histoire Maritime, 2011, no 13, p. 203).
16 Sur ce sujet, nous renvoyons aux ouvrages d’Ana Crespo Solana, Klaus Weber, Catia Brilli ainsi qu’au nôtre, déjà cités ci-dessus.
17 Arnaud Bartolomei, Les marchands français de Cadix, op. cit., p. 95 sq.
18 Antonio García-Baquero Gónzalez, Cádiz y el Atlántico, op. cit., p. 496. Plus récemment, cette même idée a été reprise par Antonio Miguel Bernal dans son ouvrage España, proyecto inacabado. Los costes-beneficios del imperio (Madrid, Marcial Pons Historia, 2005, p. 33, sq.) ou par Josep Fontana dans son prologue à l’ouvrage de synthèse proposé par José Maria Delgado Ribas sur l’empire espagnol (Dinamicas imperiales (1650-1796) : España, América y Europa en el cambio institucional del sistema colonial español, Barcelona, Edicions Bellaterra, 2007, p. 12).
19 Antonio García-Baquero Gónzalez, Cádiz y el Atlántico, op. cit., p. 507.
20 Geoffrey J. Walker, Política española y comercio colonial, 1700-1789, Barcelona, Ariel Historia, 1979.
21 David A. Brading, Miners and Merchants in Bourbon Mexico, 1763-1810, Cambridge, Cambridge University Press, 1971.
22 Frédérique Langue, Mines, terres et société à Zacatecas (Mexique) de la fin du xviie à l’indépendance, Paris, Publications de la Sorbonne, 1992. Jeremy Baskes, Indians, merchants and markets: a reinterpretation of the Repartimiento and Spanish-Indian economic relations in colonial Oaxaca, 1750-1821, Standford, Standford University Press, 2001.
23 David A. Brading, Miners and Merchants, op. cit.
24 Arnaud Bartolomei, « La Jeanne-Élisabeth sur les routes méditerranéennes de l’économie mondialisée du xviiie siècle », Patrimoines des Suds. [En ligne], 13 | 2021, mis en ligne le
01 mars 2021. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/6201 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/pds.6201.
25 Sébastien Lupo, « Révolution(s) d’échelles : Le marché levantin et la crise du commerce marseillais au miroir des maisons Roux et de leurs relais à Smyrne (1740-1787) », thèse de doctorat, Aix-Marseille Université, 2015.
26 Inés Herrera Canales, El comercio exterior de México, 1821-1875, Mexico, El Colegio de México, 1977.
27 Araceli Ibarra Bellon, El comercio exterior de México : ruptura y continuidad, 1821-1861, Mexico, Fondo de cultura económica/Universidad de Guadalajara, 1998.
28 María Ángeles Gálvez, Antonio Ibarra, « Comercio local y circulación regional de importaciones: la feria de San Juan de los Lagos en la Nueva España », Historia Mexicana, 46/3, 1997, p. 581-616.
29 Victoria E. Martinez del Cerro Gonzalez, Una comunidad de comerciantes : navarros y vascos en Cádiz (segunda mitad del siglo xviii), Séville, Junta de Andalucía, 2006, p. 252-254.
30 L’auteure remarque que « se puede observar a través de las cartas de los Marticorena que todos los correspondientes, salvo alguna excepción, eran parientes o paisanos », ibid., p. 248.
31 Nous reprenons ici l’expression usuelle de « créole » pour désigner les marchands immatriculés auprès des consulados de Mexico et Lima, mais seulement avec précaution car, dans les faits, ces marchands étaient presque toujours originaires de la péninsule Ibérique (et plus précisément des provinces situées dans le nord de la Péninsule ou en Andalousie). Le terme de créole est donc relatif ici à une identité politique (qui se réfère à des individus affiliés à des consulados américains) et non à une identité ethnique. Sur ces questions, voir, pour la Nouvelle-Espagne, David R. Brading, op. cit., et pour le Pérou, Xabier Lamikiz, Trade and Trust in the Eighteeth-Century Atlantic Word. Spanish Merchants and their Overseas Network, Woodbridge, Boydell Press, 2010.
32 Arnaud Bartolomei, « Francisco de Yraeta, un “marchand d’empire” à Mexico (1732-1797) », in M. Suarez et S. Rozeaux, dir., Traversées d’empires. Destins individuels et logiques impériales, Paris, CNRS Éditions (à paraître).
33 Arnaud Bartolomei, « La Bourse et la vie : destin collectif et trajectoires individuelles des marchands français de Cadix, de l’instauration du “comercio libre” à la disparition de l’empire espagnol », thèse de doctorat, Université de Provence, 2007, p. 161, sq.
34 Ibid., p. 82.
35 Chamboredon, « Fils de soie sur le théâtre des prodiges du commerce. La maison Gilly-Fornier à Cadix au xviiie siècle (1748-1786) », thèse de doctorat, Université de Toulouse, 1995, p. 250-251.
36 Les traites demeurées en souffrance à Cadix cette année-là en raison de l’expulsion décrétée à l’encontre des marchands français par la couronne espagnole ont toutes été émises dans les villes européennes qui étaient intéressées dans le commerce de Cadix (aussi bien françaises qu’espagnoles ou étrangères) et aucune ne l’a été dans une place américaine (Arnaud Bartolomei, La Bourse et la vie, op. cit., annexe 7).
37 Sur les 1931 lettres saisies à bord, les trois quarts étaient destinés à des correspondants résidant à Cadix ou Madrid et 85 % des lettres expédiées à Cadix l’étaient à des marchands espagnols de la ville (Xabier Lamikiz, Trade and Trust, op. cit.).
38 Arnaud Bartolomei, La Bourse et la vie, op. cit., p. 218 et p. 231.
39 Andrea Addobbati, « L’espace de la guerre et du commerce : réflexions sur le Port of Trade polanyien à partir du cas de Livourne », Cahiers de la Méditerranée, 2012, no 85, p. 233-250.
40 María García Mauriño-Mundi, La pugna entre el Consulado de Cádiz y los jenízaros por las exportaciones a Indias (1720-1765), Séville, Universidad de Sevilla, 1999.
41 Arnaud Bartolomei, Claire Lemercier, Viera Rebolledo-Dhuin, Nadège Sougy, « Becoming a Correspondent: The Foundations of New Merchant Relationships in Early Modern French Trade (1730-1820) », Enterprise & Society, 2018, 20/3, p. 533-574.
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Université Côte d’Azur, CMMC
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