Préface
p. 5-7
Texte intégral
1Comment se forgent les identifications politiques dans le moment révolutionnaire, ou pourquoi être ou ne pas être « patriote » en 1789 ? Comment se développent les valeurs démocratiques et républicaines, ou pourquoi analyser l’intervention des masses populaires dans l’Histoire ? Comment se constitue une classe politique, ou pourquoi faut-il tout changer pour que rien ne change si aux « plus apparents » d’Ancien régime succèdent les notables de l’époque napoléonienne ?
2C’est bien cette problématique qui se trouve au cœur de la réflexion de Cyril Belmonte afin de rendre compte des options politiques de l’arrière-pays marseillais, de l’âpreté bien connue des luttes sociales dans cette région et d’une division partisane particulièrement célèbre, illustrée notamment par les agissements de la fameuse « bande d’Aubagne ».
3Ce livre est particulièrement bien venu aujourd’hui, non seulement parce que ses analyses méthodologiques empruntent les voies nouvelles de la recherche historique concernant les pratiques électorales, les vecteurs de la presse départementale ou encore les phénomènes de régulation sociale qu’induisent les travaux sur la police d’Ancien régime ou sur la justice de paix à partir de 1790, mais surtout parce qu’il propose une réflexion sur les fondements de notre vie démocratique. Et la Révolution française reste la période de l’histoire de France qui se prête le mieux à cette enquête, par l’étude combinée des élections et des mouvements populaires. Car la Révolution de 1789 qui a promu l’individu et le citoyen, comme ayant des droits naturels, n’est pas une révolution individualiste, mais un mouvement collectif du peuple français qui s’est proclamé souverain.
4Cette souveraineté s’exerce à plusieurs niveaux, dans les urnes comme dans les rues ou sur les marchés ; dans les assemblées électorales comme dans les assemblées sectionnaires ou dans les réunions clubistes. Et toute la difficulté de l’étude politique de la décennie révolutionnaire est bien de saisir cette complexité. Car en faisant du principe électif le fondement légitime de toute fonction publique, la Révolution reconnaît et consacre le principe majoritaire. Or il existe des minorités politiques qui sont majoritaires, soit ici ou là, soit lors de précédents ou prochains scrutins électoraux. Par ailleurs, des soulèvements populaires portent les revendications de toute une communauté villageoise ou bien seulement celles d’une partie des habitants. Et c’est là qu’une thèse d’histoire sociale du politique révèle tout son intérêt.
5L’étude de la participation collective et individuelle des citoyens à la vie politique suppose un considérable dépouillement de sources locales, départementales et nationales, que certains historiens pressés refusent de prospecter, sinon à titre anecdotique selon une vieille tradition contre-révolutionnaire française, car leur aridité comme leur état lacunaire en décourage plus d’un, mais en revanche contribue à nourrir la réflexion de l’historien. En effet, cette prospection systématique de tous les fonds d’archives (de l’état civil aux documents fiscaux, des délibérations municipales aux prises de position publique, des votants aux assemblées primaires ou électorales aux participants connus dans les émotions populaires) ne permet pas seulement de constituer une base de données pour un bilan prosopographique de tous les détenteurs de charges publiques dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, mais surtout d’étudier de manière très précise le fonctionnement des instances du pouvoir au niveau local dans ces villes, bourgs et villages provençaux sous l’Ancien régime, la Révolution et l’époque napoléonienne.
6Certes, la profusion des paroles publiques en période révolutionnaire par voie de pétitions, discours, articles de presse, adresses de sociétés populaires, délibérations de municipalités, de comités de surveillance et autres instances de pouvoir, contribue à privilégier ce moment historique où les gens de peu, sans fortune et sans biens au soleil de Provence, ont pu accéder aux responsabilités locales.
7La nouveauté du propos, dans le cadre d’une historiographie provençale d’une grande richesse méthodologique et remarquablement bien maîtrisée, est de valoriser le temps court de la République démocratique, entre le monde des seigneurs d’hier et celui des notables à venir. L’irruption sur la scène politique des « travailleurs », sinon des travailleuses, révèle la dimension fondamentale de la Révolution française, à savoir son universalisme : l’accès de tout citoyen aux charges publiques, y compris dans un monde rural, traversé par des luttes internes, n’est pas resté un article formel des déclarations des droits de l’homme et du citoyen.
8Des paysans du Nord de Georges Lefebvre aux paysans de l’Ouest de Paul Bois, voici les ruraux de Cyril Belmonte qui, aux portes d’Aix et de Marseille, revendiquent et assument leur place dans la cité.
9L’intérêt d’englober la décennie révolutionnaire dans une période chronologique plus longue ne consiste pas seulement à réévaluer l’importance du politique dans ses effets sociaux et culturels. Ce livre permet aussi de suivre le soubassement social des luttes politiques dans un cadre villageois, à partir aussi bien des formes de violence qui ne sont pas, d’ailleurs, uniquement populaires, que des conflits du quotidien, et de la question seigneuriale en particulier, sur plusieurs générations.
10Au-delà du tableau de groupe de ces classes dirigeantes et des portraits individuels des patriotes et des autres, dont les carrières respectives restituent une épaisseur humaine à leurs engagements politiques, il est possible peut-être de contredire une formule récente d’Eric Hobsbawn, dans son dernier ouvrage : « En France, l’intérêt et la recherche historique liés à la Révolution semblent avoir considérablement diminué depuis 1989 ». Aux lecteurs, désormais, de se faire une opinion.
Auteur
Université de Provence
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