Chapitre 3. Formation et carrière des marins arlésiens
p. 127-174
Texte intégral
1La recherche des particularités qui permettent de cerner l’existence d’une identité maritime à Arles, conduit naturellement à se pencher sur les aspects matériels de l’exercice du métier de ces hommes. La relation commune qu’est la leur avec l’eau, façonne leurs conditions de vie et n’est pas sans conséquence sur leurs communautés, contribuant à l’émergence d’une identité. Aussi, la première interrogation portera-t-elle sur l’existence de métiers organisés.
Naviguer, est-ce un métier ?
2Il n’a pu être trouvé de trace d’un métier juré ou organisé de patrons, mariniers ou pêcheurs, pas plus que d’une forme quelconque d’apprentissage ; les seuls contrats de ce type rencontrés dans les registres de notaires, concernent des fils de patrons que leurs parents placent chez des artisans1.
3Par contre, la recherche d’une autre forme d’organisation à la fois sociale, religieuse, mais aussi corporative, a été couronnée de succès : à la fin du XVIe siècle, barquiers et pêcheurs sont regroupés dans des confréries de métiers, les premiers sous le vocable de Saint-Nicolas, les seconds, comme on peut s’y attendre, sous celui de Saint-Pierre. Succès relatif, car, si leur existence est manifeste grâce aux comptes rendus d’élection des prieurs de ces confréries faits par les notaires, nous n’avons pas trouvé leurs statuts.
4La confrérie des pêcheurs est mieux connue que la confrérie Saint-Nicolas. Deux manuscrits se trouvant à la bibliothèque de la ville fournissent quelque éclairage sur la confrérie Saint-Pierre : l’un contient une série de documents relatifs aux démêlés des pêcheurs avec les recteurs de l’hôpital et le couvent des Grands Augustins, dans la première moitié du XVIIe siècle, l’autre, postérieur d’un siècle, est un livre d’inventaires de la confrérie. Arrêtons-nous au premier manuscrit qui nous apprend qu’en 1539, la confrérie fit don de ses biens, vignes, terres et prés situés dans le terroir d’Arles, à l’hôpital, à charge pour ses recteurs de fournir
l’huile pour la lampe qui doit continuellement brûler dans la chapelle de ladite confrérie, et aussi le luminaire des cierges pour le service divin en ladite chapelle, d’ailleurs faire dire et célébrer aux fêtes de la Pentecôte et de tous les saints à perpétuité, un chant des morts priant Dieu pour les âmes des confrères trépassés, pourvoir des vestiers, chapes, calices et autres choses convenables pour les prêtres qui diroient lesdites messes et fairoient le divin service, faire toutes les réparations utiles et nécessaires en ladite chapelle, vitrer les fenêtres, racomoder les bancs et autre…2.
5La chapelle dont il est question est installée dans le couvent des Grands Augustins, dont l’église est l’actuelle paroisse Saint-Césaire, dans le quartier de la Roquette, celui des marins et des pêcheurs. La donation semble avoir été faite à la suite d’une ordonnance abolissant « toutes confréries de gens de mestiers artisans »3. En 1565 déjà, puis en 1601 et, à nouveau en 1628, les confrères sont en conflit avec les recteurs de l’hôpital dont ils mettent en cause la gestion des biens qui leur ont été confiés. En 1642, ils sont en procès avec les religieux du couvent des Augustins à propos du contrôle de la chasse de Saint-Pierre ainsi que des chapes, chasubles et ornements appartenant à la confrérie. À la fin du siècle, le conflit ne paraît pas terminé ; une des causes du litige est un calice légué en 1652, à la confrérie, par la veuve d’un pêcheur. Ce document mentionne, en particulier, l’élection annuelle d’un confrère à l’hôpital « qu’il soit pêcheur s’il s’en trouve ou autrement un autre prod’homme pescheur dudit Arles », appelé administrateur des âmes. Celui-ci « a une caisse que ledit hospital et confrérie doivent fournir aux despens dudit hospital, encore ledit hospital ou confrérie sont tenus perpétuellement pourvoir les vettemens necessaires ». Les « écritures » de la confrérie Saint-Pierre sont réparties entre l’hôpital et l’administrateur des âmes : le premier conserve celles qui concernent les possessions et droits donnés en 1539 et le second garde dans sa caisse celles relatives « aux privilèges et libertés des dits pêcheurs »4. L’allusion au prud’homme pêcheur fait-elle référence à l’existence d’une prud’homie comparable à celles qui existent alors à Marseille, La Ciotat et Toulon, ou renvoie-t-elle aux qualités morales requises pour un personnage jouant un rôle éminent dans la confrérie ? Des recherches plus approfondies sur ce point seraient nécessaires pour trancher. L’administrateur des âmes est le dépositaire des écrits relatifs à ce qui doit être les statuts du métier de pêcheur. On peut donc conclure à l’existence d’une profession organisée dès avant 1539.
6S’il n’a été trouvée aucune mention de quelconques écrits concernant les statuts de la confrérie des patrons de barque, son titre, toutefois, est sans équivoque : en 1582, première occurrence rencontrée, elle figure sous le nom « confrayrie de Monsieur saint Nicolas dit la confrayrie des barquiers »5. Chaque année, le 27 décembre, à l’issue des vêpres dans l’église paroissiale Saint-Martin, les confrères sont réunis au son de la cloche pour procéder à l’élection des nouveaux prieurs. Les registres de notaires permettent de suivre la succession des élus ; ils notent aussi fidèlement la liste des vestiers et ornements de la confrérie ainsi que les comptes, lors de la passation de pouvoir d’un trésorier à son successeur. À la différence des pêcheurs, les membres ont des professions différentes, mais elles sont complémentaires. On y trouve, outre des patrons, des « ribeyriers », des calfats et des marchands ; ces marchands sont en rapport d’affaires avec les patrons, comme François Courte, ou issus de leur milieu, comme Pierre Gabriel, qualifié de patron et marchand. Des traces de procès concernant cette confrérie, il n’en a pas été découvertes ; par contre, les registres de notaires contiennent des comptes-rendus d’assemblées motivées par la nécessité de prendre diverses décisions. En 1626, eut lieu une importante consultation des confrères sur l’opportunité de transférer la chapelle de la confrérie. Peu satisfaits du service offert par l’église Saint-Martin, ils envisagèrent alors de la quitter pour installer leur siège à l’église Saint-Laurent qui, contrairement à Saint-Martin, se trouve dans le quartier de la Roquette. On apprend alors que la confrérie a déjà effectué un tel changement ; elle a quitté l’église des Pères Augustins pour Saint-Martin, à une date qui n’est malheureusement pas indiquée. Un peu plus loin, Nicolas Gasquet, l’un des 80 confrères venus donner son avis sur la question « dit que la confrérie a été de toute ancienneté fondée à Saint Martin du moins depuis qu’elle a été tirée de Saint-Trophime »6. S’agit-il d’une confusion entre Saint-Trophime et l’église des Augustins ? On peut le penser, à moins que cette confrérie ne soit très ancienne et ait pu, dans la longue durée, être ainsi délocalisée deux fois avant d’envisager un troisième transfert ; transfert qui, en fait, n’eut pas lieu car les ouvriers et marguilliers de Saint-Martin proposant des conditions suffisamment attractives, les prieurs signèrent avec eux, en 1630, une convention leur assurant un service à leur convenance. Il est regrettable qu’aucune date pour ces transferts successifs n’ait été fournie ; on doit donc se contenter d’affirmer que cette organisation confraternelle, fondée autour d’activités professionnelles communes ou voisines, existe au moins depuis 1582.
7Une autre confrérie, désignée, elle, par le vocable Notre-Dame-de-Bon-Voyage, apparaît dans les sources du milieu du XVIIe siècle : pour elle non plus, pas de statuts, tout juste quelques mentions. La date de fondation est inconnue, on peut simplement dire que son existence remonte au moins à 1650, date du premier document trouvé la concernant. Il s’agit du « prix fait d’une image en argent passée par les prieurs de la confrérie Notre Dame de Bon Voyage fondée dans l’église Saint Laurent à Trophime Agard maître orphèvre »7. Le titre de la confrérie, les professions des prieurs contractants et la description de la statue d’argent, tout concourt à relier cette fondation au milieu du commerce maritime. L’image commandée est celle de la Vierge tenant un enfant Jésus par la main et tenant de l’autre une barque de mer. L’attribut exprime clairement sur quels voyages la confrérie entend attirer la bienveillance de Notre Dame. Les prieurs cités sont, dans l’ordre, un noble, un bourgeois, un marchand et un patron. Les comptes-rendus des élections des marguilliers et des prieurs de la confrérie, entre 1675 et 1680, montrent la constance de cette représentation sociale, des bourgeois ou marchands remplaçant les nobles les deux dernières années. Les qualifications sociales des prieurs ne sont pas sans évoquer les alliances du capital et du commerce maritime mises en évidence, dans la première moitié du XVIIe siècle, par le dépouillement des contrats commerciaux passés chez les notaires de la ville ainsi que celui des livres de raison de quelques notables. On a vu que les élites arlésiennes s’intéressaient de près aux échanges commerciaux : exportation du blé du terroir que leurs domaines produisaient, mais aussi des denrées arrivées par le Rhône en leur port. Ils s’associaient aux patrons de barque pour le transport et la vente des cargaisons ; la liberté de destination et de négociation dont jouissaient alors les patrons les rendait très proches des marchands eux-mêmes. La représentation sociale que suggère l’échantillon de membres de cette confrérie est révélatrice d’une conjoncture particulièrement florissante pour le transport maritime à Arles. L’éclosion de cette association de dévotion est très vraisemblablement à dater des premières décennies du XVIIe siècle qui ont vu l’essor remarquable des activités des patrons arlésiens et le développement de leurs liens avec les élites, nobles et bourgeoises, que comptait alors la ville ; composées de capitalistes actifs dans un contexte favorable, ces dernières ont contribué à dynamiser le commerce portuaire de la ville. La visite pastorale faite en 1777-78 par Monseigneur Dulau mentionne, à la rubrique de l’église Saint-Laurent, que
la chapelle de Notre Dame de Bon Voyage est entretenue au lieu et place de la confrérie qui en prenait soin cy-devant ; cette confrérie a été supprimée et ses revenus unis à l’œuvre de l’église par un décret de notre prédécesseur en date du 12 août 17578.
8La suppression de la confrérie intervient en un temps où les conditions économiques ont changé à Arles : l’anémie du port, dénoncée par les patrons et les marchands de la ville et confirmée par l’étude du fret disponible au port dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, vide l’alliance notables-patrons de son intérêt, alors qu’en même temps les élites disparaissent peu à peu de la vie arlésienne. L’existence, pendant un siècle environ, de cette confrérie prouve l’évolution de l’exercice du métier de patron : elle émerge lorsqu’une communauté d’intérêts entre patrons et marchands ainsi que la complémentarité de leurs activités s’imposent, elle s’éteint lorsque ces circonstances disparaissent. Ces caractères tendraient à la distinguer des confréries de métiers que sont celles connues sous les noms Saint-Nicolas et Saint-Pierre.
9Dans le dernier tiers du XVIIe siècle, les gens de mer sont contraints à un service inconnu des autres populations. La mer, milieu hostile et inquiétant, n’attire pas ; le monde des navigants est peu nombreux. A. Cabantous cite, pour la France, entre le règne de Louis XIV et 1789, le chiffre de « un navigant pour 320 ou 330 sujets »9, soit un rapport très faible de 0,3 %. Seules les franges côtières sont pourvoyeuses de marins et pêcheurs. Cette extrême faiblesse numérique est à la base des mesures, que l’on peut appeler conservatrices, prises par le pouvoir royal : s’assurer la composition des équipages est le souci premier. Ne devient pas marin qui veut, la longue familiarité avec la mer que seule donne une vie à proximité d’elle est irremplaçable. En fait, ces mesures reconnaissent implicitement la réalité d’une profession de la mer.
10Elles s’assortissent d’un cadre juridique constitué d’ordonnances, édits et règlements que la Grande Ordonnance de la Marine de 1681 rassemble. L’ensemble, complété, au fil des années, par une succession d’autres textes législatifs, forme le support légal mis en place pour le contrôle des populations maritimes du royaume. On ne peut imaginer une structure qui se mette en place ex nihilo et la lecture de certains articles de l’ordonnance de 1681 le confirme. L’organisation des métiers de marin et de pêcheur repose sur des pratiques déjà en usage : elle les généralise, les uniformise, les modifie et les soumet au contrôle royal par le biais de l’Amirauté, mais ne les crée pas de toutes pièces. Ainsi, l’ordonnance de 1681, reconnaît l’existence chez les pêcheurs des prud’homies levantines, elle les confirme tout en les subordonnant à l’Amirauté et elle crée, en outre, dans les autres communautés de pêcheurs, une fonction élective chargée du contrôle des techniques et des engins de pêche10. La « dévote confrérie des patrons pêcheurs sous le titre Saint Pierre » retrouve ainsi, sous le contrôle de l’Amirauté, son statut de confrérie de métiers – les pêcheurs parlent même de corps –, qui lui avait été ôté dans la première moitié du XVIe siècle et devient l’intermédiaire entre le pouvoir royal et les pêcheurs11. Pour les gens du commerce, les conditions d’accès aux qualités de patron, d’écrivain, de pilote, de matelot y sont précisées. On peut y lire les modalités liées à l’usage antérieur, comme la reconnaissance de l’aptitude à devenir patron par deux anciens maîtres, auxquelles s’ajoutent celles, nouvelles, dictées par les nécessités du contrôle par le pouvoir central, telles les obligations de service, les conditions d’âge et la présence des officiers d’Amirauté pour l’obtention du brevet de patron. Significative est aussi la mention des prieurs des patrons et maîtres, trouvée dans le préambule du registre de déclarations des bâtiments de mer d’Arles. Il y est fait rappel de l’article quatre du règlement royal, fait à Strasbourg le 24 octobre 1681, exigeant cette déclaration ; il semble qu’à Arles, celui-ci soit resté lettre morte, car ce n’est qu’à partir de 1689 que l’enregistrement débute. La remarque suivante :
et néanmoins afin qu’ils [les propriétaires, patrons et maîtres des bâtiments] n’en prétendent cause d’ignorance le contenu en ce requis et l’ordre qu’il sera par vous rendu sera signifié aux prieurs desdits patrons et maîtres ou en leur absence aux deux plus anciens d’eux qui se trouveront en cette ville d’Arles 12
11met en évidence le peu d’empressement mis par les patrons arlésiens à se conformer aux injonctions royales. Les prieurs dont il est question ne peuvent être que ceux de la confrérie de patrons de barque, en l’occurrence la confrérie Saint-Nicolas, et éventuellement la confrérie Notre-Dame-de-Bon-Voyage. Ils sont clairement identifiés comme interlocuteurs du pouvoir royal dans ses relations avec les navigants. Le recours, en cas d’absence des prieurs, aux deux des plus anciens patrons, renvoie probablement à la coutume ; en effet, on a vu que l’aptitude à commander un bâtiment était reconnue aussi par un collège de deux anciens patrons. La notion d’ancienneté est certainement preuve de compétence dans une profession dangereuse comme celle de marins.
12Il apparaît ainsi que les gens de mer à Arles, barquiers ou pêcheurs, ont, dès la fin du XVIe siècle, une identité affirmée, centrée sur leur activité. L’arrivée des exigences centralisatrices a ensuite fortement pesé sur ces populations qui ne les accepteront que peu à peu. Ces lourdes contraintes ont été, cependant, légèrement atténuées par le maigre avantage financier qu’est la solde. Une mesure supplémentaire, tendant à faire supporter cette conscription, s’instaure à partir de 1689 : la Caisse des Invalides qui leur verse la demi-solde. La situation particulière d’Arles lui vaut un autre avantage : la mise en place, en 1703, d’un tour de rôle pour le transport des munitions et vivres de la Marine qui devient alors un quasi-monopole des patrons arlésiens. S’il ressort clairement que l’activité professionnelle est un facteur fondamental dans l’élaboration de l’identité des navigants, il existe toutefois d’autres indicateurs de la prégnance de cette appartenance à un corps original. Facteur de consolidation sociale, la reproduction sociale en est un particulièrement éclairant.
La filiation professionnelle : marin de père en fils
13Les actes de mariage relevés dans les registres de catholicité après 1670, ont servi de support à la recherche de la reproduction sociale. Les dépouillements n’ont porté que sur trois paroisses, Saint-Pierre, Saint-Laurent et Sainte-Croix, réputées pour être celles des gens de mer. Les résultats sont donc inévitablement entachés d’erreurs ; par ailleurs, si la tenue des registres paroissiaux s’est améliorée dans le dernier tiers du XVIIe siècle, elle demeure encore inégale dans son contenu suivant les paroisses et les desservants. Nous avons fait, chaque fois que possible, une correction à l’aide des baptêmes, pour tenter de limiter les omissions d’actes de mariage dues à l’absence de la profession.
14Les fréquences obtenues, reportées dans l’histogramme ci-dessous, montrent, sans ambiguïté, que la filiation professionnelle fait partie des attitudes culturelles des gens de mer à Arles, à l’époque moderne : 67 % des marins ou pêcheurs qui se marient entre 1670 et 1699 sont eux-mêmes fils de navigants ; 60 % sont dans ce cas pour les vingt ans qui s’écoulent entre 1700 et 1719 et 58 % à la toute fin du XVIIIe siècle. Si ce taux reste élevé sur toute la période considérée, il recule sensiblement au tournant des deux siècles : de 69 % pour les vingt ans allant de 1680 à 1699, il tombe à 60 % pour les deux décennies qui suivent ; cette évolution se poursuit, mais plus lentement, puisque le taux s’abaisse à 58 % à la fin de l’Ancien Régime.
15Quels sont les bénéficiaires de ce recul ? Le tableau 1 suivant propose une répartition plus globale des catégories socioprofessionnelles des pères des époux. Nous avons considéré comme métiers de l’eau et du port, ceux de marin et de pêcheur, auxquels nous avons ajouté les muletiers avec lesquels les pêcheurs sont en fréquentes relations professionnelles, les portefaix, mesureurs et « censaux » et, bien sûr, les artisans de la construction navale : maîtres d’ache, charpentiers, cordiers et calfats.

NB : en abscisse, les professions des pères des époux
Histogramme 113
Évolution de la filiation professionnelle des marins et pêcheurs arlésiens. AMA, actes de mariage tirés des registres de catholicité dont la liste figure en bibliographie
16Les chiffres ci-dessous montrent que le recrutement des marins dans le monde maritime s’étend aux activités périphériques de la navigation proprement dite : la familiarité des pères avec le port et les marins incite leurs enfants à embrasser la carrière de navigants. C’est particulièrement net avec la construction navale qui fournit, de 1670 à 1719, entre 5 et 6 % des pères des gens de mer, pourcentage qui chute à la fin du XVIIIe siècle, pour n’être plus que de 1,2 %. La diminution du taux de reproduction professionnelle se fait d’abord au bénéfice des artisans, mouvement qui s’accentue au cours du XVIIIe siècle, puis du milieu agricole – travailleurs surtout –, dont sont issus, entre 1770 et 1789, plus de 21 % des pères des marins et pêcheurs arlésiens. Les fils de marchands ne se destinent que de manière marginale au métier de navigant.
17La situation géographique d’Arles et le caractère agricole de son économie sont peut-être à l’origine de l’implication croissante des hommes de la terre dans le recrutement maritime. A. Cabantous fait, pour les ports de Fécamp et du Havre, un constat analogue : entre 1751-63 et 1786, le taux de reproduction sociale passe de 58,5 % à 40,8 % à Fécamp, de 30 % à 21 % au Havre alors que, dans le même temps, le recrutement des marins dans le milieu agricole passe de 12 à 14 % dans le premier port et de 19,5 à 24 % dans le second. Il note la multiplication des fils de bergers et de laboureurs dans les rangs des marins, traduisant l’existence d’un malaise rural. Pour Arles, on peut proposer la même explication : dans une ville qui possède un immense territoire et où les travailleurs de la terre représentent environ 50 % de la population, les métiers de la mer et la pêche constituent un débouché possible pour la main-d’œuvre la plus sensible, celle des travailleurs, lorsque surviennent, à partir de la première décennie du XVIIIe siècle, des difficultés récurrentes dans l’économie agricole dues aux calamités naturelles, inondations, froid, mais aussi peste en 1720. Si, sur la façade atlantique la filiation professionnelle connaît aussi une certaine érosion à la fin du XVIIIe siècle, sa valeur en pourcentages, présente des disparités notables ; A. Cabantous souligne la différence entre les villes et les villages où « la fidélité au métier paternel est plus forte »14. Ainsi, à la veille de la Révolution, la reproduction sociale est très nettement plus forte dans les ports de pêche ou de petit cabotage comme Boulogne et Dieppe (entre 66 et 71 %) que dans les ports de grand cabotage et de trafic international, tels Le Havre (20 %) ou Dunkerque (29,9 %). En Méditerranée, le même clivage se présente entre Marseille (26 %) et les ports de moindre envergure comme Saint-Tropez et Arles (70 % et près de 60 % à la fin du siècle).
18Pour rendre compte plus finement du niveau de reproduction sociale, nous avons recherché cet indicateur dans les trois catégories de gens de mer que sont les patrons, les mariniers et matelots et les pêcheurs. Il n’a pas été possible, vu le faible nombre d’actes relevés pour certaines d’entre elles, de séparer la période en tranches de vingt ou trente ans comme plus haut. Nous avons donc rassemblé toutes les informations recueillies sur les soixante-dix ans considérés, soit de 1670 à 1719 et de 1770 à 1789.
Profession du père |
1670-99 |
1700-19 |
1770-89 |
métiers de l’eau et du port |
74,45 |
69,85 |
61,05 |
autre artisanat |
8,15 |
12,06 |
16,28 |
agriculture |
16,85 |
16,58 |
21,51 |
négoce |
0,54 |
1,51 |
1,16 |
Tableau 1. Les professions de pères des marins d’Arles d’après les actes de mariage, en %.
AMA, registres de catholicité dont la liste figure en bibliographie
19Le plus fort taux de filiation professionnelle se rencontre chez les patrons et capitaines. 82 % des patrons sont eux-mêmes fils de patrons. Les matelots et mariniers, sont dans un tiers des cas (34 %), fils de patrons : encore jeunes au mariage, ils deviendront pour la plupart patrons eux-mêmes quelques mois ou quelques années plus tard. La très forte reproduction sociale des patrons est à mettre en rapport avec le capital culturel que représente la connaissance du métier, tant techniques de navigation que compétences commerciales, et le capital économique, constitué par la propriété de l’instrument de travail ou d’une partie de celui-ci. Le maintien et la croissance du patrimoine sont au cœur de la forte filiation professionnelle : les pères s’appuient sur les fils pour l’expansion des intérêts familiaux. Globalement, 54 % des matelots ont un père marin ou pêcheur. Ces chiffres sont voisins de ceux fournis pour Saint-Tropez par G. Buti : entre 1690 et 1820, 73 % des capitaines et patrons tropéziens ont un père marin ; en ce qui concerne les officiers mariniers et matelots, 65,9 % d’entre eux ont un père marin ou pêcheur entre1757 et 177715. Le monde de la pêche, à Arles, ne se renouvelle de l’intérieur que dans un peu plus d’un cas sur deux : 52 % des pêcheurs sont fils de pêcheurs. Viennent à la pêche certains des fils de marins du commerce (8 %), patrons ou matelots, ce qui montre une sorte d’osmose entre les deux milieux, probablement favorisée par la situation de la ville, port de mer, de rivière, mais aussi au cœur d’une vaste zone de pêche. Il est aussi envisageable que l’instrument de travail qu’est le bateau serve, selon les circonstances, à la pêche et au commerce. Matelots comme pêcheurs viennent d’horizons sociaux beaucoup plus diversifiés que les patrons ; les milieux agricoles alimentent plus de 20 % du recrutement de ces catégories de gens de mer. Par contre, on aurait pu s’attendre à trouver des liens plus marqués entre les patrons, le négoce et la bourgeoisie urbaine ; ils sont, au contraire, quasi inexistants. L’étude de l’armement est, à ce propos, éclairante : les pères transmettent à leurs fils leur entreprise, navire ou parts de celui-ci, et l’acquisition de nouveaux bâtiments se fait avec l’appui du groupe familial.
20Forte reproduction sociale signifie-t-elle fermeture du milieu sur lui-même ? Les questions de la formation et de l’ascension sociale se posent alors.
La promotion sociale
21Elle est étudiée sous deux angles : tout d’abord, celui du cursus professionnel qui amène le jeune mousse aux commandes d’un bâtiment, puis celui, sur la longue durée, du chemin qui permet l’évasion vers le haut, vers le milieu du négoce et, par là, vers la bourgeoisie.
Le cursus professionnel du marin
22Le contrôle des gens de mer mis en place à partir de 1670 occasionne la tenue de registres et de rôles ainsi que la publication d’ordonnances ou d’édits ; ce sont autant de sources documentaires qui permettent de mieux cerner la réalité de la carrière professionnelle des marins. Les échelons en sont mousse ou novice, en fonction de l’âge, matelot, puis, après un examen d’aptitude, patron et, dans le courant du XVIIIe siècle, capitaine au petit ou au grand cabotage.
23Il n’y a pas d’apprentissage pour le métier de la mer ou celui de la pêche : on se forme sur le tas. Mousse et novice ne sont pas des étapes consécutives dans la carrière d’un marin ; les deux termes désignent des apprentis-marins : c’est l’âge qui les différencie. Les mousses sont les plus jeunes embarqués : l’ordonnance de 1681précise qu’un mousse doit avoir au moins 12 ans et au plus 16 à 17 ans. À l’âge de 18 ans, il est enrôlé comme matelot. Le novice est un jeune homme inexpérimenté de 16 à 25 ans, trop âgé pour être mousse. Il est clairement spécifié que, pour être reconnu matelot, il faut avoir été mousse ou novice, étape indispensable qui constitue l’apprentissage du métier. En 1670, deux ans de service préalable comme mousse ou novice étaient nécessaires pour devenir matelot ; en 1741, un an suffisait.
24Le rôle général des officiers mariniers et matelots de Provence de 1670, ne mentionne pour Arles aucun mousse ni novice, à l’exception de l’indication fournie par le surnom de Claude Galle, âgé de 17 ans, qui sert sur la barque du patron Jean André : il est qualifié de Beau Pitot, or pitot est le terme méridional utilisé pour mousse. Seul l’âge des jeunes enrôlés permet de distinguer les mousses des autres matelots ; les novices ne peuvent pas être repérés puisque leur tranche d’âge est aussi celle de ceux des matelots qui ont fait leur apprentissage comme mousse. Le dépouillement du rôle fournit 44 jeunes gens dont l’âge est compris entre 12 et 17 ans. La moyenne d’âge est alors de près de 15 ans (14,95). Au travers de l’unique document utilisé, il semble que la moyenne d’âge des mousses arlésiens soit un peu plus élevée que celle de leurs homologues de certains ports de la façade atlantique : 12,4 ans pour Saint-Valéry-sur-Somme, 13,2 ans pour Dunkerque, mais17,7 ans au Havre. À Saint-Tropez, la moyenne d’âge des mousses à leur première navigation s’élève globalement au cours du XVIIIe siècle : de 13,1 ans, en 1701 elle passe à 14,9 ans en 1776. On peut, cependant, se demander si la moyenne obtenue pour Arles rend compte de la réalité, car le document sur lequel le calcul a été fait a une portée administrative et est le support de la réquisition pour le service royal ; il est très possible, comme le signale A. Cabantous16, que des enfants plus jeunes servant à bord n’aient pas été portés sur ce rôle, puisque la limite d’âge de 12 ans accomplis était fixée par ordonnance. Le sort de Pierre-Honoré Luchard, mousse de 11 ans trouvé mort sur les bords du Rhône en 1780, tend à confirmer cette hypothèse.
25L’Ordonnance de la Marine impose à tout équipage de moins de dix hommes de prendre à son bord un mousse et deux, lorsque l’équipage dépasse ce chiffre. Le nouveau règlement de 1737 prescrit la présence d’un mousse dès qu’il y a trois hommes d’équipage. Les 44 jeunes gens âgés de moins de 18 ans, enregistrés à Arles en 1670, sont presque tous dans la troisième classe, ce qui laisse le temps à une partie d’entre eux, leur année de service venue, d’atteindre 18 ans, l’âge requis pour devenir matelot. Les indications sur leur filiation ne sont pas systématiques, aussi est-il difficile de juger si ces jeunes mousses effectuent leur apprentissage dans un environnement familial, sur le bateau commandé par ou, au moins, sur lequel est embarqué leur père, un frère, un oncle ou un cousin. On a seulement pu établir qu’au moins 11 d’entre eux, soit 25 %, sont fils de patron. Il semblerait qu’à Arles, comme sur la côte atlantique et, moins loin, à Saint-Tropez, une partie non négligeable des futurs patrons apprend le métier de la mer avec son père. Au vu du taux de reproduction professionnelle, particulièrement élevé chez les patrons, on peut penser que les 25 % trouvés plus haut constituent une évaluation basse. La pratique devait être très courante pour que les ordonnances soient obligées de renouveler l’obligation de choisir les mousses en priorité parmi les « pauvres enfants enfermés »17, c’est-à-dire les enfants trouvés entretenus dans les hôpitaux ; cette priorité sur les enfants de mariniers et matelots date de 1681, elle est rappelée aux maîtres de navires en 1683, en 1689 et encore en 1732. À Arles, en 1715, bien que les recteurs de La Charité de la ville acceptent de nourrir et de loger l’enfant à chaque retour de voyage, les patrons manifestent une évidente mauvaise volonté à embarquer un enfant trouvé ou un orphelin de plus de 14 ans comme mousse18. On peut comprendre les préoccupations du pouvoir royal, étant donné l’augmentation sensible, du XVIIe au XVIIIe siècle, du nombre d’enfants trouvés dans les hôpitaux, mais cette mesure s’oppose aux mentalités des gens de mer dont on a vu, plus haut, l’attachement à la transmission familiale de leur métier, et elle ne parvient pas à être réellement appliquée.
26Une fois devenu matelot, le jeune marin peut s’efforcer de devenir patron à son tour. Dans son ascension, il peut d’abord être écrivain de bord ; sa fonction première est la tenue du registre ou journal sur lequel il note les comptes des dépenses et des recettes à chaque voyage de la barque. Il est, en fait, le comptable de l’entreprise. Le livre de comptes doit être « paraphé en chaque page par le lieutenant d’Amirauté ou par deux des principaux propriétaires du navire »19. Il a, en outre, la responsabilité de tenir un état des marchandises qui sont chargées dans le navire. Cette fonction ne s’adresse qu’à des hommes instruits. Aucune étude quantitative sur cette catégorie de navigants n’a pu être entreprise à Arles, en l’absence de source spécifique ; les registres de catholicité font occasionnellement apparaître un époux ou un père de famille qui déclare être écrivain et dans les registres de sentences de l’Amirauté, quelques rares écrivains viennent témoigner ou présenter le « consolat » lors d’une avarie ou d’un naufrage. L’explication de leur très discrète présence se trouve vraisemblablement dans les progrès de l’alphabétisation ; ils justifient, comme le signale R. J. Valin à la fin du XVIIIe siècle, que la plupart des patrons se chargent eux-mêmes, depuis longtemps, de cette fonction. Celle-ci continue, cependant, à être exercée, sur certains navires arlésiens, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.
27Les pilotes sont des auxiliaires précieux des patrons, surtout dans un port de rivière comme celui d’Arles où l’accès à la mer est si difficile. Les matricules des pilotes lamaneurs ou locmans, ne sont malheureusement conservés, aux archives de la Marine à Toulon, pour le quartier d’Arles, qu’à partir de 1793, ce qui exclut toute étude les concernant, pour la période qui nous intéresse ; tout au plus peut-on citer le chiffre de 10 pilotes lamaneurs relevés dans ce registre. L’importance de ce corps de métier n’a pas échappé aux auteurs de l’ordonnance de la Marine de 1681, qui leur consacrent le titre III du livre IV. Établis pour conduire les vaisseaux à l’entrée et à la sortie des ports et des rivières navigables, ils ne peuvent être admis à exercer cette fonction avant l’âge de 25 ans et ceci après avoir été
examiné[s] sur la connaissance et l’expérience qu’[ils doivent avoir] des manœuvres et fabrique des vaisseaux, ensemble des cours et marées, des bancs, courants, écueils et autres empêchements qui peuvent rendre difficile l’entrée et la sortie des rivières, ports et havres du lieu de [leur] établissement20.
28Dans les sources consultées, la mention de pilote figure encore plus rarement que celle d’écrivain. N’en ont été trouvées que deux : Honoré Martin, pilote de vaisseau, est témoin en 1719 à un mariage ; Pierre Chambard, marinier, pilote d’une felouque napolitaine, en 1719, est accusé par un patron de bac d’avoir occasionné des dégâts à ce dernier. Il semble que les lamaneurs soient sérieusement concurrencés par les pêcheurs ; en effet, s’il est fait défense, sous peine de punition corporelle, aux mariniers qui n’ont pas été reçus pilotes de conduire les navires pour l’entrée et la sortie du port, les patrons sont autorisés, à défaut de lamaneurs, à faire appel à des pêcheurs pour les piloter. Les articles de l’Ordonnance de la Marine les concernant montrent, de la part des rédacteurs, une méfiance considérable à leur égard : y sont condamnées l’ivresse dans l’exercice de la fonction, l’extorsion de salaires indus, la pression sur le patron dans une situation de danger etc. Le législateur a même prévu le fouet et la destitution en cas d’incompétence conduisant à un échouement, mais aussi, au cas où il serait intentionnel, la peine de mort avec exposition infamante du corps. À Arles aussi il semble que l’on n’ait pas qu’à se louer de leurs services : en effet, le commissaire aux Classes, dans son rapport au conseil de la Marine en 1715, écrit qu’ils
se sont imaginés de n’être point obligés de faire savoir régulièrement au commissaire de la Marine l’entrée et la sortie des bâtiments avec les sondes du grau et des embouchures de cette rivière
29et se propose
de les soumettre et les engager à ces devoirs dans le contrat qu’ils passeront avec les consuls de cette ville au renouvellement de leur bail21.
30Si le passage de l’état de mousse ou de novice à celui de matelot se fait en fonction de l’âge et de la durée de l’apprentissage, il faut, pour devenir matelot à l’ « entière part »22 – c’est-à-dire le matelot le mieux rémunéré – ou pilote, faire preuve de ses aptitudes. La fonction d’écrivain requiert, elle, en outre, une solide instruction. A fortiori, ne devient pas patron qui veut : le matelot qui prétend commander un navire doit se faire recevoir patron et, pour cela, obtenir un certificat qu’on appellera plus tard brevet. Quelles en sont les conditions d’obtention ? L’ordonnance de 1681 nous renseigne, non seulement sur les obligations qu’elle impose, mais probablement, dans une certaine mesure, sur celles qui préexistaient. Pour être reçu patron, il faut avoir navigué cinq ans et avoir
été examiné publiquement sur le fait de la navigation et trouvé capable par deux anciens patrons en présence des officiers de l’Amirauté et du professeur d’hydrographie s’il y en a dans le lieu23.
31Le recours aux experts ou aux prud’hommes, fréquemment rencontré dans les registres de notaires et les sentences de l’Amirauté, se retrouve ici : le savoir des anciens patrons est la référence pour évaluer la compétence des impétrants. Ce savoir empirique, transmis par le type particulier d’apprentissage que constituait l’état de mousse et celui de novice, les fils de patrons étaient les mieux placés pour l’acquérir. Mais, afin de compléter la formation des gens de mer et d’augmenter le nombre de marins et patrons, dès 1629 le code dit Micheau24, prescrit aux villes portuaires d’assurer un enseignement hydrographique. Cette mesure est reprise dans l’ordonnance de 1681 qui précise les fonctions et attributions du professeur d’hydrographie : il doit enseigner publiquement le pilotage et la navigation ; l’école doit être ouverte quatre jours au moins par semaine et y contenir des « cartes, routiers, globes, sphères, boussoles, arbalètes, astrolabes et autres instruments et livres nécessaires à leur art »25 ; il doit dispenser un enseignement de dessin afin de rendre ses écoliers capables de figurer les ports et il fait partie du jury qui préside à la réception des matelots au grade de patron. Deux pilotes entretenus dans le port sont tenus d’être présents aux cours pour assister le professeur, mais aussi pour profiter des leçons en une sorte de formation continue. Le souci de débouchés pour les enfants trouvés se retrouve dans l’obligation qu’ont les directeurs des hôpitaux des villes où il y a une école d’hydrographie, « d’envoyer étudier annuellement deux ou trois enfants qui s’y trouveront enfermés et de leur fournir les livres et instruments nécessaires pour apprendre la navigation »26.
32Les autorités urbaines ont-elles mis en place à Arles un tel enseignement dans la première moitié du XVIIe siècle ? Rien ne permet de le penser au travers des sources consultées. Le premier professeur de mathématiques et d’hydrographie connu à Arles27, Noël Advisard, est établi en 1696. Ses leçons sont destinées non seulement aux marins d’Arles, mais aussi à ceux de Beaucaire, de Tarascon et des Saintes-Maries-de-la-Mer. La situation préoccupante des embouchures du Rhône dicte un devoir supplémentaire à ce professeur, celui d’adresser une fois par an
une vue figurée et une description exacte de tous les graus et embouchures du Rhône avec un estat ou devis de tous les changements qui seront faits ou autres empêchements qui peuvent troubler la sureté de la navigation et le transport de nos vivres et munitions28.
33Charge dont s’est acquitté de manière exemplaire N. Advisard, comme le prouvent les cartes qu’il a laissées. La surveillance qu’il exerce aux embouchures du fleuve est éclairée et vigilante : G. Pichard, citant la lettre qu’il adresse au ministre de la Marine le 17 juillet 1709, montre qu’il perçoit l’imminence d’un changement de lit du fleuve, et, en effet, le Rhône fait irruption définitive en 1711 dans le canal des Launes.
34L’enseignement est destiné aux matelots du département qui veulent devenir patrons, pilotes et pilotes lamaneurs. La démarche est volontariste, les élèves doivent venir s’inscrire sur le registre du professeur tous les six mois. Une petite phrase indique qu’un extrait de ce registre remontera au secrétaire d’État à la Marine dans l’objectif de connaître les plus assidus des écoliers. Les consuls d’Arles sont tenus de fournir pour les cours des locaux propres et convenables, dans l’hôtel de la commune ou ailleurs si la commodité l’impose. Les écoliers sont divisés en différentes classes selon leur disposition et capacité. Quel le contenu des cours dispensés ? À ceux qui commencent et n’ont aucune notion, le professeur apprendra « l’arithmétique pour les calculs nécessaires et les principales définitions des termes de la géométrie dont on se sert dans la navigation et le pilotage »29. Aux plus avancés, il donnera
un abrégé de la sphère, leur expliquera la nature des différentes cartes, leur en fera concevoir les usages dans la navigation, comme aussi la division des temps, le nombre d’or, le cercle solaire, l’épacte30, les courants et marées, l’usage du compas et les principes de la boussole31.
35Après ces préliminaires,
il leur apprendra à connaître les instruments qui servent à observer les astres, leur fabrique et usage ; leur enseignera les moyens de faire une bonne estime : ce qu’est la dérive d’un navire, les variations de la boussole et la manière de l’observer et de la corriger32.
36La législation concernant les modalités de réception au grade de patron évolue singulièrement au cours du XVIIIe siècle ; l’allégement des conditions requises est particulièrement manifeste pour les patrons au petit cabotage, alors qu’en même temps la définition de cette aire de navigation se précise et se réduit. Si l’ordonnance de 1725 ajoute aux obligations initiales de la fin du XVIIe siècle, la nécessité d’avoir fait sur les vaisseaux du roi deux campagnes d’au moins trois mois chacune, et revient sur l’âge minimum de 25 ans pour le candidat, celle de 1740, indique que, pour la navigation au petit cabotage seulement, pour être reçu maître, il suffit d’être âgé de 25 ans et d’avoir servi pendant quatre ans sur des bâtiments marchands ; on ne semble plus parler des campagnes sur les vaisseaux du roi. Déjà en 1733, les patrons arlésiens semblent pouvoir être exemptés de cette obligation : en effet, Antoine Sourd demande et obtient l’exemption de la seconde campagne qui lui manque pour être reçu patron ; quant à Pierre Signoret, le roi lui accorde même l’exemption des deux campagnes33. Autre modification :
l’examen qu’il faut subir en présence des officiers de l’Amirauté, il ne se fait point par le professeur d’hydrographie mais par deux anciens maîtres de cabotage qui interrogent l’aspirant sur la connaissance qu’il doit avoir de la manœuvre et des côtes, ports, havres et parages compris dans l’étendue du petit cabotage, car c’est à quoi se bornera sa navigation, et ses lettres de maîtrise ne lui donneront pas le pouvoir d’en entreprendre d’autres34.
37L’espace maritime auquel se limite alors le petit cabotage et ce depuis 1726, s’étend des ports de Nice, Villefranche et Monaco jusqu’au cap Creue, toutefois il ne correspond guère aux réalités de cette navigation qui amène, en effet, les petits caboteurs sur les côtes catalanes, dans les îles, Baléares, Corse et Sardaigne, ainsi que sur les rivages ligures et toscans.
38Il est bien difficile de déterminer dans quelle mesure ces dispositions furent appliquées. Une chose est certaine, c’est que la réception au grade de patron se fait depuis 1715 en l’absence du professeur d’hydrographie, car, à la mort de Noël Advisard, le poste est resté vacant. Cependant, en 1742, le commissaire de la Marine à Arles, tente d’obtenir son rétablissement ; le mémoire écrit à ce sujet impute cette vacance aux consuls de la ville qui, selon lui, jugent cet emploi inutile ; il rappelle que, même s’il ne peut entrer dans le Rhône que des petits bâtiments, allèges et tartanes, plusieurs d’entre eux naviguent au Levant et aux côtes d’Espagne et d’Italie et que le manque de connaissance dans l’art du pilotage leur nuit et retient ceux qui voudraient s’y hasarder. Il ajoute que les enfants ne sont pas instruits car leurs pères ne peuvent faire la dépense nécessaire pour les envoyer étudier à Marseille. La démarche fut-elle couronnée de succès immédiatement ? Dut-elle être renouvelée ? On peut seulement dire, que dans les années 80 du XVIIIe siècle, Arles possède à nouveau un professeur d’hydrographie35.
39Le respect du critère âge pour devenir patron peut aussi servir d’indicateur, dans la mesure où la documentation fournit cette information de manière suivie. Malheureusement, ici, nous en avons été réduite à quêter quelques bribes de données au travers des actes de mariage d’une part et à interroger, d’autre part, avec fort peu de succès, le registre des déclarations des bâtiments de mer faites auprès de l’Amirauté, entre 1689 et 1758. Les mariages nous ont donné, sur les sept coupes de dix ans pratiquées dans les registres de catholicité, un total de 21 époux qui ont été reçus patrons avant leur vingt-cinquième anniversaire ; en ramenant ce chiffre aux 151 époux qui sont des patrons se mariant pour la première fois, on arrive à une fréquence de près de 14 %. Si tant est qu’on puisse tirer des conclusions d’un si faible échantillon, il semblerait que l’on rencontre davantage de très jeunes patrons, de moins de 25 ans, dans les dernières décennies du XVIIe siècle qu’après ; c’est aussi la période où le nombre de mariages de patrons est le plus important : 53 % des patrons qui se marient pour la première fois ont été relevés dans la tranche 1680-1699, et 17,5 % d’entre eux ont moins des 25 ans requis pour devenir patron, contre respectivement 47 % et 9,9 % dans l’ensemble des autres décennies. Il est possible qu’avant la mise en place de la législation unificatrice de Colbert, il n’y ait pas eu ce seuil de 25 ans et que les matelots aient pu devenir patrons plus jeunes ; le respect des articles des ordonnances de la fin du XVIIe siècle a probablement mis du temps à s’imposer contre les usages en vigueur auparavant. On peut noter, en outre, que parmi les 21 jeunes patrons considérés ci-dessus, 17 sont fils de patron, un a pour père un matelot et pour les quatre autres, la profession du père est omise. Il serait tentant de mettre en relation l’âge précoce pour devenir patron et la filiation professionnelle ; toutefois, le faible nombre d’occurrences ne permet pas de confirmer l’hypothèse.
40La quête de ce type d’informations dans les déclarations de bâtiments auprès de l’Amirauté s’est révélée encore plus décevante. Quatre fils de patrons, eux-mêmes patrons, âgés de moins de 25 ans déclarent conduire un navire ; ces déclarations sont faites entre 1689 et 1700 et ils ont entre 23 et 24 ans et demi. Durant cette même période, on a pu noter, par ailleurs, que 22 matelots commandant un bateau se voient enjoints de « se faire recevoir patrons ». Ils ont entre 25 et 50 ans, la médiane et la moyenne de cette série sont de 27 ans et les trois quarts d’entre eux n’ont pas plus de 32 ans. L’injonction de « se faire recevoir patron » disparaît du registre à partir de 1700. 19 déclarations sont ensuite passées entre 1700 et 1732, par des matelots ; ils ont entre 25 et 42 ans, la médiane est 32 ans, alors que la moyenne est de 28 ans, et trois quarts d’entre eux ont 34 ans ou moins36. Au vu de ces renseignements, il semblerait qu’à partir de 1700 les matelots ne se sentent plus contraints, au-delà de 25 ans, de passer rapidement l’examen qui fera d’eux un patron. Le silence des officiers de l’Amirauté sur ce point montre que l’application des ordonnances s’est faite plus souple, ce qui est souvent la conséquence d’une adaptation à un changement de société ; l’ordonnance de 1740, avec des exigences revues à la baisse pour les futurs patrons au petit cabotage, ne fait peut-être qu’entériner un état de fait. Il est manifeste que rester matelot jusqu’à un âge relativement avancé, n’empêche nullement de commander allège ou tartane : Joseph Bontoux achète une tartane en 1727, il a 36 ans et est matelot ; en 1733, il fait construire une allège, il a 42 ans et est toujours matelot.
41Le passage de matelot à patron, qui apparaît contrôlé de près par l’Amirauté à la fin du XVIIe siècle, n’a plus la même importance, semble-t-il, au fur et à mesure qu’on avance dans le siècle suivant. Le capital prestige qui s’est attaché au titre de patron s’érode peu à peu, au cours du XVIIIe siècle, en même temps que l’horizon des destinations des voyages des patrons arlésiens se rétrécit. Apparaît alors dans leur rang, après 1750, un autre titre, celui de capitaine. Leur nombre augmente dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : en 1751 et 1752, deux capitaines déclarent leur bâtiment à l’Amirauté ; entre 1770 et 1789, cinq se marient37 et il y a 31 baptêmes d’enfants de capitaines entre 1780 et 1789. L’état de la flotte de commerce arlésienne au premier janvier 1788 montre que le terme capitaine a remplacé celui de patron, tout au moins dans les documents de la Marine ; en effet, sur les 94 navires recensés, 79 sont aux mains de capitaines ; il ne figure plus dans la liste que 13 patrons. Le titre de capitaine, qui, à l’origine ne convenait qu’à l’officier qui commandait un vaisseau du roi, s’est vu peu à peu absorbé par les usages du commerce. R. J. Valin, signale, en 1776, que, suivant « l’usage actuel, la qualité de capitaine est attribuée à celui qui commande un navire marchand pour un voyage au long cours »38 ; la qualité de maître semble être restreinte à la navigation au cabotage. Douze ans plus tard, à Arles, il en est déjà autrement : le titre de patron est pour ainsi dire oublié, au profit de celui de capitaine, sans qu’il soit question de long cours, mais seulement de cabotage, grand cabotage, mais aussi petit cabotage.
42Le cursus professionnel du marin employé au commerce le conduit naturellement de l’apprentissage comme mousse ou novice, aux commandes d’un bâtiment, même si tous n’accèdent pas à cette ultime phase de la carrière car il existe des matelots de 50, voire 60 ans. Parmi ces derniers, se trouvent aussi ceux des patrons que les accidents – naufrage et perte du bâtiment – mais plus encore, les déboires financiers – conduisant à la saisie puis à la vente de la barque – ont ramenés « à leur qualité première de matelot »39 sur l’embarcation d’un autre patron. Étant donné la forte filiation professionnelle relevée dans le milieu maritime, on peut se demander quelle est la carrière des fils de matelots et de patrons : poursuivent-ils l’ascension sociale éventuellement amorcée par leurs pères ? La fidélité au métier se poursuit-elle au-delà de la première génération ?
La promotion sociale à l’échelle familiale
43Il ne fait pas de doute que, comme tous, les marins ont à cœur de se hisser dans la hiérarchie sociale. C’est tout d’abord dans la carrière professionnelle de certains d’entre eux que cette démarche est apparente. On a déjà mentionné Pierre Gabriel qui est qualifié de patron et marchand lorsqu’il est cité parmi les membres de la confrérie Saint-Nicolas. Blaise Guerre est patron de barque lorsqu’il réclame ses nolis à un marchand marseillais, en 1656 ; quelques années plus tard, il intervient en tant que marchand revendeur dans un litige qui aboutit à la séquestration d’une barque. On peut cependant, dans un cas comme dans l’autre, se demander s’il ne s’agit pas d’homonymes. Toutefois, l’activité de marchand revendeur ne paraît pas incompatible avec celle de patron ; on a vu précédemment qu’au XVIIe siècle, l’état de patron et celui de marchand étaient intimement liés. Le glissement d’une activité vers l’autre est aussi facilité par le fait que les patrons servent aisément de consignataires pour des marchands résidant dans une autre ville ; les marchands itinérants se font de plus en plus rares au cours du XVIIe siècle ; ils se sédentarisent en faisant appel à des marchands locaux qui les représentent sur place, les facteurs, et à des consignataires chargés de recevoir les marchandises et de les entreposer. Ce qui est vrai à Marseille au XVIe siècle, ainsi que W. Kaiser40 le souligne, a de fortes chances d’être applicable ici : le fait de devenir facteur d’une maison de commerce favorise le contact avec un réseau d’échanges régional ou interrégional et constitue souvent, le début d’une carrière de marchand. Ainsi, dans l’état des biens possédés par les habitants de la ville, dressé en 1686 à des fins fiscales, Guillaume Ducrest est mentionné ainsi : « jadis patron de barque, à présent magasinier »41. Dans le milieu de la pêche, c’est la vente du poisson qui justifie l’utilisation du terme marchand : le pêcheur André Sauvat devient ainsi marchand ; Antoine Manaud, de pêcheur, devient muletier puis marchand. On comprend que ces hommes sont à la frontière entre le milieu du commerce et celui des activités maritimes ou halieutiques ; ce vocabulaire hybride doit permettre de désigner les patrons que l’envergure de l’entreprise hisse au niveau du négoce, même s’il est modeste. Henri Roux, Joseph Durand, Étienne Delon, Honoré Roubion commencent leur carrière comme patrons de barque puis deviennent, dans le premier tiers du XVIIIe siècle, marchands et même négociants. La famille Boulouard, grande famille de marins arlésiens, fournit aussi une trajectoire semblable à au moins deux de ses membres : Antoine, patron et fils de patron, devient commerçant et son neveu Claude, capitaine, abandonne la mer pour la vente du bois. La présence d’un siège d’Amirauté et de services de la Marine offre aussi des perspectives d’évolution de carrière : Jean Besson, qui est patron de barque en 1689, est désigné, en 1707, comme commissaire aux vivres de la Marine. Ces quelques exemples ne permettent aucune généralisation, car il n’était pas envisageable de suivre les destins individuels de chacun ; ils mettent seulement en évidence certaines voies de promotion utilisées par les marins arlésiens42.
44L’étape suivante a été de tenter de quantifier, à l’aide des actes de mariage extraits des registres de catholicité, la sortie du milieu maritime d’une génération à la suivante, en relevant les professions des fils de marins et de pêcheurs. Les lacunes relatives à la profession du père étant importantes, nous ne disposons que d’un corpus modeste d’actes concernant les pères matelots et les pères pêcheurs43. On retrouve, ici, le très fort poids de la reproduction professionnelle, avec le clivage, marins d’une part, pêcheurs d’une autre : sur les 296 pères qui sont patrons ou matelots, 253, soit 85 %, ont des fils qui exercent la même activité ; seuls 3,3 % se tournent vers la pêche. Inversement, les 97 pères pêcheurs ont 61 de leurs fils, soit 63 % d’entre eux, qui suivent leurs traces ; par contre, 18,5 % des autres se lancent plutôt dans les activités commerciales, mais ils sont presque exclusivement matelots à leur mariage ; on ne peut donc pas savoir s’ils poursuivront dans la voie du commerce maritime ou s’ils deviendront ultérieurement pêcheurs.
45Si l’on considère l’ensemble des actes, au nombre de 393, l’ouverture vers le monde du négoce est extrêmement faible : 6, soit 1,52 %, des marins ou pêcheurs ont un fils qui, à son mariage, est marchand. Corollaire de la très forte reproduction professionnelle dans le milieu maritime, la promotion sociale est fort peu perceptible en une génération. Un très faible nombre de fils de patrons se hisse vers le négoce. La construction navale, activité pourtant connexe, en attire le même pourcentage. Au contraire, 4 % des fils de marins ou de pêcheurs se tournent vers l’agriculture.
46Les chiffres ci-dessus concernent à la fois les cinquante ans qui s’écoulent entre 1670 et 1719, et les deux décennies qui vont de 1770 à 1789. Malgré la faiblesse du corpus, nous avons essayé de percevoir si la tendance restait stable entre la fin du XVIIe siècle et celle du suivant. 280 mariages de 1670 à 1719 contre seulement 113 pour 1770-89, la comparaison des fréquences calculées pour chacune des coupes est à prendre avec prudence, mais il semblerait que davantage de fils de marins et de pêcheurs accèdent au commerce à la fin du XVIIIe siècle que cinquante ou cent ans plus tôt : 1,1 % de 1670 à 1719 contre 2,6 % de 1770 à 1789. La sortie du milieu vers le haut paraît un peu plus aisée à la veille de la Révolution qu’un siècle auparavant. Dans le même temps, l’ouverture vers le monde rural se fait plus fréquente : 3,9 % des fils de marins et pêcheurs exercent une activité agricole fin XVIIe-début XVIIIe siècle, contre 6,2 % à la fin de l’Ancien Régime.
47Au vu des chiffres ci-dessus, les parcours individuels cités plus haut ne constituent vraisemblablement alors que des cas marginaux. Il se peut aussi que la manière de constituer l’échantillon ait fait écran et ait masqué l’exacte amplitude du phénomène. Ont été relevés les actes de mariage des patrons, matelots, pêcheurs et patrons pêcheurs, mais les changements de professions en cours de vie n’ont certainement pas pu tous être retrouvés, même si nous nous sommes attachée à le faire. Ainsi des mariages ont pu être omis : ceux de fils de marchands qui étaient d’anciens patrons. Ces omissions ont probablement minimisé les chiffres servant à quantifier la promotion sociale sur une génération. Autre cause non négligeable d’erreur, la non-exhaustivité des paroisses dans le dépouillement : celui-ci n’a été mené que dans trois paroisses sur huit. Or, la promotion sociale peut amener, justement les familles concernées, à quitter les paroisses du quartier maritime formé autour de Saint-Laurent, Sainte-Croix et Saint-Pierre de Trinquetaille. Elles échappent alors totalement à notre enquête. Les contrats de mariage dans les registres de notaires semblent cependant confirmer la faible promotion sociale entre père et fils. En 1582, aucun acte ne permet de savoir si le père de l’époux est marin ou pêcheur. En 1650, la collecte est décevante : un « ribeyrier » et un pêcheur marient leurs fils qui sont respectivement marinier et pêcheur. En 1703, sur dix contrats indiquant que le père du marié est marin ou pêcheur, la filiation professionnelle n’est en défaut qu’une fois : le patron Guillaume Hermitte a un fils, Juvénal, travailleur. Même conclusion pour l’année 1748 : sept contrats ont été utilisables et seul un patron a un fils hors du milieu maritime – il est maçon lors de son mariage. Aucune ouverture vers le milieu de la boutique n’apparaît.
48L’ascension sociale est-elle affaire de temps ? Nous avons alors cherché à étudier le phénomène au travers de trois générations, en comparant la profession du grand-père à celles de ses petits-fils. Aux limites de l’étude, signalées au-dessus, il faut ajouter la difficulté de recomposer les familles ; compte tenu de l’âge tardif au mariage et de l’absence fréquente de la profession du père de l’époux, les cinquante ans entre 1670 et 1719, qui constituent le cadre de cette recherche, ont été trop justes et l’arbre généalogique s’est arrêté bien des fois à la seconde génération. Nous avons complété les informations, dans la mesure du possible, grâce aux inventaires après décès et à quelques sondages ultérieurs dans les registres paroissiaux. Il ne faut pas manquer d’ajouter à ces lacunes, toutes celles dues à un changement de résidence, de paroisse ou même, de ville.
49Pour essayer de rendre les résultats les plus objectifs possibles, sans chercher à privilégier certaines familles, nous avons considéré les mariages relevés dans la décennie 1670-79 et cherché à reconstituer la généalogie des familles concernées, pour déterminer les étapes de l’évolution professionnelle au fil des générations. Étant donné le mode de dépouillement adopté pour les registres de catholicité et la forte filiation professionnelle, les lignées par voie masculine sont plus exhaustives que celles dont le maillon central est une fille. En effet, nous avons relevé les actes concernant les marins et patrons, les remariages de leurs veuves, les naissances, mariages et décès de leurs fils ou filles ; nous échappent alors, les petits enfants nés du mariage d’une fille avec un conjoint hors du milieu maritime. Partie des 148 mariages de la décennie 1670-7944, nous n’avons pu seulement suivre la descendance que de 74 couples, dont l’époux était pour 63 d’entre eux, marin ou pêcheur. À partir de ceux-ci, nous avons établi 195 lignées de trois générations (parfois plus pour certains), dont 171 issues du milieu du maritime. Nous avons séparé, pour les raisons signalées plus haut, les voies masculine45 et féminine.
50Les informations recueillies pour la première de celles-ci, même si elles ne peuvent se prêter, vu le faible nombre d’occurrences, à des calculs statistiques, montrent cependant que la filiation professionnelle ne se limite pas à une génération : la presque totalité des petits fils de marins et de pêcheurs ont eux-mêmes une activité de nature semblable (37 sur 40). Les trois contre-exemples concernent deux petits-fils de patrons qui sont menuisiers et un autre qui est marchand ; menuisier est, a priori, un terme différent de ceux utilisés pour désigner les constructeurs de navires, mais le vocabulaire employé dans les registres de catholicité n’est pas toujours d’une extrême précision ; les métiers du bois peuvent être considérés grossièrement, comme connexes aux activités maritimes. Le marchand relevé s’avère, au fil du temps, occuper la charge de fermier général de l’Archevêque et être commissionnaire aux vivres de la Marine.
51Nous avons pu, en outre, relever une certaine mobilité professionnelle. Cet aspect est probablement minimisé dans les résultats, car il n’est pas aisé de le repérer lorsque la collecte des actes se fonde sur la profession. Toutefois, nous en avons trouvé quelques exemples : ainsi, Balthasard Antelme commence par être travailleur, puis devient pêcheur ; les actes notariés nous avaient déjà fait faire le constat que ces deux professions pouvaient être exercées conjointement. Jean Boulouard, fils du patron Maurice Boulouard, est d’abord tanneur – la famille réside à Trinquetaille où les tanneurs sont nombreux –, avant d’embrasser la carrière de son père. La familiarité du fils avec le métier de la mer est naturelle, étant donné l’activité paternelle, mais plus surprenant est le cas de Thomas Astruc qui, de cardeur à laine, devient patron de barque !
52Il est difficile d’évaluer la promotion sociale en se fondant sur le vocabulaire interne à la profession. Un matelot ou marinier dont le petit-fils est patron pourrait traduire une certaine progression dans l’échelle sociale, mais les aléas du métier ne mettent pas un patron à l’abri de se retrouver servir comme matelot. Les seuls indices d’une promotion sociale qui semblent fiables, sont ceux qui mettent en évidence un changement de statut ; l’échappée vers le haut se fait par un glissement du métier de la mer vers celui de marchand, commerçant, voire négociant, le vocabulaire s’enflant vers ce dernier terme dans le courant du XVIIIe siècle. Nous avons trois exemples de patrons qui se sédentarisent en ouvrant boutique. Ils sont issus de familles importantes du commerce maritime ; elles le sont numériquement, mais aussi par leur ancienneté dans le métier. Ce sont les familles Rebec, Roux et Boulouard ; chacune d’entre elles était déjà lancée dans les échanges maritimes au milieu du XVIIe siècle : Michel Rebec est patron lorsqu’il a un fils en 1632, Henry Roux, qui est aussi patron, est né en 1606, et Maurice Boulouard exerce déjà des activités maritimes dans les années 1650. Nous avons souligné que le patron de barque n’était pas seulement un transporteur nolisé, mais exerçait aussi des fonctions commerciales pour le compte de marchands et pour son propre compte. La proximité des activités explique que, dans une même famille, on puisse rencontrer à la fois des patrons et des marchands dont les activités sont complémentaires et ce, d’autant plus lorsque, au cours du XVIIIe siècle, les deux activités se différencient. On a pu remarquer aussi que de marchand à patron, le chemin se fait en sens inverse, mais il est plus rare, nous n’en avons trouvé qu’un exemple : André Michel est marchand, il a trois fils, dont deux maîtres d’ache et un matelot ; son petit-fils, Henri, fils de l’un des maîtres d’ache, embrasse la carrière de patron, l’environnement familial l’y prédisposait.
53Nous avons aussi comparé les professions des grands-pères, celles des petits-fils par voie féminine (annexe, tableau 12), et celle des époux des petites-filles, qu’elles soient issues d’un fils ou d’une fille. Les éléments de comparaison sont plus importants puisqu’en raison de l’âge au mariage plus précoce des filles, nous avons obtenu sur le demi-siècle étudié, davantage de lignées par voie féminine que masculine. Cependant, on rappelle qu’il manque obligatoirement des descendants par les femmes en raison du critère de dépouillement utilisé : font défaut les enfants des filles qui n’ont pas épousé un marin ou un pêcheur, bien que nous ayons essayé, dans toute la mesure du possible, de combler ces lacunes. Tout comme pour les lignées masculines (29 sur 45), la majorité de celles obtenues ici sont issues de patrons (68 sur 111), probablement parce que la stabilité géographique est plus grande en haut de l’échelle que chez les mariniers et matelots. Si la reproduction professionnelle apparaît ici encore entre grand-père et petit-fils, elle est nettement moins marquée que dans la filiation par voie masculine : seul un petit-fils ou époux d’une petite-fille de marins sur deux (46 sur 94) exerce la même activité que l’aïeul alors que la transmission du métier, en ligne masculine, malgré la faiblesse du corpus, est écrasante (37 sur 40). Il ne fait pas de doute que des généalogies complètes et, non lacunaires comme ici, renforceraient l’écart. La cause de cette différence est probablement à chercher dans les stratégies matrimoniales visant à établir les filles. Dans le mode de transmission du patrimoine, la dot de la fille est constituée d’argent, de maison ou de terre mais plus rarement de parts de bateau, bien que cela arrive lorsqu’elle épouse un marin46 ; mais, dans le cas contraire, les fils issus de cette union reproduiront plus fréquemment le métier de leur père que celui de leur grand-père maternel.
54La dispersion des professions est large : un stock de 51 pour un total de 111 lignées. Ce sont des petits-enfants de patrons, et non de matelots, qui accèdent au statut de marchand, parfois de bourgeois, qui achètent un office, même modeste, comme greffier à l’Amirauté, ou qui exercent les professions hautes de l’artisanat, comme maître chirurgien ou perruquier. Environ un dixième des lignées s’ouvrent ainsi vers le haut (11 sur 9447). Mais ici aussi, dans l’autre sens, la relation marchand-patron se traduit par la présence, à trois reprises, dans la descendance d’un marchand, de matelot, patron ou patron pêcheur.
55Malgré l’impossibilité de chiffrer la tendance, on ne peut nier l’existence, chez les marins, d’un modeste courant social ascendant et d’une aspiration, bien légitime, à quitter le navire pour le commerce sédentaire et, si possible, la vie bourgeoise.
Les moyens et les voies de la promotion sociale
56Différentes pistes peuvent être explorées pour trouver facteurs et stratégies favorisant une éventuelle ascension sociale. Le premier critère envisagé est le niveau d’alphabétisation de la population étudiée. Les salaires et revenus procurés par l’exercice professionnel ainsi que la participation à l’armement du navire permettront ensuite d’évaluer les possibilités de constitution d’un patrimoine familial dont la transmission est susceptible de favoriser l’ascension de la lignée. On terminera par l’analyse de la trajectoire sociale ascendante de quelques familles.
L’alphabétisation
57L’étude du niveau d’alphabétisation ne peut guère s’appuyer que sur les signatures au bas des documents dépouillés. Les contrats de mariage et les testaments ont l’avantage d’avoir été relevés de manière régulière sur la période, mais les coupes étant fort peu nombreuses, ils constituent un trop faible corpus pour avoir valeur de généralité ; de plus, les mariages ne font pas tous l’objet d’un contrat passé chez le notaire ; de même, tous les individus ne font pas de testament. Nous avons donc privilégié les signatures des époux et des épouses lors de leur mariage.
58L’aptitude à signer parmi les marins et les pêcheurs progresse entre la fin du XVIIe siècle et celle du suivant : une progression lente entre les deux dernières décennies du XVIIe siècle et les deux suivantes, puisque la fréquence des signatures des époux passe de 22,4 % à 26,7 %, mais nettement plus accentuée à la veille de la Révolution où elle atteint 58 %.
59Les épouses de marins et de pêcheurs sont, en très grande majorité, illettrées. Comme, pour leurs époux, l’amélioration de l’enregistrement fait diminuer à partir de 1700, la proportion des actes pour lesquels l’information sur l’aptitude à signer est inconnue. Elle vient gonfler la fréquence des femmes qui ne signent pas. Elles ne sont que 5 % environ à signer à la fin du XVIIe et dans les deux premières décennies du XVIIIe siècle ; à la veille de la Révolution, elles ne sont encore qu’un peu moins de 10 %. L’accroissement, très faible entre la période 1670-99 et 1700-19, s’accélère, comme pour les hommes, à la fin du XVIIIe siècle : l’indice 100 pour la première tranche, passe à 106 pour la seconde et 185 pour 1770-1789. Les femmes restent toutefois largement en retrait sur les hommes : le taux d’alphabétisation qui, pour ces derniers, est multiplié par 2,5, ne l’est, pour leurs épouses, que par 1,85. Leur retard s’accentue même, car pour 100 hommes qui signent en 1670-99, 22 femmes le font, alors que vingt ans plus tard, elles ne sont plus que 20 et à la fin du XVIIIe siècle, 16.
60Si l’on compare ces chiffres avec ceux obtenus par le recteur Maggiolo dans son enquête de 1877, les marins arlésiens sont en dessous des moyennes nationales : à Arles, dans le milieu maritime, époux et épouses confondus, environ 14 % signent fin XVIIe et un siècle plus tard, ils sont 34 %. Aux mêmes époques, les fréquences sont, pour l’ensemble du royaume, respectivement 21 % et 37 %. On retrouve une des conclusions de l’enquête : à savoir une différence notable entre la France du nord-nord-Est, alphabétisée, et la France du sud, en retard. Cet écart tend à se combler au XVIIIe siècle, ce qui est apparent dans le cas qui nous occupe, l’écart avec la moyenne nationale (34 % pour 37 %) s’est, en effet, réduit à la fin de l’Ancien Régime. Ce qui reste insolite, c’est l’extrême faiblesse de la fréquence des femmes de marins arlésiens aptes à signer : l’enquête citée, fournit une moyenne de 48 femmes pour 100 hommes capables de signer en 1686-90 et 57, en 1786-90. À Arles, les chiffres sont 2 à 3 fois plus faibles et l’écart hommes-femmes se creuse au fil du temps.
61On a vu que les patrons étaient confrontés, pour leur activité professionnelle, à la nécessité de savoir écrire et compter et qu’il y avait, à Arles, à partir de la fin du XVIIe siècle, un professeur pour apprendre aux jeunes gens l’art de la navigation ; on peut comprendre qu’il y ait un taux d’alphabétisation relativement élevé dans ce groupe. Par ailleurs, les délibérations communales montrent, de longue date, chez les dirigeants de la cité un souci récurrent de l’enseignement. À la fin du XVe siècle, le conseil municipal autorise les consuls à faire l’acquisition d’un immeuble convenable pour l’école ; le local devenu trop exigu, la communauté achète une maison plus spacieuse au début du XVIe siècle. Après un débat d’une trentaine d’années, il est décidé de transformer ce qui est devenu le collège et de le passer des mains de l’administration communale à celles des Jésuites. La question de la gratuité de l’enseignement continue de préoccuper la municipalité qui envisage, dans la première moitié du XVIIIe siècle, d’appeler trois frères des écoles chrétiennes pour enseigner la lecture et l’écriture gratuitement. Le compte-rendu des visites pastorales de Monseigneur Dulau, en 1778, permet de connaître l’existence, dans la plupart des paroisses, de maîtres et même de maîtresses d’école. Malgré cela, il ne semble pas que la population féminine en ait beaucoup bénéficié. Les quelques progrès de l’alphabétisation des femmes de patrons sont peut-être aussi à mettre au compte de la fondation de Marie-Catherine de Grille, les Filles de la Providence du Cœur de Marie, destinée à recevoir des « jeunes filles de bonnes familles et de bonnes mœurs »48, car, dans la liste des jeunes pensionnaires se rencontre, entre 1738 et 1789, nombre de filles de patrons. L’œuvre avait pour but de leur apprendre les travaux du ménage et de la couture, mais la lecture et l’écriture ne devaient pas y être oubliées.
62Frein à la promotion sociale, l’analphabétisme se trouve-t-il plus souvent associé aux matelots et pêcheurs qu’aux patrons et capitaines ? Question de pure forme, puisque pour devenir patron, il est pour ainsi dire indispensable d’avoir suivi les cours d’hydrographie, tout au moins à l’époque où exerçait Noël Advisard, car l’absence de professeur pendant au moins trente ans enlève à l’affirmation une partie de sa validité ; cependant, le faible nombre d’écrivains de barque relevé laisse penser que les patrons avaient effectivement, bien souvent, adjoint à leurs fonctions, la tenue des comptes, ce qui suppose la maîtrise de la lecture et de l’écriture. Les notions de calculs financiers, elles, ne sont pas forcément subordonnées à ces dernières exigences ; en effet, les commerçants habiles ont pratiqué de longue date leur négoce sans, pour autant, savoir lire ou écrire.
63Pour chiffrer l’alphabétisation par catégorie de navigants, en raison du trop faible nombre de mariages de patrons, patrons pêcheurs et capitaines sur les vingt ans qui s’écoulent entre 1770 et 1789 pour établir des statistiques, on a regroupé toutes les données, sur les sept décennies étudiées ; on obtient ainsi une indication globale : 53 % des patrons et capitaines, 30 % des matelots et 22 % des pêcheurs et patrons pêcheurs signent. Vu le faible nombre de patrons pêcheurs, il n’a pas été possible de les distinguer, dans les calculs de fréquences, des pêcheurs ; pour ces derniers, considérés à part, les chiffres sont les suivants : 20 % d’entre eux signent, 67 % ne le font pas et pour 13 %, c’est l’inconnue.
64L’évolution dans chaque catégorie n’a pu être évaluée qu’à partir des baptêmes dont le corpus est nettement plus important. On y retrouve, bien qu’atténuée par le pourcentage élevé de pères absents aux baptêmes de leurs enfants, l’évolution à la hausse de l’aptitude à signer sur les trois coupes effectuées. Pour chacune des catégories distinguées, un même constat : la diminution du pourcentage d’illettrés. L’effet parasite des absences ou du manque d’information sur la signature rend la comparaison malaisée, toutefois, on peut remarquer le retard important que les matelots ont dans ce domaine sur les patrons : pour un matelot qui signe, près de trois patrons le font et l’écart n’est pas comblé à la fin du XVIIIe siècle.
65Pour les patrons uniquement, les signatures au bas des actes d’achat de bâtiments passés devant le greffe de l’Amirauté, fournissent un éclairage plus net de leur aptitude à signer : sur l’ensemble de la période qui s’étend entre 1689 et 1739, ils sont 45 % à le faire. Le taux passe de 41 % à 51 % entre ces deux dates ; on peut noter le niveau déjà élevé d’alphabétisation des patrons en début de période.
66Les pêcheurs et patrons pêcheurs sont largement illettrés en 1670-99 : 72 % d’entre eux ne savent pas signer et ils sont encore au moins 61 % dans ce cas dans les deux premières décennies du XVIIIe siècle. Cependant, le pourcentage de pêcheurs qui signent l’acte de baptême de leur enfant, progresse régulièrement au cours des trois périodes : il passe de 12 à 19 % entre 1670 et 1719, pour atteindre 32 % à la fin du siècle.
67Sur la façade atlantique, A. Cabantous signale aussi, qu’obstacle à une éventuelle ascension sociale, l’analphabétisme touche, une partie importante des matelots et pêcheurs : la moitié des matelots et les deux tiers des pêcheurs à Dunkerque. Condition favorable à toute promotion, le niveau d’alphabétisation ne constitue cependant pas une condition suffisante ; toutefois, dans la descendance de patrons qui, dès la seconde moitié du XVIIe siècle, savaient écrire, se trouvent plusieurs exemples de trajectoires sociales nettement ascendantes. Ainsi, le patron Claude Guinchet, qui, en 1650, en tant que facteur d’un marchand arlésien, accompagne un chargement de blé à La Ciotat, est cité comme témoin d’une agression en mer et signe sa déclaration ; ses fils, l’un marchand, l’autre patron de barque savent aussi signer ; son petit-fils Mathieu, capitaine de barque, est qualifié de négociant, en 1754, lors du mariage d’une fille. Raymond Fournier, patron puis marchand, né en 1635, sait signer ; ses filles épousent respectivement un marchand et un bourgeois. Dans la famille Gabriel, se rencontrent marchands et patrons ; ils signent tous à partir de Lange, marchand, né en 1620 ; quelques-unes de leurs femmes le font aussi à partir du début du XVIIIe siècle. Nés au milieu du siècle précédent, les trois frères Vernet sont capables d’apposer leur signature sur les actes de mariage ou de baptême. Chez les Boulouard, il est de même : Jean puis ses six fils, nés entre 1675 et 1700, signent les documents. A contrario, Julien Guez et ses enfants, nés dans la seconde moitié du XVIIe siècle, sont illettrés, alors qu’un de ses petits-fils est contrôleur des fermes du roi en 1743 et un arrière-petit-fils, négociant, occupe la même charge en 1777. Chez les Ducrest, le poids de l’alphabétisation apparaît de manière presque caricaturale : Guillaume, en pleine ascension sociale, sait écrire alors que son frère Jean, qui reste patron, est illettré.
68La présence de clercs dans les familles est révélatrice de leurs aspirations, à la fois religieuses, sociales et culturelles. Les vocations sacerdotales ne sont pas inconnues dans le milieu maritime. Louis Arnaud, patron de barque en 1670, a un frère curé de Saint-Martin-La Palud (l’actuel Saint-Martin-de-Crau) ; il a, en outre, une sœur mariée à un marchand. Situation comparable dans la famille Durand : Jacques, patron de barque, a d’une part, un frère prêtre et d’une autre, un fils qui quitte la profession de matelot pour devenir marchand. Deux fils Vernet sont clercs dans la première décennie du XVIIIe siècle. À la même époque, Lange Gabriel est desservant de Sainte-Croix et Honoré Guinchet de Saint-Laurent. A. Collomp souligne la place des clercs dans les stratégies familiales : l’état ecclésiastique permet d’établir des cadets et, par ailleurs, leur présence au sein du groupe est garant, pour ce dernier, d’un accès facilité à l’alphabétisation et, même, à la connaissance du latin.
69Le niveau de culture du milieu est difficile à évaluer à partir des simples signatures relevées sur les actes de la vie familiale. Les inventaires après décès livrent quelques informations sur le sujet, mais ils ne parlent que pour les individus pour lesquels ils ont été dressés. Sur la cinquantaine concernant le milieu maritime, enregistrée à la Sénéchaussée d’Arles au XVIIIe siècle, seuls onze font mention de papiers conservés par le défunt, ce qui laisserait à penser que ce dernier savait lire et très vraisemblablement écrire. Il s’agit, pour la plupart, de billets à ordre, de quittances diverses, de livres de comptes de voyages et d’extraits d’actes de notaires. Une seule bibliothèque a été découverte : celle de Mathieu Guinchet, le patron mentionné plus haut ; l’inventaire fait état d’une cinquantaine de titres, traitant pour ainsi dire tous de sujets religieux.
70Les exemples d’ascension sociale rencontrés montrent que l’ouverture du milieu se fait sur le négoce : de patron à marchand, puis à négociant, la voie est tracée pour des alliances avec la bourgeoisie. Le capital culturel évoqué plus haut favorise cette ascension, mais elle est d’abord liée à l’accumulation d’un capital financier, à la possibilité de constitution d’un patrimoine dont la transmission permettra aux générations suivantes de se hisser dans des sphères plus élevées de la société. Salaires et revenus apportés par l’exercice du métier de marin forment les bases de cette ambitieuse construction.
Salaires et revenus
71Les modes de rémunération diffèrent sensiblement de ce que nous connaissons et la difficulté réside dans le fait qu’il faut, pour les approcher, s’imprégner des mentalités d’alors. Les documents chiffrés ne devaient pas manquer si l’on se réfère aux contenus des papiers inventoriés lors de décès : livres de comptes tenus par les patrons, rôles d’équipages mais aussi billets à ordre, obligations et écritures privées. Toutefois, il ne nous en est parvenu que bien peu : à peine une dizaine de livres de comptes qui tous concernent des navires de commerce en service pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle.
Le salaire des matelots
72Le patron est chargé de constituer l’équipage ; il ne peut embaucher que des matelots classés et, pour contrôle, doit fournir au bureau des classes son rôle d’équipage. Le manque de main-d’œuvre l’autorise à engager des invalides ou des travailleurs sans qualification particulière. Des informations sur les salaires des matelots ont été glanées dans les registres de sentences de l’Amirauté. Les litiges à ce sujet ne manquent pas et ils renvoient tous à une rémunération à la part, calculée à partir des nolis, comme celle qui ressort des livres de comptes de navires du second XVIIIe siècle. Les engagements se font pour un voyage ; les comptes faits, les matelots sont payés selon leur fonction à bord. Un marinier faisant fonction de patron verra sa part de nolis calculée sur celle-ci ; si un matelot quitte la barque au cours du voyage, une partie des profits qui lui reviennent est attribuée au marinier qui l’a remplacé. Le lieutenant de l’Amirauté peut menacer un patron, récalcitrant à verser sa part de nolis à un marinier, de séquestrer sa barque. Cependant, il n’est pas possible, à l’aide de cette source, de se faire une idée du salaire d’un matelot car, si une somme est fournie dans la sentence, la destination du voyage n’est pas donnée ou inversement ; les indications susceptibles de permettre ce calcul figurent uniquement dans les livres de comptes.
73Pour des valeurs chiffrées, il a fallu se contenter de celles obtenues à partir des quelques livres de comptes de navires disponibles49. À partir de ces données, nous avons évalué les salaires, annuel puis mensuel, moyens d’un matelot arlésien dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, sous l’hypothèse d’un plein emploi, ce qui n’est pas nécessairement le cas. Les rétributions des gens de mer, au sein d’un équipage, différenciées selon les tâches à bord, sont calculées en fraction de la part entière de matelot. Certains membres de l’équipage sont payés au tiers ou au quart de part, ce qui renvoie à la hiérarchie des grades, mousse, novice, matelot, mais aussi des qualifications comme calfats et charpentiers dont les fonctions spécialisées impliquent un salaire plus élevé. P. Boulanger signale même que des gens de mer accomplissant les mêmes tâches au sein d’un équipage peuvent percevoir des rémunérations différentes, fruits des marchandages individuels entre capitaine et matelot avant l’engagement.
74Les montants, bien que moyens, pour chacun des bateaux considérés dénotent une large disparité, tournant entre 8 et 19 livres par mois entre 1746 et 1778. L’allège Saint-Jean, étudiée par E. Fassin, montre une nette progression puisque le salaire annuel moyen, pour les neuf ans qui s’écoulent entre 1772 et 1791, est de 25 livres. Si l’on regarde en détail, on s’aperçoit qu’en 1773 et 1774, les matelots embarqués sur cette allège gagnent entre 15 et 19 livres ; entre 1775 et 1778, période pour laquelle l’auteur donne les chiffres globaux, un matelot perçoit alors environ 28 livres par mois, chiffre qui retombe à 26 livres en 1789, puis à 17 et 14 livres respectivement les deux années qui suivent. Une gestion particulièrement efficace ? Peu d’avaries pour cette allège ? Chance ou aptitude remarquable du capitaine ? Il semblerait que ce navire ait eu des résultats légèrement hors norme. L’ensemble des autres chiffres sur la période plaide plutôt pour un salaire moyen d’environ 14 livres par mois pour un matelot arlésien touchant la part entière, avec probablement une tendance à la hausse à la veille de la Révolution. Chiffre fort bas si on le compare à celui que G. Buti a calculé, à la même époque, pour Saint-Tropez : en moyenne 21 à 28 livres et, lors, d’une campagne continue, 23 à 27 livres. Les marins arlésiens touchent un salaire qui s’apparente davantage à celui que cite P. Boulanger, pour les novices, 15 livres par mois en 1720-25 et 17 livres en 1770-75, qu’à celui des autres matelots provençaux, c’est-à-dire 23 à 25 livres au cours du siècle. La comparaison avec Dunkerque et Le Havre conduit à un constat analogue : la rémunération à la part entière du matelot arlésien est de l’ordre de la moitié de celle de ses homologues naviguant sur l’Atlantique.
75Les salaires touchés par les marins de l’Aimable Colombe entre 1797 et 1803 ne sont pas comparables à ceux trouvés pour la période pré-révolutionnaire et pour les premières années de la Révolution, car les problèmes monétaires de l’époque et l’inflation qui en découle modifient la valeur réelle des sommes énoncées. Il est difficile de conclure à une hausse aussi spectaculaire du salaire mensuel du matelot arlésien qui atteint, à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, en moyenne 72 livres par mois pour un matelot de ce bâtiment, surtout si, comme le note E. Fassin, « les frets vont en diminuant brusquement »50. Toutefois, les deux exemples qu’il propose pour la toute fin du siècle laissent penser que la tendance est favorable aux matelots. On ne possède malheureusement pas le prix du sétier de blé au-delà de l’année 1789, ce qui ne permet pas de confirmer la remarque ci-dessus. Entre 1746 et 1770, le setier de blé vaut un peu plus de 10 livres ; après cette date et jusqu’à la Révolution, il augmente, atteignant 13 livres un quart environ Un salaire de 19 livres mensuel entre 1746 et 1751, déflaté en setiers de blé, fournit un rapport de 1,7 ; pour 1772-1789, 25 livres permettent l’achat de 1,9 setier de blé. Le calcul indiquerait une légère augmentation du pouvoir d’achat du marin arlésien, correspondant au resserrement de l’éventail des salaires à la fin du XVIIIe siècle, signalé par P. Boulanger. Cependant, le faible échantillon sur lequel nous nous fondons et l’absence d’indications chiffrées sur l’inflation et l’évolution des frets à la fin du siècle, imposent une certaine prudence quant à l’interprétation en termes de tendance.
76La hiérarchie des activités maritimes pousse le matelot ambitieux à se hisser vers le patronat. Devenir patron, c’est pouvoir matériellement en exercer les fonctions ; or, le commandement d’un bâtiment implique, dans la majorité des cas, une participation financière au capital. La rémunération que les matelots retirent de leur activité leur permet-elle l’accumulation des fonds nécessaires pour envisager l’acquisition de parts et l’exploitation d’un navire ? Difficile question à laquelle on ne peut répondre pour une très large partie de la période. En ce qui concerne la seconde moitié du XVIIIe siècle, les points de comparaison ne sont guère nombreux : R. Baehrel fournit le salaire journalier d’un homme, non nourri, employé le jour au mesurage de la dîme de Fourques. Entre 1746 et 1784, il touche 30 à 40 sols tournois par jour ; en comptant 250 jours de travail, son salaire mensuel est compris entre 31 et 42 livres. Mais le marin est nourri à bord ; à l’aide des dépenses de bouche portées dans les livres de comptes, nous avons calculé le montant moyen des frais de nourriture pour un homme lors d’un voyage. Connaissant le nombre de voyages effectués sur un nombre d’années donné, nous avons évalué le prix de revient de la nourriture mensuelle d’un homme à bord dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Passant de 4 livres et demie autour de 1750, à 6 livres pour l’allège Sainte-Marie qui a navigué de 1766 à 1778, la moyenne est très voisine de 5 livres ; de ce fait, le salaire mensuel d’un matelot est majoré d’autant, l’amenant à environ 20 livres par mois. Il ne semble donc pas que le salaire moyen d’un marin arlésien lui permette de se constituer un capital susceptible de financer un investissement dans l’armement.
77Au niveau pécuniaire, l’attrait pour la profession peut se justifier par l’existence de profits annexes qu’il est, malheureusement, impossible de chiffrer car les sources manquent sur le sujet. On entend par compléments de salaire, les profits réalisés sur les marchandises que les matelots sont autorisés, pour leur compte personnel, à emporter et à rapporter sans payer de fret, désignées par le terme de pacotille. Une telle pratique existe-t-elle à Arles, comme à Marseille et dans les autres ports dont les navires atteignent des rivages plus lointains ? Les techniques de commerce maritime, telles qu’elles ont été relevées dans les sources notariales semblent identiques dans le port fluvio-maritime d’Arles à celles en usage dans d’autres ports ; on peut penser que l’analogie ne s’arrête pas là et que les marins arlésiens, comme leurs homologues marseillais ou autres, ont, eux aussi, accès au privilège d’embarquer de la pacotille.
Salaire et revenus du patron
78Les fonctions du patron sont multiples : à terre, il s’occupe des opérations financières, armement et avitaillement du navire et de la recherche du fret ; aux escales, il a la responsabilité de négocier les marchandises de sa propre autorité ou suivant les directives des chargeurs, et de rassembler le fret de retour ; revenu à son port d’attache, il désarme le navire et paie l’équipage. Le patron est donc, bien entendu, rémunéré de manière différente de l’équipage.
79Les comptes présentent les dépenses, puis les nolis qui forment les rentrées. Les premières sont alors déduites des nolis et la somme ainsi obtenue est partagée en deux : l’une des moitiés est affectée à la barque, l’autre à l’équipage. Cette dernière est divisée par le nombre de parts correspondant à l’équipage ; par exemple, la mention 3 parts 2/3 et 1/4 signifie que trois matelots étaient rémunérés à part entière, l’un aux deux-tiers de la part et le dernier au quart de celle-ci. La moitié affectée à l’équipage, ici 319,18 livres sols, est alors divisée par 47/12 donnant, pour une part entière le salaire de 81 livres 13 sols, pour les deux tiers 54 livres 9 sols 7 deniers et, pour le quart 20 livres 8 sols 3 deniers. Les dépenses sur le corps de la barque sont alors défalquées de la moitié du gain brut affectée à la barque ; parmi ces dépenses figure « la demi-part du patron » (dans l’exemple utilisé, elle est de 40 livres 16 sols 9 deniers) qui lui est versée au titre de la direction des ventes sur une place étrangère. F. Benoît indique qu’il touche une autre demi-part sur la moitié du gain attribuée à l’équipage ; dans les comptes étudiés, elle apparaîtrait alors dans le total des parts utilisé pour calculer la rémunération d’une part entière, mais l’attribution au patron n’est pas explicite. Le patron toucherait donc une rémunération à l’égal d’un matelot qualifié, dont la moitié est prise sur la part du revenu que vont se partager les armateurs.
80Ce sont les compléments de salaires qui séparent le plus, du point de vue financier, patrons et matelots. En premier lieu, on l’a vu lors de l’étude des contrats commerciaux, le patron est un marchand : non seulement il achemine les marchandises, mais il se charge aussi de les négocier sur place, puis de rassembler le fret de retour, cabotant de port en port pour ce, si nécessaire. Il peut agir pour le compte de divers chargeurs mais aussi pour son propre compte, achetant, éventuellement à crédit, des denrées qu’il vend au mieux de ses intérêts. Les revenus procurés par cette activité commerciale ne peuvent être chiffrés ; il est probable que, pour la plupart d’entre eux, c’est la partie la plus lucrative de la profession.
81Le patron est aussi, dans la majorité des cas, intéressé au bâtiment qu’il « patronise » ; au retour de chaque voyage, les comptes faits, viennent s’ajouter à son salaire, les revenus des parts qu’il possède en tant qu’actionnaire.
L’armement
La participation du patron à l’armement du navire qu’il commande
82À la fin du XVIe siècle, les actes de vente de navires passés devant le notaire ignorent les quirats ; les bâtiments sont vendus soit en toute propriété, soit par moitié ou encore par quart. La modestie des embarcations explique le faible fractionnement de la propriété. Le développement du commerce maritime à partir de la première moitié du XVIIe siècle et l’évolution de la structure des navires qui en résulte expliquent l’apparition puis la généralisation d’un plus grand morcellement du capital. Dans le dernier quart de ce siècle, la propriété du bateau est systématiquement partagée en 24 parts, appelées quirats. Le registre des déclarations d’achat des bâtiments arlésiens, neufs ou d’occasion, permet de suivre sur soixante ans la participation du patron à l’armement du navire qu’il achète, l’évolution de la dispersion de la propriété ainsi que l’implication de la population maritime dans ce type d’investissement. Les parts de bateaux entrent-elles dans la constitution du patrimoine familial ? Contribuent-elles, à ce titre, à favoriser l’ascension sociale ?
83Le patron participe largement, en moyenne, au capital que constitue le navire. Entre 1689 et 1758, près de 23 % des patrons arlésiens sont propriétaires du bâtiment sur lequel ils naviguent et, en moyenne, un patron en détient 13 quirats, c’est-à-dire un peu plus de la moitié. En séparant la période en deux, avec, comme coupure, l’année 1720, on obtient, en gros, une fin du XVIIe siècle élargie, d’une part, et la première moitié du suivant, d’une autre. Les chiffres moyens sont alors très sensiblement différents : 15 quirats par patron contre seulement 11 ensuite. La tendance est donc clairement, sur la longue durée, à la diminution de la participation des patrons à l’armement des bâtiments qu’ils commandent. Alors que près de 35 % des patrons sont propriétaires de leur bâtiment à la fin du XVIIe siècle, ils ne sont plus que 9 % dans la première moitié du suivant. Par contre, la fréquence des patrons appointés, non intéressés à l’armement des navires qu’ils commandent, a tendance à diminuer légèrement : 9 % dans la première moitié de la période contre 6,5 % ensuite. Ainsi, dans la première moitié du XVIIIe siècle, plus de 93 % des patrons possèdent une fraction du navire, mais celle-ci diminue en importance par rapport aux trente ans antérieurs.
84Bien sûr, les patrons sont propriétaires d’une part d’autant plus grande que le tonnage du navire est faible. On a signalé que la portée moyenne par unité de la flotte arlésienne augmentait entre le XVIIe siècle et le XVIIIe. Or, dans ce contexte, on constate que, non seulement le pourcentage de patrons propriétaires de leur bâtiment diminue, mais encore que ces derniers ne le sont que de petits navires, dont le tonnage est plus faible au XVIIIe siècle qu’à la fin du précédent. Les patrons arlésiens ne possèdent alors plus de parts sur les bateaux de grande envergure, au-delà de 75 tonneaux. Leur aspiration à participer à l’armement du navire ne faiblit pas, au contraire, mais leur capacité d’investissement est plus limitée. Notre constat s’arrête au milieu du siècle, mais il rejoint le net recul noté au cours du XVIIIe siècle, du pourcentage des maîtres de la façade atlantique devenant propriétaires de navires et la faiblesse de l’envergure de ceux-ci.
85Dans le même temps, conséquence immédiate, le nombre moyen d’actionnaires par bâtiment augmente : sur la totalité de la période, il est de 4, mais il n’est que de 2,6 entre 1689 et 1719, alors qu’il atteint presque 6 (5,8) pour les trois dernières décennies étudiées. Le capital se fractionne au fil du temps. L’éviction des patrons du capital pourrait ne pas s’accompagner d’un tel morcellement ; elle aurait pu se faire au profit de capitalistes spécialisés dans l’armement. Même si de tels investisseurs apparaissent, ils font de multiples opérations en n’engageant qu’un capital mesuré ; ils achètent quelques quirats sur de nombreux bateaux au lieu d’être actionnaires majoritaires ou d’en posséder en propre quelques-uns. Ces placements limités sur plusieurs bâtiments sont une constante du commerce maritime et de l’armement, l’investisseur divisant ainsi les risques. Toutefois, l’émiettement du capital suggère plutôt la difficulté, pour le patron ou le matelot qui aspire à commander son embarcation, à réunir les fonds, pour le faire construire ou pour l’acheter d’occasion.
86Remarquant qu’au cours du second XVIIIe siècle, la responsabilité commerciale des capitaines en droiture se restreint, car les firmes ont le plus souvent des filiales sur place ou au moins des commissionnaires permanents, A. Cabantous se demande si « cette éviction progressive est une conséquence de la moindre participation des capitaines à la propriété du navire ou de la cargaison »51. Il est certain que, même à Arles, où les activités maritimes sont bien différentes de celles des ports de la façade atlantique et qui est très éloignée du grand commerce transocéanique, la question se pose aussi. On note, de même, un changement important dans la profession de patron entre le XVIIe siècle et la seconde moitié du suivant : de commerçant actif, engageant ses capitaux ou ceux qu’il emprunte pour acheter des marchandises qu’il va vendre sur des places étrangères, sur un bâtiment dont il possède une large part, le patron apparaît, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, davantage comme un spécialiste du transport de marchandises, préoccupé par la recherche des nolis qui font vivre son équipage et lui permettent de servir aux nombreux actionnaires qui lui ont fourni le capital, les intérêts qu’ils en attendent. La question posée plus haut pourrait aussi se poser aussi en terme de cause : l’éviction des patrons des responsabilités commerciales pourrait-elle être responsable de leur moindre participation à la propriété du navire ? Les opérations lucratives de négoce leur échappant, ils se paupérisent et il leur est plus difficile de disposer des fonds nécessaires pour participer à l’armement de leur embarcation.
Le revenu procuré par l’armement
87Les éléments fournis par les quelques livres de comptes dont nous disposons, laissent perplexe sur l’importance du revenu procuré par les parts d’armement. Les sommes versées aux actionnaires semblent très faibles : entre 5 sols et 13 livres et demi par quirat ; le revenu moyen sur l’exercice peut même être négatif52 ! En 1767, sur l’allège Saint-Jean du patron Jean Guigue, le quirat rapporte en moyenne 10 livres 10 sols 7 deniers ; ce dernier, qui est propriétaire de cinq quirats, touche donc, en plus de la part entière qui constitue son salaire de 146 livres 12 sols, la somme de 52 livres 13 sols comme participe. Dans l’année, son activité professionnelle lui a alors rapporté : 199 livres 5 sols, ce qui donne un peu moins de 17 livres par mois ! Louis Aillet, patron du bisque Sainte-Marie possède 11 quirats sur ce navire ; en moyenne, il gagne, entre 1766 et 1769, 223 livres 13 sols 7 deniers pour sa part de salaire, auxquelles s’ajoutent les revenus procurés par ses quirats, soit 11 fois 3 livres 19 sols 10 deniers. Son revenu annuel moyen s’élève alors à 266 livres 9 sols 11 deniers, soit 22 livres 4 sols 2 deniers par mois. Un troisième exemple montre une situation plus modeste encore que les précédentes : Jean Peirot le jeune, patron de l’allège Sainte-Marie, touche un salaire mensuel moyen de 105 livres 5 sols et perd d’une manière globale, sur les six ans de navigation dont le livre rend compte, 18 sols par an par quirat ; comme il en possède deux, il dispose, entre 1765 et 1771, de 103 livres 9 sols par an ou 8 livres 12 sols par mois ! Les comptes étudiés par E. Fassin présentent une situation meilleure : sur l’allège Saint-Jean53, le montant annuel d’une part entière de salaire se monte à 300 livres et le quirat rapporte, en moyenne toujours, 28 livres par an. Sur l’Aimable Colombe, un matelot reçoit en moyenne 920 livres par an, il est vrai partiellement en assignats dévalués, et chaque quirat a fourni environ 33 livres par an. Le capitaine de cette allège finit par être propriétaire de son bâtiment après rachats successifs des différents quirats : son revenu annuel moyen, entre 1797 et 1803, est de 1712 livres soit 143 livres par mois. En supposant un capitaine propriétaire de 11 quirats54 sur l’allège Saint-Jean citée par E. Fassin, son revenu annuel serait de 608 livres, soit de 51 livres par mois. L’existence d’un droit de « chapeau », auquel F. Benoît fait allusion pour Arles, mais dont nous n’avons pas trouvé de mention, modifierait probablement les estimations ci-dessus, mais dans quelle mesure ? P. Boulanger le définit comme un droit que se fait donner le patron pour chaque tonneau de marchandise embarquée. Enfin, le patron pouvait aussi améliorer son revenu grâce au montant payé par des passagers embarqués ; toutefois, dans les livres dépouillés, le seul cas rencontré concerne le voyage de quatre personnes entre Arles et Marseille et le prix du passage n’est pas indiqué.
88De ces divers calculs, il ressort que le revenu tiré par le patron de l’exploitation du navire qu’il commande (l’Aimable Colombe mise à part, en raison des fluctuations monétaires de l’époque) et dont il est partiellement propriétaire, est très faible, comparé aux 100 livres perçues, uniquement comme salaire mensuel, par les capitaines provençaux au XVIIIe siècle. On peut alors se demander s’il est réaliste de généraliser ces résultats à l’ensemble des patrons arlésiens ; l’échantillon n’est peut-être pas représentatif, à cause de sa faiblesse mais aussi de raisons particulières liées à l’exploitation du navire, telles faillite, saisie ou destitution du patron. Cependant, les termes récurrents employés par les commissaires aux Classes dans leur correspondance avec leurs supérieurs laissent penser que la situation des patrons arlésiens est précaire : ils soulignent que la Marine tardant à payer les nolis, ces patrons, très dépendants des transports pour le roi, sont dans l’incapacité de rembourser « les vituaillements qu’ils sont obligés de prendre à gros intérêts » et « sont réduits à la dernière misère »55. Au vu de la dégradation du rapport d’un quirat au fur et à mesure du vieillissement de la barque, puisque radoub et réparations se multiplient alors, les patrons se tournent peut-être vers un investissement plus diversifié, en devenant actionnaire sur d’autres barques que la leur.
89L’étude des quirataires permet de connaître, dans une certaine mesure – limitée par les lacunes dans les documents –, la répartition socioprofessionnelle des armateurs des barques arlésiennes. Nous avons utilisé la même partition de la période, en considérant une large fin du XVIIe siècle jusqu’en 1719, puis la première moitié du siècle suivant, de 1720 à 1758. Le milieu maritime et les patrons principalement, détiennent une bonne moitié des parts de la flotte : 51 % sur la totalité de la période, avec le recul signalé plus haut, dans la seconde partie (57 % entre 1689 et 1719, 47 % entre 1720 et 1758). La représentation des bourgeois, marchands et négociants est à la fois importante, 25,30 %, et en légère hausse au cours des décennies (24 % à la fin du XVIIe siècle, puis 26 % de 1720 à 1758). Stabilité mais modestie caractérisent la présence des actionnaires avocats, notaires, médecins et apothicaires. Par contre, la fréquence des quirataires venant du monde de l’artisanat diminue de moitié ; cependant, très nombreux sont les actes dans lesquels ne figure aucune indication sur le milieu social : si, entre 1689 et 1719, ceux-ci ne représentent que 15 % du corpus, entre 1720 et 1758, ils sont près de la moitié. Il convient donc d’être prudent dans les constats relatifs à l’évolution de la participation des groupes sociaux à l’armement. En dehors de ces limites, les résultats ne laissent pas de doute et confirment, sans surprise, la place prépondérante des premiers intéressés à l’armement, les patrons d’une part, les marchands et négociants de l’autre. L’agriculture n’est pas concernée par ce type d’investissement dans un milieu qui lui est étranger et, qui plus est, plein de risques. Plus surprenante est l’absence quasi totale parmi les quirataires, des pêcheurs : quatre occurrences seulement sur les 686 actes passés par des Arlésiens ! Ceci peut traduire l’existence d’une frontière peu perméable entre le milieu du commerce et celui de la pêche ou une différence de ressources financières interdisant aux pêcheurs toute participation à l’armement. Cette seconde hypothèse est plus plausible que la première, en raison d’une part, de la présence, parmi les patrons et matelots, de patronymes qui appartenaient, à la fin du XVIe et encore au milieu du XVIIe siècle, à des pêcheurs et d’une autre, de la pauvreté des pêcheurs telle qu’elle ressort de quelques sentences de l’Amirauté56.
90Patrons et matelots déclarant l’achat d’un navire ne sont pas intéressés uniquement à celui-ci. Les patrons investissent aussi des capitaux sur d’autres embarcations que les leurs. L’ancien commandant qui abandonne le patronage de sa barque, pour une autre en général, mais aussi parfois à la demande des participes mécontents de sa gestion ou lors de faillite, revend souvent ses parts à celui qui lui succède. Mais, il conserve, parfois, quelques quirats sur la barque qu’il quitte. Il arrive aussi que le propriétaire d’un bâtiment en revende la moitié, 12 quirats, à un autre patron avec lequel il s’associe pour l’exploitation ; ce type d’association est chose courante dans le milieu. Les partages sont aussi, bien souvent, liés à des affaires de famille, le fils reprend le commandement du navire du père âgé ou décédé ; la veuve, pour régler les dettes de son conjoint, est parfois obligée de vendre la barque, elle peut aussi n’en vendre qu’une partie et en partager la propriété avec le patron qui reprend la conduite du bâtiment, auquel alors, elle vend le droit de patronage. Anciens patrons, veuves et héritiers de patrons s’assurent ainsi des revenus, en conservant une partie de la barque qui est « montée », selon l’un des termes en usage dans ce milieu, par un autre patron. Ainsi, sur les 51 % de quirataires issus du monde de la mer, 37 % sont des marins qui conduisent la barque, mais 14 % sont en situation d’investisseurs. La diminution, notée dans la première moitié du XVIIIe siècle, de la participation des marins à l’armement de leur bâtiment est légèrement compensée par une modeste hausse de celle du groupe professionnel et familial : en effet, parmi les armateurs issus de ce milieu 24,8 %, sont simplement actionnaires entre 1689 et 1719, tandis qu’entre 1720 et 1758, ils sont 26,1 %. Les patrons et les matelots de la seconde moitié du XVIIIe siècle ont plus de mal qu’auparavant à rassembler les capitaux nécessaires à l’achat de parts sur leur barque, mais leurs confrères s’engagent à leur côté, proportionnellement davantage57.
91Les comptes de navires disponibles, trop peu nombreux pour une étude statistique, peuvent cependant être utilisés comme indicateurs. On a dit combien, à partir des sources utilisées, le revenu mensuel du patron nous semblait faible : salaire et revenus des quirats sur la barque ne le mettent pas dans une situation nettement plus enviable que ses matelots ! Il convient de tenter de chiffrer le rapport qu’il peut espérer obtenir de ses investissements en tant qu’armateur. La construction en 1757 de l’allège Notre-Dame-de-Grâce revient à 7 502 livres 16 sols 8 deniers ; chacun des 24 quirats est vendu 312 livres 12 sols 4 deniers. En 1758, elle fait quatre voyages qui, en moyenne, rapportent chacun 8 livres 12 sols 7 deniers. Le rapport annuel pour un quirat est de 34 livres 10 sols 5 deniers. Le rendement brut par quirat, pour la première année de navigation, est de 11 %. Les années suivantes le rendement diminue ; en considérant les cinq ans dont les comptes figurent sur le livre, un quirataire touche pour un quirat 69 livres 19 sols 7 deniers, soit un revenu annuel de 13 livres 19 sols 9 deniers : le rendement brut par an chute alors à 4,5 %. Des calculs semblables faits pour le bisque Sainte-Marie, entre 1766 et 1769, donnent 3,7 % comme revenu annuel par quirat dont la valeur à l’achat était de 106 livres 16 sols 8 deniers. Enfin, l’allège Saint-François, construite en 1763, revient à 6 230 livres 12 sols ; chaque quirat est alors vendu 259 livres 12 sols 2 deniers. Les comptes de ce navire sont détaillés pendant 16 ans. Pendant cette période, un quirat a fourni un revenu de 77 livres 5 sols 10 deniers ; un actionnaire qui aurait conservé un quirat durant ces 16 ans aurait eu un rendement annuel brut de 1,9 %. Quant au rendement net, il serait encore beaucoup plus faible, le quirat s’échangeant certainement, au bout de tant d’années, à un prix inférieur à celui d’achat. Les comptes des allèges Saint-Jean et Aimable Colombe, étudiés par E. Fassin, montrent une situation un peu plus favorable pour les actionnaires aussi. Le prix d’achat d’un quirat sur l’allège Saint-Jean en 1772 est de 271 livres 17 sols. Après 18 ans et demi de navigation, le quirat ayant produit 504 livres 12 sols 10 deniers, le rendement brut annuel est de 10 %. Le désarmement de la barque et la vente du navire, permettent de déterminer que le capital initial a été amorti et a fourni près de 7 % du capital engagé. Quant à L’Aimable Colombe, un quirat a rapporté brut annuellement environ 6 %. Le dernier indice sur le sujet est issu du placet présenté en 1760 au ministre de la Marine par les propriétaires des allèges et de barques d’Arles. Se plaignant particulièrement des exactions des officiers de l’Amirauté, ils écrivent :
il résulte de ces impositions tant anciennes que nouvelles que le travail des barques d’Arles étant fort borné et les nolis très modiques le profit de ces barques se réduit à presque rien. Les propriétaires qui ont intérêt sur ces barques retirent à peine chaque année 5 % de leur fond qui doit être regardé comme un fond plus que perdu58.
92Bien qu’on puisse accuser les auteurs d’exagérer les faits pour les besoins de la cause, il semble, d’après les valeurs numériques calculées plus haut, que leurs propos soient relativement proches de la réalité. Un quirat ne doit guère rapporter plus de 5 à 7 % par an et, très vraisemblablement, sans tenir compte de l’amortissement du capital. L’expression des propriétaires laisse penser qu’il fut un temps où le revenu annuel était plus élevé que ces 5 % qui leur semblent une misère.
93Élément du patrimoine familial, le navire est au cœur de la stratégie de sa transmission ; la possession de larges parts du capital assure à l’héritier ou aux différents fils qui embrassent la profession du père un démarrage plus aisé dans la profession et favorise leur chance de réussite et d’enrichissement grâce auxquels ils peuvent envisager une carrière de négociant et/ou l’achat d’offices ou de fermes.
La transmission du patrimoine
94Elle est à rechercher patiemment au travers d’actes divers ; le testament ne suffit pas car il confirme, pour une partie de son contenu, lorsque le père ne meurt pas prématurément, des donations antérieures, celles qui interviennent au moment des mariages des enfants et qui se trouvent dans les contrats. Mais dans ces derniers, la nature et le détail des biens transmis ne sont pas fournis, sauf pour l’immobilier, maison ou terre, qui sont précisément situées géographiquement. Une partie de la somme figurant au titre de la dot correspond au trousseau de l’épouse, une autre partie peut être la valeur estimée d’un bien immobilier, mais le reste est transparent. Dans les testaments, en dehors des légats en numéraire, le plus souvent, le ou les héritiers universels reçoivent la totalité de ce qui reste. À part quelques rares mentions dans ces sources, de parts de bateau données en dot ou en héritage, il faut interroger les déclarations de bâtiments à l’Amirauté pour entrevoir le mode de transmission du navire.
95Le rôle du père dans la société méridionale est central dans la famille ; il tient sous sa coupe ses enfants ; sous le toit paternel, ceux-ci vivent et travaillent pour la maison dont le père est le chef tout puissant et ce, même jusqu’à un âge avancé, dépendant de la longévité du chef de famille. Majeur à 25 ans, les fils ne sont que rarement émancipés et les circonstances qui entraînent un tel acte ne sont probablement pas toujours sereines. On en veut pour exemple, le litige qui suit l’émancipation de Jean Fouque, en 1703 : le père, Claude, lui aussi patron, se pourvoit en justice contre son fils pour avoir la jouissance et propriété des 13 quirats de la barque que ce dernier avait acquis avant d’avoir quitté son père, ainsi que des 12 autres acquis sur la barque dont il a le commandement. Le fils se défend en disant qu’il a acheté ces parts de bâtiments « de son argent provenant de son industrie sans aucun secours de son père »59. Ils trouvent finalement un terrain d’entente, mais Jean doit tenir quitte son père des 600 livres qu’il lui avait fournies et lui verser encore 700 livres pour que son père lui reconnaisse la propriété des 25 quirats. Les fils travaillent pour et souvent avec le père, ce dont rend compte la très large reproduction professionnelle. On peut ainsi rencontrer dans une même famille quatre ou cinq frères marins : Nicolas Aubenas, né en 1622, a quatre fils patrons dont trois se prénomment Jean. Sur les six fils de Jean Boulouard, cinq naviguent. Ces cas sont peut-être extrêmes, mais deux ou trois fils dans la profession n’est pas exceptionnel chez les patrons comme chez les pêcheurs.
96En théorie, le père désigne un héritier, souvent son fils aîné, pratiquement, le testament peut faire référence à plusieurs héritiers universels : c’est le cas du patron Olivier Fabre qui, en 1703, partage ses biens entre ses trois fils, comme lui patrons de barque ou en 1582, de Claude Bardoux, qui fait de même entre ses deux fils pêcheurs, François et Gilles. Si les fils sont plus fréquemment les bénéficiaires de l’héritage paternel, les filles ne sont pas systématiquement écartées : Jean Legier, patron, institue son fils Jean et sa fille Claudine veuve, héritiers universels par moitié après le décès de sa femme qui est usufruitière de la totalité jusque-là. Autre exemple : Jean Comin et sa femme ont pour héritiers en parts égales, leurs trois enfants, deux fils pêcheurs et une fille mariée. On a même rencontré la situation inverse : les héritiers particuliers du pêcheur Benoît Mathieu sont ses fils qui reçoivent un légat égal, et son héritière universelle est Catherine, sa fille. La dot est cependant la façon habituelle de désintéresser les filles du patrimoine qui est davantage réservé aux fils, voire à l’un d’entre eux. Le testament est parfois l’occasion de rétablir un certain équilibre entre filles et fils : ainsi, en 1582, le batelier Jean Gasquet fait une donation complémentaire à chacune de ses filles, alors que le reste des biens échoit au fils Nicolas qui reste sous la tutelle de sa mère à laquelle il doit obéissance, jusqu’à l’âge de 25 ans. En cas de décès de l’héritier sans postérité, lui sont successivement substituées sa mère – à la condition expresse qu’elle reste en viduité et « sous le nom du testateur »60 –, puis les sœurs de Nicolas. La maison du père accueille aussi l’une des filles, Marie qui est veuve ; il est précisé qu’elle doit travailler au profit de l’héritier, profit est à prendre, ici, au sens que lui donne A. Collomp :
travailler au profit de la maison, c’est non seulement conserver, et si possible augmenter le patrimoine foncier et matériel transmis par les ancêtres, mais c’est aussi sauvegarder la réputation qui s’attache à la lignée, et, si faire se peut, accroître son capital d’honneurs et son prestige61.
97De nature différente de l’immobilier et du numéraire, en raison de sa durée de vie limitée, le capital représenté par le bâtiment apparaît relativement peu dans les échanges de biens entre familles qui sont dévoilés par les contrats de mariages ou les testaments. Lorsqu’il se marie en 1703, avec la fille d’un patron, Henri Maffet, marinier, fils de patron, se voit donner six quirats sur la barque Saint-Jean-Baptiste-Bonaventure que possède son père ainsi que le patronage de celle-ci pendant trois ans ; ce temps écoulé, le père lui paiera le prix des quirats ; il a droit, en outre, au quart des biens paternels, ce qui ne surprend pas puisqu’il a trois frères patrons ou mariniers comme lui. Les trois sœurs, dotées, sont écartées du partage. C’est un seul des 13 quirats et demi qu’il possède sur l’allège Saint-Antoine, que donne à sa fille le patron Louis Arnaud ; son gendre matelot, issu d’une famille de bergers, reçoit, en outre, au contrat de mariage, le droit de patronage de celle-ci au décès de Louis ou, auparavant, occasionnellement, lorsque ce dernier est malade. La donation de ce droit permet dès lors au bénéficiaire de profiter des « droits et privilèges attribués aux patrons suivant l’usage et coutume »62. Autre avantage, les quirats sont donnés soit immédiatement soit dans un laps de temps limité contrairement à la part des autres biens du père dont la jouissance n’intervient pour le bénéficiaire qu’au décès du donateur. Ce type de don, au contrat de mariage, permet au jeune matelot ou patron d’entrer de plain-pied dans la profession, au commande d’un bâtiment. Henri Maffet, cité plus haut, n’attend pas trois ans pour acheter, à son tour, une allège neuve de 60 tonneaux dont il est propriétaire : il peut le faire dès 1704, un an après son mariage. Son père lui a-t-il versé le montant des parts de bateau données, en avance sur le terme prévu ? A-t-il utilisé la dot de sa femme ? A-t-il réalisé des profits suffisants en tant que patron sur la barque de son père ? Les trois facteurs se sont probablement conjugués. Quelques années plus tard, en 1713, c’est une tartane de 96 tonneaux qu’il fait construire, mais cette fois avec l’aide de deux armateurs associés ; en 1715, il est à nouveau propriétaire de son bâtiment, une allège neuve de 56 tonneaux. Quatorze ans seulement après son mariage avec la fille du patron Louis Arnaud, le matelot Julien Fournallier est devenu à son tour, patron ; il possède la moitié d’une tartane de 40 tonneaux, l’autre moitié étant aux mains de deux participes. En 1748, lors de son mariage, Blaise Boulouard reçoit aussi six quirats sur l’allège Notre-Dame-de-Grâce que possède son père et l’assurance d’hériter du droit de patronage de celle-ci au décès du père, droit qu’il pourra exercer auparavant en remplacement de celui-ci lorsqu’il ne fera pas le voyage. Entré en tant que gendre dans la maison de François Goubillon, maître calfat, la cohabitation a été houleuse comme le montre l’inventaire dressé après son décès en 1759. Interrompue par une séparation momentanée pour cause d’insupport, elle fut suivie d’un retour chez le beau-père qui déclare le nourrir
avec ses quatre enfants et lui [fournir] universellement de tout jusqu’aux avitaillements lors des voyages de sa barque et notamment au dernier où il décéda63.
98De déclarations de bâtiments à l’Amirauté, Blaise Boulouard n’en passe aucune ; pour lui, la donation de parts d’armement n’a pas eu les retombées professionnelles attendues. C’est un peu le cas de Jean Peirot qui utilise, en 1748, les 500 livres que valent les 5 quirats que son beau-père Pierre Nevière a donné en dot à sa fille six ans plus tôt, pour acheter une maison ; fils aîné du patron Gaspard Peirot, il n’est pas resté dans la maison de son père. Cet achat intervient-il après une période de cohabitation avec son beau-père qui semble n’avoir eu que des filles, et est-il rendu nécessaire pour cause de séparation ? Ce placement immobilier est important, puisque la maison vaut 2 000 livres et qu’il en paie 1 000 sur 10 ans avec un intérêt de 5 % par an ; il a vraisemblablement une incidence sur sa carrière de patron : en 1742, il commande l’allège Saint-Pierre de 60 tonneaux dont il est propriétaire de 6 parts avec six autres participes ; en 1744, patron sur l’allège Sainte-Marie de même tonnage que la précédente, il n’est plus propriétaire que de 5 quirats avec dix autres armateurs et en 1751, il fait construire un bâtiment analogue dont, en tant que détenteur de 3 quirats, il partage la propriété avec douze personnes.
99Le nombre de quirats qui peut constituer une partie de la dot est très variable : entre un et huit. Pierre Dimenche, lui, comme mari de Catherine Astruc, reçoit même, en paiement de sa dot, l’entière propriété de l’allège de son beau-père. Les parts de bateau peuvent aussi faire l’objet d’une donation par un autre membre de la famille : le patron Jean Charles remet, lors du contrat de mariage de sa nièce Marguerite Aude, avec Antoine André, 8 quirats sur la barque qu’il commandait ; celle-ci est alors conduite par le jeune époux, l’oncle gardant cependant une participation de 7 quirats. Veuve d’un patron, Catherine Eyraud fait donation, au contrat de mariage de sa nièce, de 12 quirats et du droit de patronage de la barque de son défunt époux, au mari de celle-ci. Il s’agit probablement, dans ces deux cas d’oncle64 et de tante sans héritiers susceptibles de recueillir cette partie d’héritage ; cette formule leur permet de faire preuve de libéralité vis-à-vis d’une parente et de conserver une partie du capital qui est alors géré par un proche. Jeanne Gilles qui donne en dot à sa fille 4 quirats sur la barque de son père défunt et en conserve 12 pour elle, agit de manière semblable. En quelque sorte le jeune, ou parfois le tout nouveau, patron fait ses premières armes grâce à l’aide de la famille, la sienne ou celle de son épouse, mais aussi sous le contrôle de celle-ci, puisque, commandant le bâtiment, il doit rendre des comptes à ses actionnaires au nombre desquels se trouvent des parents.
100C’est aussi ainsi qu’on peut concevoir la remise d’une barque d’un père à son fils : une sorte de mise à l’épreuve pratique de ce dernier avant qu’il ne devienne, à son tour, le chef de famille et le patron de l’entreprise. Ainsi, François Gasquet, 24 ans, et Claude Marchon, 28 ans, sont employés comme « apostifs » – patrons sans participation à la propriété du bâtiment –, respectivement par leur père et beau père. La réception du fils « en qualité de maître et patron de navire » est pour certains pères l’occasion de remettre « sa barque pour la commander à son lieu et place en qualité de maître et patron » : ainsi font Jean Dumas pour son fils Guillaume, âgé de 33 ans, et Jacques Baudet pour le sien, Pierre, de 35 ans, en 1707. Cette remise, s’accompagne de celle des 10 quirats que chacun des pères possédait sur le navire ; ici, les fils remplacent en tout leur père. Entre ces deux extrêmes, la transmission de l’instrument de travail peut prendre la forme d’un partage en parts égales du capital entre le père et son successeur : les deux Jean Bilhon, père et fils, se partagent par moitié la propriété de l’allège Notre-Dame-de-Grâce que commandait auparavant le père ; c’est à l’occasion du mariage de son fils Claude de 25 ans que Joseph Rousseau lui remet, en 1724, la moitié de son allège et son commandement.
101Un seul des fils peut hériter de la conduite de la barque du père mais celui-ci peut aussi en décider, de son vivant, la remise successive à plusieurs d’entre eux. Guillaume Bonnet a trois fils patrons, Louis, l’aîné, et deux frères prénommés Jean ; l’un des Jean possède en commun avec son père la moitié de la barque Saint-Jean dont il assure la conduite ; en 1692, il remet le tout à son père pour acheter son propre bâtiment. Guillaume remet alors la barque à son fils Louis qui décède quatre ans plus tard. Le navire échoit alors à Jacques Hermitte, époux de l’une de ses filles : le gendre reçoit la moitié de la barque et son patronage ; le beau-père a alors 73 ans et ne peut plus exercer ses fonctions de patron. Rien n’est dit au sujet de l’autre fils Jean qui pourtant est vivant en 1696 ; a-t-il quitté la profession ? A-t-il embrassé celle de son beau-père ? A-t-il quitté la ville, la paroisse ? Au milieu du XVIIIe siècle, Claude Fouque agit de manière analogue, en remettant successivement à ses deux fils le commandement de son allège.
102Au décès du père, plusieurs schémas de succession pour la conduite du navire paternel se présentent. En 1689, Vincent Chanteloube mort, c’est l’aîné de ses fils Jean, qui commande la barque que le père avait fait construire ; il ne possède aucune part de celle-ci, alors que sa mère, veuve de Vincent, en détient 12 quirats et demi. Les déclarations ultérieures nous apprennent que la situation était transitoire, Jean étant alors le seul à pouvoir « faire travailler » la barque, puisque ses frères cadets étaient trop jeunes au décès du père ; en 1690, l’héritier du père, Esprit, encore matelot, a 25 ans ; son frère Jean lui remet la barque dont il prend le commandement et sur laquelle il hérite de 18 quirats et demi, les autres étant aux mains de leur sœur Marie et de deux autres actionnaires. Jean, un an plus tard, achète six parts sur la barque d’un patron qui quitte la mer, et en prend la conduite. Deux autres frères, Pierre et Jean, sont aussi patrons, mais tous ont été écartés de cette partie de l’héritage du père. La transmission peut aussi être plus équitable : ainsi, Boniface Fage, patron de la barque construite par son père, en possède 6 quirats et ses trois frères, respectivement, écrivain de barque, marinier et patron de pêche sont actionnaires chacun au niveau de 2 ou 3 quirats ; en 1698, Henri Rebec, comme héritier de son père Jean, reprend la barque de ce dernier à 24 ans, mais les 16 parts du père sont partagées également entre Henri et son frère Jean. La barque peut aussi être gardée en indivision entre la veuve du père et un fils : ainsi, Jean Bernard et la veuve de son père qui est, à la fois sa marâtre et sa belle-mère – presque sa mère, puisqu’il a été marié à 15 ans avec sa fille –, héritent en commun de 22 quirats de la barque du père ; ils poursuivent leur association car, lorsque la vieille barque du père est démolie, ils ont encore, en indivisis, 15 quirats sur la nouvelle que Jean fait construire. On a parlé de la puissance paternelle, mais, au décès du père, l’autorité et l’initiative de la veuve peuvent se dévoiler : ainsi Jeanne Eyrier, veuve du patron Guillaume Janet, fait construire une barque pour son fils Louis, héritier de Guillaume, barque dont elle est entièrement propriétaire ; pendant que Louis est sur les vaisseaux du roi, elle fait conduire l’allège, qu’elle a appelée Saint-Louis, par son propre frère Antoine, préservant ainsi les intérêts de son fils. La mort d’un patron encore jeune, laissant des enfants en bas âge, peut imposer à la veuve la vente du bâtiment du défunt. Thérèse Eyme, veuve de Mathieu Guinchet, déclare, lors de l’inventaire après décès de son époux, en 1736, qu’elle a
reçu la somme de 8 600 livres pour le prix de la barque de son feu mari qui fut évaluée […] attandu qu’elle n’était point en état de faire valoir et profiter ladite barque alors le dépérissement était nuisble par un plus long délay de s’en défaire, y ayant été conseillée et comme contrainte par les propres participes sur le corps de la barque65.
103Le décès d’un patron peut être alors l’occasion pour un matelot d’accéder à la conduite d’une barque, en achetant à la veuve une partie du capital et le droit de patronage de l’embarcation de son défunt époux, comme le font les matelots Julien Boyer et Gaspard Berbesier ; ils sont tous deux âgés de 26 ans et le greffier de l’Amirauté note qu’ils doivent66 rapidement se faire recevoir patrons.
104Tous les exemples qui précèdent montrent, au travers des stratégies de sa transmission, l’importance de cette partie du patrimoine. Celle-ci ne se limite pas à la ligne directe père-fils ou beau père-gendre mais concerne plus largement la famille. Dans la mesure du possible, la barque reste en son sein : frères ou oncles sans héritiers la remettent à l’un de ses membres. La forte reproduction professionnelle au sein d’une même famille peut alors se maintenir car les fils qui n’héritent pas de la barque, peuvent en obtenir une à exploiter dans le groupe formé par la famille et les alliés. La transmission du bâtiment au décès du patron n’écarte en général pas sa veuve qui en garde quelques parts, lui assurant une sorte de capital retraite qui revient ensuite à ses descendants.
105Conserver le patrimoine transmis par les générations précédentes, l’augmenter et accroître le prestige de la famille est l’objectif vers lequel tendent les différents choix faits par le père. Nous avons essayé, dans un dernier paragraphe, de déceler, au travers de quelques trajectoires familiales, l’utilisation combinée des divers moyens qui ont permis à ces lignées d’entrer dans l’élite urbaine.
Quelques itinéraires vers une promotion sociale réussie
106Les fondateurs des dynasties les plus anciennes pour lesquelles ont été relevés des éléments de promotion sociale, sont nés dans les années 1610-1630 (il n’a pas été possible de remonter plus avant dans le temps). L’évolution du statut social est progressive : les deux activités de patron et de marchand sont tout naturellement associées étant donné le large éventail de responsabilités du patron. Dans la titulature, le changement se fait progressivement au cours de la vie et même au delà : Raymond Fournier est matelot en 1670, patron à sa mort en 1685 et il est désigné comme marchand en 1692 lors du mariage de l’une de ses filles. Le registre d’évaluation des biens fonciers qu’il possède fournit le chiffre de 4442 livres qui dépasse et, d’assez loin, celui des autres patrons et pêcheurs. Ce patron ne semble pas avoir de fils vivant et il établit fort bien ses filles : Louise entre, à 14 ans, dans la famille Gabriel, en épousant Trophime, marchand comme son père Lange. Sa sœur, Lucrèce, en 1692, convole avec Michel Jacquin qui est bourgeois ; le titre de marchand qui a servi à désigner Raymond s’explique dans le contexte de cette alliance. Cependant, d’autres Fournier, marchands, apparaissent lors de baptêmes des enfants des filles ; on peut penser qu’il s’agit de parents de Raymond : la famille est probablement déjà tournée nettement vers le négoce. Les enfants de Louise et de Trophime Gabriel réalisent, ce qu’on trouve à plusieurs reprises dans les familles de navigants, l’alliance de la marchandise et du commerce maritime puisqu’ils ont un fils marchand et un gendre patron. Dans la famille Ducrest, le père Maurice, né au début du siècle, est déjà patron ; il a deux fils patrons. L’aîné Guillaume a environ 50 ans en 1686 ; il a quitté la mer et est magasinier. Il semble n’avoir qu’une fille, prénommée Danie, qui épouse un marchand qui sera bourgeois quelques années plus tard. Ce Guillaume est qualifié de bourgeois en 1701 puis, à nouveau, en 1704, au décès de son épouse, de marchand. L’autre fils, Jean est et reste patron de barque, ses enfants tous morts en bas âge, cette branche s’éteint. Les deux frères ont des activités complémentaires tout comme les descendants de ce Pierre Gabriel, patron et marchand, constituent deux branches, l’une de patrons de barque, l’autre de marchands ; l’imbrication des deux activités se retrouve au fil des générations. Même constat chez les Guinchet et les Fouque : l’ancêtre Claude, dans les deux cas, a un fils marchand et un autre patron. Honoré Guinchet est patron, son frère, Honoré aussi, est marchand, installé à Beaucaire ; Jean Fouque est patron et son frère Jean, est marchand, en fait, charcutier. Le terme de marchand s’emploie dès qu’il y a vente d’une quelconque marchandise : la vente de produits fabriqués dans le cadre d’un artisanat ou celle d’un surplus de production agricole suffit à qualifier celui qui opère ces ventes de marchand. Un patron est alors toujours, selon cette utilisation du terme, un marchand ; le glissement de patron vers marchand suit une pente naturelle.
107En raison de l’utilisation peut-être trompeuse, au niveau de l’interprétation en terme de hiérarchie sociale, du mot marchand, il convient de restreindre le critère d’appréciation à des signes plus fiables de l’ascension sociale tels les qualificatifs de négociant ou de bourgeois et la détention d’une ferme ou d’un office. Ces étapes jalonnent la vie des hommes d’Ancien Régime qui ambitionnent d’atteindre le modèle aristocratique. Compte tenu de la modestie des revenus procurés par le patronage d’un bâtiment et plus encore par les capitaux placés dans l’armement, selon les évaluations faites plus haut pour le second XVIIIe siècle, on peut se demander comment une lignée de patrons de barque peut atteindre cet objectif. Les exemples rencontrés sont rares, mais leur existence permet de conclure à la possibilité d’une telle ascension. On a noté l’allusion de Louis Arnaud relative aux droits et privilèges attribués aux patrons selon un usage déjà ancien à cette date, lorsqu’il remet, en 1703, à son gendre le patronnage de sa barque, donation qui entre dans la composition de la dot de sa fille. En se fondant sur ces avantages, on peut ainsi expliquer que l’activité de matelot permette de dégager des ressources suffisantes pour acheter quelques parts de navire. Les fonctions de patron, marchand et transporteur, complétées par les revenus perçus en tant que propriétaire d’une partie au moins de l’outil de travail, et grâce aux prérogatives mentionnées, autorisent les plus habiles et ceux auxquels la fortune sourit, à envisager l’accumulation de capitaux susceptibles de permettre l’obtention de la ferme de certains revenus ou l’achat d’un office pour eux-mêmes ou leurs fils.
108On peut, aussi, ainsi qu’A. Collomp l’a proposé pour les artisans, en particulier les muletiers, de Saint-André-des-Alpes, chercher un autre facteur à l’enrichissement de certains patrons d’Arles qui leur ouvre les voies de l’ascension sociale. La multiplicité dans les registres de notaires des actes de ventes d’achats ou d’arrentements de terres, mas, vignes et olivettes, passés par ou en faveur de marins et de pêcheurs, montre leur extrême proximité avec l’activité agricole. L’enregistrement des biens fonciers possédés par les habitants de la communauté renvoie à un constat similaire. Terres et vignes, parfois complantées d’oliviers se vendent, s’achètent et se louent. L’importance de ce type d’achat dans la vie des gens de mer est telle que Jean Chabassieu n’hésite pas, en 1748, à payer 1 730 livres une vigne en Camargue, précisant bien que le numéraire qu’il fournit « provient de son travail et négoce à la mer »67. Dans la société d’Ancien Régime, où l’autarcie prédomine, le faire-valoir direct ou indirect de terres permet aux hommes de vivre sans bourse déliée. Ainsi, comme les artisans de Saint-André, les patrons arlésiens,
ont un gros avantage sur les agriculteurs vivant de leurs terres, ou même les ménagers. Aux productions de leurs terres, ils ajoutent un apport en numéraire lié à leur art68.
109Ce modèle ne semble cependant pas celui adopté par les lignées dont l’ascension sociale est notable : ni les Boulouard69, ni les Guez, ni les Delon, pourtant patrons à la fin du XVIIe siècle, n’apparaissent parmi les propriétaires fonciers en 1686. Force est de constater que certains marins d’Arles, ne se contentant pas de la rente foncière, ont, entre la fin du XVIIe siècle et le milieu du siècle suivant, accru leur fortune différemment. Ces mêmes noms sont ceux qui se rencontrent le plus fréquemment dans les listes d’armateurs des bâtiments échangés à Arles. L’achat de parts sur grand nombre de navires permet à la fois la dispersion du capital et son roulement ainsi que la diminution des risques qu’il court. Il s’agit d’une méthode éprouvée par les bailleurs de fond dans le domaine maritime où le risque de perte et d’avarie est grand.
110Entre la fin du XVIIe siècle et le milieu du siècle suivant, près de 30 % des déclarations d’achat de bâtiments, neufs ou d’occasion, échangés au port d’Arles, mentionnent au moins un membre des trois familles Boulouard, Delon ou Roubion. En terme de quirats, on peut considérer, grossièrement, que ces trois groupes familiaux détiennent 6,4 % des parts de tous les bateaux vendus à Arles. Nous avons partagé la période 1689-1758 en deux, avec comme césure 1730, car il nous est apparu que c’est autour de cette décennie que les patrons de ces familles s’éloignent de la navigation : l’armement n’est plus alors directement lié à l’exercice de leur profession mais un placement. Dans les années qui suivent, et jusqu’en 1758, date de fin de la tenue du registre, ces trois familles à elles seules détiennent environ 10,5 % des parts des navires échangés au port. Nous avons évalué le maigre rapport d’un quirat sur quelques barques dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, époque où les conditions de navigation et les possibilités de fret disponible s’étaient alors dégradées ; on peut toutefois penser que celles-ci étaient meilleures dans la première moitié du siècle, en mettant en relation l’importance de la participation à l’armement et l’évolution sociale de ces familles. La comparaison entre la fréquence de la présence des familles considérées parmi les quirataires et celle du nombre de quirats détenus par navire montre clairement que ces investisseurs achetaient un nombre limité de parts sur de nombreux navires ; celles-ci s’échangeaient probablement rapidement, car plus l’embarcation viellit plus elle coûte cher en entretien, ne fournissant alors aux actionnaires qu’un revenu faible, voire négatif. Au-delà de la recherche de profit, ce type de placement procure prestige et notoriété aux investisseurs ; ils se constituent une sorte de clientèle chez les matelots et patrons qui font appel à eux pour financer l’achat ou la construction d’un bâtiment. On peut aussi concevoir qu’ils en retirent des avantages dans leurs affaires commerciales : les rapports qui s’instaurent entre le patron qu’ils ont en quelque sorte obligé et eux, leur permettent d’être en position forte dans les négociations sur le montant du fret et, plus généralement, sur les conditions de transport de leurs marchandises.
111Les Boulouard constituent la famille dont l’ascension sociale est, de loin, la plus brillante entre le milieu du XVIIe et la fin du XVIIIe siècle. Le patronyme n’apparaît pas dans les sources consultées avant 1650. À cette date, Maurice Boulouard emprunte 200 livres à un marchand, pour avitailler son navire, une tartane du nom de Saint-Louis-Bonaventure, et avec laquelle il s’apprête à partir pour Gênes ; en outre, il dispose, déjà, de numéraire en suffisance pour prêter à un ménager. En 1657, il est patron de barque et sa barque est alors nolisée, en compagnie de celles d’autres patrons, par la Communauté, pour transporter du blé de Narbonne à Arles, ainsi que pour acheminer des troupes à Port Cros lors des derniers soubresauts de la guerre de Trente Ans. À la génération d’après, on trouve deux enfants adultes : Jean qui, lors de son mariage en 1675, est tanneur avant d’embrasser ensuite la carrière de son père et sa cadette, Magdeleine, qui épouse en 1692, un marchand tanneur de Trinquetaille, faubourg d’où sont aussi originaires les Boulouard. Jean a la chance d’avoir une nombreuse descendance masculine de ses deux mariages ; l’ascension de la famille se dessine alors. Jean s’allie en premières noces à une Fouque, issue d’une lignée de patrons dont la famille est comparable à la sienne. De cette union naissent cinq fils qui atteignent l’âge adulte ; quatre sont patrons, Claude, Blaise, Jean et Antoine et, le dernier, prénommé Jean aussi, est marchand. Claude et Blaise suivent la voie paternelle, se marient dans le milieu maritime : Claude épouse une fille de patron et Blaise une fille de maître d’ache. Ils décèdent jeunes et leur descendance s’éteint. Jean et Antoine se marient le même jour, l’un avec la fille d’un ménager, l’autre, avec celle d’un artisan, dont la famille est alliée à plusieurs reprises avec les Fouque. Si Jean et ses descendants demeurent patrons, Antoine, désigné comme patron jusqu’en 1733, devient commerçant dans les actes ultérieurs signifiant que ses activités commerciales se sont développées ; aidé de son fils Antoine (1729-1771) négociant, elles prennent une envergure notable puisqu’entre 1760 et 1770, ils sont commissionnaires d’une importante firme marseillaise, la maison Roux. Quant au second Jean (1690-1774), il est marchand à Beaucaire. On le retrouve ensuite à Arles, marié à Élisabeth Leyton, où il est en 1734, trésorier des Invalides de la Marine puis commissaire des vivres de la Marine au mariage de son fils aîné en 1748 ; cette même année, il est qualifié de marchand bourgeois du lieu de Trinquetaille, fermier général de l’Archevêque. Cette branche est celle qui connaît l’ascension sociale la plus brillante. Jean-Pierre (1724-1777), ce fils aîné, épouse Marie d’Icard, fille de Pierre qui est avocat ; si le montant de la dot est élevé, 25 000 livres, la donation faite par le père à son fils l’est encore beaucoup plus : 70 000 livres. Le jeune ménage doit s’installer chez Jean Boulouard qui fournit à sa belle fille une pension annuelle de 300 livres pour ses menues dépenses ; en cas « d’insupport », le père s’engage à verser au couple 24 000 livres par an, sans pour autant supprimer la rente de 300 livres faite à Marie d’Icard. Les sommes en jeu montrent bien le niveau de fortune acquis par cette branche. L’alliance avec la noblesse se concrétise à la génération suivante. Jean-Pierre qui est commerçant, puis négociant, et sa femme, ont un fils et deux filles : Pierre, l’aîné, commissaire aux vivres de la Marine comme son grand père, épouse Marie Allier de Hauteroche ; Jeanne, par son mariage avec François de Guilhem, entre dans la famille des Clermont Lodève et Françoise est mariée à un avocat, Jean-Paul de Laugeret. Le cadet de Jean, prénommé Siffren, comme son grand père Leyton, (1732-1793), est aussi commerçant et négociant ; il aura, en outre, une carrière politique puisque, membre du conseil de ville, il sera ensuite député du Tiers État arlésien en 1789. Son fils Jean né en 1771, après sa sortie du collège, part aux Indes sur un navire marchand, « de retour en France en 1793, il est emprisonné à Avignon et Marseille où il retrouve son père condamné à mort par le tribunal révolutionnaire »70. Sorti de prison, il sert dans l’administration des vivres pour l’armée. En 1826, il se fixe à Arles où il est maire à plusieurs reprises.
112Une branche de la famille a été laissée dans l’ombre : Jean, tanneur puis patron à la fin du XVIIe siècle, veuf d’Honorade Fouque, convole à nouveau et encore avec une fille de patron. En 1696 et 1699, naissent Magdeleine et Charles. La première épouse probablement Henri Rebec, patron, fils et petit fils de patrons, et qui est négociant, au mariage de sa fille avec un marchand droguiste ; celle-ci, Lucrèce, reçoit, en 1748, une confortable dot de 15 000 livres. Charles est, comme son père et la plupart de ses demi-frères, patron ; il s’allie, en 1722, à Anne Fouque, nièce d’Honorade, la première femme de son père. Leurs quatre fils sont reçus capitaines, Claude l’aîné, à Arles, les autres, à Marseille, entre 1742 et 1767. Claude quitte la mer en 1758 pour se consacrer au commerce du bois dans la cité phocéenne ; dans la même ville, les trois autres frères poursuivent leur carrière aux commandes de navires aussi bien en Méditerranée qu’en Atlantique.
113Dans le cas de la famille Boulouard, comme dans les exemples précédemment cités, le premier barreau de l’échelle est franchi lorsque l’aspect commercial de la profession de patron prend le pas sur le côté technique du patronage de la barque. L’appui d’un frère marchand est un atout non négligeable pour un patron : Antoine Boulouard, en relation d’affaire avec Marseille, peut compter sur son frère Jean, marchand dans la ville où se tient la grande foire de la Sainte Magdeleine ; en 1732, Antoine fait construire une allège dont il partage la propriété avec Jean, le marchand. La solidarité ne joue pas seulement entre ces deux frères, mais plus largement entre tous : Jean, le patron, acquiert, en 1723, une tartane de 80 tonneaux sur laquelle il possède 6 quirats, avec l’aide de son frère Jean, le marchand, détenteur du même nombre de parts ; Charles achète, en 1734, un pinque neuf de 100 tonneaux, son demi-frère Jean, négociant, en est propriétaire de la moitié71. Il en est vraisemblablement de même pour les Guinchet : Honoré, patron, a un frère Honoré, aussi marchand à Beaucaire, leur neveu Mathieu, patron puis, capitaine de barque est qualifié au mariage de sa fille, en 1754, de négociant. Il est vrai qu’à cette date il est mort et que le qualificatif est peut-être ajouté de manière opportune puisque sa fille épouse un négociant, fils d’un conseiller du roi, maire de Bagnols. Jean Besson, patron, fils de patron, est qualifié de marchand en 1715, lors de la naissance d’une fille ; il a deux frères, l’un, Jean, est marchand et l’autre, Pierre, est commissaire du roi en la Marine. Les premiers échelons de l’ascension sociale sont en place comme pour les Boulouard ; la généalogie verticale n’a pu être poursuivie pour les Besson, mais on note que le lieutenant général civil et criminel au siège de l’Amirauté d’Arles est, à partir de 1740, un sieur Jean Besson. Offices, fermes, parfois cumulés, ne sont accessibles qu’à un certain niveau de fortune mais une fois acquis, ils contribuent à accroître celle-ci. On a vu Jean Boulouard, fermier général de l’Archevêque, commissaire aux vivres et trésorier des Invalides ; il s’est introduit dans deux secteurs disponibles à Arles : la Marine et l’archevêché. Jacques-Julien Guez, fils du patron Joseph et petit fils du patron Julien, se place dans un troisième domaine : en 1743, il est contrôleur des fermes royales. Ses deux frères sont patrons, mais son neveu Claude, qui est négociant, est détenteur du même office en 1776. Dans cette famille, plusieurs alliances avec des filles de ménagers ont, certainement, contribué à augmenter le patrimoine familial72. Étienne Delon, dont on a vu le rôle important dans l’armement, est patron comme son père ; à partir de 1736, il apparaît dans les actes comme négociant. Il est, en outre, un des fermiers du pont à bateaux d’Arles. Le mariage de sa fille Marguerite, en 1737, avec le fils d’un bourgeois le hisse dans l’échelle sociale ; ascension qui semble se poursuivre, puisque dans l’acte de décès de son fils Claude Delon, prêtre, Étienne est qualifié de bourgeois.
114Deux autres exemples sont plus atypiques. Honoré Roubion, actionnaire important des bâtiments échangés au port d’Arles dans la première moitié du XVIIIe siècle, est fils de Jean, simple marinier lorsqu’il meurt de la peste en 1721 ; en 1686, les biens fonciers de ce dernier se montent modestement à 264 livres. Honoré semble être le seul enfant du premier lit ; ses demi-frères sont l’un pêcheur, l’autre patron. En 1716, Honoré, patron, épouse Gabrielle Tourniaire, fille d’un marchand ; en 1737, il marie sa fille Philise avec le fils d’un bourgeois, il est alors, lui-même, négociant. Puis, veuf, il se remarie en 1741, avec la demoiselle Gabrielle Robolly, fille de Dominique, avocat. Sa réussite sociale, peut trouver une explication dans le soutien de sa première belle famille : en effet, l’année de son mariage, en 1716, il achète une tartane d’occasion avec la participation pour 8 quirats, de son beau-frère Jean Tourniaire, maître boucher, situation qui se retrouve trois ans plus tard lorsqu’Honoré fait construire un pinque de 2 000 quintaux. À cela peuvent s’ajouter des succès personnels, à la fois dans l’exercice de sa profession et dans les placements qu’il a faits. On peut très vraisemblablement mettre en rapport la fréquence élevée des tartanes à l’armement desquelles il participe et des revenus fructueux. En effet, la famille Roubion participe à l’armement de 52 navires, dont 22 sont des tartanes, soit près de la moitié alors que la partition de la flotte arlésienne entre allèges et tartanes est d’environ trois quarts pour les premières et un quart pour les secondes. On peut y voir un choix d’investissement : les tartanes, plus petites que les allèges, sont utilisées pour des destinations plus lointaines, desservies par un cabotage à plus long rayon d’action ; ce type de navigation, bien que plus risqué, est certainement plus lucratif73.
115Le cas d’Ambroise Sauvan se rattache davantage aux exemples fournis pour la fin du XVIIe siècle : enrichissement foncier, suivi d’alliances porteuses de capital prestige. Jean Sauvan est maître d’ache, ses biens fonciers se montent à 4 348 livres en 1686. Il établit ses deux filles, Honorade en 1689 et Marguerite en 1699. La première est mariée à un arpenteur juré dont le père exerçait la même profession ; la seconde épouse Jacques Pourtrait, fils de sieur Louis Pourtrait, garde marine originaire d’Aix. Ambroise, le cadet, est boucher en 1713, puis il devient patron lors de son mariage avec la fille d’un patron. En 1748, il est négociant lorsque son fils Jean, aussi négociant, épouse la fille d’un avocat. Héritier de son père de biens fonciers, il choisit de diversifier ses placements car, entre 1730 et 1758, Ambroise intervient comme participe sur près de 6 % des navires échangés à Arles et est propriétaire de 0,5 % des parts de ceux-ci.
116L’activité des gens de mer a été considérée ici sous son angle professionnel et observée comme potentiel ascenseur social. Le métier commun, les rythmes qu’il impose, les dangers qu’il oblige à encourir contribuent à l’émergence d’une identité forte et peuvent occasionner une marginalisation des populations qui l’exercent. Quels sont les éléments qui, à Arles, conduisent à l’exclusion et au renforcement du repli du groupe sur lui-même et, au contraire, ceux qui favorisent l’intégration à la vie de la cité ?
Notes de bas de page
1 ADB du R., 401 E 256, f° 530 v°, le patron Pierre Vidau met son fils en apprentissage chez un maître d’ache. 404 E 683, f° 356, Marguerite Gallotaire, veuve du patron François Faure, envoie son fils en apprentissage chez un maître peintre.
2 BMA, ms. 1500, f° 25 v°.
3 BMA, ms. 1500, f°33. Document intitulé « En la cause des confrères de la confrairie de Monsieur Saint Pierre impétrant en demande en lettres royaux contre les recteurs de l’hôpital de la présente ville ».
4 Ibid., f° 66.
5 ADB du R, 401 E 35, f° 693 v, en date du 27/12/1582 : inscription marginale datant du 17/03/1584.
6 ADB du R, 401 E 110, f° 405 v°.
7 ADB du R, 404 E 858, f° 315.
8 AMA, GG 116.
9 A. Cabantous, Le ciel dans la mer. Christianisme et civilisation maritime, XVIe-XIXe siècles, Fayard, 1990, p. 52.
10 ACCM, D 4449-4450. R. J. Valin, Nouveau commentaire sur l’ordonnance de la marine…, op. cit., p. 801. Livre V, titre VIII, article IV : « Les pêcheurs de chaque port ou paroisse où il y aura huit maîtres et au dessus, éliront annuellement l’un d’entre eux pour garde juré de leur communauté ; lequel prêtera serment devant les officiers de l’Amirauté, fera journellement visite des filets et rapport aux officiers des abus et contraventions à la présente ordonnance ».
11 ADB du R, 404 E 912, f° 272 : en date du 07/08/1746, « … lorsqu’il est question du service de sa Majesté, l’état du dénombrement des pêcheurs se faisant ordinairement sur le livre de leur réception au corps… ».
12 ADB du R, 11 B 6.
13 Pour le détail des fréquences se rapporter aux occurrences figurant dans le texte complet de la thèse, tableau 6, annexe III.
14 A. Cabantous, Dix mille marins face à l’océan, La France au fil des siècles, Publisud, 1991, p. 224.
15 G. Buti, Activités maritimes et gens de mer à Saint-Tropez. Contribution à l’étude des économies maritimes, Thèse de doctorat sous la direction de A. Zysberg, Paris, 2000, p. 362-369.
16 A. Cabantous, « Apprendre la mer… », op. cit., p. 416. L’auteur indique que « des enfants de moins de 10 ans se rencontrent dans les équipages du Levant puisque l’ordonnateur de la Marine de Toulon, Vauvré, signale en 1711 que dans ce département les fils de gens de mer sont enregistrés comme mousses à partir de 8-10 ans ».
17 R. J. Valin, Nouveau commentaire…, op. cit., t. 1 p. 386.
18 Les patrons demandent à ne payer le droit des Invalides que « pour les matelots à salaire ou à la part non pour les mousses », AN, B/3/32, f° 143 v°.
19 R. J. Valin, Nouveau commentaire…, op. cit., t. 1, livre II, titre III, de l’écrivain, p. 476.
20 Ordonnance de la Marine d’août 1681, livre IV, titre III, reproduit en annexe, pièce n° 1, dans J. Ducoin, Naufrages, conditions de navigation et assurances…, op. cit., Article 4, p. 635.
21 AN, B/3/232, f° 133, en date du 12/01/1715.
22 BMA, ms. 111, Édit portant création d’un professeur royal d’hydrographie à Arles, 15/09/1696.
23 R. J. Valin, Nouveau commentaire…, op. cit., t. 1, p. 373.
24 Ordonnance de janvier 1629, article 434.
25 R. J. Valin, Nouveau commentaire, op. cit., t. 1, Livre I, titre VIII, du professeur d’hydrographie, p. 220.
26 Ibid., p. 220.
27 À cette date, il y avait déjà un professeur de mathématiques et d’hydrographie à Toulon, Marseille et Montpellier. À Saint-Tropez, l’école d’hydrographie n’ouvre qu’en 1790.
28 BMA, ms. 111, en date du 15/09/1696.
29 BMA, ms. 260.
30 Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, article « épacte » : « nombre qui exprime l’âge de la Lune au 31 décembre de chaque année et qui indique combien il faut ajouter de jours à l’année pour qu’elle soit égale à l’année solaire ».
31 BMA, ms. 260.
32 R. J. Valin, Nouveau commentaire…, op. cit., t. 1, livre II, des gens et bastiments de mer, Titre 1, du capitaine, maître ou patron. p. 374, ordonnance du 15/08/1725.
33 AN, C/4/47, en date des 22/09/1733 et 03/06/1733.
34 R. J. Valin, Nouveau commentaire…, op. cit., t. 1, livre II, p. 374.
35 Il se nomme Pierre Artigue et nous est apparu de manière indirecte dans les sources : nous l’avons rencontré comme parrain d’enfants de navigants.
36 À titre de comparaison, l’âge moyen de réception comme capitaine est de 29 ans, à Saint-Valéry-sur-Somme et au Havre, à la fin du XVIIIe siècle. Les fils de capitaines sont reçus plus jeunes que les autres, à 25-26 ans, les fils de négociants à 28-29 ans, ceux de matelots à 30 et les autres à plus de 30 ans. A. Cabantous, Dix mille marins…, op. cit., p. 238.
37 On rappelle que l’étude des registres de catholicité ne s’est faite que sur trois paroisses. Un dépouillement exhaustif pour toutes les paroisses augmenterait probablement ce chiffre.
38 R. J. Valin, Nouveau commentaire…, op. cit., t. 1. Livre second, titre 1, du capitaine, maître ou patron. p. 373.
39 AN, B/3/232, f° 128 v°. Dans la lettre qu’il adresse le 09/12/1715 au conseil de la Marine, le commissaire aux Classes souligne que le défaut de payement des nolis dus pour le transport des munitions du roi a mis plus d’un patron dans cette situation.
40 W. Kaiser, Marseille aux temps des troubles, 1559-1596…, op. cit. p. 68.
41 AMA, CC 87, f° 392.
42 L’analyse de la destinée de quelques-unes de ces familles est proposée en fin de chapitre.
43 Les chiffres figurent en annexe, dans le tableau 10.
44 On y a adjoint 24 mariages célébrés à Saint-Laurent et à Saint-Pierre entre 1662 et 1669 et un contrat de mariage de 1650 pour prolonger les lignées, ADB du R, 405 E 862 f° 1.
45 Les informations se trouvent en annexe, dans le tableau 11.
46 ADB du R, 11 B 6. La mention de la transmission de la barque comme élément d’une dot se rencontre à 5 reprises sur 491 enregistrements.
47 94 et non 111, en ne tenant compte que des grands-pères marins ou pêcheurs.
48 Abbé M. Chaillan, L’enseignement à Arles avant la Révolution, Bergerac, 1938, p. 89-193.
49 Les résultats se trouvent dans le texte complet de la thèse dans les tableaux 17, 18 et 19 situés dans l’annexe III.
50 E. Fassin, Les marins d’Arles pendant la période révolutionnaire…, op. cit., p. 14. Les comptes de l’Aimable Colombe sont proposés pages 12-15. Une moyenne annuelle calculée sur six ans de 866 livres, fournit un salaire mensuel d’environ 72 livres. La conversion livres-francs a été faite par l’auteur sur la base : « un franc vaut une livre, trois deniers soit 20 sous et un quart de sou ».
51 A. Cabantous, Dix mille marins…, op. cit., p. 245.
52 ADB du R, 39 E 61 : sur les sept ans qui s’écoulent entre 1765 et 1771, les travaux sur la barque absorbent tous les bénéfices et coûtent en moyenne par quirat, à chaque participe, près de 18 sols.
53 E. Fassin, Les marins d’Arles…, op. cit., p. 16-17. La moyenne a été calculée à partir des salaires annuels des matelots fournis dans le document. La somme produite par un quirat a été calculée à l’aide du chiffre de 504 livres 12 sols 10 deniers rapporté à 18 ans et demi.
54 Cette hypothèse repose sur le nombre moyen de quirats possédés par un patron, tel qu’il ressort de l’étude du registre d’armement, ADB du R, 11 B 6.
55 AN, B/3/238, f° 384, en date du 01/06/1716.
56 ADB du R, 11 B 4, le subrogé du lieutenant de l’Amirauté aux Saintes-Maries-de-la-Mer s’exprime ainsi, dans sa sentence provisoire du 14/04/1717 : « attandu qu’il s’agit du travail de pauvres pêcheurs qui n’ont moyen de vivre que de leur pesche ».
57 Parmi les quirataires, les anciens commandants du bâtiment et les anciens patrons sont au nombre de 3 entre 1689 et 1719, sur un total de 471 quirataires issus du milieu maritime (0,64 %), alors qu’ils sont 23, sur un total de 443, dans la seconde moitié de la période (5,20 %).
58 BMA, ms. 260, f° 10.
59 ADB du R, 405 E 1036, f° 492 v°, en date du 15/10/1703.
60 ADB du R, 403 E 238, f° 473 v°, 1582.
61 A. Collomp, La maison du père. Famille et village en Haute Provence aux XVIIe et XVIIIe siècles, PUF, 1983, p. 82.
62 ADB du R, 405 E 1036, f° 208, 1703.
63 ADB du R, dépôt d’Aix-en-Provence, 5 B 745, f° 121 v°, 1759.
64 L’hypothèse de l’absence d’héritier direct est confirmée par le fait qu’au décès du patron Jean Charles, en 1699, c’est sa sœur Marguerite qui est son héritière.
65 ADB du R, dépôt d’Aix-en-Provence, 5 B 738, f° 552-568.
66 ADB du R, 11 B 6, 16/06/1689 et 24/05/1690.
67 ADB du R, 401 E 382, f°942 v°.
68 A. Collomp, La maison du père…, op. cit., p. 260.
69 Exception faite de la veuve de Maurice Boulouard, Gilette Faure, qui apparaît dans le registre des biens fonciers détenus par les habitants d’Arles en 1686, elle est à la tête d’un capital de 2 742 livres, AMA, CC 87.
70 BMA, Abbé M. Chaillan, L’enseignement à Arles..., op. cit., p. 75.
71 ADB du R, 11 B 6. La solidarité ne se limite pas au soutien que s’apportent les frères entre eux, mais elle joue aussi entre oncles et neveux.
72 Sur les trois fils de Julien Guez et de Catherine Aymard, trois sont marins : Guillaume-Joseph ne semble pas s’être marié, Honoré et Joseph épousent tous deux des filles de ménagers.
73 En 1715, le commissaire aux Classes souligne avec insistance la volonté des « meilleurs patrons [qui] ont fait construire d’autres bâtiments que des allèges pour s’éloigner de cette rivière », AN, B/3/232, f° 156. Perdu pour le service royal, le bâtiment avec le patron reste « à Marseille pour faire le commerce du Levant et des Costes », Ibid., f° 154.
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