Introduction
p. 5-20
Texte intégral
1La majorité des gens connaissent Arles aujourd’hui pour ses magnifiques ruines romaines, pour ses superbes hôtels des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, d’autres pour sa non moins célèbre féria pascale. Mais qui voit dans la ville un port maritime ?
2Après avoir vécu dans deux grands ports fluvio-maritimes, Rouen et Montréal, la comparaison avec Arles, dont la situation géographique sur les bords d’un grand fleuve n’est pas sans analogie, s’est imposée. Mais, pour qui arrive dans la cité provençale et en parcourt les quais peu animés, le Rhône paraît désert. C’est pourtant l’un des plus grands fleuves de France, le seul qui relie la Méditerranée à l’intérieur du pays. Position enviable qui a fait, sous d’autres cieux, la fortune de grands ports comme Bordeaux, au débouché de la Garonne, Nantes, de la Loire ou Rouen, de la Seine, pour ne parler que de la France. La toute première question qui vient alors à l’esprit est celle de la relation de la ville d’Arles avec le large fleuve qui la traverse. Cette interrogation initiale a été à l’origine d’une thèse de doctorat soutenue devant l’Université d’Aix-Marseille I en 20051. Cet ouvrage en est la version allégée ; certains développements ont été abrégés, d’autres supprimés. De très nombreux tableaux et graphiques n’ont pas été reproduits. Nous nous sommes limitée à l’exposé des résultats auxquels notre enquête a abouti.
3La présentation des avantages de la position géographique de la ville est certes une banalité, il n’est qu’à regarder une simple carte de la région ; elle mérite cependant qu’on s’y arrête pour en mesurer l’importance au regard de la modestie du rôle économique actuel de la ville.
4En premier lieu, Arles, comme les grands ports précédents, mais aussi Séville, Londres ou Anvers se trouve au débouché d’un très grand fleuve. À l’interface entre Méditerranée et Rhône, Arles est, dans les époques qui nous ont précédés, un relais incontournable dans le trafic nord-sud : dans un sens, la dernière halte fluviale avant la mer ; dans l’autre, l’ultime ville que les navires de mer peuvent atteindre.
5Vecteur privilégié des échanges depuis l’antiquité, le fleuve draine, par la Saône les marchandises du nord et de l’Est de la France, voire de l’Europe, par l’Isère celles du Dauphiné et, par la Durance, celles des Alpes du sud, marchandises qui sont ensuite embarquées pour les rivages méditerranéens. Inversement, dans le sens sud- nord, les produits d’outremer collectés par Marseille, remontent le Rhône jusqu’à Arles où se produit la rupture de charge. Étape obligatoire pour assurer la liaison entre les vastes marchés que sont Marseille et Lyon, Arles, concurrencée par Tarascon et Avignon, veille jalousement à conserver le monopole de cette rupture. Au-delà de Lyon, par ramifications successives, la liaison fluviale, entrecoupée de petits trajets terrestres, permet de gagner la Suisse d’un côté, la Loire puis Orléans et Paris d’un autre. Grâce au lacis de canaux creusés « le long des étangs de Thau, Vic, Mauguio et dans l’espèce de milieu amphibie séparant le Mauguio du Petit Rhône »2, Arles est aussi reliée par voie d’eau au Languedoc et à Montpellier.
6La position stratégique de la ville et son importance pour le commerce fluviomaritime se sont trouvées confirmées et amplifiées au début de l’époque moderne par l’installation d’institutions comtales puis royales relatives à la fiscalité aux frontières du Royaume. En 1477, Arles devient le siège de la Maîtrise des Ports. Cette institution, créée par le roi René, était chargée des droits de douanes ; ces droits deviendront, en 1542, la traite foraine établie sur les frontières maritimes de Provence. À la Maîtrise des Ports se superpose, en 1555, une lieutenance d’Amirauté. Le siège d’Arles se trouve doté d’un lieutenant, d’un procureur du roi, d’un greffier et de deux sergents. Cette dernière institution, longue à se mettre en place, ne fonctionne réellement qu’à partir du premier tiers du XVIIe siècle. Les officiers royaux sont chargés de « veiller à empêcher les trafics prohibés, d’établir certificats, autorisations et congés nécessaires à l’entrée et à la sortie des navires »3. L’installation de ces différents sièges met en évidence l’importance de la ville au niveau des échanges économiques, au moins à l’époque où ils sont créés, mais, réciproquement, elle contribue à dynamiser les activités portuaires, ne serait-ce qu’en y instaurant un arrêt obligatoire pour la déclaration, la visite et l’établissement de divers papiers, congés, passeports, obligations.
7Cependant, en contrepartie de cette situation remarquable et, bien qu’Arles soit située aux embouchures du Rhône, la ville est à 40 kilomètres de la mer, kilomètres sur lesquels le fleuve s’étale en un large delta, constituant le territoire connu sous le nom de Camargue. Les difficultés de navigation dans cette zone sont de différentes sortes : les unes sont liées aux caractéristiques géomorphologiques du delta tels les atterrissements fluctuants aux embouchures qui causent un phénomène de barre et des modifications du cours du fleuve ; les autres sont dues aux conditions climatiques, – crues brutales, ou au contraire étiage, sans oublier les vents violents, en particulier le fameux mistral –, sans qu’on puisse totalement séparer ces deux composantes.
8Conséquence des phénomènes géologiques, le petit et le grand Rhône, au cours des siècles, glissent vers l’est : le petit Rhône voit son cours s’infléchir vers les Saintes-Maries-de-la-Mer et le grand Rhône gagner par étapes son cours actuel. L’époque moderne est témoin de deux bouleversements du cours principal du fleuve. En premier lieu, dans les années 1580 se déroule une crise hydrologique majeure, culminant en un formidable sommet en 1586-87, « le bras principal du Rhône change son embouchure et s’installe dans la partie de la Basse Camargue appelée Fume morte où se forme le Bras de fer »4. Dans les Annales de la ville d’Arles, l’abbé L. Bonnemant rapporte :
en cette année [1587] la rivière du Rosne passant encore devant et tout contre la tour du Ballouard où es toit son ancien lit, pour se descharger dans la mer, se fit une ouverture à travers le terroir de Fumemorte appartenant à la communauté, par laquelle s’allant aussi descharger à la mer, forma une toute nouvelle embouchure, par où les batteaux de mer commencèrent d’entrer dans ladite rivière avec plus de facilité qu’en l’ancienne qui venoit de ladite Tour de Ballouard, de manière que deslaissant enfin tout à fait ladite tour5, le conseil ordonna que l’on en édifierait une autre au bord du nouveau cours de ladite rivière, et tout proche du Tampan et de l’embouchure de la mer, laquelle ne fut construit qu’en l’année 16156.
9Puis, à une accalmie du cours du premier XVIIe siècle, succède une longue détérioration entre 1647 et 1711 ; « le sommet de la phase critique des eaux rhodaniennes montée par paliers depuis 1647 » se situe en 1708 ; il est suivi en 1709-1711 « d’une retombée relative de l’énorme poussée hydrologique avec conséquences morphologiques comme en 1587 »7. Crise hydrologique, remontée des eaux marines et subsidence se conjuguent alors : le Rhône cherche à se frayer un passage vers le sud-est ; en juillet 1709, à l’occasion d’une crue, le fleuve emporte « l’écluse du Canal Royal construit en 1706 par les fermiers des gabelles, appelé ensuite Canal des Launes »8. A l’automne 1710, Arles est sous les eaux, les Saintes-Maries-de-la-Mer sont menacées à la fois par le Rhône et par la montée des eaux marines et, en 1711 le fleuve fait irruption de manière définitive dans le Canal des Launes, occupant son lit actuel. La troisième phase de grande activité hydrologique se situe entre 1745 et 1795. Elle n’occasionne pas « de changement radical de la direction du lit majeur comme en 1587 et 1711, mais la création de trois nouveaux bras et embouchures (ou gras) à l’aval du canal des Launes, auparavant unique embouchure »9.

Carte 1. Changements du cours du Rhône à l’Époque Moderne.
Avant 1587 : Rhône de l’escale de Labeche débouchant en deux branches, le grau de Famaran et celui d’Enfer.
Entre 1587-1711 : Rhône du Bras de Fer débouchant au grau dans la Dent.
Après 1711 : cours actuel du Rhône, à l’est
10Outre sa position géographique, au débouché du Rhône, la ville a la particularité d’avoir un très vaste terroir, terroir que les hommes ont patiemment construit entre l’an mil et le XIIIe siècle ; les premiers canaux d’assèchement sont attestés dès le IXe siècle – mais l’archéologie du paysage suggère l’existence, dès l’époque romaine, d’une telle politique –, et les mentions de marais asséchés sont nombreuses à partir du XIe siècle.
11Arles est, actuellement, la plus vaste commune de France, avec 77 000 hectares ; à l’époque moderne, comptant Saint-Martin-de-Crau, Fontvieille et « l’île de Camargue » jusqu’au Petit Rhône, frontière avec le Languedoc, son territoire couvrait environ 110 000 hectares. Ce sont principalement deux vastes zones riches et complémentaires qui le composent : la Camargue et la Crau.
12La première, est une île enserrée entre les deux bras principaux du fleuve ; elle représente 47 % du terroir ; cette vaste étendue, essentiellement humide, parcourue de « roubines »10, baignée par les différents bras du Rhône qui forment son delta, est un véritable milieu amphibie, dans lequel étangs et marais saumâtres disputent la place à de riches terres alluviales. En outre, sa façade maritime varie sous l’effet conjugué de la remontée des eaux marines et de l’apport des sédiments.

Dessin de la tour du Tampan ou Tour Vieille en 1803 BMA, ms. 490
13La seconde, la Crau, est, à l’opposé, sèche et caillouteuse ; elle représente 34 % des terres arlésiennes. Le Rhône et la Durance, traversant les Alpilles, le premier au col d’Eyguières, la seconde au seuil de Lamanon, ont accumulé dans la Crau l’énorme amas de cailloux qui caractérise son paysage.
14Hans von Waltheym, voyageur allemand du XVe siècle, visitant Arles en 1474, signale cette dualité géographique : de la Crau, il dit que « ce n’était que graviers et pierres », de la traversée de la Camargue, il retient que « sur un mille de chemin, on n’a pas vu d’eau douce, mais de nombreux fossés en apportent du Rhône à travers la campagne » et remarque la présence d’eaux saumâtres, ces « flaques d’où la mer s’était retirée »11.
15Outre ces deux zones, s’étendant de Tarascon à la mer sur la rive gauche du Rhône, se rencontrent successivement : au nord de la ville, la plaine du Trébon dont le nom est évocateur de sa fertilité (3 430 hectares, représentant un peu plus de 3 % de l’espace arlésien) aménagée à partir de 1232, par la ville dans les cuvettes marécageuses de la Durançole et, plus au sud et jusqu’à la mer, le Plan du Bourg, autre vaste territoire agricole (10 720 hectares, soit 10 % du terroir).

Carte 2. Différentes zones du territoire d’Arles : Camargue, Crau, Plan du Bourg, Trébon.
BMA, détail de la carte The delta of the Rhône and its old channels or branches now abandoned.
Cote A27273
16Dans ces plaines, tout comme en Camargue, aménagement et protection des terres conquises sur les marais ont façonné le paysage. Le sud du Plan du Bourg, par la présence d’eaux stagnantes due à l’existence d’anciens bras abandonnés du fleuve, a une configuration comparable à celle de la Camargue.
17Enfin, entre la ville et la Crau, sur un quart nord est, se situe une région de marais : ceux de Pont de Crau traversés par le fameux aqueduc éponyme, ceux de Barbegal et plus, au nord, ceux, qui, proches de l’abbaye de Montmajour, séparent celle-ci des Alpilles.
18Arles se présente tout au long de la période comme une ville essentiellement tournée vers l’agriculture. L’importance de son terroir justifie cette orientation, tout au moins en ce qui concerne le début de la période, mais, ce qui est plus surprenant, c’est que cet aspect ne se soit pas modifié ultérieurement, lorsqu’au XVIIe siècle le négoce se développe de manière considérable et qu’au XVIIIe les débuts de l’industrialisation pointent. La présence du fleuve et son rôle dans les échanges commerciaux ne semblent pas avoir eu de répercussions importantes sur le fonctionnement économique de la cité. Arles est avant tout productrice et exportatrice de blé. Le commerce et les activités portuaires s’organisent autour de deux pôles : le transport et la vente du blé du territoire d’une part, et le transit et le transbordement des marchandises qui circulent sur le Rhône, d’autre part. Une explication à cet état de choses peut être fournie par l’importance géographique de la zone deltaïque dans le terroir arlésien. Comme tous les deltas méditerranéens, celui du Rhône se présente comme une alternance de marais et d’efflorescences salines débouchant sur des étangs et un rivage aux contours incertains. En Camargue, l’interpénétration des terres et des eaux donne un paysage mouvant, où les bourrelets fluviatiles et les cordons littoraux sont les seuls éléments stables. Géographie particulière et rigueurs des conditions de vie ont contribué à marginaliser le delta. Les hommes y sont rares (en 1856, la densité de la Camargue était de 4,5 habitants au kilomètre carré), en raison des problèmes d’isolement mais aussi sanitaires : douves et moustiques font de la Camargue une terre de fièvres. En 1925, le géologue britannique R. D. Oldham, dans l’introduction de son article « The portolan maps of the Rhône delta », en fait une description impressionnante de désolation : une région de marais salants peuplée de manière éparse par une population victime de la malaria et « où l’impression produite sur les promeneurs est celle d’une solitude plus impressionnante que celle de l’Océan… »12. Conséquence de la faiblesse du peuplement, l’organisation du terroir repose sur la constitution de vastes domaines latifundiaires. J. Bethemont, dans son ouvrage sur les deltas méditerranéens, note : « de la précarité des conditions offertes par les deltas aux hommes, il reste encore des traces, notamment au niveau des réseaux urbains » ; il ajoute
les villes d’apex comme Arles, Tarragone, Ferrara ou Tulcea sont de taille modeste, eu égard à la superficie qu’elles commandent et à l’importance du fleuve qui les traverse. Et c’est à l’écart des fleuves que les grandes métropoles et les ports, Venise, Marseille, Salonique ou Constance se sont développés13.
19Il note, en outre, que l’agriculture de type latifundiaire s’est maintenue en Camargue beaucoup plus tardivement que dans les autres deltas comparables, ce qui ne laisse pas de surprendre
si l’on observe que les grandes plaines méridionales de la vallée du Rhône ont été de longue date et tout particulièrement depuis le début du XVIIe siècle, l’objet de multiples projets et travaux d’aménagement, menés notamment par Van Ens et ses successeurs qui étaient titulaires de droits en Camargue14.
20L’absence de toute vie sociale dans une Camargue déserte peut fournir un début d’explication à ce maintien : la vie sociale étant dominée par Arles, tous les évènements camarguais ont lieu dans la ville.
21La comparaison de la répartition sociale de la ville et de celle des terres conforte les remarques faites pour la période moderne, sur l’orientation économique.
22La composition socioprofessionnelle de la ville, étudiée à partir des actes de baptême en 1670, 1723 et 1770, met en évidence une importance croissante des milieux agricoles : 29,30 % en 1670, 47,13 % en 1723 et 50, 83 % en 1770. Compte tenu du fait que l’évaluation de 1670 est probablement un peu basse puisque seulement 70 % des actes relevés mentionnaient la profession du père, on peut estimer qu’à Arles, dans les milieux populaires, près d’un homme sur deux travaille la terre au XVIIIe siècle. Il ressort aussi de cette étude qu’au cours de cette période, le groupe des notables, nobles et grands bourgeois va s’affaiblissant, passant de 6,5 % à 2,5 %, pour se stabiliser ensuite au XIXe siècle, alors que, dans le même temps, la frange haute de l’artisanat et la petite bourgeoisie sont en légère augmentation (de 16 à près de 19 %).
23S’interrogeant sur la répartition des terres à Arles, R. Baehrel montre que la ville fait exception en Provence : « nulle part ailleurs, sans doute, la propriété nobiliaire ne représentait une aussi forte proportion du terroir : 56 % en 1687 ». Calculé sur l’ensemble de la Provence, ce pourcentage n’est que de 25 à 30 %, soit moitié moindre. Les chiffres cités sont éloquents : « les quatre plus riches parmi les nobles, moins de 3 % de ces derniers, possédaient en 1687 autant que tous les paysans réunis ». Cette prééminence perdure au XVIIIe siècle puisque nobles et bourgeois confondus possédaient en 1791 : 50 % de la valeur de la terre dans le Trébon, 61 % dans la Crau et 71 % en Camargue. Par son importance, la propriété foncière ecclésiastique met, elle aussi, Arles à part en Provence : elle constitue 15 % des terres en 1687, dont 10 % rien que pour l’Ordre de Malte, soit « deux fois autant que tous les bergers et paysans réunis »15 ; elle est près de trois fois plus importante que dans la Provence dans sa globalité : 6 % contre 15 % à Arles.
24La richesse du terroir arlésien tient à sa variété : des terres fertiles labourables, terres à blé ou plus généralement à grains, situées aussi bien en Camargue qu’au Trébon ou dans le Plan du Bourg ; des zones sèches et caillouteuses sur lesquelles se trouvent les « coussouls »16 de Crau, pâturages couverts de cailloux, parcours hivernaux des ovins à l’époque où ceux du delta sont menacés d’inondation ; de vastes herbages humides dans les zones deltaïques, en particulier dans le Plan du Bourg. En outre, domaine privilégié des pêcheurs et des chasseurs, nombreux sont les marais et étangs ; ils proposent des ressources variées, poissons, gibier mais aussi joncs et roseaux, tels les « sagnes »17 utilisés pour la construction de cabanes, la litière des troupeaux et l’installation des « bourdigues»18 que l’on construit dans les canaux qui communiquent des étangs à la mer, pour y prendre du poisson.
25En dehors des grains, l’agriculture arlésienne possède un autre pôle : lavigne ; à la fin du Moyen Âge, L. Stouff indique que « vignes et céréales cultivées en assolement biennal occupent la presque totalité des terres cultivées »19. Les registres de notaires montrent la permanence à l’époque moderne du rôle de ces deux cultures : d’une part, dans les contrats commerciaux, les transactions concernant les transports de céréales occupent une grande place, d’autre part, parmi les terres achetées ou vendues, nombreuses sont les vignes ; parfois complantées d’oliviers, elles sont situées tant en Camargue, qu’en Crau ou dans le Plan du Bourg.
26Bois d’ormes, de saules, d’aulnes, mais aussi les importantes salines de Badon, Galéjon, la Vernède et les Launes, situées en Camargue, complètent ces ressources. Il est même jusqu’à la végétation saline qui est utilisable : le salicot, qui sert de complément de fourrages, fournit aussi la soude aux manufactures de verre.
27En somme, le territoire d’Arles est aux mains de grands propriétaires fonciers, nobles et ecclésiastiques, et il emploie une importante main-d’œuvre paysanne : travailleurs, fermiers ou ménagers qui peuvent, cependant, être eux-mêmes propriétaires – c’est le cas de 45 % d’entre eux –, mais aussi de très nombreux travailleurs saisonniers. L’économie agricole est centrée autour de deux activités rendues possibles par les vastes étendues disponibles : la culture céréalière extensive d’une part – les blés surtout, avec des rendements de 6 pour 1 en années communes –, et l’élevage du bétail, ovins principalement, – les fameux moutons de Crau –, mais aussi chevaux et juments – celles-ci jouent un rôle important dans le « dépiquage » des moissons –, ainsi que
mulets, et bœufs dont la zone des marais constituaient le séjour habituel. S’y trouvaient spécialement adaptés « les bœufs noirs, seule variété résistant aux fièvres, et qui ne sauraient vivre ailleurs qu’en ces immenses espaces »20.
28Les productions céréalières culminent entre la fin du XVIe siècle, après l’apaisement civil et religieux, et celle du XVIIe, créant une conjoncture favorable à la reprise et au développement du commerce dont le port d’Arles n’a pu que bénéficier. Le XVIIIe siècle montre un recul dans la production de grains qui retombe au niveau du XVIe et la ville ne peut plus alors assurer, comme auparavant, son rôle de grenier à blé. En outre, l’immobilisme des structures de mise en valeur au cours de la période étudiée, les conditions climatiques et les événements politiques n’ont pu que contribuer à freiner au cours du XVIIIe siècle l’essor économique de la région. Les conditions sanitaires s’y sont probablement ajoutées, pesant d’un poids non négligeable sur le capital humain. Les épisodes pesteux récurrents de 1579-80, de 1629-30, de 1640 et, le plus dramatique, celui de 1721, ont effectué des coupes sombres dans la population. Mais en dehors de ces situations paroxystiques, la présence de très nombreux marais fait de l’espace arlésien une région particulièrement insalubre : sous l’appellation générale de fièvres, il faut comprendre malaria et paludisme.
29Carrefour est-ouest de voies terrestres – de l’est, par la Crau, vient le chemin de Salon et d’Aix, de l’ouest, arrive celui de Nîmes et Montpellier –, au débouché d’un grand fleuve, au cœur d’un vaste territoire, Arles rassemble toutes les conditions requises pour connaître un grand destin portuaire, comparable à ceux des ports européens de l’époque. Et effectivement, l’existence d’un courant commercial sur le fleuve et d’échanges économiques à Arles remonte à des temps très reculés.
30Même si l’Arles contemporaine paraît avoir occulté la présence du fleuve, – bien que des efforts relativement récents tendent à remettre en valeur le port fluvial –, les atouts indéniables de la ville dus à la particularité de sa situation géographique ainsi qu’à l’étendue de son terroir et aux richesses qu’il dispense n’ont pas échappé aux sociétés du passé. Une promenade dans le vieux quartier de la Roquette suffit à s’en convaincre : la toponymie urbaine garde trace d’une activité fluviale et maritime, avec des noms de rues évocateurs, telles celles des matelots, des pilotes ou même des douaniers.
31De fait, Arles a une longue tradition portuaire et a été sans discontinuer, tout juste avec un succès inégal, un port actif depuis l’antiquité et jusqu’au milieu du XIXe siècle.
32Les travaux de M. Christol sur le grand commerce maritime sous l’empire romain, montrent l’importance de la ville, qui possède alors un comptoir commercial à Ostie, orné par la mosaïque emblématique bien connue du pont de bateaux ; ce commerce est stimulé par le service de l’annone et, plus généralement, par la collecte et le transport vers Rome des denrées venues du nord. La période romaine est, sans conteste, une époque de grand rayonnement économique de la cité et de son port. L’installation, à la charnière du IVe et du Ve siècle, de la préfecture du prétoire des Gaules fait d’Arles une capitale politique ; son église en bénéficie : elle a un prestige considérable, imputable aussi à la personnalité de ses saints évêques, Honorat, Hilaire, puis Césaire. La splendeur monumentale de la ville romaine et l’extraordinaire rayonnement de son église ont fait la réputation presque légendaire d’Arles. L’hagiographie et l’épopée médiévale s’y nourrissent ; les Alyscamps sont au Moyen Âge la plus grande nécropole de l’Occident chrétien et leur notoriété a traversé les siècles.
33L. Stouff dresse, pour la période médiévale, un état des lieux fort contrasté des activités portuaires. Au niveau des échanges fluvio-maritimes, « des indices nombreux et concordants tendent à montrer l’Arles de 1250 comme une place de commerce et un port actifs »21. Le blé arlésien y joue, comme dans l’antiquité romaine, un rôle important. Il convient, cependant, de replacer Arles face aux autres ports méditerranéens d’importance. La ville se heurte non seulement à la concurrence des Marseillais et des Italiens mais aussi des ports languedociens : au premier rang de ceux-ci, Saint-Gilles, port maritime et fluvial, tout comme Arles, qui a, plus qu’Arles, su bénéficier au XIIe siècle du commerce international renaissant, mais aussi Narbonne et Montpellier.
34Au XIIe et dans la première moitié du XIIIe siècle, les caractéristiques du commerce arlésien se résument ainsi :
un trafic maritime tourné avant tout vers Marseille et la Ligurie, portant sur le blé, les peaux, la laine. Un trafic fluvial consistant essentiellement dans la remontée du sel. Un trafic routier apportant les draps de Languedoc22.
35À partir du milieu du XIVe siècle, les catastrophes s’accumulent, la ville se replie sur elle-même ; tout comme au haut Moyen Âge, Arles se présente comme une citadelle entourée d’un terroir déserté. Et c’est aussi dans cette période que se met en place une nouvelle donne politique et économique dans la région, qui laisse Arles dans l’ombre :
- en premier lieu, la vitalité du Languedoc suscite, par la création de foires dans les Sénéchaussées de Toulouse et de Carcassonne, un essor remarquable de l’artisanat et détourne le trafic maritime que le port de Saint-Gilles ne peut plus assumer, vers Montpellier avec rupture de charge au port de Lattes. L’intérêt que le roi de France, maître du pays depuis 1229, porte à un débouché méditerranéen du royaume, l’incite à soutenir le commerce languedocien, puis à construire Aigues-Mortes qui devient un port d’une grande importance, surtout entre 1280 et 1325, mais dont le rôle reste encore non négligeable au XVe siècle ;
- venant de l’est cette fois, Arles subit le contrecoup de l’essor très important, au moins jusqu’au milieu du XIVe siècle, du commerce marseillais, favorisé par les Croisades et par l’installation des Angevins en Italie du sud ;
- enfin, l’installation des Papes à Avignon porte un préjudice considérable à l’économie arlésienne : la cité papale devient l’escale commerciale obligatoire pour les marchandises venues d’Orient et celles en provenance des Flandres. Arles et Tarascon sont contournées : le trafic se fait principalement par une voie mixte terre-eau qui privilégie le passage par le port de Bouc et l’étang de Berre au détriment de la voie fluviale. Arles tombe sous la domination économique d’Avignon, mais n’en bénéficie que fort peu.
36La guerre, qui trouve son origine dans l’histoire des Angevins de Naples et la haine qui anime les Duras et les Tarente, fait son apparition à Arles en 1355 ; elle se poursuit plus d’un siècle au cours duquel les épisodes pesteux – dont le plus dramatiquement célèbre, celui de 1348, élimine à Arles environ un tiers de la population –, sont récurrents.
37Arles cumule les inconvénients en ces temps troublés : port de mer, les attaques viennent de la mer ; débouché du couloir rhodanien, elle est la proie des « routiers » qui descendent ; voisine d’Avignon et du Royaume de France, elle ressent tous les soubresauts qui agitent l’une et l’autre. L’insécurité touche toute l’activité : le terroir ravagé se vide de ses hommes, les activités maritimes et fluviales sont gravement compromises.
38Le port d’Arles, dans cette conjoncture particulièrement défavorable, perd toute importance. L’épanouissement de la première moitié du XIIIe siècle, même tout relatif par rapport à l’époque romaine, n’est plus qu’un lointain souvenir. Les difficultés aux embouchures, constante de tous les temps, ne permettent la remontée qu’aux navires de faible tonnage et imposent le recours à la manœuvre d’allégement au « gras ». L’insécurité du delta détourne le trafic vers Bouc ou Aigues-Mortes. Les marchands arlésiens eux-mêmes, réalistes, utilisent ces deux ports au détriment du leur.
39Arles ne monopolise même pas la rupture de charge entre navigation fluviale et maritime : Tarascon et Avignon sont des ports de mer qui la lui disputent. Le développement considérable d’Avignon a été très préjudiciable à Arles : la cité des papes l’a remplacée comme intermédiaire entre la Méditerranée et les marchés et foires du nord de l’Europe. L. Stouff fait ce constat :
entre 1390 et 1450, les Arlésiens n’apparaissent pas comme des gens de mer. Ils ne sont ni des marins ni des armateurs et, s’ils sont marchands, ils n’accompagnent pas en général leurs marchandises sur les navires23.
40Leur rôle est passif : ils confient leurs marchandises à des patrons étrangers ou bien ils attendent que des marchands ou des marins forains viennent les leur acheter. Les petits ports voisins, Martigues et surtout Berre, fournissent aux marchands arlésiens leurs barques et leurs marins pour un cabotage qui couvre un arc de cercle allant du Latium à la Catalogne.
41Les Génois et les Marseillais sont les plus nombreux à fréquenter le port d’Arles. Les Ligures en sont à la fois les marins et les marchands : patrons de navires de Gênes ou de la Riviera, ils amènent des agrumes ou de l’alun et repartent avec du blé essentiellement, mais aussi de la laine ou des peaux ; marchands résidant dans la cité, ils achètent ces mêmes denrées qu’ils expédient à Gênes. Nombreux, les Marseillais viennent s’approvisionner essentiellement en blé ; entre Arles et Marseille, le commerce est très déséquilibré : quelques rares Arlésiens seulement vont à Marseille chercher du poisson salé, du fromage, quelques draps.
42Si les Arlésiens ne sont pas des gens de mer, leur familiarité avec l’eau qui baigne le territoire, les amène à utiliser des embarcations non seulement pour la pêche, mais aussi pour tous déplacements et transports. Dans le quartier du Vieux Bourg24, se trouvent de nombreux pêcheurs et des « ripayres » vivant du transport des marchandises sur le fleuve. Ils effectuent, toutefois, un trafic restreint autour de leur cité, limité à Aigues-Mortes d’un côté, et Tarascon et Beaucaire de l’autre. Leur participation au transport fluvial est des plus limitée, y compris dans le commerce du sel. L’exploitation, le commerce et le transport de celui-ci échappent à Arles à la fin du XVe siècle, au profit de Tarascon, Beaucaire et Avignon.
43À la fin du Moyen Âge, Arles apparaît comme une cité de modeste envergure dont la richesse, avant tout agricole, est favorisée par l’exploitation de son territoire fertile ; une ville qui sort exsangue d’un siècle et demi de guerres et de pestes. Elle tourne le dos aux activités maritimes et fluviales, attendant la venue des marchands attirés par le grenier à blé que constitue son vaste terroir.
44C. Carrière, dans son ouvrage sur les négociants marseillais, apporte la preuve de la vitalité de la marine arlésienne au XVIIIe siècle, en soulignant le rôle joué par ses allèges dans l’acheminement des marchandises vers la cité phocéenne. F. Benoît décrit les caractéristiques de la flotte fluvio-maritime au XIXe siècle et les techniques de navigation qu’elle a développées avant de disparaître sous les coups successifs que lui porte la vapeur. P. Allard a fait l’analyse de cette disparition : l’adaptation, difficile mais réelle, au nouveau mode de navigation ne suffit pas à sauver la marine de la ville qui succombe, au milieu du siècle, sous l’effet de la concurrence du chemin de fer.
45Entre le constat fait par L. Stouff du recul important d’Arles à la fin du XVe siècle, à la fois comme port fluvial qui perd alors le monopole de la rupture de charge au profit de Tarascon et d’Avignon, et comme port maritime qui ne possède plus, à cette époque, ni marins ni commerçants, et la venue massive et régulière à Marseille des allèges d’Arles, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, il restait à explorer l’époque moderne. La recherche s’est, toutefois, plus particulièrement centrée sur les deux siècles qui s’écoulent entre la fin du XVIe siècle et celle du XVIIIe. La présence, aux archives municipales de la ville, d’une série continue sur vingt ans de registres fiscaux, débutant en 1577 a fixé la date d’entrée de cette quête. La fin de l’Ancien Régime nous a semblé constituer naturellement l’autre borne de ce travail. Bien que les lacunes que recèle une étude sur un temps aussi long soient inévitables, l’entreprise s’est trouvée justifiée par la mise en lumière de l’évolution des activités maritimes du port d’Arles qui ne pouvait justement se dévoiler que dans la durée.
46L’étude de la documentation fiscale sérielle a permis de prouver, non seulement le renouveau des activités portuaires d’Arles à la fin du XVIe siècle, mais aussi l’existence d’Arlésiens qui s’aventuraient sur la mer, – de marins donc –, et se lançaient dans des opérations de commerce maritime. Compte tenu de la différence saisissante entre l’état des lieux fait par L. Stouff à la fin du XVe siècle et l’aspect florissant de la marine arlésienne à la veille de la Révolution souligné, outre par C. Carrière, par E. Fassin25, il nous a paru indispensable de chercher à savoir ce qui avait pu motiver les hommes du fleuve à se lancer à nouveau, au XVIe siècle, sur la mer. Le panorama des activités portuaires dans le dernier tiers de ce siècle a permis de découvrir les prémices, réels bien que modestes, du réveil de la vocation maritime des Arlésiens.
47L’existence attestée de celle-ci, nous a ensuite conduit à nous interroger sur les hommes qui l’ont assumée. Nous avons alors montré l’existence, pendant la période étudiée, d’une société maritime à Arles et nous en avons cerné les contours, grâce à une étude des aspects les plus divers que les sources consultées permettaient d’appréhender.
48Après la recherche de l’importance numérique de cette population de gens de mer, l’enquête s’est orientée sur les différents aspects du métier, activités commerciales, sur la mer et sur le fleuve, mais aussi halieutiques. Ce qui nous a permis de dégager à la fois les méthodes utilisées par les marins arlésiens dans la navigation mixte que les conditions géographiques leur imposaient et leurs capacités d’adaptation aux changements qui se sont opérés au cours de la période étudiée. Puis, la quête des contours économiques du métier a naturellement débouché sur les questions de formation, de promotion sociale, et, bien sûr, de reproduction sociale c’est-à-dire d’accumulation et de transmission du capital, tant financier que culturel.
49La suite de l’ouvrage est centrée sur l’approche d’une identité sociale collective. Selon J. W. Lapierre,
l’identité collective désigne à la fois l’unité d’un groupe et sa revendication à la différence avec les autres par une série de caractères qui les signifient et les symbolisent26.
50L’eau étant le dénominateur commun à la population étudiée, ces caractères ont été recherchés dans l’analyse des aspects matériels, sociaux, et démographiques qui résultent des liens de ces hommes avec cet élément. Dans un premier temps, l’étude de leur patrimoine a permis de situer les navigants arlésiens dans la société qui les entoure. Puis, en permettant une approche des formes d’intégration des gens de mer dans la cité mais aussi des limites de celle-ci, la place de cette population dans la géographie urbaine a révélé un sentiment identitaire marqué. Un troisième caractère signifiant d’une identité a été révélé par les marques d’une empreinte de l’activité professionnelle sur la vie de la famille, tant au niveau de la démographie qu’à celui du quotidien.
51Outre ces traits, permettant de révéler un sentiment d’appartenance unissant les individus du groupe, des données relatives à l’opposition à l’ordre en place font ressortir, mais en négatif cette fois, d’autres aspects identitaires. Ce sont les contestations face au pouvoir politique, communal et/ou royal, qui, selon leur objet, dévoilent des revendications fortement corporatistes ou, dans des cas extrêmes, la révolte contre un sentiment d’exclusion du fonctionnement de la cité alors même que la société environnante évolue.
52La population étudiée, comme les milieux populaires dans leur ensemble, n’est pas de celle qui laisse beaucoup de traces écrites ; il a fallu alors la traquer au travers de sources très diverses et souvent très générales27. Les documents utilisés ne pouvant se limiter aux sources maritimes – celles de l’Amirauté qui concernent essentiellement le contrôle des activités du commerce maritime d’une part, et celles du Service des Classes relatives à l’encadrement que l’état entend exercer sur ses gens de mer, d’autre part –, registres de catholicité, minutes notariales, rôles fiscaux, inventaires après décès « s’imposent dans la mesure où ils permettent de fixer la place des populations de la mer à l’intérieur de la société »28. La variété des aspects considérés a conduit à une exploitation méticuleuse de ces sources afin de leur extirper des renseignements sur des sujets parfois autres que ceux pour lesquels elles avaient été élaborées. Traitement statistique pour certaines, chaque fois qu’elles le permettaient, qualitatif pour les autres, les méthodes de l’approche ont dû s’adapter aux types de documents. Afin d’exprimer le maximum des informations contenues dans ceux-ci, le recours aux différents renseignements fournis par une même source s’est imposé, dans un va-et-vient constant entre elle et divers points étudiés. Non seulement les registres de notaires ont fourni cette opportunité, mais aussi ceux de catholicité qui ont, de cette façon, permis de mener l’étude sous un angle démographique d’une part, et généalogique de l’autre, ou encore les sentences de l’Amirauté qui nous ont introduit aussi bien aux formes de résistance face à l’autorité qu’aux pratiques commerciales et même, au travers des témoignages, au quotidien des gens de mer.
53Enfin, l’intérêt de l’étude elle-même ressort dans la comparaison qu’elle permet d’établir : celle que l’on peut faire à l’intérieur du groupe lui-même, puis, à un autre niveau, entre le groupe et la société urbaine et enfin, avec d’autres sociétés maritimes, voisines ou sur d’autres rives.
54Le terme gens de mer, utilisé de manière très générale, recouvre à la fois marins du commerce – patrons et matelots –, et pêcheurs, dont les activités renvoient à des réalités différentes. À Arles, les domaines de pêche sont variés, étangs et marais rivalisant avec la mer et le fleuve, et le commerce est aussi bien maritime que fluvial, parfois mixte. L’étude qui concerne les uns et les autres, dans leur vécu professionnel comme familial, s’attache à souligner leurs similitudes et leurs différences, montrant ainsi tout à la fois l’identité du milieu maritime et sa diversité.
55Par ailleurs, mettre en évidence à l’aide de certains indicateurs utilisés, la part d’originalité des gens de mer qui les distingue du reste de la population urbaine s’est avéré difficile, en raison de l’absence d’étude d’ensemble sur la société arlésienne à l’époque moderne. Cependant, la relation que les gens de mer entretiennent avec le reste de la population est riche d’enseignement sur la place qu’ils occupent dans la ville.
56Les travaux d’A. Cabantous ont élargi l’horizon aux populations littorales de la façade atlantique mais aussi, plus amplement, « aux citoyens du large » et ont fourni les éléments d’une comparaison fructueuse. La dualité des activités de Bordeaux29, port à la fois fluvial et maritime, à la charnière du Moyen Âge et de l’époque moderne, nous a renvoyée à celle d’Arles, sensiblement à la même période. Plus proche, sur la côte sablonneuse du Languedoc, les aléas du port de Narbonne30 à l’époque moderne, apogée puis déclin, ne sont pas sans évoquer certains aspects de celui d’Arles. Des éléments instructifs ont été tirés d’autres études faites sur les mêmes rivages, celles portant sur les activités maritimes d’Agde31 et celles faites sur le petit port de Sérignan32. Les liens très forts d’Arles avec la cité phocéenne ressortent des chiffres du « commerce de Marseille »33, mettant en évidence une relation privilégiée dont les aspects évoluent au cours de la période.
57Bien que le sujet traité ait souvent fait sourire ceux qui s’en enquéraient, – des marins à Arles, pensez donc !!! –, l’ampleur de la tâche entreprise n’a laissé de surprendre. Micro-histoire, certes, mais histoire sociale et même presque « histoire totale », l’étude implique de ce fait, un vaste chantier et un laborieux travail dont nous sommes très consciente des limites et de l’imperfection.
Notes de bas de page
1 Cette thèse est consultable dans son intégralité à la Bibliothèque Universitaire d’Aix-en-Provence, aux archives municipales et à la Médiathèque d’Arles ainsi qu’aux archives départementales des Bouches-du-Rhône à Marseille.
2 G. Rambert, Histoire du Commerce de Marseille, t. VII, p. 7, Paris, 1949-1966.
3 R. Busquet, Les fonds des archives départementales des Bouches du Rhône, vol. 1, séries anciennes A à F. Marseille, 1937, p. 37 à 43.
4 G. Pichard, Espace et nature en Provence. L’environnement rural 1540-1789, Thèse de doctorat, Aix-en-Provence, 1999, p. 165.
5 Construite en 1476, la tour du Ballouard fut vendue en 1639, AMA BB 28, f°83v°, et démembrée en 1642, AMA, DD 6, f°2-6.
6 BMA, ms. 217, 1587, Annales de la ville d’Arles, L. Bonnemant, desservant de l’église Saint-Laurent dans le dernier quart du XVIIIe siècle, a recopié de sa petite écriture serrée, nombre de manuscrits issus des documents municipaux mais aussi de livres de raison de contemporains de certains évènements, regroupés sous ce titre. La tour construite en 1615 est la tour du Tampan.
7 G. Pichard, Espace et nature en Provence…, op. cit., p. 176.
8 Ibid., p. 176.
9 Ibid., p. 259.
10 Le terme désigne couramment dans la région un petit canal ou un petit cours d’eau.
11 L. Stouff, « Deux voyageurs allemands à Arles à la fin du XVe siècle » in Provence Historique, fascicule 166, 1991, p. 567.
12 R. D. Oldham, « The portulan maps of the Rhône delta » in The geographical Journal, mai 1925 ; p. 403-428.
13 J. Bethemont, « Les deltas méditerranéens : éléments pour une politique de l’espace », dans Les deltas méditerranéens, édité par J. Bethemont et C. Villain-Gandossi pour le Centre Européen de Coordination de Recherche et de Documentation en Sciences Sociales, Vienne, 1987, p. 31.
14 Ibid., p. 217.
15 R. Baehrel, Une croissance : la Basse Provence rurale (fin XVIe siècle-1789), SEVPEN, 1961, p. 399.
16 Terme utilisé pour désigner les pâturages de Crau, domaine de prédilection des ovins.
17 Sorte de roseaux qu’on rencontre, dans les zones marécageuses, en particulier en Camargue.
18 Pêcherie fixe dans les canaux.
19 L. Stouff, Arles au Moyen Âge, Thèse de doctorat, PUP, Aix-en-Provence, 1986.
20 G. Gangneux, « L’Ordre de Malte (Hospitaliers de Saint-Jean) en Camargue aux XVIIe et XVIIIe siècles » in Courrier du parc naturel régional de Camargue, n° 35, mars 1990, p. 35.
21 L. Stouff, Arles à la fin du Moyen Âge…, op. cit., p. 203.
22 Ibid., p. 205.
23 Ibid., p. 229.
24 Désigné plus tard par celui de Roquette.
25 E. Fassin, Quelques pages de l’histoire de la Marine Arlésienne. Les marins d’Arles pendant la tourmente révolutionnaire, Valence, 1907.
26 J. W. Lapierre, « L’identité collective, objet paradoxal », dans Lévy-Strauss, L’identité, Paris, 1987. Cité par A. Cabantous, Les citoyens du large. Identités maritimes en France (XVIIe-XIXe siècles), Aubier, 1995, p. 15.
27 Voir en bibliographie la liste des sources utilisées accompagnée d’une brève présentation de celles-ci.
28 A. Cabantous, Les citoyens du large…, op. cit., p. 20.
29 J. Bernard, Navires et gens de mer à Bordeaux (vers 1400-vers 1550), 2 volumes, SEVPEN, 1968.
30 G. Larguier, Le drap et le grain en Languedoc. Narbonne et le Narbonnais, 1300-1789, Presses universitaires de Perpignan, 1996.
31 J.-C. Gaussent, « La flotte d’Agde et son activité de 1666 à 1720 » in Annales du Midi, Revue de la France méridionale, t. 95, n° 162, avril-juin 1983, p. 135-157 ; « Les gens de mer à Agde au XVIIIe siècle » in Annales du Midi, Revue de la France méridionale, t. 92, n° 147, avril-juin 1980, p. 161-177.
32 A. Molinier, Une paroisse du bas Languedoc : Sérignan, 1650-1792, Montpellier, 1968.
33 G. Rambert sous la direction de, Histoire de Marseille, Plon, Paris, 1966. En particulier, t. 3, 1515-1599, Joseph Billioud, t. 4, 1599-1660, Louis Bergasse, t. 5, 1660-1789, Gaston Rambert.
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