Epilogue
Incorporation de l’histoire et historicisation du sujet
p. 285-302
Texte intégral
1Il y a ceux qui aiment, et ceux qui n’aiment pas, bien entendu, les « spectacles historiques ». L’on ne sait pas vraiment à quoi cela tient. Mais cela détermine, malgré soi, un point de vue. On le trouve d’ailleurs, dans les contributions qui précèdent. L’on ressent, à une teneur du texte, au choix descriptif, à la problématique avancée, la diversité des distances, déclarées ou non, des auteurs aux objets. Dans ce cas précis, la distance à des représentations de l’histoire dont les critères de validité ne sont pas strictement historiens. Il y en a qui aiment, qui décrivent depuis une empathie raisonnée, et d’autres qui aiment moins. Cela n’obère pas inévitablement, je le souligne d’emblée, la scientificité de la description avancée. Cela lui est même peut-être nécessaire. Parce que, comme le note Braudel lui-même – auquel nous reviendrons plus loin –, « on ne peut parler des gens qu’avec un minimum d’affection et de courtoisie, de fair-play. »1 Mais cela caractérise partiellement l’angle de la visée. Et c’est cela qui m’intéresse ici : cette variation, d’un individu à l’autre, des critères de vérité et d’authenticité de ce que peut être un récit de l’histoire, et l’inévitable inscription de cette distance au récit dans un point de vue malgré soi, une expérience irrévocablement intime. Ce pourquoi me permettrai-je ci-après de faire référence à ma propre expérience – étant celle que je connais – et à ses sources, pour nourrir ma réflexion.
2Je fais donc partie de ceux qui n’aiment pas. Non par mépris aucun, je le précise. Mais je n’adhère pas. Du tout. Et je ne tiens cela que pour ce que cela est : une simple incapacité personnelle, qui m’apparaît illusoirement native, à tout jeu de mimicry, selon le mot de Caillois2. Pourtant, assez fréquemment, je reste admiratif devant la passion – la douce folie à mes yeux – de telle ou telle personne qui se prend vraiment pour son personnage, et qui le joue jusqu’à s’oublier. Exit mon boulot, ma famille et la réalité. Je marche dans ma légende. Abandonnez votre femme et vos enfants au coin d’un bois, disait à peu près André Breton dans un passage de L’Amour fou. C’est ce que me semble faire, à sa façon et relativement au concret complexe du présent, cette personne qui joue le personnage. Mais pourquoi se déplacer ainsi dans l’histoire ? Pourquoi cette incarnation – quasiment au sens littéral – d’un personnage « historique », ayant « réellement » existé, et dont tout pourtant dans sa représentation va dénoter par force la facticité, que le personnage soit « grand » et « connu de tous », ou au contraire humble et anonyme ?
3Pour ma part, lorsque j’assiste à un spectacle ou une reconstitution historique, je m’arrête immédiatement à ce qui ne va pas. Je passe sur l’anachronisme « grossier » – c’est ce que j’en ressens – des mégots qui jonchent le sol et des cadavres de canettes de bière amoncelés dans les recoins obscurs, de même que sur l’infirmité rédhibitoire – à son corps défendant c’est le cas de le dire – de l’individu à lunettes. Mais je déteste aussi les projecteurs, qu’oblige la nécessité. Outre qu’ils rendent enfarinée l’apparence des visages, ils rappellent qu’avec leur extinction cessera l’illusion du temps revenu. La paille, surtout, éparpillée au sol pour dissimuler vaguement le macadam, est d’une texture qui sent la moissonneuse-batteuse et la botte parallélépipédique. Le Moyen Âge ou l’Ancien Régime trahis. La supercherie3. D’ailleurs, dès l’aube, les pompiers nettoieront tout cela au jet d’eau pour rendre la rue à sa propreté. Dans ma douce folie personnelle, j’aurais aimé que tout soit absolument vrai.
4Mais il n’en reste pas moins ceux qui adhèrent – dont certains sont des proches –, que tout cela manifestement ne dérange pas – les canettes dans les coins et la paille –, et qui passent leur année à préparer cet instant, dans une sorte de délire croissant au fil des mois. Dès l’automne ils se dépouillent de ce que la réalité les a faits, le corps social les a faits, pour troquer par morceaux, dans la lente préparation de la fête, des éléments d’habits, d’appellations, de comportements « historiques » anachroniques avec l’instant, déjà happés tout entiers, et quoique cela se réalise peu à peu, par un imaginaire d’altérité temporelle qui semble les rendre néanmoins conformes à ceux qu’ils désirent être puisqu’ils le font avec passion et que cela leur porte bonheur. Au jour dit, au début du printemps ou au cœur suintant de l’été, les débris d’une ancienne réalité naufragée ayant été rassemblés, ils monteront par une belle nuit sur le vaisseau-fantôme fiévreusement bricolé et, quoique les eaux prennent de toute part, n’en seront pas moins peut-être enfin eux-mêmes, pénétrant de plain-pied dans une fiction qui reste à mes propres yeux de pacotille, en en incorporant – stricto sensu – le récit. Mais voilà : cette fiction c’est un récit de l’histoire. Du moins cela est-il présumé, et il est nécessaire de considérer cette présomption si l’on veut pénétrer leur innocence4.
5Je présume quant à moi que ce qui nous sépare n’est pas grand-chose en soi. Je veux dire par là que cela pourrait être un détail sans importance. Mais je constate que, de fait, je n’entretiens pas de véritables relations avec ceux qui participent, qui défilent, qui intègrent5. Non pas, je le répète, que je porte un jugement quelconque, que je n’aime pas la fiction ou l’histoire, la fête ou les rêveries fantasques, ni même les « originaux ». Ça serait plutôt le contraire. Mais ici, quelque chose de profond m’empêche. Il s’agit d’un régime d’authenticité, de vérité. Et cela n’est pas rien. Enfant, je n’ai guère supporté de me travestir à Carnaval. Je n’aime pas me grimer, je n’aime pas me masquer, je n’aime pas jouer ostensiblement un personnage. Peut-être parce que j’ai déjà du mal à savoir qui je suis ou à l’être, et que tous mes efforts tendent à me rendre clair à moi-même. Comment m’encombrer alors d’une apparence trompeuse, donner à deviner qui je suis quand moi-même je ne le sais pas ? Comment jouer en plus ce personnage que je sais ne pas être ? J’admire les comédiens mais n’aurais pu en être, étant probablement par trop confus avec ma propre image.
6Aussi me dis-je que, entre ceux qui aiment et ceux qui n’aiment pas, il y a, pour le moins, une différence fondatrice dans le rapport de soi à soi par le biais de l’histoire. Cette différence me reste inexplicable et je n’en hiérarchise pas les formes6, mais elle est là. D’aucuns parviennent à habiter un personnage fictif qui les rend eux-mêmes, une altérité qui, paradoxalement, les identifie. Ils portent le « costume ». Celui-ci, par le détour d’un récit qui se désire, à sa façon, historien, habille probablement leur être profond. D’autres, parmi ceux qui regardent, ne voient que des déguisements, et se sentiraient nus de devoir s’affubler.
7Tous les spectacles historiques ne me produisent pas, pourtant, le même effet. Je me souviens que, jeune homme, j’avais été fasciné, comme tant d’autres, par les rites de possession des Hauka, au Ghana, filmés par Jean Rouch dans Les Maîtres-Fous, en 1953. Les possédés y mènent une représentation de l’histoire par laquelle ils parodient outrageusement – costumes semblablement à l’appui – les autorités coloniales, et je lisais dans leur rite une charge authentiquement libératrice, une destruction de la domination par le grotesque, déclamé depuis les limites de la mise en folie. Le possédé-acteur devenait à mes yeux plus vrai que le personnage parodié. Mais cette vérité, dont les critères d’authenticité s’enracinaient, croyais-je, dans le statut de l’ethnographie dont procédait le film de Jean Rouch, dans l’objectivité du reportage, n’était générée vraiment que par mes a priori sur le fait colonial, l’innocence du primitif, la beauté du lointain. Certainement cela avait-il sa part de justesse. Mais mon jugement n’en était pas moins donné d’emblée, parce que le rite, en inversant le point de vue de l’histoire officielle, confortait ma propre représentation. Il était le juste spectacle de ma vérité historique.
8Plus proche de nous, il m’est arrivé d’assister à d’autres rites à thème historique relativement anciens. Ainsi le jour de l’Ascension à Gignac dans l’Hérault, lorsque les villageois promènent un âne totémique qui, selon la légende, les aurait prévenus d’une incursion des Sarrasins, et lorsqu’ils reproduisent le combat par lequel ils vainquirent ces derniers. Les caractères rituel et traditionnel de la fête, le fait qu’il s’agisse d’un légendaire de refondation et qu’il mette en scène les Sarrasins, personnages de l’ascendance desquels bien des populations périphériques au récit national se sont réclamées depuis au moins la première moitié du XIXe siècle et quoiqu’ici ils les vainquent7, tout cela fait que j’ai observé ce façonnage de l’histoire et le jeu des acteurs sinon avec une franche sympathie, du moins avec une neutralité bienveillante. Au moins ethnographique. Car leur récit de l’histoire, légitimé à mes yeux (allez savoir pourquoi) par sa traditionalité, résonnait en des lieux où cette histoire dialogue avec mon être intime : la méridionalité, la marge au récit national, les ancestralités. Dialoguait donc avec mes profondeurs.
9Aussi me dis-je que ma défiance vis-à-vis des spectacles historiques tient pour partie au fait que, par mon imaginaire et mes nécessités, je ne converse pas avec les mêmes personnages historiques – ou présumés tels – que ceux avec lesquels conversent ceux qui jouent à les incorporer spectaculairement. Ces personnages incarnent à mes yeux le plus souvent des figures locales d’un récit national que de fait je n’aime guère, dans lequel je me sens mal inscrit, en raison de mythologies de l’histoire déposées par une sorte d’héritage complexe dans le tréfonds de moi-même et contre lesquelles je ne peux rien8. Je les reconnais comme mythologiques, mais elles agissent malgré moi, dans mon affect, et font que je n’adhère pas. Ceux qui jouent ici ne sont pas des Maîtres-Fous. Ou ne sont pas les miens. Qu’y puis-je ? Et qu’y peuvent-ils ? Certainement rien.
10Il reste, c’est sûr, comme autre raison, cet embarras que j’ai à me costumer, à accepter de jouer toute autre chose que moi-même, peut-être, c’est vrai, parce que me tient et me retient ce sentiment confus d’avoir été initialement mal défini. Cela implique que ce mode d’incorporation d’un récit qui, pour ceux qui le vivent, se considère comme historien, ou en tout cas conforme à l’historique, ne me concerne pas. Pour moi, le récit véritablement historique passe par l’écriture. Il faut que je mette les personnages à distance. Ils ne font pas partie de mon Moi-peau, cette part profonde – quoique cet adjectif soit ici antithétique – de l’identité du sujet qui passe par la surface du corps, la peau, l’apparence la plus immédiate, la représentation visuelle, le masque9. Je reste au loin des personnages, ou dans un mode d’appropriation autre que celui de leur incarnation immédiate, « spectaculaire » aux yeux seulement de ceux qui, comme moi probablement et littéralement, n’adhèrent pas. Car ils ne vivent pas l’histoire dans le Moi-peau. Tandis que les autres sont vraiment dans la peau du personnage. Du moins dans son costume.
11Aussi ne puis-je m’offrir de l’histoire le même spectacle. Il y a de multiples façons, en effet, de se donner l’histoire en spectacle, c’est-à-dire de se la représenter, se la donner à contempler ou à saisir. Il y a de multiples critères d’authenticité de sa mise en récit, de multiples moyens de la convoquer et de l’appréhender pour en recevoir la vérité, laquelle n’est à chaque fois propre qu’à ceux qui la vivent ainsi et qui en respectent les critères – également propres – d’authenticité.
12Certains de la sorte, dans le cadre toujours d’un fragment singulier des multiples récits relatifs au passé qui forgent les sentiments de l’histoire, en observent-ils les traces, les archives, les témoignages véridiques de ceux qui ont vraiment vécu les faits observés. Ils élaborent patiemment, entre la myriade des attestations, une trame de rapports d’instantanéités, de successions, de causalités, de conséquences, et objectivent un récit totalement ancré dans la preuve. Peut-on dire que cela ne soit pas vrai ? Certes non. Mais « aiment-ils » moins ? Ne rencontrent-ils pas, avec autant de fièvre parfois, les personnages ? Et ceux-ci ne les habitent-ils pas ? Jules Michelet ancre l’origine de sa vocation dans cette :
« scène inaugurale et primitive, [...] cette visite que, tout enfant, il a faite au musée des Monuments français, où, devant ces gisants, soudain il s’évanouit : “Je n’étais pas bien sûr qu’ils ne vécussent encore, ces blancs dormeurs de marbre étendus sur leur tombe. Doucement, Messieurs les morts !” »10
13L’évanouissement, oubli de soi devant la résurrection des personnages, c’est presque trop beau comme figure de la substitution. Mais croit-on que cela ne fut qu’un détail biographique, que cela ne s’est pas poursuivi comme étant à la source constante du récit ? « [...] mes peuples se font moi, [...] mon moi retourne animer les peuples », écrit-il en 1841 dans son Journal11. Et en 1869, dans sa préface à son Histoire de France, Michelet se définit encore comme l’ami des « peuples ensevelis », et donne à son expérience de l’histoire sa puissance résurrectionnelle : « Tous ceux que j’ai pleurés, peuples et dieux, revivaient. »12 Mais croit-on aussi que Michelet fut un cas unique, absolument exceptionnel ? Certes, exceptionnel il fut. Tous les historiens ne saignent pas du nez en écrivant les massacres de Septembre13. Mais il ne fut pas unique.
14Fernand Braudel, dont l’analyse on ne peut plus raisonnée de l’histoire architecture les temporalités, a fait de la Méditerranée un véritable « personnage historique » ainsi qu’il la qualifie lui-même14, tant personnage que le « squelette » en « perce partout la peau »15, nous dévoilant, par ce truchement admiratif, le caractère vivant, d’être à part entière, quasi sacralisé, qu’elle avait pour lui. L’exergue de son livre la place au centre du monde16. Il lui voue une écriture d’une précision attentionnée, parfois incantatoire17, inaugurant son immense travail par cette déclaration biographique et fiévreuse : « J’ai passionnément aimé la Méditerranée, sans doute parce que venu du Nord. » Mais cette passion ne fut pas qu’intellectuelle. Elle fut aussi, à l’instar de Michelet quoique sur d’autres modes, physiquement expérimentée, visionnaire, et d’une proximité intimiste avec les acteurs de l’histoire. Voici ce qu’il nous en décrit, magnifiquement, dans son entretien avec Jean-Claude Bringuier, que je cite longuement car il nous enseigne.
« Je me suis abandonné au plaisir de voir la Méditerranée. [...] Ça a été un éblouissement pour moi. Je venais des profondeurs de la France, de l’intérieur même des terres et voir pour la première fois comme mer la Méditerranée… Et je l’ai traversée dans tous les sens. J’ai tourné autour de la Méditerranée. Il n’y a pas une région, sauf l’Égypte, que je n’aie pas vue avant d’écrire mon livre. J’ai dit au début de mon livre : “Le meilleur témoignage sur la Méditerranée c’est la Méditerranée elle-même.” C’est pas un document d’archive. Et je me suis usé les yeux [peut-on accepter la force des mots], je peux bien dire les pieds aussi, et le temps, toute ma vie, à traverser la Méditerranée, à utiliser tous les moyens de communication.
J’ai traversé en bateau, j’ai traversé, j’ai été très attentif aux bateaux les plus petits, aux traversées les plus désagréables, j’ai traversé l’Adriatique avec la bora derrière moi, c’était absolument désagréable. J’ai traversé, deux fois, au moins, en hydravion depuis la Tunisie jusqu’en Italie, et ça c’est le plus beau de mes souvenirs. Parce que tu étais au-dessus de la mer mais tu distinguais la moindre barque et même l’ombre portée des barques sur le fond de la mer. La Méditerranée, entre la Tunisie et la Sicile, n’est pas une mer profonde. Voir par exemple la Méditerranée comme veinée de bleus plus lisses [en énonçant cela, Fernand Braudel passe la paume d’une main sur le dos de l’autre, dont il contemple le bleu des veinures. Superbe recouvrement métaphorique de l’histoire et du corps]. Il y a des courants. On voyait des courants [en cet instant, les courants de la mer sont les veines de la main dans lesquelles le sang s’écoule]. Et en arrivant sur la Sicile, même le sel de Trapani – Trapani se trouve à l’ouest de la Sicile –, tu avais le blanc, la broderie du sel. C’est quelque chose d’absolument extraordinaire. Au-dessus de la mer Égée, c’est quelque chose de splendide. Voir une carte vivante. [...] Voir Chypre. Voir Rhodes. [...] Reconnaître ! Pousser des cris, comprends-tu ! Tu es tout seul, ou presque seul. [...]
Que de fois, quand j’ai traversé la Méditerranée, je me disais mais c’est aussi bien la Méditerranée des Grecs, des Phéniciens, que des galères de Don Juan d’Autriche. [...] Même avec les moyens d’aujourd’hui tu traverses la Méditerranée, à un moment donné tu es perdu dans la mer, tu es tout seul. Tu es tout seul ! Même dans une mer aussi étroite et aussi peuplée que l’Adriatique, tu as le cercle de l’horizon, tu as le bateau au centre, et tu as personne ! Évidemment tu ne peux rêver aux siècles révolus qu’en supprimant le bateau qui t’emporte. Mais ça, ça n’est tout de même pas au-dessus d’une imagination je dirais raisonnable. »18
15Braudel vient de parler de rêve et Jean-Claude Bringuier renchérit. Braudel note alors que l’application du terme rêverie à l’histoire en constitue une critique. Il concède pourtant :
« Mais toute l’histoire relève de la rêverie. Toute l’histoire. Tu ramènes les choses, tu les soulèves, tu les ramènes à la vie ! Il y a une fois un sociologue qui m’a dit : “Vous les historiens vous travaillez dans la mort !” Ça n’est pas vrai ! Mais à condition de ressusciter les morts, de leur redonner vie. Philippe II dont j’ai souvent parlé, mais je l’ai vu, j’ai bavardé avec lui, je l’ai rencontré, je l’ai entendu. J’ai fini par le supporter ! »19
16Michelet, Braudel. Cela fait deux cas. Il en est d’autres, bien entendu. Les cas évoqués sont de grands historiens. Justement. Ne faut-il pas cette incarnation, cette forte proximité avec les personnages pour parvenir à être un grand historien, à précisément embrasser l’histoire, au terme d’une accumulation formidable de savoirs raisonnés et d’une sorte d’expérimentation personnelle intime et intense de son vécu – incorporation, vision, dialogue –, et réussir à la brosser à grands traits, comme dans son essence ? Cela est probable. Ne faut-il pas convenir, aussi, qu’il faut être grand historien pour s’autoriser de tels aveux, être sollicités même de les faire, car tout historien de moindre envergure, tout étudiant passionné mais trop généreux qui énoncerait comme légitimantes de telles embrassades serait traité de trublion. On lui demanderait pour le moins de laisser ses facéties aux vestiaires. Car les critères d’authenticité de ce récit réclament, à l’inverse de ce qu’il en est pour les spectacles historiques (où certes la paille n’est pas d’époque), que le narrateur ne se confonde pas avec son personnage, et qu’au contraire il en soit absolument et littéralement détaché. Sans quoi la vérité ne peut être établie.
17D’autres, faut-il le rappeler, ont profité de ce que l’espace semblait offrir de possibles voyages à la remontée du temps pour aller se donner à voir l’histoire en spectacle sur place. Ils en aimaient les premiers épisodes. Ils en ont donc contemplé les acteurs, de ces premiers épisodes, là où il en restait quelques exemplaires. Sur les îles, les continents perdus, dans le fin fond des forêts. Des êtres sauvages, primitifs, détenteurs sublimes d’antiques narrations20. Ne pouvant ni ne désirant toutefois en être, ils les ont fait jouer dans leurs livres, dans cette contiguïté qu’offre l’encre lorsqu’elle s’épanche en formant le récit sur la feuille. Là aussi naissent les personnages. Étrange lieu. Car que croit-on qui y inspire l’anthropologue à l’affût des sauvages ? Pour tel d’entre eux, et non des moindres, c’est la musique, rien que la musique. Claude Lévi-Strauss lui dédie ainsi son œuvre principale – « À la musique »21 – qu’il compose – que dire d’autre – comme une symphonie, regrettant que « le public [n’]en retire l’impression d’écouter une œuvre musicale. »22 L’œuvre débute par une « Ouverture » – tautologie oblige –, et se poursuit de « Thème et variations », constitués d’un « Chant bororo », de « Variations Gé », de « Sonate des bonnes manières », d’une « Symphonie brève », d’une « Fugue des cinq sens », puis d’une « Cantate de la sarigue »23.
18Bien entendu, il s’agit là d’une superposition formelle des dénominations des œuvres musicales sur les articulations de la pensée. Rien de moins. Cela est nécessaire à l’analyse, au soutien de la réflexion théorique, comme il est bien explicité en « Ouverture ». Mais d’où vient vraiment l’écriture ? L’endroit où cette superposition théorique se fait, se « pense » ? Eh bien voilà. L’écriture vient du moment précis où là, dans le minuscule « miroir d’encre »24 qui scintille sur le papier, la musique n’est plus entendue parce que, à force de se chercher en écoutant la musique, la pensée s’est trouvée en celle-ci et qu’elle en a pris littéralement la place – ce pourquoi on ne l’entend plus –, comme si l’écriture était la musique, étant située dans le même paradigme. L’écriture en elle-même. La musique. C’est la pensée sauvage, probablement25, cette « commotion qu’elle inflige à qui la surprend dans son premier état », lorsque « on ne le comprend pas »26.
« J’en écoute tout le temps. Je travaille en musique. [...] Mon rapport à la musique est du même ordre : je pense mieux en l’écoutant. Une relation contrapuntique s’établit entre l’articulation du discours musical et le fil de ma réflexion. Tantôt ils vont de conserve, tantôt ils se quittent puis enfin se rejoignent. Combien de fois n’ai-je pas noté – mais après coup – qu’en écoutant une œuvre, je cessais de l’entendre pendant qu’une idée surgissait ! Après cette séparation temporelle qui la rend autonome, ma pensée s’engrène à nouveau sur l’œuvre, comme si le discours mental avait un instant relayé le discours musical tout en restant de complicité avec lui. »27
19Expérience du sensible. Lorsqu’on ne la comprend pas. Ainsi s’écrivent les Mythologiques, devant ce décor musical. L’on ne cherche en vérité que l’histoire perdue, les êtres disparus, pris que l’on est par « le désir obsédant de retrouver le passé derrière le présent », ce désir que l’on propose comme clé de compréhension de ce soi-même qui, étrange écho, « fut mon personnage ».28 Et on le trouve, ce passé, comme une illusion perdue. « Je hais les voyages et les explorateurs. » Certes. Tristes tropiques29. C’est ce que racontent les photographies, mode premier d’authentification de l’ethnographique. La photographie et l’ethnographie, faut-il le rappeler aussi, furent vraiment jumelles dans l’histoire.
« Indices d’êtres, de paysages et d’événements dont je sais encore que je les ai vus et connus ; mais après si longtemps, je ne me souviens plus toujours ni où ni quand. »30
20Mais dans ces personnages que l’on rencontre au lointain, comme au lointain de soi, « le regard éloigné »31, ombres dansantes projetées au fond de son imaginaire, n’est-ce pas d’abord soi que l’on cherche, s’établissant comme témoin premier du spectacle de l’histoire, « individu-monde » – selon l’heureuse expression qu’emploie Daniel Fabre pour désigner les êtres totalisant l’expérience d’un groupe humain, collusions de l’intime et du collectif32 –, sans que l’on ne puisse rien reprocher à la netteté authentifiante du cliché rapporté.
« L’expérience ethnographique constitue une recherche expérimentale de quelque chose qui vous échappe. Si je savais très bien ce que je suis, je n’aurais peut-être pas eu besoin d’aller me chercher dans des aventures exotiques. »33
21Je m’y suis rendu, j’y étais. Certes. Car de quoi témoigne la photographie sinon de mon voyage, dont j’ai tout oublié sauf que j’y suis allé ? De qui fait-elle le portrait sinon de l’ethnologue et de ses paradigmes, ainsi qu’on le voit lorsqu’il se dissimule ostensiblement parmi les sauvages, sauvage parmi les siens disparaissants ?34 Affublé en sauvage. Portant le costume. Il habite le personnage effacé de l’histoire. C’est vraiment le spectacle historique35. Et croit-on que, de la même façon que la musique a capturé la pensée, cela ne traverse pas aussi le corps ? Voici :
« Le livre passe à travers moi, je suis le lieu où pendant quelques mois ou années, des choses s’élaborent et se mettent en place, et puis elles se séparent comme si c’était une excrétion. »36
22D’autres, dans une quête semblable d’historicité – presque une fuite, en vérité, pour les ethnologues –, d’historicisation de leur être profond, fouillèrent l’histoire dans la terre. Ils en exhumèrent les ossements, les temples mortuaires, les divinités endormies dans la pierre. Ce fut toute une époque. Dans la « pulsion d’exhumer »37, ils accouchèrent la mort. Le voyage à rebours. « L’archéologue-maïeuticien » qui « éventre » la « mère »38, transmuée en déesse, les mains dans la terre, comme plongées dans l’origine, à faire naître le bébé mort. Les archéologues, comme les folkloristes, eurent le culte des tombeaux39. La mort était comme leur naissance, leur vérité, les ossements leurs oripeaux. Leurs personnages étaient des revenants. L’exhumation le spectacle qu’ils étaient sommés de produire. Peut-on nier qu’il y eut, considéré comme grandiose, un spectacle des ruines, que l’on a dénommées « vestiges » ? Dans sa nouvelle Gradiva. Fantaisie pompéienne (1903), Wilhelm Jensen (1837-1911) a magnifiquement décrit le feuilletage des rémanences de l’histoire produites sur son héros – archéologue – par la contemplation d’un bas-relief représentant une jeune femme marchant, toujours étrangement présente dans sa copie de plâtre et pourtant à jamais disparue40.
23Et puis, il y a les musées, en fait de rémanences. Quels insolites lieux. La pénombre, la clarté. Le rayon de lumière illuminant l’objet totémique, fulgurance du passé, « somme de l’histoire » ainsi que le qualifie Hippolyte Müller, créateur en 1906 du Musée Dauphinois41. Certains, manifestement, détestent. Cela leur hérisse le poil que l’on prétende ainsi produire au travers de l’objet une concrétion, stricto sensu, de l’histoire. Ils ont besoin de mots, de notes en bas de page, de justificatifs. Elle est étrange, au fond, cette inimitié avec ce que l’on a peut-être simplement voulu être « bon et beau parce que simple et utile »42. Moi, peut-être ne devrais-je pas, mais j’adore. Je suis dans mon mode de vérité, face à l’objet. C’est de cela, certainement, qu’il s’agit. Comme le héros de Jensen devant sa Gradiva, j’aime à le contempler. Je ne peux mettre l’objet en doute. Je ressens en lui la puissance endormie de l’histoire. Ainsi que devant un fossile, saisi et pétrifié dans le manteau d’une falaise, lorsque l’on croit entendre encore bruisser la mer. C’est vraiment beau, le spectacle de l’histoire. L’objet est une manifestation qui ne réclame pas d’argument. Il m’est donné pour vrai. Exhumé du temps comme la statue de la terre. Je le crois. Aussi j’aime son décalage d’avec l’instant, que formule bien la pénombre savamment établie, par les électriciens du musée, entre moi et lui, qui est dans la lumière. La traversée mentale de cette pénombre, de l’obscur au clair, c’est la traversée de l’histoire.
24D’ailleurs, pour ma part, je sens bien ce qu’a voulu dire le muséographe, en ne mettant qu’une paire de sabots pour représenter le paysan. Certes, il faudrait nuancer. Mais je comprends néanmoins la justesse du raccourci. Le rustique, le bouseux. Accroché à la terre comme la terre aux sabots. « Le labeur séculaire de nos ancêtres »43. L’homme de pays. Et puis aussi, affichée à côté, la photographie. Typée il est vrai. Le portrait des conteurs du village. C’est sûr, elle est splendide cette image. Ils en ont de la gueule, le vieux et la vieille. C’est qu’ils en transmettaient de beaux récits. D’ailleurs, c’est écrit sur l’étiquette : « Madame Untel, conteuse du hameau de tel endroit. » Il volait haut l’esprit, au-dessus des sabots. C’est la dernière vision qu’avec Daniel Travier nous voulûmes donner de la culture ancienne des Cévenols, dans une « exposition-spectacle » dénommée précisément Les objets qui parlent : surgissant du noir, inondés de lumière, une paire de sabots et, au-dessus, une grande Bible ouverte. La terre et l’esprit. Le corps et l’âme44.
25J’aime donc les musées. C’est le côté contemplatif de l’histoire, son immanence. La même sensation que devant le mur de l’antique théâtre, lorsque les individus incarnant les personnages de l’opéra chantent, et qu’ils nous semblent antiques eux aussi. L’histoire est là. Je la vois. Elle resurgit des pierres elles-mêmes, lisible sur la couleur des murs, dans la plasticité de l’air au soleil couchant45. À chacun de s’en saisir. Si l’on ne perçoit pas le temps rayonnant de toute chose, changeons de route. Le mur du théâtre, lui, se souvient. C’est l’hypothèse du musée. Le spectacle est permanent46.
26Les formes de l’historicité, de l’historicisation sont de la sorte multiples. Nous n’allons pas les quérir toutes. D’autres ont été évoquées, plus haut, dans cet ouvrage, et d’autres pourraient l’être encore. Que l’on songe, seulement, à la pompe et aux protocoles qui, entre autres vocations, historicisent de leur vivant des personnages présumés déjà historiques. Mais certaines sont d’une puissance surprenante. L’on pourrait citer, pour la beauté et la force de l’exemple, cette forme au parcours minimaliste, lorsque le récit de histoire s’incarne directement dans le sujet, sans distance, s’emparant littéralement de son être. La personne est le personnage. Elle est l’histoire. Il n’y a plus, entre le récit et l’intime, le récit et le corps, aucun figurant. Je incarne le récit. Robert Cousin, agriculteur des Deux-Sèvres, habité par une maladie du sang – lequel intempestivement s’écoule, comme un trop-plein, par des saignements de nez –, est « pris » également par le récit d’une ascendance sarrasine47. La superposition de ces récits s’effectue au creux de son être, dans le monolithe incassable de la dénomination48, « Cousin tous cousins », l’excès originel de sang, qui pour cela s’épanche. À l’extrémité acérée d’un grand légendaire d’ascendance, l’individu habite l’histoire qui habite son corps.
27Robert Cousin s’est confié à Karine-Larissa Basset, qui lui a consacré un beau chapitre de sa thèse sur le légendaire en question49. J’étais à la soutenance de cette thèse, dans une petite salle de l’université de Paris VII, le 25 mai 2002. Robert Cousin y assistait aussi. À un contour attendu du débat, il fut question de lui. Les membres du jury, historiens patentés, s’entretinrent de la pertinence de son exemple. Était-il raisonnable vraiment que la doctorante ait considéré comme significative d’un légendaire son incarnation dans un individu singulier et « ordinaire » ? J’écris cela, bien entendu, avec respect. Mais c’était un aspect véritable de la question. Les Grands Récits s’incarnent-ils vraiment, sont-ils lisibles dans le vécu des individus ordinaires ? L’historien peut-il les reconstruire de ce vécu ? Pouvait-on prétendre qu’un individu puisse à lui seul figurer la représentation collective de l’histoire ?
28J’y étais donc, et le jury aussi. Tous ses membres peuvent en témoigner. En cet instant où l’on remettait en cause la légitimité de sa narration, Robert Cousin, face au jury, saigna du nez. Un critère démonstratif d’authenticité. Le spectacle de l’histoire. Le récit était à l’intérieur. Totalement intégré, ingéré pourrait-on dire. Une partie visible, significative de sa teneur essentielle, s’en écoulait. La conjonction, dans le sang, des récits du corps et de l’histoire. L’on parlait de l’Histoire, le corps saignait. Robert Cousin sortit un mouchoir de sa poche, se tamponna le nez. Je ne sais pourquoi, mais je songeais alors à Michelet, saignant semblablement du nez à l’écriture des massacres de Septembre. Le même symptôme d’incorporation, manifestant l’historicisation de l’être par le récit50.
29L’histoire, ainsi, est-elle, au proche comme au lointain de la conscience claire, définitoire de tout sujet. Grand Récit objectivé des hommes dans le réel, elle se miroite dans la profondeur de l’intime, avec lequel elle dialogue. L’on pourrait dénommer « spectacle de l’histoire » ce point de réfléchissement, de conjonction, dont les spectacles historiques ne sont en définitive qu’une des expressions socialement élaborées de la nécessité. Entre le Grand Récit clair et le point de l’obscur, la conversation s’établit par ricochets d’images, superpositions de formes – lorsque surgit « la précieuse ressemblance [...] entre un épisode de la vie psychique d’un individu et un événement historique isolé dans l’histoire de l’humanité »51 –, liens improbables entre des riens, mais qui pourtant solidarisent le sens entre les divers plans narratifs dans lesquels le sujet s’inscrit52. C’est l’économie générale des récits, constitutive de l’identité narrative. Françoise Morvan, à propos de la puissance de vocation de quelques militants nationalistes bretons, note ces conjonctions soudaines entre un détail infime de la réalité et la mise en place d’un Grand Récit. Elles les dénomment, dans ce contexte, des « coups de Breizh », révélations de la bretonité comme une mère retrouvée, ainsi que peut le produire, on ne sait vraiment pas pourquoi, un simple soleil couchant. Ce soir, le ciel était breton.
« Le coup de Breizh peut se produire n’importe où, n’importe quand [...]. Frappé d’une illumination subite, le converti se met dans l’instant au service d’une mère patrie perdue, à retrouver, tirer des griffes de la marâtre [...]. »53
30Lorsque ce miroitement refait surface depuis le fond de l’être, il se reflète alors, dans une mise en écho infinie et toujours en point aveugle54, dans une conscience claire dont il détermine pour partie la teneur. Et c’est ainsi que l’on « aime », ou que l’on « n’aime pas », les « reconstitutions historiques ». L’histoire se projette dans l’obscur du sujet parce qu’elle est le nécessaire spectacle au sein duquel se lie l’intimité du je au récit objectivé du nous, lorsque se superposent les ombres des personnes et des personnages. Elle ne se glisse jusque-là que par effraction, ou diffraction. Car la fusion pure et simple du sujet avec le personnage serait regardée comme parfaite folie.
31L’histoire inévitablement touche au corps, car c’est en celui-ci que ce reflètement est médiatisé ou agi. Il en est le premier lieu, le sanctuaire. C’est la corporéité de l’histoire, la part irréductible à la raison de son vécu. La variation de distance entre le récit et le corps – incarnation littérale, par saignement ou possession, inscription sur la peau55, jeu d’acteur avec ou sans travestissement, visualisation hallucinée, rémanences contemplatives, construction narrative raisonnée tenue pour extérieure mais qui pourtant traverse – définit des modes particuliers d’historicisation du sujet. Chacun de ces modes constitue en effet une sorte de récit minimal, un récit-aune – une « forme simple », « un acte verbal », pour reprendre les expressions de Jolles56 –, déjà narratif en lui-même ou porteur d’un sens propre agissant. Avec sa vérité intrinsèque, et ses critères distincts. Selon les contextes historiques, culturels et sociaux au sein desquels ils s’inscrivent – fort variables –, les individus s’agrègent alors à des récits collectifs de l’histoire aux statuts cognitifs différenciés, au sein desquels ils partagent, en fonction de déterminismes personnels quasi insondables et selon des codes socialement établis, ces modes singuliers d’historicisation.
Notes de bas de page
1 Fernand Braudel, in Dominique Froissant et Jean-Claude Bringuier (réalisateurs), Fernand Braudel. 1. Jeunesse-Vocation. La Méditerranée, Institut National de l’Audiovisuel, collection Mémoire, 1984.
2 Roger Caillois désigne ainsi les jeux qui répondent « au goût de l’homme de se déguiser, de se travestir, de porter un masque, de jouer un personnage. » (l’auteur souligne.) Les jeux et les hommes. Le masque et le vertige, Paris, Gallimard, 1958. Édition utilisée : Gallimard, folio essais, 1995, p. 62.
3 J’assume, en écrivant ainsi, la part du diable. Car je pourrais aussi décrire tout ce que, en me plaçant d’un autre point de vue, j’aime à ce moment-là. La réflexion, sans être contradictoire avec elle-même, prendrait alors un autre tour. Mais elle ne tiendrait plus dans le cadre défini pour cette contribution.
4 Il est probable que je typise ici des comportements et vécus dont l’ensemble est plus divers, complexe et nuancé, et que certaines contributions à cet ouvrage ont décrits plus finement. Je désire toutefois, par cette réduction, caractériser une distance au récit néanmoins attestée, significative de ce contexte et pertinente pour mon propos. Par la suite, dans ce texte, je serai amené par force et nécessité à la même typisation des modes d’historicisation.
5 Cette constatation, qui peut sembler en cet instant hors sujet, prendra son sens au terme du parcours.
6 J’emploie ce terme au sens commun d’apparence, configuration. Mais il contient en réserve une autre signification qui surgira plus loin – ce pourquoi je le souligne –, celle de moule, ce qui sert à former, ce qui donc, en soi-même, détermine déjà du sens.
7 Cf. Karine-Larissa Basset, “Nos ancêtres les Sarrasins”. Une altérité originelle face à l’Histoire. Analyse historique d’un récit d’ascendance (France, XIXe-XXe siècle), thèse d’histoire contemporaine, Paris VII, 2002 (Grenoble, Centre alpin et rhodanien d’ethnologie, à paraître).
8 Cf. Jean-Noël Pelen, « Les peuples méridionaux face à l’irruption de l’Histoire. Essai d’egohistoire », in L’expérience ethnographique, à paraître.
9 Je reprends cette expression de Didier Anzieu, Le Moi-peau, Paris, Dunod, 1985. Didier Anzieu l’emploie toutefois dans une acception différente.
10 Pierre Nora, « Michelet, ou l’hystérie identitaire », in Jacques LeGoff (président), Patrimoine et passions identitaires. Actes des Entretiens du Patrimoine, Paris, Fayard – éditions du patrimoine, 1998, p. 87.
11 Cité par Pierre Nora, ibid., p. 90-91.
12 Id., ibid., p. 91.
13 Cité par Pierre Nora, ibid., p. 87.
14 Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, 1949. Édition utilisée, Armand Colin, 1990, 3 vol. , Le Livre de Poche. Vol 1, p. 12.
15 Id., ibid., p. 30.
16 Il cite J. Acosta dans son Histoire naturelle des Indes, 1558 : « Jusques aujourd’hui l’on n’a point des couvert au nouveau monde aucune Méditerranée comme il y en a en Europe, Asie et Afrique… »
17 « Nombreuses sont donc les montagnes qui font exception à cette règle de pauvreté et de vide dont [...] on trouve tant de preuves chez les voyageurs et autres témoins du XVIe siècle. Vides les pays de Haute Calabre que traverse, en 1572, cet envoyé de Venise [...] ; vides la Sierra Morena, en Castille, et les Sierras d’Espadan et de Bernia [...] ; plus vides encore, éternellement vides, ces monts sauvages et chauves de l’intérieur sicilien [...]. » (p. 35-36).
18 Fernand Braudel, in Dominique Froissant et Jean-Claude Bringuier, op. cit.
19 Id., ibid.
20 Cf. la fine description de la découverte des îles Aran par Synge, faite par Daniel Fabre, « Le berceau de la langue. John Millington Synge et les îles Aran », L’Homme, 163-2002, p. 19-50.
21 C’est en effet la dédicace des Mythologiques. Cf. Mythologiques. Le cru et le cuit, Paris, Plon, 1964.
22 Id., ibid., p. 40.
23 Id., ibid. Je donne là la succession des titres qui façonne le texte.
24 Cette belle expression est également employée par Michel Beaujour pour titrer son livre, Miroirs d’encre. Rhétorique de l’autoportrait, Paris, Seuil, 1980.
25 Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962.
26 Id., Mythologiques, op. cit., p. 40.
27 Claude Lévi-Strauss, Didier Eribon, De près de loin, Paris, Odile Jacob, 1988. Édition utilisée : 2001, p. 246.
28 Id., ibid., p. 134.
29 Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Paris, Plon, 1955. Édition utilisée, Paris, UGE, 1966, p. 5. On notera combien cette expression inaugurante peut être une résonance inversée, mais au fond de même fonction, de celle plus haut citée de Braudel.
30 Claude Lévi-Strauss, Saudades do Brasil, Paris, Plon, 1994, p. 9.
31 Claude Lévi-Strauss, Le regard éloigné, Paris, Plon, 1983. Cet usage que je fais des titres de Claude Lévi-Strauss comme globalisant un sens est légitimé par celui-ci lorsqu’il affirme, à propos de l’ouvrage alors en cours et devant donner suite à La potière jalouse : « Une des raisons qui m’arrête pour l’écrire, c’est que je n’ai pas trouvé de titre. Or c’est le titre qui donne son ton au livre. » Claude Lévi-Strauss, Didier Eribon, op. cit., p. 135.
32 Daniel Fabre, « Vivre, écrire, archiver », Sociétés et représentations, n° 13, avril 2002, 19-42, p. 29.
33 Claude Lévi-Strauss, Didier Eribon, op. cit., p. 233.
34 Cf. Jean-Noël Pelen, « Les narrations de soi et la mort », in Régis Bertrand, Anne Carol, Jean-Noël Pelen (éd.), Les narrations de la mort, actes du colloque d’Aix-en-Provence, 2003, Aix-en-Provence, Presses de l’Université de Provence, sous presse.
35 Cf. Jean-Noël Pelen, « Identité narrative et ethnographie. En amical hommage à Daniel Fabre et Charles Camberoque », Cahiers de littérature orale, n° 50, 2001, p. 261-278 (photographies h.-t.), à propos de la présence discrète de Daniel Fabre dans les photographies de La Fête en Languedoc (Daniel Fabre et Charles Camberoque, Toulouse, Privat, 1977).
36 Claude Lévi-Strauss, Didier Eribon, ibid., p. 129-130.
37 Sophie de Mijolla-Mellor, « La pulsion d’exhumer », Topique, 2000, n° 73, 55-69.
38 Philippe Jockey, « Maître des origines, figure du progrès : l’archéologue au miroir des images », Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3/2000, 77-94, p. 92-93.
39 « Le culte des tombeaux, écrit Damase Arbaud au seuil de ses Chants populaires de la Provence, a été de tout temps le culte des hommes de cœur. » Aix-en-Provence, Makaire, 1862-1864, tome 1, p. LIV. Cf., sur les archéologues, Philippe Jockey, ibid. ; sur les folkloristes, Jean-Noël Pelen, « La destruction des Temps », in L’expérience ethnographique, op. cit.
40 Cette nouvelle a fasciné Freud, qui l’a analysée en 1907, dans Le délire et les rêves dans la Gradiva de W. Jensen. Cf. ce titre dans l’édition Paris, Gallimard, folio essais, 1986, qui fournit la nouvelle de Jensen ainsi que la correspondance de celui-ci avec Freud.
41 Cité par Jean-Claude Duclos, « Hippolyte Müller et le Musée Dauphinois », Le Monde alpin et rhodanien, 1-4/2003, Fondateurs et acteurs de l’ethnographie des Alpes, 91-107, p. 91.
42 Hippolyte Müller, cité par Jean-Claude Duclos, ibid.
43 Hippolyte Müller, ibid
44 Jean-Noël Pelen, Daniel Travier, Les objets qui parlent – paroles de Cévenols, exposition spectacle créée pour le festival Parole d’Alès, Alès, 3-7 mai 1989 (reprise par le Parc national des Cévennes en 1990 puis 1998).
45 Cf., ici même, Bernard Thaon, « Le mur d’Orange ou comment revivre l’antiquité ».
46 Cf. Jacques Guilhaumou, « La remémoration de l’histoire. Walter Benjamin et la figure du narrateur », communication à la journée d’étude de l’UMR TELEMME, L’expérience du passé. État des travaux et perspectives, Aix-en-Provence, Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme, 11 février 2004.
47 Ce terme, « pris », est essentiel dans les récits d’ensorcellement étudiés par Jeanne Favret-Saada. Le récit prend le corps. Cf. Jeanne Favret-Saada, Les mots, la mort, les sorts. La sorcellerie dans le Bocage, Paris, Gallimard, 1977.
48 Cf. Jean-Noël Pelen, « La dénomination », in L’expérience ethnographique, op. cit.
49 Cf. Karine-Larissa Basset, op. cit., chapitre quatre, « La quête de Robert Cousin à la fin du XXe siècle », p. 351-491.
50 Cf. également Jean-Pierre Albert, « La mémoire et le corps dans l’expérience des mystiques », in La mémoire du récit, Colloque international, 25, 26, 27 mai 2000, Paris, Collège de France (à paraître).
51 Sigmund Freud, Le délire et les rêves…, op. cit., p. 179.
52 J’ai tenté de décrire ces réfléchissements d’images dans un « essai d’egohistoire » précédemment cité : « Les peuples méridionaux… »
53 Françoise Morvan, Le Monde comme si. Nationalisme et dérive identitaire en Bretagne, Arles, Actes Sud, 2002, p. 182. Cf. des exemples passim. Le choc de l’attentat du 11 septembre, par son aspect narratif archétypique, a créé une multitude de conjonctions de ce genre.
54 Le point aveugle, dans l’œil, se situe au cœur de la vision claire.
55 Notamment lorsque sa couleur détermine la place du sujet dans l’histoire. Cf. Jean-Luc Bonniol, La couleur comme maléfice. Une illustration créole de la généalogie des « Blancs » et des « Noirs », Paris, Albin Michel, 1992.
56 André Jolles, Formes simples, Paris, Seuil, 1972 (première édition 1930). Cf. également, sur la notion de récit-aune, Jean-Noël Pelen, « Le simple fait de raconter toujours la même histoire. Réflexion sur l’en-deçà du sens dans la tradition du conte », in André Petitat (dir.), Conte : l’universel et le singulier, Lausanne, Payot, 2002, 197-214.
Auteur
UMR TELEMME, Université de Provence-CNRS
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